Décision

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Droit de la famille — 18726

2018 QCCA 548

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-026946-178

(450-12-027920-158)

 

DATE :

 9 avril 2018

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

J... D...

APPELANT - demandeur

c.

 

I... N...

INTIMÉE - défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 25 avril 2017 par la Cour supérieure, district de St-François (l’honorable François Tôth), lequel confirme pour l’essentiel les modalités de la garde des enfants des parties et modifie légèrement la pension payable par l’appelant à leur bénéfice.

[2]           Pour les motifs du juge Schrager, auxquels souscrivent les juges Marcotte et Hogue, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure du 25 avril 2017 et PRONONCE le jugement qui aurait dû être rendu;

[5]           ACCUEILLE en partie la demande en modification de garde de l’appelant;

[6]           CONFIE à l’appelant la garde des enfants mineures des parties, X et Y, à partir du 1er juillet 2018;

[7]           ACCORDE à l’intimée les droits d’accès suivants aux enfants mineures à partir du 1er juillet 2018, soit :

(i)            deux fins de semaine sur trois (débutant les fins de semaine des 7 au 8 et 14 au 15 juillet 2018); ces accès débuteront le vendredi après l’école et se termineront le lundi matin au début des classes ou, en l’absence d’école, au moment où ils commenceraient ou se termineraient normalement;

(ii)          Une semaine durant les vacances des Fêtes, incluant alternativement le jour de Noël ou le jour de l’An. Pour l’année 2018, les enfants seront avec l’intimée à Noël;

(iii)         Pour la semaine de relâche scolaire, les enfants seront une année avec l’intimée et une année avec l’appelant. En 2019, les enfants seront avec l’intimée;

(iv)         Deux semaines consécutives ou non, pendant l’été, aux dates choisies par l’intimée, celle-ci devant aviser l’appelant des dates choisies au plus tard le 1er mai de chaque année;

(v)           Les enfants seront avec l’appelant ou l’intimée lors de la Fête des pères et de la Fête des mères, selon le cas, et ce, indépendamment des autres dispositions;

(vi)         À l’exception des échanges qui ont lieu à l’école à la fin des classes le vendredi ou au début des classes le lundi et qui ne nécessitent pas la présence des deux parents, l’appelant conduira les enfants chez l’intimée au début de l’exercice du droit d’accès et l’intimée conduira les enfants chez l’appelant à la fin de cet exercice. Lors de ces échanges, l’intimée devra s’assurer que M. G... n’est pas présent.

[8]           DÉCLARE que les enfants seront ensemble pendant tous les accès;

[9]           DÉCLARE que les parents exerceront l’autorité parentale conjointement, mais que l’appelant sera responsable du choix de l’école et de la garderie des enfants, tout comme de leurs activités et loisirs alors qu’elles sont sous sa garde alors que l’intimée sera autorisée à faire des choix d’activités pour les périodes d’exercice des droits d’accès;

[10]        ORDONNE à l’intimée de payer à l’appelant, au bénéfice des enfants mineures, une pension alimentaire mensuelle de 289,89 $ à partir du 1er juillet 2018, le tout conformément au Formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants, Annexe I joint au présent arrêt;

[11]        ORDONNE l’indexation de la pension alimentaire annuellement à compter du 1er janvier de chaque année;

[12]        EXEMPTE la pension alimentaire de la perception automatique prévue par la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires;

[13]        LÈVE la suspension du paiement par l’appelant de la pension alimentaire pour enfants ordonnée par le jugement du 24 novembre 2016, pour valoir jusqu’au 1er juillet 2018 exclusivement et ANNULE la pension alimentaire payable par l’appelant à compter du 1er juillet 2018 exclusivement;

[14]        ORDONNE que les frais particuliers des enfants soient partagés au prorata des revenus des parties qui est présentement 72.5 % l’appelant versus 37.5 % l’intimée;

