Décision

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Décision

Vallée c. Foly

2021 QCTAL 16169

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

Nos dossiers :

524787 37 20200609 G

526156 37 20200622 G

Nos demandes :

3003632

3008534

 

 

Date :

23 juin 2021

Devant le juge administratif :

Robin-Martial Guay

 

Louise Vallée

 

René Gagné

 

Locateurs - Partie demanderesse

(524787 37 20200609 G)

Partie défenderesse

(526156 37 20200622 G)

c.

Cédrick Foly

 

Locataire - Partie défenderesse

(524787 37 20200609 G)

Partie demanderesse

(526156 37 20200622 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 9 juin 2020, les locateurs déposent une demande en recouvrement du loyer impayé du mois de juin 2020 au montant du 610 $.

[2]      Le 22 juin 2020, le locataire dépose une demande à l’encontre des locateurs.

[3]      Dans sa demande, le locataire recherche les conclusions suivantes:

1-    Joindre ce dossier au dossier 524787 37 20200608

2-    Autoriser le demandeur à déposer son loyer à la Régie du logement

3-    Ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel

4-    Condamner la partie défenderesse au paiement des frais

5-    Condamner le défendeur à payer au demandeur la somme de 436,34 $ le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle

6-    Ordonner la remise des courriers volés par la partie défenderesse

7-    Condamner le défendeur à payer au demandeur à titre de dommages et intérêts la somme de 2 012,44 $ le tout avec les intérêts et indemnités additionnels.

[Reproduit tel quel]


[4]      Au soutien de sa demande, le locataire allègue que :

« Le 5 juin 2020 le défendeur a changé les serrures, refusé de fournir les clés, volé les courriers de ma boîte aux lettres et refusé d’accepter le paiement du loyer 610 $ et frais de retard (10 $) par chèque (voir ci-joint). Frais de serrurier 436,34 $ pour déverrouillage de la porte (voir ci-joint). Absence de Louise Vallée à notre rendez vous du 9 juin 2020 pour régler notre différend. Comportement agressif de Monsieur Gagnon (représentant du défendeur) lors du rendez-vous du 9 juin 2020 (voir mise en demeure ci-joint pour détails). Mise en demeure envoyé le 9 juin 2020. Pour ces motifs, une somme de 1000 $ est réclamée à titre de dommages-intérêts punitifs et une somme de 1 000 $ à titre de dommages-intérêts pour troubles et inconvénients (stress, anxiété, perte de temps, déplacement, insomnie, etc.). Une somme de 12,44 $ est réclamée à ce jour à titre de dommages-intérêts matériels pour frais de postes Canada (envoi lettre enregistrée). » [Reproduit tel quel]

[5]      La demande a été signifiée aux locateurs par poste recommandée; ce qui est admis à l’audience.

[6]      Le 17 juillet 2020, les locateurs amendent la demande afin d’ajouter les réclamations supplémentaires que voici :

1.  $ 15 frais d’expédition de 3 courriels sécurisés (29 avril, 5 juin, 9 juin)

2.  $ 287,44 frais de réparation des murs pour dommages constatés après le départ du défendeur le 1er juillet

3.  $ 100 temps du concierge le 5 juin (déplacement) et le 1er juillet (pour retard au rendez-vous de remise des clés)

4.  $ 50 remplacement pour 2 serrures endommagées de la porte de l’appartement

5.  $ 1000 à titre de dommages-intérêts punitifs pour mauvaise foi du défendeur

6.  $ 3000 à titre de dommages pour troubles et inconvénients causés par le défendeur à 3 personnes : Louise Vallée, René Gagné, Luc Lebeau.

[7]      Au soutien de l’amendement, les locateurs allèguent ce qui suit: 

1.    Le défendeur s’est désisté prématurément de sa responsabilité auprès d’Hydro-Québec en total non-respect de la clause électricité de la page 4 des règlements de l’immeuble signé par le locataire le 12 avril 2013 et malgré le courriel du 29 avril

2.    Le défendeur n’a répondu à aucune tentative de communication de la propriétaire durant quatre jours pour se faire payer le dernier mois de loyer en juin 2020

3.    Le défendeur a abîmé deux murs de l’appartement, dommages constatés après son départ le 1er juillet

4.    Le défendeur a brisé 2 serrures de la porte de l’appartement le 6 juin

5.    Perte de temps et intimidation à la banque 9 juin

6.    Perte de temps le 1er juillet pour retard au rendez-vous de remise des clés

7.    Perte de temps, nombreux déplacements et tentatives de communication de la demanderesse au défendeur pour recevoir le loyer de juin 2020

8.    Stress, anxiété, insomnie occasionnée par ces troubles causés par le défendeur. »

[8]      La signification de la demande et de l’amendement a été faite par courriels Pronotif ; ce qui est admis à l’audience.

