[1] Meadowbrook Groupe Pacific inc. (« Meadowbrook ») se pourvoit contre un jugement rendu le 7 juin 2018, par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Corriveau), accueillant partiellement la demande d’injonction permanente de cette dernière et prononçant les ordonnances suivantes[1] :
[40] ORDONNE à la Ville de Montréal de déposer auprès du ministère du Développement durable, de l’Environnement, et Lutte contre les changements climatiques, une demande de certificat d’autorisation pour réaliser des travaux visant à mettre fin à toute contamination du ruisseau Meadowbrook à partir de l’égout pluvial qui s’y déverse, par canalisation, déviation ou autres mesures nécessaires afin d’y faire cesser l’écoulement d’eau contaminée, dans un délai maximal de quatre mois à compter du présent jugement et d’avoir complété les travaux dans un délais maximal de 18 mois;
[41] DONNE ACTE de l’offre de la demanderesse de donner accès à son terrain ou consentir au besoin une servitude afin de permettre la réalisation de ces travaux.
[42] ORDONNE à la Ville de Montréal de nettoyer les abords du ruisseau Meadowbrook sur le terrain de la demanderesse afin d’en retirer toute trace de coliformes fécaux, de phosphore et d’azote ammoniacal dans un délai maximal de 24 mois du présent jugement.
[43] LE TOUT avec frais de justice contre la défenderesse, la Ville de Montréal, et sans frais en ce qui concerne la mise en cause, La Procureure Générale du Québec.
[Transcription textuelle]
[2] Les faits sont bien décrits dans le jugement rendu le 25 juillet 2018 sur la demande pour suspendre l’exécution du jugement de l’intimée, la Ville de Montréal (« la Ville »)[2] :
[2] Meadowbrook est propriétaire du ruisseau Meadowbrook situé sur le terrain de golf du même nom. Il est admis que l’égout pluvial de la Ville, qu’on retrouve en amont du ruisseau, est contaminé. La présence de coliformes fécaux et autres contaminants provient du déversement d’eaux usées résultant de raccordements de plomberie inversés dont certains sur le territoire des villes de Côte St-Luc et Montréal Ouest, dont les eaux de surface sont recueillies par l‘égout pluvial de la Ville. Au fil du temps, le ruisseau est devenu un égout à ciel ouvert qui se déverse à son tour dans l’égout sanitaire de la Ville.
[3] La contamination du ruisseau par l’égout pluvial est connue de la Ville depuis longtemps. Elle est documentée d’ailleurs amplement. La juge constate que les rapports annuels de la Ville font état de cette contamination depuis 2002. En 2004, la Ville sait que la contamination découle fort probablement de raccordements inversés. À cette époque, la Ville retire le ruisseau de son programme de protection de mise en valeur des ruisseaux et des lacs intérieurs.
[4] En 2012, Meadowbrook se plaint à la Ville de la contamination du ruisseau situé sur son terrain. Devant son inaction, elle demande l’émission d’une injonction permanente obligeant la Ville à prendre les moyens pour éliminer tout déversement dans le ruisseau et à procéder à sa décontamination. Elle offre de lui consentir au besoin une servitude pour permettre à la Ville d’aménager et d’entretenir les constructions en résultant.
[5] La Ville conteste la demande d’injonction. Elle soutient, avec l’appui du mis en cause, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (« Ministère »), que tout travail exécuté dans le ruisseau, un cours d’eau par ailleurs assujetti à des règles environnementales strictes, doit faire l’objet d’un certificat d’autorisation émis par la ministre responsable du Ministère (« certificat d’autorisation ») et qu’il est improbable qu’elle obtienne l’autorisation de canaliser le cours d’eau. Elle plaide par ailleurs que la contamination provient de raccordements inversés, qu’un dépistage approfondi est nécessaire et qu’elle se trouve paralysée dans la mesure où plusieurs des raccordements problématiques sont situés dans d’autres municipalités sur lesquelles elle n’a pas de pouvoir de contrainte. Elle tente de forcer l’intervention de ces municipalités, ce que lui refuse d’abord la Cour supérieure par jugement rendu le 30 septembre 2014, puis la Cour d’appel, par arrêt daté du 8 mai 2015.
[3] En somme, Meadowbrook, propriétaire du terrain de golf Meadowbrook, où circule le ruisseau du même nom, demandait à ce qu’il soit ordonné à la Ville de cesser tout déversement dans ce ruisseau en provenance de l’égout pluvial situé en amont de son terrain, qu’il soit contaminé ou non.
[4] Meadowbrook soutenait ne pas être assujettie à l’écoulement de cet égout pluvial aux termes de l’article 979 C.c.Q., car ces eaux ne proviennent pas d’une source naturelle, sans compter que leur contamination aggrave sa situation.
