[1] L’appelant se pourvoit à l’encontre du verdict de culpabilité de meurtre au second degré prononcé à son égard le 11 novembre 2015 par un jury présidé par l’honorable Martin Bureau de la Cour supérieure, district de Bedford.
[2] Pour les motifs de la juge en chef Nicole Duval Hesler, auxquels souscrivent les juges Marie-Josée Hogue et Jocelyn F. Rancourt.
LA COUR :
[3] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;
[4] ACCUEILLE l’appel;
[5] ANNULE le verdict de culpabilité; et
[6] ORDONNE la tenue d’un nouveau procès.
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MOTIFS DE LA JUGE EN CHEF* |
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[7] L’appelant se pourvoit à l’encontre du verdict de culpabilité de meurtre au second degré prononcé à son égard le 11 novembre 2015 par un jury présidé par l’honorable Martin Bureau de la Cour supérieure, district de Bedford[1].
[8] L’appelant invoque trois erreurs de la part du juge de première instance. Premièrement, il aurait commis une erreur de droit en concluant que sa déclaration extrajudiciaire du 1er septembre 1987 était libre et volontaire[2]. Deuxièmement, il aurait erré en droit en concluant que l’arrêt Hart[3], visant les aveux issus d’une opération « Monsieur Big », ne constituait pas le cadre juridique approprié pour décider de l’admissibilité de sa déclaration extrajudiciaire du 15 mai 2009, soit quelque 22 ans plus tard. Troisièmement, le juge du procès aurait commis une erreur de droit au chapitre de ses directives au jury en omettant de donner une directive de type Mack[4].
[9] Pour les motifs qui suivent, je propose d’accueillir la requête pour permission d’appeler, d’accueillir l’appel et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
[10] Le 31 août 1987, Alain Bernard, oncle de l’appelant, est retrouvé mort dans sa résidence, assassiné par une balle.
[11] Le 1er septembre 1987, les enquêteurs de la Sûreté du Québec rencontrent l’appelant afin d’obtenir son emploi du temps le jour du meurtre. Ils obtiennent une déclaration.
[12] En novembre 1988, l’enquêteur chargé du dossier prend sa retraite. En raison du peu de preuve matérielle et de l’absence de preuve directe, aucune arrestation en lien avec le crime n’a lieu pendant plus de vingt ans.
[13] En 2009, une opération de type « Monsieur Big » ayant pour cible Alain Béliveau est mise en place. Au terme de cette opération, ce dernier confesse à Monsieur Big que la fille de la victime, Chantal Bernard, aujourd’hui Anthony Tristan Bernard, cousine de l’appelant, a organisé le meurtre pour toucher l’héritage et surtout, l’indemnité d’une assurance-vie d’un million de dollars.
[14] Alain Béliveau informe Monsieur Big que c’est l’appelant qui aurait tiré sur la victime pendant que lui-même, au courant de ce qui se tramait, montait la garde à l’extérieur du domicile de cette dernière. Les trois complices, Alain Béliveau, Anthony Tristan Bernard et l’appelant Patrice Bernard, se seraient par la suite entendus sur un alibi.
[15] Le 12 mai 2009, Alain Béliveau rencontre à nouveau Monsieur Big. Ce dernier lui annonce qu’une personne de l’entourage d’Anthony Tristan Bernard, l’héritier de la victime, parle et qu’il doit aller rencontrer ce dernier pour obtenir sa version des faits sur le meurtre de son père. Alain Béliveau et l’agent infiltré, dénommé Vince, tenteront en vain de faire parler Anthony Tristan Bernard et se tourneront alors vers l’appelant, qui habite maintenant à Kuujjuaq.
[16] Le 15 mai 2009, Alain Béliveau, Vince et un troisième agent d’infiltration se rendent à Kuujjuaq en avion. Alain Béliveau et Vince interceptent l’appelant au sortir de son lieu de travail. Ils ont alors une conversation d’une durée d’un peu plus d’une heure dans le véhicule de l’appelant. Vince est à l’arrière du véhicule, l’appelant, sur le siège conducteur, et Alain Béliveau, sur le siège passager. Au cours de l’échange, qui a été enregistré et transcrit, l’appelant s’implique dans la commission du meurtre.
[17] Alain Béliveau, Anthony Tristan Bernard et l’appelant ont subi des procès séparés[5]. La Cour, en 2016, a ordonné un nouveau procès dans le cas d’Alain Béliveau[6]. Elle entendra prochainement l’appel d’Anthony Tristan Bernard.
[18] Le 19 octobre 2015, débute le procès de l’appelant pour meurtre au premier degré. Un premier voir-dire a lieu à cette date au sujet de la déclaration extrajudiciaire de l’appelant en date du 15 mai 2009. L’appelant s’oppose à l’introduction en preuve de cette déclaration au motif qu’elle est présumée inadmissible et qu’il appartenait au ministère public de démontrer que la valeur probante l’emportait sur son effet préjudiciable, conformément à l’arrêt Hart de la Cour suprême. Or, le juge de première instance tranche que le régime de Hart ne s’applique pas à la déclaration de 2009.
[19] L’appelant présente le même jour une requête en arrêt des procédures, qui sera rejetée par le juge.
[20] Se tient ensuite un second voir-dire sur l’admissibilité de la déclaration de l’appelant du 1er septembre 1987. Au terme de celui-ci, la déclaration est jugée admissible. Elle ne sera pas déposée, mais sera utilisée lors du contre-interrogatoire de l’appelant.
[21] À l’issue du procès, le jury trouve l’appelant coupable de meurtre au deuxième degré.
[22] L’essentiel des motifs du juge de première instance se trouve aux paragraphes suivants[7] :
[13] La seule preuve offerte quant aux circonstances de cette déclaration résulte dans le témoignage de l’enquêteur qui l’a obtenu et dans l’admission que son collègue n’a aucun souvenir des circonstances ni même de la déclaration sauf qu’il reconnaîtrait sa signature à quelques endroits sur celle-ci.
[14] Aucune preuve n’a été faite par la défense quant aux circonstances de cette déclaration.
[15] Il résulte de la preuve que l’accusé a été rencontré à titre de témoin et non de suspect le 1er septembre 1987. Rien ne démontre dans la preuve qu’il était détenu ou qu’il a été l’objet de menaces ou de contraintes pour donner sa version de certains faits comme témoin.
[16] Il n’y a rien dans cette déclaration qui puisse être considéré comme un aveu ou comme pouvant porter préjudice à l’accusé. Rien dans la preuve sur le voir-dire ne laisse voir quelque subterfuge utilisé par l’enquêteur. Celui-ci dévoile son rôle, utilise de la documentation policière, rencontre la personne à titre de témoin et non de suspect.
[17] Bien que la preuve des circonstances soit peu élaborée, elle ne démontre aucunement des circonstances pouvant créer un doute raisonnable quant au fait que la déclaration n’aurait pas été donnée de façon libre et volontaire par un témoin non suspect à ce moment.
