Décision

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Décision

Cenacle c. Bonneau

2016 QCRDL 1684

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

164472 31 20140711 G

No demande :

1535113

 

 

Date :

19 janvier 2016

Régisseure :

Sophie Alain, juge administrative

 

PATRICK CENACLE

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

JEAN BONNEAU

 

NATHALIE DANIEL

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande le recouvrement du loyer non payé au moment du départ des locataires, des dommages-intérêts pour pertes de loyer et indemnité de relocation, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle et les frais judiciaires.

[2]      Le bail entre le locateur, Patrick Cenacle, et la locataire, Nathalie Daniel, était reconduit du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, au loyer mensuel de 635 $.

[3]      Monsieur Jean Bonneau n'a jamais signé le bail. Vu l'absence de lien de droit contractuel, le Tribunal rejette la demande à son égard.

[4]      Le locateur déclare que la locataire a déguerpi en emportant ses effets mobiliers en juin 2014. Il réclame le loyer impayé de juin 2014, déclare-t-il et, comme le logement ne fut reloué qu’au 1er août 2014, la perte d’un mois de loyer, pour un total de 1 270 $.

[5]      La locataire conteste vivement la réclamation du locateur.

[6]      D’abord, après 15 ans dans son logement, la locataire veut déménager dans une résidence. Elle rencontre le locateur au restaurant pour l’informer qu’elle ne reconduit pas son bail.

[7]      Ensuite, comme elle obtient un logement à la mi-mai 2014, elle déménage à cette date pour permettre au locateur de débuter les travaux le plus tôt possible, car il lui avait fait part de la nécessité d’effectuer quelques réparations pour le relouer le plus rapidement.

[8]      Ainsi, la locataire déclare avoir remis le loyer de juin en argent le 15 mai 2014 à la belle-mère du locateur en présence de son conjoint. Lors de cette rencontre, elle a d’ailleurs donné plusieurs biens à la belle-famille du locateur, soit le barbecue, l’ensemble de patio extérieur et une table pour les aider. Elle a également remis sa clé tout en précisant que son conjoint conservait la sienne pour revenir sortir les vidanges et terminer le ménage à la fin de la semaine. Il a, à son retour au logement, remis sa clé à la belle-famille du locateur.

[9]      Enfin, la locataire démontre que, de manière générale, le locateur n’a remis que quelques reçus de paiement de loyer au cours des années précédentes. Elle plaide avoir toujours payé ses loyers et qu’elle n’a jamais été poursuivie par le locateur au tribunal de la Régie du logement.


[10]   Le locateur admet que la locataire l’a informée qu’elle déménageait dans une résidence et il a même donné de bonnes références à la nouvelle locatrice. Il admet également avoir donné mandat à sa belle-mère de recueillir le loyer. Il déclare cependant n’avoir pas reçu le loyer de juin et que celle-ci ne lui a pas transmis le message; il explique que sa belle-famille était nouvellement arrivée au Canada. C’est pourquoi, comme le bail se terminait au 30 juin, il a attendu à cette date pour entrer dans le logement et sortir la table; il ne voulait pas se faire poursuivre.

Les témoignages

[11]   Selon les dispositions de l'article 2803 du Code civil du Québec (C.c.Q.), il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande. Les faits présentés doivent être probables (article 2804 C.c.Q.). Quant à l'appréciation du témoignage, elle est laissée à la discrétion du Tribunal (article 2845 C.c.Q.).

[12]   À cet égard, bien que fébrile, la locataire a offert un témoignage convaincant, transparent et sincère. Jean Bonneau appuie le témoignage de cette dernière et témoigne de manière spontanée et crédible.

[13]   Le locateur déclare avoir effectué des recherches pour localiser les locataires et qu’il les a retrouvés en juillet-août 2013. La locataire et son conjoint déclarent que le locateur est venu les rencontrer à leur nouveau logement au début juillet et bien qu’elle n’ait pas laissé ses nouvelles coordonnées à la belle-mère, le locateur ayant communiqué avec leur nouvelle locatrice, savait à quelle résidence ils emménageaient. Le Tribunal constate que la demande a été produite à la Régie du logement le 11 juillet 2014, ce qui le laisse perplexe devant le témoignage du locateur sur la localisation en juillet-août en l’absence de réplique par celui-ci.

