[1] De toute évidence, les parties sont encore loin d’adhérer au principe de la recherche d’un règlement de leur différend matrimonial par des procédés adéquats, efficients, économiques et avec célérité[1].
[2] C’est en effet la troisième fois qu’elles se retrouvent devant notre Cour en trois ans, suite à des jugements rendus par trois juges différents de la Cour supérieure[2].
[3] Cette fois l’appelant se pourvoit contre le jugement rendu le 14 mai 2019 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Robert Castiglio) [3].
[4] L’appelant attaque toutes et chacune des conclusions de ce jugement aux motifs :
(i) que
le juge n’aurait pas respecté son droit d’être entendu, (ii) que la
procédure de l’intimée ne lui a pas été signifiée conformément à l’article
[5] Il y a lieu d’accueillir l’appel en partie, aux seules fins d’infirmer les conclusions suivantes du jugement entrepris :
[45] AUTORISE la procureure de madame à signifier toutes procédures, pièces, documents ou correspondances nécessaires pour la suite du dossier à monsieur par courriel, à l’adresse suivante : [...]@gmail.com;
[46] AUTORISE monsieur à signifier toutes procédures, pièces, documents ou correspondances nécessaires pour la suite du dossier à la procureure de madame, par courriel à l’adresse suivante : […]@montrealfamilylaw.com.
[6] Les faits essentiels à la compréhension du sort de l’appel sont les suivants.
- Le contexte
[7] Les parties se marient en 1992 [au Pays B].
[8] Elles déménagent par la suite [au Pays A], où leur deux fils, X et Y, sont nés. Le premier est aujourd’hui âgé de 15 ans et vit avec monsieur dans ce pays, alors que Y, âgé de 11 ans, demeure avec sa mère au Québec depuis 2015.
[9] C’est en septembre 2013 que les parties se séparent, alors qu’elles sont toujours toutes deux domiciliées [au Pays A]. Elles concluent une entente de séparation dans ce pays le 19 mai 2014.
[10] L’intimée quitte [le Pays A] sans les enfants le 19 août 2015 et revient au Québec.
[11] Le 4 septembre 2015, l’appelant introduit une procédure en divorce [au Pays A].
[12] Le 19 octobre 2015, l’intimée obtient la garde de l’enfant Y suite à un jugement rendu par les tribunaux [du Pays A]. Elle est aussi autorisée à l’amener avec elle au Québec. La garde de X est par ailleurs confiée à l’appelant compte tenu du souhait exprimé par l’enfant.
[13] Le 23 octobre 2015, l’intimée introduit une demande en Cour supérieure pour garde d’enfant et fixation de pension alimentaire pour enfant (dossier no : 500-04-067249-152; « le dossier 1 »).
[14] Le 6 novembre 2015, l’intimée introduit une demande en divorce devant la Cour supérieure (dossier no : 500-12-328819-150; « le dossier 2 »), alléguant la longueur du processus judiciaire [au Pays A] et le fait qu’il est plus efficient et économique pour elle d’introduire les procédures au Québec.
[15] Le 23 novembre 2015, l’appelant notifie un moyen déclinatoire afin d’obtenir le rejet des procédures en divorce intentées par l’intimée dans le dossier 2. Il invoque absence de juridiction. À la même date, il notifie un moyen d’irrecevabilité à l’encontre de la demande de garde et pension de l’intimée dans le dossier 1.
[16] Le 10 février 2016, dans le cadre du dossier 1, la Cour supérieure (l’honorable Brian Riordan) rend une ordonnance intérimaire, établit le revenu de l’appelant à 275 000 $ CDN annuellement et lui ordonne de verser à l’intimée une pension alimentaire de 2 100 $ par mois au bénéfice de l’enfant Y. Le juge écrit :
[20] Rappelons que nous sommes dans un état intérimaire dans ce dossier et un autre juge aura éventuellement l'opportunité de fixer une pension alimentaire à la suite d'une preuve complète des revenus et actifs des parties. Notre but aujourd'hui est de fournir de quoi vivre pour l'enfant "X" en attendant.
[21] C'est pourquoi nous fixerons le revenu de Monsieur pour les présentes fins à 275 000 $, ce qui résulte en une pension alimentaire intérimaire payable par Monsieur à Madame pour l'enfant "X" de 2 100 $, payable le premier jour de chaque mois. Cette pension sera rétroactive à la date de la requête de Madame, soit le 19 novembre 2015, et vaudra jusqu'au jugement sur la requête sur les moyens déclinatoires de Monsieur, lesquelles sont prévues à (sic) procéder le 30 mars prochain.
