Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Sakkal c. Giancarli

2014 QCRDL 13389

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier:

31-100601-028 31 20100601 A

No demande:

51814

 

 

Date :

09 avril 2014

Régisseure :

Manon Talbot, juge administratif

 

KAMIL SAKKAL

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

PEDRO GIANCARLI

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

LES PROCÉDURES

[1]      Par un recours introduit le 1er juin 2010, le locataire demande une diminution de loyer à compter du 1er juin 2007, une ordonnance afin que le locateur exécute ses obligations ainsi qu’une demande en dommages pour une somme de 2 500 $. Le locataire demande également l’autorisation de déposer son loyer à la Régie du logement et l’exécution provisoire nonobstant appel.

[2]      Par un amendement déposé le 14 mars 2011, le locataire demande que la diminution de loyer soit rétroactive au 5 février 2002.

[3]      Lors de l’audience tenue le 10 septembre 2013, les parties ont convenu que le paiement du loyer se fera au moyen de la remise d’un chèque le premier jour de chaque mois, par l’intermédiaire du frère du locataire, soit Joseph Sakkal. Dans l’éventualité où ce dernier serait dans l’impossibilité d’agir, le chèque sera expédié par la poste au locateur et un reçu attestant du paiement lui sera retourné par la poste également.

[4]      Quant à l’amendement pour demander la diminution de loyer rétroactivement au 5 février 2002, le procureur du locataire se désiste de cette demande à l’audience.

[5]      Le litige subsiste quant à la demande en diminution de loyer, d’ordonnance d’exécution en nature et en dommages-intérêts.

ALLÉGATIONS ET PREUVE DES PARTIES

[6]      Au soutien de sa demande, le locataire allègue que le locateur a fait défaut de remplir ses obligations à son égard, en omettant d’effectuer diverses réparations qui s’imposaient dans le logement. De ce fait, il déplore n’avoir pu jouir pleinement de son logis, malgré ses plaintes répétées, bien que certaines réparations aient été corrigées dans le temps par le locateur.

[7]      Quant aux dommages-intérêts réclamés, il invoque avoir fait l’objet de harcèlement de la part du locateur.


[8]      Il est admis par le locateur que des défectuosités ont été dénoncées par le locataire, dont certaines ont été résolues. Cependant, il prétend que les délais pour les corriger doivent être imputés au locataire lui-même. Quant à d’autres demandes de travaux, il considère qu’elles sont non fondées, tout comme les allégations de harcèlement.

[9]      Les parties sont liées par un bail renouvelé du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, au loyer mensuel de 260 $. Il est admis par les parties que pour la période en litige, soit de 2010 à 2013, le locataire payait un loyer de 255 $.

[10]   Il s’agit d’un immeuble de deux étages, construit approximativement en 1927, comportant quatre logements de 3 ½ pièces. Le locataire occupe l’un de ces logis au 2e étage depuis 24 ans. Auparavant, le frère du locataire a occupé ce logement pendant plusieurs années.

Témoignage du locataire

[11]   Le locataire témoigne d’une altercation survenue avec le locateur le 11 mai 2010. Après avoir eu des discussions houleuses le matin, les parties se sont croisées à nouveau dans l’escalier de l’immeuble. Il affirme que le locateur l’a poussé pour ensuite lui mettre la main à la gorge. Il a pu retirer la main du locateur et mettre fin à cette empoignade. Il n’a pas voulu frapper ce vieil homme, dit-il. Il a toutefois appelé les policiers et déposé une déclaration pour que des accusations soient portées contre lui.

[12]   Il exhibe deux photographies pour démontrer des marques à son cou.

[13]   Selon le procès-verbal d’une deuxième audience tenue le 1er juin 2012 à la Cour municipale de la Ville de Montréal, le locateur a été déclaré non coupable du chef d’accusation porté contre lui. Il est précisé ce qui suit :

« Under my power of the Common Law, I order you to keep the peace for the next twelve months.

The prosecutor ask that he will be Acquitted. »

[14]   Le locataire témoigne également qu’à certaines occasions il a été invectivé par le locateur ainsi : « Shut up, mind your own business, go away, fuck you (en italien) ».