[18] L’absence de mise en garde n’est pas, dans ce cas-ci, un élément important d’autant qu’elle pourrait confirmer qu’à l’époque l’accusé n’était aucunement suspect, mais seulement un témoin de certains faits.
[23] Le juge du procès a conclu que les considérations qui ont justifié la création par la Cour suprême d’une nouvelle règle d’admissibilité pour les aveux résultant d’une opération « Monsieur Big » ne se retrouvent pas dans les circonstances entourant l’obtention des déclarations de l’appelant[8] :
[24] Peut-on considérer que Patrice Bernard aurait été tenté de donner de faux aveux en raison d’une sécurité financière qui lui aurait été offerte, d’une acceptation sociale découlant de son admission au sein de l’organisation ou de liens d’amitié noués avec des membres de cette organisation?
[25] La réponse est non.
[26] Peut-on considérer qu’il ait pu faire de tels faux aveux en croyant que ceux-ci lui amèneraient des avantages autres que ceux découlant du fait que quelqu’un d’autre pourrait assumer la responsabilité du crime?
[27] Encore ici la réponse est non.
[28] De plus, peut-on considérer que Patrice Bernard pouvait craindre pour sa sécurité ou celle de ses proches ou amis s’il ne faisait pas de faux aveux?
[29] La réponse est encore non.
[30] Enfin, peut-on considérer que la preuve qui serait faite de la participation de Patrice Bernard au scénario 47 créé par les policiers pour obtenir ses aveux, risque, compte tenu de la nature de ce scénario, de ternir sa réputation comme cela risque fort de se produire dans le cadre de la preuve de participation d’une cible visée par l’ensemble des opérations ou des scénarios Monsieur Big?
[31] La réponse est de nouveau non.
[24] Les directives finales au jury sur l’appréciation de la fiabilité des déclarations extrajudiciaires de l’appelant sont ainsi rédigées[9] :
Je vais maintenant vous donner certaines instructions par rapport à des déclarations extra judiciaires qui ont été faites ou qu’on a rapporté [sic] avoir été faites. Lorsqu’un témoin rapporte une conversation qu’il aurait eue avec l’accusé ou qu’il rapporte des choses qu’il aurait entendu Patrice Bernard dire, vous devez d’abord déterminer si ces choses ont réellement été dites ou non en tout ou en partie. Qu’importe qui est le témoin rapportant les paroles en question, c’est à vous de déterminer si ces choses ont été dites ou non par Patrice Bernard. Pour ce faire, faites preuve de logique. Tenez compte de l’état dans lequel se trouvait Patrice Bernard et le témoin au moment où ils ont eu cette conversation. Tenez compte aussi des circonstances entourant cette conversation. Gardez à l’esprit tout élément de preuve qui pourrait rendre ce témoignage plus digne de foi ou, au contraire, moins digne de foi. Vous devrez d’abord déterminer si les propos ou déclarations rapportées par le témoin ont réellement été tenues avant de considérer cet élément de preuve lors de vos délibérations. Certains ou même tous les propos qui vous ont été rapportés lors de ces discussions pourraient aider Patrice Bernard dans sa défense. Vous devrez tenir compte de ces propos à la lumière du contexte que forme la preuve dans son ensemble à moins que vous n’arriviez à la conclusion que ces propos n’ont pas réellement été tenus. Si vous êtes incertains à savoir si ces propos ont été tenus ou non, vous devrez quand même en tenir compte dans la mesure où ces propos peuvent aider Patrice Bernard dans sa défense. Si vous arrivez à la conclusion que Patrice Bernard a tenu ces propos qui peuvent l’aider dans sa défense ou si vous êtes incertains à savoir si ces propos ont été tenus ou non, mais n’arrivez pas à conclure du contraire, vous devrez en tenir compte à la lumière du contexte que forme la preuve dans son ensemble afin de déterminer si vous avez un doute raisonnable ou non quant à la culpabilité de Patrice Bernard. Vous serez libres de déterminer lors de vos délibérations le poids qu’il faudra donner aux propos que vous jugerez avoir été tenus par Patrice Bernard. Mais, vos conclusions à savoir ce que Patrice Bernard a dit ou non ne forment qu’un élément de preuve parmi les autres. Vous devrez traiter cet élément de preuve comme tous les autres et le considérer à la lumière du contexte que forme la preuve dans son ensemble. Je vous souligne que cette directive, quant aux déclarations du préjudiciable, pourrait s’appliquer de façon plus spécifique à trois (3) éléments de preuve qui vous ont été présentés. Soit, premièrement, la déclaration faite aux policiers par Patrice Bernard le premier (1er) septembre mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987). Cette déclaration n’a pas été produite mais on y a fait référence lors du contre-interrogatoire de Patrice Bernard. Cette directive peut également s’appliquer à la déclaration qu’aurait faite Patrice Bernard à monsieur Roger Clemens et certaines autres personnes à Kuujjuaq dans les années mil neuf cent quatre-vingt-dix (1990). Enfin, cette directive peut ou doit s’appliquer à la déclaration qui apparaît ou qui est rapportée par la preuve audio de la rencontre qui a eu lieu à Kuujjuaq le quinze (15) mai deux mille neuf (2009). Vous aurez à examiner ces trois (3) déclarations attentivement en raison des explications fournies quant à ces trois (3) déclarations d’autant que Patrice Bernard, bien qu’il reconnaisse l’existence de deux (2) des trois (3) déclarations, c’est-à-dire celle faite aux policiers en mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987) et celle faite en deux mille neuf (2009) à Kuujjuaq, affirme toutefois que plusieurs des éléments de ces deux (2) déclarations sont inventées par lui, sont fausses, et ce en raison des circonstances dont il vous a expliquées et qui sont relatives à sa peur ou à ses craintes. Pour celle des années mil neuf cent quatre-vingt-dix(1990) qui aurait été faite à Roger Clemens en présence de d’autres personnes, Patrice Bernard nie avoir dit ce que monsieur Clemens rapporte et fournit une explication que vous aurez à évaluer. Je vais vous donner un petit peu plus loin des directives supplémentaires quant au fait que Patrice Bernard invoque la crainte, la violence ou des menaces de violence pour expliquer certaines des déclarations qu’il a faites ou qu’il aurait faites. Dans le procès, des témoins vous ont rapporté certaines choses dites par Patrice Bernard. La preuve donne aussi les circonstances dans lesquelles ces choses ont été dites. Ces circonstances demandent que je vous donne une directive précise au sujet de l’usage que vous devrez faire de ces propos lors de vos délibérations. Certains éléments de preuve pourraient vous amener à conclure que ces déclarations ont été soutirées à Patrice Bernard par la violence ou la menace de violence. Toute déclaration soutirée par la violence ou par la menace de violence pourrait ne pas être l’expression réelle d’une volonté de passer aux aveux. Ces déclarations pourraient n’être que le fruit de la violence subie par Patrice Bernard ou le fruit de menaces ou autres traitements similaires. De telles déclarations, si elles sont soutirées par la violence, la menace ou autres traitements similaires, pourraient très bien ne pas être fiables