Décision

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Décision

Marques (Succession de) c. Desa

2015 QCRDL 20927

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

144154 31 20140324 F

No demande:

1453551

RN :

 

 

 

Date :

25 juin 2015

Greffier spécial :

Me Grégor Des Rosiers

 

SUCCESSION DOMINGOS MARQUES

Locatrice - Partie demanderesse

c.

José Desa

 

LINDA BEAUDOIN

Locataires - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]      La locatrice a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et de remboursement des frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2010 au 30 juin 2020, à un loyer mensuel de 500,00 $ comprenant un garage et deux espaces de stationnement.

[3]      La présente cause a fait l’objet de plusieurs audiences en date du 10 décembre 2014 et du 16 mars 2015.

[4]      La procureure de la locatrice, Me Manuela Santos, mentionne au Tribunal que la locatrice n’a pas produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer parce qu’elle demande au Tribunal de statuer sur le loyer de faveur dont elle estime bénéficier les locataires pour une période de 10 ans et de fixer le loyer en conséquence selon la preuve qui en sera faite et ce pour un bail d’une durée de 12 mois.

LOYER DE FAVEUR

Preuve de la locatrice

[5]      La locatrice, Camelinda Belo, est la liquidatrice de la Succession de Feu Domingos Marques.

[6]      Elle soutient que les locataires bénéficient d’un loyer de faveur et demande que le loyer soit fixé à 985,00 $.

[7]      Le 25 octobre 2012, le père de la locatrice, Feu Domingos Marques, décède alors qu’il se trouve en voyage dans son pays natal, le Portugal.

[8]      La locatrice, à titre d’héritière a donc la saisine de l’immeuble dès l’ouverture de la succession, soit à la date du décès le 25 octobre 2012.


[9]      Le 14 janvier 2013, la locatrice, Camelinda Belo, est nommée liquidatrice de la succession de son père Feu Domingos Marques (pièce P-1 en liasse).

[10]   Le ou vers le 1er mai 2013, la locatrice a donné aux locataires un avis de modification du bail (pièce P-4) précisant et réclamant un loyer de 985,00 $ par mois pour un bail d’une durée de 12 mois à compter du 1er juillet 2013.

[11]   Le ou vers le 8 mai 2013, les locataires ont donné leur avis de refus à la locatrice.

[12]   La locatrice souligne que pour le même logement, les parties étaient liées par un bail du 1er janvier 2007 au 1er janvier 2010 à un loyer mensuel de 700,00 $ (pièce P-2).

[13]   Or, les locataires paient actuellement un loyer mensuel de 500,00 $ que la locatrice estime être inférieur à la valeur locative et aux loyers payés pour des logements comparables (pièce P-3).

[14]   Par ailleurs, la locatrice demande au Tribunal de statuer sur le loyer de faveur qu’elle estime bénéficier les locataires puisque le logement est situé dans un immeuble transmis par succession et que le loyer de 500,00 $ par mois que paie actuellement les locataires pour un bail d’une durée de 10 ans découle de la gestion inadéquate du défunt, son père, Feu Domingos Marques.

Preuve des locataires

[15]   En défense, les locataires contestent les prétentions de la locatrice et soutiennent ne pas bénéficier d’un loyer de faveur puisque le loyer de 500,00 $ a été librement négocié en tenant compte de l’amitié entre Feu Domingos Marques, un ami pour lequel ils avaient beaucoup d’affections, qui n’avait pas d’endroit où demeurer et qu’à sa demande, ils ont loué une chambre à ce dernier afin qu’il puisse demeurer dans l’immeuble dont il est propriétaire, entouré de ses amis, voisins et connaissances du quartier et qu’en effet, - les locataires contestant vigoureusement bénéficier d’un loyer de faveur - pour des considérations personnelles au défunt, ce dernier a offert et a consenti de bonne foi aux locataires dans une lettre spécifiant l’entente intervenue entre les parties et les dernières volontés de Feu Domingos Marques, un bail pour une période de 10 ans au loyer convenu de 500,00 $ par mois et ce librement et sans contrainte (pièce L-1) et confirmée par la suite dans le contrat de bail (pièce P-3).

