Fraternité des policiers et policières de Gatineau c. Moro |
2020 QCCS 2272 |
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JI0033 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GATINEAU |
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N° : |
550-17-011182-191 |
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DATE : |
20 juillet 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PIERRE ISABELLE, J.C.S. |
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FRATERNITÉ DES POLICIERS ET POLICIÈRES DE GATINEAU |
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Demanderesse, |
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c. |
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MAÎTRE SUZANNE MORO |
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Défenderesse, -et- VILLE DE GATINEAU Mise en cause. |
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JUGEMENT SUR LA DEMANDE DE POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIARE |
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[1] La demanderesse (ci-après la Fraternité), une association de salariés accréditée pour représenter tous les policiers salariés à l’emploi de la Ville de Gatineau, saisit le Tribunal d’une demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la sentence arbitrale du Tribunal d’arbitrage rendu le 2 juillet 2019 laquelle rejette la contestation de la suspension avec solde de la policière Chantal Lacroix et maintient sa destitution imposée par l’employeur.
[2] La présente demande ayant été déposée avant la décision de la Cour suprême dans l’affaire Vavilov[1], les avocats ont soumis un argumentaire additionnel pour traiter de la norme de contrôle telle que définit par cet arrêt.
[3] De plus, en raison de la pandémie et des mesures d’urgence décrétée par la gouvernement du Québec, l’audition s’est tenue par un moyen technologique virtuel.
CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL
[4] Chantal Lacroix (la plaignante) est policière à la Ville d’Aylmer et à la Ville de Gatineau depuis 1994.
[5] Depuis 2007, elle occupe le poste d’enquêteur aux délits de fuite.
[6] Dans le cadre de son travail, elle est appelée à utiliser les bases de données du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ) et du Versadex, la base de données du service de police de la Ville de Gatineau (SPVG).
[7] Ces bases de données contiennent des informations sensibles colligées par certains corps de police au Canada et par différents organismes reliés à la conduite de véhicules automobiles. Elles contiennent également des données personnelles telles le nom, l’adresse, la date de naissance et le cas échéant le casier judiciaire des citoyens.
[8] Toute consultation de ces bases de données par des policiers en dehors de leur travail est illégale.
[9] Afin de sauvegarder la confidentialité des informations contenues à ces bases de données, leur utilisation est limitée aux policiers en exercice de leurs fonctions. Le législateur a d’ailleurs prévu à l’article 286 de la Loi sur la police[2] que le directeur d’un corps de police a l’obligation de soumettre toute allégation de nature criminelle concernant un policier au Ministère de la sécurité publique, ce qui enclenche une enquête menée par un procureur spécialisé et le dépôt d’accusations criminelles à l’encontre d’un policier fautif.
[10]
Lorsque trouvé coupable d’une telle accusation, l’article
[119] Est automatiquement destitué tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un acte ou d’une omission visé au paragraphe 3° de l’article 115 poursuivable uniquement par voie de mise en accusation.
Doit faire l’objet d’une sanction disciplinaire de destitution tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un tel acte ou d’une telle omission, poursuivable soit sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, soit par voie de mise en accusation, à moins qu’il ne démontre que des circonstances particulières justifient une autre sanction.
[11]
Le manuel des directives sur la légalité des accès
à l’information des réseaux CRPQ est en vigueur à la Ville de Gatineau depuis
2003. Le document contient une mise en garde aux utilisateurs de ces données
leur interdisant de consulter les banques de données policières à des fins
personnelles. On y précise que l’article
[12] Dans le but de rappeler la confidentialité des informations contenues aux bases de données policières, une mise en garde s’affiche à l’écran de l’ordinateur lorsqu’une recherche est effectuée. Le policier doit accepter la mise en garde avant de poursuivre sa recherche.
[13] En 2014 la Ville de Gatineau distribue à tous ses policiers une fiche éthique rappelant l’utilisation du CRPQ et du Versadex. Le document précise que quiconque enfreint ces règles commet un acte criminel.
[14] Chantal Lacroix admet connaitre les règles régissant l’utilisation des banques de données policières.
[15] Or en mars 2013, Chantal Lacroix se lie d’amitié avec J.C. l’adjointe de deux inspecteurs du SPVG. Dans le cours de cette relation, J.C. exprime à la plaignante son désir d’acheter une maison mais malheureusement sa situation financière ne le lui permet pas.
[16] Chantal Lacroix souhaite venir en aide à son amie et décide d’acheter avec elle l’immeuble en copropriété. Elles conviennent d’assumer chacune la moitié de l’hypothèque bien que seule J.C. doit habiter l’immeuble.
[17] Or le projet d’achat d’une résidence est en péril car l’institution prêteuse refuse de financer J.C. en raison d’une dette importante sur carte de crédit.
[18] Dans le but de régler cette situation, Chantal Lacroix accepte de contracter une nouvelle marge de crédit conjointement avec J.C.
[19] La nouvelle résidence a besoin de rénovation. Chantal Lacroix débourse 16 000$ pour certains travaux.
[20] Dès le déménagement de J.C. dans la nouvelle maison, la relation entre les deux femmes se détériore. J.C. n’éprouve aucun sentiment envers la plaignante et met fin à leur amitié.
[21] Chantal Lacroix est blessée par cette décision. Son état de santé se détériore. Elle souffre d’anxiété et a de la difficulté à trouver le sommeil. La policière a le sentiment d’avoir été utilisée dans cette relation et son état d’endettement la préoccupe.
[22] Son médecin lui prescrit des antidépresseurs et un médicament contre l’anxiété. Elle refuse par contre d’être en arrêt de travail en raison de ses nouvelles obligations financières.
[23] J.C. respecte ses obligations hypothécaires mais néglige de temps à autre de rembourser sa part de la marge de crédit conjointe.
[24] Cette situation inquiète énormément la plaignante. Elle communique régulièrement avec J.C. pour exiger d’être libérée de ses engagements financiers.
[25] Le 5 novembre 2013, J.C. rencontre le responsable des plaintes relatives aux policiers à la Ville de Gatineau pour l’informer que Chantal Lacroix lui a mentionné avoir utilisé les banques de données policières pour effectuer certaines vérifications concernant sa situation personnelle.