[15]   Le lendemain de l’altercation, soit le 12 mai 2010, le locataire expédiait une mise en demeure au locateur dans le but de requérir l’exécution des travaux ci-après décrits et la cessation de tout harcèlement à son égard :

« Mr. Giancarli,

I am sending you this letter to inform you of the following problems which exist right now in my apartment and in my building:

• All of the windows are drafty and the bedroom window is rotten.

• There is no washing machine outlet.

• There is no bedroom door or kitchen door.

• The kitchen carpet is 35 years old and needs to be replaced. The floors also need to be refinished.

• The electrical panel needs to be replaced with a circuit breaker by a certified electritian.

• The bathroom tiles in the shower area need to be replaced. The tiles are coming off and there is black fongus growing behind the tiles.

• The apartment needs to be repainted. I am willing to do the painting if you supply the paint.

• There are cracks in the hallway ceiling that need to be repaired.

• In addition, for the past 3years you have been harassing me. This has included dismissing me when I tried to ask for repairs, refusing to communicate with me, and has recently escalated to a physical attack. This attack occurred May 11, 2010. The police had to be called.

I would like to request that this harassment cease immediately and that the other problems mentioned above be fixed within 10 days of receipt of this letter. Beyond this date, I will be obliged to pursue my rights through legal means at the Régie du logement. This could include a request to deposit the rent at the Régie de logement, moral damages due to the harassment, and a rent reduction. I would also like to request that all further communication with me be done in writing and that you are not the one to do the repairs inside my apartment.

Please take immediate action. »


[16]   Le 25 mai suivant, le locateur lui adressait une lettre en réponse à sa mise en demeure, dans laquelle il explique que c’est lui qui est victime de harcèlement de sa part. De plus, il mentionne qu’il souhaite prendre les mesures pour changer les fenêtres depuis 12 mois, comme cela fut fait pour les autres logements de l’immeuble, mais sans succès. Il donne des explications quant aux autres griefs adressés par le locataire en concluant qu’il est disposé à faire certains travaux, mais pour ce faire, il devra donner accès à son logement. Il conclut en indiquant qu’il est disposé à résilier le bail s’il préfère se loger ailleurs.

[17]   Le locataire ne peut affirmer à quelle date il a reçu cette lettre. En raison de l’erreur au code postal, les délais étaient plus longs pour la remise du courrier.

[18]   Le 1er juin, le locataire produisait sa demande au Tribunal de la Régie du logement.

[19]   Questionné par son procureur à savoir si le locateur a donné suite à ses demandes, il répondra par la négative en ajoutant qu’il s’est vu obliger d’expédier une autre lettre le 20 août 2010. Dans celle-ci, il mentionne que le travail le plus urgent consiste à changer le panneau électrique, pour lequel il requiert un avis de 24 heures, conformément aux dispositions du Code civil du Québec.

[20]   Il soutient qu’après plus d’un an sans réponse du locateur, il a dû s’adresser à un inspecteur de la Ville de Montréal, lequel a dressé une liste des travaux à effectuer qui se détaille ainsi :

« Chambre à coucher

1.  Réparer les parties mobiles de la fenêtre qui sont défectueuses, immobilisées (par la peinture ou clouées) ou difficiles à manœuvrer.

2.  Poser la porte de communication intérieure qui est manquante.

Cuisine

3.  Remplacer le revêtement de plancher de la cuisine (tapis) qui est détérioré.

4.  Refaire le revêtement des murs qui est détérioré. Combler te trou dans le mur au-dessous de l'évier.

5.  Refaire le revêtement du plafond qui est détérioré à la suite d'une infiltration d'eau. Régler le problème à la source.

6.  Les fenêtres d'un logement doivent être pourvues, du 1er mai au 31 septembre, de moustiquaires. Remplacer la moustiquaire existante.