[9]      Chaque partie demande que les montants accordés portent intérêts, plus l’indemnité additionnelle selon l’article 1619 du Code civil du Québec;

[10]   Aussi, chaque partie réclament les frais de justice.

[11]   Conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, les deux demandes ont été réunies et instruites en même temps.


La preuve

[12]   De la preuve administrée à l’audience, le Tribunal retient les éléments pertinents que voici.

[13]   Les parties étaient liées par un bail reconduit pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 610 $ (Pièce P-3).

[14]   Le locataire qui habite le logement concerné depuis l’année 2013 a validement donné un avis aux locateurs à l’effet qu’il ne reconduisait pas le bail se terminant le 30 juin 2020. 

[15]   Au chapitre du mode de paiement du loyer, le bail stipule que le loyer est payable par chèque ou en argent comptant; rien d’autre que ces deux modes.

[16]   Depuis qu’il est locataire, le paiement du loyer s’effectue par chèque.

[17]   Toujours selon la preuve, en 2015, la sœur du locataire s’installe dans le logement. Le locataire qui habite depuis ce temps un autre logement se rend au logement sur une base régulière afin de visiter sa sœur. Il reste et demeure le locataire des lieux.

[18]   Conformément à son avis de non-reconduction du bail qui se terminait 30 juin 2020, le locataire a quitté les lieux loués en date du 30 juin 2020.

[19]   À son départ, le locataire a laissé le logement en bon état de propreté et d’entretien tel que le démontre les photos qu’il a prises au moment de son départ. (Pièce L-2)

[20]   Le locataire se défend d’avoir fait quelque dommage que ce soit au logement, plus particulièrement à un mur du logement selon ce que révèlent des photos que la locatrice, madame Vallée, affirme avoir prise peu de temps après le départ du locataire (Pièce P-1) et pour lesquelles, les locateurs ont déboursé 288,44 $ pour une réparation sous une des fenêtres du logement (Pièce P-2).

[21]   Le locataire dépose en preuve un courriel de la locatrice daté du 6 octobre 2015 qui l’informe qu’il y aura des travaux de fenestration et de peinture au logement du 22 au 24 octobre (Pièce L-1).

[22]   Le locataire est catégorique pour dire que les dommages sous la fenêtre n’étaient pas apparents et visibles à l’œil tel qu’en témoigne ses photos. Les dommages n’apparaissent que sur les photos de madame Vallée et pour cause. Il aura fallu que le peintre gratte sous la fenêtre pour faire apparaître qu’ils sont le fruit de travaux de finition mal exécutés lors du remplacement de la fenêtre en 2015.

[23]   C’est en grattant sous le contour de la fenêtre au moment de repeindre le logement après son départ que le concierge a mis en lumière ce qui était invisible avant qu’il ne gratte sous la fenêtre.

[24]   Quant à la plaque de peinture qui s’est détaché d’elle-même du mur, il s’agit de peinture au latex qui fut jadis appliquée sur une peinture à l’huile; ce dont il ne saurait être tenu responsable.

[25]   Le 28 avril 2020, la locatrice reçoit de Communications Hydro-Québec une alerte à l’effet qu’un déménagement a été signalé relativement au logement concerné et que le contrat avec le locataire doit prendre fin le 25 mai 2020.

[26]   Le 29 avril 2020, sachant que le bail se termine le 30 juin et non pas le 25 mai, la locatrice invite le locataire à respecter la clause électricité du bail et de contacter Hydro-Québec pour les informer que la date de la fin des services n’est pas le 25 mai, mais bien le 30 juin 2020.

[27]   Le locataire déclare qu’il avait avisé de la sorte Hydro-Québec afin de permettre à sa sœur qu’elle obtienne un congé-mariage de trois jours de son employeur conditionnel à la preuve qu’elle devait déménager en prévision du mariage.