[26] Considérant le sérieux de ces allégations, le SPVG ouvre une enquête.
[27] En Avril 2014, la nouvelle conjointe de J.C. achète la part de Chantal Lacroix dans la maison mais celle-ci demeure responsable de la marge de crédit conjointe. La plaignante continue de communiquer par courriel avec J.C. et également avec sa nouvelle conjointe pour leur demander de la libérer de cette obligation financière.
[28] Un mois plus tard, J.C. rencontre le responsable des plaintes relatives aux policiers et se plaint à nouveau de la conduite de Chantal Lacroix. Elle lui reproche d’avoir obtenu l’adresse courriel confidentielle de sa conjointe après avoir consulté les banques de données policières.
[29] Elle demande donc à l’enquêteur la tenue d’une rencontre de préoccupation organisationnelle afin que la policière cesse de communiquer avec elle et avec sa conjointe.
[30] L’enquêteur rencontre Chantal Lacroix et sa conjointe pour leur demander d’arrêter de communiquer avec J.C. et sa conjointe car cela peut constituer du harcèlement.
[31] Dans le cadre de cette rencontre, l’enquêteur informe Chantal Lacroix qu’en raison de la plainte formulée par J.C., des accusations criminelles sont possibles si une enquête démontre l’utilisation des banques de données policières à des fins personnelles.
[32] Chantal Lacroix admet spontanément avoir utilisé à deux reprises les systèmes informatiques du service de police pour vérifier la plaque d’immatriculation de la voiture de la conjointe de J.C.
[33] Or l’enquête interne du SPVG permet de découvrir que Chantal Lacroix a consulté à six reprises les banques de données policières sur cinq quarts de travail soit les 5 août, 19 octobre, 17 et 31 décembre 2013 et le 1er janvier et le 24 février 2014.
[34] Les vérifications concernent trois personnes différentes dont la fille de J.C., son conjoint et la conjointe de J.C.
[35] Toutes les vérifications effectuées par la policière sont faites à des fins personnelles et non dans le cadre de son travail.
[36] Lorsqu’une situation dénote la possibilité qu’un geste illégal soit commis par un policier, le dossier est transféré au DPCP pour évaluation puis selon les résultats, le Ministère de la sécurité publique en est avisé. Une enquête débute et le dossier est retourné au DPCP, lequel porte des accusations si un acte criminel est constaté.
[37] En fonction du résultat de l’enquête policière, le dossier de Chantal Lacroix est remis au DPCP le 9 juillet 2014.
[38] En attendant le processus judiciaire, la policières est mutée à l’Unité de stationnement de la police de Gatineau le 24 septembre 2014.
[39]
Le 30 septembre 2014, des accusations en vertu de l’article
[40] Elle est immédiatement relevée de ses fonctions. L’employeur l’affecte à des tâches administratives pendant le déroulement des procédures.
[41] Le 1er octobre 2014, le médecin de la plaignante pose un diagnostic de dépression majeure et trouble d’adaptation situationnelle. Elle est placée en arrêt de travail.
[42] La condition de santé de la plaignante se détériore quand son affectation à des travaux administratifs la place dans une section située à côté de celle dans laquelle J.C. travaille. Le 11 mai 2015, le psychiatre de la plaignante conclut qu’elle est apte au travail mais recommande qu’elle ne côtoie pas J.C. dans le cadre de son travail.
[43] Chantal Lacroix retourne au travail le 1er juin 2015. Elle est alors affectée aux enquêtes des crimes généraux, dont la section est située dans un autre immeuble que celui ou travaille J.C.
[44] En janvier 2016, Chantal Lacroix rejoint la section des renseignements criminels de la police de Gatineau. Son patron immédiat est satisfait de son travail.
[45] Le 13 avril 2016, Chantal Lacroix plaide coupable aux accusations portées contre elle. Elle bénéficie d’une absolution inconditionnelle. Compte tenu de ce dénouement, le 13 mai 2016, la plaignante est convoquée à une rencontre disciplinaire conformément aux dispositions de la Loi sur la police.
[46] Lors de cette audition, elle explique avoir été manipulée par J.C. et avoir subi un stress financier important en raison de la situation dans laquelle elle s’est retrouvée. La curiosité l’a emmené à consulter illégalement les banques de données policières.
[47] Elle déclare par contre n’avoir fourni aucune information provenant des banques de données policières à des tiers.
[48]
Puisque l’article
[49] Le comité passe en revue la situation personnelle et professionnelle de la plaignante. Chantal Lacroix expose avec honnêteté ce qui l’a menée à commettre un geste illégal. Sa dépression, son anxiété et son stress financier sont à l’origine de ses décisions de consulter illégalement les banques de données policières.
[50] Malgré la sympathie exprimée par les membres du comité envers Chantal Lacroix, ils ne retiennent pas l’existence de circonstances particulières justifiant la conduite de la policière.
[51] Le 26 mai 2016, le directeur du service de police de la Ville de Gatineau est informé de la décision du comité et n’a d’autre choix que de destituer la plaignante, laquelle est immédiatement suspendue de ses fonctions. Le 15 juin 2016, le comité exécutif de la Ville de Gatineau confirme la décision de destituer Chantal Lacroix.
[52] En 2016, la Fraternité dépose trois griefs afin de contester les décisions prises par l’employeur à l’égard de la plaignante, et en particulier afin de contester sa destitution. Me Suzanne Moro, en sa qualité d’arbitre de grief, est chargée d’entendre les parties.
[53] Avant le début de l’audience, la Fraternité saisit le Tribunal d’arbitrage d’une demande préliminaire afin d’obtenir la permission de démontrer que les consultations illégales des bases de données policières sont fréquentes et que la sanction n’est pas toujours la destitution.
[54] Cette demande est contestée par l’employeur.
[55] Le 10 janvier 2018, l’arbitre rend une décision interlocutoire et accueille l’objection de la Ville de Gatineau. Elle déclare inadmissible la preuve de mesures disciplinaires imposée à d’autres policiers lors d’évènements distincts.