[5] Après une audition de deux jours, la juge accueille partiellement la demande de Meadowbrook en ordonnant à la Ville de mettre fin à toute contamination du ruisseau.
[6] Les deux parties se pourvoient contre le jugement.
[7] Meadowbrook reproche pour sa part à la juge de ne pas s’être prononcée sur son droit à la cessation pure et simple du déversement des eaux provenant de l’égout pluvial de la Ville. Elle plaide que son analyse n’aurait pas dû se limiter à constater la contamination des eaux provenant de l’égout pluvial, à la responsabilité de la Ville à cet égard et de lui ordonner de cesser une telle contamination. La juge aurait aussi erré en concluant qu’une autorisation préalable était nécessaire en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE »)[3]. Finalement, elle plaide que l’ordonnance de décontamination et de nettoyage aux abords du ruisseau aurait dû inclure l’enlèvement de toute trace de métaux lourds, et non seulement de coliformes fécaux, de phosphore et d’azote ammoniacal.
[8] De son côté, la Ville reprend essentiellement les motifs invoqués en première instance, qu’elle avait d’ailleurs déjà soulevés au soutien de sa demande pour suspendre l’exécution du jugement et dans celle pour autorisation de produire une preuve nouvelle. Elle fait valoir que la contamination de son égout pluvial proviendrait, du moins en grande partie[4], de raccordements inversés des conduites d’eau sanitaire et pluviale de plusieurs immeubles sur le territoire des villes de Côte-Saint-Luc et de Montréal-Ouest, dont la responsabilité incombait à ces dernières et qui l’ont amené à tenter sans succès de mettre en cause celles-ci devant la Cour supérieure[5] et ensuite devant la Cour d’appel[6]. Pour mettre fin à la contamination, elle soutient qu’il faut identifier ces immeubles mal raccordés avant de procéder à la correction de ces raccordements.
* * *
[9] La lecture du jugement ne permet pas de conclure que la juge se soit prononcée même implicitement sur le fondement du recours. Le jugement ne traite pas des conditions de l’article 979 C.c.Q. ni de la source de l’écoulement des eaux dans le ruisseau, à savoir qu’il s’agit d’une source naturelle ou si elle relève plutôt d’une intervention humaine, bien que ces éléments constituent le fondement de la demande de Meadowbrook pour demander la cessation de tout déversement dans le ruisseau.
[10] La juge constate la contamination des eaux déversées dans le ruisseau et oriente son analyse en vue d’une ordonnance pour mettre fin à cette contamination qui est admise par tous et largement documentée depuis plusieurs années.
[11] L’article 979 C.c.Q. sur lequel est fondée la demande de Meadowbrook se lit ainsi :
979. Les fonds inférieurs sont assujettis, envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement.
Le propriétaire du fonds inférieur ne peut élever aucun ouvrage qui empêche cet écoulement. Celui du fonds supérieur ne peut aggraver la situation du fonds inférieur; il n’est pas présumé le faire s’il effectue des travaux pour conduire plus commodément les eaux à leur pente naturelle ou si, son fonds étant voué à l’agriculture, il exécute des travaux de drainage. |
979. Lower land is subject to receiving water flowing onto it naturally from higher land.
The owner of lower land has no right to erect works to prevent the natural flow. The owner of higher land has no right to aggravate the condition of lower land, and is not presumed to do so if he carries out work to facilitate the natural run-off or, where his land is devoted to agriculture, he carries out drainage work.
|
[12] Pour qu’il y ait servitude légale au bénéfice de la Ville aux termes de l’article 979 C.c.Q., le déversement doit provenir de l’écoulement naturel des eaux[7].
[13] Les parties reconnaissent que la totalité, sinon la quasi-totalité, des eaux qui se déversent dans le ruisseau Meadowbrook, à partir de l’égout pluvial, proviennent du Collecteur Toe Blake qui est décrit dans le rapport de la Ville de la façon suivante[8] :
Le collecteur pluvial TOE BLAKE est situé dans le centre ouest de l'île de Montréal. Environ 60% du bassin de drainage du collecteur dessert le territoire de Côte-St-Luc tandis que la partie aval du bassin se situe dans Montréal-Ouest. L'exutoire de ce collecteur, de près de deux mètres, est situé au sud de la promenade SHERATON et du parc Toe Blake. À cet endroit, il alimente le ruisseau du golf Meadowbrook. La carte ci-contre illustre le bassin de drainage de collecteur pluvial.
[14] Cette description permet aisément de conclure que la source des eaux qui s’écoulent dans le ruisseau Meadowbrook n’est pas naturelle, mais résulte plutôt d’une intervention humaine.