[28]   Qu’à cela ne tienne, le locataire s’est rendu à l’invitation de la locatrice en informant Hydro-Québec que son contrat ne devait se terminer que le 1er juillet 2020. (Pièce L-6) avec confirmation à la locatrice, le 6 juin 2020 à qui, il écrit :

« Louise, aucune inquiétude pout Hydro, nous demeurons responsables jusqu’à la fin de notre bail et vous n’aurez aucun frais à payer. Voir preuve ci-dessous » tout en joignant à son message le document de confirmation reçu d’Hydro-Québec que le contrat prenait fin le 1er juillet 2020. (Pièce P7-, page 8D)  


[29]   Le locataire est catégorique pour dire qu’il n’a jamais été prévu que le logement serait sans électricité entre le 25 mai et le 30 juin 2020, date de la fin du bail.

[30]    À l’audience, le locataire reconnaît et admet que le loyer de juin 2020 au montant de 610 $ n’a pas été payé à son échéance le 1er juin 2020 non plus que dans les quelques jours suivants malgré les demandes insistantes de la locatrice.

[31]   Le locataire sera donc condamné à payer aux locateurs, la somme de 610 $ représentant le loyer du mois de juin 2020, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 9 juin 2020, plus 87,75 $ pour les frais de justice.

[32]   Toujours à propos du paiement du loyer du mois de juin 2020, il vaut de relever les faits générateurs de droits révélés par la preuve.

[33]    Étant sans réponse du locataire à propos du retard dans le paiement du loyer de juin, la locatrice écrit à la sœur du locataire le 5 juin pour l’informer de ce qui suit :

« J’ai écrit à ton frère un courriel mercredi le 3 juin, un texto hier le 4 et messages boîte vocale ce matin.

Silence radio de sa part !

Donc je t’avise que les serrures de la porte sont désormais changées, ton courrier postal est retenu.

Si tu veux récupérer tes effets et ton courrier tu dois payer le loyer de juin 610 $ plus frais de retard de 10 $ jusqu’à aujourd’hui et demain c’est 20 $ de plus tu dois payer Hydro et j’estime le coût du mois de juin à 40 $ pour le comportement plus que malhonnête ton frère dans cette terminaison de bail je charge 50 $ de dédommagement pour mon temps et les frais engagés pour changer serrures

Au bas mot tu dois 710 $ aujourd’hui et 720 $ si je ne reçois pas paiement entier aujourd’hui

J’accepte seulement paiement Interac. La réponse à la question sera : loyer

Merci de ta collaboration et je suis sincèrement très déçu du comportement de ton frère en cette terminaison de bail.

Louise Vallée, propriétaire. » (Pièce L-3)

[34]   Sitôt que le locataire reçoit ce courriel par le concierge (Pièce L-5) qui refuse de lui ouvrir la porte du logement, selon les instructions claires qu’il a reçues de madame Vallée. Le locataire s’empresse d’écrire à locatrice un message texte pour valoir de mise en demeure dans les termes suivants:

« Salut Louise. Je viens de constater que vous avez changé la serrure de mon appartement et saisis mes courriers. Le paiement de loyers en retard ne vous donne pas le droit de prendre ces mesures et vous le savez très bien. Je suis présentement sur les lieux. Vous avez donc exactement 30 minutes pour me fournir les nouvelles clés et me donner mes courriers faute de quoi je prendrai les mesures nécessaires pour faire valoir mes droits de locataire. Mon bail n’est pas encore terminé. La police m’a conseillé de contacter un serrurier pour ouvrir la porte et rentrer chez moi. Bonne soirée Louise. » (Pièce L-4)

[35]   À son message, le locataire joint une photo du chèque du loyer du mois de juin 2020 qu’il est disposé à lui remettre, mais qu’elle s’entête à refuser en lui écrivant :

« Malheureusement je n’accepterai pas de chèque de vous tel que mentionné dans le texto du 4 juin vous devez me faire un virement de 670 $ loyer 610 $ Retard jusqu’au 5 juin 10 $ Dédommagement pour nombre déplacements à l’édifice le 2-3-4-5 juin 50 $. Quand cela sera reçu je me déplacerai de nouveau.

[36]   Et le locataire de répliquer :

« Vous êtes donc avisés que les frais de mon serrurier seront déduits du loyer et de la pénalité de 10 $. Je vous remettrai le solde par chèque en personne quand je serai en possession de tous les courriers que vous avez saisis. De plus, je vous tiens responsable s’il manque quoi que ce soit.

