MPECO inc. c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts | 2022 QCCA 916 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(700-17-011297-149) | |||||
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DATE : | 27 juin 2022 | ||||
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MPECO INC. | |||||
APPELANTE – demanderesse | |||||
c. | |||||
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VILLE DE SAINTE-AGATHE-DES-MONTS | |||||
INTIMÉE – défenderesse | |||||
et | |||||
NORDMEC CONSTRUCTIONS INC. | |||||
MISE EN CAUSE – mise en cause | |||||
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 janvier 2021 par la Cour supérieure, district de Terrebonne (l’honorable Élise Poisson), lequel rejette sa demande introductive d’instance[1].
[2] En 2013, l’intimée, la Ville de Sainte-Agathe-des-Monts (la « Ville »), a lancé un appel d'offres public pour la mise à niveau et l'augmentation de la capacité de traitement de sa station d'épuration des eaux usées. Trois entreprises ont déposé des soumissions, dont l’appelante et la mise en cause Nordmec Constructions inc. (« Nordmec »). La soumission de cette dernière était la plus basse. L’appelante, soumissionnaire ayant déposé la deuxième plus basse soumission, prétend que la Ville a commis une faute lors de l'évaluation de la conformité de la soumission de Nordmec. Plus particulièrement, elle lui reproche de l'avoir déclarée conforme, alors que la soumission ne comprenait pas de certificat de l’Autorité des marchés financiers (« AMF »), contrairement aux exigences du devis d'appel d'offres et de la loi. Il est admis que la soumission de Nordmec ne détenait pas un tel certificat.
[3] L’appelante réclame la perte de profit résultant de l'exécution du contrat convoité. À la suite d'une scission d'instance, seules les questions relatives à la responsabilité de la Ville ont été tranchées.
[4] La Loi sur les contrats des organismes publics[2] (« LCOP ») prévoyait que toute entreprise qui souhaite conclure avec un organisme public un contrat comportant une dépense égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement doit obtenir une autorisation de l’AMF. Selon le décret 1105-2013[3], le gouvernement a établi ce seuil à 10 000 000 $.
[5] L’article 21.17 de la LCOP est rédigé comme suit au moment des faits :
21.17. Une entreprise qui souhaite conclure avec un organisme public tout contrat comportant une dépense égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement doit obtenir à cet effet une autorisation de l’Autorité des marchés financiers. Ce montant peut varier selon la catégorie de contrat.
| 21.17. An enterprise that wishes to enter into a contract with a public body involving an expenditure equal to or greater than the amount determined by the Government must obtain an authorization for that purpose from the Autorité des marchés financiers (the Authority). The amount may vary according to the category of contract. |
Une entreprise qui souhaite conclure tout sous-contrat comportant une dépense égale ou supérieure à ce montant et qui est rattaché directement ou indirectement à un contrat visé au premier alinéa doit également être autorisée. De tels sous-contrats sont des sous-contrats publics.
| An enterprise that wishes to enter into a subcontract that involves an expenditure equal to or greater than that amount and that is directly or indirectly related to a contract described in the first paragraph must also obtain such an authorization. Such subcontracts are public subcontracts.
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Aux fins du présent chapitre, le mot « entreprise » désigne une personne morale de droit privé, une société en nom collectif, en commandite ou en participation ou une personne physique qui exploite une entreprise individuelle. | For the purposes of this chapter, “enterprise” means a legal person established for a private interest, a general, limited or undeclared partnership or a natural person who operates a sole proprietorship. |
| [Soulignement ajouté][4] |
[6] La section E des documents d’appel d’offres – Cahier des charges administratives particulières - mentionne ce qui suit concernant l’exigence de détenir un certificat de l’AMF :
1.9 Dépôt des soumissions
Les soumissions doivent être déposées au plus tard le 26 février 2014, à 11 h. (…)
À l’original de la soumission sont brochés, dans l’ordre, les documents suivants :
- original de la formule de soumission et du bordereau de soumission;
[…]
- Certificat d’autorisation de l’AMF pour les contrats avec un organisme public si la soumission est supérieure à 10 000 000 $. Cette condition est essentielle, car si le certificat n’est pas joint à la soumission, celle-ci sera rejetée;
[7] Comme la juge l’a déterminé, la nécessité de joindre le certificat de l’AMF prévu aux documents d’appel d’offres, doit être interprétée en conformité avec les dispositions de la loi, puisque cette exigence découle de l’application de celle-ci. Cette disposition n’est que le reflet de ce qui est contenu dans la LCOP.
