Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Succession de Blanchet c. Succession de Fournier

2023 QCCA 987

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-09-010428-214

(300-17-000027-191)

 

DATE :

31 juillet 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

 

ALAIN ANDERSON, en sa qualité de liquidateur de la succession de feu FRANCE BLANCHET

APPELANT EN REPRISE D’INSTANCEdemandeur

c.

 

SUCCESSION DE FEU CÉCILE FOURNIER

ROBERT BÉLANGER

INTIMÉS défendeurs

et

MARIO BILODEAU

MIS EN CAUSE – mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 1er novembre 2021 par la Cour supérieure, district de Montmagny (l’honorable Jacques G. Bouchard)[1], lequel rejette la demande par laquelle France Blanchet France »)[2] demandait que soit déclaré faux[3] le testament de feu sa tante Cécile Fournier (« Cécile »), reçu par le notaire mis en cause le 9 décembre 2016 (le « Testament »)[4].

[2]                Si la Cour fait droit à son premier moyen et déclare que le Testament est nul à titre de testament notarié au sens de l’article 716 du Code civil du Québec C.c.Q. »), l’appelant demande que la Cour déclare qu’il ne peut davantage être valide à titre de testament devant témoins au sens de l’article 727 C.c.Q., ou comme testament olographe suivant l’article 726 C.c.Q. Au bout du compte, il requiert que la Cour déclare que le dernier testament valide de feu Cécile est son testament notarié du 8 mars 2013[5].

[3]                La Cour conclut que le Testament ne respecte pas la formalité spéciale prescrite par l’article 719 C.c.Q. dans le cas d’une personne qui ne peut signer son testament notarié et qu’il doit en conséquence être déclaré nul à ce titre. Néanmoins, il demeure valide à titre de testament devant témoins.

[4]                Une revue du contexte sera utile à la compréhension de ce dispositif et des raisons qui le sous-tendent.

Contexte

[5]                Feu Cécile est décédée à l’âge de 99 ans le 21 février 2018, sans conjoint et sans enfants.

[6]                À compter d’environ 2003-2004, de façon croissante et jusque dans les semaines précédant son propre décès au début janvier 2017, à la suite d’un cancer fulgurant, Nicole Fournier (« Nicole »), une autre de ses nièces, la voit régulièrement, s’occupe de ses affaires personnelles, achète ses vêtements et prépare des lettres et/ou chèques à sa demande, vu notamment sa vision qui décline. De plus, Nicole et son époux, l’intimé Bélanger (« Robert »), l’hébergent un temps chez eux, l’amènent à ses rendez-vous médicaux et dentaires, ainsi qu’à l’hôpital pour des traitements de radiothérapie durant une certaine période. Robert lui sert aussi de chauffeur de temps à autre.

[7]                Le 1er mars 2013, Cécile signe un testament devant deux témoins, dans lequel elle nomme Nicole son « exécutrice testamentaire » et, dans l’éventualité où elle serait « dans l’incapacité d’exercer ce rôle », France. Elle prévoit aussi des legs à titre particulier en faveur des enfants de feu son défunt mari et lègue à Nicole le résidu de ses biens, s’il en est, après paiement des frais reliés à la gestion de ses affaires courantes de son vivant et de ses frais funéraires. Cécile favorise ainsi Nicole « en remerciement des services bénévoles qu’elle m’a rendus au cours des dernières années de ma vie ». En cas de décès de Nicole, Cécile lègue « l’argent restant » à France[6].

[8]                Quelques jours plus tard, Cécile communique avec le mis en cause Bilodeau, un notaire de plus de 25 ans d’expérience à cette époque, afin de lui confier le mandat de préparer un testament notarié à partir de son testament devant témoins. Ce dernier la rencontre à la résidence pour personnes âgées où elle réside, discute avec elle et Cécile lui remet son testament devant témoins, à partir duquel il prépare un testament notarié qu’elle signe le 8 mars 2013.

[9]                Cécile n’étant pas aveugle à cette époque et capable de signer, la formule de clôture du testament, dont la validité ne requiert alors la présence que d’un témoin[7], est ainsi rédigée :

LECTURE FAITE au testateur par le notaire Bilodeau, le testateur déclare, en présence du témoin, que l’acte lu contient l’expression de ses dernières volontés et le testateur, le témoin et le notaire signent en présence les uns des autres.

[10]           Plus de trois ans plus tard, en octobre 2016, Nicole apprend sa maladie, son sombre pronostic et visite Cécile, qui est maintenant aveugle, pour l’en informer et lui faire part qu’elle ne sera vraisemblablement plus en mesure de la visiter et de s’occuper de ses affaires.

[11]           Cécile répond que Robert connaît bien ses affaires et que ce sera plus simple qu’il continue à s’en occuper et, si Nicole la prédécède, qu’il agisse à titre de liquidateur. Elle demande donc à Nicole de communiquer avec le notaire Bilodeau afin qu’il prépare un nouveau testament pour tenir compte de ces modifications. Nicole informe ainsi le notaire des demandes de sa tante, du fait qu’elle est maintenant aveugle et ce dernier prépare un projet de testament à partir de celui de 2013 afin d’incorporer les modifications requises.

[12]           Souhaitant néanmoins valider le tout avec Cécile seul à seul et s’assurer de sa capacité, le notaire prévoit une rencontre avec elle à la résidence le 8 décembre 2016 en matinée. À son arrivée, Cécile dort et une infirmière l’informe qu’elle a pris ses médicaments et qu’elle est plus alerte les après-midis.

[13]           Le notaire quitte donc et revient le lendemain en après-midi, alors que Cécile est assise au fauteuil dans sa chambre et bien éveillée. Il discute seul à seul avec elle, s’assure de sa capacité et revoit les dispositions du testament qu’il a préparé. Cécile confirme qu’elle souhaite qu’en cas de décès de Nicole, son époux Robert prenne la relève pour s’occuper de ses affaires, de la liquidation de sa succession et qu’il reçoive, pour ses services, l’argent qui restera.

[14]           Lors de la lecture du Testament, en présence de deux infirmières de la résidence qui agissent à titre de témoins, Cécile est attentive. Au moment de la signature, après avoir affirmé au notaire, en présence des témoins, que le Testament contient bien ses dernières volontés, Cécile confirme qu’elle n’est pas en mesure de le signer, ce que le notaire Bilodeau a admis lors de son interrogatoire préalable et à l’instruction.

[15]           Cela étant, la formule de clôture du Testament est ainsi rédigée:

La testatrice étant aveugle, le notaire instrumentant soussigné déclare avoir fait lecture du présent testament à la testatrice, en présence des témoins. La présente déclaration a ensuite été lue à la testatrice par le notaire instrumentant en présence des témoins.

LECTURE FAITE du testament et de la déclaration, la testatrice, les témoins et le notaire signent en présence les uns des autres.