Salle de bain

7.  Refaire le joint d'étanchéité de la baignoire (ou de la douche) et réparer le mur au besoin.

Appartement

8.  Réparer le revêtement du mur qui est lézardé.

9.  Réparer le revêtement lézardé du plafond.

Extérieur du bâtiment arrière

10.     Remplacer la porte extérieure donnant vers le balcon, qui est détériorée.

11.     Réparer et repeindre le plancher de la galerie qui est détérioré. Régler le problème à la source. Un permis est requis si une modification s’avère nécessaire. Le cas échéant, veuillez présenter une copie de cet avis au moment de la demande de permis. »

[21]   Plus amplement sur les travaux exigés, le locataire précise :

1.    Fenêtres : Deux des trois fenêtres ne s’ouvraient plus. Il en avait parlé au locateur et à sa fille dès 2009;

2.    Porte de chambre : L’absence de porte le prive de son intimité;

3.    Cuisine : Des dommages sont apparus aux murs suite à des infiltrations d’eau depuis 2009. Le tapis est usé en raison de son existence depuis plus de 30 ans. Il demande également une porte pour isoler la cuisine des autres pièces du logement;

4.    Moustiquaires : Ils sont manquants dans la cuisine et la chambre;

5.    Salle de bain : Les tuiles se décollaient. On lui a demandé d’apposer des sacs de poubelles pour les retenir.


6.    Murs et plafond : De nombreuses fissures sont apparues en raison des vibrations causées par la machinerie lourde utilisée par le locateur dans la cour arrière de l’immeuble.

7.    Porte arrière : Elle est difficile à fermer et il y a absence de moustiquaires;

8.    Balcon : Il est en mauvais et l’installation d’une membrane pour toiture à titre de revêtement du plancher est inadéquate pour ce genre d’utilisation. Celle-ci empêche de profiter du balcon l’été, car c’est trop chaud, elle dégage des odeurs et devient collante.

[22]   Le locataire admet que l’ensemble des travaux a été exécuté suite à l’intervention de l’inspecteur municipal. Selon lui, les travaux suivants sont toujours à effectuer:

·        Installer la tuyauterie pour lui permettre de brancher une laveuse à linge. Il explique qu’il doit utiliser le robinet de l’évier de cuisine pour brancher sa laveuse, ce qui lui cause des inconvénients. Pour cette raison, il requiert que la plomberie soit adaptée afin qu’il puisse brancher sa laveuse, comme c’est le cas pour les autres logements de l’immeuble;

·        Corriger le problème des fissures dans les murs et au plafond, lesquelles laissent s’échapper de la chaleur;

·        Changer le robinet vétuste de la salle de bain;

·        Changer le tapis usé de la cuisine.

[23]   Il ajoute que les fenêtres laissaient pénétrer beaucoup d’air froid, rendant le logement difficile à chauffer. Il devait donc apposer des membranes de plastique aux fenêtres chaque hiver.

[24]   En contre-interrogatoire par la procureure du locateur, il admettra finalement avoir reçu des lettres du locateur daté des 29 juin et 3 août 2010, contrairement à sa déclaration voulant qu’il eût été sans nouvelle entre le 25 mai et le 20 août 2010.

[25]   Dans la lettre datée du 29 juin 2010, le locateur écrit que sa fille Angela s’est présentée pour quérir le loyer et pour prendre les mesures des fenêtres. Or, il aurait dit à ce moment qu’il y réfléchirait. Le locateur lui réitère de lui faire savoir quand il serait intéressé à ce que les travaux soient exécutés.

[26]   Dans la missive du 3 août suivant, le locateur demande au locataire de donner suite à sa lettre du 29 juin précédent. Il lui rappelle également que le loyer de juillet et août demeure impayé malgré les messages laissés par sa fille.

[27]   En réponse à sa lettre du 20 août 2010, le locataire admettra finalement avoir reçu une lettre du locateur lui mentionnant qu’il recevrait un avis de 24 heures dans les semaines suivantes afin qu’un électricien puisse changer le panneau électrique. Il lui rappelle également son obligation de payer le loyer le premier jour de chaque mois.

[28]   De plus, le locataire reconnaît avoir refusé que l’une des fenêtres soit remplacée, car il aime son aspect décoratif.

Témoignage de Joseph Sakkal

[29]   Il habite le même immeuble que son frère depuis huit ans. Il a auparavant habité le logement concerné.

[30]   Il explique que l’immeuble est vétuste et requiert régulièrement des réparations. Lorsque des travaux sont demandés, on lui mentionne toujours qu’ils seront faits, mais les délais sont très longs ou encore, ils ne se présentent pas le jour prévu, ce qui cause beaucoup de frustration.