[15] Dans une affaire comportant plusieurs similarités avec le présent dossier, la Cour traite de la portée de l’obligation de recevoir les eaux en vertu de l’article 979 C.c.Q. en signalant que celle-ci ne s’étend qu’aux eaux qui s’écoulent naturellement du fonds supérieur vers le fonds inférieur et non aux eaux détournées par l’intervention humaine[9] :
[15] Cet argument de l’appelante doit être rejeté. Le juge a raison de conclure que la servitude créée par l’article 979 C.c.Q. vise les eaux qui s’écoulent naturellement des fonds supérieurs vers le fonds inférieur. Le fait que le législateur ait retiré l’expression « sans que la main de l’homme y ait contribué » lors de la réforme du Code civil ne modifie pas le droit antérieur. Le fonds inférieur est tenu de recevoir les eaux des fonds supérieurs qui coulent d’amont en aval selon les lois de la physique et les pentes naturelles. Cette obligation s’étend aux eaux de pluie, à celles provenant des cours d’eau ou de la fonte des neiges ainsi qu’aux sédiments qu’elles transportent.
[16] Le fonds inférieur n’est toutefois pas tenu de recevoir les eaux détournées en sa direction par une intervention humaine. Certes, le propriétaire du fonds supérieur a le droit d’effectuer certains travaux susceptibles d’avoir un impact sur l’écoulement naturel des eaux si l’intervention vise à conduire plus commodément les eaux à leur pente naturelle. Ces travaux ne peuvent cependant avoir pour effet d’aggraver la situation du propriétaire inférieur.
[17] En l’espèce, le fait qu’historiquement un cours d’eau se trouvait sur le Lot avant d’être canalisé ne signifie pas que l’intimée ait l’obligation de recevoir toute l’eau que l’appelante décide d’y acheminer sans égard à la topographie naturelle des lieux. Or, selon la preuve retenue par le juge de première instance, l’eau qui s’écoule par la conduite ne provient pas de la pente naturelle. L’eau qui se dirigeait à l’origine dans le ruisseau provenait des terrains situés au nord-est du Lot. Or, comme le reconnaît d’ailleurs l’experte de l’appelante, cet apport d’eau a été interrompu à la suite de travaux réalisés chez le voisin qui ont eu pour effet de sectionner le ruisseau. L’eau qui était ainsi drainée par la conduite a été redirigée vers le réseau municipal.
[18] L’eau qui circule dans la conduite au moment de son remplacement provient plutôt du nord-ouest. Or, cette eau ne s’écoule pas naturellement en direction du Lot. Elle y est dirigée par un fossé aménagé le long de l’emprise de la piste cyclable. L’apport d’eau dans ce fossé est considérable en raison de l’entrave à l’écoulement attribuable à l’exhaussement de l’ancien chemin de fer, et de l’impact de l’urbanisation du secteur nord-ouest. L’intimée a d’ailleurs prévu des bassins de rétention pour contrôler le débit d’eau acheminé vers la conduite de l’appelante. Même si, ultimement, le débit dans la conduite est inférieur à celui qui y coulait au moment de son installation, l’eau qui y circule ne résulte pas de l’écoulement naturel. L’intimée n’est donc pas tenue de recevoir ces eaux en vertu de l’article 979 C.c.Q.
[Soulignements ajoutés, renvois omis]
[16] En l’espèce, le tracé du Collecteur Toe Blake démontre qu’une canalisation a été faite et que l’eau ne suit pas une pente naturelle[10]. Meadowbrook n’est donc pas tenue de recevoir les eaux provenant de l’égout pluvial de la Ville, puisqu’elles ne s’écoulent pas naturellement et que cet écoulement résulte de l’intervention humaine.
[17] Au surplus, Meadowbrook n’a pas à subir ce déversement d’eaux polluées qui ont pour effet d’aggraver sa situation.
[18] Les rapports de la Direction de l’environnement et du développement durable de la Ville, à compter de 2002, signalent la contamination des eaux déversées dans le ruisseau provenant de l’égout pluvial de la Ville en amont; qu’il suffise de citer la description faite dans l’extrait suivant du rapport pour l’année 2003[11] :
Fossé du golf Meadowbrook (GOL) : « attention à vos balles à l’eau »
Alimenté par le réseau de drainage des eaux de ruissellement pluviales de Côte-Saint-Luc, iI ne reste plus du ruisseau petit Saint-Pierre qu'une courte section à ciel ouvert d’à peine 200 mètres. C'est à cet endroit qu'il traverse le parcours d'un terrain de golf (avant de se jeter dans le collecteur Saint-Pierre).