[Soulignements ajoutés]

[16]           Nicole décède un mois plus tard, le 8 janvier 2017.

[17]           Cécile décède quant à elle le 21 février 2018. Les recherches testamentaires permettent de confirmer que son dernier testament notarié connu est celui du 9 décembre 2016, mais aussi l’existence du testament antérieur daté du 8 mars 2013. Comme on l’a vu, ce dernier avantage France, plutôt que Robert, à titre de légataire résiduaire subsidiaire en cas de prédécès de Nicole.

[18]           Dans sa demande introductive d’instance originale, France demandait l’annulation du Testament pour deux motifs, soit l’incapacité de Cécile et sa captation par Nicole et son époux Robert, et une déclaration de fausseté à titre d’acte authentique étant donné les vices affectant sa signature. Toutefois, quelques mois avant l’instruction, elle modifie sa demande pour abandonner ses prétentions concernant l’incapacité de Cécile. Puis, lors de l’instruction, elle renonce à l’argument de captation[8].

Le jugement entrepris

[19]           Le juge résume d’abord le contexte, l’historique procédural et constate que la demande de France est « réduite à une demande en déclaration de faux à l’encontre d’un acte authentique »[9].

[20]           Il retient que l’incapacité visuelle de Cécile l’empêchait de lire[10] et qu’elle avait déclaré au notaire ne pas être en mesure de signer son testament[11].

[21]           Le juge cite au texte les articles 719 et 720 C.c.Q[12], puis retient que le Testament fut lu par le notaire en présence de Cécile et de deux témoins, que Cécile a confirmé qu’il contenait bien ses dernières volontés[13] et que le témoignage du notaire concernant la formule de clôture du Testament qu’il a choisie fut livré de façon crédible :

[19] La rédaction du testament P-5 se termine par les deux paragraphes suivants :

La testatrice étant aveugle, le notaire instrumentant soussigné déclare avoir fait lecture du présent testament à la testatrice, en présence des témoins. La présente déclaration a ensuite été lue à la testatrice par le notaire instrumentant en présence des témoins.    

LECTURE FAITE du testament et de la déclaration, la testatrice, les témoins et le notaire signent en présence les uns des autres.

        (notre soulignement)

[20] Pour le notaire Bilodeau, les mots « la testatrice », au dernier paragraphe, constituent une mention superflue, compte tenu du contexte. Ils ne devraient pas y apparaitre ou ils auraient simplement dû être biffés. Il s’agit pour lui d’une inattention de sa part découlant de l’utilisation d’un modèle couramment utilisé.

[21] Le Tribunal a pu apprécier le témoignage du notaire Bilodeau. Ses explications, livrées avec spontanéités et sans faux-fuyants, tant en interrogatoire principal qu’en contre-interrogatoire, sont tout à fait crédibles. On peut certainement en conclure que les volontés de la testatrice sont fidèlement reproduites au testament P-5 et que les formalités requises à l’article 720 C.c.Q. pour le testament d’une personne aveugle ont été respectées. La présence des mots « la testatrice » au dernier paragraphe constitue à l’évidence une simple erreur d’inattention.

[Soulignement ajouté]

[22]           Pour le juge, l’arrêt de la Cour dans Laprade c. Joumard[14] permet de passer outre aux erreurs de forme en l’espèce :

[22] La Cour d’appel, dans l’affaire Laprade c. Joumard, s’exprime comme suit relativement à une simple erreur de forme en matière testamentaire.

En conclusion, tenant compte des circonstances qui ont donné lieu à la modification apportée au testament, du fait que les dernières volontés du défunt sont exprimées en termes clairs et que la précision litigieuse ait un caractère purement accessoire, je suis d’avis que le non-respect des formalités prévues aux articles 36 et 37 L.N. ne justifie pas la nullité complète du testament. À mon avis, la sauvegarde des dernières volontés du défunt et du caractère authentique de l’acte doivent, dans les circonstances, primer la simple erreur de forme commise par Me Plamondon.

        [Soulignement ajouté]

[23]           Il ajoute, prenant appui sur la doctrine, que des raisons d’équité et de bon sens justifient d’interpréter restrictivement les exigences testamentaires formelles et de conclure à la validité du Testament à titre d’acte authentique[15], lequel « présente des garanties suffisantes de fiabilité et […] contient sans équivoque les dernières volontés de Feue [sic] Cécile Fournier »[16].

[24]           Vu cette conclusion, le juge estime inutile de vérifier si le Testament aurait pu être reconnu valide sous une autre forme[17].

Les questions en litige

[25]           L’appel soulève les questions suivantes :

a)     Le Testament est-il valide à titre authentique?

b)     Dans la négative, vaut-il néanmoins comme testament devant témoins ou comme testament olographe?

c)     Dans la négative, quel est le dernier testament valide de Cécile Fournier?

Analyse

a)     Le Testament est-il valide à titre authentique?

[26]           Les extraits pertinents des articles 2821, 713, 714 et 717 à 720 du C.c.Q. édictent ce qui suit :

2821. L’inscription de faux n’est nécessaire que pour contredire les énonciations dans l’acte authentique des faits que l’officier public avait mission de constater.

[…]

 

Chapitre III – Des formes du testament

 

Section I- Dispositions générales

 

[…]

 

713. Les formalités auxquelles les divers testaments sont assujettis doivent être observées, à peine de nullité.

 

Néanmoins, le testament fait sous une forme donnée et qui ne satisfait pas aux exigences de cette forme vaut comme testament fait sous une autre forme, s’il en respecte les conditions de validité.

 

714. Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.

 

 

[…]

 

Section II – Du testament notarié

 

[…]

 

717. Le testament notarié est lu par le notaire au testateur seul ou, au choix du testateur, en présence d’un témoin. Une fois la lecture faite, le testateur doit déclarer en présence du témoin que l’acte lu contient l’expression de ses dernières volontés.

 

Le testament est ensuite signé par le testateur et le ou les témoins, ainsi que par le notaire; tous signent en présence les uns des autres.

 

718. Les formalités du testament notarié sont présumées avoir été accomplies, même s’il n’en est pas fait mention expresse, sous réserve des lois relatives au notariat.

 

Cependant, en cas de formalités spéciales à certains testaments, mention doit être faite dans l’acte de la cause de leur accomplissement.

 

719. Le testament notarié de celui qui ne peut signer contient la déclaration du testateur faisant état de ce fait. Cette déclaration est également lue par le notaire au testateur, en présence de deux témoins, et elle supplée à l’absence de signature du testateur.

 

720. Le testament notarié de l’aveugle est lu par le notaire au testateur en présence de deux témoins.

 

Dans le testament, le notaire déclare qu’il en a fait la lecture en présence des témoins; cette déclaration est également lue.

