6350 Sherbrooke O. inc. c. Nekurouyan

2025 QCTAL 17254

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

819609 31 20240905 F

No demande :

4459880

 

 

Date :

27 mai 2025

Devant la greffière spéciale :

Me Chantal Houde

 

6350 Sherbrooke 0. Inc.

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Babak Nekurouyan

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          La locatrice a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec.
  2.          Les parties sont liées par un bail du 1er novembre 2023 au 31 octobre 2024, à un loyer mensuel de 850,00 $.
  3.          La locatrice a produit une demande de fixation de loyer le 5 septembre 2024, tel qu’il appert sur le timbre apposé à la procédure, alors que le locataire a refusé l’augmentation de loyer le 25 juillet 2024.
  4.          L’article 1947 du Code civil du Québec prévoit que la locatrice a un mois suivant la réception de l’avis de refus pour déposer son recours au Tribunal administratif du logement.
  5.          Le dépôt de la demande est donc hors délai, puisque la date butoir était le 26 août 2024. À sa défense, le représentant de la locatrice allègue qu’il était très occupé à gérer plusieurs projets en même temps.

Le droit

  1.          Les dispositions légales pertinentes sont les articles 1942, 1945 et 1947 du Code civil du Québec, ainsi que l’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement [1]:

« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre. »


« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l’avis de modification du bail, d’aviser le locateur de son refus ou de l’aviser qu’il quitte le logement; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l’article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »

«1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s’adresser au Tribunal dans le mois de la réception de l’avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s’il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »

  1.          L’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, prévoit qu’une partie peut être relevée de son défaut de respecter un délai, si elle a des motifs raisonnables à faire valoir.

« 59. Le Tribunal peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l’autre partie n’en subit aucun préjudice grave. »

L’analyse et la décision

  1.          La locatrice doit soulever un motif raisonnable afin de justifier les retards dans la gestion de son dossier.
  2.          La jurisprudence ci-dessous se prononce sur le respect des délais relatifs aux avis de modifications du Code civil du Québec, soit les articles 1941, 1942, 1943 et 1947, qui sont d’ordre public
  3.      La juge administrative Jocelyne Gascon dans sa décision [2] conclut que bien que le refus du locataire ait été donné en retard que d’une seule journée, il dépasse le délai prévu par la loi :

[22]   L’article est clair, le jour qui marque le point de départ n’est pas compté, mais celui de l’échéance l’est. Ainsi, l’avis donné le 19 mars appelait une réponse dans le mois la réception de l’avis de modification du bail. La réponse donnée le 20 avril dépasse donc de toute évidence le délai prévu à la loi, bien que ce soit d’une journée.

[23]   Le Tribunal estime que le locataire ne peut être relevé de son défaut d’agir à l’intérieur du délai. Ce dernier n’a tout simplement pas fait diligence en ne remettant pas son avis de refus à l’intérieur du délai d’un mois de la réception de l’avis d’augmentation.

  1.      Dans une autre cause [3], l’avis de modification donné par le locateur deux jours plus tard a été déclaré irrecevable :

« [12]   Le locateur plaide essentiellement l’ignorance de la loi. Or, il a été confirmé à maintes reprises par la jurisprudence du Tribunal [4] qu’il ne pouvait s’agir d’un motif raisonnable pour relever une partie du défaut d’avoir respecté un délai prescrit.

[13]   En l’espèce, le Tribunal ne peut donc relever le locateur de ce défaut.

[14]   Les critères de l’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement étant cumulatifs, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question du préjudice grave pour le locataire au sens de cet article.

[15]   L’avis de modification du bail est inopposable au locataire et la demande de fixation de loyer est, conséquemment, irrecevable ». (Les références sont omises)

  1.      Enfin, dans l’affaire de 4103815 Canada inc. (3315 Maréchal) c. Nawel [4], le juge administratif rejette la demande de fixation de loyer introduite 3 jours plus tard.
  2.      Concernant les motifs pouvant être invoqués, la juge administrative Claudine Novello [5] énumère dans sa décision plusieurs justifications que le Tribunal ne peut pas retenir comme motifs raisonnables :

« À maintes reprises, la locataire a soulevé son erreur et manque de vigilance dans la gestion de son dossier. Toutefois, à sa défense, elle oppose son horaire chargé, son absence à l’extérieur du pays, les difficultés à lire et répondre dans la langue anglaise, l’ignorance de la loi et les mauvaises informations reçues de la Régie du logement, autant de motifs que le Tribunal ne peut retenir. »

  1.      Il incombe à la locatrice d’agir avec prudence et diligence de manière à se conformer à la loi et à protéger ses droits. Ainsi, le manque de vigilance dans la gestion des délais ne constitue pas un motif raisonnable permettant au Tribunal de relever la locatrice en défaut.
  2.      En conséquence, la demande de la locatrice périmée.
  3.      Soulignons que si le locataire avait lui-même exercé son droit de refus en contravention des délais légaux imposés, il aurait été lié par une augmentation qu’il aurait été réputé avoir accepté.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      CONSTATE la péremption de la demande de fixation du loyer.
  2.      REJETTE la demande de la locatrice qui en supporte les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Chantal Houde, greffière spéciale

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

le locataire

Dates des audiences: 

29 novembre 2024 et 3 mars 2025

 

 

 


 


[1] RLRQ, c. T-15.01.

[2] Rusu c. Mikati, 2022 QCTAL 5530 (CanLII).

[3] 9222-2330 Québec inc. (Domaine Joly-Mont) c. St-Hilaire, 2021 QCTAL 13084 (CanLII).

[4] 4103815 Canada inc. (3315 Maréchal) c. Nawel, 2021 QCTAL 14189 (CanLII).

[5] Manouchehr Memari c. RyshpanManouchehr, 2011 CanLII 127659 (QC RDL).

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