[15]        ORDONNE aux parties de se transmettre au 15 mai de chaque année une copie de leurs déclarations de revenus fédérale et provinciale et de se transmettre une copie de leurs avis de cotisation fédéral et provincial dans un délai de 15 jours de leur réception;

[16]        À DÉFAUT de respecter ces obligations d'information, le parent créancier pourra demander, outre l'exécution en nature et les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi, notamment pour compenser les honoraires d'avocat et les déboursés qu'il a engagés; de plus, toute révision de la pension alimentaire pourra être rétroactive à la date où la divulgation aurait dû être faite ou à toute autre date que le tribunal jugera appropriée;

[17]        ORDONNE à l’appelant de transmettre en temps utile à l’intimée le calendrier scolaire des enfants, les bulletins et toute communication et tout avis émanant de l’école et notamment, les avis relatifs aux rencontres parent/professeurs;

[18]        ORDONNE à l’appelant et à l’intimée de ne pas dénigrer l’autre parent et de ne pas impliquer les enfants dans leurs différends ainsi que dans les procédures judiciaires;

[19]        RECOMMANDE à l’intimée de suivre une thérapie avec son conjoint afin de solidifier leur relation et de travailler leurs défis personnels;

[20]        REJETTE la demande de provision pour frais de l’intimée;

[21]        LE TOUT sans frais, vu la nature du litige.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

Me Céline Gallant

GALLANT, BERNIER AVOCATS

Pour l’appelant

 

Me Brigitte Brunet

BRIGITTE BRUNET, AVOCATS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

25 janvier 2018


 

 

MOTIFS DU JUGE SCHRAGER

 

 

[22]        L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 25 avril 2017 par la Cour supérieure, district de St-François (l’honorable François Tôth), lequel confirme pour l’essentiel les modalités de la garde des enfants des parties et modifie légèrement la pension payable par l’appelant à leur bénéfice[1].

[23]        Les enfants des parties ont été exposées à deux situations de violence conjugale impliquant l’intimée et son nouveau conjoint. Un expert a confectionné un rapport qui propose de confier la garde exclusive des enfants à l’appelant. Ce dernier fait valoir que le juge a erré en ne retenant pas cette expertise.

[24]        Pour les motifs qui suivent, je propose l’intervention de la Cour pour infirmer le jugement entrepris et accorder la garde des enfants mineures à l’appelant.

[25]        En fonction du changement de garde que je propose, une pension alimentaire au bénéfice des enfants deviendra payable par l’intimée.

LES FAITS

[26]        L’appelant et l’intimée se sont mariés en 2007.

[27]        De leur union sont nées X, âgée de 6 ans, et Y, âgée de 4 ans. En 2016-2017, celles-ci fréquentent respectivement la prématernelle et le service de garde de l’école A, à Ville A.

[28]        Les parties déménagent à Ville A en 2013 afin de faciliter les déplacements de l’appelant à son lieu de travail.

[29]        À l’automne 2014, l’appelant apprend que l’intimée a une aventure extraconjugale avec un dénommé Je... G..., qui exploite un commerce que fréquente l’intimée. En janvier 2015, après quelques mois de turbulence, les parties se séparent. L’intimée continue à vivre avec les filles dans le logement que partageait le couple. L’appelant s’éloigne pendant environ six mois des enfants, les voyant sporadiquement, car il peine à se remettre sur pied émotivement. L’intimée poursuit sa relation avec M. G....

[30]        Le divorce est prononcé le 19 novembre 2015[2] et le jugement entérine une convention sur les mesures accessoires prévoyant la garde exclusive des enfants par l’intimée ainsi que des droits d’accès d’une fin de semaine sur deux à l’appelant. L’échange des enfants doit avoir lieu au domicile de l’intimée hors la présence de M. G.... L’appelant rapporte que M. G... est parfois présent lors des échanges. Dans tous les cas, rien n’est facile de part et d’autre.