 

[Soulignements et caractères gras ajoutés]

2821. Improbation is necessary only to contradict the recital in an authentic act of the facts which the public officer had the task of observing.

 

[…]

 

Chapter III Forms of wills

 

 

Division I – General provisions

 

   […]

 

713. The formalities governing the various kinds of wills shall be observed, on pain of nullity.

 

 

However, if a will made in one form does not meet the requirements of that form of will, it is valid as a will made in another form if it meets the requirements for validity of that other form.

 

714.  A holograph will or a will made in the presence of witnesses that does not fully meet the requirements of that form is valid nevertheless if it meets the essential requirements thereof and if it unquestionably and unequivocally contains the last wishes of the deceased.

 

[…]

 

Division II Notarial wills

 

[…]

 

717. A notarial will is read by the notary to the testator alone or, if the testator chooses, in the presence of a witness. Once the reading is done, the testator shall declare in the presence of the witness that the act read contains the expression of his last wishes.

 

The will is then signed by the testator, the witness or witnesses and the notary, in each other’s presence.

 

 

718. The formalities governing notarial wills are presumed to have been observed even when this is not expressly stated, subject to the laws governing the notarial profession.

 

However, if formalities particular to certain wills apply, the act must mention the reason for their observance.

 

 

719. The notarial will of a testator who cannot sign contains a declaration by him to that effect. This declaration also is read by the notary to the testator in the presence of two witnesses, and it compensates for the absence of the signature of the testator.

 

720. The notarial will of a blind person is read by the notary to the testator in the presence of two witnesses.

 

In the will, the notary declares that he has read the will in the presence of the witnesses, and this declaration also is read.

 

[Underlinings and bold characters added]

 

[27]           Quant aux articles 10 et 53 alinéa 1 de la Loi sur le notariat[18], ils prévoient ce qui suit :

CHAPITRE II

 

PROFESSION NOTARIALE

 

SECTION I

 

MISSION DU NOTAIRE

 

10. Le notaire est un officier public et collabore à l’administration de la justice. Il est également un conseiller juridique.

 

En sa qualité d’officier public, le notaire a pour mission de recevoir les actes auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité qui s’attache aux actes de l’autorité publique, d’en assurer la date et, s’il s’agit d’actes reçus en minute, d’en conserver le dépôt dans un greffe et d’en donner communication en délivrant des copies ou extraits de ces actes.

 

[…]

 

SECTION II

 

FORMALITÉS DES ACTES NOTARIÉS

 

[…]

 

53. L’acte notarié doit contenir la signature des parties ou leur déclaration qu’elles ne peuvent signer, la signature des témoins et la signature officielle du ou des notaires.

 

  [Soulignement et caractères gras ajoutés]

CHAPTER II

 

NOTARIAL PROFESSION

 

DIVISION I

 

MISSION OF NOTARY

 

10. A notary is a public officer and takes part in the administration of justice. A notary is also a legal adviser.

 

The mission of a notary, in his or her capacity as a public officer, is to execute acts which the parties wish or are required to endow with the authenticity attaching to acts of public authority, to provide such acts with a fixed date, and to keep all acts executed en minute in his or her notarial records and issue copies of or extracts from them.

 

 

[…]

 

DIVISION II

 

FORM OF NOTARIAL ACTS

 

 

[…]

 

53. A notarial act must contain the signatures of the parties or their declaration that they are unable to sign, the signatures of the witnesses and the official signature of the notary or notaries.

  [Underlining and bold characters added]

[28]           Le testament authentique reçu devant notaire, un officier public[19], est un acte solennel, d’« autorité publique »[20]. Pour ces raisons notamment, il revêt, davantage que le testament devant témoins ou le testament olographe, une importance juridique et sociale qui dépasse le seul intérêt des parties concernées. Le fait qu’il ne nécessite pas de vérification judiciaire ou notariale[21] pour produire tous ses effets, contrairement au testament devant témoins et au testament olographe, l’illustre aussi. La doctrine a souligné ses « obvious advantages »[22], entre autres qu’il sera préparé par une personne détenant une formation juridique pertinente et conservé dans les minutes du notaire instrumentant[23], ce qui en favorise la sécurité physique et en facilite, voire en assure, le recouvrement ou la découverte en temps opportun[24]. De même, un testament préparé par un notaire assure que ce dernier aura vérifié l’identité et la capacité du testateur[25].

[29]           De même, autre signe du caractère particulier du testament notarié et du fait que ses formalités doivent être plus rigoureusement observées, l’article 714 C.c.Q., qui confère au pouvoir judiciaire la discrétion de reconnaître la validité d’un testament malgré qu’il ne satisferait pas « pleinement aux conditions requises par sa forme »[26], ne vise que le testament devant témoins et le testament olographe[27].

[30]           Pour ces raisons notamment, le testament notarié est, parmi les trois formes de testament reconnues par le législateur[28], celui qui est assujetti au formalisme le plus strict[29].

[31]           Cela étant, il est opportun de citer à nouveau la formule de clôture du Testament :

La testatrice étant aveugle, le notaire instrumentant soussigné déclare avoir fait lecture du présent testament à la testatrice, en présence des témoins. La présente déclaration a ensuite été lue à la testatrice par le notaire instrumentant en présence des témoins.

LECTURE FAITE du testament et de la déclaration, la testatrice, les témoins et le notaire signent en présence les uns des autres.

[Soulignements ajoutés]

[32]           Cette formule satisfait les conditions prévues à l’article 720 C.c.Q. dans le cas du testateur aveugle : le testament est lu par le notaire au testateur en présence de deux témoins, le notaire déclare avoir fait la lecture en présence des témoins et cette déclaration est également lue.

[33]           Toutefois, en sus du fait qu’elle mentionne que la testatrice a signé son testament alors que ce n’est pas le cas, cette formule ne contient pas la déclaration de la testatrice qu’elle n’est pas en mesure de signer, ce dont elle avait informé le notaire[30], ni le fait que cette déclaration a été lue par le notaire en présence des témoins.

[34]           Le mis en cause s’en est essentiellement expliqué ainsi lors de l’instruction :

Q. Et, vous, donc, je regarde cette clause-là, à la fin, là, en vertu de quels articles du Code civil vous avez fonctionné?