[56] Cette décision repose sur les principes énoncés en semblable matière par la Cour d’appel dans l’affaire Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec[3] et sur l’arrêt de principe en matière de déontologie policière prononcée par la Cour suprême dans Ville de Lévis c. Fraternité des policiers de Lévis Inc.[4]
[57]
Dans cette décision l’arbitre rappelle que les
dispositions de l’article
[58] Alors que l’arbitre est en délibéré sur le fond du litige, la Fraternité demande une réouverture d’enquête pour mettre en preuve la décision du Comité de déontologie policière du 25 février 2019 laquelle conclut à l’existence de circonstances particulières et impose à la policière une suspension.
[59]
Il est utile de préciser qu’en vertu de l’article
[60] Ainsi le Comité de déontologie policière doit donc se prononcer sur le comportement de la plaignante et déterminer de la sanction appropriée dans les circonstances, parallèlement au pouvoir du Tribunal d’arbitrage de statuer sur les griefs déposés par la Fraternité.
[61] L’arbitre, dans une décision motivée, autorise la réouverture de l’enquête et accepte le dépôt de la décision du Comité de déontologie policière aux motifs que cette décision constitue un fait juridique important qu’elle doit considérer avant de finaliser sa décision.
LA DÉCISION DU TRIBUNAL D’ARBITRAGE DU 2 JUILLET 2019
[62] L’arbitre conclut que la plaignante ne peut prétendre à l’existence de circonstances particulières lors de la commission des gestes qui lui sont reprochés soit d’avoir consulté à des fins personnelles les banques de données policières commettant ainsi un acte criminel. Elle rejette les griefs confirmant ainsi la destitution à titre de policière de Chantal Lacroix.
[63] Dans le cadre de sa décision, l’arbitre reprend d’abord les règles applicables à la consultation des bases de données policières et en particulier celles mise en place par la Ville de Gatineau depuis le 16 avril 2003.
[64]
L’arbitre se réfère à l’article
[65] L’arbitre rapporte qu’avant le 7 novembre 2013, la Ville de Gatineau traitait la question des consultations illégales des banques de données policières en déontologie ce qui n’est plus le cas en raison de l’application rigoureuse des dispositions de la L.P. et en particulier de l’article 119 de celle-ci.
[66] Puis elle dresse un historique des évènements ayant menés la plaignante à consulter les banques de données policières à des fins personnelles.
[67] La relation avec J.C., les engagements financiers de la plaignante envers son amie, leur rupture puis ses effets sur l’état de santé de Chantal Lacroix sont relatés à la décision.
[68] L’arbitre traite ensuite de la rencontre entre J.C. et un enquêteur du SPVG pendant laquelle elle se plaint des comportements de Chantal Lacroix principalement en ce qui concerne la possibilité qu’elle consulte les banques de données policières pour obtenir des informations au sujet de sa nouvelle conjointe.
[69] La décision arbitrale reprend les résultats de l’enquête menant à la destitution de la policière. Chantal Lacroix consulte à six reprises les bases de données policières aux dates énoncées à la décision. L’arbitre explique les raisons de ces consultations et les personnes visées par celles-ci.
[70] La décision s’attarde également à la condition de santé de la plaignante laquelle souffre d’une dépression majeure et de trouble d’adaptation situationnelle.
[71] L’arbitre reprend de plus le contenu de la rencontre disciplinaire tenue le 13 mai 2016 et de la rencontre d’évaluation de circonstances particulières du 18 mai 2016 survenus suite au plaidoyer de culpabilité du 13 avril 2016.
[72] La décision du Tribunal d’arbitrage s’attarde ensuite aux prétentions des parties traitant d’abord de celles de la Fraternité puis de celles de l’employeur.
[73] En résumé, la Fraternité minimise les infractions commises par la plaignante car les informations obtenues suite à la consultation des bases de données policières auraient pu être obtenues par des voies légales. De plus, ces informations n’ont procuré aucun avantage à Chantal Lacroix.
[74] La Fraternité soutient que la plaignante ayant obtenu une absolution inconditionnelle à la suite de son plaidoyer de culpabilité bénéficie toujours de la confiance des citoyens dans la fonction qu’elle occupe.
[75] Enfin la Fraternité plaide que la plaignante a commis des infractions en raison de circonstances particulières existant au moment où elle consulte les banques de données policières. Chantal Lacroix vit alors des problèmes personnels et son état de santé est affecté par ceux-ci.
[76]
Quant à la Ville de Gatineau, elle rappelle le rôle
du policier et la volonté du législateur de destituer un policier lorsque
celui-ci est reconnu coupable d’une infraction criminelle. Quant à la présence
de circonstances particulières, l’employeur soutient qu’il n’existe aucune
preuve que la plaignante n’était pas en possession de toutes ses facultés
intellectuelles au moment de la commission des infractions et aucune preuve d’expert
sur sa condition n’a été administrée dans le cadre de l’enquête. L’absence
d’antécédents disciplinaires et le prononcé d’une absolution inconditionnelle
constitue au sens de la loi et de la jurisprudence des facteurs atténuants mais
ne constitue pas des circonstances particulières au sens de l’article
[77] La seule question en litige selon l’arbitre est celle de déterminer si la preuve démontre l’existence de circonstances particulières pouvant justifier l’imposition d’une sanction autre que la destitution de la plaignante.
[78]
Pour répondre à cette question, l’arbitre se réfère
d’abord aux articles
[79]
L’article 119 prévoit
la destitution automatique du policier reconnu coupable d’un acte ou d’une
omission visée au paragraphe 3 de l’article
[80]
L’arbitre explique dans sa décision le contexte
législatif de l’application de l’article
[81] L’arbitre se réfère d’abord au passage pertinent que la décision de la Cour suprême dans l’affaire Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc.[5] L’arbitre cite plusieurs paragraphes de cette importante décision en matière de destitution de policiers et de l’importance accordée par le législateur d’imposer des conséquences sévères à la conduite criminelle des policiers.
[82] Cette décision précise qu’un arbitre de grief ne peut pas invoquer son pouvoir discrétionnaire absolu prévu à l’article 100.12 ( f ) CT afin de réviser la décision d’une municipalité de destituer un policier ou de substituer cette décision à une autre qui lui parait juste dans les circonstances. Ainsi, le rôle de l’arbitre se limite à appliquer la sanction prévue à l’article 119 L.P à moins que par une preuve prépondérante le policier démontre l’existence de circonstances particulières.
