Décision

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Décision

Adamopoulos c. Yeasmin

2014 QCRDL 16563

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier:

127750 31 20131227 G

No demande:

1390847

 

 

Date :

05 mai 2014

Régisseure :

Sylvie Lambert, juge administratif

 

Anastasios Adamopoulos

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Sabina Yeasmin

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande l’autorisation de reprendre le logement concerné pour y loger son fils, Panagiotis (Peter) Adamopoulos, à compter du 30 juin 2014.

LES FAITS :

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er mai 2008 au 30 juin 2009 reconduit jusqu’au 30 juin 2014 à un loyer mensuel de 375 $.

[3]      Le 29 novembre 2013, le locateur transmet un avis de reprise à la locataire. Le contenu de l’avis ainsi que les délais légaux pour l’avis et la production du présent recours ont été respectés, ce qui permet au tribunal d’entendre le recours du locateur.

[4]      Le logement concerné est un 3 1/2 pièces situé à l’étage supérieur d’un sixplex. Le locateur est seul et unique propriétaire de ce sixplex depuis 2010. Il est aussi propriétaire de deux autres immeubles à logements.

[5]      Le locateur habite au rez-de-chaussée et au premier étage de l’un de ses deux autres immeubles (les deux étages communiquent ensemble) avec son épouse, sa fille et son fils, Panagiotis Adamopoulos. C’est ce dernier qui habitera le logement concerné si le Tribunal autorise la présente demande.

[6]      Dans ces trois immeubles, aucun logement comparable ne sera disponible pour le 1er juillet prochain. C’est en septembre 2013 qu’il a loué son dernier logement vacant.

[7]      Le locateur témoigne à l’effet que son fils, Panagiotis Adamapoulos, est âgé de 27 ans et qu’il veut habiter le logement concerné. Son fils lui a mentionné qu’il désirait faire sa propre vie et avoir son logement à lui.

[8]      Selon lui, son fils n’a jamais vu le logement concerné. C’est lui qui l’a choisi pour son fils en tenant compte du fait qu’il souhaite habiter à l’étage supérieur d’un immeuble et que la grandeur du logement concerné lui convient.


 

[9]      Questionnés par le Tribunal, le locateur et son épouse affirment d’abord de façon catégorique que leurs relations avec la locataire sont très bonnes « very good », qu’il n’y a pas de problèmes avec cette locataire.

[10]   Ce n’est qu’après la preuve de la locataire quant aux tensions qui existent entre elle et le locateur, que le locateur et son épouse déclarent de façon spontanée au Tribunal, sur un ton exaspéré et en haussant la voix, que la locataire leur cause beaucoup de problèmes, qu’elle se plaint tout le temps, qu’elle ne sait pas discuter et qu’elle appelle la police pour rien.

[11]   Panagiotis Adamapoulos, le fils du locateur, témoigne à l’effet qu’il souhaite habiter le logement concerné puisqu’il est situé à l’étage supérieur de l’immeuble. Son amie de cœur viendra éventuellement y habiter avec lui. Il a fait part au locateur de son intention d’habiter le logement concerné il y a de cela trois à quatre mois.

[12]   Questionné par l’avocate de la locataire, Panagiotis Adamapoulos répond qu’il pense habiter ce logement environ deux ans; il précise ensuite sa réponse, après hésitation, en indiquant qu’il y demeurera un minimum de deux ans.

[13]   Il n’a pas encore discuté avec son père du montant qu’il paiera pour le loyer.

[14]   Comme il habitera l’immeuble, il entend agir comme superviseur ou gestionnaire de l’immeuble pour son père.

[15]   Contrairement aux propos de son père, il mentionne que c’est lui qui a choisi le logement concerné. Il souhaitait être à l’étage supérieur et les rénovations effectuées dans ce logement ont été une considération pour son choix. Bien qu’il n’en soit pas certain, il pense que son père n’a pas d’autres logements de vacant.

[16]   La locataire habite le logement concerné depuis dix ans. Elle y loge avec son fils âgé de 8 ans ½. Elle conteste l'intention du locateur de reprendre le logement pour les fins mentionnées. Elle fait valoir les relations tendues avec le locateur depuis décembre 2012.

[17]   Elle est convaincue que la démarche du locateur de reprendre le logement est un prétexte pour qu’elle quitte.

[18]   Elle explique que depuis décembre 2012, les relations sont difficiles et tendues entre les parties.

[19]   Le 14 décembre 2012, la locataire reçoit une missive du locateur dans laquelle il l’avise qu’il y a des infiltrations d’eau dans le logement situé en dessous du sien et que si cela continue, il la tiendra responsable. Il ajoute que tous les locataires se plaignent des bruits provenant de son logement tard la nuit.