R. 720.

Q. En vertu de l’article 720.

R. Oui!

Q. Qui est le testament de l’aveugle.

R. Oui!

Q. Et il est également un article, à 719, qui traite du testament de la personne qui ne peut pas signer.

R. Oui!

Q. Pourquoi, vous, vous avez fonctionné en vertu de 720, que les…

R. Bon! En fait, je … j’avais le document préparé, on m’informe…bon!

 Je dirai pas qu’il y a une question d’urgence, mais, quand on fait un testament, il a toujours urgence […], lorsqu’on reçoit un mandat, pour faire un testament, alors, on s’exécute le plus rapidement … rapidement possible

 […] Je demande, à ma collaboratrice, d’avoir recours, bon!, ce qu’on appelle, nous, le « Répertoire de droit de la Chambre des notaires ». C’est… c’est un outil …euh…qui nous ai…qui est… qui est disponible…euh… qui a été mis en place, par la Chambre des notaires, et qui contient… qui contient des modèles d’acte, des modèles de clauses précises particulières pour certaines situations particulières. Alors, je demande, à ma collaboratrice, dans ce cas précis, d’aller référer au Répertoire de droit de la Chambre des notaires pour utiliser un modèle de clôture de l’acte, donc, les derniers paragraphes, relatif à une personne aveugle, et c’est ce qu’elle a fait.

 Elle est allée choisir, dans les types de clauses, où on parle de la personne aveugle. Alors, moi, de bonne foi, pour moi, le fait que madame déclare qu’elle est aveugle impliquait qu’elle ne signerait pas, et c’est pour ça que j’avais pris la peine d’exiger la présence de deux (2) témoins pour venir se coller à l’article 720 du Code civil.

[Soulignements ajoutés]

[35]           Le juge a commis une erreur de droit en évacuant de son analyse les formalités requises par l’article 719 C.c.Q., qui devaient pourtant trouver application. L’accomplissement de deux « formalités spéciales »[31] était en effet nécessaire, soit non seulement celle établie par l’article 720 C.c.Q. concernant le testateur aveugle, mais aussi celle prescrite par l’article 719 C.c.Q. relative à la signature du testateur dans l’impossibilité de signer; être aveugle n’implique pas nécessairement être incapable de signer. Si le juge cite ces deux dispositions au paragraphe 14 du jugement entrepris, son analyse se limite à la situation du testateur aveugle et au fait que la formule de clôture mentionne que Cécile a signé le Testament alors que ce n’est pas le cas, une simple « erreur d’inattention »[32].

[36]           Contrairement à l’interprétation qu’en a faite le mis en cause et qu’a adoptée le juge, l’article 720 C.c.Q. concernant la situation du testateur aveugle ne constitue pas un cas général qui engloberait et permettrait d’escamoter celle du testateur incapable de signer visée par l’article 719 C.c.Q. Chacun des articles 719 à 722.1 C.c.Q. s’applique à une situation précise bien identifiée et édicte des formalités spéciales dans le cas de testateurs potentiellement vulnérables pour des raisons différentes, qui peuvent être cumulatives[33].

[37]           C’est précisément ce que relèvent les auteurs Beaulne et Morin dans le cas des formalités prévues aux articles 719 et 720 C.c.Q. :

822. Comme les formalités ordinaires s’appliquent, à moins d’incompatibilité, l’acte doit, en outre, faire état d’une déclaration verbale de l’aveugle que l’acte lu par le notaire contient ses dernières volontés, déclaration exigée en tout état de cause par l’article 717, al. 1 C.c.Q. Pour ce qui est de la signature du testament, on a exprimé l’opinion que l’aveugle doit signer s’il sait écrire. C’est alors l’article 717, al. 2 C.c.Q. qui s’applique. S’il en est incapable, on appliquera l’article 719 C.c.Q.[34]

[Renvoi omis; soulignement ajouté]

[38]           Les travaux parlementaires lors de l’étude détaillée du projet de loi 20[35] par la Sous-commission des institutions permettent de confirmer ce caractère cumulatif des formalités spéciales applicables dans le cas du testateur aveugle qui est, de plus, incapable de signer son testament :

Le Président (M. Gagnon) : […]. L’article 767[36]?

Mme Harel[37] : « Le testament notarié est reçu en minute par un notaire, assisté d’un témoin ou, en certains cas, de deux témoins. Il doit porter mention de la date et du lieu où il est reçu. »

[…]

M. Leduc (Saint-Laurent) : La règle maintenant, c’est un seul témoin.

M. Cossette[38] : Ou deux dans certains cas particuliers, l’aveugle et d’autres que nous verrons un peu plus loin.

Le Président (M. Gagnon) : L’article 767 est adopté.

M. Leduc (Saint-Laurent) : Adopté.

Le Président (M. Gagnon) : L’article 768[39].

Mme Harel : « Le testament notarié est lu par le notaire au testateur seul ou, au choix du testateur, en présence d’un témoin. Une fois la lecture faite, le testateur doit déclarer en présence du témoin que l’acte lu contient l’expression de ses dernières volontés. »

[…]

Le Président (M. Gagnon) : L’article 769 est adopté. Article 770[40]?

Mme Harel : « Le testament notarié de celui qui est incapable de signer contient la déclaration du testateur qu’il ne peut signer. Cette déclaration est également lue par le notaire au testateur en présence de deux témoins et elle supplée à l’absence de signature du testateur. »

Le Président (M. Gagnon) : Le commentaire.

M. Cossette : Cet article impose des formalités spéciales pour le testament de celui qui ne peut signer. Il énonce que le testament doit contenir la déclaration du testateur qu’il ne peut signer en précisant que cette déclaration, dont la lecture doit être faite en présence de deux témoins, supplée à l’absence de signature du testateur. L’inaptitude du testateur à signer peut résulter d’une impossibilité physique permanente ou temporaire.

Le Président (M. Gagnon) : Cela va?

M. Leduc (Saint-Laurent) : Oui, adopté.

Le Président (M. Gagnon) : L’article 770 est adopté. Article 771[41]?

Mme Harel : « Le testament notarié de l’aveugle est lu par le notaire au testateur en présence de deux témoins. Dans le testament, le notaire déclare qu’il en a fait la lecture en présence des témoins; cette déclaration est également lue. »

Le Président (M. Gagnon) : Le commentaire.

M. Cossette : Cet article énonce les formalités spéciales au testament de l’aveugle. Il prévoit que la lecture du testament est faite par le notaire à l’aveugle en présence de deux témoins. L’acte devra faire état de la déclaration verbale de l’aveugle qu’il en a ainsi reçu lecture et cette déclaration devra elle-même être lue par le notaire en présence du testateur et des témoins. Cet article s’inspire des articles 265 et 266 du projet de l’Office de révision du Code civil qu’il complète.

[…]

M. Leduc (Saint-Laurent) : On suppose que l’aveugle ne signe pas le testament. Il pourrait physiquement le signer, mais on suppose qu’il ne le signe pas.

M. Cossette : S’il sait écrire, on doit le faire signer, je pense.

M. Leduc (Saint-Laurent) : Vous pensez qu’on doit le faire signer?

M. Cossette : Oui.

M. Leduc (Saint-Laurent) : Il faut lui indiquer où, lui tenir la main et …

M. Cossette : Je peux signer mon nom les yeux fermés.

M. Leduc (Saint-Laurent) : Bien sûr, mais est-ce que c’est cela que l’article demande?

[…]

M. Leduc (Saint-Laurent) : Je comprends que l’article 771 ne requiert pas la signature.

Le Président (M. Gagnon) : Non, effectivement.

