Bouthillette Parizeau & Associés inc. c. Centre hospitalier de l'Université de Montréal |
2019 QCCS 5669 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-17-061238-104 500-17-061237-106 |
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DATE : |
14 novembre 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEFFREY EDWARDS, J.C.S. |
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No : 500-17-061238-104 |
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BOUTHILLETTE PARIZEAU & ASSOCIÉS INC. |
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TEKNIKA HBA INC. |
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Demanderesses |
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c. |
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CENTRE HOSPITALIER DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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ET |
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No : 500-17-061237-106 |
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BIRTZ BASTIEN BEAUDOIN LAFOREST ARCHITECTES |
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PROVENCHER ROY ET ASSOCIÉS ARCHITECTES |
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YELLE, MAILLÉ, ARCHITECTES |
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LE GROUPE ARCOP, S.E.N.C. |
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Demanderesses |
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c. |
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CENTRE HOSPITALIER DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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JUGEMENT SUR QUALIFICATION D’EXPERT ET EN GESTION D’INSTANCE |
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(Art. |
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[1] Après sept (7) semaines d’instruction dans une cause de très longue durée, le témoin Marcel Boyer a été appelé pour témoigner pour la défense. Il est appelé pour soutenir le caractère exact et conforme du choix du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et du gouvernement du Québec (Gouvernement) de procéder à l’octroi des contrats de réalisation de la construction des phases du CHUM en mode de partenariat public-privé (PPP). Conformément à l’article 10 de la Loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec[1], le Gouvernement avait confié à l’Agence des partenariats public-privé du Québec (Agence) le mandat d’évaluer la faisabilité de procéder à la réalisation du projet du CHUM en mode PPP[2].
[2] Au cours de la présentation de son curriculum vitae, il a été révélé que M. Boyer a été administrateur au Conseil d’administration de l’Agence au cours de son existence, soit de 2005 à 2009. Or, au cours de la même période, des recommandations de l’Agence au Gouvernement concernant l’octroi des contrats de réalisation de la construction du CHUM en mode PPP ont été faites.
[3] Selon la loi constitutive de l’Agence, le Conseil d’administration administre les affaires de l’Agence[3].
[4] À titre d’administrateur de l’Agence, M. Boyer a donc forcément dû se prononcer sur le caractère exact et conforme des recommandations de l’Agence de procéder à l’octroi des contrats en mode PPP qui font l’objet du présent litige. M. Boyer mentionne qu’il était en effet impliqué dans la vérification du processus. Ces faits n’ont pas été dénoncés dans les « notes biographiques » annexées à son expertise, qui avait été communiquée aux demanderesses avant le début de l’instruction[4].
[5] Les avocats des demanderesses protestent avec véhémence que ce fait ne leur a pas été dénoncé plus tôt. Ils protestent que M. Boyer ne peut satisfaire dans ces circonstances aux exigences d’impartialité et d’objectivité prévues aux articles 22, alinéas 1 et 2 et 235 du Code de procédure civile (C.p.c.). Ils protestent que s’ils en avaient eu connaissance avant, ils auraient formulé des objections vigoureuses au dépôt de son expertise et sa qualité d’expert pour le déclarer inhabile comme expert.
[6] L’article
« L’expert dont les services ont été retenus par l’une des parties ou qui leur est commun ou qui est commis par le tribunal a pour mission, qu’il agisse dans une affaire contentieuse ou non contentieuse, d’éclairer le tribunal dans sa prise de décision. Cette mission prime les intérêts des parties.
L’expert doit accomplir sa mission avec objectivité, impartialité et rigueur. »
[Les italiques sont du Tribunal.]
[7] Le
modèle de déclaration obligatoire auquel l’expert doit souscrire, en vertu de
l’article
[8] Le
Tribunal est satisfait que les avocats en demande ont été diligents à ce sujet
au sens de l’article
[9] Au cours du témoignage entendu jusqu’à présent durant l’instruction et des observations faites, notamment par l’avocat du CHUM, les responsabilités de l’Agence de PPP ont été transférées à la Société québécoise des infrastructures (SQI). Il n’y a aucun doute que les contrats de PPP intervenus continuent d’être mis en œuvre par la SQI avec les différents partenaires privés impliqués.
[10] M. Boyer s’est donc déjà prononcé, au cours de son mandat d’administrateur de l’Agence, sur le bien-fondé des décisions de procéder à l’octroi des contrats en question en mode PPP.
[11] Avec égards, il est donc évident que, rendu à ce stade, son objectivité et son impartialité sont compromises par ses prises de position antérieures sur les mêmes dossiers qui font l’objet de contestation devant le Tribunal dans la présente instance. Au cours du témoignage d’expert proposé, M. Boyer sera forcément appelé à défendre et à réitérer ses prises de position antérieures, car son expertise écrite déposée conclut au bien-fondé de ces décisions. Dans la mesure où il affirme le contraire, il sera tenu de désavouer ses propres prises de position antérieures.
