[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 26 octobre 2015 par l’honorable Nicole Tremblay de la Cour supérieure, district de Québec, qui accueille la requête introductive d’instance en révision judiciaire d’une décision d’un arbitre de grief (Me Jean-Guy Ménard).
[2] Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Dutil et Bouchard, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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MOTIFS DU JUGE GAGNON |
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[4] Les appelantes se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure du district de Québec[1] (l’honorable Nicole Tremblay), rendu le 26 octobre 2015, lequel accueille la requête introductive d’instance en révision judiciaire de l’intimée d’une décision d’un arbitre (Me Jean-Guy Ménard), qui rejette un grief portant sur une interprétation et une application discriminatoire de la Convention collective des juristes de l’État (la « convention collective »).
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[5] Maître Marie-Josée Comeau (« Me Comeau ») travaille à la Régie de l’assurance maladie du Québec (« RAMQ ») à titre d’avocate depuis 2010. Ayant obtenu, sur une base régulière, des avancements d’échelon, son salaire annuel s’élève, en date du 3 octobre 2012, à 64 234 $ et correspond au sixième échelon de l’échelle salariale des juristes de l’État.
[6] Durant les 124 jours de la période de référence subséquente (du 4 octobre 2012 au 3 avril 2013) servant à déterminer son admissibilité à l’échelon salarial supérieur, Me Comeau s’est absentée du travail pour cause d’invalidité pendant 68 jours au cours desquels elle a bénéficié du régime d’assurance salaire conformément aux termes de la convention collective. La preuve ne révèle toutefois pas la cause exacte de ce qui la rend totalement incapable d’accomplir les attributions habituelles de son emploi. Cette lacune est cependant peu importante puisque son invalidité n’est pas source de contestation, pas plus d’ailleurs que ne l’est l’existence du handicap qui découle de son état de santé[2].
[7] Le 12 avril 2013, la RAMQ informe Me Comeau qu’elle ne peut accéder au septième échelon salarial lui permettant de toucher un traitement annuel de 66 937 $ parce qu’elle s’est « absentée durant soixante-huit (68) jours ouvrables ou plus, avec ou sans traitement, au cours des six (6) derniers mois consécutifs qui ont précédé immédiatement la date anniversaire de votre admissibilité à l’avancement d’échelon »[3].
[8] Le 14 mai suivant, son syndicat, l’Association des juristes de l’État (l’intimée), conteste la décision de la RAMQ par voie de grief aux motifs que celle-ci est contraire aux dispositions de la Loi sur les normes du travail[4] (« LNT ») et qu’elle est discriminatoire à son égard en ce qu’elle contrevient au droit garanti par l’article 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[5] (« Charte québécoise »).
[9] Plus de 18 mois se sont écoulés depuis le dépôt du grief lorsque la directrice des services juridiques de la RAMQ, Me Sophie Vaillancourt, confirme, dans un courriel du 3 décembre 2014, son appréciation d’un rendement supérieur de Me Comeau pour les périodes d’avril 2012 à mars 2013 et, malgré certaines absences, d’avril 2013 à mars 2014.
[10] Maître Jean-Guy Ménard (« l’arbitre ») entend la preuve et les observations des parties le 11 décembre 2014 et rejette le grief le 16 février 2015.
[11] L’intimée dépose, le 19 mars 2015, une demande introductive d’instance en révision judiciaire. Une audition est tenue le 10 septembre 2015 et la juge rend, le 26 octobre suivant, un jugement qui comprend les conclusions suivantes :
[56] ACCUEILLE la requête introductive d’instance en révision judiciaire;
[57] INFIRME, RÉVISE ET ANNULE la décision de l’arbitre (pièce D-1) et les motifs s’y rattachant;
[58] DÉCLARE qu’en fonction du groupe de comparaison et de l’analyse soumise, la salariée Comeau, représentée par l’Association des juristes de l’État, a subi une discrimination face à son échelon;
[59] ORDONNE à la Régie de l’assurance maladie du Québec d’accorder à Me Comeau l’échelon 7 correspondant à un traitement annuel de 66 937 $ et ce, à compter de la première paie d’avril 2013;
[60] LE TOUT avec entiers dépens.[6]
[12] Le 4 février 2016, la juge unique accueille la requête pour permission d’appeler des appelantes[7].
[13] L’arbitre retient une interprétation des articles 2 et 3 de l’annexe I de la convention collective selon laquelle la juriste en progression semestrielle doit minimalement, pour avoir droit à l’avancement d’échelon, avoir eu un rendement satisfaisant durant 62 des 124 jours de la période de référence.
[14] Le refus de la RAMQ est justifié parce que Me Comeau s’est absentée du travail durant 68 jours entre le 4 octobre 2012 et le 3 avril 2013, rendant de la sorte impraticable l’évaluation de son rendement nécessaire à l’attribution d’un avancement d’échelon.
[15]
Estimant que l’objectif de l’intimée est de faire tenir pour
satisfaisant un rendement de travail inexistant (pour l’équivalent de six
jours), l’arbitre conclut à l’inapplicabilité de l’article
[16] Sur la question de l’application discriminatoire de la convention collective, l’arbitre est d’avis qu’en dépit d’une exclusion manifeste subie par Me Comeau, la décision de la RAMQ n’est pas pour autant fondée sur un motif illicite, puisque ce n’est pas en raison de son handicap que cette dernière s’est vu refuser l’avancement d’échelon, mais bien parce que son employeur, la RAMQ, n’a pas été en mesure d’apprécier son rendement pendant au moins la moitié de la période de référence ou, dit autrement, parce qu’elle n’a pas été présente au travail durant les 62 jours nécessaires à l’évaluation de son rendement.