M. Cossette : Mais je pense que, si l’aveugle peut signer, il doit signer.

M. Leduc (Saint-Laurent) : Il doit?

Le Président (M. Gagnon) : Me Longtin.

Mme Longtin[42] : Règle générale, l’article 768 trouverait application puisque les articles qui suivent prévoient des formalités spéciales pour des cas spéciaux qui s’ajoutent, qui complètent, mais qui n’enlève pas les exigences générales de l’article 768.

[…]

S’il est aveugle et qu’il est incapable de signer, on appliquera aussi l’article 770

[…]

M. Leduc (Saint-Laurent) : Mais, s’il a ses bras et qu’il sait signer, il doit signer.

M. Cossette : Oui.

Le Président (M. Gagnon) : Cela va?

M. Leduc (Saint-Laurent) : D’accord.

Le Président (M. Gagnon) : L’article 771 est adopté.

[Soulignements ajoutés]

[39]           En 1991, lors de l’étude détaillée du Projet de loi qui allait devenir le Code civil du Québec proprement dit, aucun commentaire ou opinion discordants n’ont été émis par les parlementaires concernant le sens de ces articles relatifs aux formes du testament de la personne aveugle et de celle incapable de signer. Le fait que ces dernières « demandent une protection plus particulière » a toutefois été réitéré[43].

[40]           En l’espèce, tel qu’il ressort des articles 713 et 718 al. 2 C.c.Q.[44], le défaut d’avoir respecté les formalités spéciales prescrites par l’article 719 C.c.Q., vu l’incapacité dans laquelle se trouvait Cécile de signer son Testament, lui fait perdre son caractère authentique.

[41]           Il est vrai que les mots « la testatrice », au dernier paragraphe de la formule de clôture du Testament, constituent une mention superflue puisque Cécile ne pouvait pas signer. Cela dit, il n’est pas nécessaire dans les circonstances de déterminer si cette mention superflue aurait pu affecter à elle seule la validité du Testament; en effet, vu que la testatrice n’était pas en mesure de signer, il importait de respecter les formalités requises par l’article 719 C.c.Q., ce qui n’a pas été fait.

[42]           L’arrêt Laprade c. Joumard[45], que le juge invoque pour appuyer sa conclusion qu’un testament peut conserver son caractère authentique malgré certains défauts de forme, ne trouve pas application en l’espèce. Dans cette affaire, le litige concernait la rature manuscrite d’un extrait d’une clause du testament faite par la notaire postérieurement à la signature, contrairement à ce que prescrivaient les articles 36 et 37 de la Loi sur le notariat en vigueur à l’époque[46]. La preuve avait établi que le testateur avait informé le notaire, en présence des témoins, que l’extrait concerné, qui mentionnait la municipalité où était située sa résidence, ne reflétait pas la réalité. Pour le reste, le testament notarié respectait les formalités requises. C’est dans ce contexte que la Cour a conclu ceci :

En conclusion, tenant compte des circonstances qui ont donné lieu à la modification apportée au testament, du fait que les dernières volontés du défunt sont exprimées en termes clairs et que la précision litigieuse ait un caractère purement accessoire, je suis davis que le nonrespect des formalités prévues aux articles 36 et 37 L.N. ne justifie pas la nullité complète du testament [].  À mon avis, la sauvegarde des dernières volontés du défunt et du caractère authentique de lacte doivent, dans les circonstances, primer la simple erreur de forme commise par Me Plamondon.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[43]           D’une part, dans le cas qui nous occupe, la formalité non respectée est prescrite par le C.c.Q. et n’est pas « purement accessoire ». Au contraire, il s’agit d’une formalité qualifiée de « spéciale » par le législateur à l’article 718 al. 2 C.c.Q., dont mention « doit être faite » dans l’acte. D’autre part, l’article 713 al. 1 C.c.Q. prévoit clairement la sanction du défaut d’accomplir ces formalités lorsqu’elles sont requises : la nullité de l’acte comme testament notarié.

[44]           Dans une situation semblable à celle en l’espèce, la Cour a conclu à l’invalidité d’un testament notarié ne respectant pas les formalités requises par l’article 720 C.c.Q. :

[6] L'appelante a attaqué la validité du second testament au motif que sa sœur aurait été aveugle lorsqu'il a été signé, et que, contrairement aux exigences de l'article 720 du Code civil, le testament ne fut pas lu à la testatrice en présence de deux témoins et que le notaire Igor Pryszlak n'a pas fait mention dans le testament de l'accomplissement de formalités spéciales et de la cause de l'exigence des formalités spéciales, soit la cécité de la testatrice

[…]

[20] Il n'est pas nécessaire de statuer sur la présence ou l'absence de madame Côté durant toute la lecture du testament puisque, comme Pryszlak ne croyait pas recevoir un testament qui exigeait des formalités spéciales, il n'a pas mentionné que la lecture fut faite en présence de deux témoins et que la testatrice était aveugle. En conséquence, en application du deuxième alinéa de l'article 720, de l'article 718 et de l'article 713, le testament n'est pas valide comme testament notarié [47].

[Soulignements ajoutés]

[45]           En somme, et pour toutes ces raisons, la Cour conclut que le Testament ne peut valoir comme testament notarié.

b)     Dans la négative, vaut-il néanmoins comme testament devant témoins ou comme testament olographe?

[46]           L’article 713 al. 2 C.c.Q. prévoit que « le testament fait sous une forme donnée et qui ne satisfait pas aux exigences de cette forme vaut comme testament fait sous une autre forme, s’il en respecte les conditions de validité ». Pour qu’un testament puisse être validé en vertu de cet article, le défaut doit en être un de forme, et non de fond[48]. Le testament nul en raison de l’incapacité du testateur ou de sa captation, par exemple, ne pourrait être validé.

[47]           L’article 714 C.c.Q., pour sa part, confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de valider un testament olographe ou devant témoins qui serait autrement informe :

714. Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.

 

 

 [Soulignements ajoutés]

714. A holograph will or a will made in the presence of witnesses that does not fully meet the requirements of that form is valid nevertheless if it meets the essential requirements thereof and if it unquestionably and unequivocally contains the last wishes of the deceased.

 

[Underlinings added]

[48]           De la même façon que pour l’application de l’article 713 C.c.Q., le défaut affectant le testament olographe ou devant témoins doit en être un de forme et non de fond[49]. Par ailleurs, pour qu’un testament informe soit validé, le vice ne doit pas porter sur une formalité essentielle[50].