[Notre soulignement]
[17] Le 14 juin 2016, la Cour supérieure (l’honorable Silvana Conte) accueille le moyen déclinatoire de l’appelant dans le dossier 2 et rejette la demande en divorce de l’intimée au motif d’absence de juridiction, cette dernière n’ayant pas résidé habituellement au Québec depuis au moins un an lors du dépôt de sa demande, contrairement à la condition prévue au paragraphe 3 (1) de la Loi sur le divorce[5].
[18] Le 19 août 2016, l’intimée introduit une nouvelle demande en divorce (dossier no : 500-12-332049-166; « le dossier 3 »).
[19] Le 14 novembre 2016, notre Cour rejette l’appel du jugement précité du 14 juin 2016 de la juge Conte dans le dossier 2.
[20] Le 11 décembre 2017, un troisième juge de la Cour supérieure, l’honorable Lukasz Granosik, rejette le moyen déclinatoire de l’appelant basé sur la litispendance et le forum non conveniens dans le dossier 1, concernant la demande de garde et pension, et dans le dossier 3, relatif à la deuxième demande en divorce, et confirme la juridiction de la Cour supérieure dans ces deux dossiers.
[21] Le 9 novembre 2018, notre Cour rejette l’appel de ce jugement.
[22] Le 9 avril 2019, une autre juge de la Cour supérieure (l’honorable Christiane Alary) siégeant en séance de gestion dans le dossier 3, prend acte que l’audition des mesures provisoires est fixée les 13 et 14 mai 2019, incluant la demande de l’appelant pour reconnaissance de jugements rendus [au Pays A], et ordonne à ce dernier de transmettre à l’avocate de l’intimée plusieurs documents, dont la plupart vise à permettre au juge chargé du provisoire d’établir son revenu aux fins de fixation de la pension alimentaire payable au bénéfice de l’enfant Y.
[23] Cette ordonnance de la juge Alary est rendue en l’absence de l’appelant, lequel avait préalablement reçu notification de l’avis de présentation par courriel et avait répondu, par son propre courriel du 5 avril, qu’il ne serait pas présent à l’audience de gestion.
[24]
Le 11 avril 2019, l’appelant, qui se représente seul, notifie au greffe
de la Cour supérieure à Montréal un avis de refus de recevoir signification par
un moyen technologique en vertu de l’article
[25] Le 3 mai 2019, une autre juge de la Cour supérieure (l’honorable Marie Gaudreau) accueille la demande de l’intimée dans le dossier 3 pour permission de signifier par courriel à l’appelant toutes procédures, pièces, documents ou correspondance nécessaires aux fins de la « bonne tenue du procès fixé les 13 et 14 mai 2019 ». Copie de cette ordonnance du 3 mai de la juge Gaudreau est transmise à l’appelant par courriel le même jour.
[26] L’audition relative aux mesures provisoires demandées par l’intimée et à la demande de l’appelant en reconnaissance des jugements rendus par les tribunaux [du Pays A] a lieu comme prévu les 13 et 14 mai 2019, devant le juge Robert Castiglio. L’appelant s’est déplacé pour les fins de l’audition, est présent durant les deux jours, témoigne et fait ses représentations.
- Le jugement entrepris
[27] Le juge Castiglio était plus précisément saisi des demandes suivantes des parties[6] :
a) la demande de l’appelant en reconnaissance de décisions étrangères;
b) la demande de l’appelant en diminution de la pension alimentaire payable à madame au bénéfice de l’enfant Y, tel qu’établie par le juge Riordan;
c) la demande de provision pour frais de 65 000 $ de l’appelant;
d) la demande de l’intimée visant la reconduction de l’ordonnance intérimaire rendue par le juge Riordan concernant la pension alimentaire payable par l’appelant au bénéfice de l’enfant[7];
e) la demande de l’appelant « en révocation » de l’ordonnance rendue par la juge Gaudreau permettant à madame de lui signifier par courriel les procédures, pièces, documents ou correspondance nécessaires pour l’audition même des 13 et 14 mai; et,
f) l’objection de l’appelant à ce que pour la suite du dossier de divorce l’intimée puisse lui signifier tous documents ou procédures par courriel.