ou carrément fausses. Afin de déterminer dans quelle mesure ces déclarations sont l’expression réelle d’aveux et afin de déterminer le poids que vous leur accorderez, vous devrez tenir compte des circonstances dans lesquelles ces choses ont été dites. Si vous arrivez à la conclusion que ces déclarations ou une partie de celles-ci ont été obtenues par la violence ou la menace de violence, vous devrez alors ne leur accorder aucun poids, ou sinon très peu lors de vos délibérations. C’est à vous d’en décider. Je vais vous donner certaines instructions par rapport à des déclarations qui sont ou qui pourraient apparaître contradictoires. Comme tout témoin, un accusé peut être contre-interrogé sur ce qu’il a pu dire à d’autres personnes incluant les policiers au sujet des choses à propos desquelles il a témoigné devant vous. Le fait qu’un accusé ait parlé différemment de certaines choses avant de témoigner devant vous est un élément parmi plusieurs autres que vous devrez considérer afin de déterminer dans quelle mesure son témoignage est digne de foi et le poids que vous accorderez à ce témoignage lors de vos délibérations. Il vous appartiendra de déterminer s’il existe effectivement des variations entre les déclarations faites par Patrice Bernard sur certains sujets avant son procès et son témoignage devant vous sur ces mêmes sujets. Si vous arrivez à la conclusion que les deux (2) versions diffèrent entre elles, il vous appartiendra alors de déterminer dans quelle mesure ces variations diminuent ou non la mesure dans laquelle le témoignage de Patrice Bernard est digne de foi ou le poids que vous accorderez à ce témoignage lors de vos délibérations. Prenez en considération la nature et l’étendue des variantes ainsi que toute explication offerte par Patrice Bernard pour les expliquer. Prenez aussi en considération les choses sur lesquelles les deux (2) versions diffèrent. S’agit-il de questions importantes ou de détails mineurs? Faites l’usage de logique et de bon sens. Par contre, vous pourrez tenir compte des déclarations antérieures de Patrice Bernard afin de déterminer ce qui s’est réellement produit dans cette affaire et ce, même si Patrice Bernard n’a pas reconnu ses déclarations antérieures comme étant véridiques lors de son témoignage. Cette règle s’applique seulement au témoignage de l’accusé et non aux autres témoins. Il vous appartiendra de déterminer dans quelle mesure les déclarations antérieures de Patrice Bernard sont dignes de foi et le poids que vous leur accorderez afin d’établir ce qui s’est réellement produit lors des événements qui ont mené aux accusations. Je pense plus spécifiquement au témoignage différent fait par Patrice Bernard quant à la soirée et la nuit du trente (30) août mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987), témoignage tenu par Patrice Bernard lors du procès et celui qu’il a donné aux policiers le premier (1er) septembre mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987) et les déclarations qu’il a faites le quinze (15) mai deux mille neuf (2009) à Kuujjuaq. Patrice Bernard reconnaît avoir tenu ces propos ou fait ces déclarations en mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987) et en deux mille neuf (2009), mais nie que ce qu’il a alors dit soit vrai. Il donne ses explications. Vous aurez à les évaluer et à apprécier les déclarations en fonction des règles que je viens de vous donner et leur donner le poids que vous déciderez en fonction de toutes les règles que je vous ai données. |
[25] Le juge du procès donne également une directive relativement à l’évaluation de la preuve de comportement postdélictuel, ce qui inclut les déclarations extrajudiciaires de l’appelant[10]:
[…] Vous avez entendu une preuve qu’après la commission des infractions alléguées Patrice Bernard aurait, selon ses propres dires, fait des déclarations fausses ou inexactes aux policiers le premier (1er) septembre mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987), et il aurait fait des déclarations fausses à Vince et Alain Béliveau le quinze (15) mai mil neuf cent quatre-vingt-neuf (1989). Vous devez vous demander si les choses ont été dites ou faites parce que Patrice Bernard avait commis l’infraction alléguée plutôt dans un autre but, c’est-à-dire pour protéger sa cousine ou Alain Béliveau ou se protéger lui-même vu ses dires quant aux menaces dont il aurait été l’objet. Vous devrez faire attention de ne pas sauter immédiatement à la conclusion qu’il a dit ou fait ces choses parce qu’il était conscient d’avoir commis l’infraction alléguée. Afin de déterminer les raisons pour lesquelles Patrice Bernard a dit ou fait après que l’infraction ait été commise, vous devez considérer toute la preuve dans son ensemble, et particulièrement les éléments de preuve qui offrent une autre explication pour sa conduite et ses propos, c’est-à-dire son absence de souvenirs, sa volonté de se protéger face à Alain Béliveau, sa volonté de se protéger face à son père, face à Vince. |
[26] Enfin, le premier juge rappelle au jury qu’il doit examiner les déclarations extrajudiciaires de l’appelant en fonction de l’ensemble de la preuve[11] :
Alors, c’est la pièce P-19-A au niveau de l’enregistrement et c’est le témoignage de monsieur Vince. Alors, cette preuve contient des reconnaissances de faits, des admissions, des paroles prononcées par différentes personnes. Après avoir déterminé les déclarations qui sont faites par Patrice Bernard vous devrez évaluer si ces paroles, ces admissions analysées en fonction de toute la preuve qui vous a été présentée de part et d’autre et particulièrement en examinant les circonstances de cette rencontre démontrent hors de tout doute que Patrice Bernard est celui qui a causé la mort de monsieur Alain Bernard. Écoutez attentivement l’enregistrement de cette rencontre. Analysez les témoignage [sic] de l’agent d’infiltration Vince et de Patrice Bernard quant aux gestes et circonstances de cette rencontre. En fonction des règles que je vous ai données et que vous devez suivre, vous aurez donc à décider si en regard de toute la preuve vous concluez que la Poursuite vous a démontré hors de tout doute que c’est Patrice Bernard qui a provoqué la mort de son oncle, Alain Bernard, le trente (30) août quatre-vingt-sept (87). Bien que selon la Poursuite certains éléments de preuve soumis par elle tel le témoignage de Roger Clemens et l’enregistrement de la rencontre du quinze (15) mai deux mille neuf (2009) font état d’aveux de Patrice Bernard, n’oubliez pas d’examiner le témoignage de celui-ci quant à ses aveux et aux circonstances entourant ces déclarations faites en mil neuf cent quatre-vingt-sept (1987) et en deux mille neuf (2009). |
[27] En appel, l’appelant formule les questions suivantes :
Le juge de première instance a-t-il erré en droit alors qu’il conclut que la déclaration
extrajudiciaire faite par l’appelant le 1er septembre 1987 était libre et volontaire?
Le juge de première instance a-t-il erré alors qu’il conclut à l’inapplicabilité du cadre
juridique relatif aux règles d’admissibilité établies par la Cour suprême du Canada
en matière d’aveu extrajudiciaire lors d’une opération de type « Monsieur Big »?
