Décision

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Groupe Kehilla Montréal 1 c. Naderiants

2025 QCTAL 14518

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

815082 31 20240816 G

No demande :

4438480

 

 

Date :

23 avril 2025

Devant la juge administrative :

Luce De Palma

 

Le Groupe Kehilla Montréal 1

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Nathalia Naderiants

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande du 16 août 2024, le locateur demande la résiliation du bail de la locataire, en raison du non-respect de l’obligation de ne pas fumer dans son logement, ou dans l’immeuble, obligation qui lui incombe en vertu du bail.

Contexte et prétentions des parties

  1.          La locataire habite ce logement depuis 2020.
  2.          Il s’agit d’un logement de trois pièces et demie sis au cinquième étage d’un immeuble à logements multiples.
  3.          Le bail est actuellement en vigueur pour la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025, pour un loyer mensuel de 837 $.
  4.          La réglementation s’y rapportant prévoit que l’usage du tabac et de toute autre substance licite ou illicite est strictement interdit dans les logements et dans tous les espaces communs intérieurs et extérieurs, incluant notamment les balcons, le hall d’entrée et le stationnement.
  5.          Or, reproche la mandataire du locateur, le co-occupant du logement de la locataire fume la cigarette de façon importante, nuisant ainsi à la jouissance paisible d’autres locataires de l’immeuble.
  6.          Par son témoignage, elle relate que depuis l’entrée dans les lieux de la locataire, un ami de la locataire, lequel est sans doute son conjoint, a souvent été vu en train de fumer sur le balcon.
  7.          Sans doute fume-t-il aussi dans le logement, ayant reçu plusieurs plaintes voulant qu’une senteur de cigarette excessive provienne de ce logement.
  8.          En 2022, malgré des avertissements servis à la locataire à cet égard, une locataire voisine se plaignait que des mégots de cigarettes et des cendres se retrouvaient sur son propre balcon. La locataire était de nouveau avisée de faire cesser cette situation.
  9.      En 2023, c’est au garage que le conjoint de la locataire a été aperçu en train de fumer, capté par des caméras de surveillance.

  1.      Des plaintes se sont accumulées et la locataire a eu droit à des courriels l’avisant que cette conduite de son conjoint devait cesser.
  2.      Elle fait valoir que la situation perdure malgré tout, situation qu’elle qualifie de pénible. Tous les avertissements servis à la locataire ne semblent pas trouver d’écho chez cette dernière.
  3.      Témoignant pour le locateur, la locataire du logement 604 affirme que depuis le jour de sa propre arrivée dans l’immeuble, voilà trois ou quatre ans, elle sent de fortes odeurs de cigarette dès qu’elle ouvre la porte de son balcon pour changer l’air.
  4.      Elle assure que cette senteur la perturbe fréquemment, au point où elle a l’impression de fumer elle-même. Cette odeur est invivable et dérangeante, insiste-t-elle, de sorte qu’elle s’en plaint régulièrement au locateur.
  5.      Les contraventions aux règles se sont produites le plus souvent en 2023, admet-elle; en 2024, et particulièrement depuis l’introduction de la présente demande, au mois d’août, elle n’a pas eu à se plaindre, ni n’a vu le conjoint de la locataire fumer sur son balcon ou dans l’immeuble. Elle le voit fumer dehors, sur un trottoir éloigné de son balcon, là où des cendriers ont été placés.  
  6.      Sur ce, le locateur maintient sa demande de résiliation du bail, arguant que ses avertissements ont longtemps été ignorés par la locataire et que la situation, si elle a pu se calmer depuis que la présente demande est pendante, a longtemps perduré.
  7.      Elle a été une source de tracasseries et de préjudice sérieux pour les autres locataires de l’immeuble, l’obligeant à intervenir devant leurs plaintes, et particulièrement en raison des plaintes de la locataire du logement 604. La locataire semble avoir peu d’influence sur les habitudes de fumeur de son conjoint, déplore le locateur.
  8.      Au contraire, la locataire assure avoir fait beaucoup d’efforts afin que son conjoint cesse de fumer depuis que des courriels de plainte lui ont été servis et que des conversations ont eu lieu avec les représentants du locateur. Elle ne tolère plus qu’il fume dans le logement, assure-t-elle, non plus que sur le balcon.
  9.      Depuis sa rencontre avec la directrice du locateur, l’été passé, son conjoint a compris qu’il ne pouvait fumer qu’à l’extérieur, au niveau de la rue et à bonne distance de la porte principale de l’immeuble, ce qu’il fait.
  10.      Elle assure faire tout en son pouvoir pour que la situation reprochée ne se reproduise plus, tenant beaucoup à conserver son logement, d’autant que sa santé physique et psychologique est fragile, appert-il de lettres de ses médecins.
  11.      Son avocate plaide que le préjudice découlant de l’odeur décrite par la mandataire du locateur est mineure et le problème, sans gravité.  Aucun témoin n’a établi avoir été traité pour des problèmes de santé reliés à des odeurs ou émanations de fumée de cigarettes.
  12.      Au surplus, tout indique que le conjoint de la locataire ne fume plus dans le logement ni sur le balcon ou dans les espaces communs. Il ne s’agit donc pas de manquements contemporains, de sorte qu’ils ne sauraient emporter la résiliation du bail. Les questions de senteurs sont souvent subjectives, alors que ce qui est désagréable pour les uns peut ne pas l’être pour les autres. ([1]) 
  13.      Par ailleurs, la locataire est bien consciente de la problématique et fait des efforts sérieux afin que son conjoint continue de s’abstenir de fumer dans l’immeuble, de sorte qu’une dernière chance de s’amender doit lui être donnée, à tout le moins, si tant est qu’une résiliation du bail serait jugée fondée. 
  14.      Qu’en est-il?