[12] Comme nous le verrons, de telles déclarations dans ce sens contraire peuvent constituer également des violations des obligations de M. Boyer à titre d’ancien administrateur au Conseil d’administration de l’Agence. À l’avis du Tribunal, son objectivité et son impartialité sont fatalement compromises en apparence.
[13]
Étant administrateur, M. Boyer avait sûrement des obligations légales
envers l’Agence. L’article
[14]
Selon l’article
[15] Or, à titre d’expert envers la Cour, s’il est reconnu ainsi, il devra loyauté envers le Tribunal, et aura comme devoir et mission d’éclairer le Tribunal avec objectivité, impartialité et rigueur. Or, la loi déclare que cette mission de l’expert prime sur les intérêts des parties[5].
[16]
Cette situation de double loyauté, menant possiblement à des conclusions
divergentes, met M. Boyer dans une position intenable comme expert, car il
n’est plus indépendant. En effet, en proposant d’agir comme expert auprès de la
Cour, il risque de violer ses obligations légales d’administrateur, y compris celle
de ne pas se placer dans une situation de conflit d’intérêts, tel que prévu à
l’article
[17] Nous sommes dans une position factuelle très différente de celle parfois acceptée par les tribunaux en ce qui a trait à un employé interne qui peut être reconnu comme expert dans un litige impliquant son employeur[6] : le risque de partialité apparente du témoin peut être considéré à titre d’élément de crédibilité et de valeur probante que le Tribunal peut évaluer suivant l’appréciation du témoignage.
[18] En premier lieu, à notre avis, sous l’égide du Code de procédure civile actuel, cette jurisprudence est moins pertinente, car le législateur a formellement codifié les éléments constitutifs essentiels des qualités et de la mission d’expert auprès de la Cour[7]. En deuxième lieu, M. Boyer a exercé un rôle de superviseur, d’administrateur et de décideur par rapport à la question sur laquelle il est appelé maintenant à donner une opinion indépendante au Tribunal.
[19] Il y a lieu de signaler que M. Boyer est le seul témoin expert offert par la défense sur la question.
[20] De plus, le lien est direct entre les opinions et prises de position antérieures de M. Boyer à titre d’administrateur de l’Agence et la question présentement en litige sur laquelle porte son expertise déposée et son témoignage d’expert proposé devant le Tribunal.
[21] Dans ces circonstances, le manque conséquent apparent d’impartialité, d’objectivité et d’indépendance est tellement problématique que le Tribunal considère qu’il était de son devoir, et ce, dans l’intérêt de la justice, de discuter de la question avec les avocats des parties afin de voir si une solution de rechange préservant les droits des deux parties pouvait être envisagée à ce stade.
[22] Compte tenu des faits mentionnés et de la position exprimée par les avocats de la demande de signaler et de confirmer leur opposition de principe quant à l’absence d’impartialité et d’objectivité du témoin expert proposé qu’est M. Boyer, et malgré toute l’estime du Tribunal pour les qualifications techniques exceptionnelles de M. Boyer, le Tribunal ne procédera pas à le qualifier d’expert dans les circonstances.
[23]
Évidemment, ce développement empêche le défendeur d’étayer un élément
important de sa preuve concernant une question précise en litige. En vertu de
ses pouvoirs de gestion, notamment en vertu de l’article
[24] Après consultation, les parties agréent à cette manière de procéder.
[25] Hormis cette preuve, l’instruction procède selon le calendrier d’instruction proposé par les parties et approuvé par le Tribunal. Le Tribunal émettra toutes les autres ordonnances requises lorsqu’approprié quant à la gestion des étapes suivantes.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] AUTORISE le CHUM à mandater un autre expert qui préparera un rapport d’expertise qui sera dûment communiqué aux demanderesses dans les meilleurs délais;
[27] PRÉVOIT que l’expert de remplacement sera entendu dans les meilleurs délais compte tenu des disponibilités des avocats et du Tribunal;
[28] DÉCLARE qu’à l’exception de cet élément de preuve, l’instruction procède selon le calendrier d’instruction convenu et approuvé, sous réserve des ordonnances qui seront émises par la Cour.
[29] SANS FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ JEFFREY EDWARDS, J.C.S. |
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Me Guy Gilain |
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Me Gerry Argento |
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Me Stephan Trihey |
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Me Karine Carrier |
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Me Tania L. Pinheiro |
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Miller Thomson sencrl / llp |
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Avocats des demanderesses |
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Me Philippe Tremblay |
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Me Bruno Verdon |
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Me Emil Vidrascu |
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Me Gabrielle Tétrault |
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Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l. |
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Avocats de la défenderesse |
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Date d’audience : |
14 novembre 2019 |
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[1] L.R.Q., c. A-7.002.
[2] Pièces D-3 (Décret no 292-2006, en date du 5 avril 2006), D-5 (Décret no 419-2007, en date du 13 juin 2007) et D-6 (Décret no 423-2007, en date du 13 juin 2007).
[3] Article 19.
[4] Pièce D-103, p. 49.
[5] Article
[6] Québec (Procureur général) c. Marleau,
[7] Néanmoins, cette jurisprudence peut demeurer pertinente
en certaines circonstances, notamment en tenant compte du principe de la
proportionnalité (article
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.