Décision

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Nguene Nguene c. R.

2023 QCCA 943

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007676-214, 500-10-007677-212

(500-01-195011-199) (500-01-195015-190)

 

DATE :

 17 juillet 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

 : 500-10-007676-214 (500-01-195011-199, Séq. 002)

 

PHILIPPE HENRI NGUENE NGUENE

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ poursuivant

 

 

 : 500-10-007677-212 (500-01-195011-199, Séq. 003) (500-01-195015-190)

 

LENTZ LOWRY LAPAIX

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Les appelants se pourvoient contre un jugement de la juge Nathalie Duchesneau de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Montréal qui, le 15 septembre 2021, les déclare coupables d’un total de neuf chefs de voies de fait simples, de voies de fait causant des lésions corporelles et de voies de fait graves à l’égard de six victimes et, dans le cas de Lapaix de deux chefs additionnels liés à la possession d’une arme à feu prohibée chargée sans être titulaire de la documentation nécessaire et de possession de l’arme en contravention à une ordonnance d’interdiction d’en posséder.

[2]                Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrivent les juges Healy et Baudoin, LA COUR :

[3]                REJETTE les appels.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

Me Camille Chabot

Pour Philippe Henri Nguene Nguene

 

Me Fanie Lacroix

Pour Lentz Lowry Lapaix

 

Me Jean-Philippe MacKay

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour Sa Majesté le Roi

 

Date d’audience :

30 mars 2023


 

 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

 

[4]                Les appelants se pourvoient contre un jugement qui les déclare coupables de dix chefs de voies de fait simples, de voies de fait causant des lésions corporelles et de voies de fait graves, infractions perpétrées à l’égard de six victimes : R. c. Nguene Nguene, 2021 QCCQ 8605.

[5]                Les appelants soulèvent conjointement plusieurs moyens d’appel. Lapaix se pourvoit aussi contre la décision qui rejette sa requête en exclusion de preuve concernant une arme trouvée lors d’une perquisition. Selon lui, ses droits constitutionnels ont été violés puisque les policiers ont suspendu l’exercice de son doit à l’assistance d’un avocat alors qu’il était en état d’arrestation : R. c. Lapaix, 2021 QCCQ 8604.

Remarques liminaires

[6]                La preuve devant la juge d’instance consistait en des témoignages, bien entendu, mais aussi en des images des événements, captées par des caméras de surveillance. On y verrait la plupart des agressions, les circonstances entourant les autres, ainsi que le niveau d’agressivité des appelants avant et pendant celles-ci.

[7]                Ces images n’ont pas été produites dans les dossiers d’appel. Les appelants maintiennent que leurs moyens d’appel peuvent être évalués uniquement à partir des témoignages. Je suis d’accord avec l’intimé : il faut comprendre que les appelants ne remettent pas — et ne peuvent pas remettre en cause — les constats de la juge qui découlent de la preuve vidéo.

[8]                Par conséquent, conformément à la jurisprudence,, la Cour doit accepter les conclusions de faits tirées de ces images dans le présent arrêt: R. c. Parent, 2021 QCCA 1898, par. 18; R. c. Subramanian, 2019 QCCA 1744, par. 10; R. c. Gagné, 2017 QCCA 788, par. 2.

Résumé des constats de la juge et des griefs d’appel

[9]                La soirée du 9 août 2019 a marqué la vie de six personnes qui ont croisé le chemin des appelants, et de leur ami Radjouh, dans les rues de Montréal. Au départ, le coaccusé Radjouh a plaidé coupable pour son implication dans trois voies de fait, dont les voies de fait graves commises contre Stéphane Voisine.

[10]           Il est admis que, sur les vidéos, Nguene Nguene porte un chandail mauve. Lapaix porte d’abord un chandail de couleur marine de marque Puma, puis par la suite un chandail blanc. Enfin, Radjouh témoignera au procès et s’identifiera lui-même. Il est d’origine arabe et n’est pas de race noire, comme le sont Nguene Nguene et Lapaix.

[11]           À la sortie d’un bar du boulevard Saint-Laurent, non loin de la rue Milton, Olivier Lopez Poggio est la première victime. Il se fait violemment frapper par les appelants. L’image des vidéos étant, selon la juge, « claire, nette et sans équivoque », elle décrit que Lopez Poggio « s'écroule sur le sol comme “une poupée de chiffon”, en ne faisant aucun geste pour retenir sa chute mais que, une fois par terre, il reçoit, sans aucune riposte ou aucun geste de défense, des coups de la part des deux accusés ».

[12]           Le policier Totera qui arrive sur la scène constate notamment une lacération de trois pouces « creusée » au front. Lorsqu’il est rencontré une vingtaine de jours plus tard par le policier Guimond, ce dernier témoigne de la cicatrice sur le front de la victime.

[13]           En appel, la qualification des blessures est contestée, il s’agirait de lésions corporelles et non de blessures graves.

[14]           À ce moment, les appelants et Radjouh poursuivent leur chemin pour aller prendre une bouchée. Arrivé à la hauteur d’un restaurant où Fabrice Jean est attablé avec deux amies, Naomy Bobe et Dalyana Joseph, Nguene Nguene se croit nargué par Jean. Nguene Ngeune lui demande pourquoi il rit et un échange animé s’ensuit. Lapaix les rejoint. Tout se déroule vite.