[31]        L’appelant, qui détient une maîtrise, travaille à Ville B comme directeur de projet. Il habite Ville C où il loue un appartement dans un duplex que possède sa nouvelle conjointe. Elle a la garde de sa fille de 8 ans.

[32]        L’intimée, qui a complété deux baccalauréats et une maîtrise, est trilingue. Elle réside à Ville A avec M. G... dans une maison qu’ils ont achetée en copropriété. M. G... a la garde partagée de son fils, âgé de 15 ans.

[33]        L’intimée dit vivre modestement. Elle est mère au foyer depuis 2011. Elle travaille bénévolement au commerce de M. G... à raison de trois jours par semaine, alors que ses enfants sont à la garderie et à la prématernelle cinq jours par semaine. Elle exploite de manière saisonnière une entreprise déficitaire.

Mai 2015

[34]        En mai 2015, avant le divorce, un premier événement violent survient. M. G... détruit alors le cellulaire de l’intimée à coups de marteau et bouscule l’intimée, de sorte que celle-ci quitte la maison avec ses deux enfants pour se réfugier chez l’appelant pendant quatre jours.

[35]        Cette narration, retenue par le juge, est corroborée par le témoignage de l’appelant. Ce dernier témoigne qu’alors qu’il assiste à l’anniversaire d’un ami dans un parc, il reçoit des appels de l’intimée, qui lui laisse des messages. Il apprendra que celle-ci a eu peur, car son nouveau conjoint a détruit son téléphone avec un marteau et l’a poussée dans la poitrine. Il l’héberge trois ou quatre jours. Il signale l’événement à la Direction de la protection de la jeunesse, qui n’agit pas.

[36]        L’intimée témoigne plutôt qu’un matin, alors qu’elle « se lève, le marteau est dans [son] cellulaire ». Elle juge le geste inadmissible et estime que M. G... doit faire une thérapie. Selon elle, personne n’est présent lors de la destruction du téléphone : elle est à l’étage et les filles sont chez l’appelant. Le geste s’expliquerait par le fait que l’appelant texte constamment l’intimée pendant qu’il exerce ses droits d’accès et que M. G... en est exaspéré, voyant l’anxiété que cela cause chez l’intimée.

Mai 2016

[37]        Le juge retient que, le 4 mai 2016, l’intimée quitte son domicile pendant la nuit, à pied, avec ses filles qui sont encore en pyjama et endormies. Une bousculade a lieu. M. G... saisit les clefs de l’automobile et le cellulaire de l’intimée. L’intimée aurait interpellé une automobiliste qui l’a conduite, avec les enfants, au poste de police. Elle fait une déclaration à la police, est reconduite chez une amie, habite ensuite à l’hôtel, puis enfin chez l’appelant, qui lui prête son appartement. Elle retournera vivre chez elle, abandonnera sa plainte pénale - qu’elle refuse de fournir à l’expert Wim De Wit -, puis recommencera après quelques semaines à faire vie commune avec M. G.... Cette version de l’événement prend appui, notamment, sur le témoignage de l’appelant.

[38]        Selon le rapport d’expertise psycholégale, l’intimée rapporte que, le soir en question, M. G... avait bu beaucoup de bière, l’a poussée hors du lit vers 22 h ou 23 h alors qu’elle refusait d’enlever son pantalon de pyjama. Les enfants se sont réveillées et M. G... lui a refusé l’accès à son cellulaire.

[39]        Selon l’intimée, vers 22 h, après une discussion animée sur son statut dans l’entreprise de M. G... après laquelle ce dernier s’est absenté pour aller prendre une marche, il la pousse sur le lit ou hors du lit et lui ordonne d’enlever son pyjama. Elle décide alors de faire chambre à part, mais celui-ci l’en empêche. Ils descendent et discutent, ce qui réveille les filles. L’intimée dit aux filles d’enfiler leurs bottes pour partir avec elle. Or, ce serait dans ce contexte que M. G... aurait saisi les clefs de son automobile pour l’empêcher de quitter, jugeant qu’elle n’était pas « en état ». Les quatre se seraient retrouvés à l’extérieur du domicile et auraient marché ensemble pour discuter. Finalement, M. G... aurait rebroussé chemin et une automobiliste aurait offert de conduire l’intimée et ses filles au poste de police.

