Habitat Métis du Nord c. Jolicoeur | 2024 QCTAL 21281 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 737245 31 20230927 G | No demande : | 4061947 | |||
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Date : | 25 juin 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Lise Gélinas | |||||
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Habitat Métis du Nord |
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Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Denis Jolicoeur |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande introduite le 27 septembre 2023 et un amendement le 13 février 2024, la locatrice demande la résiliation du bail et l’expulsion du locataire et de tous les occupants, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et les frais.
[2] Les parties sont liées par un bail du 15 novembre 2022 au 30 juin 2023, renouvelé au 30 juin 2024. Il s’agit d’un logement subventionné dont la part du locataire est de 325 $ par mois. L’immeuble est composé de huit (8) logements répartis sur quatre (4) étages. Le locataire habite le logement #5.
[3] La mandataire de la locatrice, madame Lise Savage, témoigne de bruits excessifs provenant du logement concerné, lesquels dérangent et troublent la jouissance paisible des autres locataires. Il y a des chicanes, des cris, du va-et-vient provenant du logement concerné, et ce, tant le jour qu’en soirée ou la nuit.
[4] Elle reçoit plusieurs plaintes des autres locataires de bruits excessifs provenant du logement concerné et ajoute que plusieurs de ces troubles et inconvénients nécessitent l’intervention des policiers.
[5] Madame Savage témoigne également du mauvais usage par le locataire de son logement, occasionnant des bris. Elle soumet des photographies démontrant l’état du logement en date du 16 octobre 2023[1],
[6] Olivier Chouinard-Lavigne, policier au SPVM, témoigne bien connaître le locataire pour s’être présenté à plusieurs reprises au logement concerné concernant des troubles de voisinage et des bruits excessifs.
[7] Il corrobore les bruits excessifs, cris et chicanes provenant du logement concerné. Il décrit l’état du logement comme étant insalubre, malpropre, encombré et surchauffé. Il témoigne également de la présence de matières fécales parmi les vêtements dispersés sur le plancher.
[8] Il ajoute que la présence et l’hébergement d’une autre personne dans le logement du locataire, dénommée Julie, et dont le locataire laisse accès à son logement, constituent également une problématique relative aux troubles de jouissance paisible des autres locataires de l’immeuble.
[9] Madame Isabelle Leblond, intervenante sociocommunautaire pour la locatrice, témoigne recevoir près d’une soixantaine de plaintes des autres locataires de l’immeuble relativement aux bruits excessifs provenant du logement concerné.[2]
[10] Elle transmet plusieurs mises-en-demeure au locataire le sommant de cesser tout bruit excessif et de respecter la jouissance paisible des autres locataires.[3]
[11] Un suivi est effectué auprès du locataire, mais en vain. D’ailleurs, dit-elle, elle reçoit une mise-en-demeure des autres locataires de l’immeuble la sommant de faire cesser les bruits excessifs.[4]
[12] Monsieur Ervin Dimo, coordonnateur à l’entretien des immeubles de la locatrice, soumet des photographies en date du 16 octobre 2023 sur lesquelles on constate l’état d’un logement très encombré, malpropre, des trous dans les murs et plafonds et un avertisseur d’incendie arraché.[5]
[13] Monsieur Barry Adams, locataire résidant à l’étage inférieur, logement #3, témoigne de bruits excessifs causés par des chicanes, de la guitare électrique, des objets tombant au sol, des coups de pied sur les planchers, la laveuse à linge, et ce, dit-il en tout temps, mais surtout la nuit.
[14] Il témoigne avoir tenté à plusieurs tentatives de discuter avec le locataire, mais en vain. Il ajoute que depuis le dernier mois avant cette audience, « c’est pire ». Il soumet que la présence de Julie provoque souvent ces bruits excessifs et chicanes.
[15] Madame Mélyssa Dubé, locataire à l’étage inférieur, logement #1, corrobore les bruits excessifs. Elle soumet un enregistrement de musique forte provenant du logement du locataire.[6] Elle explique ne plus pouvoir dormir en raison de ces bruits de va-et-vient la nuit et de chicanes. Elle ajoute que l’alarme d’incendie déclenche souvent lors de la présence de Julie au logement concerné, les forçant à évacuer l’immeuble en pleine nuit.
[16] Madame Sonia Berladin, locataire à l’étage supérieur, logement #8, témoigne elle aussi ne plus être en mesure de dormir la nuit, et ce, en raison des bruits excessifs, de la musique forte et des chicanes provenant du logement concerné.
[17] Elle entend le locataire jouer de la guitare électrique, de la batterie, se chicaner avec Julie, et ce, quotidiennement, le jour comme la nuit. Elle mentionne également des odeurs de cannabis provenant des espaces communs, près du logement concerné et des voitures s’arrêtant quelques minutes chez le locataire pour repartir aussitôt.
[18] Elle ajoute recevoir des insultes et des menaces du locataire et le craindre sérieusement.
[19] Madame Yolande Awashish, locataire du logement #6, sur le même palier, témoigne entendre des bruits excessifs l’empêchant de dormir et des odeurs de cannabis provenant du logement concerné. Elle décrit ces bruits comme étant des bruits de guitare électrique, des cris et des chicanes. Elle soumet que ces bruits ont un impact sérieux sur sa jouissance paisible des lieux et celles de ses quatre enfants quotidiennement.
[20] Elle habite le même logement depuis 2011 et précise ne jamais avoir entendu l’ancien locataire et ses trois enfants habitant le logement concerné.
[21] Madame Francine-Marie Dominique, habitant le logement #4, se plaint également de bruits excessifs provenant du logement concerné. Elle aussi témoigne de perte de jouissance paisible et de sommeil en raison de ces bruits allant jusqu’aux petites heures du matin. Il y a de la musique forte, des cris et des chicanes.