[15]           La témoin Bobe affirme que Nguene Nguene frappe le nez de Jean d’un coup de poing, provoquant un saignement. La juge note que la preuve vidéo permet de distinguer un geste de Nguene Nguene « avant même qu'il ne parte à courir après les filles, faire le premier un mouvement pouvant s'apparenter à un coup et s'élancer en direction de Fabrice Bernard Jean ». Nguene Nguene nie avoir frappé Jean.

[16]           Lapaix, de son côté, admet avoir donné un coup au visage de Jean, une voie de fait simple, car il prétend que ce coup n’a pu causer la blessure. Enfin, les appelants contestent la qualification des blessures, qui ne seraient pas des lésions corporelles au sens du Code criminel. La juge détermine que Jean « a subi diverses blessures dont une bosse sur la tête, un bleu à l'œil et un saignement de nez. Celles-ci n'étant pas de nature passagère, correspondent, par conséquent, à la définition de “lésions corporelles” ».

[17]           Pendant cet épisode, Bobe et Joseph insultent abondamment Nguene Nguene. Comme l’a mentionné la juge, il s’en prend à elles. Il commet d’abord des voies de fait sur Joseph en lui donnant une claque, puis il court derrière Bobe pour la rattraper et lui donne un coup au visage qui lui causera une enflure à la lèvre et au visage en plus d’un œil rouge pendant quelques jours. C’est pendant cette séquence que Voisine sort d’un commerce, accompagné de sa conjointe Audrey Bancel Guénette. Voyant la scène, Voisine décide de s’interposer.

[18]           Voisine maîtrise Nguene Nguene en lui rappelant qu’il est inapproprié de s’attaquer aux femmes. Il a le dessus sur Nguene Nguene jusqu’à l’arrivée de Lapaix et Radjouh, appelés en renfort par leur ami.

[19]           De son côté, Guénette reçoit un coup d’un homme blanc. Elle l’identifie ensuite comme un participant à l’attaque sur la victime Voisine dans les moments qui ont suivi.

[20]           Au procès, en défense, on prétendait qu’il y avait un quatrième agresseur. La juge conclut que l’homme blanc est Radjouh, alors que les deux autres sont de race noire. Cette conclusion fait l’objet d’un moyen d’appel.

[21]           Ainsi, on comprend que Lapaix et Radjouh rejoignent Nguene Nguene et la situation se retourne contre Voisine qui se fait battre très violemment. Guénette et Bobe décrivent la scène. Alors qu’il est inconscient et au sol, les trois lui assènent des coups de pied avec force, au tronc et à la tête, comme on le ferait avec un ballon. L’attaque prend fin lorsque Radjouh crie à ses amis de quitter les lieux. Voisine passera quatre mois à l’hôpital, dont 40 jours dans le coma.

[22]           À la recherche du trio, l’enquête policière progresse. Le 5 septembre 2019, les policiers s’apprêtent à perquisitionner l’appartement où habite Lapaix, sur Terrasse Major à Saint-Hubert. À ce moment, ces derniers ont également de l’information selon laquelle Nguene Nguene y était dans les jours précédents, mais les policiers n’avaient autrement aucune adresse pour retrouver ce dernier. Simultanément, les policiers envisagent une perquisition au domicile de Radjouh et son arrestation.

[23]           Le matin de la perquisition, alors que les policiers pénètrent dans le domicile de Lapaix sur Terrasse Major, et par ce qui semble être un pur hasard, ce dernier est aperçu dans un véhicule, accompagné de son frère, alors que, manifestement, le véhicule s’approchait de l’immeuble. Les policiers le pourchassent et arrêtent Lapaix, son frère ayant pris la fuite à pied. Il est 9 h 23. On lui donne ses droits constitutionnels, mais conformément à la stratégie arrêtée avant l’opération, les policiers en suspendent l’exercice jusqu’à ce que les lieux soient sécurisés et qu’on confirme l’absence de Nguene Nguene ou d’indices permettant de déterminer où il pourrait se trouver.

[24]           L’arrestation est relativement concomitante avec l’entrée des policiers dans l’immeuble. Lapaix arrive au poste de police à 10 h 15. La juge retient que la suspension des droits de Lapaix était une préoccupation constante pour les policiers qui l’ont finalement levée à 12 h 50, au moment où ils ont su qu’ils ne trouveraient pas d’indices sur Nguene Nguene.

[25]           Enfin, Radjouh a témoigné au procès de ses amis. Aux questions de son avocat, il explique avoir plaidé coupable et avoir purgé sa peine. Il a semblé remettre en cause son propre plaidoyer, blâmant notamment l’incompétence de son avocat. Des commentaires sur ce plaidoyer reviendront dans la décision de la juge et font aussi l’objet d’un moyen d’appel.

Analyse

[26]           Comme il a été mentionné, les deux appelants partagent les mêmes motifs d’appel et Lapaix en soulève deux autres, ayant trait au respect de son droit à l’assistance à un avocat et à la preuve de possession de l’arme trouvée lors de la perquisition.