[17] L’arbitre souligne en outre que la situation de Me Comeau n’est pas différente de celle des autres salariés de l’appelante absents du travail qui, comme elle, ne peuvent se prévaloir des exceptions prévues à l’article 4 de l’annexe I de la convention collective. Cela est le cas notamment des juristes bénéficiant d’un congé (1) sabbatique[8], (2) sans traitement à traitement différé[9] ou (3) pour responsabilités familiales et parentales[10] qui n’ont pu bénéficier d’un avancement d’échelon en raison d’absences trop fréquentes durant la période de référence.
[18] La juge identifie la norme de contrôle applicable comme étant celle de la décision raisonnable. Elle considère que le refus d’accorder l’avancement d’échelon constitue une mesure discriminatoire à l’endroit de Me Comeau. L’arbitre aurait en effet choisi un groupe de comparaison composé de juristes absents ou en congé, qui exclut, à tort, les salariés visés par l’article 4 de l’annexe I de la convention collective, éliminant ainsi toute possibilité d’en arriver à une conclusion de discrimination puisque le groupe de comparaison retenu est traité de façon aussi distincte et désavantageuse que Me Comeau.
[19] La juge estime en outre que l’arbitre a interprété déraisonnablement la convention collective, notamment les articles 2 et 3 de son annexe I, en considérant qu’une évaluation pertinente du rendement d’un juriste nécessite sa présence au travail durant au moins la moitié des jours ouvrables de la période de référence.
[20] Or, l’ajout inapproprié de cette exigence, absente du texte du contrat collectif de travail des juristes, constitue pour la juge la prémisse erronée d’un raisonnement qui conduit l’arbitre à conclure à une absence de lien entre le handicap (l’invalidité) et la distinction qui, selon lui, ne découle pas d’un motif illicite, mais plutôt du défaut de pouvoir réaliser une évaluation valable du rendement de Me Comeau.
[21] Considérant que la RAMQ n’a présenté aucune preuve ni soulevé de moyen de défense relativement à la question de savoir si l’exclusion a pour effet de miner ou de compromettre l’exercice en pleine égalité d’un droit protégé ni même pour justifier sa conduite, la juge infirme la décision de l’arbitre, conclut que les conditions de travail de Me Comeau ont été déterminées de façon discriminatoire et ordonne à la RAMQ de lui accorder l’avancement d’échelon à compter de la première période de paie d’avril 2013.
[22] La convention collective en vigueur lors du dépôt du grief portant sur le refus d’accorder l’avancement d’échelon à Me Comeau comprend des clauses s’appliquant spécifiquement à l’évaluation du rendement des juristes de l’État :
SECTION 6.3 ÉVALUATION DU RENDEMENT
199. L’évaluation du rendement est une appréciation par ses supérieurs :
a) des résultats du travail du juriste eu égard à son expérience, à ses attributions et aux responsabilités qui lui sont confiées;
b) des connaissances, des habiletés professionnelles et des qualités personnelles démontrées dans l’accomplissement du travail eu égard à son expérience.
Cette appréciation tient compte notamment de la somme de travail accompli, de la qualité des réalisations, de l’intérêt démontré par le juriste, de sa motivation, de sa disponibilité et de la qualité de ses relations au sein de son milieu de travail.
200. L’appréciation doit également prendre en considération le fait que le juriste peut se voir attribuer temporairement des fonctions, tâches et activités différentes de celles correspondant aux attributions caractéristiques de sa classe d’emplois et ce, en raison des besoins du service comme le prévoit l’article 58. Dans ces cas, l’évaluation du rendement ne doit pas être affectée de ce seul fait.
201. Lorsqu’en cours de période de référence de l’évaluation du rendement, un juriste est l’objet d’une affectation ou d’une mutation, le supérieur immédiat doit tenir compte de la période de temps où le juriste n’était pas sous sa supervision et de l’évaluation effectuée par l’ancien supérieur immédiat du juriste.
202. L’évaluation du rendement repose sur des faits concrets et des comportements observables. Elle se traduit par l’une des trois (3) appréciations globales suivantes :
a. « A » Rendement supérieur;
b. « B » Rendement satisfaisant;
c. « C » Rendement insatisfaisant.