[28] Par le jugement entrepris, le juge :
a) reporte à une date ultérieure l’audition de la demande de l’appelant en reconnaissance des décisions étrangères vu l’insuffisance des deux jours d’audition prévus;
b) accueille partiellement la demande de l’appelant visant la réduction de la pension alimentaire intérimaire établie par le juge Riordan, lui impute un revenu annuel de 160 000 $ CDN et lui ordonne de verser à madame, au bénéfice de l’enfant Y, une pension alimentaire de 1 295 $ CDN par mois pour valoir jusqu’au jugement de divorce;
c) rejette en conséquence la demande de l’intimée visant la reconduction de l’ordonnance intérimaire du juge Riordan;
d) rejette la demande de provision pour frais de l’appelant compte tenu qu’elle « n’a aucun fondement »;
e) étant donné que l’appelant était présent à l’audience devant lui et que les parties ont procédé, le juge rejette la demande de ce dernier en révocation du jugement de la juge Gaudreau qui avait autorisé l’intimée à lui signifier les documents et procédures nécessaires à cette audition des 13 et 14 mai, et ce, parce que cette demande « […] n’a plus d’objet une fois l’audition terminée »; et,
f) rejette l’objection de l’appelant afin que pour la suite du
dossier l’intimée ne puisse plus lui signifier les procédures et documents par
courriel et justifie cette décision pour des motifs de saine administration de
la justice, par le principe de proportionnalité et l’article
- L’appel
[29] La requête de l’appelant pour permission d’appeler de ce jugement est accordée par le juge Healy le 28 juin 2019, lequel suspend l’ordonnance de notification par voie de courriel à monsieur durant l’appel et ordonne que toute notification ultérieure entre les parties soit faite conformément à la Convention.
[30] L’appelant demande à la Cour :
- d’infirmer le jugement de première instance quant à chacune de ses conclusions et ordonnances;
- d’ordonner que toute notification future entre les parties
soit effectuée en conformité avec l’article
- d’établir la pension alimentaire payable par lui au bénéfice de l’enfant Y ou, subsidiairement, retourner le dossier en Cour supérieure pour l’établissement de cette pension;
- de condamner l’intimée aux frais de justice tant en première instance qu’en appel;
- d’ordonner à l’intimée de lui payer une provision pour
frais de 65 000 $.
- Analyse
[31]
Les articles
110. La notification peut être faite par tout mode approprié qui permet à celui qui notifie de constituer une preuve de la remise, de l’envoi, de la transmission ou de la publication du document. Elle l’est notamment par l’huissier de justice, par l’entremise de la poste, par la remise du document, par un moyen technologique ou par avis public.
Elle est faite, lorsque la loi le requiert, par l’huissier de justice, auquel cas elle est appelée signification.
Quel que soit le mode de notification utilisé, la personne qui accuse réception du document ou reconnaît l’avoir reçu est réputée avoir été valablement notifiée.
133. La notification par un moyen technologique se fait par la transmission du document à l’adresse que le destinataire indique être l’emplacement où il accepte de le recevoir ou à celle qui est connue publiquement comme étant l’adresse où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi.
Cependant, la notification par un tel moyen n’est admise à l’égard de la partie non représentée que si celle-ci y consent ou que le tribunal l’ordonne.
494. La notification internationale s’effectue, dans les États qui y sont parties, conformément à la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, faite à La Haye le 15 novembre 1965, dont le texte est reproduit en annexe, laquelle a force de loi au Québec.
La notification, dans un État qui n’est pas partie à cette convention, s’effectue suivant les modes prévus au livre I ou conformément au droit en vigueur au lieu où elle doit être effectuée. Le tribunal peut, sur demande, si les circonstances l’exigent, autoriser un autre mode de notification.
Le procès-verbal de la notification est transmis à celui qui l’a requise par les mêmes voies que celles par lesquelles la demande de notification a été acheminée. |
110. Notification may be made by any appropriate method that provides the notifier with proof that the document was delivered, sent or published. Such methods include notification by court bailiff, by mail, by delivery, by technological means and by public notice.
If the law so requires, notification is made by a court bailiff, in which case it is called service.
Whatever the method of notification used, a person who acknowledges receipt of the document or admits having received it is deemed to have been validly notified.
133. Notification by a technological means is made by sending the document to the address provided by the addressee for the receipt of the document, or to the address that is publicly known as the address where the addressee receives documents, provided the address is active at the time of sending.
However, notification by a technological means to a party not represented by a lawyer or a notary is permitted only with the party’s consent or if ordered by the court.