[37]   Et la locatrice d’écrire au locataire : « Non pas de chèque seulement un virement vous n’avez qu’à payer Pas besoin d’un serrurier! Vous êtes en retard depuis plus de 5 jours ».


[38]   Bien que le locataire ait offert de remettre un chèque pour le paiement du loyer de juin en date du 6 juin 2020, la représentante des locateurs, Madame Louise Vallée, refuse de recevoir le paiement par chèque du loyer.

[39]   La locatrice exige que le paiement du loyer de juin 2020 soit effectué par virement bancaire Interac et non par chèque, bien que le bail stipule que le loyer est payable par chèque ou en argent comptant.

[40]   Bien que Madame Vallée admette n’avoir jamais eu de problème d’encaissement d’un chèque pour le loyer depuis que Monsieur Foly est locataire en 2013, sauf deux ou trois paiements en retard, elle admet avoir insisté pour obtenir que le paiement de juin 2020 soit effectué au moyen de virement bancaire par Interac et non par chèque.

[41]   Le 5 juin 2020, devant le retard et le refus du locataire de lui faire son paiement par virement bancaire Interac plutôt que par chèque, la locatrice a fait procéder au changement de serrures du logement par un serrurier, puis est entrée dans le logement. Pour l’occasion, celle-ci a dressé l’inventaire des biens qui s’y trouvaient : un réfrigérateur et quelques vêtements, que d’affirmer la locatrice.

[42]   Il faut ajouter une table et les chaises ainsi qu’un lit, que de renchérir le locataire.

[43]   Obligé de faire enlever les nouvelles serrures pour avoir accès à son logement, le locataire, sur les conseils de la force constabulaire, a contacté un serrurier pour qu’il vienne remplacer les serrures au coût de 436,34 $ qu’il réclame aux locateurs (Pièce L-7).

[44]   Le locataire affirme avoir subi stress, insomnie et moult inconvénients en raison des agissements de la locatrice et de son geste illégal et unilatéral de faire procéder à un changement de serrures au logement le 5 juin 2020 parce qu’il était en retard de cinq jours et parce qu’il refusait de procéder au paiement du loyer de juin par virement bancaire plutôt que par le chèque qu’il était disposé à lui remettre comme à l’habitude.

[45]   Tel est l’essentiel de la preuve administrée par les parties.

Discussion

Les règles de preuve

[46]   Devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.), il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.

[47]   Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est la partie sur qui repose le fardeau de preuve qui succombera et verra sa demande rejetée.

[48]   Enfin, selon l'article 2845 C.c.Q., la force probante des témoignages est laissée à l'appréciation du Tribunal.

Le droit applicable

[49]   Les quelques dispositions du Code civil du Québec qui suivent et des articles 5 à 8 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne trouvent application au cas sous étude.

« 1903. Le loyer convenu doit être indiqué dans le bail.

Il est payable par versements égaux, sauf le dernier qui peut être moindre; il est aussi payable le premier jour de chaque terme, à moins qu'il n'en soit convenu autrement. »

« 1904. Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d'avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d'un mois de loyer.

Il ne peut, non plus, exiger une somme d'argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autrement, ou exiger, pour le paiement, la remise d'un chèque ou d'un autre effet postdaté. »


« 1934. Aucune serrure ou autre mécanisme restreignant l'accès à un logement ne peut être posé ou changé sans le consentement du locateur et du locataire.

Le tribunal peut ordonner à la partie qui ne se conforme pas à cette obligation de permettre à l'autre l'accès au logement. »

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »

« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »

[50]   Tel que susdit, il vaut par ailleurs de souligner que la réclamation du locataire est fondée sur les articles 5 à 8 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[1].

[51]   Ces dispositions édictent ce qui suit :

« 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. »

« 6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. »

« 7. La demeure est inviolable. »

« 8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite. »

« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

ANALYSE

[52]   En l'espèce, la preuve de faits et de circonstances démontre de façon prépondérante que les locateurs ont évincé, sans droit, le locataire du logement en procédant au changement de serrures du logement en date du 5 juin 2020.

[53]   Mais il y a plus lorsque l’on sait que, pour l’occasion, l’un des locateurs, en l’occurrence, madame Vallée, est entrée dans le logement et a dressé l’inventaire des biens qui s’y trouvait, agissant ainsi en toute illégalité.

[54]   C'est sans préavis et à l'insu du locataire que la locatrice est entrée dans le logement concerné.