[83]
Tel que le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt
précité, le législateur n’a pas précisé en quoi consiste les circonstances
particulières de l’article
[84] Il ressort par contre des extraits de cet arrêt repris par l’arbitre que le Tribunal d’arbitrage doit tenir compte de toutes les circonstance relatives à l’infraction et doit analyser la capacité future du policier de servir le public avec efficacité et crédibilité.
[85] L’arbitre se réfère également à la décision du Tribunal d’arbitrage dans l’affaire Association des policières et policiers provinciaux du Québec c. Sureté du Québec (Jean Landry)[6] alors que l’arbitre Lamy retient que la conduite criminelle d’un policier mine la confiance du public que le geste ait été posé dans le cadre de son travail ou dans le cadre de sa vie personnelle.
[86] Puis se référant à l’affaire Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec[7], l’arbitre retient que la consultation des banques de données policières à des fins personnelles est une infraction grave.
[87] L’arbitre s’attarde ensuite à reprendre et à analyser les circonstances particulières invoquées par la plaignante.
[88] Pour une meilleure compréhension des motifs de la décision de l’arbitre, il est utile de les reprendre au présent jugement. Voici ce que l’arbitre écrit:
Les circonstances particulières invoquées par la plaignante
[130] À la lumière des enseignements de la Cour Suprême dans l’affaire Lévis, avant de pouvoir invoquer des facteurs atténuants, la plaignante doit d’abord démontrer que, n’eût été les circonstances particulières qui l’ont menée à consulter les banques de données, gestes pour lesquels elle a été reconnue coupable, elle n’aurait pas posé ces gestes et que ces circonstances particulières requièrent donc une sanction autre que la destitution.
[131] Ces circonstances particulières
doivent atteindre un niveau de gravité et de sérieux tel qu’il justifie
que le policier, gardien de la loi, échappe à la destitution malgré la
commission d’une infraction criminelle, commission qui est a priori
incompatible avec le statut de policier (Fraternité des policiers de
Lévis inc. c. Ville de Lévis, Cour d’appel,
[132] La plaignante a suivi la formation FLAIR et a pris connaissance des politiques rappelant que l’utilisation du CRPQ est un geste grave dont le législateur a fait une infraction criminelle. Elle sait qu’un policier n’a pas le droit d’utiliser les banques de données policières à des fins personnelles.
[133] La plaignante allègue avoir consulté les bases de données policières par simple curiosité, parce qu’elle vivait des problèmes personnels et que des sentiments de détresse, d’impuissance et de panique se sont emparés d’elle, lui faisant craindre de perdre tous ses biens. Lors de son témoignage, elle dira notamment qu’elle n’est pas bien mentalement, que ça ne va pas bien dans sa tête, qu’elle est déprimée, qu’elle pense mettre fin à ses jours le 31 décembre. Mais ces propos ne sont pas supportés par la preuve.
[134] Le tribunal a rouvert l’enquête après avoir pris connaissance de la décision du Comité de déontologie du 25 février 2019 faisant état de la crainte de certains supérieurs qu’elle ne retourne son arme contre elle. Après enquête, il s’est toutefois avéré que cette crainte est uniquement ressentie après la commission des infractions, une fois la plaignante informée qu’une enquête disciplinaire est ouverte et qu’il y aura une allégation criminelle s’il s’avère qu’elle a consulté les bases de données, et ensuite, quand le dossier est transmis à un procureur.
[135] La preuve démontre certes que la plaignante est anxieuse, triste et déprimée lorsqu’elle met fin à sa relation avec J. C. après avoir réalisé qu’elle l’a bernée afin de pouvoir acheter une maison, qu’elle consulte son médecin et que ce dernier lui prescrit des médicaments pour traiter ces symptômes le 18 août 2013. Toutefois, rien dans l’ensemble de la preuve administrée ne permet de conclure qu’au moment des six consultations des banques de données policières elle était dans un état d’esprit tel que son sens du jugement était altéré.
[136] Le tribunal fait siens les propos suivants de l’arbitre Lamy dans l’affaire Association des policières et policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec (Jean Landry), précitée :
[69] (…) la preuve syndicale est d’autant plus fragile qu’aucun expert n’a été entendu sur le lien entre la condition invoquée par le plaignant, la pression découlant de l’ensemble de sa situation, sa douleur, sa crainte sincère d’aggravation et son état psychologique au moment des événements. (…).
[70] Il est vrai que le syndicat ne plaide pas l’état psychologique du plaignant, mais son état d’esprit. Il avance qu’il n’est pas tenu de faire une telle preuve pour démontrer des circonstances particulières. Je n’en fais certainement pas une condition en toutes circonstances, ni ne décide que sa présentation en ferait toujours leur démonstration ou l’aurait fait dans la présente affaire. Je dis simplement qu’en l’espèce, son absence laisse le tribunal avec peu pour conclure à des circonstances graves et sérieuses justifiant l’imposition d’une autre sanction que la destitution et la perte d’emploi qui en découle.
[71] Sans preuve d’expert démontrant que le plaignant était soumis à des conditions telles qu’elles ont altéré́ son état psychologique habituel, la seule conclusion possible sur son état d’esprit est qu’il ait été exposé à des conditions difficiles, certes, mais d’une ampleur tolérable, dans le spectre de la normalité : une situation stressante générant de la fatigue, du désarroi, de la frustration (…).
(Soulignements ajoutés.)
[137] Tout comme dans l’affaire
Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu Inc. et
St-Jean-sur-Richelieu (Ville de),
(…) en toute connaissance de cause (…) alors que les personnes concernées étaient en droit de s’attendre à la plus stricte confidentialité. (…) ce type de conduite va à l’encontre de l’image exemplaire (…) nécessaire à l’exercice de la fonction de policière (…)
[138] Que la plaignante ait admis spontanément les consultations des banques de données policières, qu’elle n’ait tiré aucun avantage des informations obtenues et ne les ait pas divulguées, qu’elle regrette ses gestes et qu’on peut lui faire confiance, qu’elle est au service de la Ville depuis 20 ans et a un dossier disciplinaire et déontologique vierge, que son travail est bien fait et apprécié, qu’elle ait obtenu une absolution inconditionnelle sont certes des éléments qui lui sont favorables. Mais ce ne sont pas des circonstances particulières susceptibles d’expliquer les gestes qu’elle a posés. Ce sont des circonstances atténuantes et ce n’est que s’il en vient à la conclusion que des circonstances particulières ont été démontrées et qu’il n’y a pas lieu de maintenir la destitution que le tribunal peut les examiner et s’en servir pour déterminer une autre sanction. Tel n’est pas ici le cas.