[31]   Ses communications ont toujours lieu avec la fille du locateur, Angela, avec laquelle il entretient de bonnes relations.

[32]   En contre-interrogatoire, il dira que dans le logement concerné, lors de son occupation, il n’y a jamais eu de porte pour la chambre ni pour la cuisine. Quant aux planchers, il s’était entendu avec le locateur qu’il pouvait enlever le tapis, ce qu’il a fait, sauf pour la cuisine. Il a lui-même sablé et verni les planchers. Eu égard aux fenêtres, il déclare qu’elles ont été remplacées pour les logements autres que celui de son frère en 2009 ou 2010. Finalement, dans le but d’accommoder les parties, il accepte de prendre le loyer de son frère pour le remettre à Angela chaque mois.


Preuve du locateur

Témoignage de Joe Giambattista

[33]   Il est le gendre du locateur et il s’occupe de l’entretien de ses immeubles.

[34]   Il a rencontré l’inspecteur de la Ville en juin 2010, pour déterminer l’étendue des travaux et pour demander l’accès au logement.

[35]   Il donne les explications suivantes concernant les divers travaux demandés et exécutés :

1.    Fenêtres : L’intention au départ était de les réparer. Ils ont finalement pris la décision de les changer, ce qu’ils ont fait, à l’exception de celle du salon à la demande du locataire;

2.    Porte de chambre : Une porte fût installée, comme demandé;

3.    Cuisine : Le tapis peut être retiré, car il y a un plancher de bois en bon état sous celui-ci. L’ouverture dans le mur a été refermée, laquelle pouvait effectivement laisser pénétrer de l’air froid sous l’évier;

4.    Moustiquaires : Ils ont été installés;

5.    Salle de bain : Les tuiles ont été changées, sauf celles qui n’étaient pas endommagées;

6.    Murs et plafond : Ils ont fait les réparations des fissures majeures et repeint les murs, mais il admet que des lézardes mineures peuvent réapparaître puisqu’il s’agit d’un vieil immeuble;

7.    Porte arrière : Il n’a pas changé la porte, mais elle a été réparée et le moustiquaire installé. Ils ont ainsi réglé les problèmes dénoncés;

8.    Balcon : Le recouvrement d’un matériau pour la toiture a été installé avant les réparations. Il était donc présent lors de la visite de l’inspecteur et aucune demande n’a été formulée à cet égard.

[36]   En somme, les réparations exigées au rapport ont toutes été exécutées, affirme-t-il.

Témoignage d’Angela Giancarli

[37]   Elle s’occupe de l’immeuble de son père depuis 2009. Elle perçoit les loyers chaque mois.

[38]   Cet immeuble génère mensuellement 1 300 $ de revenus locatifs. Ils font les travaux eux-mêmes et demandent aux locataires un effort d’entretien pour maintenir les loyers très bas.

[39]   Le lendemain de l’altercation survenue entre le locataire et son père, ce dernier recevait la mise en demeure exigeant l’exécution de certains travaux. Ces problèmes n’avaient jamais été dénoncés auparavant, sauf les fenêtres, affirme-t-elle.

[40]   Quand elle percevait le loyer, elle mentionne qu’il la rejoignait toujours à la porte en bas de l’escalier. Il ne les laissait jamais entrer dans son logement et semblait toujours furieux. À maintes occasions, elle allègue avoir dû se présenter plusieurs fois durant le mois pour obtenir le paiement du loyer.

[41]   Elle soutient que suite à la mise en demeure du locataire datée du 12 mai 2010, son père, par son intermédiaire, lui a rappelé qu’il voulait avoir accès au logement pour évaluer les travaux demandés. Cette lettre fut reçue par le locataire le 31 mai 2010. Non seulement il ne répondait pas, il ne payait pas son loyer à temps. Il a finalement donné accès au logement pour les travaux au panneau électrique, comme ce fut le cas pour les autres locataires en 2009. Cependant, il n’a pas accepté que le logement soit examiné pour l’évaluation des autres défectuosités alléguées.