Comme l’année dernière, c’est dans ce ruisseau que les conditions les plus adverses ont été observées. On y retrouve de véritables eaux sanitaires où abondent les coliformes fécaux, le phosphore et l'azote ammoniacal. Des dépassements fréquents de critère sont également observés pour le cuivre. Bien que sa canalisation ne soit pas souhaitable, on ne peut que répéter la conclusion du rapport 2002 à savoir qu'il est inacceptable qu'un cours d'eau à ciel ouvert contienne des eaux sanitaires.
[19] Dans ces circonstances où les eaux provenant de l’égout pluvial ne s’écoulent pas naturellement et sont au surplus contaminées depuis plusieurs années, la Ville ne peut prétendre au bénéfice de la servitude légale de l’article 979 C.c.Q. Meadowbrook est ainsi justifiée de demander une ordonnance de cesser tout déversement.
* * *
[20] La Ville soutient que la situation particulière du dossier et son volet environnemental limitent les ordonnances auxquelles Meadowbrook pourrait avoir droit. L’application de l’article 979 C.c.Q. ne devrait être envisagée qu’après avoir tenu compte des lois et règlements en matière environnementale qui sont d’ordre public et ont préséance sur les règles de droit privé[12].
[21] La Ville a raison en ce qui concerne le caractère public de ces dispositions et la préséance qui doit leur être accordée. Toutefois, cette obligation est celle de la Ville, puisque c’est elle qui doit cesser le déversement et il lui appartient de prendre les moyens pour l’obtention des autorisations nécessaires aux travaux qu’elle entreprendra pour faire cesser le déversement dans le ruisseau Meadowbrook.
[22] En première instance, la Ville plaidait que l’ordonnance ne pouvait être rendue, puisqu’une autorisation préalable du ministre était nécessaire avant de procéder aux travaux requis pour la cessation du déversement de l’égout pluvial en vertu de l’article 22 LQE. La juge écrit à cet égard[13] :
[15] Ainsi, le Tribunal doit déterminer si le ruisseau est un cours d’eau dans lequel tous travaux doivent au préalable être autorisés par la ministre. Ensuite, le Tribunal décidera si Montréal peut se voir forcée de réaliser les travaux afin de faire cesser le déversement d’eau contaminée ainsi que pour décontaminer le terrain.
[23] La juge conclut qu’une autorisation du ministre est nécessaire conformément à l’article 22 LQE, puisqu’il s’agit d’un cours d’eau[14]. Pour Meadowbrook, cette autorisation n’est pas requise, puisque les travaux nécessaires à la cessation du déversement ne seront pas réalisés dans le cours d’eau.
[24] Il s’agit de son second moyen et le seul point sur lequel le Procureur général du Québec (« PGQ »), mis en cause, fait des représentations.
[25] Selon le PGQ, la nature des travaux envisagés déterminera si une autorisation du ministre est nécessaire. S’il s’agit d’un cours d’eau, aux termes de la LQE, l’autorisation du ministre sera nécessaire.
[26] Comme Meadowbrook demande la cessation du déversement dans le ruisseau sans préciser les travaux qui devront être effectués, il reviendra à la Ville de choisir et de déterminer la façon dont cette ordonnance pourra être exécutée et la juge n’avait pas à se prononcer sur cette question. Si la Ville choisit ou est d’avis que les travaux nécessaires pour faire cesser le déversement nécessitent une autorisation du ministre, un délai doit être fixé à la Ville pour requérir cette autorisation, comme la juge l’a fait et comme le requiert Meadowbrook.
* * *
[27] Le troisième moyen de Meadowbrook relativement à l’élargissement de l’ordonnance de décontamination des abords du ruisseau pour y ajouter l’enlèvement de « métaux lourds d’origine industrielle ou domestique » doit être rejeté. La juge ne fait pas d’erreur en ne l’ordonnant pas.
[28] La contamination constatée et admise par la Ville dans ses rapports à compter de 2002 révèle principalement la présence de coliformes fécaux, de phosphore et d’azote ammoniacal; la juge ordonne d’en retirer toute trace aux abords du ruisseau Meadowbrook. En 2002, un rapport mentionne la présence d’une teneur élevée en métaux lourds d’origine industrielle et domestique. Toutefois, dans les rapports subséquents, une telle présence de métaux lourds n’est pas documentée autrement que pour préciser que le ruisseau n’est pas pollué par les métaux[15] ou que la présence de métaux est faible et inférieure aux normes justifiant la décontamination[16].
[29] On ne peut reprocher à la juge de n’avoir pas inclus dans l’ordonnance de décontamination le retrait de métaux lourds dans ces circonstances.