Demande de changement de garde

[40]        Le 19 août 2016, l’appelant introduit sa demande de changement de garde, par laquelle il réclame la garde exclusive avec des droits d’accès pour l’intimée, hors la présence de M. G..., ainsi qu’une interdiction de contact entre les enfants et ce dernier. Il amendera cette demande pour réclamer, en sus, l’annulation de la pension alimentaire pour enfants qu’il doit payer à l’intimée.

Suivi thérapeutique

[41]        Selon une lettre de l’organisme « Ressources pour Hommes de la Haute-Yamaska » datée du 28 mars 2017 et déposée en preuve, M. G... aurait suivi « trois entrevues d’accueil-évaluation » les 17, 24 et 31 mai, probablement en 2016, la lettre ne mentionnant que « l’année 2016-2017 ». Il aurait participé à 14 rencontres individuelles dans le cadre du programme « Point Final » de l’organisme, un centre d’aide aux hommes aux prises avec un problème de violence conjugale et familiale. Les dates de ces 14 rencontres ne sont pas spécifiées. Il aurait également fait un suivi thérapeutique avec l’organisme MomentHom.

[42]        La psychologue Lucie Pétrin atteste, le 31 mars 2017, que l’intimée commencera un suivi thérapeutique avec elle le 18 avril suivant.

[43]        L’intimée témoigne qu’elle a prévu des rendez-vous de thérapie conjugale avec Marie-Josée Savard les 17 et 25 avril 2017. Questionnée sur la tardiveté de ces rendez-vous, subséquents au rapport d’expertise et au procès, elle rétorque que la thérapeute est au Népal pendant l’hiver et qu’elle lui a été recommandée, ce qui explique qu’elle attend son retour plutôt que de choisir un autre thérapeute.

L’expertise psycholégale

[44]        Le 17 mars 2017, le psychologue Wim De Wit dépose l’expertise psycholégale demandée par la Cour et à laquelle les parties ont consenti en janvier 2017. Parmi ses principales recommandations, notons les suivantes :

-       Confier la garde exclusive des enfants à l’appelant à partir de la fin de l’année scolaire 2016-2017;

 

-       Confier des droits d’accès de deux fins de semaine sur trois à l’intimée du vendredi soir au lundi matin;

 

-       Attribuer la garde en alternance pendant les congés estivaux et scolaires;

 

-       Demander aux parents de ne pas se dénigrer ou exposer les enfants aux procédures judiciaires.

[45]        Sur le plan personnel, l’expert recommande à l’intimée et à son conjoint de chercher une aide professionnelle et à l’appelant, de surmonter sa rancune et d’éviter d’instrumentaliser les enfants comme moyen de punir l’intimée pour son abandon.

[46]        Sur le plan de l’opinion et au-delà de la narration des faits rapportés précédemment, le rapport peut se résumer de la manière suivante.

[47]        M. De Wit estime que l’intimée, quoique ses capacités parentales ne soient guère remises en doute, présente certaines fragilités relationnelles, un problème d’identité, d’estime de soi ainsi que des traits de personnalité dépendante. Plus concrètement, l’expert souligne la dépendance financière de l’intimée par rapport à son conjoint, l’absence d’intimité des enfants à son domicile et le caractère problématique des corrections physiques (tapes aux fesses) imposées occasionnellement par l’intimée. Il souligne néanmoins que l’intimée veut transmettre des valeurs humaines à ses enfants et qu’elle fait preuve de compréhension de leurs besoins. L’expert estime que M. G... présente un degré de surinvestissement et ne fait preuve d’aucune autocritique ou introspection relativement aux événements de violence de mai 2015 et de mai 2016. L’expert est d’avis qu’en l’absence de contrôle social à la suite des procédures judiciaires, la situation pourrait se détériorer. De plus, il est préoccupé par l’absence de démarche de thérapie conjugale ou encore de thérapie par l’intimée.