Procédure d’évaluation du rendement
203. a. Sous réserve de l’article 223 concernant l’évaluation du rendement du juriste qui n’a pas acquis le statut de permanent, l’évaluation du rendement s’effectue au moins une fois par année;
b. supprimé;
c. l’évaluation du rendement d’un juriste est faite au moyen d’un formulaire dûment rempli après discussion avec ce dernier et signé par le supérieur immédiat et le supérieur hiérarchique du juriste;
d. une copie du formulaire dûment rempli doit être remise avant l’expiration des délais ci-haut mentionnés à moins de circonstances exceptionnelles. Le juriste signe l’original pour attester qu’il l’a reçu. S’il refuse de signer l’original, il est considéré comme l’ayant reçu à la date à laquelle il lui a effectivement été expédié;
e. à compter de la date de réception de sa copie, le juriste dispose de quinze (15) jours pour en prendre connaissance et faire parvenir par écrit, sous pli recommandé au supérieur hiérarchique avec copie au supérieur immédiat, ses commentaires lesquels sont annexés à l’original du formulaire conservé au dossier personnel du juriste. Si, dans ce délai de quinze (15) jours, le juriste conteste les faits sur lesquels l’évaluation est fondée, ces faits ne peuvent être considérés comme ayant été admis par le juriste;
f. le juriste peut formuler un grief uniquement pour contester le non-respect de la procédure d’évaluation du rendement;
g. le juriste doit, le cas échéant, évaluer des fonctionnaires autres que des juristes et, à la demande du supérieur hiérarchique, participer à l’évaluation du rendement des juristes dont il assume la supervision sur le plan professionnel.
[23] L’annexe I de la convention collective prévoit, par ailleurs, les règles applicables à la progression annuelle ou semestrielle d’un juriste dans l’échelle salariale :
À compter du 1er avril 2011, le juriste progresse dans l’échelle salariale prévue à l’annexe V selon les modalités et aux conditions qui suivent :
Avancement d’échelon
1. La durée de séjour dans un échelon est d’un an sauf dans le cas des 8 premiers échelons de l’échelle de traitement dont la durée de séjour est de six mois.
2. Le juriste est admissible à l’avancement d’échelon, qui lui est consenti sur rendement satisfaisant au début de la première période de paie d’avril ou d’octobre qui suit d’au moins neuf ou quatre mois la date de l’accession à la classe d’emplois, selon qu’il s’agit d’un avancement annuel ou semestriel.
3. Malgré ce qui précède, le juriste doit, pour avoir droit à l’avancement d’échelon, avoir travaillé au moins trois (3) mois ou l’équivalent dans le cas d’avancement semestriel et au moins six (6) mois ou l’équivalent dans le cas d’avancement annuel.
4. Aux fins du paragraphe précédent, une juriste en congé de maternité en vertu de l’article 385 ou bénéficiant d’une prolongation en vertu de l’article 389, une juriste en congé spécial en vertu des articles 401 et 402, un juriste à l’occasion de la naissance en vertu de l’article 402.1, un juriste en congé de paternité en vertu de l’article 403, un juriste en congé pour adoption en vertu des articles 403.5 et 404, un juriste en congé sans traitement en vue d’une adoption en vertu de l’article 407, un juriste en congé sans traitement en vertu de l’article 409 mais uniquement pour la durée des cinquante-deux (52) premières semaines ou en congé avec traitement pour études de perfectionnement ou libéré en vertu de la section 2.6, n’est pas considéré comme absent du travail.
5. Les articles 2 à 4 s’appliquent au juriste occasionnel qui est nommé à titre de juriste temporaire à la condition d’avoir accumulé au moins quatre (4) mois de service ou de service continu ou l’équivalent dans le cas d’avancement semestriel ou neuf (9) mois de service ou de service continu ou l’équivalent dans le cas d’avancement annuel, depuis son dernier avancement d’échelon.
6. Les dates d’avancement d’échelon qui correspondent aux premières périodes de paie d’avril et d’octobre sont les suivantes :
8 avril 2010 — 7 octobre 2010
7 avril 2011 — 6 octobre 2011
5 avril 2012 — 4 octobre 2012
4 avril 2013 — 3 octobre 2013
3 avril 2014 — 2 octobre 2014
[24] L’appel soulève, à mon avis, les deux questions litigieuses suivantes :
1. La juge a-t-elle erré en concluant que l’interprétation que retient l’arbitre des articles 2 et 3 de l’annexe I de la convention collective est déraisonnable?
2. La juge a-t-elle erré en déterminant que l’arbitre a
déraisonnablement conclu que Me Comeau n’a pas fait l’objet d’une distinction,
exclusion ou préférence fondée sur un motif énuméré au premier alinéa de
l’article
[25] Mais, avant de résoudre ces questions, quelques commentaires liminaires s’imposent.
[26] Constatant que la juge a, pour soutenir sa conclusion relative à une interprétation déraisonnable des articles 2 et 3 de l’annexe I, utilisé des extraits de conventions collectives antérieures (pièces P-13 et P-14) non produits devant l’arbitre, les appelantes ont pris la liberté d’incorporer à leur mémoire en appel d’autres extraits des mêmes documents pour faire contrepoids aux arguments de l’intimée retenus par la juge. Or, les conditions pour qu’elle soit autorisée à produire une preuve nouvelle ne sont pas, en l’espèce, réunies.
[27] En effet, aucune requête appuyée d’une déclaration sous serment n’a été produite à cette fin et la preuve n’est pas nouvelle puisqu’elle était disponible aux parties dès le dépôt du grief.
[28] Il est tout aussi manifeste que la juge a, quant à elle, fait un usage problématique d’une preuve dont l’arbitre n’avait pu prendre connaissance, contrairement aux enseignements de l’arrêt Dupont c. Université du Québec à Trois-Rivières lesquels confirment un courant jurisprudentiel selon lequel la révision judiciaire ne s’exerce qu’à partir de la preuve soumise à l’arbitre[11]. Ainsi, les parties ne peuvent, en principe, par voie de déclarations sous serment ou autrement, produire une preuve nouvelle qui conduirait le tribunal de révision à substituer son opinion à celle du décideur administratif.