* * *
[30] Enfin, la Ville plaide que le recours de Meadowbrook fondé sur l’article 979 C.c.Q. serait prescrit, puisque celui-ci est sujet à une prescription de dix ans conformément à l’article 2923 C.c.Q., tout en admettant que le recours fondé sur le fait de contaminer est, lui, imprescriptible.
[31] Cet argument ne peut être retenu. La Cour a récemment rappelé que l’action négatoire de servitude fondée sur l’article 979 C.c.Q. est imprescriptible dans ces circonstances[17] :
[78] S’agissant d’une situation de la nature d’une demande négatoire de servitude visant à faire cesser la continuation et la perpétuation d’une aggravation d’écoulement des eaux sur le Lot 147, la Succession pouvait demander la cessation et la remédiation de cette situation tant qu’elle perdure.
[79] En effet, « l'écoulement du temps ne saurait entraîner la pérennité de l'usage malveillant, maladroit ou asocial du droit de propriété » ce qui inclut l’aggravation d’une servitude d’écoulement des eaux.
[Renvois omis]
[32] De surcroit, si la prescription de dix ans de l’article 2923 C.c.Q. était applicable en l’instance, le recours de Meadowbrook ne serait pas prescrit, puisque celle-ci n’est devenue propriétaire du terrain qu’en 2006 et que son recours a été intenté en 2013. Même si Meadowbrook avait connaissance du déversement de l’égout pluvial à compter de 1997, elle n’avait pas alors l’intérêt nécessaire pour entreprendre quelque recours que ce soit et la prescription ne pouvait courir à son égard avant l’acquisition du terrain.
* * *
[33] En résumé, l’appel principal est accueilli en partie et le jugement de première instance infirmé pour modifier les conclusions relatives à l’ordonnance de décontamination et y substituer une ordonnance de cesser tout déversement dans le ruisseau Meadowbrook à partir de l’égout pluvial. Il n’y a pas lieu de modifier les délais fixés par la juge, mais de permettre de ne les faire courir qu’à compter du présent arrêt. La Ville a déjà bénéficié du délai de 18 mois pour faire cesser le déversement, délai qui semblait lui convenir devant la juge Corriveau. Elle n’a pas obtenu la suspension de ce délai. Par l’effet du présent jugement, elle bénéficiera d’un délai additionnel de 18 mois, ce qui apparait largement suffisant dans les circonstances.
[34] Par son pourvoi incident, la Ville demande d’infirmer le jugement de première instance en ce qui concerne les délais pour faire cesser la contamination et demande le renvoi du dossier en Cour supérieure pour qu’elle puisse y faire la preuve des délais nécessaires aux travaux qu’elle préconise et qu’elle décrit de la façon suivante[18] :
24. La solution préconisée par la Ville de Montréal pour faire cesser la contamination est de corriger les branchements inversés qui sont à l'origine de la contamination du ruisseau du golf Meadowbrook; La Ville de Montréal n'entend pas canaliser son égout pluvial. L'égout pluvial continuera donc à se déverser dans le ruisseau.
[35] D’entrée de jeu, vu les conclusions quant à l’appel principal et l’ordonnance de cesser tout déversement dans le ruisseau Meadowbrook, la solution préconisée par la Ville ne peut être retenue, puisqu’elle n’empêche pas le déversement de l’égout pluvial.
[36] Même si la Cour avait conclu autrement et confirmé l’ordonnance de cesser la contamination du ruisseau Meadowbrook, ce moyen aurait été rejeté. La juge a écarté cette solution, maintes fois proposée par la Ville, car elle ne permettait pas de résoudre le problème de manière définitive et dans un délai raisonnable. La transcription des échanges entre la juge et les avocats de la Ville démontre que cette dernière préconisait toujours une solution impliquant les villes de Côte-Saint-Luc et de Montréal-Ouest, malgré leur mise hors de cause. La juge a refusé de suivre cette voie. La Ville ne démontre pas d’erreur à cet égard.
[37] Quant aux délais, la Ville aurait pu tenter de faire la preuve de ceux qu’elle estimait nécessaires devant la première juge. Elle ne l’a pas fait. Vu les questions en litige identifiées par les parties dans leur déclaration commune de dossier complet, la Ville pouvait mesurer l’importance d’une telle preuve. Elle a choisi de se limiter à des représentations et des suggestions lors de l’argumentation. Il ne relève pas de la Cour de corriger après coup le choix stratégique d’une partie.
[38] L’appel incident est rejeté.
[39] Meadowbrook présente une demande intitulée « Demande en déclaration du caractère abusif de l’appel incident et des requêtes en suspension et pour preuve nouvelle ». Elle demande de sanctionner le comportement abusif de la Ville par le remboursement des honoraires et débours extrajudiciaires engagés en raison de l’appel incident de la Ville et de ses demandes de suspension de l’exécution et d’autorisation de produire une preuve nouvelle, car ces procédures, en plus d’être abusives, sont mal fondées, frivoles et dilatoires.