[48]        L’expert observe que l’appelant présente un profil psychologique sans pathologie, mais a des traits histrioniques au-dessus de la moyenne. Il reconnaît et répond aux besoins de ses enfants tout en faisant preuve d’une discipline adéquate. L’expert estime que l’appelant ne doit cependant pas développer une attitude trop stricte. La cohabitation partielle avec sa nouvelle conjointe, dans deux habitations adjacentes, mais indépendantes, offre une transition en douceur vers une famille reconstituée pour les enfants.

[49]        Les enfants sont attachées à leurs parents et ont un développement normal et des capacités d’apprentissage adéquates, voire au-dessus de la moyenne. X a des souvenirs assez clairs de l’événement de mai 2016 et a peur d’un autre événement du genre, quoiqu’elle n’ait pas peur de M. G.... Elle n’aime toutefois pas quand celui-ci l’agace ou l’obstine. Elle exprime le souhait de voir son père plus souvent. Y souffrirait d’asthme, mais est en bonne santé. Elle a une estime de soi fonctionnelle, mais un léger degré d’insécurité. Elle est positive relativement aux deux foyers. L’expert est également d’avis que les enfants n’ont pas été touchées outre mesure par les événements de violence, quoiqu’elles fassent montre d’un léger degré d’insécurité. Il souligne toutefois que la recherche a montré que la violence conjugale cause chez les enfants un risque accru de difficultés émotionnelles, comportementales ou développementales.

JUGEMENT ENTREPRIS

[50]        Après un bref exposé de la preuve et du droit applicable, le juge Tôth conclut que l’événement de violence de mai 2016 est un changement significatif qui commande le réexamen de la garde. Néanmoins, il estime qu’il serait « déstabilisant de déraciner les enfants » et confirme les modalités de la garde en officialisant l’entente tacite qui prévalait entre les parties quant au moment exact du retour des enfants, soit le lundi à l’école plutôt que le dimanche chez l’intimée.

[51]        Le juge retient généralement l’expertise psycholégale de M. Wim De Wit. Il conclut que l’intimée minimise l’importance des deux événements de violence, alors que la narration qu’en fait l’appelant est corroborée par le rapport d’expert. Le juge estime que les enfants, malgré cela, se développent bien et ne présentent pas de pathologie. M. G... n’a jamais été violent à leur égard et leur intérêt commande le maintien de la garde exclusive par l’intimée, qui est la figure parentale principale depuis leur naissance, afin de ne pas les déstabiliser. Enfin, malgré ces dernières conclusions, le juge écrit que :

[65]      Demeure toutefois cette question d’insécurité qui peut être néfaste au développement, à l’épanouissement et au bonheur des enfants.

[66]      Madame doit cesser le déni et attaquer la problématique de front.

[52]        Il souligne également que les capacités parentales de l’appelant ne sont aucunement remises en cause par sa décision.

DISCUSSION

[53]        Devant cette toile de fond, la question qui doit être résolue par la Cour se pose ainsi :

Est-ce que le juge a erré en écartant sans motif les recommandations de l’expert et en ne prévoyant aucune mesure pour assurer la protection des enfants?

[54]        Lors d’une demande d’ordonnance modificative de garde, un changement important dans la situation des enfants doit être constaté pour permettre une modification par le tribunal de première instance[3]. Ce changement significatif requiert, selon la Cour suprême, la preuve d’un changement important dans les ressources ou besoins de l’enfant, qui l’affecte et qui n’était pas prévisible lors de l’ordonnance initiale[4]. Dans la mesure où le juge a conclu que l’événement de mai 2016 constituait un tel changement et où cette conclusion n’est pas contestée, il n’y a pas lieu de traiter davantage de cette question.