[14]   Le Tribunal doit déterminer si la locataire a payé le loyer de juin 2014 et si elle est redevable des dommages quant à l’indemnité de relocation pour juillet 2014. Pour répondre à cette question, le Tribunal doit examiner les règles entourant le mandat.

Le droit applicable à l’égard du mandat

[15]   L’article 2130 du Code civil du Québec (C.c.Q.) définit le mandat comme « un contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer ».

[16]   N’habitant pas sur les lieux, le locateur admet avoir délégué à sa belle-mère, qui habite sous le logement de la locataire, la responsabilité de recevoir le paiement du loyer.

[17]   Le mandant est en principe tenu envers le tiers pour les actes accomplis par le mandataire dans l'exécution du mandat, ou pour les actes excédant le mandat, mais qu'il a ratifiés (art. 2160 C.c.Q.)[1].

[18]   De plus, l'article 2163 du Code civil du Québec énonce les principes applicables au mandat apparent :

« 2163.      Celui qui a laissé croire qu'une personne était son mandataire est tenu, comme s'il y avait eu mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu'il n'ait pris des mesures appropriées pour prévenir l'erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible.»

[19]   Comme l'a reconnu la jurisprudence[2], la théorie du mandat apparent s'applique à ce type de situation, et ce, d'autant plus que la belle-mère avait, de l’aveu même du locateur, le mandat de recevoir le loyer. D’ailleurs, la mauvaise foi de la locataire n'a pas été démontrée et sa bonne foi est présumée (art. 2805 C.c.Q.).

[20]   Ce faisant, le Tribunal estime que le locateur a laissé croire à la locataire que sa belle-mère était également autorisée à le représenter pour tout ce qui concernait la fin du bail.

[21]   Si la belle-mère a oublié d’informer le locateur de la remise des clés, du départ de la locataire à la mi-mai et du paiement du loyer de juin 2014, la locataire, qui a négocié de bonne foi, de ce que retient le Tribunal, ne saurait se voir pénaliser par les défauts de la belle-mère.


[22]   L'erreur est celle de la mandataire du locateur et non celle de la locataire. Il est déplorable que la mandataire n'ait pas informé le locateur, mais cette erreur n'est pas opposable à la locataire qui a contracté de bonne foi avec elle en lui remettant le loyer de juin et les clés du logement pour permettre au locateur d’effectuer les réparations dès la mi-mai.

[23]   Au surplus, à partir du moment où un locateur apprend qu’un locataire quittera ou a quitté le logement, il a l'obligation d'entreprendre sans délai, des démarches raisonnables, incluant de procéder aux réparations nécessaires le plus rapidement possible pour relouer le logement, dans le but de minimiser les dommages qu'il encourt en raison de ce départ. Sa conduite doit être empreinte de bonne foi et il doit faire preuve de diligence. Or, le Tribunal ne peut recevoir l’argument du locateur qu’il a attendu au 30 juin pour entrer dans le logement pour éviter un risque de poursuite.

[24]   Le Tribunal rejette donc la réclamation du loyer de juin 2014, car la locataire l’a convaincu de la remise du paiement à la belle-mère et il rejette également la réclamation pour indemnité de relocation vu l’inaction du locateur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]   REJETTE la demande du locateur à l’égard de la locataire;

[26]   REJETTE la demande à l'égard de Jean Bonneau pour absence de lien de droit contractuel.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

le locateur

les locataires

Date de l’audience :  

30 novembre 2015

 

 

 


 



[1]    Pierre CIMON, Le mandat, Volume 6 - Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, Cowansville, Y. Blais, 2015.

[2]    Voir par exemple, les décisions suivantes : Mériot c. Spedding-Vendette, R.L. Montréal, no. 31-050405-066G, le 11 août 2005, r. S. Ducheine; Legendre c. Oliva, R.L., Sherbrooke, no. 26-941014-003G, le 14 décembre 1994, r. G. Choinière; Romanowski c. Ittah, R.L., Montréal, no. 31-050923-207G, le 19 décembre 2005, r. L. Foucault; Seroussi c. Jorgenson, R.L. Montréal, no. 31-110531-072G, 30 août 2011, r. L. De Palma.

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