[40] Comme mentionné précédemment, la Ville n’identifie pas d’erreur de la juge de première instance dans son pourvoi incident. Elle fait plutôt valoir que les délais qui lui ont été imposés sont trop courts et que la seule solution envisageable est celle de la correction des raccordements inversés sur les territoires de Côte-Saint-Luc et de Montréal-Ouest et qu’elle ne peut procéder à ces corrections sans la participation de ces dernières.
[41] En 2015, lorsque la Cour refuse d’intervenir sur le jugement mettant hors de cause les villes de Côte-Saint-Luc et de Montréal-Ouest par la Cour supérieure, elle mentionne[19] :
[14] L'appelante reconnaît la contamination du ruisseau et elle identifie une source possible de ces déversements, soit des raccordements inversés faits par des citoyens résidant sur le territoire des mises en cause. Elle n'allègue pas, faut-il le rappeler, que les mises en cause déversent des eaux contaminées dans la conduite pluviale visée ni que celles-ci ont approuvé, autorisé, ou encore, réalisé les branchements inversés. Elle invoque exclusivement qu'elle a identifié une source de contamination, qu'un dépistage détaillé de ces adresses est nécessaire et que la responsabilité de faire ce dépistage relève des mises en cause. La Cour note que l'appelante n'a identifié aucune source juridique lui permettant d'affirmer que les mises en cause ont l'obligation de faire ce dépistage.
[15] De toute façon, les conclusions recherchées à l'endroit de l'appelante visent, non pas le dépistage des adresses responsables de la contamination, mais la canalisation des eaux déversées, la cessation du déversement et la décontamination du terrain de l'intimée.
[16] Dès lors, on ne peut pas conclure que la présence des mises en cause est nécessaire pour la solution du litige tel qu'engagé.
[Soulignements ajoutés]
[42] En 2019, quatre ans après, en refusant la production d’une preuve nouvelle, la Cour écrit[20] :
[9] Strictement parlant, la preuve n’est pas nouvelle puisqu’il aurait été possible de l’obtenir au moment du procès, tant en ce qui a trait au choix de la solution au problème que vit Meadowbrook que sur les délais requis pour faire les travaux requis selon la solution retenue. Il semble d’ailleurs que la question des délais a été abordée dans le cadre d’une discussion concernant le libellé des conclusions de l’ordonnance que le tribunal pouvait rendre pour mettre fin au problème de contamination (voir à ce sujet le document produit par la Ville intitulé « Modulation des ordonnances à être rendues par le tribunal » (annexe 7)).
[…]
[12] La Ville demande en quelque sorte à la Cour de surveiller la mise en place de la situation retenue à la suite du jugement qu’elle porte en appel, ce qui, bien sûr, n’est pas le rôle d’une cour d’appel.
[43] Malgré ces arrêts de la Cour, la Ville continue de plaider dans la déclaration d’appel incident modifiée que la seule solution envisageable implique la correction des branchements inversés et la participation des villes de Côte-Saint-Luc et de Montréal-Ouest. Cette insistance de la Ville à maintenir une position maintes fois rejetée par la Cour supérieure et par la Cour d’appel est téméraire et s’assimile à un comportement blâmable, ce qui suffit pour déclarer sa conduite d’abusive.
[44] Dans un autre dossier comportant plusieurs similarités avec le présent dossier, la Cour a déclaré abusif le comportement de la Ville de Saint-Anne-de-Beaupré en ces termes[21] :
[106] La jurisprudence assimile à de l’abus de droit le comportement d’une partie qui, de mauvaise foi, « multiplie les procédures et poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire ». Les recours intentés de mauvaise foi ou avec témérité peuvent être déclarés abusifs. Il peut s’agir de procédures visant à faire encourir des frais inutiles à l’adversaire.
[107] Notre Cour a écrit, dans R.La. c. G.Le. :
Cela dit, il demeure possible pour la Cour de déclarer l’appel abusif : il en est ainsi lorsque la Cour considère qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans la situation de la partie appelante, ne se serait pas pourvue contre le jugement de la Cour supérieure et aurait compris que ses moyens d’appel n’avaient aucune chance de succès. […]
[108] Sur la distinction entre mauvaise foi et témérité, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore précisent :
Certains arrêts semblent, à une première lecture, exiger à la fois mauvaise foi et témérité. Cette double exigence, critiquée d’ailleurs à juste titre, est plus apparente que réelle. En effet, les tribunaux entendent souvent le terme mauvaise foi dans un sens large, c’est-à-dire non pas uniquement en fonction de l’intention dolosive ou de la mens rea du défendeur, mais aussi par rapport au concept anglo-américain de la grosse négligence correspondant à la faute lourde. L’existence d’une cause raisonnable et probable reste dans chaque cas une question de fait, appréciée à la lumière de la conduite du défendeur. L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention arrêtée de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité.