[55]        En matière de détermination d’une ordonnance de garde, la déférence est de mise et seule une erreur de fait importante ou une erreur de droit permettra à la Cour d’appel d’intervenir[5].

[56]        La Loi sur le divorce prévoit que nous ne devons tenir compte « que de l’intérêt de l’enfant »[6].

[57]        Plus particulièrement, avant de rendre une ordonnance modificative de garde, une cour devrait, entre autres, considérer les faits suivants[7] :

-     l'entente de garde déjà conclue et la relation actuelle entre l'enfant et le parent gardien;

-     l'entente déjà conclue sur le droit d'accès et la relation actuelle entre l'enfant et le parent qui exerce ce droit;

-     l'avantage de maximiser les contacts entre l'enfant et les deux parents;

-     la perturbation que peut causer chez l'enfant une modification de la garde;

-     la perturbation que peut causer chez l'enfant l'éloignement de sa famille, des écoles et du milieu auxquels il s'est habitué.

[58]        Enfin, il est bien connu qu’un tribunal n’est pas lié par une expertise et le seul fait de ne pas la suivre ne constitue pas une erreur manifeste en soi, surtout si le tribunal le justifie[8].

[59]        Dans le jugement dont appel, il est évident que le juge a pris en considération, d’une part, l’insécurité que vivent les enfants à la suite des épisodes de violence et, d’autre part, le déracinement que constituerait un changement de garde (changement d’école et de milieu de vie). Il a conclu que l’intérêt des enfants était de demeurer auprès de leur mère. Le juge a-t-il minimisé la violence dont l’intimée est victime et qui est susceptible de nuire au bien-être des enfants? L’expertise est éloquente à cet effet et cette preuve n’a pas été contredite. Bien sûr, le juge n’était pas lié par l’opinion de l’expert[9]. Par contre, une telle décision doit être adéquatement motivée et basée sur une assise factuelle dans la preuve. Ici, avec égards, le raisonnement du juge ne résiste pas à une analyse critique.

[60]        Le juge a opté pour la stabilité du milieu de vie des enfants, mais la preuve indique un problème sérieux dans ce milieu, que le juge a mis de côté. Il qualifie l’intimée comme « protectrice » bien qu’elle tolère une ambiance et une relation conjugale qui menacent la stabilité et la sécurité des enfants.

[61]        À cet égard, je souligne dans la preuve ce qui suit :

-       Le témoignage de l’intimée manque beaucoup d’introspection; elle minimise clairement les épisodes de violence vécus. Le juge en tient compte, mais de manière secondaire;

 

-       Le suivi thérapeutique envisagé par l’intimée et son conjoint n’est envisagé qu’après le rapport d’expertise et tout juste avant l’audition en première instance et suscite des questions quant à leur intention réelle;

 

-       Ce constat rejoint celui de l’expert M. De Wit à l’égard de la personnalité de l’intimée et de M. G...;

 

-       On peut sérieusement questionner l’entêtement dont semblent faire preuve l’intimée et M. G... à ne pas respecter l’ordonnance de la Cour interdisant à ce dernier d’assister à l’échange des enfants. À mon avis, ici, le juge n’a fait que très peu de cas de cet élément du dossier, qui mine la collaboration des parties.

 

[62]        Les colères évidentes qui ont donné lieu aux actes de violence par le conjoint de l’intimée en mai 2015 et 2016 sont des éléments très pertinents, voire cruciaux, qui ont été minimisés par le juge. Même si la violence n’était pas dirigée contre les enfants, elles en étaient néanmoins témoins et elles continuent de vivre dans une atmosphère où il est raisonnable de présumer qu’elles appréhendent la prochaine fois.