[29] Agir autrement a pour effet, à mon avis, de dénaturer le contrôle judiciaire en le transformant en procès de novo.
[30] En l’espèce, la juge a commis une erreur de droit en se fondant sur une preuve non produite devant l’arbitre pour conclure que ce dernier avait interprété déraisonnablement les articles 2 et 3 de l’annexe I. Cela ne justifie pas pour autant l’appelante d’introduire au dossier d’appel une preuve nouvelle sans y être expressément autorisée.
[31] Sans être, à mon avis, déterminante, l’erreur de la juge n’est pas négligeable car en agissant ainsi elle a substitué sa propre interprétation de ces dispositions plutôt que de contrôler la raisonnabilité de celle de l’arbitre.
[32] Voilà pourquoi j’estime que la raisonnabilité de l’interprétation de la convention collective retenue par l’arbitre doit être examinée en faisant abstraction des pièces P-13 et P-14 dont ce dernier n’avait pas connaissance.
[33] Lorsqu’elle est saisie d’un appel d’un jugement portant sur une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si le juge de la Cour supérieure a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement[12].
[34] Dans un arrêt récent impliquant la procureure générale et l’intimée, la Cour souligne au sujet de la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre de griefs soulevant une pratique discriminatoire de l’employeur :
[24] Dans le cadre
du grief dont il était saisi, l’arbitre de griefs n’avait pas à déterminer le
sens et la portée des motifs de discrimination fondés sur le sexe et la
grossesse qui étaient invoqués par l’Association, ce qui aurait pu faire valoir
la norme de la décision correcte lors du contrôle judiciaire de sa décision.
L’arbitre ne devait qu’appliquer ces garanties constitutionnelles à un ensemble
de faits précis dont il était saisi dans le cadre de son mandat sous la
Convention. En l’occurrence c’est la norme de la décision raisonnable qui
s’applique au contrôle judiciaire de sa décision, et ce, même si celle-ci porte
sur l’application du par.
[25] En effet, tel que la Cour suprême du Canada l’a souligné dans Doré c. Barreau du Québec, il n’y a pas lieu d’appliquer une norme différente de celle de la décision raisonnable du fait que la Charte est en cause dans une décision sujette à un contrôle judiciaire. Elle ajoute « lorsque nous nous demandons si une décision en matière contentieuse viole la Charte […] s’agit […] de déterminer si le décideur a restreint le droit protégé par la Charte de manière disproportionnée et donc déraisonnable ».[13]
[35] La juge a, en l’espèce, retenu à bon droit que la norme de contrôle appropriée aux questions soulevées était celle de la décision raisonnable.
[36] Comme nous le rappellent les juges Bastarache et LeBel dans Dunsmuir[14] :
Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.[15]
[37] Le caractère raisonnable d’une décision administrative s’apprécie donc dans le contexte du type particulier de processus décisionnel et de l’ensemble des facteurs pertinents[16]. La question fondamentale est alors de savoir quelle est la portée du pouvoir décisionnel conféré au décideur administratif compte tenu des questions en cause.
[38] Lorsqu’il interprète la convention collective, l’arbitre de griefs agit au cœur de sa compétence. Sa décision commande alors un haut degré de déférence. La question qu’est appelé à trancher le tribunal siégeant en révision est, en conséquence, celle de savoir si la décision attaquée, examinée dans son ensemble à la lumière du dossier, est raisonnable[17].
[39] Les articles 2 et 3 de l’annexe I de la convention collective assujettissent le juriste aspirant à un avancement d’échelon à deux exigences : (1) l’évaluation d’un rendement satisfaisant et (2) un travail exécuté durant au moins la moitié des jours ouvrables de la période de référence pertinente (qui, en l’espèce, comprenait les 124 jours ouvrables entre le 4 octobre 2012 et le 3 avril 2013).
[40] L’appréciation du rendement d’un juriste est notamment tributaire de la somme et de la qualité du travail effectué par lui, de son intérêt, de sa motivation et de sa disponibilité au travail[18]. Par conséquent, le rendement d’un juriste dépend essentiellement de la valeur attribuée à l’exécution de sa prestation de travail.
[41] L’arbitre fait, en l’espèce, une lecture des clauses 2 et 3 de l’annexe I selon laquelle les deux exigences qui y sont prévues sont non seulement cumulatives, mais également dépendantes l’une de l’autre. Selon cette vision, l’avancement d’échelon est accordé au juriste qui a offert un rendement appréciable durant au moins la moitié des jours ouvrables d’une période de référence donnée comme étant satisfaisant. Il écrit à cet égard :
[22] L’article 2 de l’annexe I assujettit l’avancement d’échelon à l’obligation d’avoir fait preuve d’un rendement satisfaisant, ce qui exige nécessairement l’exécution d’une prestation de travail. L’article 3 établit quant à lui que le droit à l’avancement d’échelon s’acquiert minimalement par trois (3) mois de travail en contexte semestriel comme c’était le cas de madame Comeau, donc par une présence d’au moins soixante-deux (62) jours au travail pendant la période de référence.