[109] La conduite de l’appelante est reprochable, je m’en suis largement exprimé. Quant à la « cause » du pourvoi, la Ville invoque, pour la première fois devant nous, l’arrêt Ville de Laval c. Dubois sur lequel se penche mon collègue le juge Dufresne et qu’il distingue de la présente affaire. J’estime, comme lui, que cet arrêt ne pouvait être d’aucune aide à l’appelante en l’espèce, tout en ajoutant ce qui suit.
[Renvois omis; soulignements dans l’original]
[45] À la lumière de ce qui précède, la Cour est d’avis que le pourvoi incident de la Ville, de même que les demandes de suspension de l’exécution et de production de preuve nouvelle étaient téméraires et dépourvus de chance de succès. Ces procédures relevaient d’une volonté d’imposer une solution indéfendable après avoir été confrontée à de nombreux refus.
[46] La conduite de la Ville est d’autant plus abusive qu’elle s’accompagne d’une demande non pas de proroger les délais fixés par la juge, mais d’ordonner un nouveau débat sur cette question dans un contexte où elle reconnait l’état contaminé du ruisseau Meadowbrook et qu’elle est responsable de l’égout pluvial qui s’y déverse.
[47] La Ville ne peut excuser sa témérité dans le dépôt de l’appel incident en plaidant que l’existence de l’appel principal démontre la faiblesse du jugement. Les moyens soulevés dans l’appel principal portent sur des questions complètement différentes et sont indépendantes de l’appel incident.
[48] À titre de sanction, Meadowbrook réclame le remboursement des honoraires extrajudiciaires pour ces procédures, lesquels s’élèvent à 27 135,26 $.
[49] En se prononçant sur la conduite abusive d’une partie, un tribunal peut la condamner à payer les honoraires et les débours engagés par la partie qui a dû les contester. S’ils ne sont pas admis ou ne peuvent être établis aisément, la Cour peut renvoyer l’affaire devant le tribunal de première instance pour que celui-ci en décide[22].
[50] En l’espèce, les honoraires extrajudiciaires engagés par Meadowbrook peuvent être établis aisément, selon le sommaire joint en annexe à sa demande. On peut constater qu’ils ont été engagés pour répondre aux procédures abusives de la Ville et qu’ils ne sont pas déraisonnables dans les circonstances. Un renvoi à la Cour supérieure pour qu’elle en décide n’est pas nécessaire et la Cour peut en décider sur la foi de ces documents.
[51] ACCUEILLE en partie l’appel, avec les frais de justice;
[52] INFIRME le jugement entrepris et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu, remplace les paragraphes [40] et [42] du jugement entrepris par les paragraphes suivants :
[40] ORDONNE à la Ville de Montréal de mettre fin à tout déversement dans le ruisseau Meadowbrook à partir de l’égout pluvial qui s’y déverse, par canalisation, déviation ou autre mesure nécessaire afin d’y faire cesser ces déversements, d’exécuter et de terminer ces travaux dans un délai maximal de 18 mois du présent jugement ou de l’arrêt de la Cour d’appel en disposant; si la Ville choisit de déposer auprès du ministère du Développement durable, de l’Environnement, et Lutte contre les changements climatiques, une demande de certificat d’autorisation pour réaliser ces travaux, ORDONNE à la Ville de Montréal de déposer cette demande dans un délai maximal de 4 mois à compter du présent jugement ou de l’arrêt de la Cour d’appel en disposant;
[42] ORDONNE à la Ville de Montréal de nettoyer les abords du ruisseau Meadowbrook sur le terrain de la demanderesse afin d’en retirer toute trace de coliformes fécaux, de phosphore et d’azote ammoniacal dans un délai maximal de 24 mois du présent jugement ou de l’arrêt de la Cour d’appel en disposant;
[53] REJETTE l’appel incident, avec les frais de justice;
[54] ACCUEILLE la demande de l’appelante intimée incidente Meadowbrook Groupe Pacific inc. en vertu des articles 51 et s. C.p.c., avec les frais de justice;
[55] DÉCLARE abusifs l’appel incident de la ville de Montréal et sa demande en suspension de l’exécution du jugement de première instance, de même que sa demande pour permission d’une preuve nouvelle en appel;
[56] CONDAMNE la Ville de Montréal à payer à Meadowbrook Groupe Pacific inc. 27 135,26 $, avec intérêt au taux légal, ainsi que l’indemnité additionnelle prévue par la loi, à compter du présent arrêt.