Analyse et décision

  1.      Le Tribunal est ici face à une problématique reliée à des odeurs de fumée de cigarettes provenant des habitudes de fumeur du conjoint de la locataire, personne à qui elle permet l’accès à son logement. Ces odeurs perturbent, ou ont perturbé la jouissance des lieux d’autres locataires, particulièrement celle de la voisine du haut, la locataire du logement 604.

  1.      Notons qu'en matière de troubles de voisinage, les articles 1860, 1861 et 1863 C.c.Q. sont pertinents :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

« 1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.

Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

  1.      De plus, en l’instance, une clause du bail interdisant la consommation de tabac s’ajoute aux obligations usuelles de la locataire, clause reconnue comme étant valable par la jurisprudence. ([2])    
  2.      Par ailleurs, en ce qui a trait à la tolérance que se doivent les voisins, l'article 976 C.c.Q. se lit ainsi :

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

  1.      Est donc en jeu l'interaction de ces articles, eu égard aux faits dont ont témoigné les parties, alors que le locateur demande la résiliation du bail.
  2.      Eu égard à une problématique reliée à l'odeur de la cigarette, le juge Normand Amyot de la Cour du Québec s'exprimait ainsi dans la cause Korestky c. Fowler([3]) :

« Quant à la senteur de cigarettes, il faut noter que la société devient de plus en plus sévère à l'égard des fumeurs; le Législateur a décrété des zones d'interdiction de fumer; il semble bien qu'un locateur pourrait édicter une telle prohibition dans ses logements puisqu'un fumeur ne peut quand même pas obliger ses voisins à être des fumeurs passifs, d'autant plus que la science médicale a maintenant établi que la cigarette et la fumée étaient une cause de cancer ».

(Notre soulignement)

  1.      Cela étant, le Tribunal conclut d'abord, à l'instar des opinions exprimées par le Tribunal administratif du logement dans les décisions soumises, qu'il est tout à fait vrai que le niveau critique d'un trouble de voisinage peut varier d'un contexte à un autre, et qu'en sus d'être dénoncé, et de perdurer, le trouble invoqué doit être anormal, voire excessif([4]).
  2.      Il est vrai, aussi, que de vivre dans un immeuble à logements multiples implique une tolérance aux odeurs ambiantes plus importante que celle qui est attendue de ceux qui louent une maison de type unifamiliale([5]).
  3.      Par ailleurs, le type d'immeuble choisi ne peut excuser les odeurs anormales et significatives subies par des locataires qui paient leur plein loyer, bien entendu. Chaque cas doit être analysé à son mérite et selon ses circonstances propres.