[23] L’appréciation du rendement étant dépendante de l’exécution du travail, il faut forcément en comprendre que, pour avoir un avancement d’échelon, la juriste en progression semestrielle doit avoir eu un rendement satisfaisant pendant au moins trois (3) des six (6) mois ou soixante-deux (62) des cent vingt-quatre (124) jours ouvrables d’une période de référence. À défaut, elle ne pourrait prétendre à ce droit.
[Renvoi omis; soulignement ajouté]
[42] Puis, l’arbitre indique que Me Comeau n’a pas fourni de prestation de travail pendant la période minimale de 62 jours que nécessite l’évaluation pertinente de son rendement par la RAMQ, comme le requièrent les articles 2 et 3 de l’annexe I.
[43] Pour la juge, l’interprétation qu’il faut donner à ces dispositions est plutôt que l’avancement d’échelon est soumis au respect de deux conditions cumulatives, mais indépendantes l’une de l’autre. Ainsi, un juriste absent ou en congé durant plus de la moitié des jours ouvrables de la période de référence, mais pouvant se prévaloir des exceptions prévues par l’article 4 de l’annexe I, obtient un avancement d’échelon s’il démontre une prestation de travail satisfaisante pour les jours où il a été en mesure d’exécuter sa tâche durant la période de référence.
[44] Examinées en vase clos, ces deux interprétations, bien que fondamentalement différentes, semblent passer avec succès le test de la rationalité. Toutefois, une convention collective est un contrat dont les clauses forment un tout. Il faut, dès lors, interpréter celles-ci « les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat »[19] de façon à ce qu’elles produisent toutes des effets[20].
[45] Cela dit, l’interprétation que retient l’arbitre m’apparaît priver de tout sens l’article 4 de l’annexe I, lequel prévoit que les absences et congés énumérés sont considérés, aux fins de l’article 3, comme des journées travaillées. Il est toutefois manifeste que cette présomption est sans effet sur l’obligation d’avoir un rendement satisfaisant prévu à l’article 2. L’arbitre en convient d’ailleurs lorsqu’il écrit au paragraphe 41 de la sentence arbitrale :
Enfin, je ne réussis pas à me convaincre qu’à transformer ainsi des jours d’absence en temps de travail on a signifié l’intention de les considérer du même coup comme ayant donné lieu à un rendement satisfaisant, ce que souhaite madame Comeau.
[46] Je crois utile de rappeler ici que le raisonnement de l’arbitre a pour assise que « (s)étant absentée de son travail pendant soixante-huit (68) des cent vingt-quatre (124) jours ouvrables compris entre le 4 octobre 2012 et le 3 avril 2013, madame Comeau n’a pas assuré le minimum de présence de soixante-deux (62) jours ouvrables nécessaires à l’évaluation de son rendement »[21] et n’avait, par conséquent, pas droit à l’avancement d’échelon sur la base des articles 2 et 3 de l’annexe I.
[47] Cette interprétation implique que l’article 4 n’a, pour le juriste ayant bénéficié d’un des congés énumérés, aucun impact sur son avancement d’échelon. En effet, ou bien celui-ci a exécuté sa prestation de travail de façon satisfaisante durant au moins la moitié des jours ouvrables et n’a pas besoin de se prévaloir de l’article 4, ou bien il a travaillé moins de la moitié des jours ouvrables de la période de référence, auquel cas la disposition ne lui est d’aucun secours non plus puisque de toute façon son rendement ne pourra, en raison d’une période d’évaluation insuffisante, être apprécié valablement.
[48] Voilà pourquoi, à mon avis, l’interprétation de l’arbitre selon laquelle les exigences des articles 2 et 3 sont symbiotiques au point de ne former qu’une seule condition d’accès à l’échelon supérieur est déraisonnable et qu’il faut plutôt retenir de ces dispositions qu’elles prévoient deux exigences cumulatives, mais indépendantes auxquelles le juriste, en progression semestrielle, aspirant à l’avancement d’échelon doit :
a) fournir une prestation de travail satisfaisante durant la période de référence; et
b) à moins de pouvoir se prévaloir des exceptions de l’article 4 de l’annexe I, exécuter sa prestation durant au moins la moitié des jours ouvrables de la période de référence.
[49] Cette interprétation donne à chacune de ces trois dispositions un sens qui résulte de l’ensemble du contrat de façon qu’elles produisent toutes des effets. La juge a, en conséquence, raison de conclure que l’interprétation des articles 2 et 3 de l’annexe I que retient l’arbitre ne fait pas partie des issues possibles acceptables.
A) L’évaluation du rendement de Me Comeau
[50] L’arbitre estime qu’en dépit du non-respect de la procédure prévue à l’article 203 de la convention collective, l’évaluation du rendement de Me Comeau par sa supérieure hiérarchique est néanmoins admissible et pertinente. Cette conclusion est, à mon avis, à l’abri de tout reproche.
[51] Après avoir considéré les facteurs pertinents, Me Sophie Vaillancourt attribue à Me Comeau la plus haute cote de rendement pour les 56 jours où elle a pu offrir sa prestation de travail durant la période de référence. Elle écrit à cet égard :
Pour faire suite à notre conversation, je tiens à vous réitérer mon appréciation de votre rendement pour la période de d’avril 2012 à mars 2013, où vous avez pleinement rencontré les attentes, ce qui d’ailleurs aussi le cas pour la période d’avril 2013 à mars 2014, malgré un période d’absence en cours d’année.
