Décision

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Marengère c. Larivée

2022 QCTAL 7199

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

606017 31 20220111 G

No demande :

3432923

 

 

Date :

15 mars 2022

Devant la juge administrative :

Isabelle Guiral

 

Guy Marengère

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Frédéric Larivée

 

Ruth Matos

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 11 janvier 2022, le locateur demande l’autorisation du Tribunal afin de reprendre le logement des locataires pour s’y loger à compter du 1er juillet 2022.

Contexte

[2]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 890 $.

[3]         Il s’agit d’un logement de cinq pièces et demie situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de type duplex.

[4]         Le locateur est propriétaire de cet immeuble depuis septembre 2021, en copropriété indivise avec une amie, madame Jiahua Xiao.

[5]         Le locateur est présentement locataire d’un logement et il désire reprendre le logement des locataires afin de s’y loger.

[6]         Les locataires n’ayant pas répondu à l’avis de reprise de logement, le locateur s’adresse donc au Tribunal pour obtenir l’autorisation de reprendre le logement.

Analyse et décision

[7]         Le recours du locateur se fonde sur les articles 1957 et 1963 du Code civil du Québec C.c.Q. »), lesquels énoncent ce qui suit :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.


Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[8]         En matière de reprise de logement, deux droits importants s'opposent, soit le droit des locataires au maintien dans les lieux et le droit du propriétaire de jouir de son immeuble comme bon lui semble, tel que l'énonce le régisseur Me Jean Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[1].

[9]         Pour avoir droit à la reprise du logement, le locateur doit répondre à des exigences légales. Dans un premier temps, le locateur doit également être propriétaire du logement. Cette double qualité reliée au statut de locateur et propriétaire de l'immeuble est apparue avec la réforme du Code civil du Québec et constitue maintenant une exigence légale qui a pour but d'éviter les pratiques abusives, soit, par exemple, la reprise en faveur d'un gestionnaire ou d'un usufruitier ou par tous les copropriétaires de l'immeuble[2].

[10]     L'article 1958 C.c.Q. vient ensuite créer une nouvelle restriction, lorsqu'il s'agit de copropriétaires indivis. Dans ce cas, le droit à la reprise d'un logement sera permis aux copropriétaires uniquement lorsque ceux-ci sont conjoints.

[11]     En effet, l'article 1958 du Code civil du Québec prévoit :

« 1958. Le propriétaire d'une part indivise d'un immeuble ne peut reprendre aucun logement s'y trouvant, à moins qu'il n'y ait qu'un seul autre propriétaire et que ce dernier soit son conjoint. »

[12]     Ainsi, il ressort de ces articles qu'aucun propriétaire d'une part indivise d'un immeuble ne peut reprendre un logement pour s'y loger ou y loger un bénéficiaire autorisé par la loi, à moins qu'il n'y ait qu'un seul autre propriétaire et que ce dernier soit son conjoint.

[13]     La législation québécoise en matière de louage résidentiel s'articule autour de principes assurant le droit au maintien dans les lieux du locataire[3]. Aussi, la reprise du logement étant un cas d'exception, les règles d'application doivent recevoir une interprétation restrictive. Le législateur a même prévu que l'on ne peut déroger aux règles applicables au louage résidentiel (article 1893 du Code civil du Québec), sauf exception qui ne prévaut pas dans le présent dossier.

[14]     La loi comporte donc des exigences précises, soit dans les formalités préalables à l'exercice du droit, soit dans les critères à satisfaire pour exercer le droit à la reprise.

[15]     En l’instance, le locateur est copropriétaire de l’immeuble avec une amie qui n’est pas sa conjointe.

[16]     Une telle situation fait obstacle à la reprise du logement, tel que le mentionne la juge administrative Luce de Palma dans l'affaire Cornett c. Loyer[4] :

« Avec respect, le tribunal se doit en l'espèce de donner plutôt raison à la locataire et de conclure que l'autorisation recherchée ne peut être accordée vu la prohibition claire de l'article 1958 du Code civil du Québec.

En effet, peu importe le but recherché par les locateurs lorsqu'ils ont consenti à ce que la mère du locateur apparaisse sur les titres de propriété, de même que leur intention de demeurer dans cet immeuble, il reste que, de par la situation juridique ainsi créée, ils en sont tous trois devenus copropriétaires. Il s'agit sans équivoque d'une situation où la reprise d'un logement est défendue par l'article 1958 du Code civil du Québec, alors qu'aucune interprétation, si libérale soit-elle, ne peut passer outre à une telle prohibition du législateur. »

[17]     La demande de reprise de logement du locateur est donc rejetée compte tenu de la prohibition édictée à l'article 1958 C.c.Q. qui empêche ce dernier de reprendre le logement puisqu'il est propriétaire d'une part indivise d'un immeuble avec quelqu'un qui n'est pas sa conjointe.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[18]     REJETTE la demande du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Guiral

 

Présence(s) :

le locateur

les locataires

Date de l’audience : 

15 février 2022

 

 

 


 


[1] (R.D.L., 2000-01-26), SOQUIJ AZ-50736447.

[2] Voir les Commentaires du ministre de la Justice, Tome II, page 1231.

[3] Carmen Palardy, Développements récents en droit immobilier, Éditions Yvon Blais 2002, p. 239, Jobin, Pierre Gabriel, Le louage, 2e édition, Les éditions Yvon Blais inc., p. 557.

[4] [2006] J.L. 113. 

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