[139] Le tribunal reprend à son compte
les propos suivants de l’arbitre Provençal dans Fraternité des policiers de
Lévis et Ville de Lévis (Patrick l’Heureux) 20 décembre 2016,
[148] Si la loi m’autorisait à
ne prendre en compte que des circonstances atténuantes, je n’aurais aucune
difficulté́ à me rendre à la proposition de la Fraternité (…).
Toutefois, l’article
[140] Le tribunal tient à souligner que la preuve démontre que la plaignante a pris les moyens pour mettre cet épisode de sa vie derrière elle et rétablir sa situation financière. Les témoignages contenus aux lettres de recommandation qu’elle a déposées à l’occasion de la rencontre du 16 mai 2016 sont sans équivoque : elle est une personne généreuse et bonne. Tant sa personnalité que sa formation et son expérience en font un actif indéniable pour la société.
[89] Ainsi l’arbitre rejette les griefs.
LES MOTIFS AU SOUTIEN DU POURVOI
[90] La Fraternité soutient que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable car celle-ci comporte au moins trois erreurs graves et manifestes donnant ouverture à la demande de pourvoi en contrôle judiciaire.
[91] Il s’agit des éléments suivants :
a) L’arbitre a commis des erreurs dans l’analyse de la notion de circonstances particulières et dans l’appréciation des faits mis en preuve ;
b) L’arbitre refuse d’admettre une preuve pertinente à l’issu du litige lorsque dans sa sentence arbitrale interlocutoire du 10 janvier 2018, elle accueille l’objection patronale et empêche la Fraternité de faire la preuve de la pratique qui prévalait au SPVG au sujet des consultations du CRPQ à des fins personnelles et de la tolérance de l’employeur à cet égard avant juin 2014 ;
c) La décision ne comporte pas le critère d’intelligibilité requis lorsque l’arbitre s’écarte sans motif de la décision rendu par le Comité de déontologie policière.
[92] Quant à la Ville de Gatineau, après avoir répliqué à tous les arguments de Fraternité dans son mémoire, elle soutient que la décision arbitrale ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante et qu’elle se qualifie de raisonnable au sens de la jurisprudence.
LA NORME DE CONTRÔLE
[93] Dans la présente affaire, les parties ne contestent pas la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre rendue le 2 juillet 2019.
[94] Elles suggèrent d’appliquer la norme de la décision raisonnable conformément à la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov[8]. Cet arrêt met en évidence l’existence d’une présomption que la norme applicable au contrôle d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable.
[95] Cette présomption peut être repoussée uniquement dans les cas où le législateur a prévu une norme différente ou un ensemble de normes différentes au contrôle judiciaire.
[96] Elle peut également l’être lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte telle les questions constitutionnelles, les questions de droit d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ou des questions liées aux délimitations de compétence respectives d’organismes administratifs.
[97] Or de l’avis des parties, la présomption de l’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas renversée dans la présente affaire car l’arbitre est soumis aux dispositions du Code du travail[9] lequel prévoit qu’une sentence arbitrale est sans appel (article 101 CT).
[98] De plus, le Code du travail ne contient aucune disposition prescrivant la norme de contrôle applicable.
[99] Puisque le présent pourvoi ne soulève aucune question d’ordre constitutionnel ni de question de droit d’importance capitale au sens de l’arrêt Vavilov, le Tribunal est d’opinion que la norme de la décision raisonnable s’applique à la sentence arbitrale dont on demande le contrôle judiciaire.
L’APPLICATION DE LA NORME DE LA DÉCISION RAISONNABLE.
[100] Il est d’abord utile de rappeler qu’en matière de contrôle judiciaire, la Cour supérieure ne siège pas en appel d’une décision administrative.
[101] Elle a la tâche de contrôler la raisonnabilité de la décision et non d’effectuer un réexamen de la preuve et de l’apprécier en fonction d’un nouveau regard.
[102] La Cour supérieure doit faire preuve de grande déférence à l’égard des décideurs administratifs car leurs pouvoirs découlent du choix du législateur de mettre sur pied des instances pour décider de questions découlant de leur champ d’expertise.
[103] Depuis l’arrêt Vavilov[10], la norme de la décision raisonnable porte à la fois sur le résultat et sur le processus décisionnel.
[104] La Cour de révision doit donc chercher à comprendre le raisonnement suivi par le décideur pour arriver à sa conclusion.
[105] Pour réviser une décision administrative, il ne suffit plus que le raisonnement soit entaché d’une erreur mineure mais que celui-ci laisse voir une lacune grave au point où il ne peut satisfaire aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.
[106] Constituent des lacunes suffisamment graves pour qualifier la décision de déraisonnable ; le manque de logique interne du raisonnement et la décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinents qui ont une incidence sur la décision[11].
[107] Ainsi une décision sera déraisonnable entre autre si les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou sont fondés sur une analyse irrationnelle.
[108] Quant aux contraintes factuelles juridiques pouvant avoir une incidence sur la raisonnabilité des décisions, il s’agit de rechercher le régime législatif applicable, les principes d’interprétation législatifs, la preuve administrée, les observations des parties, les pratiques et les décisions antérieurs de l’organisme administratif ainsi que l’incidence de la décision sur l’individu visé.
[109] En résumé, l’arrêt Vavilov[12] précise les critères d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable dans les termes suivants :
[99] La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle ci : Dunsmuir, par. 47 et 74; Catalyst, par. 13.
[100] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.
ANALYSE ET DISCUSSIONS
[110] Ainsi en fonction du nouveau cadre d’analyse de la norme de la décision raisonnable, le Tribunal doit déterminer si le raisonnement de l’arbitre est cohérent, rationnel, compréhensible et s’il comporte des erreurs importantes.
[111] Il doit également se demander si les conclusions auxquelles le décideur en arrive découlent de son analyse du dossier et vérifier si la décision se justifie en fonction des contraintes juridiques et factuelles du dossier.