[55]   L'intrusion dans le logement s'est faite sans droit et la locatrice, en agissant de la sorte, a contrevenu aux droits fondamentaux du locataire relativement au respect de sa vie privée et à l'intégrité de sa demeure qui sont contenus aux articles 5, 6,7 et 8 de la Charte. Objectivement, Il s'agit dans le présent cas d'une atteinte illicite à des droits reconnus par la Charte.

[56]   Certes, le locataire a été ébranlé par cette intrusion cavalière et qui, par surcroît, a mené les locateurs à s'approprier son logement sitôt le changement de serrures opéré à la demande de madame Vallée.

[57]   Encore une fois, à elle seule, cette entrée sans préavis dans le logement et en l'absence et sans l'autorisation du locataire, constitue une violation de domicile au sens des articles 5 à 8 de la Charte des droits et liberté de la personne qui commande l'application aux locateurs de la sanction prévue à l'article 49 que réclame le locataire dans sa demande.

[58]   Pour l'entrée illicite dans le logement, le locataire réclame des locateurs, une somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.

[59]   L'objectif visé dans l'octroi de dommages punitifs est d'assurer une fonction à la fois punitive et dissuasive. On vise à punir un comportement répréhensible et à dissuader l'auteur de toute récidive en semblable matière, c'est-à-dire d'actes commis en contravention aux droits et libertés reconnus par la Charte ou autre disposition législative qui permet l'octroi de tels dommages.


[60]   L'article 1621 C.c.Q. fait enfin état de la « fonction préventive » des dommages-intérêts punitifs. Vu l'importance du phénomène et des principes en cause, une vigilance soutenue s'impose de la part des tribunaux.

[61]   L'auteure, Me Claude Dallaire, exprime ainsi l'enjeu de la question :

« Si le quantum n'est pas le reflet de l'imputation véritable de paiement ni de la capacité financière de l'auteur de l'atteinte, la condamnation à des dommages exemplaires devient inutile et peut même avoir un effet pervers : constituer une invitation à violer à rabais les droits fondamentaux d'autrui.[2] »

[62]   La Cour suprême du Canada a déjà eu l'occasion de déterminer le cadre dans lequel les dommages punitifs (anciennement connus comme étant des dommages exemplaires) pouvaient être attribués :

« Quant aux dommages exemplaires, l'atteinte doit être illicite et intentionnelle. L'atteinte doit être commise dans des circonstances qui indiquent une volonté déterminée de causer le dommage résultant de la violation. Il faut que la conduite de l'auteur soit voulue, consciente et délibérée. L'accent est mis sur les circonstances donnant lieu au dommage. Les dommages exemplaires ont un caractère strictement punitif. L'intention est de punir l'auteur et de dissuader ceux qui voudraient imiter son geste.[3] »

[63]   Quant à l'évaluation des dommages punitifs, la Cour suprême énonce comme suit la règle de la proportionnalité dans l'affaire Whiten.

« J'ai indiqué, plus tôt, que la proportionnalité était la clé permettant d'établir le quantum permissible des dommages -intérêts punitifs. Le châtiment, la dénonciation et la dissuasion sont des justifications acceptées relativement à l'attribution de dommages -intérêts punitifs, et le moyen utilisé doit être rationnellement proportionné au but visé. Une somme excessive n'atteint pas le but visé et devient irrationnelle, alors qu'une somme insuffisante ne réalise pas son objectif.

La règle de base qui est impérative est donc que les dommages-intérêts punitifs ne doivent pas excéder « ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive », mais doivent être suffisamment élevés pour atteindre cet objectif. « Doit être accordé ce qui est nécessaire pour dissuader.[4] ».

La réclamation du locataire

[64]   La locatrice ne pouvait pas changer les serrures et entrer comme elle l’a fait dans le logement pour la simple raison que le locataire n’avait pas encore payé le loyer de juin en date du 5 juin, qu’il ne répondait pas à ces messages textes et courriels et qu’il refusait de se soumettre à son exigence, celle de payer le dernier mois de loyer par virement bancaire.

[65]   En l’espèce, la preuve prépondérante démontre que les locateurs pris possession du logement concerné pendant l'absence du locataire et de sa sœur parce que madame Vallée, qui ne s’en cache pas, « craignait que le locataire s’était poussé du logement sans payer le dernier mois de loyer », et sachant qu’il n’en serait rien de tel, exercer une pression pour qu’il paie par virement Interac; guidée et aveuglée par son ambition de ne pas perdre ce dernier mois de loyer.