[20]   La locataire lui répond le 20 décembre 2012 que s’il y a un problème d’infiltration d’eau, que cela n’est pas dû à son comportement mais vraisemblablement du réservoir de la toilette qui coule constamment et dont elle a demandé à maintes reprises au locateur de réparer. Quant aux bruits provenant de son logement, elle mentionne qu’elle a vérifié auprès des autres locataires et qu’il n’y a pas de plaintes à cet effet la concernant. Elle attribue le bruit, s’il y en a, aux rats et aux souris qui se trouvent dans le logement et qui s’y trouvent toujours malgré ses demandes d’éradiquer le problème.

[21]   Le 15 janvier 2013, le locateur transmet une réplique à la locataire. Il l’avise que si elle ne cesse pas de faire du bruit qu’il n’aura d’autre choix que de prendre des procédures pour résilier le bail. Il précise, par ailleurs, qu’il n’a jamais eu vent auparavant des conditions de son logement tel que décrites dans sa lettre du 20 décembre 2012.

[22]   Le 22 janvier 2013, tel que convenu avec la locataire, le locateur et ses ouvriers se présentent chez la locataire pour réparer le réservoir d’eau de la toilette. Selon le locateur, cette réparation ne doit prendre que quelques heures.

[23]   À son retour au logement le 22 janvier 2013, à sa surprise, la locataire constate que les ouvriers ont pour ainsi dire «démoli» la salle de bain. Le réservoir de la toilette avait été enlevé, les murs détruits et enlevés, le lavabo retiré.

[24]   Bien qu’elle demande au locateur d’installer immédiatement une salle de bain fonctionnelle, le lendemain des ouvriers se présentent et retire le bain de sa base.


 

[25]   Dans les jours suivants, comme les travaux n’avançaient pas et qu’elle ne pouvait utiliser sa salle de bain, la locataire porte plainte à la Direction de l’aménagement urbain de Montréal.

[26]   Suite à l’intervention de la Ville, le locateur procure un autre logement à la locataire pour la durée des travaux. Selon la locataire, elle a dû habiter le logement du sous-sol pendant un mois complet. Selon le locateur, la locataire a dû habiter au sous-sol pendant seulement une dizaine de jours et elle ne peut se plaindre puisque ce logement était nouvellement tout rénové.

[27]   La locataire explique d’autres comportements du locateur.

[28]   La locataire témoigne à l’effet que le locateur vient chercher son loyer tard dans le mois et que parfois il refuse de lui remettre un reçu prétextant avoir oublié son livret de reçu.

[29]   À d’autres occasions, le locateur lui a remis un reçu mais pour un montant moindre que le montant payé. Pour la locataire, cette situation constitue du harcèlement ou des pratiques de mauvaise foi afin de pouvoir prétendre qu’elle ne respecte pas ses obligations. Le locateur déclare que les reçus sont émis pour le montant versé et qu’il peut lui arriver de remettre un reçu plus tard lorsqu’il oublie son livret de reçus.

[30]   Le 24 novembre 2013, trois jours avant de transmettre son avis de reprise, alors qu’elle payait le montant total du loyer, le locateur a déclaré à la locataire« I will kick you out, you don’t pay very well» en ajoutant qu’il allait entreprendre un recours devant la Régie du logement. Le locateur nie cette déclaration dans un tel contexte.

ANALYSE :

[31]   En vertu de l’article 1963 du Code civil du Québec, le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins.

[32]   Dans l'affaire Lissade c. El Asri 2010 QCRDL 16527, le Tribunal de la Régie du logement résume les règles applicables quant à la preuve qui doit être faite :

« [16] D'abord, il importe de souligner que devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. À moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.

[17] Les articles 1957 et suivants du Code civil du Québec prescrivent les règles applicables à la reprise d'un logement aux fins d'habitation. Celles-ci s'étendent autant à la finalité du projet, qu'à la qualité du locateur, qui doit être également propriétaire sous certaines conditions, et du bénéficiaire autorisé, dont la liste est indiquée. Relevant de l'ordre public, ces dispositions comprennent également une procédure qui se veut rigoureuse en la matière. Cela s'explique par le fait qu'en reprenant la possession d'un logement, il est fait légitimement accroc au droit du locataire au maintien dans les lieux, lequel droit fait partie de l'essence même du bail résidentiel.

C'est pourquoi, lorsque le locateur demande l'autorisation au tribunal de reprendre le logement, il doit démontrer qu'il entend réellement le faire pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. De plus, les articles 6 et 7 du Code civil du Québec exigent que le locateur exerce ses droits selon les exigences de la bonne foi. Il appartient au locateur de l'établir. »

[33]   Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault, J. L. 87-82 (R.L.), le Tribunal s'exprime en ces termes:

« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »


 

[34]   Plus récemment, dans l’affaire Memari c. Ryshpan, 2014 QCRDL 70993, la juge administratif Francine Jodoin s’exprime de la façon suivante quant à la recherche de l’intention réelle du locateur dans le cadre d’une demande de reprise de logement :

« [61] Le locateur qui choisit d'exercer le recours en reprise du logement ne peut, évidemment, pas se servir de ce droit afin d'évincer un locataire qui contrevient, selon lui, à ses obligations contractuelles ou qu'il ne peut plus supporter. Le législateur a, en effet, choisi de préserver le droit au maintien dans les lieux du locataire et c'est pourquoi il impose l'obligation de démontrer qu'il y a absence de prétexte.