494. In States party to the Convention on the Service Abroad of Judicial and Extrajudicial Documents in Civil or Commercial Matters, made at The Hague on 15 November 1965, international notification is made in accordance with the Convention, which is reproduced in a schedule to this Code and has force of law in Québec.
In States not party to the Convention, notification is made as provided for in Book I or in accordance with the law in force in the place where the notification is made. The court, on request, may authorize a different method of notification if it is required by the circumstances.
The certificate of notification is sent to the notifying party through the same channels as those used to send the request for notification.
[Soulignements ajoutés]
|
[32]
La ministre de la Justice commentait l’article
Le premier alinéa de cet article, de droit nouveau, confirme que la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale a force de loi au Québec. Cette disposition pallie le manque constaté par la Cour d'appel dans l'arrêt S.A. Louis Dreyfus & Cie c. Holding Tusculum B.V., dans lequel la Cour estimait que la convention n’avait pas, malgré l’adoption du Décret concernant la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, Décret 491-88 du 30 mars 1988, été intégrée formellement dans la législation québécoise; il aurait fallu, selon la Cour, qu’elle le soit par une loi de mise en vigueur ou par des modifications législatives. Il est approprié de rappeler qu’au Québec le ministre de la Justice a été désigné Autorité centrale par le même décret 491-88, en application des articles 2 et 18 de la convention.
[…].[8]
[Nos soulignements]
[33] Le Canada et [le Pays A] sont tous deux parties à la Convention. Elle est entrée en vigueur le 1er mai 1989 au Canada et le 1er janvier 1995 [au Pays A][9].
[34]
La Convention, intégrée formellement à la législation québécoise par
l’article
[35] L’auteure Frédérique Sabourin affirme que lorsque les conditions de l’article premier de la Convention sont remplies, les méthodes de notification prévues par la Convention s’appliquent impérativement, la Convention étant « exclusive »[11]. Ces conditions sont rédigées ainsi :
La présente Convention est applicable, en matière civile ou commerciale, dans tous les cas où un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis à l’étranger pour y être signifié ou notifié.
La Convention ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue.
[36] La Convention prévoit par ailleurs une procédure formelle afin que les demandes de signification et de notification passent par l’entremise des Autorités centrales ou des officiers ministériels de l’État d’origine et de l’État requis[12].
[37] L’article 5 de la Convention traite quant à lui des choix offerts à l’État requis pour la signification ou la notification d’un acte judiciaire :
L’Autorité centrale de l’État requis procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l’acte:
a) soit selon les formes prescrites par la législation de l’État requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire,
b) soit selon la forme particulière demandée par le requérant, pourvu que celle-ci ne soit pas incompatible avec la loi de l’État requis.
Sauf le cas prévu à l’alinéa premier, lettre b), l’acte peut toujours être remis au destinataire qui l’accepte volontairement.
Si l’acte doit être signifié ou notifié conformément à l’alinéa premier, l’Autorité centrale peut demander que l’acte soit rédigé ou traduit dans la langue ou une des langues officielles de son pays.
La partie de la demande conforme à la formule modèle annexée à la présente Convention, qui contient les éléments essentiels de l’acte, est remise au destinataire.[13]
[38] L’article 10 de la Convention prévoit l’alternative suivante, sous réserve de l’opposition de l’État de destination :
La présente Convention ne fait pas obstacle, sauf si l’État de destination déclare s’y opposer:
a) à la faculté d’adresser directement, par la voie de la poste, des actes judiciaires aux personnes se trouvant à l’étranger, […]
[Nos soulignements]
[39] Le Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification (le « Manuel pratique ») définit la signification « par la voie de la poste » prévue par la Convention :
35. Au titre de l’approche de l’« équivalent fonctionnel », la « voie postale » prévue à l’article 10(a) peut inclure les technologies de l’information telles que le courrier électronique ou la télécopie dans les États parties qui ne sont pas opposés à l’article 10(a) et dans la mesure où les actes sont envoyés par des administrations postales. Plusieurs commentateurs sont de l’avis que le terme « voie postale » peut être interprété comme incluant la notification par courrier électronique.[14]
[…]
[Nos soulignements]
[40] Or, [le Pays A] a fait une déclaration indiquant qu’elle s’oppose à l'usage, sur son territoire, des voies de transmission prévues aux articles 8 et 10 de la Convention, dont la signification par « voie postale »[15]. Le Manuel pratique prévoit la conséquence rattachée à une telle déclaration d’opposition de la part d’un État membre :
259. En vertu des termes expressément utilisés au début de l’article 10, la validité d’une notification par la voie postale dépend ensuite de l’absence d’opposition à cette voie de transmission de la part de l’État de destination. […] plusieurs États ont déclaré s’opposer à ce mode de notification […]. Il convient de souligner que la validité de la notification en vertu de l’article 10(a) de la Convention ne dépend pas du fait que le droit interne de l’État de destination autorise la notification par la voie postale ou pas. En d’autres termes, seule la déclaration importe et non le contenu du droit interne de l’État de destination.[16]
[Nos soulignements]
[41] Enfin, le Manuel pratique précise que les « actes judiciaires » comprennent les actes introductifs d’instance, la réponse du défendeur, les décisions et jugements rendus par un membre d’une autorité judiciaire, mais aussi les convocations des témoins (citations à comparaître), ainsi que les demandes de production de pièces adressées aux parties[17].
