9155-8270 Québec inc. c. Harewood

2016 QCRDL 31766

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

31-120118-051 31 20120118 T

No demande :

2036050

 

 

Date :

19 septembre 2016

Régisseure :

Claudine Novello, juge administrative

 

9155-8270 Québec inc.

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Denise Harewood

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande la rétractation d'une décision rendue le 9 juin 2016, suite à une audience tenue le 21 avril 2016 à laquelle toutes les parties étaient présentes.

[2]      La décision contestée accueille en partie la demande de la locataire en diminution de loyer, en dommages et en exécution en nature des obligations du locateur, notamment à rendre à la locataire l’usage de deux espaces de stationnement.

[3]      Le mandataire du locateur allègue que le jour de l’audience, la locataire a produit, au soutien de sa preuve, un bail conclu le 4 septembre 1996, pour établir son droit à deux espaces de stationnement.

[4]      Il soumet que lors de l’audience il n’avait pas l’original de ce bail et il ne pouvait à même la copie qui lui avait été remise identifier avec précision la signature du locateur. Ainsi, à l’audience, il a contesté la véracité et l’authenticité du bail ainsi produit par la locataire.

[5]      Ce n’est que lors de l’audience qu’il a appris que le signataire du bail pour le locateur était Robert Mansour, mais dans le feu de l’action, il n’a pas demandé à la juge administrative d’ajourner ou suspendre les débats dans le but d’assigner Robert Mansour comme témoin afin qu’il puisse identifier le bail et expliquer qu’elles étaient les véritables intentions des parties lors de sa conclusion.

[6]      Aussi, après avoir entendu un expert en écriture et analyse la preuve, la juge administrative saisie du dossier, a considéré le bail soumis valide et opposable au locateur, et incidemment a reconnu le droit de la locataire aux espaces de stationnement revendiqués.

[7]      Le mandataire du locateur allègue qu’après l’audience, il a retracé Robert Mansour qui lui a confirmé que la locataire n’avait pas le droit aux espaces de stationnement, et que tels n’étaient pas les termes et intentions des parties.

[8]      Il estime que la locataire a donné un témoignage mensonger et dans ce contexte, il soumet que la juge administrative saisie du litige n'avait pas tout le portrait du dossier, de sorte qu'elle n'a pas pu apprécier la preuve dans son ensemble. Il est convaincu que si le locateur avait l'opportunité de reprendre les débats et refaire sa preuve en défense sur la demande de la locataire, l'issue du litige serait différente.

[9]      La locataire, pour sa part, s'oppose à la rétractation de la décision et soutient que la juge administrative saisie du dossier a rendu une décision éclairée, bien fondée en fait et en droit.


[10]   Qui plus est, soumet-elle, le locateur était en possession d’une copie du bail depuis quatre ans et aurait pu fait des recherches pour retrouver Robert Mansour et le faire témoigner en temps opportun.

[11]   Le recours de la locataire se fonde sur l'article 89 de la Loi sur la Régie du logement qui se lit comme suit :

89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Demande en rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque la Régie a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.

Délai.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.

Demande de rétractation.

La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.

[12]   Dans les faits, ce que demande le locateur, c'est d'apprécier la justesse de la décision rendue par la juge administrative, ainsi que l'analyse de la preuve faite par cette dernière.

[13]   Or, l'appréciation de la preuve relève de l'entière discrétion du juge qui préside le procès.

[14]   De plus, il est à préciser que chaque partie est maître de sa preuve.

[15]    Ainsi, bien que surpris par le témoignage de la locataire et du bail présenté par cette dernière dont il conteste l'intégrité, le représentant du locateur n'a pas demandé l'ajournement, la suspension de la cause afin de combler les lacunes de sa preuve.

[16]   Le fait d'avoir accepté de poursuivre l'audience dans les conditions soulevées en l’instance sans requérir d'ajournement ou suspension, ne peut constituer un empêchement prévu à l'article 89 de la Loi sur la Régie du logement.