Le juge de première instance a-t-il erré en droit dans ses directives sur l’appréciation de la fiabilité des déclarations extrajudiciaires de l’appelant?
[28] Il convient de mentionner que ce troisième moyen d’appel ne figurait pas dans l’avis d’appel. C’est en vertu de l’article 69.4 des anciennes règles de cette Cour en matière criminelle que l’appelant invoque ce nouveau moyen de droit.
Le juge de première instance a-t-il erré en droit en concluant que la déclaration extrajudiciaire faite par l’appelant le 1er septembre 1987 était libre et volontaire?
[29] En vertu de la règle des confessions, issue de la common law, la déclaration extrajudiciaire de l’accusé à une personne en autorité, qu’elle soit incriminante ou disculpatoire[12], est en principe inadmissible lors de son procès, à moins que la poursuite ne démontre, par une preuve hors de tout doute raisonnable, qu’elle a été faite volontairement[13]. Cette règle trouve application lors même que le déclarant n’est ni arrêté ni détenu[14]. L’analyse du caractère libre et volontaire de la déclaration est contextuelle[15]. Il appartient au tribunal de s’efforcer de bien comprendre les circonstances de la confession et de se demander si elles soulèvent un doute raisonnable quant à son caractère volontaire[16]. L’existence ou l’absence d’une mise en garde est un facteur important, sans être nécessairement déterminant, pour trancher cette question[17].
[30] Si le ou la juge du procès examine toutes les circonstances pertinentes et applique correctement le droit, il y a alors lieu de faire preuve de déférence à l’égard de sa décision concernant le caractère libre et volontaire de la déclaration en litige puisqu’il s’agira dès lors d’une question de fait, ou mixte de fait et de droit[18]. Dans cette situation, seule la démonstration d’une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve justifiera l’intervention en appel[19]. Un désaccord avec le ou la juge de première instance relativement au poids qu’il convient d’accorder à divers éléments de preuve ne constitue pas un motif justifiant d’infirmer sa conclusion à l’égard du caractère volontaire d’une confession[20].
[31] L’appelant soutient essentiellement que le juge d’instance a erré en droit dans son application du fardeau de la preuve dans le cadre du voir-dire. Plus précisément, il « soumet que le raisonnement mis de l’avant par le juge d’instance équivaut à dire : puisque les témoins n’ont aucun souvenir des circonstances de la déclaration faite le 1er septembre 1987, l’intimée a rencontré son fardeau de preuve car il y a absence de preuve du caractère involontaire de ladite déclaration. »[21]. Effectivement, la preuve administrée, c’est-à-dire le témoignage de l’ex-enquêteur concerné, est des plus minces, notamment en ce que ce dernier n’a pris, à l’époque, aucune note de la rencontre. Ainsi, il n’est pas en mesure de fournir au tribunal des informations élémentaires telles que le lieu de l’échange et la durée de celui-ci. Son unique certitude est qu’il a rencontré l’appelant à titre de témoin et ne lui a pas donné son droit à l’avocat pour cette raison.
[32] Au stade de l’argumentation, l’intimée a soutenu devant le juge du procès qu’ « [i]l aurait suffi que monsieur Bernard prenne la boîte puis vienne vous dire écoutez, moi quand j’ai fait la déclaration, j’étais - - on est sur voir-dire, là, il y a quand même un minimum. »[22]. Visiblement, la poursuite se méprend sur le fardeau qui est le sien. Il est bien entendu qu’une confession ne sera pas jugée inadmissible si elle a été faite dans des circonstances qui ne soulèvent pas de doute raisonnable quant à son caractère volontaire, mais encore faut-il que la poursuite présente une quelconque preuve de ces circonstances. De la même façon, la décision du premier juge mérite déférence dans la mesure où celui-ci a examiné toutes les circonstances pertinentes et appliqué correctement le droit[23].
[33] En l’espèce, le juge de première instance a retenu que « [r]ien ne démontre dans la preuve qu’il était détenu ou qu’il a été l’objet de menaces ou de contraintes pour donner sa version de certains faits comme témoin » et que « [r]ien dans la preuve sur le voir-dire ne laisse voir quelque subterfuge utilisé par l’enquêteur. » Le juge n’a pas eu tort puisque la preuve offerte par l’intimée ne révèle que très peu des circonstances entourant l’obtention de la déclaration. L’intimée elle-même concède que « [l]’agent Houle se remémore bien certains aspects de la déclaration, quoique ses souvenirs soient limités. »[24].
[34] Par ailleurs, il faut bien admettre que le raisonnement du juge réduit la règle des confessions à une analyse négative, c’est-à-dire qui consiste uniquement à déterminer l’absence ou la présence de menaces ou de promesses explicites[25]. La preuve doit plutôt permettre une réelle analyse contextuelle[26]. Déjà au début du siècle dernier, la Cour suprême énonçait, dans Sankey v. The King, qu’un minimum de preuve de l’ensemble des circonstances de la prise de la déclaration doit être présenté[27] :
We feel, however, that we should not part from this case without expressing our view that the proof of the voluntary character of the accused’s statement to the police, which was put in evidence against him, is most unsatisfactory. That statement, put in writing by the police officer, was obtained only upon a fourth questioning to which the accused was subjected on the day following his arrest. Three previous attempts to lead him to "talk" had apparently proved abortive—why, we are left to surmise. The accused, a young Indian, could neither read nor write. No particulars are vouchsafed as to what transpired at any of the three previous "interviews"; and but meagre details are given of the process by which the written statement ultimately signed by the appellant was obtained. We think that the police officer who obtained that statement should have fully disclosed all that took place on each of the occasions when he "interviewed" the prisoner; and, if another policeman was present, as the defendant swore at the trial, his evidence should have been adduced before the statement was received in evidence. With all the facts before him, the learned judge should form his own opinion that the tendered statement was indeed free and voluntary as the basis for its admission, rather than accept the mere opinion of the police officer, who had obtained it, that it was made " voluntarily and freely."
It should always be borne in mind that while, on the one hand, questioning of the accused by the police, if properly conducted and after warning duly given, will not per se render his statement inadmissible, on the other hand, the burden of establishing to the satisfaction of the court that anything in the nature of a confession or statement procured from the accused while under arrest was voluntary always rests with the Crown. The King v. Bellos ([1927] S.C.R. 258); Prosko v. The King ((1922) 63 Can. S.C.R. 226). That burden can rarely, if ever, be discharged merely by proof that the giving of the statement was preceded by the customary warning and an expression of opinion on oath by the police officer, who obtained it, that it was made freely and voluntarily.
[Soulignements ajoutés]
[35] Vu ce qui précède, il m’apparaît que le juge de première instance a erré en droit en admettant la déclaration extrajudiciaire faite par l’appelant le 1er septembre 1987.
[36] L’intimée, étant d’opinion que ce premier moyen devait échouer, n’a nullement invoqué la disposition réparatrice. Sa preuve reposant en très grande partie sur les déclarations extrajudiciaires de l’appelant, il convient de souligner que le juge a permis que sa déclaration du 1er septembre 1987 soit utilisée contre lui lors de son contre-interrogatoire sans que celle-ci ait été produite[28], ce qui militerait en faveur d’un nouveau procès. J’estime nécessaire, néanmoins, de traiter des autres moyens d’appel.
