Cap Reit GP inc., s.e.c./Cap Reit c. Konte | 2022 QCTAL 11069 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 603631 31 20211222 G | No demande : | 3425405 | |||
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Date : | 20 avril 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Erika Aliova | |||||
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Capreit GP Inc. SOCIÉTÉ EN COMMANDITE Capreit Limited Partnership |
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Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Aliou Konte |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 22 décembre 2021, la locatrice demande d’être entendue de façon urgente afin d’obtenir la résiliation du bail du locataire, de même que des dommages-intérêts de 2 054,60 $, l’exécution provisoire de la décision, malgré appel, plus le paiement des frais.
[2] À l’audition, l’avocate de la locatrice se désiste de sa réclamation en dommages de 2 054,60 $, car la preuve démontre que le locataire a déjà payé cette somme.
[3] Il appert de la preuve que les parties sont liées par un bail reconduit pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, pour un loyer mensuel de 682 $ par mois.
[4] Le locataire est absent à l’audience, malgré qu’il fût dûment notifié de la demande et convoqué à l’audience du 5 avril 2022.
[5] Il s’agit d’un immeuble de trois étages comportant 19 logements. Le locataire habite l’appartement #1 depuis le 1er juillet 2018.
PREUVE DE LA LOCATRICE
[6] Plusieurs incidents se sont produits entre les mois de juin 2021 et mars 2022 concernant des gestes posés par le locataire.
Le témoignage de monsieur Thou
[7] Monsieur Thou est un employé de la locatrice depuis le mois d’octobre 2015. Il s’occupe de la maintenance de l’immeuble. Il témoigne sur plusieurs incidents qu’il a constatés impliquant le locataire.
29 juin 2021
[8] Monsieur Thou se rend à l’immeuble où habite le locataire pour effectuer des réparations dans l’immeuble. En arrivant devant l’immeuble, il constate que la porte principale en verre de l’immeuble a été complètement fracassée. Des morceaux de vitre jonchent le sol.
[9] Un rapport d’événement de la locatrice et des photos sont déposés en preuve à cet effet.
[10] Dans le rapport d’événement, on peut lire : « Les policiers ont été contactés par les locataires mais le fautif était déjà parti à leur arrivée. »
[11] Il témoigne que l’auteur de ce méfait est peut-être le locataire de l’appartement #1.
24 novembre 2021
[12] Monsieur Thou décrit un deuxième incident concernant du vandalisme survenu dans l’appartement #7 de l’immeuble. Le miroir neuf de la salle de bain a été cassé ainsi qu’une partie du lavabo. Monsieur Thou explique que le locataire de l’appartement #1 lui a confirmé être entré par le balcon pour s’introduire dans l’appartement #7 en admettant avoir commis les bris en question.
[13] Un rapport d’événement de la locatrice et des photos sont déposés en preuve à cet effet.
16 décembre 2021
[14] Un rapport d’événement de la locatrice a été déposé, dans lequel on peut lire la description de l’incident suivant :
« Le locataire de l’appartement #1 a brisé les vitres de la façade de l’entrée de l’immeuble ainsi que la 2e porte intérieure de l’entrée. De plus, selon les récits que nous avons reçu du locataire de l’appartement 16. Le locataire du #1 aurait essayé de défoncer la porte de sortie de secours avec un couteau. Il hurlait et criait toute la nuit. Il a traumatisé tous les locataires de l’immeuble et le 16 souhaite résilier son bail sur le champ. Nous avons contacté par téléphone les résidents et certains pleuraient au téléphone tellement ils ont eu peur avec leurs enfants. Cause : le locataire #1 a essayé d’entrer dans les appartements de ses voisins via les escaliers de secours intérieur. Il avait un couteau et portait une longue chemise blanche et hurlait en cognant dans les portes et les murs.
Les policiers sont venus ont embarqué le locataire du #1 et des charges ont été faits contre lui. Nous ferons une demande d’éviction pour le locataire fautif. J’ai parlé avec les policiers pour avoir le plus d’informations possible et ils m’ont confirmé que c’était bien le locataire du #1. Des locataires voudront quitter leur appartement et nous devons faire une terminaison de bail. Un appel de service. » [sic]
28 janvier 2022
[15] Monsieur Thou témoigne que la porte de l’appartement #3 a été vandalisée avec de la peinture en aérosol de couleur argent. On retrouve aussi des graffitis sur le plafond et sur le plancher du couloir.
[16] Il explique qu’il s’est rendu dans l’immeuble où habite le locataire en raison de l’alarme du panneau d’incendie qui s’est déclenchée.
[17] Des photos et un rapport d’événement de la locatrice sont déposés en preuve à cet effet.