[42]
Cela étant dit, l’article
[43] Le juge Vézina, alors de notre Cour et siégeant comme juge unique dans le cadre d’une demande pour permission d’appeler, s’exprimait de la façon suivante concernant le caractère obligatoire du respect de la Convention, jurisprudence de la Cour supérieure à l’appui :
[13] Ce qui nous ramène aux règles de « la notification internationale » du Code comme le conclut le Juge :
[18] Bref, la règle
en droit [interne] prévue à l’article
[14] Dans un jugement récent, le juge Pierre-C. Gagnon, j.c.s., nous informe, avec référence à l’appui, que :
[38] La Convention de La Haye prévoit divers modes de notification valables mais comporte des mécanismes permettant aux États de restreindre la liste des modes autorisés sur leur territoire.
[39] C’est ainsi que l’Allemagne s’est prévalue de ces mécanismes pour :
s’opposer à la signification par la voie de la poste (article 10, par. a) de la Convention);
exiger que les actes à signifier soient rédigés ou traduits en langue allemande (article 5, par. a).
[…]
[17] Dans
ce même jugement, le juge Gagnon conclut à la nullité d’une notification à
d’autres constructeurs automobiles allemands, par un mode différent de
celui de l’article
[32] La Convention de La Haye date du 15 novembre 1965.
[33] Dans l’arrêt Louis Dreyfus de 1998, la Cour d’appel a statué que la Convention de La Haye n’avait pas, jusqu’alors, été intégrée formellement dans la législation québécoise ou canadienne, par une loi ou par des modifications législatives.
[34] En conséquence, le Code de procédure civile s’appliquait à l’époque mutatis mutandis aux significations hors-Québec, en adaptant des dispositions conçues avant tout pour des significations sur le territoire québécois.
[35] Le législateur québécois a réagi en édictant les articles 494 à 496 du nouveau Code de procédure civile. Celui-ci est en vigueur depuis le 1er janvier 2016.
[36] L’article
[37] Mentionnons que la possible autorisation d’un autre mode de signification, mentionnée en fin d’article 494, ne vaut que si la notification doit s’effectuer dans un État qui n’est pas partie à la Convention.
[…]
[21] La décision du Juge d’exiger le respect des exigences du Code et, par le renvoi de l’article 494, de celles de la Convention de La Haye, n’est certainement pas déraisonnable. Cette disposition n’octroie aucune discrétion au tribunal, le plaideur international doit s’y plier.[18]
[Nos soulignements]
[44] D’autres jugements des tribunaux de première instance, notamment en matière familiale, ont aussi considéré que la notification internationale devait s’effectuer conformément aux dispositions de la Convention et qu’une notification par courriel dans un état signataire est irrégulière[19].
[45] D’ailleurs, en 2013, un groupe de travail de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada remarquait ceci quant à l’application uniforme de la Convention au Canada :
[15] Des tribunaux canadiens ont parfois validé la signification effectuée dans des États contractants par d’autres méthodes que celles prévues à la Convention. Les décisions validant une telle signification ont été rendues même si les seules méthodes reconnues de signification de documents judiciaires et extrajudiciaires dans des affaires civiles ou commerciales, d’un État contractant à un autre, sont celles prévues à la Convention. Cette interprétation de la Convention a été confirmée en 2003 et en 2009 par les États contractants, dont le Canada, à des séances de la Commission spéciale sur le fonctionnement pratique de la Convention. Elle a aussi été récemment confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario[20] et la Cour d’appel de l’Alberta[21].