[112] Finalement, le Tribunal de révision doit se demander si le décideur ne s’est pas fondamentalement mépris sur la preuve et s’il a tenu compte des arguments des parties, de la loi applicable et d’une jurisprudence interne constante.
[113] La Fraternité soumet que le raisonnement de l’arbitre revêt un caractère déraisonnable en raison de la présence de trois erreurs graves et manifestes, lesquelles donnent ouverture au contrôle judiciaire de la décision.
[114] Il s’agit d’abord, et cela contrairement aux enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Lévis[13], d’exiger dans le cadre de l’analyse des circonstances particulières pouvant justifier une autre sanction que celle de la destitution, une preuve d’expert médicale permettant de conclure qu’au moment de la commission de l’infraction, le jugement de la policière était altéré.
[115] Selon la Fraternité, l’ajout d’une telle condition à la démonstration de circonstances particulières au sens de l’article 119 (2) L.P, impose au policier de faire la démonstration d’un état d’incapacité, ce qui est contraire aux enseignements de la jurisprudence soit celle d’interpréter de manière large et libérale la preuve nécessaire à la démonstration de circonstances particulières.
[116] De plus l’arbitre limite la notion de circonstances particulières en tenant compte uniquement des circonstances au moment de la commission de l’infraction et non des autres éléments tels l’absolution inconditionnelle accordée à la plaignante, l’absence de conséquences pour les personnes visées par les consultations, les états de service, le dossier disciplinaire vierge et les regrets de la plaignante.
[117] En qualifiant ces éléments de circonstances atténuantes et non de circonstances particulières, l’arbitre rend une décision déraisonnable.
[118] Enfin la Fraternité plaide que l’arbitre commet une erreur importante lorsqu’elle omet d’apprécier les répercussions de la conduite criminelle de la plaignante sur sa capacité à exercer ses fonctions de policière.
[119] L’argument de la Fraternité s’appuie sur la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec[14], laquelle conclut que l’arbitre a l’obligation de prendre en considération toutes les circonstances permettant à la plaignante de démontrer l’existence de circonstances particulières incluant celles existantes après la commission de l’infraction.
[120] Les paragraphes 54 et 55 de cette décision, ci-après repris, expliquent les éléments que l’arbitre doit prendre en considération dans le cadre de l’analyse de circonstances particulières au sens de la L.P
[54] In light of that assessment of what might constitute a specific circumstance, Bastarache, J. concluded that the arbitrator had properly taken into account Mr. Belleau's family problems, his unblemished service record over a lengthy period and the suggestion in the evidence that he was not a violent man.
[55] He next considered what other factors should be considered, and their application to the facts of the case. Amongst these was the gravity and nature of the offences for which Mr. Belleau had pled guilty. In this respect, Bastarache, J. found that the arbitrator's decision was unreasonable in several respects:
75 […] In my view, the decision of the arbitrator is unreasonable in this case mainly because of his failure to properly relate the factors considered to the special role of a police officer. For instance, though it may have been reasonable for the arbitrator to take into account that there were no traces of violence or physical harm, it was not reasonable for him to attach great importance to this fact without considering the violent nature of the conduct of the officer. Even if there are no definitive findings of fact regarding specific acts of violence, the context here is one of domestic violence, and the officer pleaded guilty to a charge of assault on his wife; this is a very important consideration in light of the reliance of the public on police intervention in such cases, one the arbitrator could not reasonably ignore.
76 Furthermore, the firearm offences cannot be attributed to Belleau’s personal problems, nor can they be justified, as the arbitrator sought to do, merely on the grounds that they are technical offences. Firearms are dangerous. That is why the Criminal Code prohibits their storage in a careless manner. Belleau, as a police officer, would have known the importance of safety surrounding firearms. The fact that his house may have been under construction is not a reasonable excuse for why the firearms were not properly stored. He knew the importance of properly storing firearms and that the state of one’s house was no exception to the legal requirements. He could have easily brought the firearms to a place where they would have been legally and safely stored.
77 More serious still is Belleau’s conscious defiance of his undertaking to the court not to communicate with his spouse. As a police officer, Belleau would have known the importance of undertakings to the court. The breach of an undertaking by a police officer is especially serious, given the role that police officers play in the administration of justice. It suggests a lack of respect for the judicial system of which he forms an integral part. Moreover, the obligation not to communicate with his spouse was the most important obligation in the undertaking. The seriousness of the breach of this obligation is further evidenced by the fact that the Crown chose to prosecute the offence by way of indictment.
78 The arbitrator excused Belleau’s breach of his undertaking on the grounds that his conduct on December 29 and 30 had to be seen as forming a continuum. But it is difficult to see how his mental state and intoxication from the previous evening could reasonably explain Belleau’s conduct the next day, several hours after the incident and two hours after he had agreed to the undertaking. There is no question that Belleau clearly understood the terms of his release. Indeed, his arraignment that day would have impressed upon him the seriousness of his actions the night before. I am thus unable to see how it would be reasonable to conclude that Belleau’s conduct could be justified on the grounds that he was not fully aware of what he was doing when he breached his undertaking.
[121] Par contre, la Cour d’appel reconnait que l’arbitre doit nécessairement balancer l’importance de tous les faits mis en preuve pour apprécier l’existence de circonstances particulières. Il s’agit pour l’arbitre de soupeser tous les facteurs mis en preuve et de ne pas attribuer à l’un d’eux le poids qu’il ne mérite pas.
[122] La Cour suprême dans l’affaire Lévis[15] précise qu’en l’absence d’une indication contraire du législateur, il ne convient pas à l’arbitre de limiter les circonstances particulières à certaines considérations. Puis, la Cour ajoute qu’il peut parfois être utile de faire des renvois aux circonstances atténuantes ou aggravantes dont il est question dans d’autres situations relevant du droit du travail tout en précisant qu’il faut par contre tenir compte des questions uniques que soulève la conduite criminelle des policiers[16].