[37] L’objectif d’une opération policière de type « Monsieur Big » est d’obtenir des aveux d’une personne pour un crime grave dont la perpétration remonte à plusieurs années et qui est demeuré jusqu’alors non résolu[29]. La technique consiste à tendre un piège au suspect en l’amenant à se joindre à une organisation criminelle factice[30]. Pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, en général, mais dans le cas présent, pendant une seule entrevue, on lui fait valoir les avantages de collaborer avec l’organisation.[31] L’admission du suspect au sein de l’organisation relève toutefois du bon vouloir de Monsieur Big, qui tentera ultimement de lui faire comprendre que c’est en avouant le crime qu’il gagnera sa place dans leurs rangs[32].
[38] La Cour suprême s’est penchée sur la protection juridique accordée aux aveux obtenus à la suite d’une opération « Monsieur Big » à l’occasion de l’arrêt Hart. C’est ainsi qu’ils sont désormais encadrés par une règle d’admissibilité spécifique : l’aveu sera en principe inadmissible à moins que, dans le cadre d’un voir-dire, la poursuite ne démontre par prépondérance de preuve que sa valeur probante, qui tient à sa fiabilité, l’emporte sur son effet préjudiciable, qui réside dans la preuve de mauvaise moralité nécessairement révélée par la mise en contexte de l’aveu[33]. En effet, dans le cadre de ces opérations, le suspect subit bien souvent de fortes pressions et fait parfois l’objet de menaces voilées de la part du gang ou de Monsieur Big, qui lui font du même coup miroiter différentes formes de gratifications, ce qui pose en somme des risques reconnus du point de vue de la fiabilité de l’aveu[34]. Or, il faut reconnaître qu’un jury accorde normalement beaucoup d’importance aux aveux de l’accusé puisqu’il est inhabituel d’avouer des crimes que l’on n’a pas commis[35].
[39] À la lumière de ce qui précède, l’appelant soumet ce qui suit[36] :
[64] De ce qui précède, l’appelant soumet que l’État, de par cette opération « Monsieur Big », a mis à mal l’autonomie de l’appelant en lui faisant comprendre que s’il ne passait pas aux aveux, l’organisation fictive ne pouvait pas l’aider et qu’il ne pourrait pas bénéficier du scénario du sidéen qui va se déclarer l’auteur du meurtre. Il s’agissait d’incitations majeures, voire irrésistibles, d’une assurance d’être à l’abri de la police que le juge d’instance n’a pas considérées dans sa décision. Il s’agit d’une erreur révisable par cette Cour. En ce sens, l’appelant a été piégé par une organisation criminelle fictive. L’État n’avait nul besoin de tisser des liens de longues durées avec l’appelant considérant son partenariat avec Alain Béliveau, ami et soi-disant complice dans le crime allégué il y a plus de trente (30) ans. La présence et la participation de ce dernier à ce scénario sont révélatrices à cet égard.
[65] Même si l’appelant n’a pas été amené à se joindre directement aux rouages d’une organisation criminelle fictive comme dans l’arrêt Hart, précité, il n’en demeure pas moins que l’État, via une organisation criminelle fictive, a non seulement approché l’appelant afin de lui offrir une protection et de le mettre à l’abri de la police et d’une accusation de meurtre, mais l’a surtout pressé de passer aux aveux moyennant la gratitude ultime : ne pas être accusé de meurtre. Pour y arriver, l’organisation criminelle fictive a attaqué psychologiquement l’appelant d’une façon subtile, ce qui s’apparente à une forme de violence. Ce sont là les principes qui sous-tendent la règle et qui justifient l’application du nouveau cadre juridique développé dans l’arrêt Hart.
[Soulignements ajoutés, renvois omis]
[40] En l’espèce, l’appelant n’a pas été la cible d’une opération « Monsieur Big » dans sa forme classique. Dans l’arrêt Hart, le juge Moldaver, pour la majorité de la Cour suprême, précise en note de bas de page la portée de la nouvelle règle créée[37] :
[5] Cette règle vise l’opération Monsieur Big dans sa forme actuelle. La modification de la manière dont la police recourt à une opération clandestine pour obtenir un aveu pourrait écarter l’application de la règle. Or, il n’appartient pas à la Cour de prévoir d’éventuels changements dans les pratiques policières. Ce serait pure conjecture. L’avenir nous dira si les principes qui sous-tendent la règle justifient également son application dans d’autres contextes.
[Soulignements ajoutés]
[41] Le juge de première instance a donc eu raison de se demander si l’opération d’infiltration était en l’occurrence susceptible de poser les trois risques identifiés dans l’arrêt Hart, c’est-à-dire un aveu non digne de foi, l’introduction d’une preuve de mauvaise moralité et un abus policier[38]. Cependant, je crois qu’il s’est mépris en concluant qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la nouvelle règle.
[42] Le risque d’un aveu non digne de foi. L’intimée avance que contrairement aux gratifications associées à l’appartenance à une organisation criminelle pouvant motiver un suspect à mentir pour se joindre à l’organisation, l’incitation avait plutôt en l’espèce pour effet de pousser l’appelant à dire la vérité et à fournir des informations fiables pour que la stratégie (dite « truth verification strategy »[39]) fonctionne[40]. À l’appui de sa position, elle cite l’arrêt R. v. Yakimchuk[41] de la Cour d’appel de l’Alberta :
[63] The manner in which the interrogation is framed can affect the
analysis. In a typical Mr Big operation, the target must confess to the boss or
risk losing his position in the organization and its benefits: Hart at
para 32; Perreault at para 15; Laflamme at
para 86. However, in some operations, there is an event that triggers a
discussion about the crime under investigation, and Mr Big offers to help the
problem disappear. Courts have recognized a difference between a “truth
verification strategy” (we can help cover this up if we know what happened)
and a strategy which might induce false bragging (are you tough enough for our
organization?): R v Campeau,
[Soulignements ajoutés]
[43] À noter que la Cour, dans cet extrait, discute de la valeur probante des déclarations de l’accusé dans le cadre de l’application de l’arrêt Hart alors qu’elle étudie la décision sur voir-dire du juge d’instance. Sans me prononcer sur l’opportunité d’importer dans notre jurisprudence cette distinction entre les deux types d’incitation, je suis d’avis que le raisonnement n’est pas applicable en l’espèce vu les caractéristiques propres du scénario. Il me semble que l’appelant, qui était coincé pendant plus d’une heure dans sa voiture avec deux membres d’une organisation criminelle dont il ignorait le caractère fictif, pouvait raisonnablement croire que ce n’est pas sa version que l’on cherchait à obtenir, mais bien une corroboration de celle déjà obtenue d’Alain Béliveau, cible du « Monsieur Big » classique.