[8] Est-ce que la LCOP prévoit qu’il s’agit de la dépense réellement engendrée ou celle inscrite au bordereau de soumission qu’il faut prendre en compte aux fins de l’exigence de détenir un certificat de l’AMF? La juge a raison d’affirmer que la valeur d’un contrat se distingue de la dépense qu’il entraîne, tel qu’indiqué par l’interprétation des lois en semblable matière[5]. Alors, « dépense » veut dire la dépense réellement engendrée par la Ville. En effet, la version anglaise qui utilise le mot « expenditure » est tout à fait claire et démontre que c’est le montant réellement dépensé qui compte.
[9] En conséquence, la juge n’a pas fait d’erreur en considérant que l’exigence de détenir une autorisation de l’AMF est liée à la dépense engendrée par le contrat devant être octroyé et non pas à la valeur du contrat apparaissant au bordereau de la soumission.
[10] Il s’ensuit donc que la juge ne fait pas erreur en concluant que la Ville avait raison de soustraire tout remboursement de taxes (ici la TPS et la TVQ) auxquelles elle a droit, telles que les crédits d’impôt, pour déterminer la « dépense » et la nécessité pour l’offrant de détenir le certificat de l’AMF. Autrement dit, ce sont les taxes nettes qui figurent dans la dépense de la Ville.
[11] L’appelante invoque un nombre d’items qui devraient, selon elle, être compris dans le calcul afin de déterminer le montant de la dépense totale liée à la soumission de Nordmec. Nous sommes d’accord avec la juge qu’il fallait rejeter les prétentions de l’appelante.
[12] La section 9.4 du Cahier des charges prévoit :
Section 9 – Traitement secondaire avancé, décantation et désinfection UV
[…]
Coûts d’opération
À l’item 9.4, l’Entrepreneur doit inscrire un montant forfaitaire pour les coûts d’opération sur un horizon de 10 ans. Cet item entrera en considération dans l’évaluation du coût de la soumission, mais ne sera pas un item payable à l’Entrepreneur à qui sera octroyé le contrat. (…)
[13] L’interprétation des documents d’appel d’offres constitue une question mixte de droit et de fait qui commande la déférence[6].
[14] Contrairement à ce que soutient l’appelante dans son mémoire, la juge ne fait aucune erreur manifeste et déterminante en concluant que, puisqu’il ne s’agit pas d’une dépense payable à l’entrepreneur, elle ne faisait pas partie de la dépense réellement engendrée par l’intimée.
[15] La juge n’a pas fait d’erreur non plus de ne pas inclure le montant forfaitaire pour les « travaux imprévus » dans le calcul des « dépenses » parce que tel qu’en fait foi la section 11 du Cahier des charges, la Ville ne s’engage pas à payer ce montant. Surtout, et tel que mis en preuve par l’intimée, le montant qu’elle a payé pour des imprévus n’a pas haussé la dépense totale de la Ville au-dessus du seuil de 10 000 000 $.
[16] Considérant ce qui précède, la dépense réellement engendrée était inférieure à 10 000 000 $ et NordMec n’était donc pas obligée de détenir un certificat de l’AMF pour que sa soumission soit valide.
POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :
[17] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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| FRANÇOIS DOYON, J.C.A. | |
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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Me Sylvain Unvoy | ||
MALETTE UNVOY AVOCATS | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Daniel Goupil | ||
PRÉVOST FORTIN D’AOUST | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 8 juin 2022 | |
[1] MPECO inc. c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts, 2021 QCCS 41 [jugement entrepris].
[2] RLRQ, c. C-65.1.
[3] Décret 1105-2013, 30 octobre 2013 (2013) 145 G.O. 11 4888 et 4889.
[4] Les modifications législatives subséquentes n’apportent aucun changement aux mots soulignés, voir la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics, LQ, c. 27, art. 117.
[5] Carignan c. Deschamps, (C.S., 2004-05-13), J.E. 2004-1603, 2004 CanLII 15475, paragr. 70 à 80, interprétation de l’article 573 Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19; Compagnie de recyclage de papiers MD inc. c. MRC de Vaudreuil-Soulanges, 2019 QCCS 4169, paragr. 128 à 135 (appel accueilli pour d’autres motifs, 2021 QCCA 1535) concernant la présomption de cohérence des termes employés dans des lois différentes traitant de matières semblables : voir aussi Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2021, p. 381 et s. et Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Lauzon, 2021 QCCA 1791, paragr. 17-20.
[6] Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1775, paragr. 6.
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