ANALYSE

[16]   Aux articles 1 et 6 du Règlement sur les critères de fixation de loyer[1] se trouvent les dispositions pertinentes concernant le loyer de faveur :

« 1.           Dans le présent règlement, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

(…)

« logement comparable »: un logement équivalent, dans le même immeuble ou dans un immeuble équivalent, doté de services, accessoires et dépendances comparables et situé dans un environnement comparable;

(…)

« loyer de faveur »: le loyer d'un logement qui est inférieur au loyer habituellement payé pour celui de logements comparables, dans l'une des situations suivantes:

 1° le locataire est un parent, allié ou employé du locateur;

 2° le locateur est ou était le soutien du locataire;

 3° le logement est situé dans un immeuble transmis par succession et le loyer découle de la gestion inadéquate de la personne décédée;

 4° le locateur est un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec; »

« 6.           Si le loyer au terme du bail est un loyer de faveur, le tribunal détermine le loyer exigible en considérant celui habituellement payé pour des logements comparables. »

[17]   Des articles précités, il s’ensuit qu’il incombe à la locatrice de démontrer que tous les éléments énumérés audits articles quant au loyer de faveur s’appliquent à la présente situation.


[18]   En ce qui a trait au « loyer de faveur », dans une récente décision, Me Isabelle Jodoin, greffière spéciale rappelle que :

« Pour que le Tribunal fasse droit à la demande de la locatrice, cette dernière doit donc établir les éléments suivants :

1°Le loyer payé doit être inférieur à celui de logements comparables;

2°Ce loyer doit découler de l'une des situations incluses à la définition de « loyer de faveur » prévue à l'article 1 du Règlement; »

3°Le «loyer de faveur» doit exister au terme du bail précédent. »[2]

[19]   Les articles 1942 et 1943 du Code civil du Québec prévoient les délais à respecter et les formalités relatives au contenu de l’avis de modification du bail :

« 1942.      Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre. »

« 1943.      L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.

L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »

[20]   L’avis de modification du bail donné par la locatrice est prématuré puisqu’il a été donné le 1er mai 2013 (pièce P-4), soit plus de 7 ans avant le terme du bail, lequel surviendra le 30 juin 2020.

[21]   Ce principe de la première opportunité a été élaboré par la jurisprudence et a été reconnu par les tribunaux supérieurs.

[22]   Dans une cause similaire à la présente demande, dans sa décision, la Juge administratif mentionne ce qui suit :

« Il va sans dire que le réajustement du loyer dans telle situation doit se faire à la première occasion, soit en l’occurrence au terme du premier bail suivant la transmission de l’immeuble. »[3]

[23]   La preuve est à l’effet que l’immeuble a été transmis par succession et que monsieur Dominigos Marques est décédé le 25 octobre 2012.

[24]   Il s’en suit que l’ouverture de la succession a eu lieu à cette date, soit le 25 octobre 2012 et la locatrice, Mrs Carmelinda Belo, en qualité d’héritière avait la saisine de l’immeuble dès l’ouverture de la succession.

[25]   Or, la preuve est l’effet que les parties sont liées par un bail pour une période de 10 ans, du 1er juillet 2010 au 30 juin 2020, à un loyer mensuel de 500,00 $ (pièce P-3).

[26]   Le 1er mai 2013, la locatrice a donné un avis de modification du bail aux locataires. Le Tribunal estime que cet avis n’a aucun effet juridique puisque la première opportunité surviendra qu’au terme du bail liant les parties, soit celui du 1er juillet 2010 au 30 juin 2020.

[27]   Dans une telle situation, c’est à cette première occasion,c’est-à-dire au terme du bail - le 30 juin 2020 - que la locatrice aura l’opportunité de demander l’ajustement du loyer et de remédier à cette situation qu’elle considère défavorable, soit le loyer de faveur, qu’elle prétend avoir été consenti par l’ancien propriétaire-locateur, son défunt père, Domingos Marques.


[28]   Dans de telles circonstances - ayant saisi cette occasion ou opportunité prématurément en donnant un avis de modification du bail aux locataires le 1er mai 2013 alors que la période de 10 ans du bail est toujours en cours et que le terme ne surviendra que le 30 juin 2020, en faits et en droit, le principe de la première opportunité a pour effet a contrario, que la locatrice ne peut prématurément - avant l’arrivée du terme du bail - saisir l’opportunité de soulever que les locataires bénéficient d’un loyer de faveur.

[29]   Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal estime que l’avis de modification du bail donné le 1er mai 2013 est prématuré, sans effet juridique et donc invalide.

[30]   Par conséquent, la présente demande est irrecevable.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[31]   REJETTE la demande de la locatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Grégor Des Rosiers, greffier spécial

 

Présence(s) :

Me Manuela Santos, avocate de la locatrice

les locataires

Dates des audiences :           

10 décembre 2014

16 mars 2015

 

 

 


 



[2] 31 100413 065F R.L., 25 novembre 2010, Jodoin I. gs.

[3] Burlon c. Remise (2006) J.L. 379 (C.Q.)

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