[27]           Il faut souligner que les appelants soulèvent certains moyens en puisant, en définitive, dans l’ambiguïté créée par certains passages du jugement qui souffre, à certains égards, d’une rédaction maladroite. Ceci est concédé par l’intimé qui invite la Cour à y voir des imprécisions inoffensives. J’y reviendrai au moment de traiter des moyens.

Les moyens d’appel communs

La juge de première instance a-t-elle erré en droit en utilisant le plaidoyer de culpabilité d’un coaccusé dans son analyse de la culpabilité de l’appelant?

[28]           Par ce moyen d’appel, les appelants reprochent au juge d’avoir mentionné le plaidoyer de culpabilité de Radjouh. Les appelants prétendent que les principes de l’arrêt R. c. Youvarajah, [2013] 2 R.C.S. 720 doivent recevoir application. Selon cet arrêt, on ne peut opposer aux accusés les faits sous-jacents au plaidoyer de culpabilité de Radjouh puisqu’il niait certains de ces faits, à moins que cette preuve ne satisfasse les critères de nécessité et de fiabilité qui sous-tendent l’exception de l’approche raisonnée au ouï-dire.

[29]           Au procès, à la demande de l’avocat de Nguene Nguene, Radjouh a confirmé avoir plaidé coupable à des voies de fait contre les victimes Voisine, Guénette et Jean. Il s’identifie sur les images et explique qu’il donne des coups. Contre-interrogé, Radjouh a nié avoir compris qu’il avait plaidé coupable à des voies de fait contre la victime Guénette, puisque jamais il n’aurait frappé une fille, cela étant contre ses valeurs. S’ensuit l’écoute des faits relatés devant le juge qui avait reçu son plaidoyer pour confronter le témoin.

[30]           Or, Guénette identifie la personne lui ayant donné un coup comme étant la même, « l'homme blanc » qui frappe Voisine peu après.

[31]           L’intimé a raison. Il est clair que la juge utilise le plaidoyer de culpabilité de Radjouh pour évaluer sa crédibilité à titre de déclaration antérieure incompatible lors de son contre-interrogatoire et jamais comme preuve de la véracité de son contenu. Elle le fait d’abord pour évaluer la crédibilité du témoin lui-même, puis le mentionne de nouveau lorsqu’elle évalue globalement la preuve de la défense et, enfin, pour conclure que Radjouh est bien celui qui frappe Voisine, ce que le témoin a toujours reconnu. En effet, Radjouh a témoigné et la juge pouvait utiliser ces faits dans l’évaluation des circonstances, incluant l’analyse des scènes vidéo pour en arriver à ses déterminations factuelles.

[32]           Les références aux plaidoyers de culpabilité n’étaient donc pas une erreur. La juge rejette la thèse qui soutenait qu’il y avait une quatrième personne impliquée. Il n’y a aucune erreur de la part de la juge qui ajoute que « “l’homme blanc" dont il est ici question, soit celui qui a frappé Stéphane Voisine et qui, par ailleurs, quitte les lieux avec les deux hommes noirs, élément d’ailleurs confirmé par les images vidéo, correspond bel et bien à Aymen Radjouh. »

[33]           Ce moyen doit être rejeté.

La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son utilisation de la conduite post-délictuelle?

[34]           L’appelant Nguene Nguene pointe le paragraphe 208 du jugement où la juge écrit :

[208] En tout dernier lieu, mentionnons, à titre de comportement post délictuel, que même après l’attaque envers Olivier Lopez Poggio, il est possible de remarquer, sur les différentes images, l’accusé Nguene Nguene avec un nouveau chandail autour du cou tentant de dissimuler le sien, rôdant autour du lieu de l’agression, tout comme d’ailleurs l’accusé Lapaix et Aymen Radjouh.

[35]           L’appelant prétend que la juge a utilisé une conduite post-délictuelle dans l’évaluation de sa culpabilité.

[36]           Ce passage est difficile à comprendre, notamment parce que le ministère public n’avait rien plaidé de la sorte et que l’affirmation survient à la toute fin de la motivation pertinente, alors que la conclusion de la juge est autrement bien fondée sur la preuve. Ce passage semble inutile et donc, même s’il s’agissait d’une erreur, elle serait sans conséquence.

[37]           De son côté, Lapaix souligne les paragraphes 60 et 208 du jugement. Au procès, l’appelant dit qu’il avançait que « la thèse de l’appelant est à l’effet qu’il aidait plutôt son coaccusé [Nguene Nguene] à sortir de la bataille. »

[38]           Le paragraphe 60 ferme un segment du jugement sur l’analyse du témoignage de Guénette. L’appelant y faisant référence, il est utile de reproduire également le paragraphe 59. La juge écrit :

[59] Contre-interrogée au sujet du déroulement de l’attaque, Audrey Bancel Guénette est affirmative : certains de ses souvenirs sont très clairs, d’autres moins, mais elle a bel et bien vu des gestes violents envers Stéphane Voisine donnés par trois personnes.

[60] Par ailleurs, lors de l'arrestation de l'accusé Lapaix, le 5 septembre 2019, des items sont saisis sur sa personne ainsi qu'à son domicile suite à la perquisition s'y étant déroulée, soit une arme à feu prohibée chargée faisant d'ailleurs l'objet du chef d'accusation n° 9 dans le dossier 500-01-195011-199 ainsi que le chef d'accusation du dossier 500-01-195015-190.