[123] Or dans la présente affaire, il a été clairement établi que la plaignante tentait de justifier ses actions par son état d’esprit au moment des faits reprochés. C’est donc dans ce contexte que l’arbitre conclut que sans le bénéfice d’une preuve médicale à cet effet, les circonstances démontrent que Chantal Lacroix était en possession de toutes ses facultés intellectuelles bien que sa situation personnelle pouvait affecter son sens du jugement. La référence de l’arbitre à la décision rendue dans l’affaire Association des policières et policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec (Jean Landry)[17] étoffe son raisonnement sur la question et permet de le comprendre.
[124] Ainsi au regard de la preuve présentée devant l’arbitre, la plaignante n’a pas fait la démonstration d’une atteinte importante à sa capacité de comprendre la gravité et le sérieux de tous ses gestes, lesquels ont été posés dans le contexte d’une rupture amoureuse. La curiosité a poussé Chantal Lacroix à commettre une infraction criminelle sans que la preuve démontre son inaptitude à comprendre la portée de ses gestes.
[125] Il faut de plus ajouter qu’à la lecture de la décision de l’arbitre, il est permis de constater que celle-ci a apprécié toutes les circonstances favorables et défavorables à Chantal Lacroix avant de conclure au rejet des griefs. Contrairement à ce que soutient la Fraternité, elle n’a pas scindé la notion de circonstances particulières en parlant de circonstances atténuantes. Elle a considéré l’ensemble des éléments mis en preuve et contrairement à ce que lui reproche la Fraternité, elle a considéré non seulement les éléments défavorables à la plaignante mais également les éléments favorables à celle-ci dont le fait qu’elle ait admis spontanément les consultations des banques de données, qu’elle n’a tiré aucun avantage personnel des informations obtenues et qu’elle ne les a pas divulgué à des tiers.
[126] L’arbitre a également tenu compte du fait que Chantal Lacroix travaille au service de la Police depuis 20 ans, a un dossier disciplinaire et déontologique vierge et que son travail est apprécié de ses supérieurs. Elle a de plus obtenu une absolution inconditionnelle et a exprimé ses regrets.
[127] Tous ces éléments sont considérés par l’arbitre et selon elle, ils ne constituent pas des circonstances particulières susceptibles d’expliquer les gestes posés par la plaignante. C’est dans ce cadre d’analyse que ces éléments sont qualifiés de circonstances atténuantes et non pour imposer à la plaignante un fardeau plus lourd que celui exigé par l’arrêt Lévis[18].
[128] D’ailleurs dans l’arrêt Lévis[19], la Cour suprême écrit au paragraphe 73 de sa décision : « Il peut parfois être utile de faire des renvois aux circonstances atténuantes ou aggravantes dont il est question dans d’autres situations relevant du droit du travail, mais il faut tenir compte, à cet égard, des questions uniques que soulève la conduite criminelle des policiers».
[129] La Fraternité soutient également que l’arbitre a erré dans sa décision en omettant d’apprécier les répercussions de la conduite criminelle de la plaignante sur sa capacité d’exercer ses fonctions de policière.
[130] Selon l’affaire Lévis[20], la question de la confiance du public envers un policier est au cœur de l’analyse de l’arbitre et l’omission de la considérer constitue une erreur donnant ouverture à la révision de la sentence arbitrale.
[131] Dans cette affaire, la Cour mentionne que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable principalement parce qu’il n’a pas établi les liens nécessaires entre les facteurs examinés et le rôle particulier du policier.
[132] De plus, dans l’affaire Association des policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec[21], la Cour rappelle que l’arbitre doit soupeser les intérêts opposés d’un policier sujet à la destitution avec les intérêts du public de maintenir un lien de confiance envers le policier.
[133] Or dans la présente affaire, l’arbitre a considéré le sérieux de l’infraction commise par la policière et insiste dans sa décision que ce genre de conduite va à l’encontre de l’image exemplaire (…) nécessaire à l’exercice de la fonction de policière tel que l’indique l’arrêt Fraternité des policiers et policières de St Jean sur Richelieu Inc. et St Jean sur Richelieu (Ville de)[22].
[134] L’arbitre de grief prend donc en considération la gravité de l’infraction et l’impact du geste criminel posé par la policière dans l’analyse qu’elle fait des circonstances particulières de la L.P.
[135] Ainsi le Tribunal ne peut conclure en fonction des arguments de la Fraternité que la décision de l’arbitre est entachée d’une erreur importante permettant de conclure à la déraisonnabilité de celle-ci.
LE REFUS D’ADMETTRE UNE PREUVE PERTINENTE À L’ISSU DU LITIGE.
[136] La Fraternité soumet que l’arbitre commet une erreur déterminante lorsqu’elle refuse d’admettre ce qu’elle qualifie être une preuve hautement pertinente dans l’analyse de la question de la présence de circonstances particulières.
[137] La Fraternité fait ainsi référence à la sentence arbitrale interlocutoire du 10 janvier 2018, laquelle accueille l’objection patronale et prive la Fraternité de faire la preuve de la pratique qui prévalait au service de police de Gatineau au sujet des consultations du CRPQ à des fins personnelles. La Fraternité désire ainsi démontrer la tolérance de l’employeur à cet égard avant l’émission de la fiche éthique de juin 2014.
[138] Ainsi, elle reproche à l’arbitre d’avoir rendu une décision déraisonnable sans avoir entendu la preuve qu’elle désirait lui soumettre.
[139]
Pour la Fraternité, la tolérance de l’employeur ou
la culture d’une entreprise est fréquemment admise en preuve par les arbitres
en droit disciplinaire. Elle soutient que cette démonstration devait lui être permise
car il s’agit de facteurs pouvant favoriser la présence de circonstances
particulières au sens de l’article
[140] Or l’arbitre refuse d’admettre en preuve la pratique qui prévalait au SPVG au sujet des consultations du CRPQ à des fins personnelles par les policiers au motif qu’il n’existe aucune relation entre la présence de circonstances particulières et la preuve de faits similaires.
[141] Dans l’affaire Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec[23], la Cour d’appel reconnait que la fréquence des poursuites n’est pas un facteur pertinent dont l’arbitre doit tenir compte dans son évaluation de l’existence de circonstances particulières. La décision de poursuivre ou non un policier au criminel appartient aux instances du système de justice pénale.
[142] D’ailleurs il découle de cet arrêt que la destitution imposée à un policier en vertu de l’article 119 (2) L.P ne permet pas à l’arbitre de prendre en considération les raisons pour lesquelles seule l’infraction de ce policier aurait fait l’objet de procédures pénales.