[42]   Le 28 octobre 2010, le locateur recevait une lettre de l’ancien procureur du locataire demandant l’exécution des travaux et la cessation du harcèlement.

[43]   En réponse à cette lettre, le locateur transmettait par courrier recommandé une lettre demandant l’accès au logement pour y faire une inspection le 7 décembre suivant.

[44]   Madame Giancarli dit s’être présentée avec sa sœur à cette date. Le locataire leur faisait part de ses doléances et le ton s’est mis à monter. Il a mentionné : « Your father better be careful », tout en faisant un geste imitant un couteau sur la gorge, déclare-t-elle.

[45]   Elles ont quitté les lieux pour se rendre au poste de police, mais leur plainte n’a pas été retenue.


[46]   Près de deux mois plus tard, soit le 1er février 2011, la procureure du locateur recevait une lettre de l’avocat du locataire, dans laquelle elle allègue que des actes de harcèlement ont été commis par madame Giancarli envers son client le 7 décembre précédent et demande la cessation de ceux-ci. Ella ajoute que toutes les communications avec le locataire dans le futur devront être faites par écrit.

[47]   La procureure du locateur a répliqué le 17 février suivant en niant les allégations du locataire. De plus, en raison des prétentions concernant le comportement harcelant de madame Giancarli, elle exige que le loyer soit payé par chèque et posté au locateur directement.

[48]   Le 5 avril 2011, la procureure du locataire transmettait à la procureure du locateur une copie de l’amendement déposé à la Régie du logement et les chèques de loyer de mars et avril 2011. Elle précise que le locataire attend toujours les réparations à son logement, plus particulièrement en ce qui concerne les tuiles de la salle de bain, lesquelles requièrent une intervention urgente.

[49]   En mai 2011, ils sont informés que l’inspecteur de la Ville exige que des travaux soient effectués dans un délai de 30 jours.

[50]   Madame Giancarli témoigne que cette intervention a été reçue positivement, car elle permettait la présence d’une tierce partie pouvant possiblement concilier leur position respective.

[51]   Dès le 24 mai suivant, une visite du logement avec l’inspecteur a été demandée par madame Giancarli pour discuter des travaux exigés et obtenir un délai supplémentaire pour leur exécution, tel qu’il appert des notes de suivi de l’inspecteur produites à l’audience.

[52]   Le 1er juin suivant, lesdites notes révèlent que la procureure du locateur a demandé à l’inspecteur de convaincre le locataire de donner accès à son logement au locateur pour l’exécution des travaux.

[53]   À ce sujet, madame Giancarli témoigne que chaque fois qu’elle appelait le locataire pour l’aviser qu’ils se présenteraient au logement, il mettait fin à l’appel.

[54]   Le lendemain, l’inspecteur rencontrait le locateur et son ouvrier (son fils) au logement.

[55]   Les notes de l’inspecteur indiquent également ce qui suit en date du 7 juin 2011 :

« Discussion avec la fille du proprio. Elle veut savoir quelles sont les démarches dans le dossier. Je lui ai expliqué qu'il faut envoyé une lettre au locataire et demander une réponse écrite s'il veut déménager pour une période de 6 mois pour que le proprio puisse faire les réparations au complet. Le locataire doit lui répondre quelle est sa décision et in fonction de cela, les délais sont à voir Si le locataire décide de rester dans l'app. les travaux doit commencer immédiatement et le proprio peut avoir un délais supplémentaire.

Discussion avec Angela au tél. Veut une extension pour la semaine prochaine pour contacter son avocat (qui revient seulement le vendredi 17 juin) pour la lettre qui veut envoyer à son locataire. Finalement, j'ai accepté. » (sic)

[56]   En raison de ce qui précède, la procureure du locateur expédiait au locataire, à sa procureure et à l’inspecteur de la Ville une lettre présentant deux options pour l’exécution des travaux, laquelle se lit comme suit :

« Dear Mr. Sakkal

My above mentioned client Pietro Giancarli, for hirnself and on behalf of his wife, has asked me to follow up with you, pursuant to the notice received from the City of Montreal dated May 11th 2011 the "Notice", and the visit which took place in your apartment with the inspector Mme Madlen Dragutescu on June 2nd 2011.