 [Soulignements ajoutés]

[39]           L’avocate de l’appelant, habilement, fait un lien entre les paragraphes 59 et 60. La juge ayant d’abord écrit que la témoin Guénette « a bel et bien vu des gestes violents envers Stéphane Voisine donnés par trois personnes », elle suggère par conséquent que le paragraphe 60 témoigne d’un raisonnement fondé sur une propension à la violence. Alternativement, elle plaide que la juge a erré en voyant un comportement postérieur à l’infraction dans le fait de rôder.

[40]           J’admets qu’il est très difficile de comprendre la pertinence du paragraphe 60 qui a peu de sens dans le contexte où il se trouve. Selon l’intimé, le paragraphe serait un « copier-coller égaré », une explication qui trouve appui en raison d’une rédaction malhabile. Cela n’est pas très convaincant.

[41]           Il faut rappeler que « les raisons invoquées par le juge du procès au soutien de sa décision sont présumées refléter le raisonnement l’ayant conduit à cette décision » : R. c. G.G., 2021 QCCA 1835, par. 52-53, citant notamment R. c. Teskey, 2007 CSC 25, [2007] 2 R.C.S. 267, par. 19. Les motifs doivent être lus pour ce qu’ils disent.

[42]           Toutefois, si le paragraphe est en soi intelligible, il est impossible de comprendre comment il est utilisé. Si, comme le propose l'appelant Lapaix, la juge a utilisé ces faits comme une preuve de propension à la violence, il s’agit d’une erreur. Il est probable que ce soit le cas.

[43]           Toutefois, l’erreur est sans conséquence puisque la juge bénéficie d’une preuve vidéo des gestes posés et qui démontre que l’appelant Lapaix était violent, le soir même, à l’égard d’au moins deux victimes, Jean et Voisine. La violence de l’appelant le soir en question, au moment des diverses attaques, est donc établie par une preuve admissible.

[44]           Par ailleurs, déterminer si le fait de rôder est un comportement postérieur à l’infraction au sens de la jurisprudence, dépend essentiellement des circonstances. Aucun comportement n’est présumé l’être : R. c. Calnen, [2019] 1 R.C.S. 301. Le comportement postérieur à l’infraction est un élément de preuve circonstancielle qui est parfois bien accessoire : R. c. White, [2011] 1 R.C.S. 433, par. 22. En l’espèce, cet élément paraît totalement inoffensif et les appelants échouent à démontrer le contraire.

[45]           Les erreurs sont inoffensives et le moyen doit être rejeté.

La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans sa qualification de la gravité des voies de fait commises à l’égard de Olivier Lopez Poggio?

[46]           Les appelants prétendent que, pour être qualifiées de voies de fait graves, la vie de la personne doit avoir été, du moins durant un instant, en danger.

[47]           À l’audience, les appelants acceptent que la défiguration du visage puisse être une voie de fait grave, mais ils sont d’avis qu’elle doit avoir un caractère plus permanent. Ils ne contestent pas, par ailleurs, que la vie d’une personne est en danger lorsqu’il y a une perte de conscience , mais ils expriment l’opinion que la preuve était insuffisante pour déterminer qu’il y avait effectivement eu perte de conscience.

[48]           Les appelants citent l’arrêt R. c. Ramcharan, 2013 MBCA 89, à l’appui de leur proposition. La Cour d’appel du Manitoba y reprend les principes qu’elle avait expliqués dans son arrêt précédent, R. v. de Freitas, 1999 CanLII 14071, qui lui-même appliquait la décision de la Cour supérieure de l’Ontario dans R. v. Melaragni (1992), 75 C.C.C. (3d) 546. On y discute qu’une voie de fait peut mettre en danger la vie sans créer de lésion. En outre, la thèse des voies de fait graves dans l’arrêt Ramcharan était fondée sur des gestes qui avaient mis la vie de la victime en danger sans causer de blessures (« pushing her over the railing of the balcony while she was 14 storeys above the ground, and when he stuffed the sock in her mouth to the point that she could not breathe and, therefore, lost consciousness. »). Toutefois, rien dans ces affaires ne suggère que la vie doive toujours être en danger pour constituer des voies de fait graves.

[49]           Quant à la nature de la blessure, je conviens que le législateur a adopté une hiérarchie de blessures pour distinguer le geste illégal qui cause des lésions corporelles de celui qui blesse, mutile, défigure ou met en danger la vie.

[50]           Selon la juge, les images sont claires et nettes et l’amènent à conclure que la victime a perdu conscience lorsqu’elle tombe sans retenue au sol. Il s’agit manifestement d’une perte de conscience. Mais il y a plus; les blessures constatées par la suite constituent aussi des voies de faits graves au sens de la jurisprudence.