[18] Dans le rapport d’évènement de la locatrice, on peut lire la description suivante :
« Je me suis présenté à l’immeuble du [...], le panneau alarme sonnait j’ai essayé de faire un reset mais sans succès et j’ai contacté le service AXIMA Cause : selon le technicien du service incendie AXIMA, le locataire du #1 a mis le feu au détecteur de chaleur et le klaxon
Ce même locataire est en attente d’une décision d’éviction pour d’autre dommages causés dans cet immeuble. » [sic]
21 mars 2022
[19] Un enregistrement vidéo est aussi déposé en preuve par la locatrice. L’enregistrement vidéo fait l'objet d'une écoute en salle d'audience.
[20] Monsieur Thou reconnaît le locataire sur l’enregistrement vidéo. On y aperçoit le locataire tenir un long bâton blanc dans sa main gauche. Il tient dans sa main droite un fil noir, probablement en plastique, qu’il brandit en essayant d’atteindre à cinq reprises le luminaire installé au plafond.
[21] Le Tribunal constate qu’il essaie de fracasser les plafonniers en vitre de la salle d’entrée de l’immeuble de la locatrice. En visionnant l’enregistrement vidéo, le Tribunal constate des débris de verre au sol. On voit aussi trois plafonniers brisés sur le plancher. On peut aussi voir sur le tapis de l’entrée la mention : « Capreit ».
[22] L’enregistrement vidéo est capté par les caméras de surveillance installées par la locatrice dans le lobby d’entrée.
[23] Un rapport d’événement de la locatrice est déposé en preuve à cet effet et on peut lire la description suivante :
« Thou de l’équipe du crew m’a avisé à 8h le matin que le lobby de notre immeuble a été vandalisé, le chandelier au plafond a été cassé. Cause : un locataire du [...] M. KONTE a été reconnu sur les caméras, il a essayé de retirer le logo de CAPREIT sur la porte principale avec une paire de ciseau, une fois entré dans l’immeuble avec un long baton de métal il a pris des photos et filmé les environs et a cassé le gros luminaire de l’entrée avec son trousseau de clé. Vidéo ainsi que photos prise via les caméras de surveillance » [sic]
[24] Monsieur Thou explique que le locataire lui a mentionné avoir enlevé les ampoules dans l’immeuble.
25 mars 2022
[25] Monsieur Thou continue son témoignage en décrivant un autre incident au cours duquel le locataire se serait introduit sur le toit de l’immeuble. Ce dernier aurait pris des briques qui s’y trouvaient et les a lancées en bas de l’immeuble.
[26] Par ses actions, le locataire a fracassé le pare-brise d’une voiture noire qui se trouvait en bas à côté de l’immeuble de la locatrice. Le Tribunal constate sur les photos que des briques sont maintenant sur le capot de la voiture noire qui est stationnée à côté de l’immeuble.
[27] Le locataire a aussi complètement fracassé et brisé les vitres des quatre puits de lumière qui sont situés sur le toit de l’immeuble. Le tout est constaté par le Tribunal en examinant les photos déposées en preuve.
[28] Le locataire a aussi endommagé la vitre de la porte de couleur verte qui donne accès au toit. Le Tribunal constate la présence de morceaux de verre sur le toit.
[29] Un rapport d’événement de la locatrice et des photos sont déposés en preuve à cet effet.
Le témoignage de monsieur Amir Filali
[30] Monsieur Filali est le directeur des opérations de la locatrice depuis novembre 2019. Il explique que les locataires de l’immeuble sont des familles et qu’il y a une école à proximité. Il explique que les problèmes avec le locataire de l’appartement #1 ont débuté au mois de juin 2021.
[31] Le 21 décembre 2021, une mise en demeure est transmise au locataire afin de réclamer des dommages de 2 054,60 $. Dans la mise en demeure, on peut lire les gestes suivants qui sont reprochés au locataire :
- le 29 juin 2021, il a fracassé la porte-fenêtre de l’immeuble du locateur;
- le 16 décembre 2021, le locataire a fracassé une deuxième fois la porte de l’immeuble du locateur;
- le 16 décembre 2021, au courant de la nuit, le locataire a essayé de pénétrer de force dans tous les appartements de l’immeuble sis au [...], et ce, armé d’un couteau.
[32] Monsieur Filali mentionne que les locataires ont tous peur de venir témoigner devant le Tribunal en raison du comportement dangereux et imprévisible du locataire de l’appartement #1.
[33] Il explique n’avoir jamais eu à faire avec un locataire qui agissait de la sorte.
[34] Il demande la résiliation du bail du locataire de l’appartement #1. Il explique que la locatrice a porté plainte plusieurs fois à la police concernant le locataire.
[35] Il continue son témoignage en expliquant que le locataire frappe sur les portes des autres locataires et il crie dans l’immeuble.
[36] Il témoigne que deux locataires sont déjà partis en raison des agissements du locataire de l’appartement #1.
[37] Il explique au Tribunal qu’il ne veut pas que d’autres locataires quittent en raison du comportement fautif du locataire.