[44] La transcription de la rencontre du 15 mai 2009 fait en effet état d’un entretien à la direction équivoque. Dès le début de l’échange, Alain Béliveau insiste à plusieurs reprises pour savoir si l’appelant « a parlé de quelque chose à quéqu’un » parce que « [y]a quéque chose qui est sorti… ». Ce dernier nie fermement et lui répond : « J’sais pas quoi te dire, j’peux pas t’aider. » C’est alors que l’agent infiltré s’impose dans la conversation et dit : « J’ma t’expliqué pour qu’tu comprennes là » et « J’va t’expliquer pour que tu comprennes comme faut… ». Il explique alors : « Non, non, non, on est comme une espèce d’équipe, Axel [Alain Béliveau] travaille pour moi..o.k… pis là Axel est dans marde à cause qui en a un de vous autres qui s’est ouvert la trappe.. faque y’a été dans marde, y’a eu d’la chaleur, y’a eu des cochons qui sont venus l’voir ». Il poursuit : « À cause de ça. Pis là à un moment donné, y’a pas eu l’choix, y m’en a parlé, pis moi je l’aide. ». Alain Béliveau ajoutera par après : « Ah c’est pas grave … De source sûre, on sait que … toi t’as parlé … (inc.) .. mais c’est à qui t’as parlé .. (inc.). ».
[45] Il est vrai que lorsque l’agent d’infiltration quitte la voiture, Alain Béliveau dit à l’appelant : « Non, non, c’est correct, c’est correct, c’est correct, c’est correct, y’est là pour aider .. nous aider … pas jusse moi … si y spasse de quoi, y’est venu nous aider. » Or lorsque l’agent d’infiltration revient, ce dernier répète: « Non, mais cé parce que j’veux être sûr là .. t’sais .. y’a quéqun .. moi j’te l’dis là .. on est plogué là … y’a quequ’un qui a jasé … moi mon but, r’garde, ostie, j’ai pas l’choix de finir par faire des trous (phon) parce que ostie, moi faut qu’j’aide Axel ». Enfin, Vince fait écouter à l’appelant un enregistrement audio pour prouver à l’appelant qu’ils sont « plogué[s] » et précise au passage: « En passant là .. on jase de même là .. ça a couté à peu près cinq mille (5000) à mon boss .. o.k. … avoir ça, non ça. ». Peu après l’écoute du CD, il lui expose le plan qui consiste à donner tous les détails de la commission du crime à un « sidéen » en phase terminale qui, lui, portera le blâme, ce à quoi l’appelant réagit en disant : « En tout ca, moi chu chu ..(inc.) chu nerveux, nerveux ». Il affirme alors que c’est Anthony Tristan Bernard (dit Tony et autrefois Chantal Bernard) qui a ramassé la douille. À nouveau, Alain Béliveau tient des propos équivoques : « Je l’sais, mais garde chu icitte pour NOUS aider », suivi de « Parce là yé en train de me crisser dans la marde .. pis là chech, on, on cherche le moyen pour me sortir de la marde », puis « C’est pas moé, j’ai pas dit un crisse de mot. Là on est icitte pour savoir si t’as dit de quoi. » Enfin, l’appelant s’implique dans le crime en disant que c’est lui qui a ramassé la douille. Il se désigne par après, en termes voilés, comme étant le tireur.
[46] En bref, le scénario opère à partir de la présence et des aveux d’Alain Béliveau, aveux obtenus au terme d’une opération qui est véritablement de type « Monsieur Big »[42], malgré qu’elle suive un scénario dérivé dans lequel l’État profite de la relation entre les deux hommes et fait peser sur l’appelant le plein poids d’une organisation criminelle de son cru. Dans ce contexte, je ne peux souscrire à la position de l’intimée, selon laquelle il s’agissait d’une simple stratégie de « truth verification », qui aurait moins d’incidence négative sur la fiabilité de l’aveu.
[47] L’effet préjudiciable de l’aveu. Cet effet est subtil en l’instance. L’intimée soumet que la mise en preuve de cette déclaration extrajudiciaire de l’appelant ne se serait pas accompagnée d’une preuve de mauvaise moralité préjudiciable à son endroit[43]. D’ailleurs, l’appelant ne fait pas mention de ce point dans son mémoire. C’est qu’en règle générale, l’impression de mauvaise moralité provient plutôt du fait que la cible est prête à commettre des crimes pour parvenir à son but d’appartenir au crime organisé. Ici, cet élément provenait plutôt du fait que la cible était prête à faire porter le blâme par autrui.
[48]
Le risque d’abus policier. Comme le scénario en l’espèce est
dérivé de l’opération principale de type « Monsieur Big », je suis
d’avis que le risque d’inconduite policière doit s’apprécier à la lumière de
l’ensemble des scénarios. L’intimée a raison de dire qu’une écoute de
l’enregistrement P-19a) ne révèle pas un climat de violence comme tel, mais il
faut également considérer qu’un risque d’abus est intrinsèque à l’opération
d’origine, comme l’a reconnu la Cour suprême dans Hart. C’est d’ailleurs
pourquoi le juge de première instance, pour trancher le sort de la requête en
arrêt des procédures fondée sur les articles
[49] Les opérations d’infiltration permettent en quelque sorte à l’État de se soustraire à l’application de la règle des confessions puisque l’agent double ne constitue pas, sauf circonstances exceptionnelles, une personne en autorité au sens de cette règle[45]. Pourtant, celle-ci a pour objectif de dissuader les agents de l’État d’utiliser des tactiques coercitives pour amener l’accusé à faire une déclaration qui ne serait pas volontaire[46]. Dans tous les cas, la règle des confessions commande de se demander si l’accusé.e, au moment de la déclaration, croyait que la personne à qui il ou elle se confiait détenait sur lui ou elle un certain pouvoir[47]. Il est difficile de penser qu’un.e citoyen.ne présumé.e innocent.e qui fait face à des demandes de la tête dirigeante ou d’un membre important d’un groupe criminalisé n’est pas précisément dans cet état d’esprit. En l’espèce, l’appelant est mis en position de faiblesse dès le début de la rencontre, alors qu’on lui demande de façon répétée, malgré ses dénégations et son refus de coopérer, s’il est à l’origine des informations qui ont coulé. Il invite d’ailleurs à plusieurs reprises ses interlocuteurs à aller prendre une bière, comme pour se sortir de la situation. Or, on lui fait comprendre les moyens importants auxquels l’organisation criminelle n’hésite pas à recourir. La présence d’Alain Béliveau, cible du « Monsieur Big », est également déterminante en raison à la fois de sa relation avec l’appelant et de celle que Vince a établie avec lui au fil des scénarios. Aux yeux de l’appelant, la situation pouvait très bien sembler tourner autour d’Alain Béliveau. Je considère que de telles circonstances soulevaient des interrogations sur le plan de la fiabilité de la déclaration qui auraient dû être étudiées dans le cadre d’un voir-dire.