[51]           À ce sujet, on lira l’intéressante revue de la jurisprudence sur la définition de « blessure » dans R. c. Pootlass, 2019 BCCA 96, par. 27-113. Au paragraphe 115, la Cour conclut que « a break in the continuity of the whole skin that constitutes a substantial interference with the physical integrity or well-being of the complainant » et, au paragraphe 116, que « [a] cut that requires five stitches or staples is a substantial interference with someone’s physical integrity. The trial judge’s mistaken reliance on a requirement that the injury be permanent or long lasting is the only thing that prevented him from convicting Mr. Pootlass of aggravated assault. » Il y a aussi des remarques pertinentes faites par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. McPhee, 2018 ONCA 1016, au sujet de la mutilation où, au paragraphe 41, la Cour écrit que « permanence is not always required also makes sense, given modern medicine’s increasing ability to correct or repair what were once thought to be permanent injuries. » Cela rejoint la réflexion dans l’arrêt Pootlass, lorsque la blessure est sérieuse.

[52]           Bref, les blessures subies par Poggio, comme en témoignent les policiers Totera et Guimond, se qualifient de voies de fait graves.

[53]           Ce moyen doit être rejeté.

La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son application de la notion de participation, relativement à l’infraction de voies de fait à l’égard de Fabrice Jean?

[54]           La preuve directe et acceptée par la juge établit que Bobe identifie la personne avec un chandail mauve qui donne un coup au visage de Jean, provoquant un saignement du nez. Il est admis que la personne qui portait le chandail mauve est Nguene Nguene.

[55]           Ce témoignage est, selon la juge, supporté par les images vidéo correspondant à cette scène où il est possible de « distinguer l'accusé Nguene Nguene, avant même qu'il ne parte à courir après les filles, faire le premier un mouvement pouvant s'apparenter à un coup et s'élancer en direction de Fabrice Bernard Jean, marquant ainsi le début de l'échauffourée ».

[56]           Quant à Lapaix, il admet avoir donné un coup au visage de Jean, mais ne croit pas que ce coup puisse avoir causé les lésions. Or, le coup est parfaitement compatible avec les blessures causées.

[57]           La juge ajoute, et l’on ne sait trop pourquoi, qu’il y aurait une aventure commune, comme le concède l’intimé. Ces remarques, un peu confuses, ne changent rien.

[58]           L’erreur est inoffensive et le moyen doit être rejeté.

La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son application de la notion de participation, relativement à l’infraction de voies de fait à l’égard de Voisine?

[59]           Encore une fois, l’appelant plaide la mauvaise application de la notion de participation criminelle.

[60]           Je suis d’avis que la juge fonde son verdict sur une preuve d’identification de l’auteur réel du crime et non d’un participant au sens du Code criminel. Elle conclut que les images montrent clairement Lapaix donner des coups à la victime étendue au sol. La juge réfère ensuite au témoignage de Bobe qui décrit les coups donnés par la personne avec le chandail mauve. Cette personne est Nguene Nguene. Selon la juge, les autres témoignages, appréciés à la lumière des images vidéo, ne laissent aucun doute sur les agresseurs, qui incluent Nguene Nguene et Lapaix.

[61]           Ce moyen doit être rejeté.

Les moyens d’appel de Lapaix

La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son analyse du droit à l’avocat et son application du lien temporel dans une telle requête?

[62]           On se souvient que les policiers avaient suspendu, lors de l’arrestation de Lapaix, l’exercice de son droit à l’avocat. Lapaix plaidait que cela était contraire à son droit constitutionnel et que l’arme trouvée lors de la fouille devait être exclue en application du paragraphe 24(2) de la Charte.

[63]           La juge conclut à l’absence de violation du droit à l’assistance d’un avocat et, l’eut-elle reconnu qu’elle n’aurait pas exclu la preuve étant d’avis que le « lien de connexité suffisamment étroit entre ladite violation du droit à l’assistance d’un avocat et la preuve matérielle recueillie permettant de satisfaire à la règle “obtained in a manner requirement” » : R. c. Lapaix, 2021 QCCQ 8604, par. 60.

[64]           Avant de poursuivre, il est essentiel d’expliquer le droit en lien avec les questions soulevées. D’abord, la démonstration que le droit à l’assistance d’un avocat à la suite d’une arrestation est un droit absolument fondamental n'est plus à faire : R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 39-40.

[65]           Les policiers ne peuvent pas suspendre le droit à l’avocat simplement pour se faciliter le travail : R. c. Simon, 2022 QCCA 634. À l’évidence, un individu en état d’arrestation est entièrement sous le contrôle des policiers. Le risque de l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat est que ce contact avec l’extérieur compromette l’opération policière.

[66]           Le juge Wagner, alors juge à notre Cour, reconnaît dans l’arrêt Archambault, comme l’écrit la juge d’instance, qu’il « est maintenant acquis que la suspension du droit à l'avocat sera justifiée en présence de circonstances exceptionnelles : si la sécurité des policiers ou celle du public est menacée, s'il existe un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu'une autre opération policière en cours puisse être compromise » : R. c. Archambault, 2012 QCCA 20, par. 36; R. c. Lapaix, 2021 QCCQ 8604, par. 38.