[38] Tel se résume l’essentiel de la preuve soumise par la locatrice.
[39] En l'espèce, la preuve de la locatrice n'est pas contestée, puisque le locataire est absent à l'audience.
ANALYSE ET DÉCISION
[40] En vertu de l'article
[41] L'article
[42] L'article
[43] Il s'agit d'un régime de responsabilité sans faute qui est axée sur le résultat de l'acte accompli plutôt que sur le comportement[1]. Il se fonde sur la gravité de l'inconvénient causé à son voisin, sous le prisme de la « normalité » et du « caractère tolérable » de l'inconvénient qui doit être analysé par le Tribunal. Ainsi, ce n'est pas le comportement qui est analysé, mais bien son résultat.
[44] Pour déterminer le seuil de « tolérance », le Tribunal doit retenir un critère objectif, à savoir « (...) celui d'autres voisins placés dans les mêmes circonstances : celui de l'être raisonnable »[2].
[45] L'analyse du caractère normal ou anormal des inconvénients subis s'effectue selon deux critères, soit la récurrence et la gravité du trouble[3].
[46] En somme, le Tribunal doit fonder son appréciation sur des considérations objectives et probantes. Il doit chercher à déterminer si une situation, par sa répétition, insistance et ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail du locataire fautif. En bref, il doit s'agir d'une situation extraordinaire et inhabituelle, vu le droit primordial au maintien dans les lieux du locataire.
[48] Le Tribunal rappelle certaines règles générales relatives au fardeau de la preuve prévues aux articles
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »
[49]
La preuve démontre que les comportements répréhensibles du locataire durent depuis juin 2021 et qu'il a généré plusieurs méfaits, vandalismes, gestes dangereux, troubles, bris dans son logement et dans l’immeuble de la locatrice. Il s'agit d'une situation exceptionnelle et anormale qui alourdit de manière déraisonnable la gestion de l'immeuble et qui met en danger les autres locataires de l’immeuble.
[50] Il vaut, par ailleurs, de souligner que dans certains cas exceptionnels, un seul acte, geste ou comportement pourrait être jugé suffisant pour que le Tribunal résilie le bail en raison de la gravité objective du geste, mais aussi de ses effets et de ses conséquences.
[51] Le Tribunal juge qu'en l'espèce, la preuve prépondérante non contestée démontre que le locataire, monsieur Aliou Konté, par ses actes, ses gestes, à l'égard de son logement et de l’immeuble de la locatrice, ainsi que son comportement dangereux, agressif et violent font en sorte que celui-ci trouble la jouissance paisible des autres locataires de l’immeuble.
[52] Encore une fois, le Tribunal juge que les troubles de jouissance démontrés excèdent les inconvénients normaux du voisinage, avec répercussions graves pour la locatrice et les occupants de l’immeuble. Le préjudice est sérieux et ne fait pas de doute.
[53] Tel qu’il appert de l’enregistrement vidéo déposé en preuve, le Tribunal constate que locataire utilise un bâton pour casser la lumière à l’entrée de l’immeuble, geste plutôt violent et très inquiétant. De tels agissements sont inacceptables et cet événement, à lui seul, justifie la résiliation du bail.
[54] Mais il y a plus.
[55] Le Tribunal constate également de nombreux autres comportements violents et inacceptables commis par le locataire :
-bris de matériels (portes, puits de lumière, miroir, lavabo, plafonniers, luminaires, détecteur de chaleur);
-lancer des objets tel que des briques du toit de l’immeuble;
-bris du pare-brise de la voiture stationnée en bas;
-vandalisme (graffitis sur porte, plafond et plancher);
-se promène avec un couteau, bâton en métal, ciseau;
-intervention de policiers;
-bruits et cris.
[56] Après l’analyse de l’ensemble de la preuve soumise, le Tribunal conclut que le locataire sème la terreur dans l’immeuble et met en danger la sécurité des locataires et des occupants des autres logements de l’immeuble.
[57] La locatrice s'est acquittée de son fardeau de preuve. La preuve du manquement passé et présent du locataire à son obligation de ne pas troubler la jouissance paisible des lieux et du préjudice sérieux qui en résulte justifie la résiliation du bail à ses entiers torts.
[58] Le préjudice causé à la locatrice justifie l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[4].
[59] Les frais applicables sont adjugés contre le locataire selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement[5].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[60] RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[61] ORDONNE l’exécution provisoire, malgré l’appel, de l’ordonnance d’expulsion dans les cinq jours de la présente décision;
[62]
CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice les frais de 103 $.
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Erika Aliova | ||
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Présence(s) : | le mandataire de la locatrice Me Roxanne Hardy, avocate de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 5 avril 2022 | ||
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[2] Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac,
[3] Laflamme c. Groupe Norplex inc. (C.A., 2017-09-26), 2017 QCCA 1459,
[5] RLRQ, c. T-15.01, r. 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.