[50] L’intimée souligne dans son mémoire et à l’audience que l’appelant pouvait, d’une part, invoquer l’abus de procédures, ce qu’il a fait, et, d’autre part, faire appel au pouvoir discrétionnaire dévolu au ou à la juge du procès d’écarter une preuve dont l’effet préjudiciable l’emporte sur la valeur probante. Cet argument n’est pas convaincant parce qu’il élude l’enjeu du débat, c’est-à-dire à qui doit-on faire porter le fardeau de la preuve dans le cadre d’un éventuel voir-dire.
[51] L’intimée demande l’application de la disposition réparatrice pour parer l’éventualité où cette Cour accueillerait l’appel sur ce moyen. Elle affirme que la preuve démontre sans l’ombre d’un doute que la déclaration de l’appelant aurait été admise même si elle avait été présumée inadmissible[48]. Au soutien de cette prétention, elle signale que cette Cour a conclu, dans Béliveau c. La Reine[49], qu’aucun des moyens d’appel portant sur l’admissibilité des aveux d’Alain Béliveau n’était fondé. Il me semble que même si l’intimée voyait juste sur ce point, les directives au jury pourraient néanmoins être incomplètes, ne comportant pas de mise en garde de type Mack. C’est là l’essence du troisième moyen de droit de l’appelant. Ces deux moyens d’appel me paraissent en effet liés, c’est-à-dire que si l’arrêt Hart était inapplicable, la troisième question en litige ne pourrait survivre de manière autonome.
[52] Je conclus, avec respect pour le premier juge, que c’est à tort qu’il a tranché que l’analyse proposée par la Cour suprême dans Hart était ici inapplicable. Au contraire, l’approche « Mr. Big » comportait beaucoup d’analogies avec la description générale de ce type d’opérations que l’on retrouve dans Hart[50] :
[60] Une fois le décor planté, l’opération atteint son point culminant lors de la rencontre - semblable à un entretien d’embauche - du suspect et de Monsieur Big. À chaque fois, Monsieur Big exprime alors son inquiétude au sujet des antécédents criminels du suspect et du crime sous enquête. Puis, progressivement, il devient évident au suspect que, s’il avoue le crime, il pourra entrer dans l’organisation criminelle et se mettre ainsi à l’abri de la police. On peut aussi lui dire que Monsieur Big dispose de preuves concluantes de sa culpabilité et que nier son crime sera interprété comme un manque de confiance. Dans un autre cas de figure, on lui dit que Monsieur Big a appris d’informateurs au sein de la police que des accusations fondées sur de nouveaux éléments de preuve étaient imminentes. L’organisation offre au suspect de protéger par différents moyens, telles l’élimination d’un témoin ou l’obtention de l’aveu d’une autre personne, à condition qu’il avoue son crime à Monsieur Big. Tout au long de l’interrogatoire, les dénégations de culpabilité sont tenues pour mensongères, et Monsieur Big insiste pour que le suspect avoue.
[61] Rappelons que la technique s’est révélée très utile dans des centaines d’affaires où des déclarations de culpabilité ont pu être obtenues (voir p. ex. R. c. Copeland, 1999 BCCA 744, 131 B.C.A.C. 264, où l’aveu recueilli a permis aux forces policières de découvrir le corps de la victime).
[Soulignements ajoutés]
[53] C’est ainsi que, dans le cas qui nous occupe, Vince s’est inquiété du crime sous enquête, a fait sentir à l’appelant qu’il était sur le point d’être incriminé et lui a surtout fait sentir que s’il avouait le crime, il pourrait se mettre à l’abri de la police. Il a offert à l’appelant de le protéger par l’obtention d’un aveu d’une autre personne, « le sidéen », à condition qu’il avoue son crime, un aveu sur lequel ce dernier a insisté à répétition et qu’il a finalement obtenu puisque « le sidéen » devait être au courant des détails du crime pour que sa confession soit crue.
[54] Nul besoin d’en dire davantage sur les motifs, bien exposés précédemment ainsi que dans l’affaire Hart, pour lesquels ce type d’aveu risque de ne pas être digne de foi, la gratification offerte, soit d’éliminer la possibilité de faire l’objet d’une accusation de meurtre, s’avérant irrésistible.
[55] Il revient au jury de décider en dernier ressort de la fiabilité d’un aveu obtenu dans le cadre d’une enquête « Monsieur Big »[51]. Dans l’arrêt Mack, rendu à la même époque que l’arrêt Hart, la Cour suprême apporte donc des précisions sur les directives que doit recevoir le jury dans ce cas. Si elle y rejette l’idée d’émettre une formule préconçue et préconise plutôt une approche casuistique et contextuelle[52], elle articule néanmoins certaines balises[53] :
[52] En ce qui concerne la non-fiabilité éventuelle de l’aveu issu d’une opération Monsieur Big, le juge doit expliquer aux jurés qu’il leur incombe de décider si l’aveu de l’accusé est digne de foi ou non. Il doit ensuite examiner avec eux les facteurs pertinents pour l’appréciation de l’aveu et de la preuve y afférente. Dans l’arrêt Hart, la Cour explique que la fiabilité d’un tel aveu dépend des circonstances dans lesquelles il est fait et des précisions qu’il renferme. Ainsi, le juge doit attirer l’attention du jury sur « la durée de l’opération, le nombre d’interactions entre les policiers et l’accusé, la nature de la relation qui s’est tissée entre les agents et l’accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l’interrogatoire, ainsi que la personnalité de l’accusé », des facteurs qui permettent tous de se prononcer sur la fiabilité de l’aveu (voir Hart, par. 102).
[53] De plus, le juge du procès doit indiquer aux jurés que l’aveu peut renfermer des indices de sa fiabilité (ou de sa non-fiabilité). Il doit aussi les inviter à tenir compte de son caractère plus ou moins détaillé, du fait qu’il a mené ou non à la découverte d’autres éléments de preuve, de la mention de modalités du crime non révélées au public ou du fait qu’il décrit fidèlement ou non certaines données prosaïques que l’accusé n’aurait pas connues s’il n’avait pas commis le crime (voir Hart, par. 105).
[54] Le juge du procès n’est pas pour autant tenu d’exposer en détail chacun des éléments de preuve qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur la fiabilité de l’aveu. Sa fonction consiste simplement à attirer l’attention des jurés sur la non-fiabilité éventuelle de l’aveu et à leur signaler les facteurs pertinents pour se prononcer à ce sujet.
[Soulignements ajoutés]
[56] Dans l’arrêt Béliveau c. La Reine, cette Cour a jugé que les directives posaient problème sous l’angle de l’arrêt Mack, car elles véhiculaient l’idée « qu’un aveu soit considéré comme non fiable seulement si le jury en vient à la conclusion que celui-ci a été obtenu en raison de traitements inhumains ou dégradants ou encore par l’effet de la violence ou la menace de violence. »[54] Le juge Gagnon précise : « […] les éléments liés à la non-fiabilité éventuelle de l’aveu obtenu à l’occasion d’une opération « Monsieur Big » sont plus nombreux et raffinés que les seuls cas de traitements inhumains, dégradants ou violents. Les exemples donnés par la Cour suprême auxquels j’ai référé précédemment en sont l’illustration. »[55].