[66]   La locatrice s’est manifestement fait justice elle-même en imposant au locataire sa propre loi et ses règles qui s’inspirent de celles du « Far west » plutôt que celles prévues au Code civil du Québec.

[67]   En l’espèce c’est dans une demande en recouvrement de loyer que résidait les droits des locateurs à l’encontre de celui qui leur a tenu tête en réclamant le simple respect des dispositions du bail et des lois applicables au litige qui les opposaient.

[68]   Que pour un simple retard de cinq jours dans le paiement du loyer de la part d’un locataire qui, depuis 2013, avait toujours payé son loyer par chèque le premier jour du mois, sauf à deux occasions, se retrouve momentanément évincé de son logement en toute illégalité dès le 5 juin 2020, alors qu’il tendait un chèque à la main de la locatrice qui s’obstinait à refuser celui-ci en réclamant un paiement par Interac ainsi qu’après lui avoir confirmé dès le 6 juin qu’il assumerait ses responsabilité auprès d’Hydro-Québec jusqu’au 1er juillet 2020, est incontestablement générateur de droit pour le locataire.


[69]   Ces gestes intentionnels sont répréhensibles et graves. Ils doivent entraîner l'imposition de dommages-intérêts punitifs au sens de l'article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[70]   À la lumière de la preuve soumise et des critères que sont la gravité objective des faits soumis, des conséquences pour le locataire et de l'effet dissuasif, le Tribunal juge approprié d'accorder au locataire le plein montant qu’il réclame aux locateurs, soit un montant de 1 000 $ à titre de dommages punitifs.

[71]   Il va sans dire que les intérêts et l'indemnité additionnelle sur ce montant sont accordés à compter de la décision[5].

[72]   Aussi, le locataire réclame des locateurs, la somme de 1 000 $ à titre de dommages moraux pour les troubles et inconvénients qu'il a subis à la suite de son éviction momentanée du logement concerné.

[73]   Le locataire affirme avoir vécu beaucoup de stress, insomnie et de troubles et d'inconvénients. Nombreuses et pénibles furent ses démarches pour réintégrer le logement.

[74]   En ce qui a trait aux dommages moraux, le juge administratif, Pierre Gagnon a traité de l'octroi de ce type de dommages dans l'affaire Obadia[6] :

« Sous ce titre, on entend les pertes non pécuniaires subies par les locataires, pour les angoisses, les inconvénients, les problèmes de quelque nature qu'on a pu leur faire subir.

L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent équitables et raisonnable. (...) ».

[75]   Ainsi, pour fixer ce montant, aucune facture ou grille de mesure ne peut être produite. Le Tribunal doit allouer un montant en s'appuyant sur ce qu'a pu vivre une partie et ce qu'elle a pu perdre, ce qui comprend les inconvénients, la perte de jouissance de la vie et les souffrances phycologiques.

[76]   La Cour d'appel définit ainsi le préjudice moral[7] :

« Le préjudice moral causé par des propos diffamatoires, sera difficile à mesurer puisque hautement subjectif. (...) S'il est moins palpable, il n'en est pas moins réel. (...) Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens. »

[77]   Le locataire a démontré avoir subi beaucoup de stress et moult tracas qui sont les conséquences directes et immédiates de tous les problèmes qu'il a eus, à la suite de l’entêtement de la locatrice à refuser qu’il paie le loyer de juin par chèque comme le stipule le bail et en faisant procéder au changement de serrures du logement le 5 juin 2020 équivalant à une éviction illégale de son logement, justifie que soit accordé au locataire un montant de 500 $ en dommages-intérês à titre de dommages moraux.

[78]   Finalement, la réclamation d’un montant de 436,34 $ pour des frais de serrurier encourus pour faire rétablir les serrures au logement et remplacer celles qui avaient été changées de façon intempestive par madame Vallée est, elle aussi, accordée au locataire.

[79]   Tous ces montants réunis forment la somme de 1 936,34 $ que devront verser les locateurs au locataire.

Les réclamations des locateurs

[80]   La preuve révèle que tous les troubles et inconvénients allégués par les locateurs et pour lesquels ils réclament des dommages moraux ont pour seule source les agissements de madame Vallée et dans son acharnement pour que le locataire paie le dernier mois de loyer au moyen d’un virement par Interac plutôt que par chèque comme le stipule pourtant le bail.