Duran la période d’avril 2012 à mars 2013, votre travail constant et minutieux vous a permis de mener à bien les mandats qui vous ont été confiés. Votre intérêt à l’égard des dossiers de la Direction est manifeste, et vous n’hésitez pas à aller de l’avant pour offrir votre collaboration tant autres membres de l’équipe qu’à votre directrice, lorsque requis.
[Transcription textuelle]
B) Le traitement discriminatoire
[52] L’interprétation déraisonnable retenue par l’arbitre des articles 2 et 3 de l’annexe I est au cœur de l’analyse qui l’amène subséquemment à conclure que le refus d’avancement d’échelon constitue, à l’égard de Me Comeau, une exclusion qui ne repose pas sur un motif illicite, mais plutôt sur l’incapacité de la RAMQ d’évaluer valablement son rendement en raison de 68 jours d’absence. Il écrit à cet égard :
[37] S’il est évident qu’il y a eu exclusion en l’occurrence, il faut par contre convenir que la preuve ne permet pas d’avancer que la décision contestée reposait sur un motif illicite puisqu’en réalité madame Comeau n’a pas pu bénéficier de l’avancement en cause non pas parce qu’elle a été malade, mais bien parce que ses absences n’ont pas permis à l’Employeur d’apprécier son rendement au travail pendant au moins soixante-deux (62) des cent vingt-quatre (124) jours ouvrables qui constituaient la période de référence en cause.
[38] Est-ce à dire finalement qu’il aurait pu quand même y avoir discrimination par effet préjudiciable et qu’en conséquence madame Comeau se serait trouvée privée du droit à l’égalité que lui garantissait la charte québécoise?
[39] Il y a clairement été démontré que l’application qu’on a donnée aux articles 2 et 3 de l’Annexe I de la convention collective à l’endroit de madame Comeau était identique à celle qu’on réserve à nombre d’autres cas ou situations, comme par exemple le congé sabbatique (clause 143), le congé sans traitement à traitement différé (clause 153), le congé pour responsabilités familiales et parentales (clause 131), qui peuvent tous durer douze (12) mois. Il a également été précisé que l’exigence du temps de travail définie à l’article 3 de cette même annexe connaissait des exceptions qu’on a énumérées à son article 4 et dont madame Comeau se réclame être de groupe de comparaison.
[53] La juge est, pour sa part, d’avis qu’en retenant un groupe de comparaison composé uniquement de juristes ayant travaillé moins que la moitié des jours ouvrables de la période de référence et en excluant ceux dont les absences sont néanmoins considérées, conformément à l’article 4 de l’annexe I, comme étant des jours travaillés, l’arbitre a emprunté une voie qui éliminait toute possibilité de conclure à l’existence d’une situation discriminatoire.
[54] Il y a, en conséquence, lieu de déterminer si la décision de l’arbitre est, à cet égard, déraisonnable et si, le cas échéant, les conclusions de la juge quant aux modalités d’une intervention sont, en l’espèce, appropriées.
[55]
L’article
[56] Le droit canadien retient une définition de la discrimination selon laquelle :
[…] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.[23]
[Renvois omis; soulignement ajouté]
[57] Celui qui prétend être victime de discrimination doit, dans une première étape, établir de façon prépondérante qu’il subit (1) une distinction, une exclusion ou une préférence, (2) fondée sur un motif prohibé et (3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance ou l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne[24]. Le fardeau de preuve se transpose alors sur les épaules du défendeur qui peut, lors de la seconde étape de la démarche, justifier sa conduite.
[58] Le premier élément constitutif de la discrimination exige de la part de la victime la preuve de l’existence d’un traitement (une exclusion, une distinction ou une préférence) se manifestant généralement par une décision, une mesure ou une conduite différente de celle réservée à d’autres individus à qui elle peut également s’appliquer.
[59] Le droit à l’égalité ou à la non-discrimination est, par son essence même, comparatif. Par conséquent, la question de déterminer si une distinction est fondée sur un motif prohibé nécessite de comparer la situation de la personne qui se prétend victime avec celle d’un groupe d’individus aux caractéristiques identiques.
[60] Comme le rappelle le juge Binnie dans Hodge, le choix du groupe de comparaison approprié est crucial et une détermination erronée à cet égard peut miner l’ensemble de l’analyse relative à l’existence de la discrimination :
Évidemment, le fait de
choisir un mauvais groupe de comparaison dès le début peut compromettre l’issue
de l’ensemble de l’analyse fondée sur le par. 15(1). En fait, le choix en
apparence simple d’un groupe de comparaison s’est révélé être le talon
d’Achille de diverses décisions récentes, dont Granovsky et Lovelace,
précitées, et Nouvelle-Écosse (Workeres’ Compensation Board) c. Martin,
[61] Bien qu’inévitable, le recours à un groupe de comparaison peut aussi avoir parfois pour effet de remplacer l’analyse de l’égalité réelle par une analyse formaliste axée sur le traitement identique, notamment lorsque le groupe de comparaison a des caractéristiques identiques à celles du demandeur, hormis le motif prohibé de discrimination[26].
[62] En effet, l’analyse centrée sur une correspondance étroite entre le plaignant et un groupe de comparaison peut mener à la recherche de la similitude plutôt qu’à celle d’un désavantage occultant ainsi la question essentielle de savoir si la conduite ou la décision reprochée défavorise arbitrairement le plaignant.