As per the discussions of that day, my client is prepared to do the repairs in your apartment and is hereby offering you two options. Due to the postal strike this letter will be delivered to you by hand and e-mailed and faxed to your attorney.

Option one, my client will do all the repairs which were agreed to on June 2nd based on the Notice of May 11th. Basically this includes all the repairs mentioned with the following adjustments. He will clean not replace the carpet in the kitchen, and he will repair not replace the door leading to the balcony. With regard to the cracks in the walls, he will plaster and repair all cracked walls and paint only those sections of walls which were repaired. If there is damage to the wood floor in the kitchen due to the water infiltration coming from your washing machine, you will be held responsible.

This work should take between two to three months depending on your availability and cooperation. My client is prepared ta start the work within the next 10 days that is no later than Monday July 4th and will be in your apartment as required, from 8 am to 3 p.m Monday to Friday. Work will Begin with the windows and doors. You will have to give the workman access, and you may be required to vacate the apartment for a few hours during some days, especially when the plaster repairs are being done to the walls and ceilings.


Option two My client would be willing to do all the repairs agreed to on June 2nd plus extra renovations in your apartment, These would include the installation of gyproc, plaster and paint all walls and ceilings, sand and verathane the wood floors, redo the kitchen counters and cabinets, retile the bathroom, and replace certain plumbing and electrical installations as required and replace all windows and doors. As discussed this renovation could take up to 6 months You would not have to pay rent during the period that you would be evacuated from the apartment, my client would pay for your electricity and you would be responsible for moving out your personal belongings and moving back into the apartment at your own expense.

As agreed this letter is also being sent to the City inspector who will be following the work that will be executed in the apartment.

We would like to know your preferred option within the next week, so that my client can make all the necessary arrangements. If you choose option two, then my client would be pleased to give you more details as to the nature of the work to be carried out in your apartment and you could agree as to the start date and duration of the work.

If my client does not hear from you within the next seven days, then please be advised that he will assume you have accepted Option one and will proceed with the work as outlined above starting the week of July 4th 2011.

One final note, Please mail the rent directly to my client at his address at […]. Cote Saint Luc […] as this is the easiest way te pay the rent.

Do govern yourself accordingly.

Yours truly »

[57]   La procureure du locateur a finalement expédié par courrier recommandé à la procureure du locataire le 5 juillet suivant, une lettre l’avisant que les travaux débuteraient le 7 juillet suivant. Copie conforme était également expédiée à l’inspecteur de la Ville.

[58]   Tel qu’admis par le locataire en contre-interrogatoire, il a choisi la première option, car il n’avait pas le temps de se trouver un autre logement, dit-il.

[59]   Les travaux ont été exécutés conformément aux exigences de l’inspecteur. Elle souligne que les notes de ce dernier en date du 9 août le confirment, puisqu’il y est inscrit « Complet ». Ils n’ont d’ailleurs reçu aucune autre demande de la part de l’inspecteur.

[60]   Elle ajoute que lorsqu’ils ont voulu remplacer les quatre fenêtres, le locataire s’est opposé au remplacement de l’une d’elles, car il préférait celle en place. Ils ont dû payer la fabrication d’une fenêtre qu’ils ne peuvent utiliser, dit-elle.

[61]   Pour démontrer le manque de coopération du locataire, elle fait état d’une demande subséquente de ce dernier en août 2011 pour réparer un radiateur. Lettres à l’appui, elle souligne que des communications avec l’avocat du locataire se sont avérées nécessaires pour permettre l’accès au logement par l’électricien afin qu’il puisse vérifier la problématique dénoncée.

[62]   Elle invoque également qu’en novembre 2012, le frère du locataire a dénoncé une infiltration d’eau dans son logement. Pour trouver la source de cette défectuosité, le locateur et le plombier devaient avoir accès au logement du locataire. Les échanges de courriel produit entre madame Giancarli et Joseph Sakkal, démontrent les difficultés éprouvées pour résoudre cette problématique, alors que cette intervention était demandée au bénéfice de son frère, déclare-t-elle.

[63]   Elle souligne au passage que le frère du locataire leur est très utile en intervenant pour le paiement du loyer chaque mois.