[63]        L’expert a conclu dans le sens suivant :

Quant au litige, nous devons souligner notre préoccupation devant le fait que madame N... et monsieur G... ne semblent pas avoir évolué beaucoup dans la compréhension de leurs enjeux relationnels, tout comme la mise en place de balises pour éviter une répétition des difficultés qu’ils ont connues en mai 2015 et mai 2016. Nous avons compris qu’ils n’ont pas fait de thérapie de couple et madame N... n’a jamais fait de démarche personnelle pour adresser les abus dont elle a fait l’objet dans son passé. Monsieur G... a cherché du soutien, mais son discours nous est apparu exempt d’autocritique et d’introspection, alors qu’il a essentiellement minimisé les écarts de comportement et d’impulsivité qu’il a eus et qu’il a projeté la responsabilité des difficultés avec madame N... et sa famille sur la présence et l’attitude de monsieur D.... Madame N... a également minimisé la gravité des comportements de monsieur G... et elle a attribué le fait qu’elle a déposé une plainte à l’influence de monsieur D.... Nous sommes d’avis que madame N... se situe dans une position dépendante envers monsieur G.... Quand les démarches judiciaires seront terminées et qu’il y aura en conséquence moins de contrôle social, nous croyons que leur situation pourrait facilement se détériorer.

Quant au plan parental, nous croyons important d’éviter que les enfants soient instrumentalisés dans ce dossier et utilisés par monsieur D... comme un moyen pour évacuer des sentiments de rancune. Nous croyons que sa proposition que les enfants n’ont plus aucun contact avec monsieur G... est trop drastique et nous croyons qu’il n’y a pas assez d’éléments dans ce dossier qui militent pour une interdiction de contact ou qui démontrent que les enfants courent un danger immédiat dans leur intégrité physique. Nous sommes toutefois d’avis que les enfants ont le droit de se développer dans un environnement sécuritaire, sans crainte de conflit important et où les parents sont pleinement disponibles et mobilisés pour s’investir envers eux. Sans garanties supplémentaires de madame N... et de son conjoint qu’ils ont pris leur situation solidement en main et devant l’état actuel des choses, nous sommes d’avis que monsieur D... est le mieux placé afin d’exercer la garde des enfants. En même temps, nous sommes conscients qu’un changement de garde immédiat représente un certain déracinement pour les enfants et nous croyons que la fin de l’année scolaire actuelle pourrait représenter un moment opportun pour faire le changement. Nous croyons également important de maintenir un contact significatif entre madame N... et les enfants par la suite, afin de respecter l’attachement existant entre les filles et leur mère.

[64]        Je suis d’accord avec les conclusions de l’expert. Le juge ne les a pas suivies nonobstant sa constatation que :

[59]      Les préoccupations de Monsieur [l’appelant] sont légitimes et trouvent appui dans le rapport de l’expert qui s’inquiète du climat familial chez Madame [l’intimée].

[65]        Tel que mentionné ci-avant, le seul motif invoqué par le juge pour ne pas donner suite à l’opinion de l’expert est la stabilité des enfants dans leur milieu actuel avec leur mère, qui est la figure parentale principale. Je reconnais que la preuve indique que les enfants réussissent à l’école et semblent bien fonctionner en général. Par contre, l’absence d’une manifestation d’un problème de comportement des enfants n’est pas une justification pour les laisser dans un milieu où il y a des motifs sérieux de craindre pour leur stabilité et sécurité. De plus, le juge n’a pas, comme l’expert, rencontré ou entendu les enfants. Surtout, je considère erroné un raisonnement qui laisse perdurer une situation instable au nom de la stabilité. Le juge commet une erreur, en l’espèce, de faire une équivalence entre statu quo et stabilité.

[66]        Avec égards, la conclusion du juge évacue l’opinion de l’expert qui est basée sur des faits, substantiellement non contredits. Il s’agit d’une erreur manifeste. L’absence, dans le jugement, de toute mesure de protection des enfants, vu la preuve non contredite et retenue par le juge, constitue également une erreur manifeste. Je propose en conséquence d’intervenir et d’accorder la garde à l’appelant.