[22] Elle ajoute que Julie cogne à sa porte pour entrer chez monsieur Jolicoeur, locataire au logement concerné.
[23] En défense, le locataire, monsieur Denis Jolicoeur, témoigne être musicien et que l’immeuble est mal insonorisé. Il a tenté, dit-il, d’insonoriser une pièce avec des morceaux de carton, mais en vain. D’ailleurs, selon son témoignage, la locatrice a refusé l’installation de panneaux insonorisants dans son logement.
[24] En ce qui concerne la présence de Julie dans son logement, il déclare l’aimer et vouloir l’aider. Cependant, il soumet être conscient de l’impact de sa présence dans son logement. Il dit avoir changé les serrures de son logement depuis le départ de Julie il y a quelques jours.
[25] Madame Jolicoeur, mère du locataire, soumet que Julie est agressive, crie, consomme de l’alcool et des drogues et nécessite de l’aide psychiatrique. Elle témoigne même s’être récemment battue physiquement avec Julie. De plus, elle ajoute avoir personnellement vu Julie tirer l’alarme d’incendie.
[26] Quant à l’état du logement de son fils, elle témoigne avoir très récemment procédé à un ménage complet. Elle soumet des photographies provenant de son téléphone cellulaire à cet effet.[7]
[27] Tel se résume l’essentiel de la preuve.
QUESTION EN LITIGE
[28] Le comportement du locataire cause-t-il un préjudice sérieux à la locatrice justifiant la résiliation du bail?
Fardeau de preuve
[29] Devant les instances civiles et selon les dispositions des articles
[30] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal, ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée. Enfin, selon l'article
[31] Suivant ces règles, les locataires ont le fardeau de démontrer le bien-fondé de leur recours.
[32] Quant aux obligations du locataire, les articles 1860 et 1863 du Code civil du Québec énoncent ce qui suit :
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
Bon voisinage
[33] Le Tribunal juge opportun de rappeler les règles régissant le bon voisinage, lesquelles sont pertinentes à la présente affaire. À cet égard, l'article
« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »
[34] Cette disposition établit, comme critère applicable, le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Dans la décision Lacasse c. Picard[8], il fut décidé :
« Pour réussir en la présente cause, les locateurs doivent établir que les locataires ou une personne dont ils sont responsables ou à qui ils permettent l'accès au logement a eu, au cours d'une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit. »
[35] Comme le souligne l'auteur Pierre-Gabriel Jobin dans son traité portant sur le louage[9] :
« 98. Conditions. Deux conditions, à notre avis, s'attachent à la responsabilité pour troubles de voisinage entre locataires. D'abord, comme le suggère le texte même de l'article 1860, [L.Q. 1991, c. 64 article 1860 alinéa 1], le locataire voisin doit avoir subi des inconvénients anormaux. Qu'est-ce qu'un inconvénient normal? Cette première question nous amènera à préciser notamment si le trouble doit être persistant et si le locataire voisin doit avoir subi un préjudice sérieux. Deuxièmement, le comportement reproché au locataire doit être illégitime de sa part.
Relativement à la première condition, on relève parfois l'affirmation que le trouble causé au locataire voisin doit être "anormal". Pour juste qu'elle soit, l'expression n'en demeure pas moins vague. Afin de mieux cerner le niveau d'exigence imposé au locataire, on peut maintenant se tourner vers le langage utilisé par le législateur lui-même pour définir l'abus de droit et surtout pour poser les critères des troubles de voisinage : "Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux". Conciliation d'intérêts contraires, tolérance, situation des lieux et usage seront donc les guides du juge pour apprécier la conduite du locataire prétendument fautif. Ainsi, le niveau critique d'un trouble de voisinage peut varier sensiblement d'un contexte à un autre. On tiendra compte des mœurs, du niveau général de tolérance du milieu social ainsi que des caractéristiques inhérentes à l'usage pour lequel les lieux ont été loués (par exemple, une famille ayant des enfants fait plus de bruit qu'un couple sans enfant). [...]
[...]
La seconde condition pour que le trouble de voisinage entraîne la responsabilité du locataire est que celui-ci doit avoir agi de façon illégitime. [...] »
[36] Après analyse de la preuve soumise par la locatrice, le Tribunal opine qu’elle a démontré, par preuve prépondérante, subir un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail, et ce, par le comportement erratique du locataire troublant ainsi la jouissance paisible des lieux des autres locataires.
[37] Toutefois, l’article
« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »
[38] Or, même si le Tribunal a discrétion pour palier à la résiliation et d'émettre une ordonnance en vertu de l'article
[39] Le préjudice causé à la locatrice justifie l’exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[10].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[40] RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[41] ORDONNE l’exécution provisoire, malgré l’appel, de l’ordonnance d’expulsion à compter du 11e jour de sa date;
[42] CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice les frais judiciaires de 110 $.
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Lise Gélinas | ||
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Présence(s) : | la mandataire de la locatrice Me Josée Bérubé, avocate de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 4 mars 2024 | ||
Présence(s) : | la mandataire de la locatrice Me Josée Bérubé, avocate de la locatrice le locataire | ||
Date de l’audience : | 27 mars 2024 | ||
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[1] Pièce P-5 en liasse.
[2] Pièce P-7 en liasse.
[3] Pièce P-8 en liasse.
[4] Pièce P-9 en liasse.
[5] Supra, note 1.
[6] Pièce P-10.
[7] Pièce L-1 en liasse.
[8] R.D.L., 1989-10-17, 18-890911-014G.
[9] JOBIN, Pierre-Gabriel, Traité de droit civil, 2e édition, Éditions Yvon Blais, par. 98, pp. 252-254.
[10] RLRQ, c. T-15.01.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.