ANALYSE

[64]   Devant ces témoignages contradictoires, le Tribunal doit se référer aux règles de preuve édictées au Code civil du Québec.

[65]   Afin de réussir dans son recours, il incombe au locataire d’établir par prépondérance de preuve les faits au soutien de ses prétentions, conformément aux dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec qui se lisent ainsi :

« 2803.      Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

                Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».

« 2804.      La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante».


[66]   De plus, l’auteur Léo Ducharme énonce relativement au fardeau de la preuve dans Précis de la preuve[1]:

« 146. S’il est nécessaire de savoir sur qui repose l’obligation de convaincre, c’est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l’absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdra. »

[67]   Selon le locataire, le locateur manquait ainsi aux obligations que la loi lui imposait aux articles 1854, 1864, 1910 et 1911 du Code civil du Québec, lesquels se lisent ainsi :

« 1854.      Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1864.      Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l’exception des menues réparations d’entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu’elles ne résultent de la vétusté du bien ou d’une force majeure. »

« 1910.      Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d’habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d’habitabilité est sans effet. »

« 1911.      Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état.

Lorsque le locateur effectue des travaux au logement, il doit remettre celui-ci en bon état de propreté. »

[68]   Le Tribunal ne remet pas en cause la légitimité de plusieurs des demandes du locataire.

[69]   Cependant, le Tribunal retient la défense du locateur en ce qui concerne le refus d’accès au logement par le locataire.

[70]   La preuve révèle que plusieurs lettres ont été expédiées au locataire pour requérir ses disponibilités pour exécuter les réparations demandées et qu’il n’a pas répondu à celles-ci ou tardivement suite à l’intervention de la procureure du locateur.

[71]   De plus, dans le cadre de son témoignage, le locataire déclare que le locateur n’a pas vraiment répondu à sa mise en demeure du 12 mai 2010. Comment concilier son témoignage avec les lettres des 25 mai, 29 juin et 3 août 2010 expédiées par le locateur mentionnant qu’il était disposé à exécuter les réparations?

[72]   La soussignée ne peut passer sous silence le fait que le locataire a nié la réception de ces correspondances dans le cadre de son contre-interrogatoire. Ce n’est qu’à l’ajournement, sur présentation de la preuve de réception de ces envois par courrier recommandé, que le locataire a finalement admis les avoir reçus.

[73]   Le Tribunal est d’opinion que les faits mis en preuve ont démontré un manque de collaboration de la part du locataire dans cette affaire, non seulement pour les travaux faisant l’objet de la présente demande, mais pour d’autres que le locateur exigeait bien avant. La preuve démontre que les fenêtres des autres logements et les panneaux électriques ont été remplacés en 2009. Pourquoi le locateur n’aurait pas fait ces travaux pour le logement concerné si ce n’est le refus du locataire?

[74]   Le témoignage de madame Giancarli s’est révélé fort crédible concernant les tentatives de rencontrer leurs obligations pour procéder aux réparations requises.

[75]   Par ailleurs, selon la preuve admise, la plupart des problèmes dénoncés ont été corrigés par le locateur. Le locataire prétend cependant que les correctifs ont été apportés après un trop long délai et après de multiples demandes.


[76]   Le Tribunal ne partage pas cet avis. Le locataire est en partie responsable du temps pris par le locateur pour régler les problèmes existants dans le logement entre la dénonciation formelle du locataire en mai 2010 et l’exécution des travaux en juillet 2011. Ainsi, la demande en diminution de loyer doit en conséquence être rejetée.

[77]   Quant aux travaux demeurant toujours inexécutés de l’avis du locataire, la position du tribunal est la suivante :

La tuyauterie pour le branchement d’une laveuse à linge :

[78]   Il n’y a aucune obligation du locateur en vertu du bail à ce sujet. Il ne peut s’agir d’une inexécution de ses obligations pouvant requérir une ordonnance d’effectuer de tels travaux.

Fissures dans les murs et au plafond laissant s’échapper de la chaleur :

[79]   Il est admis que des lézardes apparaissent sur les murs. Cependant, le locataire n’a pas démontré que celles existantes, suite aux travaux demandés par l’inspecteur notamment, sont de nature autre qu’esthétique. Le Tribunal en vient à la conclusion que cette demande d’ordonnance n’est pas justifiée, d’autant plus qu’il a rejeté l’offre du locateur en juin 2011 de refaire le gyproc du logement.