[67]        Pour minimiser le déracinement et suivant la suggestion de l’expert, cette modification de la garde devra prendre effet qu’à la fin du calendrier scolaire en cours. Je suis conscient que le changement de garde implique nécessairement un changement d’école, de garderie et possiblement des activités des enfants, mais vu leur jeune âge, j’estime que ceci n’est pas un facteur qui soit déstabilisant au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer leur protection dans un milieu à l’abri des colères excessives. Les enfants, selon la preuve et les observations de l’expert, sont capables de s’ajuster à la nouvelle situation.

[68]        Aussi, et conformément aux recommandations de l’expert, j’estime qu’il y a lieu d’accorder à l’intimée les droits d’accès suivants : deux fins de semaine sur trois, du vendredi soir ou après l’école jusqu’au lundi matin au début des classes.

[69]        En ce qui concerne sa recommandation voulant que les enfants soient une semaine en alternance avec chaque parent pendant l’été, je ne peux toutefois accepter une telle recommandation, vu mon opinion que la sécurité et la stabilité justifient de limiter le temps passé dans le milieu familial de l’intimée et son conjoint. Cela dit, les conclusions proposées donneront ouverture à ce que les parties puissent convenir d’accès additionnel, selon l’évolution de la situation.

[70]        L’expert conclut qu’une interdiction totale de contact avec M. G... serait trop drastique. J’en conviens, même si j’estime devoir formuler une mise en garde. En effet, en cas de récidive d’épisode de violence, l’appelant ne devrait pas hésiter à requérir l’ajout d’une telle condition.

[71]        Finalement, il y a lieu de suggérer, comme l’a déjà fait l’expert, que l’intimée suive une thérapie pour régler ou améliorer sa situation.

[72]        Vu le changement de garde que je propose, le paiement par l’intimée d’une pension alimentaire pour les enfants dès le changement de garde au 1er juillet 2018 doit être aussi ordonné. Le juge établit le revenu de l’appelant, pour 2017, à 68 000 $, plus 9 450 $ d’un revenu de location, et impose un revenu de 36 400 $ à l’intimée, au lieu des 14 000 $ déclarés. Le revenu imposé est basé sur la preuve de l’emploi offert par la compagnie A à raison de 14 à 28 heures par semaine au taux de 25 $ ou 35 $ l’heure. Le formulaire de calcul est annexé et résulte dans une pension alimentaire de 289,89 $ par mois payable par l’intimée.

[73]        Un changement d’école et de garderie des enfants sera nécessaire et il appartiendra à l’appelant de les choisir. En ce qui concerne les activités des enfants, elles seront choisies par chacun dans le respect des modalités de garde et d’accès prévus.

[74]        En conséquence, je suggère d’accueillir l’appel, mais sans frais vu la nature du litige.

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 


ANNEXE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 








[1]     Droit de la famille — 17922, 2017 QCCS 1740 [jugement entrepris].

[2]     J.D. c. I.N., C.S. St-François, no 450-12-027920-158, 19 novembre 2015, j. Ouellet.

[3]     Droit de la famille — 17115, 2017 QCCA 100, par. 9.

[4]     Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, 1996 CanLII 191, par. 13 [Gordon].

[5]     Van de Perre c. Edwards, [2001] 2 R.C.S. 1014, 2001 CSC 60, par. 13; Droit de la famille — 17115, 2017 QCCA 100, par. 8; Droit de la famille — 172569, 2017 QCCA 1674, par. 17.

[6]     Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), art. 17(5).

[7]     Gordon, supra, note 4, par. 49.

[8]     Droit de la famille — 162913, 2016 QCCA 1929, par. 53.

[9]     Droit de la famille — 15735, 2015 QCCA 628, par. 13.

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