[81]   La preuve que le locataire a agi de mauvaise foi et qu’il doit être condamné à payer aux locateurs des dommages punitifs de 1 000 $ et des dommages moraux à hauteur de 3 000 $ pour des troubles et inconvénients dont se plaint madame Vallée n’a clairement pas été établi dans le cas sous étude. Cette demande visait sans doute à répliquer à celle du locataire. Qu’importe, cette demande des locateurs n’a pas l’ombre d’un minium de fondement.

[82]   Le Tribunal ne saurait indemniser des locateurs pour les tracasseries qu’ils se sont eux-mêmes causés par leur entêtement et en agissant en contravention au bail en refusant que le paiement par chèque du dernier mois de loyer et pour avoir changé, en toute illégalité, les serrures du logement et, incidemment, pour avoir évincé sans droit le locataire du logement en cours de bail.

[83]   Comme le veut l’adage qui s’applique principalement à Madame Louise Vallée qui est à l’origine des manœuvres illicites commises à l’égard du locataire à qui, elle ne manquera d’ailleurs pas de dire « qu’elle n’avait pas le choix d’utiliser les moyens pour faire réagir les gens comme vous », les locateurs sont les artisans de leur propre malheur.

[84]   C’est là dire que le Tribunal rejette en bloc les réclamations des locateurs pour dommages moraux pour les troubles et inconvénients, ainsi que celle pour dommages punitifs.

[85]   Il en va de même des réclamations des locateurs pour des dommages causés au logement pour un montant de 287,44 $, pour le remplacement de serrures changées en toute illégalité pour un montant de 50 $, ainsi que celle de 100 $ pour le temps du concierge. Ces réclamations sont grotesques après examen de la preuve.

[86]   Dans le cas particulier des dommages causés à deux murs du logement, qu’il nous suffise d’examiner les photos pour se convaincre que le locataire n’a manifestement pas commis les dommages qu’on lui impute et que cette réclamation se situe à la frontière de l’abus de droit.

[87]   Quant aux frais d’expédition de 15 $ pour trois courriels sécurisés, seul un montant de 9,75 $ prévu par le règlement peut être accordé en sus des frais de justice de 78 $ pour la demande en recouvrement de loyer de 610 $.

[88]   En corolaire de ce qui précède, les parties seront autorisées à opérer compensation à même la somme accordée au locataire, et celle accordée aux locateurs.

[89]   La preuve soumise ne justifie pas l'exécution provisoire de la présente décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 524787

[90]   CONDAMNE le locataire à payer aux locateurs, la somme de 610 $, avec intérêts au taux légal, plus l'indemnité additionnelle suivant l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter 9 juin 2020, plus les frais de justice de 87,75 $.

Dossier 526156

[91]   ACCUEILLE partiellement la demande du locataire;

[92]   CONDAMNE les locateurs à payer au locataire, la somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs, le tout avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la décision;

[93]   CONDAMNE les locateurs à payer au locataire, la somme de 936.34 $, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 22 juin 2020, plus 87,75 $ pour les frais de justice;


[94]   AUTORISE la compensation entre la somme de 610 $ qui est due par le locataire aux locateurs et celle de 1 936,34 $ que les locateurs doivent payer au locataire;

[95]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

la locatrice

le locataire

Date de l’audience :  

9 juin 2021

 

 

 


 



[1] RLRQ, c. C-12.

[2] Claude Dallaire, La mise en œuvre des dommages exemplaires sous le régime des chartes (2e éd.), Montréal, 2003, Wilson & Lafleur, p. 132.

[3] Syndicat national des employés de l'Hôpital St-Ferdinand c. Québec (Curateur public), (1996) 3 R.C.S. 211 (J.E. 96-2256).

[4] Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] CSC 18.

[5] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'Hôpital St-Ferdinand d'Halifax, (1996) 3 R.C.S. 211, p. 265.

[6] Obadia c. 3 008 380 Canada inc. 31-940510-040P-940517 et 31-970718-057G, décision de la Régie du logement, le 11 février 1998.

[7] Malhac c. Métromédia CMR Montréal inc. et André Arthur, C.A. Montréal, no. 500-09-011219-011, 24 mars 2003, Juges Gendreau, Dusseault et Rayle, p. 12.

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