Le robinet de la salle de bain :

[80]   La preuve photographique jumelée au témoignage du locataire démontre que le robinet de la salle de bain est vétuste et nécessite d’être remplacé.

Le tapis de la cuisine:

[81]   Le Tribunal partage l’avis du locateur voulant qu’il n’a pas l’obligation de remplacer le tapis par un autre si le revêtement de bois est adéquat sous celui-ci. Cependant, le tribunal considère, contrairement aux allégations de la fille du locateur, que ce tapis est très usé et que le locataire est justifié de voir celui-ci enlevé. De plus, la preuve n’est pas convaincante concernant le bon état du plancher de bois. Le témoignage du frère du locataire révèle que lorsque le tapis fut enlevé dans le reste du logement il y a de nombreuses années, le plancher a dû être sablé et reverni.

[82]   En conséquence de ce qui précède, le locataire peut demander à ce que le tapis de la cuisine soit enlevé. Cependant, il ne peut exiger que le locateur le remplace par un autre tapis. Le locateur est parfaitement en droit de choisir le revêtement de plancher du logement. Par contre, si l’état du plancher de bois l’exige, le locateur devra faire sabler et vernir celui-ci pour en permettre son usage.

[83]   La soussignée juge pertinent de rappeler aux parties qu’en vertu de l’article 1933 du Code civil du Québec, le locataire ne peut refuser l’accès au logement au locateur lorsque celui doit effectuer des travaux.

[84]   Il peut néanmoins, en refuser l’accès avant 7 heures et après 19 heures, à moins que le locateur ne doive y effectuer des travaux urgents.

[85]   Aux termes de l’article 1931 C.c.Q., le locateur doit donner un préavis de 24 heures au locataire, sauf si urgence.

[86]   Quant aux dommages-intérêts réclamés pour les troubles et inconvénients résultant du comportement du locateur à son égard, la preuve est contradictoire.

[87]   La preuve révèle sans l’ombre d’un doute dans l’esprit du Tribunal que depuis longtemps, mais surtout depuis le 11 mai 2010, les relations entre le locateur et le locataire sont tendues au point où la police a dû intervenir. Heureusement, la gestion de l’immeuble par madame Giancarli depuis 2009 et la collaboration ponctuelle du frère du locataire ont pu atténuer quelque peu les conflits.

[88]   Les pièces produites concernant le dépôt d’accusation contre le locateur et le témoignage non corroboré du locataire n’ont pas convaincu le Tribunal d’une agression physique de la part du locateur.

[89]   D’ailleurs, le procès-verbal indique que le procureur de la couronne demande que l’accusé soit acquitté. De plus, bien qu’il soit reconnu que le locateur ne peut faire des pressions indues sur un locataire pour l’inciter à libérer le logement, il ne faut pas nécessairement interpréter des offres de résilier le bail comme constituant du harcèlement de la part du locateur. En l’instance, le locataire ne s’est pas acquitté de son fardeau à cet égard.


[90]   En conséquence, cette réclamation sera également rejetée.

[91]   CONSIDÉRANT l’analyse de la preuve soumise par les parties;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[92]   REJETTE la demande du locataire en diminution de loyer et dommages-intérêts;

[93]   ORDONNE au locateur de remplacer le robinet de la salle de bain, et ce, dans un délai de 30 jours, à compter de la présente décision;

[94]   ORDONNE au locateur de vérifier l’état du plancher de bois de la cuisine et de faire les travaux nécessaires si son état le requiert, et ce, dans les 30 jours, à compter de la présente décision;

[95]   REJETTE la demande du locataire quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le locataire

Me Alexandre-Justin Demers, avocat du locataire

le locateur

Me Dida Berku, avocate du locateur

Dates des audiences :

 

10 septembre 2013

9 décembre 2013

23 janvier 2014

 


 



[1] Léo Ducharme, Précis de la preuve , 6e Édition, 2005, Wilson et Lafleur ltée, #38, p. 62.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.