[62] La demande de reprise ne peut constituer une stratégie, un faux-fuyant, un subterfuge ou un paravent pour cacher les réelles intentions du locateur.

[63] Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant aux intentions de loger réellement le bénéficiaire annoncé dans le logement, mais aussi quant aux raisons qui amènent à requérir le logement.

[64] Sans constituer un élément déterminant, l'existence de litiges entre les parties établit un contexte dans lequel s'inscrivent les procédures de reprise du logement de la même façon que la démarche de compensation et travaux demandés par un locataire. »

[35]   La preuve révèle que les relations contractuelles entre les parties sont tendues et difficiles. Le locateur, en preuve principale, n’a pas fait preuve d’honnêteté lorsqu’il a répondu au Tribunal que les relations entre les parties sont «very good».

[36]   Tel que mentionné précédemment, ce n’est qu’après la preuve de la locataire que le locateur et son épouse déclarent de façon spontanée au Tribunal, que la locataire leur cause beaucoup de problèmes, qu’elle se plaint tout le temps, qu’elle ne sait pas discuter et qu’elle appelle la police pour rien.

[37]   La preuve est claire à l’effet que des tensions importantes existent entre les parties et que les relations, depuis la dernière année sont difficiles. Le Tribunal a été à même de constater cette tension, lors de l’audience. Le Tribunal comprend que le locateur serait bien soulagé que la locataire quitte les lieux.

[38]   Le Tribunal donne foi au témoignage de la locataire quant aux agissements du locateur dans l’année précédant la reprise: l’exécution des travaux dans la salle de bain qui devaient initialement durer que quelques heures et les inconvénients qui s’en sont suivis, le peu d’empressement du locateur de terminer les travaux, la remise de reçus pour un montant moindre que le montant payé, la déclaration du locateur à l’effet qu’il allait l’expulser.

[39]   Le témoignage de la locataire est calme, son récit est clair et spontané alors que le locateur interrompt sans cesse le témoignage de la locataire et qu’il s’emporte.

[40]   Par ailleurs, tel qu’expliqué dans les décisions précitées, ce n’est pas parce qu’il existe une situation conflictuelle que l’on peut en déduire automatiquement que la reprise du logement est exercée sous un faux prétexte.

[41]   Toutefois, en l’espèce, le locateur n’a pas convaincu le Tribunal que la reprise ne constituait pas un prétexte pour atteindre une autre fin, soit le départ de la locataire.

[42]   Le fait que le locateur ait tenté de cacher au Tribunal la nature réelle des relations existantes entre les parties permet au Tribunal de douter de ses intentions véritables. La contradiction flagrante sur cet aspect de son témoignage amoindrie grandement sa crédibilité eu égard à ses véritables intentions quant à la reprise du logement.

[43]   De plus, il apparaît plutôt surprenant pour le Tribunal que le fils n’ait pas discuté avec le locateur du montant du loyer éventuel qu’il aura à payer. Pour le Tribunal, cet élément crée un doute quant au projet réel du fils d’habiter le logement concerné. Le projet de reprise est peu élaboré et semble improvisé.

[44]   En réponse à l’avocate de la locataire, le fils répond qu’il pense habiter ce logement environ deux ans; il ajuste ensuite sa réponse après hésitation en déclarant qu’il y demeurera un minimum de deux ans.


 

[45]   Le Tribunal perçoit dans le témoignage du fils qu’il répond non pas en fonction de ses intentions, mais plutôt afin de s’assurer que le Tribunal fera droit à la demande de reprise produite par son père.

[46]   Dans l'affaire Goudreault c. Bassel 1999 R.E.J.B. 15220 (C.Q.), le juge De Michele de la Cour du Québec, écrit ceci:

« [22] En matière de reprise de possession de logement, la cour doit baser sa décision sur une prépondérance de preuve. Cette prépondérance de preuve ne doit laisser aucun doute dans l'esprit du Tribunal quant aux intentions réelles du locateur/demandeur. »

[47]   En l’instance, le locateur n’a pas convaincu le Tribunal que la reprise ne constituait pas un prétexte pour atteindre une autre fin.

[48]   Au contraire, la preuve est plutôt à l’effet que l’exercice de la reprise est plutôt le moyen détourné utilisé pour arriver à l’objectif du locateur d’obtenir le départ de la locataire.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[49]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sylvie Lambert

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Sarah-Claude Pelletier (stagiaire), avocate de la locataire

Date de l’audience :  

11 février 2014

 


 

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