[1] Meadowbrook Groupe Pacific inc. c. Ville de Montréal, 2018 QCCS 2550, [jugement entrepris].
[2] 2018 QCCA 1212, paragr. 2 à 5.
[3] RLRQ, ch. Q-2.
[4] Les rapports de la Ville démontrent que la contamination du ruisseau provient surtout de mauvais raccordements de conduites sanitaires à l’égout pluvial. Pièce P-5, En liasse copies des rapports de 2002 à 2012 de la Direction de l’environnement et du développement durable de la Ville de Montréal; Pièce D-1, Rapport du Collecteur Toe Blake daté de 2013. Or, il semblerait qu’il y ait également d’autres sources de contamination. Par exemple, l’utilisation des égouts pluviaux du secteur par des animaux constitue également un « facteur majeur de contamination bactérienne ». Pièce P-5, Bilan environnemental de la Direction de l’environnement et du développement durable de 2010.
[5] Meadowbrook Groupe Pacific inc. c. Montréal (Ville de), 2014 QCCS 6727.
[6] Montréal (Ville de) c. Meadowbrook Groupe Pacific inc., 2015 QCCA 828.
[7] La juge ne se prononce pas sur cette question, même si elle écrit :
[21] Se servant de cartes anciennes et de photographies plus récentes l’experte conclut que le ruisseau tire sa source d’un lit d’écoulement d’origine naturelle. En effet, l’écoulement trouve sa source dans la rivière St-Pierre.
Dans ce paragraphe, la juge discute de l’écoulement du ruisseau et non de la source des eaux déversées dans celui-ci. D’ailleurs, le mandat confié à cet expert est limité à statuer sur la nature du lit d’écoulement qui se situe sur le terrain de Meadowbrook afin de déterminer s’il s’agit ou non d’un cours d’eau. Pièce PGQ-1, Rapport de Mme Wendy Inksetter « Détermination du statut de cours d’eau pour un lit d’écoulement situé sur le terrain du club de golf Meadowbrook »; Témoignage de Mme Wendy Inksetter.
[8] Pièce D-1, Rapport du Collecteur Toe Blake daté de 2013.
[9] Ville de Québec c. Gestion F.D. Desharnais inc., 2020 QCCA 958, paragr. 15, 16, 17 et 18.
[10] L’eau qui s’écoule dans le ruisseau Meadowbrook provient du Collecteur Toe-Blake situé en amont qui, lui, capte les eaux provenant des égouts pluviaux d’une partie du secteur Côte-Saint-Luc et Montréal-Ouest acheminées par des canalisations. Ces eaux traversent ensuite le ruisseau Meadowbrook sur une distance de 200 mètres avant de se déverser, en aval, dans l’égout sanitaire, le Collecteur Saint-Pierre. Témoignage de Mme Annick Lefloch; Pièce D-1, Rapport du Collecteur Toe Blake. Ainsi, les eaux ont été canalisées afin de favoriser leur déversement dans un autre égout sanitaire situé en aval du ruisseau Meadowbrook après avoir traversé celui-ci à ciel ouvert sur une distance de 200 mètres.
[11] Pièce P-5. En liasse copies des rapports de 2002 à 2012 de la Direction de l’environnement et du développement durable de la Ville de Montréal. Mémoire de l’appelante.
[12] Municipalité Régionale de comté d'Abitibi c. Ibitiba ltée, 1993 CanLll3768 (QC CA), Gestion Serge Lafrenière inc. c. Calvé, 1999 CanLII 13814 (QC CQ).
[13] Jugement entrepris.
[14] Il convient de noter que la juge fonde son analyse sur cette question sur une ancienne version de cet article et non sur celle en vigueur lors du jugement.
[15] Pièce P-5, En liasse, copies des rapports de 2002 à 2012 de la Direction de l’environnement et du développement durable de la Ville de Montréal.
[16] Pièce D-1, Rapport du Collecteur Toe Blake daté de 2013.
[17] Ville de Mont-Tremblant c. Succession de Miron, 2020 QCCA 701, paragr. 78 et 79.
[18] Déclaration d’appel incident modifiée, paragr. 24.
[19] Montréal (Ville de) c. Meadowbrook Groupe Pacific inc., 2015 QCCA 828, paragr. 14 à 16.
[20] Meadowbrook Groupe Pacific inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 255, paragr. 9 et 12.
[21] Ville de Sainte-Anne-de-Beaupré c. Cloutier, 2019 QCCA 712, paragr. 106 à 109.
[22] Art. 54 C.p.c.
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