[67]           Dans l’arrêt Archambault, l’enquête policière établissait que ce dernier était en contact régulier avec un criminel violent appartenant à un gang de rue. Les policiers étaient en observation d’un entrepôt où Archambault et un dénommé Scallon s’affairaient à la fabrication d’armes illégales. Ayant entrepris les démarches pour obtenir un mandat de perquisition, les policiers avaient constaté alors que les deux individus s’apprêtaient à quitter les lieux et, craignant qu’ils transportent avec eux des armes, ils avaient décidé de procéder à leur arrestation. Les individus ont été informés que l’exercice de leur droit constitutionnel était suspendu jusqu’à l’obtention du mandat de perquisition et, dans l’attente, ils ont été laissés, menottés, dans les véhicules de police.

[68]           Sept perquisitions avaient finalement eu lieu dans autant d’endroits. Dans cette affaire, les policiers invoquaient « [l’]urgence de préserver des éléments de preuve et que l'exercice du droit à l'avocat risquait de compromettre l'enquête policière en cours. » : Archambault, précité, par. 30.

[69]           Les policiers avaient justifié la suspension en avançant deux raisons liées, soit qu’il y avait plusieurs perquisitions à réaliser après les arrestations et que, si une communication avec l’avocat était autorisée, le détenu pouvait lui demander, pour des motifs en apparence légitimes, de communiquer avec un tiers comme son père, sa mère ou sa copine. L’avocat, en toute bonne foi, mettrait ainsi en péril l’opération policière et la preuve à être saisie : Archambault, précité, par. 40.

[70]           Ces justifications ont été rejetées, car sans fondement : Archambault, par. 37. Plus particulièrement, le juge Wagner rejette l’idée que le contact avec un officier de justice, sans plus, pose un risque réaliste de compromettre une opération policière. Il écrit : « Je ne peux me résoudre à accepter que l'exercice du recours à la consultation d'un avocat puisse générer dans l'esprit des enquêteurs une crainte suffisante qui peut, à elle seule, justifier la suspension de cet important droit constitutionnel » : Archambault, précité, par. 42.

[71]           L’arrêt R. c. Keshavarz 2022 ONCA 312 offre un exemple similaire. Dans cette affaire, mais ce n’était pas l’unique facteur, la Cour d’appel de l’Ontario a accepté le témoignage du policier qui avait expliqué que « while he had no concern about counsel impropriety should the appellant and Mr. Ghousy have been permitted to speak with counsel, in his experience, things as simple as counsel contacting potential sureties or family members could “inadvertently cause [the] loss of evidence”. In this case, he was concerned that the “loss of evidence” meant the loss of firearms, something that was directly linked to his concerns over police and public safety.»

[72]           Pour bien comprendre la décision Keshavarz, il faut rappeler que l’enquête visait un réseau de trafic d’armes, impliquant de nombreuses personnes. L’arrestation n’avait pas été planifiée, mais avait eu lieu puisque, lors d’une surveillance policière, des motifs permettaient de croire que l’appelant et un complice, celui qui était sous surveillance, avaient des armes en leur possession. À la fois l’urgence d’agir, vu le réseau de trafic d’armes et la gravité de la situation pour la sécurité du public en général, et le danger que les autres armes disparaissent justifiaient la suspension de l’exercice du droit à l’avocat.

[73]           En l’espèce, la juge d’instance conclut que les explications des policiers autorisaient la suspension du droit à l’avocat de Lapaix. Le policier Guimond avait expliqué les circonstances. Dans les jours précédant la perquisition, Nguene Nguene avait été vu chez Lapaix. Les deux individus avaient des antécédents de violence et étaient suspects dans une fusillade survenue au mois de juillet précédent sur le boulevard Saint-Laurent, ce qui faisait craindre pour la sécurité des policiers lors de l’opération. Aucun lien n'est fait entre cette crainte et la suspension du droit à l’avocat qui survient nécessairement après l’arrestation et donc après le contrôle des individus. De plus, il n’y avait aucune raison de croire, malgré l’utilisation d’armes dans un passé récent, que des armes pouvaient circuler à la suite de l’arrestation de Lapaix.

[74]           Le témoin explique aussi que les policiers n’avaient pas autrement d’adresse pour Nguene Nguene. Dans ce contexte, l’exercice du droit « permettrait à un individu d'avertir une autre personne non localisée par exemple, d'éliminer une preuve qui pourrait être importante pour nous ». Il ajoute que « le droit à l'avocat a été suspendu pour monsieur Lapaix lors de la perquisition parce qu'on n'avait pas encore localisé monsieur Nguene Nguene et la perquisition aurait pu nous permettre de trouver des éléments permettant de le localiser et pour ensuite procéder à son arrestation et aussi aller recueillir d'autres éléments de preuve. Comme on a saisi du vestimentaire pour monsieur Rajoo [sic], monsieur Lapaix, s'il se fait avertir à l'avance, il peut détruire en fait des éléments de preuve. » Le policier admet qu’il n’avait aucune information spécifique qui lui permettait de croire que l’avocat aurait agi de la sorte.

[75]           Il faut également tenir compte de l’explication du policier selon laquelle l’arrestation du complice Radjouh a été effectuée, simultanément, à son domicile, alors que sa mère était présente.

[76]           Ainsi, en définitive, l’étanchéité de l’opération était déjà directement compromise par le fait que deux personnes proches des interpellés en avaient été témoins : la mère de Radjouh et le frère de Lapaix, un individu criminalisé qui habitait les lieux perquisitionnés.