[17]   À cet effet, Me Christine Bissonnette exprimait dans une décision rendue le 14 octobre 1998 :

«Le locateur n'a pas demandé devant le régisseur l'ajournement de l'audience pour faire entendre le témoin.»

[18]   Et plus loin, elle ajoute :

«Devant l'échec de ce choix, il tente d'obtenir la rétractation de la décision rendue, alors qu'il appartenait au locateur de requérir l'ajournement de l'audience si ce témoin absent était si «important et essentiel» à sa preuve, comme il tente de le démontrer maintenant.»

[19]   La juge administrative termine comme suit :

«Ainsi, ils devront soumettre toute la preuve disponible devant le régisseur et requérir, s'il y a lieu et dans les cas qui le justifient seulement, une remise ou un ajournement de l'audience. Car en choisissant de procéder devant le régisseur, comme l'a fait le locateur en l'espèce, il s'exposait à ne pas être satisfait de la décision s'il n'avait pas présenté toute sa preuve.

Enfin, la Régie, siégeant toujours en première instance, n'a pas à rétracter la décision rendue par le régisseur, car le motif invoqué n'est pas du ressort de la rétractation : il s'agit plutôt d'un motif d'appel déguisé.»([1])

[20]   Dans une autre décision, la juge administrative Christine Bissonnette précise :

«La Régie juge que ce type de motifs doit être invoqué au moment même où le régisseur décide du sort de l'audience; à défaut de quoi, en acceptant de procéder, la partie couvre tacitement tous les incidents préliminaires. On ne peut permettre aux parties insatisfaites d'une décision de réviser ce qu'elles auraient dû faire ou présenter devant le régisseur en temps opportun; car une telle analyse est bien entendu teintée par le sort de la décision que l'on tente de modifier. Les moyens invoqués en matière de rétractation doivent correspondre aux critères établis par l'article 89 de la Loi sur la Régie du logement, ce qui n'est pas le cas ici.»([2])


[21]   Considérant que les motifs invoqués par la locataire ne donnent pas ouverture à la rétractation, sa demande ne peut être retenue.

[22]   De plus, l'insatisfaction d'une partie face à une décision rendue ne constitue pas un motif de rétractation, mais plutôt un motif d'appel.

[23]   À ce sujet, madame Thérèse Rousseau-Houle et Me Martine de Billy écrivent dans leur traité sur le bail d'un logement :([3])

« L'article 89 ne peut être utilisé à titre d'appel déguisé. Si une partie n'est pas satisfaite de la décision rendue, elle ne peut pas en demander la rétractation afin de présenter une meilleure preuve.

On ne peut en effet demander à la Régie du logement d'accorder la rétractation pour ce motif, car ce serait confier au régisseur siégeant en rétractation une fonction qui va au-delà de sa compétence: celle de juger de la justesse de la décision d'un collègue, une tâche réservée tant à la Cour provinciale siégeant en appel dans les cas prévus à l'article 91 de la Loi sur la Régie du logement siégeant en révision des décisions portant sur une demande dont le seul objet est la fixation, la révision ou le réajustement de loyer. »

[24]   En l'instance, le locateur n'ayant pas démontré avoir été empêché de fournir une preuve par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, le tribunal ne peut faire droit à sa demande.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Claudine Novello

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Me Robert Tobgi, avocat du locateur

la locataire

Me Ivan Kharlanov, stagiaire en droit pour la locataire

Date de l’audience :  

30 août 2016

 

 

 


 



[1] A & F Investments inc. c. Grace M. Cann, Me Christine Bissonnette, régisseure, R.L., 14 octobre 1998.

[2] Bissonnette, régisseure, R.L., 14 octobre 1998.

[3] Rousseau-Houle, Thérèse et Martine de Billy, Le bail du logement, Montréal, 1989, Wilson et Lafleur, p. 310.

AVIS :
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