[143] La décision de l’arbitre de refuser une preuve de faits extrinsèques non pertinents afin de déterminer la justesse de la mesure imposée à la plaignante ne constitue pas une erreur permettant de conclure à la déraisonnabilité de la décision.
LA DÉCISION DE LA DÉFENDERESSE NE COMPORTE PAS LE CRITÈRE D’INTELLIGIBILITÉ REQUIS LORSQU’ELLE S’ÉCARTE SANS MOTIF DE LA DÉCISION RENDUE PAR LE COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE.
[144] La Fraternité plaide que la décision de l’arbitre comporte des contradictions flagrantes avec la décision rendue par le Comité de déontologie policière le 21 février 2019 relativement à la conduite de la plaignante.
[145]
La Fraternité explique que le Comité de déontologie
policière devait également se prononcer sur le comportement de la plaignante et
déterminer la sanction appropriée dans les circonstances conformément aux
dispositions de l’article
[146] Dans sa décision, le Comité de déontologie policière après avoir considéré les mêmes faits que ceux mis en preuve devant l’arbitre écarte la sanction de destitution et impose à la policière une suspension de 180 jours pour les 6 consultations illégales au CRPQ.
[147] La Fraternité soumet donc que la Cour d’appel dans l’arrêt Solomon c. Québec (Procureur général)[24] enseigne que le Tribunal d’arbitrage doit prendre acte de la décision du Comité de déontologie policière et la considérer dans sa propre décision, ce que l’arbitre omet de faire.
[148] Cet arrêt se réfère aux décisions dans Ali[25] et Ascenseurs Thyssen Montenay Inc.[26] lesquelles reconnaissent l’importance pour la saine administration de la justice d’éviter les contradictions flagrantes entre jugements, fussent-ils le fruit de deux processus judiciaires distincts.
[149] De l’avis de la Cour d’appel, la controverse concernant la thèse de la recevabilité en preuve de deux arrêts rendus par deux instances judiciaires est réglée.
[150] Ainsi selon la Fraternité, l’arbitre devait tenir compte des conclusions de la décision du Comité de déontologie policière dans le cadre de sa propre décision.
[151] Or dans la présente affaire l’arbitre accepte le dépôt en preuve de la décision du Comité de déontologie policière laquelle intervient pendant le délibéré de l’arbitre.
[152]
Le Tribunal d’arbitrage reconnait donc l’importance
de prendre en considération la décision rendue par le Comité de déontologie policière
lequel constitue un fait juridique que l’arbitre ne peut ignorer. Elle respecte
ainsi son obligation édictée à l’article
[153] Par contre l’arbitre ne peut perdre sa compétence pour trancher le litige devant elle au bénéfice du Comité de déontologie policière au nom du principe de la stabilité des décisions des Tribunaux judiciaires et administratifs.
[154] L’arbitre saisi d’un grief relatif à l’application de l’article 119 L.P n’est pas lié par la décision du Comité de déontologie. La Loi sur la police prévoit aux articles 119 et 230 deux processus distincts et concurrents visant à analyser la conduite d’un policier trouvé coupable d’une infraction criminelle sans prévoir que l’un d’eux a préséance sur l’autre.
[155] Dans les arrêts Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles)[27] et Telus Communication Inc. c. Syndicat québécois des employées et employés de Telus, section locale 504 du SCFP[28] , il est établi qu’un décideur administratif n’est assujetti à aucune règle de Stare decisis.
[156] Ainsi selon ces arrêts, même en vertu du principe de la cohérence décisionnelle, la décision du Comité de déontologie policière n’est pas opposable à l’arbitre car les pouvoirs accordés à l’un et l’autre des décideurs sont divergents.
[157] Le Tribunal est d’opinion que l’argument de la Fraternité ne permet pas de conclure à la déraisonnabilité de la décision de l’arbitre.
LA RAISONNABILITÉ DE LA DÉCISION DE L’ARBITRE DU 2 JUILLET 2019
[158] Le Tribunal est d’opinion que la décision du Tribunal d’arbitrage rendue dans la présente affaire le 2 juillet 2019 se qualifie de raisonnable. Le raisonnement de l’arbitre est cohérent, rationnel, compréhensible et ne comporte pas d’erreurs importantes.
[159] L’arbitre a su apprécier tous les faits mis en preuve devant elle, ce qui n’est pas contesté, et en raison de la loi et de la jurisprudence, la décision se justifie en fonction des contraintes juridiques et factuelles du dossier.
[160]
La lecture de la décision permet de constater la
cohérence du raisonnement de l’arbitre laquelle considère tous les facteurs
aggravant et atténuant de la situation de la plaignante pour conclure qu’il
n’existe pas de circonstances particulières justifiant une autre sanction que
celle prévue à l’article
[161] Les conclusions auxquelles le décideur arrive découlent de son analyse du dossier et la décision se justifie en fonction de tous les éléments et paramètres édictés dans l’arrêt Vavilov[29].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[162] REJETTE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire ;
[163] LE TOUT AVEC FRAIS DE JUSTICE.
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_______________________ PIERRE ISABELLE, J.C.S. |
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Me Danny Venditti
Avocate de la partie demanderesse
Me Suzanne Moreau
Défenderesse
Me Sylvain Lefebvre
Avocat de la mise en cause (Ville de Gatineau)
[1]
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov,
[2] RLRQc.P-13.1
[3] 2010, QCCA, 2053
[4]
[5] Idem note 4
[6]
[7] Idem note 3
[8] Idem note 1
[9] RLRQcC - 27
[10] Idem note 1
[11] Idem note 1, par. 101
[12] Idem note 1
[13] Idem note 4
[14] Idem note 3
[15] Idem note 4
[16] Par. 73 de cette décision
[17] Idem note 6
[18] Idem note 4
[19] Idem note 4
[20] Idem note 4
[21] Idem note 3
[22]
[23] Idem note 3
[24]
[25] Hamza Abdoula Ali et al. c. Compagnie d’assurance Guardien du Canada et al. 1999, RRA 427 (CA)
[26]
Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot, C.A.,
[27]
[28] 2012 QCCA 1453
[29] Idem note 1
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.