[63] C’est là l’écueil que n’a pu éviter l’arbitre lorsqu’il souligne que des juristes se trouvant dans la même situation que Me Comeau ont été traitées de façon identique sans considérer qu’aucune de celles-ci n’était affligée d’une invalidité totale.
[64] La comparaison joue néanmoins un rôle du début jusqu’à la fin de l’analyse destinée à déceler l’existence d’une situation discriminatoire. Ainsi, à la première étape de l’analyse, la comparaison entre en jeu en ce que le plaignant doit établir qu’il s’est vu refuser un avantage accordé à d’autres en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif illicite.
[65] En comparant la situation de Me Comeau au seul groupe des juristes absents ne pouvant se prévaloir des exceptions prévues par l’article 4 de l’annexe I, l’arbitre restreint inutilement le groupe de comparaison qui devrait, à mon avis, être plus étendu[27] et comprendre tous les juristes ayant, en raison d’un rendement satisfaisant, bénéficié d’un avancement d’échelon. Un tel groupe inclut notamment les juristes dont les absences sont considérées comme étant des jours travaillés en vertu de l’article 4 de l’annexe I.
[66] Je souligne que parmi ces derniers on retrouve des juristes qui sont en congé en raison d’une naissance, d’une adoption, d’une paternité, d’études de perfectionnement ou d’une libération syndicale. Font également partie de ce groupe les juristes enceintes en retrait préventif en raison d’une complication ou d’un danger d’interruption de grossesse, de même que celles ayant vécu une interruption de grossesse dont la condition médicale satisfait, pour chacune d’entre elles, à la définition d’invalidité prévue à l’article 328 de la convention collective :
328. Par invalidité, on entend un état d’incapacité résultant d’une maladie, y compris un accident, ou une complication d’une grossesse, ou une intervention chirurgicale reliée directement à la planification des naissances, nécessitant des soins médicaux et qui rendent le juriste totalement incapable d’accomplir les attributions habituelles de son emploi ou de tout autre emploi analogue comportant une rémunération similaire qui lui est offert par le sous-ministre.
[67] En l’espèce, force est de constater que Me Comeau a non seulement été traitée de façon différente des juristes ayant fait preuve d’un rendement satisfaisant dont les absences ont été considérées comme étant des jours travaillés, mais également de ceux qui, comme elle, ont été empêchés, en raison d’une invalidité, d’accomplir les attributions habituelles de leur emploi.
[68] Le second élément constitutif de la discrimination exige du demandeur la preuve que l’exclusion, la distinction ou la préférence est fondée sur un ou plusieurs des motifs illicites énumérés à l’article 10 de la Charte.
[69] Mon collègue Jean Bouchard souligne que le lien entre le motif de discrimination et le traitement arbitraire n’a pas à être étroit ou exclusif et qu’il suffit, à cet égard, d’établir qu’un motif énuméré au premier alinéa de l’article 10 de la Charte a joué un rôle dans la conduite reprochée ou y a contribué pour que la responsabilité de son auteur soit engagée[28].
[70] La lettre transmise à Me Comeau pour lui signifier le refus d’avancement d’échelon est limpide et aucunement équivoque quant au lien entre la décision de refus et les absences en trop grand nombre :
Le motif de ce refus est que vous vous êtes absentée durant soixante-huit (68) jours ouvrables ou plus, avec ou sans traitement, au cours de six (6) mois consécutifs qui ont précédé immédiatement la date anniversaire de votre admissibilité à l’avancement d’échelon.
[71] Le document ne fait aucune mention d’une incapacité, voire même d’une difficulté pour la RAMQ, d’évaluer son rendement au cours de la période pertinente en raison d’absences trop fréquentes.
[72] Bien au contraire, le courriel de la supérieure hiérarchique de Me Comeau, daté du 3 décembre 2014, fait état d’un rendement plus que satisfaisant de cette dernière durant la période de référence. La reconnaissance d’un rendement méritant la plus haute cote de satisfaction est, à n’en pas douter, un indicateur sûr de la capacité de la RAMQ d’effectuer cette appréciation et de la qualité de la prestation de travail exécutée par Me Comeau.
[73] Dans l’arrêt Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, le juge Robert, alors juge puîné, souligne que « le lien entre la grossesse et la non-disponibilité au travail se constate de lui-même »[29]. Selon cette même logique, il me semble impossible de dissocier l’invalidité de l’absence au travail.
[74] Puisque le motif du refus de la RAMQ est une absence du travail et que ses absences sont une manifestation de son invalidité, il s’ensuit que le handicap découlant de l’invalidité de Me Comeau a contribué à la distinction dont elle se plaint.
[75] L’arbitre a, pour sa part, conclu que la distinction ne résultait pas du handicap, mais découlait plutôt de l’incapacité de la RAMQ d’effectuer une évaluation valable de son rendement causée par des absences du travail en nombre excédant le seuil minimal requis par l’article 3 de l’annexe I.
[76] Il est manifeste que cette conclusion est le fruit d’une interprétation inappropriée des dispositions pertinentes de l’annexe I, combinée à une appréciation lacunaire de la preuve et à une incompréhension des arguments de l’intimée, de même qu’à une conception erronée de la protection que vise à assurer la Charte. La somme de ces erreurs a pour effet de miner le caractère raisonnable de la sentence arbitrale.