[49]           Finalement, conformément à la fin du texte de l’article 714 C.c.Q., les auteurs Beaulne et Morin expliquent qu’« il faut que le document révèle l’intention de tester – l’animus testandi indispensable à toute disposition testamentaire – de son auteur »[51]. La Cour a d’ailleurs souligné que l’article 714 confère au juge une discrétion lui permettant de donner effet aux volontés du défunt « lorsqu’il est convaincu que l’écrit les contient de façon certaine et non équivoque »[52].

[50]           Les conditions de validité du testament devant témoins pertinentes en l’espèce sont prévues aux articles 727 à 729 C.c.Q. :

727. Le testament devant témoins est écrit par le testateur ou par un tiers.

 

 

En présence de deux témoins majeurs, le testateur déclare ensuite que l’écrit qu’il présente, et dont il n’a pas à divulguer le contenu, est son testament; il le signe à la fin ou, s’il l’a signé précédemment, reconnaît sa signature; il peut aussi le faire signer par un tiers pour lui, en sa présence et suivant ses instructions.

 

 

Les témoins signent aussitôt le testament en présence du testateur.

 

728. Lorsque le testament est écrit par un tiers ou par un moyen technique, le testateur et les témoins doivent parapher ou signer chaque page de l’acte qui ne porte pas leur signature.

 

L’absence de paraphe ou de signature à chaque page n’empêche pas le testament notarié, qui ne peut valoir comme tel, de valoir comme testament devant témoins si les autres formalités sont accomplies.

 

729. La personne qui ne peut lire peut faire un testament devant témoins à la condition que la lecture en soit faite au testateur par l’un des témoins en présence de l’autre.

 

En présence des mêmes témoins, le testateur déclare que l’écrit lu est son testament et le signe à la fin ou le fait signer par un tiers pour lui, en sa présence et suivant ses instructions.

 

Les témoins signent aussitôt le testament en présence du testateur.

 

 

[Soulignements ajoutés]

727. A will made in the presence of witnesses is written by the testator or by a third person.

 

The testator then declares in the presence of two witnesses of full age that the document he is presenting is his will. He need not divulge its contents. He signs it at the end or, if he has already signed it, acknowledges his signature; he may also cause a third person to sign it for him in his presence and according to his instructions.

 

The witnesses sign the will forthwith in the presence of the testator.

 

728. Where the will is written by a third person or by technical means, the testator and the witnesses initial or sign each page of the act which does not bear their signature.

 

The absence of initials or a signature on each page does not prevent a will made before a notary that is not valid as a notarial will from being valid as a will made in the presence of witnesses, if the other formalities are observed.

 

729. A person who is unable to read may make a will in the presence of witnesses, provided the will is read to the testator by one of the witnesses in the presence of the other.

 

The testator, in the presence of the same witnesses, declares that the document read is his will and signs it at the end or causes a third person to sign it for him in his presence and according to his instructions.

 

The witnesses sign the will forthwith in the presence of the testator.

 

[Underlinings added]

[51]           Bien qu’il ne satisfasse pas entièrement aux formalités du testament notarié, faute d’en respecter une, le testament en litige satisfait néanmoins, pour l’essentiel, aux conditions requises par le testament devant témoins.

[52]           Premièrement, le testament est écrit par un tiers, en l’occurrence le notaire Bilodeau (art. 727 al. 1 C.c.Q.). Deuxièmement, deux témoins majeurs étaient présents lors de la lecture à la testatrice (art. 727 al. 2 C.c.Q.), le notaire ayant en quelque sorte agi lui aussi à ce titre en faisant lecture (art. 729 al. 2 C.c.Q.). Troisièmement, la preuve a établi au moyen des témoignages du notaire et des deux témoins que Cécile a déclaré devant eux que l’écrit lu contenait ses dernières volontés (ibid. et art. 714 al. 1 in fine C.c.Q.). Quatrièmement, les témoins ont signé le testament en sa présence (art. 727 al. 3 C.c.Q.). Cinquièmement, bien qu’il n’y ait pas de paraphes ou de signatures à chaque page, s’agissant à la base d’un testament notarié, cette formalité n’est pas nécessaire (art. 728 al. 2 C.c.Q.).

[53]           La Cour a par ailleurs précisé dans l’arrêt Tisseyre[53] que l’article 714 C.c.Q. confère au juge une discrétion lui permettant de donner effet aux volontés du défunt lorsqu’il est convaincu que l’écrit satisfait pour l’essentiel les conditions de forme du testament devant témoins ou olographe, d’une part, et qu’il contient les dernières volontés du défunt de façon certaine et non équivoque, d’autre part[54]. Or, le juge a conclu « que les volontés de la testatrice sont fidèlement reproduites au testament P-5 »[55] et que le testament « présente des garanties suffisantes de fiabilité et qu’il contient sans équivoque les dernières volontés de Feue [sic] Cécile Fournier »[56]. Les témoignages entendus au procès sont d’ailleurs éloquents à ce sujet[57] et supportent cette conclusion d’ordre factuel du juge, à l’égard de laquelle il n’y a pas matière à intervention. D’autant plus qu’en première instance, France a abandonné les moyens de nullité du testament fondés sur l’incapacité de tester de Cécile et la captation.

[54]           Cela étant, lappelant propose essentiellement que, selon l’article 729 al. 2 C.c.Q., il aurait aussi fallu que Cécile, qui ne pouvait lire vu sa cécité, signe son testament ou le fasse signer par un tiers pour qu’il puisse valoir comme testament devant témoins. Or, ajoute-t-il, cela n’a pas été fait, ce que l’article 714 C.c.Q. ne permet pas de corriger, la signature constituant une condition de forme essentielle.

[55]           Cette approche objective de ce que constitue une formalité essentielle ne peut être retenue.

[56]            Comme l’a proposé le professeur Kasirer[58], tel qu’il était alors, ce qui est « essentiel » au sens de l’article 714 C.c.Q. relève d’un examen subjectif, ce que la Cour a avalisé dans l’arrêt Gariépy (Succession de) c. Beauchemin. Dans son opinion pour la Cour, le juge Hilton écrit en effet :

[26] La principale difficulté réside dans la détermination du caractère essentiel ou non des formalités exigées par le législateur. Comme le mentionnait le juge Forget au nom de la Cour dans Poulin c. Fontaine :

[31] Il n'est pas facile de déterminer quelles sont les conditions de forme essentielles au sens de l'article 714 C.c.Q. et celles qui ne le sont pas.

[32] Il est par ailleurs fort difficile de dégager des lignes directrices de l'étude des diverses décisions rendues depuis l'entrée en vigueur de cet article, vu les particularités de chaque écrit présenté pour être vérifié à titre de testament. …

[33] D'ailleurs, je ne suis pas certain qu'il serait approprié d'établir une liste des conditions essentielles et une autre de celles qui ne le sont pas, apportant ainsi une distinction que le législateur n'a pas jugé utile de faire et privant, par le fait même, de toute discrétion les juges appelés à vérifier de tels testaments.