[77]           À mon avis, l’arrêt Archambault de notre Cour n’autorisait pas la suspension de l’exercice du droit à l’avocat dans ces circonstances. Ici, les policiers ont rapidement réalisé, dès le début de l’opération, que les faits pouvant justifier la suspension, n’existaient pas : l’absence des occupants, la sécurisation des lieux par le groupe d’intervention tactique, la fuite du frère Lapaix et l’arrestation de Radjouh chez lui devant sa mère.

[78]           Il arrivera sans doute des cas où les policiers auront des motifs de vouloir réduire un risque concret que l’information au sujet d’une opération policière se répande, mais chaque décision de suspendre l’exercice du droit à l’avocat devant être évaluée au « cas par cas », il faut constater que le reliquat de ce risque ne faisait pas le poids pour justifier cette suspension en l’espèce.

[79]           La suspension était par ailleurs réévaluée au fur et à mesure de l’avancement de la fouille. Celle-ci, commencée vers 9 h 30, n’était pas terminée à 12 h 50 lorsque les policiers y mettent fin et autorisent Lapaix à communiquer avec un avocat.

[80]           Or, Lapaix avait été arrêté et informé de ses droits à 9 h 23 et il était arrivé au Centre opérationnel à 10 h 15, un délai qui ne semble pas remis en cause. Ainsi, pendant quelque 2 heures et 35 minutes, il n’a pu exercer son droit.

[81]           En revanche, même si la juge le fait de manière subsidiaire et que sa décision n’a alors droit à aucune déférence, je partage sa conclusion que le lien entre la violation et la perquisition est si ténu que l’exclusion de la preuve, d’une arme à feu de surcroît, n’est pas justifiée.

[82]           Encore une fois, les propos du juge Wagner, alors juge à la Cour d’appel, rappellent dans l’arrêt Archambault que « [l]'examen du lien temporel n'implique pas nécessairement l'élimination de la recherche du lien de causalité. Même s'il est vrai qu'un lien temporel très fort est susceptible de militer en faveur de la conclusion que les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte au droit constitutionnel, la pertinence d'examiner le lien de causalité n'a pas été complètement écartée. » : R. c. Archambault, 2012 QCCA 20, par. 57.

[83]           Ces propos se sont confirmés dans la jurisprudence et plus récemment dans l’arrêt Tim qui réitère que :

Un lien éloigné ou ténu entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés ne sera pas suffisant pour faire entrer en jeu le par. 24(2) (Mack, par. 38; Wittwer, par. 21; R. c. Goldhart, [1996] 2 R.C.S. 463, par. 40; Strachan, p. 10051006). De telles situations doivent être considérées au cas par cas. Il n’existe pas « de règle stricte pour déterminer le moment où les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit garanti par la Charte deviennent trop éloignés » (Strachan, p. 1006).

R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 78.

[84]           En l’espèce, l’absence de lien est flagrante. En outre, le comportement des policiers est autrement exemplaire et aucun autre reproche ne peut leur être adressé. L’exclusion de la preuve dans les circonstances déconsidérerait l’administration de la justice.

[85]           Ce moyen doit être rejeté.

La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son application de l’arrêt Marc c. R. et son application de la notion de contrôle?

[86]           Pour déterminer que Lapaix avait la connaissance et le contrôle de l’arme, la juge conclut d’abord que la pièce était la chambre de Lapaix et qu’il avait la responsabilité et le contrôle de celle-ci. Voici ce qu’écrit la juge :

[267] En effet, une carte RAMQ au nom de Nitchell Lapaix retrouvée dans la pièce « M » du sous-sol, permet de conclure que cette pièce est la chambre de Nitchell Lapaix et, considérant les items retrouvés dans la pièce « D », soit des effets personnels, des vêtements identifiés par des témoins ainsi qu’un bail au nom de Lentz Lowry Lapaix, la conclusion raisonnable qui en découle est que cette pièce est la chambre de l’accusé Lapaix. Conséquemment, l’arme qui y est retrouvée est en sa possession, donc sous sa responsabilité et son contrôle.

 [Soulignement ajouté]

[87]           En l’espèce, dans la chambre que la juge détermine être celle de Lapaix, les photographies montrent un certain désordre et, outre le lit et quelques meubles, il y a des vêtements pêle-mêle sur le lit. Au centre de la petite pièce se trouve une tringle à vêtements mobile et vide. Une ouverture donne une vue sur le garde-robe qui ne contient aucun vêtement . Un meuble à deux tiroirs s’y trouve, bien en vue.

[88]           C’est sur le dessus de ce meuble que les policiers trouvent une arme de poing. Elle est dans un sac à bretelles de plastique blanc, mince et léger, pour l’emballage et le transport des produits, comme il s’en trouvait auparavant dans les commerces. Le sac n’est pas fermé et l’arme est visible. Le tout est manifestement visible du lit.

[89]           Dans la chambre, on y saisit également deux morceaux de vêtements, soit un kangourou Puma bleu marine et un pantalon assorti. Le kangourou est similaire à celui que portait Lapaix sur les vidéos de surveillance.