[77] En ce qui concerne le troisième élément constitutif de la discrimination, force est de constater que l’arbitre et la juge se font avares de commentaires relativement à la nécessité de démontrer que la distinction a pour effet de compromettre l’exercice en pleine égalité d’un droit protégé.
[78] D’une part, il est manifeste que l’arbitre n’a pas, en raison de sa conclusion voulant que le refus de la RAMQ d’accorder une progression d’échelon à Me Comeau était sans lien avec son handicap, cru bon de procéder à l’analyse du troisième élément du premier volet du test. Concluant de la sorte à l’absence d’une preuve prima facie de discrimination, il s’est également abstenu d’examiner le second volet du test qui permet à l’employeur de justifier sa décision en invoquant les exemptions prévues par nos lois ou celles développées par la jurisprudence[30].
[79] Bien que le jugement entrepris énonce la nécessité de procéder à l’étude du troisième élément du premier volet du test, les commentaires de la juge n’y font pas référence. Cela s’explique sans doute parce que le désavantage ou le préjudice que cause à Me Comeau la décision de la RAMQ est flagrant. En effet, le refus de la RAMQ aura des effets négatifs non seulement sur sa rémunération tout au long de sa carrière de juriste de l’État, mais également sur sa rente de retraite.
[80] Il s’agit là, à mon avis, d’un préjudice qui découle de la distinction dont se plaint Me Comeau et qui compromet l’exercice en pleine égalité du droit lui garantissant que ses conditions de travail soient déterminées en l’absence de toute discrimination[31], en plus de perpétuer un préjugé selon lequel la présence d’un handicap affecte négativement le rendement d’un salarié.
[81] La juge indique de plus :
[27] Lors de la preuve présentée devant l’arbitre, la procureure de la RAMQ n’a soulevé aucun moyen de preuve ni aucun argument quant au deuxième volet.
[82] En l’absence, comme en l’espèce, d’une transcription des débats qui ont eu lieu devant l’arbitre, ce constat ne peut être remis en question et la conclusion que la RAMQ a choisi de ne pas justifier sa conduite ou sa décision s’impose d’elle-même.
[83] J’estime, en conclusion, que l’interprétation en vase clos des articles 2 et 3 de l’annexe I de la convention collective a eu pour effet de priver l’article 4 de la même annexe de toute signification logique et est, comme le souligne la juge, déraisonnable.
[84] L’arbitre a également erré quant à l’intensité du lien requis entre la distinction et le motif prohibé de l’article 10 de la Charte, en plus d’occulter de l’examen de la preuve relative à cette connexité un élément déterminant : le seul motif exprimé par la RAMQ pour justifier son refus.
[85] L’arbitre a en outre choisi le mauvais groupe de comparaison, ce qui a eu pour effet de compromettre la raisonnabilité de l’ensemble de son analyse.
[86] La comparaison de la situation de Me Comeau avec celle des juristes qui, en raison d’un rendement satisfaisant, ont obtenu un avancement d’échelon démontre clairement (1) que le refus de lui accorder ce même avantage (l’exclusion), (2) est dû à des absences résultant d’une invalidité ou d’un handicap (le motif prohibé), (3) qui compromet l’exercice en pleine égalité par elle du droit que lui garantit l’article 16 de la Charte (le préjudice).
[87] Bref, en l’absence de preuve justificative de la part de la RAMQ, toutes les conditions requises pour conclure à la présence de discrimination sont, en l’espèce, réunies.
[88] Sans nécessairement partager tous les motifs de la juge, je dois néanmoins convenir que sa conclusion selon laquelle la décision de l’arbitre ne constitue pas une issue possible acceptable eu égard aux faits et au droit, de même que les modalités de l’intervention qu’elle a mises en place, sont fondées et appropriées.
[89] Voilà pourquoi je suis d’avis que le pourvoi doit être rejeté.
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CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. |
[1]
Association des juristes de l’État c. Ménard,
[2]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand,
[3] Lettre de la Direction des ressources humaines de la Régie de l’assurance maladie du Québec du 12 avril 2013.
[4] Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
[5] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[6] Jugement entrepris, supra, note 1.
[7]
Québec (Procureure générale) c. Association des juristes de l’État,
[8] Article 143 de la convention collective.
[9] Article 153 de la convention collective.
[10] Article 131 de la convention collective.
[11]
Dupont c. Université du Québec à Trois-Rivières,
[12]
Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile),
[13]
Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l’État,
[14]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[15] Id., paragr. 47.
[16] Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District),
[17] Construction Labor Relations c. Driver Iron Inc.,
[18] Art. 199 de la convention collective.
[19] Art.
[20]
Art.
[21] Sentence arbitrale, paragr. 26.
[22]
Ford c. Québec (Procureur général),
[23] Andrews c. Law Society of British Columbia,
[24]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse) c. Bombardier (Bombardier Aéronautique Centre de formation),
[25]
Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines),
[26]
Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CS 12,
[27]
Commission scolaire des Découvreurs c. Syndicat de l’enseignement des
Deux-Rives (SEDR-CSQ),
[28]
Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse,
[29]
Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil,
[30] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), supra, note 24.
[31]
Art.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.