[]

[29] L'analyse du caractère essentiel d'une formalité peut être envisagée sous deux angles : objectivement (in abstracto) ou subjectivement (in concreto).

[30] L'analyse objective consiste à se demander si la condition imposée par le législateur est essentielle ou non. Comme nous l'avons vu, cette Cour, sous la plume du juge Forget, a déjà refusé de procéder à un tel exercice, jugé inapproprié.

[31] Selon le professeur Kasirer, l'analyse subjective consisterait à se demander non pas si la condition est une condition essentielle (analyse objective) mais plutôt si, compte tenu des circonstances, la condition est essentielle pour assurer que les objectifs de cette condition sont atteints?

[32] Récemment, dans St-Jean-Major c. Cardinal Léger et ses œuvres, le juge Beauregard favorisait cette approche :

32. À mon humble avis le testament ne saurait être annulé du fait que n'y apparaît pas la signature de Archambault [un témoin] alors que nul ne conteste que celui-ci était présent lors de la lecture et lors de la signature du testament.

33. Bref, l'article 714 est une application du principe suivant lequel on ne saurait invoquer qu'une formalité n'a pas été accomplie lorsque le but pour lequel la formalité était exigée a été complètement atteint.[59]

[Caractères gras dans l’original; renvois omis; soulignements ajoutés]

[57]           L’appelant insiste sur l’arrêt Fontaine c. Poulin, dans lequel le juge Forget a indiqué qu’en ce qui concerne le testament devant témoins, « les exigences minimales devraient porter sur la signature du testateur et des témoins »[60]. Or, cette caractérisation de la signature du testateur comme élément essentiel du testament devant témoins ne constitue pas une règle immuable. En effet, le juge Forget précise ce qui suit au préalable :

[33] D'ailleurs, je ne suis pas certain qu'il serait approprié d'établir une liste des conditions essentielles et une autre de celles qui ne le sont pas, apportant ainsi une distinction que le législateur n'a pas jugé utile de faire et privant, par le fait même, de toute discrétion les juges appelés à vérifier de tels testaments.[61]

[Soulignement ajouté]

[58]           Chaque cas en sera un d’espèce, comme l’illustre éloquemment l’arrêt rendu quelques années plus tard dans Paradis c. Jones[62] où, bien que le juge Forget ait mentionné dans Fontaine c. Poulin que la signature des témoins constituaient une exigence minimale, la Cour a conclu que, dans les circonstances propres à cette affaire, la signature d’un seul témoin était suffisante. Dans celles qui nous occupent, la signature de la testatrice ne constitue pas une formalité essentielle.

[59]           Dans l’arrêt Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, qui portait sur un testament olographe, la Cour a identifié ainsi les objectifs de la signature d’un testament :

[36] La signature a pour objectif principal de manifester le consentement à un acte, ce qui est particulièrement pertinent dans le contexte d'un testament. En ce sens, la signature peut permettre de distinguer entre un testament qui est à l'état de projet et celui, final, qui représente véritablement les dernières volontés du testateur. La signature est donc pertinente pour analyser l'intention de tester. Cette intention ou cette absence d'intention peut d'ailleurs se prouver par tous moyens. La signature sert donc à marquer l'approbation personnelle et définitive du contenu du testament par le testateur.

[37] La signature sert aussi un objectif « préventif », qui rejoint l'objectif du « consentement » à un acte. Le testament étant un acte solennel important, la signature remplit une fonction « rituelle », pour utiliser les mots de l'auteur Kasirer :

Second, Fuller identified the "cautionary" role played by formalities, described by others as a "ritual" function. These are formal requirements designed to impress on the testator the solemnity of the juridical act and its finality as a will. This explains, in part, the formal requirement of the signature for all wills. The signature has other functional characteristics, to be sure, but it also "cautions" the testator that will is a grave matter and that the paper he or she is preparing is not a draft or a preparatory document.

[38] La signature sert aussi, dans une moindre mesure, à assurer l'identité du testateur, quoique celle-ci est plutôt assurée par l'autre condition du testament olographe, c'est-à-dire celle voulant qu'il soit entièrement rédigé par le testateur.[63]

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

[60]           En l’espèce, ces trois objectifs sont atteints.

[61]           D’abord, en ce qui concerne le consentement de la testatrice, il ressort de la preuve, tel que déjà mentionné, que le notaire Bilodeau a eu une discussion seul à seul avec elle avant la lecture et la signature en présence des témoins et qu’il en a conclu qu’elle avait la capacité de tester et qu’elle exprimait réellement ce qu’elle souhaitait[64]. Les infirmières Chouinard et Seh, les deux témoins, ont aussi confirmé que Cécile a affirmé de vive voix que le testament correspondait bien à ses volontés[65]. L’infirmière Chouinard a aussi témoigné que Cécile était éveillée et alerte à ce moment et l’infirmière Seh a confirmé qu’elle avait les idées claires.

[62]           Quant à la fonction « rituelle », elle a été remplie par la présence du notaire et de deux témoins, ainsi que par la lecture du testament.

[63]           Finalement, l’identité de la testatrice ne fait pas débat.

[64]           La Cour est donc d’avis que le Testament satisfait « pour l’essentiel » aux conditions requises par un testament devant témoins, ce qui permet de le valider à ce titre en vertu de l’article 713 C.c.Q. Ce résultat pourrait en laisser d’aucuns perplexes, mais la nuance a bien été résumée par le juge Beauregard dans l’arrêt St-Jean Major c. Archambault[66] :

[34] Il est curieux de dire que le testament soi-disant notarié est nul, alors que le même testament fait devant deux témoins est valide. En réalité le testament est valide, et c'est seulement son caractère authentique qui n'existe pas.

[65]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de déterminer si le Testament peut valoir comme testament olographe.

c)     Dans la négative, quel est le dernier testament valide de Cécile Fournier?

[66]           Compte tenu de la réponse affirmative à la question précédente, il n’est pas nécessaire de trancher celle-ci.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[67]           ACCUEILLE l’appel partiellement;

[68]           DÉCLARE que le testament de feu Cécile Fournier reçu par Me Mario Bilodeau, notaire, le 9 décembre 2016 sous le numéro vingt mille deux cent quarante-sept (20 247) des minutes de son greffe ne satisfait pas les exigences applicables au testament notarié et qu’il est ainsi invalide à titre d’acte authentique;

[69]           DÉCLARE toutefois ce testament valide à titre de testament devant témoins;

[70]           AVEC FRAIS DE JUSTICE en faveur des intimés.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

Me Gilles Vézina

Pour l’appelant en reprise d’instance

 

Me Florian Pelletier

Pour l’intimé Robert Bélanger

 

Me Claude Desmeules

Me Frédérique Langis

SISKINDS, DESMEULES

Pour le mis en cause

 

Date d’audience :

4 avril 2023

 


[1]  Blanchet c. Succession de Fournier, 2021 QCCS 5174 (le « jugement entrepris »).

