Serrurier c. Langevin | 2022 QCTAL 7218 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield | ||||||
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No dossier : | 607405 27 20220118 G | No demande : | 3440055 | |||
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Date : | 14 mars 2022 | |||||
Devant le juge administratif : | Michel Huot | |||||
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Samuel Serrurier |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Anthony Langevin
Wendy Nickelsen |
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Locataires - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur dépose une demande contre les locataires le 18 janvier 2022. Il souhaite obtenir l’autorisation du Tribunal pour reprendre le logement des locataires pour y vivre à compter du 1er juillet 2022.
[2] Présents à l’audience, les locataires avisent le Tribunal qu’ils ne contestent plus la demande de reprise du locateur, mais qu’ils souhaitent obtenir une indemnité pour les compenser pour leurs frais de déménagement.
CONTEXTE
[3] Les parties sont liées par un bail[1] renouvelé pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 825 $, incluant la location d’un garage. Les locataires habitent les lieux loués depuis le 1er juillet 2017.
[4] Le 12 décembre 2021, le locateur donnait un avis de reprise[2] aux locataires à l’effet qu’il entendait reprendre le logement pour s’y loger à compter du 1er juillet 2021.
[5] L’avis envoyé était conforme aux dispositions des articles
[6] Les locataires ont répondu[3] par écrit à l’avis de reprise le 12 janvier 2022, qu’ils refusaient de quitter le logement. Le locateur a donc introduit la présente demande, et ce, dans le délai prévu à l’article
[7] Lors de l’audience, les parties ont conclu une entente à l’effet que les locataires allaient quitter le logement concerné au plus tard le 15 juin 2022 à 23 h 59. Il a également été entendu que les locataires pourront compenser la somme qui leur sera accordée à titre d’indemnité à même les derniers mois de loyer à payer.
PRÉTENTIONS DES LOCATAIRES
[8] Les locataires réclament une somme de 10 000 $ du locateur plus des frais de déménagement. Il y a lieu de reprendre les demandes qu’ils formulaient dans leur lettre[4] du 12 janvier 2022. Ils demandent d’être compensés pour le nouveau loyer mensuel qu’ils devront payer et qui est plus élevé que le loyer actuel. Ils demandent également d’être compensés pour leur temps de déplacement et leur frais d’essence.
[9] Ils demandent de plus d’être compensés pour les frais de rebranchement aux différents services.
[10] Ils souhaitent aussi être compensés puisqu’ils considèrent qu’ils seront déracinés de leur milieu de vie. Ils demandent également une compensation pour le stress causé par la demande de reprise de logement.
ANALYSE ET DÉCISION
[11] Mentionnons d’abord que l’article
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut néanmoins, le reprendre, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. »
[12] Tel que l’écrivait Me Bisson dans l’affaire Dagostino c. Sabourin[5], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s’opposent : d’une part le droit du propriétaire d’un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d’autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C’est pour protéger le droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.
[13] Puisque les parties ont convenu d’une entente sur la demande de reprise, il y a lieu d’examiner les circonstances propres aux locataires en regard des termes de l’article
[14] Ledit article du Code civil du Québec se lit comme suit :
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l’éviction, il peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d’une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
[15] Dans l’affaire Boulay c. Tremblay[6], l’honorable juge Jacques Lachapelle précise la nature de l’indemnité applicable en matière de reprise de logement de la façon suivante :
« Dans les cas d’éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d’affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Article 1660.4 C. c.) Cependant, en matière d’éviction pour reprise de possession, le législateur n’a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l’indemnité de déménagement.
Pierre Gabriel Jobin conclut à l’examen des dispositions de l’article 1659.7 :
« ... Il serait sage d’indemniser le locataire victime d’une reprise de possession ; celui-ci devrait avoir droit à l’indemnité, sauf quand son déménagement n’est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu’il obéit à d’autres préoccupations personnelles du locataire. »
Le juge aux termes de l’article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l’indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il « doit en user « judiciairement », ce qui signifie qu’il doit le faire pour un motif valable. » (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 1965‑1978, p. 30)
Ainsi il doit justifier tout autant son refus d’accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu’exceptionnellement.
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu’elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu’il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d’une reprise de possession abusive. »
[16] L’article
[17] Le Tribunal partage l’opinion du juge Lachapelle et, comme lui, il croit que les locataires ont le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé.
[18] La Cour du Québec a aussi établi certains critères qu’il faut considérer dans l’évaluation de cette indemnité. Selon le juge Dansereau[7], l’âge de la locataire, sa condition physique, la durée d’occupation des lieux, son enracinement au logement et la valeur du mobilier sont des critères pertinents.
[19] Les locataires occupent les lieux depuis cinq ans. La recherche d’un logement à un loyer équivalent peut s’avérer difficile dans le même quartier et le déménagement du quartier risque de provoquer un déracinement important pour ces derniers. Ils s’éloigneront des gens qui les entourent et avec qui ils ont tissé des liens.
[20] Partant, compte tenu des circonstances dont ont témoigné les locataires, et compte tenu aussi du fait que le locateur n’a pas à être pénalisé pour l’exercice d’un droit légitime, soit celui d’habiter leur immeuble, le Tribunal estime que l’octroi d’une indemnité de l’ordre de 3 000 $ est juste et raisonnable pour compenser les locataires pour les frais de déménagement[8] ainsi que les frais de rebranchement. À cet effet, le Tribunal a tenu compte de l’estimation des frais de déménagement préparée pour le 15 juin 2022. Le Tribunal n'accorde pas les frais d'empaquetage des biens des parties puisqu'aucune preuve médicale n'a été produite pour les justifier. Le Tribunal a également tenu compte de l'offre du locateur dans l'établissement du montant alloué.
[21] Le Tribunal rappelle également que l’article
[22] À cet effet, il y a lieu de reprendre les articles
« 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d’une reprise ou d’une éviction obtenue de mauvaise foi, qu’il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction.
Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l’éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
« 1970. Un logement qui a fait l’objet d’une reprise ou d’une éviction ne peut être loué ou utilisé pour une fin autre que celle pour laquelle le droit a été exercé, sans que le tribunal l’autorise.
Si le tribunal autorise la location du logement, il en fixe le loyer. »
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[23] AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné à compter du 16 juin 2022 pour son usage personnel;
[24] ORDONNE l’éviction des locataires et de toutes personnes occupant les lieux à compter du 16 juin 2022;
[25] CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 3 000 $ à titre d’indemnité de départ;
[26] AUTORISE les locataires à opérer compensation de l’indemnité à même les derniers mois de loyer à payer;
[27] ORDONNE l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel;
[28] Le locateur assume les frais de sa demande.
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Michel Huot | ||
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Présence(s) : | le locateur les locataires | ||
Date de l’audience : | 21 février 2022 | ||
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[1] Pièce L-1.
[2] Pièce L-3.
[3] Pièce L-5.
[4] Pièce L-5.
[5] 31-991119-037G, 00-01-26, J. Bisson.
[6] Boulay c. Tremblay
[7] Carlin c. Dec, C. Q. 500-02-063681-980, le 26 mars 1999.
[8] Pièce L-7.
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