[57] Sur la base de ces enseignements, l’appelant soumet ce qui suit[56] :
[81] Par la suite, le juge d’instance a donné des directives supplémentaires à l’égard des déclarations extrajudiciaires à l’effet qu’il est possible qu’elles aient été soutirées par la violence et la menace de violence. L’appelant soumet que cette directive comporte la même faiblesse que celle identifiée dans l’arrêt Béliveau de cette Cour, précité, puisqu’elle véhicule l’idée « qu’un aveu soit considéré comme non fiable seulement si le jury en vient à la conclusion que celui-ci a été obtenu en raison de traitements inhumains ou dégradants ou encore par l’effet de la violence ou la menace de violence ». Conséquemment, le jury pouvait conclure à tort « qu’en l’absence d’une preuve de cette nature dont on ne lui a pas signalé l’existence, les déclarations extrajudiciaires de l’appelant étaient donc fiables ». Ceci est particulièrement vrai en l’espèce alors que le juge d’instance a laissé cette question entièrement entre les mains du jury lorsqu’il déclare « C’est à vous d’en décider ».
[82] Quant à l’appréciation des déclarations extrajudiciaires de l’appelant, particulièrement celle du 15 mai 2009, l’appelant soumet que le juge d’instance n’a pas examiné avec le jury les facteurs propres aux faits de l’espèce. Il ne s’est pas attardé avec le jury aux éléments de preuve qui permettaient de mieux cerner la fiabilité ou non de cette déclaration extrajudiciaire. Par exemple, le juge d’instance n’a jamais porté à l’attention du jury le caractère plus ou moins détaillé de la déclaration du 15 mai 2009, qu’elle n’ait pas mené à la découverte d’autres éléments de preuve, que plusieurs faits étaient connus du public, la relation entre l’appelant et Alain Béliveau, la position de faiblesse dans laquelle l’appelant s’est retrouvé lors de la déclaration du 15 mai 2009, la gratification importante promise moyennant l’aveu de sa participation dans l’homicide d’Alain Bernard, le caractère et le ton utilisé par l’agent infiltré lors de la déclaration du 15 mai 2009.
[Soulignements ajoutés, renvois omis]
[58] J’adhère pleinement à cette position. Le scénario en l’espèce n’est pas celui d’un simple agent double. Les subtilités qu’il comprenait du fait de sa connexité avec l’opération « Monsieur Big » ciblant Alain Béliveau et auxquelles nous alerte l’appelant auraient dû être soulignées au jury par le juge, de sorte que la directive générale que prescrit l’arrêt Hodgson[57] était insuffisante.
[59] Ceci étant, il appartiendra bien sûr à la ou au juge présidant le nouveau procès de façonner les directives qui lui paraîtront appropriées à la lumière de la preuve qui sera faite, et de décider de l’admissibilité de cette preuve.
[60] Pour les motifs qui précèdent, je propose d’accueillir la requête pour permission d’appeler; d’accueillir l’appel; d’annuler le verdict de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
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NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q. |
* Version française officielle de l’arrêt de la Cour.
* Version française officielle des motifs de la juge en chef.
[1] Verdict dont appel, 11 novembre 2015, M.A., vol. 1, p. 32.
[2] Jugement sur voir-dire n°2, 3 novembre 2015, M.A., vol. 2, p. 61.
[3]
R. c. Hart,
[4]
R. c. Mack,
[5]
R. c. Bernard,
[6]
Béliveau c. La Reine,
[7] Jugement sur voir-dire n°2, 3 novembre 2015, M.A., vol. 2, p. 63.
[8]
R. c. Bernard,
[9] Directives finales au jury, 9 novembre 2015, M.A., vol. 10, p. 3213-3221.
[10] Directives finales au jury, 9 novembre 2015, M.A., vol. 10, p. 3223-3224.
[11] Directives finales au jury, 9 novembre 2015, M.A., vol. 10, p. 3238-3240.
[12]
Piché c. La Reine,
[13]
R. c. Paterson,
[14] R. c. Singh, supra, note 18, paragr. 33; R. c. Oickle, supra, note 18, paragr. 30.
[15] Id., paragr. 35; Id., paragr. 47 et 68.
[16] R. c. Oickle, supra, note 18, paragr. 71.
[17] R. c. Singh, supra, note 18, paragr. 31-33.
[18]
Id., paragr. 51; R. c. Oickle, supra,
note 18, paragr. 22 et 71; R. c. Spencer,
[19] Ibid.
[20] R. c. Oickle, supra, note 18, paragr. 22.
[21] A.A., paragr. 36.
[22] Argumentation de la poursuivante sur voir-dire n°2, 2 novembre 2015, M.A., vol. 8, p. 2374, lignes 18-21.
[23] Supra, note 23.
[24] A.I., paragr. 36 [Soulignements ajoutés].
[25] R. c. Oickle, supra, note 18, paragr. 64.
[26] R. c. Spencer, supra, note 23, paragr. 11.
[27] Sankey v. The King, [1927] S.C.R. 436, p. 440-441.
[28] Témoignage de Patrice Bernard, M.A., vol. 9, p. 2746-2760.
[29] R. c. Hart, supra, note 3; R. c. Mack, supra, note 4.
[30] R. c. Hart, supra, note 3, paragr. 1.
[31] Id., paragr. 1.
[32] Id., paragr. 2.
[33] Id., paragr. 85-86; R. c. Mack, supra, note 4, paragr. 31.
[34] R. c. Hart, supra, note 3, paragr. 68-69.
[35] Id., paragr. 6 et 102.
[36] A.A., paragr. 64-65.
[37] R. c. Hart, supra, note 3, paragr. 85, note de bas de page 5.
[38]
Id., paragr. 6-9. Voir également R. v. Kelly,
[39]
R. v. Yakimchuk,
[40] A.I., paragr. 76.
[41] Supra, note 44.
[42] Béliveau c. La Reine, supra, note 10.
[43] A.I., paragr. 78.
[44] Jugement sur requête en arrêt des procédures pour abus, 23 octobre 2015, M.A., vol. 2, p. 69.
[45]
R. c. Grandinetti,
[46] R. c. Hodgson, supra, note 18, paragr. 24.
[47]
Rothman c. La Reine,
[48] A.I., paragr. 92-94.
[49] Béliveau c. La Reine, supra, note 10, paragr. 44.
[50] R. c. Hart, supra, note 3, paragr. 60-61.
[51] Béliveau c. La Reine, supra, note 10, paragr. 128.
[52] R. c. Mack, supra, note 4, paragr. 49-50.
[53] Id., paragr. 52-55.
[54] Béliveau c. La Reine, supra, note 10, paragr. 137.
[55] Béliveau c. La Reine, supra, note 10, paragr. 139.
[56] A.A., paragr. 81-82.
[57] R. c. Hodgson, supra, note 43, paragr. 30.