[2]  Aux fins d’allègement du texte, les parties concernées seront désignées par leur seul prénom, exception faite du notaire mis en cause. La Cour espère qu’elles, ou leurs successeurs, n’y verront pas d’inconvenance.

[3]  Art. 258 al. 1 C.p.c.

[4]  Testament notarié P-5.

[5]  Testament notarié P-8/D-3.

[6]  Testament devant témoins D-2.

[7]  Art. 716 al.1 et 717 C.c.Q.

[8]  Jugement entrepris, paragr. 11.

[9]  Id., paragr. 13.

[10]  Id., paragr. 15.

[11]  Id., paragr. 16.

[12]  Id., paragr. 14.

[13]  Id., paragr. 17.

[14]  Laprade c. Joumard, J. E. 99-330, 1998 CanLII 12625 (C.A.).

[15]  Jugement entrepris, paragr. 23.

[16]  Id., paragr. 24.

[17]  Id., paragr. 25.

[18]  Loi sur le notariat, RLRQ, c. N-3.

[19]  Id., art. 10 al. 1.

[20]  Id., art. 10 al. 2.

[21]  Art. 459-461 C.p.c.

[22]  D.G. Petrie, In Defense of Notarial Wills, (1965) 11 McGill L.J. 99, p. 99-100.

[23]  Loi sur le notariat, supra, note 18, art. 34 et 35.

[24]  Id., art. 93 et 94 concernant la tenue du registre, d’une part, et l’obligation du notaire de faire rapport au registraire de la Chambre des actes qu’il reçoit et dont mention doit être faite au registre des dispositions testamentaires, d’autre part.

[25]  Id., art. 43.

[26]  Voir, supra, le texte au long de larticle 714 C.c.Q. au paragr. 26 des présents motifs; soulignement ajouté.

[27]  Afin d’éviter toute confusion, il importe en effet de préciser que l’article 714 C.c.Q. ne permet pas de valider un testament notarié qui ne respecte pas les conditions requises par « sa forme ». L’article 713 al. 2 C.c.Q. confère toutefois au juge le pouvoir de le déclarer néanmoins valide à titre de testament devant témoins ou olographe s’il satisfait pour l’essentiel à l’une ou l’autre de ces formes et qu’il « contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt ».

[28]  Art. 712 C.c.Q.

[29]  Jacques Beaulne et Christine Morin, Droit des successions, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2016, n° 795.

[30]  Jugement entrepris, paragr. 16.

[31]  Art. 718 C.c.Q.

[32]  Jugement entrepris, paragr. 21 et ss.

[33]  I.e. le testateur était incapable de signer son testament (art. 719 C.c.Q.), le testateur aveugle (art. 720 C.c.Q.), le testateur sourd (art. 721 C.c.Q.), le testateur incapable de parler (art. 722 C.c.Q.) et le testateur sourd incapable de parler, de lire et d’écrire (art. 722.1 C.c.Q.).

[34]  Jacques Beaulne et Christine Morin, Droit des successions, supra, note 29, no 822.

[36]  Devenu l’actuel article 716 C.c.Q.

[37]  Adjointe parlementaire du ministre de la Justice.

[38]  Avocat légiste du ministère de la Justice.

[39]  Devenu l’actuel art. 717 C.c.Q.

[40]  Devenu l’actuel art. 719 C.c.Q.

[41]  Devenu l’actuel art. 720 C.c.Q.

[42]  Avocate légiste du ministère de la Justice.

[43]  Assemblée nationale, Sous-commission des institutions, Journal des débats, 34e lég., 1ère sess., vol. 31, n°8, 10 septembre 1991, p. S-CI 310-311.

[44]  Voir, supra, le texte au long des articles 713 et 718 C.c.Q. au paragr. 26 des présents motifs.

[45]  Laprade c. Joumard, supra, note 14.

[46]  Loi sur le notariat, RLRQ c. N-2, art. 36 al. 2 : « Les ratures sont faites de manière que les mots rayés ou raturés puissent être comptés »; art. 37 : « Les renvois et sous-renvois ne peuvent être écrits qu’en marge ou à la fin de l’acte; ils doivent être initialés par tous les signataires de l’acte, sous peine de nullité ».

[47]  St-Jean Major c. Archambault, J.E. 2004-185, 2004 CanLII 13654 (C.A.).

[48]  Jacques Beaulne et Christine Morin, Droit des successions, supra, note 29, nos 889-890.

[49]  Pagé c. Henley (Succession de), 2016 QCCA 964, paragr. 131.

[50]  Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, 2006 QCCA 123, paragr. 23-25; Paradis c. Roberge, [1999] R.J.Q. 2585, p. 2588 et 2590, 1999 CanLII 13339 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 octobre 2000, no 27591.

[51]  Jacques Beaulne et Christine Morin, Droit des successions, supra, note 29, no 935.

[52]  Tisseyre c. Tisseyre, J.E. 2002-1252, 2002 CanLII 41143, paragr. 40 (C.A.).

[53]  Ibid.

[54]  Ibid.

[55]  Jugement entrepris, paragr. 21.

[56]  Id., paragr. 24.

[57]  Témoignage de Mario Bilodeau, 19 octobre 2021, M.M.C., p. 65, ligne 2, à p. 68, ligne 12, et p. 87, ligne 10, à p. 89, ligne 13; Témoignage de Guylaine Chouinard, 19 octobre 2021, M.M.C., p. 114, lignes 18-23, et p. 119, lignes 10-15; Témoignage de Rachel Seh, 19 octobre 2021, M.M.C., p. 138, lignes 1-15.

[58]  Nicholas Kasirer, The "Judicial Will” Architecturally Considered, (1996-1997) 99 R. du N. 3.

[59]  Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, supra, note 50, paragr. 26-33. Voir aussi : Pagé c. Henley (Succession de), supra, note 49, paragr. 129.

[60]  Fontaine c. Poulin, 2000 CanLII 11326, paragr. 34 (C.A.).

[61]  Id., paragr. 33.

[62]  Paradis c. Jones, 2008 QCCA 1105, paragr. 6-7.

[63]  Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, supra, note 50, paragr. 36-38.

[64]  Témoignage de Mario Bilodeau, 19 octobre 2021, M.M.C., p. 87, ligne 10, à p. 89, ligne 13.

[65]  Id., p. 65, ligne 2, à p. 68, ligne 12; Témoignage de Guylaine Chouinard, 19 octobre 2021, M.M.C., p. 119, lignes 10-15; Témoignage de Rachel Seh, 19 octobre 2021, M.M.C., p. 138, lignes 10-15.

[66]  St-Jean Major c. Archambault, supra, note 47.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.