[90]           Sur le dessus de la table de chevet, immédiatement à gauche du lit, on trouve un bail de logement au nom de Lapaix et celui d’un autre individu, et sur lequel est indiqué l’adresse de domicile de Lapaix sur Terrasse Major, et sa nouvelle adresse depuis 1er septembre 2019, sur la rue Allison. À côté du bail, bien en vue sur le même meuble, on trouve une douille percutée du même calibre que l’arme saisie dans la chambre.

[91]           Lapaix est d’avis que la preuve ne permettait pas, d’une part, de conclure qu’il occupait cette chambre et, d’autre part, de le relier à l’arme ou au sac. Le bail trouvé indique qu’il est locataire d’une autre adresse et, selon lui, de nombreux vêtements féminins se trouvent dans la chambre. Enfin, l’appelant ajoute que, même si la preuve permettait de conclure qu’il avait été présent dans la pièce, cela ne suffisait pas pour prouver la connaissance et le contrôle. Il prétend que l’analyse de la juge utilise une présomption juridique inexistante selon laquelle l’arme retrouvée dans une pièce est automatiquement sous le contrôle de l’occupant.

[92]           Il faut dire un mot sur la présence de vêtements féminins. Aucune question ne fut posée aux témoins idoines lors du procès. Cette observation semble se fonder sur les photographies. Or, il est impossible d’y distinguer des vêtements féminins ou d’en établir la quantité.

[93]           Cela étant dit, l’appelant a raison que le seul fait d’occuper une pièce n’entraîne pas la possession, au sens du Code criminel, de ce qui s’y trouve : R. v. Bertucci, (2002), 169 CCC (3d) 453, par. 18 (C.A.O.); R. v. Watson, 2011 ONCA 437, par. 13; R. v. Choudhury, 2021 ONCA 560, par. 19. Le même raisonnement a été appliqué pour des choses trouvées dans un véhicule conduit par un accusé. Si le fait d’avoir la garde et le contrôle d’un véhicule peut contribuer à la démonstration d’une possession au sens du Code criminel, ce seul fait ne crée aucune présomption : R. v. Lincoln, 2012 ONCA 542, par. 2-3.

[94]           Il demeure que le fait d’occuper une pièce autorise parfois le juge des faits à tirer l’inférence que les choses qui s’y trouvent sont, au sens du Code criminel, en possession de l’occupant « en tenant compte de la norme de preuve applicable dans une affaire criminelle [c’est-à-dire] que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable qui pouvait être tirée de l’ensemble de la preuve » : R. c. Villaroman, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 55.

[95]           En d’autres mots, « lorsqu’une personne est l’occupant d’une chambre, un appartement où une maison où des stupéfiants sont retrouvés, un juge peut être justifié d’inférer que cette personne connaissait la présence des stupéfiants et qu’il exerçait des mesures de contrôle sur ceux-ci, selon l’ensemble des circonstances mis en preuve » : R. c. Brideau, 2022 QCCA 452, par. 9 (je souligne), citant R. c. Landry, 2017 QCCA 729 qui s’appuyait sur les auteurs Bruce MacFarlane, Robert Frater et Chantal Proulx, Drug Offences in Canada, 3e éd., vol. 1, Aurora, Canada Law Book, 2009, (feuilles mobiles, mise à jour n° 125, mars 2016), n° 3:1734., par. 4.3700.

[96]           Notre Cour, dans l’arrêt Landry, accepte qu’une chambre à coucher soit un endroit privé et qu’il s'agisse d’un élément pertinent dans l’évaluation : R. c. Landry, 2017 QCCA 729, par. 6. Il faut ensuite examiner les circonstances. Dans cette affaire, il y avait plus. La Cour y note que « [l]’appelante contrôlait ce qui pouvait se trouver dans son appartement comme en fait foi notamment sa décision d’interdire à l’occupant Robichaud d’y emmener et d’y entreposer des armes à feu. Cela était encore plus vrai en ce qui a trait à sa chambre à coucher… » : Landry, par. 6.

[97]           Il est permis de la même façon d’inférer la possession lorsque l’objet illégal se trouve dans une boîte au milieu de la principale pièce de vie d’une petite unité d’habitation qu’occupe l’accusé avec sa famille depuis plusieurs années : R. v. Singh (J.), 2004 BCCA 428, par. 12; R. v. MacLeod, 2013 MBCA 48, par. 39. La même chose si une arme se trouve dans un sac au pied d’un passager d’une voiture : R. c. Vernelus, 2022 QCCA 138, conf. sommairement à 2022 CSC 53.

[98]           Les motifs de la juge sont succincts sur la question de la possession eton aurait espéré plus de détails. Cela dit, la preuve portant sur ce chef n’était pas vraiment contredite et elle peut être aisément identifiée et considérée.

 

[99]           Comme le répète la Cour suprême depuis l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, il faut lire « les motifs du juge de façon fonctionnelle, c’est-à-dire dans leur ensemble et au regard du dossier de première instance, incluant l’audition des témoins et les observations des parties » : R. c. R.B., 2022 QCCA 1758, par. 19, citant R. c. R.E.M., [2008] 3 R.C.S. 3.

 

 

[100]      Même si les motifs pouvaient manifestement être plus étoffés, il n’est pas opportun d’intervenir. Ce moyen est rejeté.

Conclusion

[101]      Je propose de rejeter les deux appels.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.