  1.      Des témoignages entendus en l’instance, le Tribunal retient que la problématique dénoncée a été portée à l’attention de la locataire il y a un bon moment et qu’elle semble avoir longtemps adopté une attitude attentiste eu égard aux problèmes causés à la locataire voisine, notamment, du fait des odeurs de cigarette provenant de son logement.
  2.      Par ailleurs, le Tribunal retient aussi que la situation décrite ne relève pas de troubles ponctuels ni triviaux, mais plutôt de troubles persistants, réels, objectivement significatifs, voire excessifs, accordant foi aux propos de la locataire du logement no 604.
  3.      Soit dit en tout respect, le Tribunal estime qu'il ne s'agit pas ici d'odeurs ambiantes qui vont de pair avec la location d'un logement dans un immeuble à logements multiples, mais de senteurs qui dépassent un seuil de tolérance normal, plaintes dont le fondement présente un caractère objectif.
  4.      Notons que ces senteurs, en la présente espèce, sont d'autant plus anormales que le locateur présente cet immeuble comme un immeuble non-fumeur, ayant pris la peine d'insérer une clause au bail interdisant aux locataires de fumer toute forme de tabac.
  5.      Ayant pris soin d'insérer une telle clause dans les baux depuis quelques années, appert-il, il est clair qu'il se préoccupe des troubles notables pouvant découler de l'usage de ces substances. Devant des conséquences mineures et purement subjectives, comme peuvent l'être des odeurs de cuisson, par exemple, ce genre de clause ne saurait même être valide, au demeurant.
  6.      Avec l’odeur du tabac, vient possiblement une fumée secondaire, laquelle peut créer des ennuis de santé, comme l'exprimait notamment la juge administrative Manon Talbot dans la cause Sidorov c. Thérien([6]).
  7.      La soussignée adhère à cette façon de voir et estime que la présence persistante d'odeurs de cigarettes dans un logement, et possiblement de fumée secondaire, peut objectivement empêcher d'autres occupants de l'immeuble de jouir paisiblement de leur logement, et ce, de façon significative.
  8.      De plus, tel que réitéré par l'honorable juge Chantal Masse de la Cour Supérieure, tout en rejetant la demande d'un copropriétaire fumeur qui s'opposait à une nouvelle réglementation lui interdisant de fumer dans son unité de copropriété, il n'est pas même nécessaire que le fait de fumer soit, en soi, une faute ou illégal : il suffit qu'il entraîne des inconvénients anormaux ou excessifs pour le voisinage pour que la limite soit atteinte. Ainsi, du témoignage des copropriétaires qui affirmaient que la fumée ou l'odeur de fumée était de plus en plus perceptible dans leur logement, et qui craignaient pour la santé de leur futur enfant, elle concluait que la limite prescrite par l'article 976 C.c.Q. était atteinte du fait de ces troubles de jouissance ([7]).
  9.      Notons que récemment, le juge administratif Luk Dufort, dans la cause Le Saint-Patrick c. Khoury([8]), a aussi qualifié d'inconvénient anormal, excessif et persistant le problème découlant de la fumée ou de la senteur du cannabis dont usait un des locataires de l'immeuble.
  10.      Il résiliait son bail aux termes du témoignage de trois locataires qui se disaient incommodés par la senteur de cannabis. L'un se plaignait d'une odeur provenant de la ventilation de sa salle de bain, alors que les deux autres se plaignaient de la présence d'odeurs dans le corridor. Il ajoutait que le locataire fumeur contrevenait à la clause de son bail prohibant tel usage et qu'il en découlait un préjudice sérieux pour les plaignants.
  11.      De la même façon, la juge administrative France Tremblay ordonnait au locateur de faire respecter la réglementation visant une interdiction de fumer dans l'immeuble et diminuait le loyer des locataires plaignants devant les odeurs persistantes découlant de l'usage de différentes substances. Il leur était difficile de les tolérer, vu leur santé fragile, d'autant qu'en cette espèce, ils avaient aussi pris la précaution de louer dans un immeuble non-fumeur([9]).
  12.      Cela étant, le Tribunal estime que le locateur a relevé son fardeau de preuve, ayant démontré de façon prépondérante que pendant une longue période, les odeurs de cigarettes provenant du logement ou du balcon de la locataire lui ont causé, ou ont causé à d’autres locataires de l’immeuble, un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail.

  1.      Toutefois, le Tribunal a entendu les efforts de la locataire, bien que relativement récents, pour faire cesser le trouble, de sorte qu’il estime qu’il y a lieu de substituer une ordonnance à la résiliation du bail, ordonnance rendue en vertu de l’article 1973 C.c.Q.
  2.      En effet, tenant compte que tout indique qu’elle voit maintenant à ce que son conjoint fume à l’extérieur, et au niveau de la rue, depuis le dépôt de la présente procédure, le Tribunal estime opportun de lui ordonner de continuer de voir à ce qu’il respecte la réglementation en vigueur, croyant en son désir de s’amender définitivement et en sa bonne foi.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ORDONNE à la locataire de s’assurer que son conjoint s’abstienne en tout temps de fumer dans le logement ou sur le balcon, de même que dans les espaces communs intérieurs et extérieurs, tel que le prescrit le règlement de cet immeuble.               

 

 

 

 

 

 

 

 

Luce De Palma

 

Présence(s) :

la mandataire du locateur

l’avocate de la locataire, Me Catherine Boutin

la locataire

Date de l’audience : 

4 mars 2025

 

 

 


 


[1] Ortiz c. Gargallo, 2018 QCRDL 4030.

[2] Korestky c. Fowler : 2008 QCCQ 2534.

[3] Id.

[4] Boudreault c. Boucher, 2015 CanLii 139706; Lessard c. Paquin, 2020 QCRDL 3041.

[5] Id.

[6] R.L. Montréal, # 243211, le 31 janvier 2018, j. adm. M. Talbot.

[7] El-Helou c. Syndicat de la Copropriété du 7500, 7502, 7504 rue St-Gérard, Montréal, 2019 QCCS 2238.

[8] Montréal, TAL, # 562685, le 1er avril 2022.

[9] Paré c. Cantin, TAL, Montréal, # 489705, le 20 avril 2021.

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