[16] Les décisions de tribunaux canadiens qui valident la signification effectuée par une méthode non prévue à la Convention sont gênantes parce qu’elles créent une incertitude juridique en ce qui concerne leur effet dans d’autres États contractants. Les tribunaux d’autres États contractants pourraient décider que des significations effectuées par une autre méthode que celles prévues à la Convention ne sont pas valides dans leur ressort et ainsi refuser de les reconnaître et de les exécuter. Elles posent aussi problème parce qu’elles pourraient amener d’autres États contractants à critiquer le Canada parce qu’il ne s’acquitte pas des obligations que la Convention lui confère.[22]
[Nos soulignements]
[46]
En l’espèce, le juge de première instance ne fait aucune mention de
l’article
[47] La Cour est d’avis que le juge aurait dû reconnaître leur caractère impératif pour la suite de l’instance et qu’il a erré en autorisant les parties aux paragraphes 45 et 46 du jugement entrepris à se notifier mutuellement « toutes procédures, pièces, documents ou correspondances nécessaires pour la suite du dossier », soit des « actes judiciaires ». au sens de la Convention, par courriel. Ces conclusions seront donc infirmées.
[48] En effet, les parties résident dans deux pays signataires de la Convention et les conditions d’application de celle-ci sont remplies : les procédures en l’espèce sont (1) des actes judiciaires (2) qui doivent être transmis à l’étranger pour y être notifié; (3) en matière civile[23] et (4) l’adresse du destinataire est connue[24]. Une fois ces conditions satisfaites, les méthodes prévues par la Convention s’appliquent impérativement[25].
[49] Cependant il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de l’appelant d’annuler les autres ordonnances contenues au jugement entrepris.
[50] En effet, le défaut de signification régulière de la demande de madame visant les mesures provisoires, qu’a tranchées le premier juge, est couvert par le fait que l’appelant avait bel et bien été informé des dates d’audition prévues les 13 et 14 mai 2019, qu’il s’y est d’ailleurs présenté, qu’il a assisté à la totalité de l’audition, a fait valoir ses droits et a effectué ses représentations.
[51]
L’article
[52] Le principe suivant établi par notre Cour et repris par la Cour supérieure dans certaines affaires, et rappelé encore récemment par la doctrine, trouve application :
Le défendeur qui a eu connaissance du recours entrepris contre lui et qu’il a contesté ne peut plus soulever, au fond, l’irrégularité de la signification.[26]
[53] D’ailleurs, il n’est pas déraisonnable de penser, étant donné que l’appelant s’est présenté à l’audition des 13 et 14 mai devant le juge Castiglio, qu’il n’aurait sans doute pas demandé l’annulation des ordonnances rendues par ce dernier au motif de signification irrégulière s’il lui avait donné raison.
[54]
L’appelant a fait valoir lors de l’audition que la Cour devrait annuler
le jugement entrepris étant donné que de toute façon il ne revêtira aucune
autorité sur le territoire [du Pays A], dont les tribunaux refuseront
d’ailleurs de le reconnaître, et que somme toute, il ne sert à rien. Au soutien
de cette affirmation, l’appelant invoque l’article
Art. 27 I. Reconnaissance / 3. Motifs de refus
La reconnaissance d’une décision étrangère doit être refusée [au Pays A] si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public […].
La reconnaissance d’une décision doit également être refusée si une partie établit :
a) qu’elle n’a été citée régulièrement, ni selon le droit de son domicile, ni selon le droit de sa résidence habituelle à moins qu’elle n’ait procédé au fond sans faire de réserve;
b) que la décision a été rendue en violation de principes fondamentaux ressortissant à la conception […] du droit de procédure, notamment que ladite partie n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses moyens;
[…]
Au surplus, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.
[Nos soulignements]
[55] Cette disposition ne supporte pas la position de l’appelant, à supposer qu’elle soit en vigueur et applicable, ce dont la preuve ne nous a pas été faite, l’appelant s’étant limité à insérer une photocopie de cet article en annexe à son mémoire[28].
[56] D’une part, il s’agit là d’un article que l’appelant pourra invoquer, s’il l’estime approprié, devant les tribunaux [du Pays A] s’il entend s’opposer à la reconnaissance par les autorités judiciaires [du Pays A] des jugements ou arrêts rendus dans la présente instance par les tribunaux québécois. Il ne s’agit toutefois pas d’un article d’une loi en vigueur au Québec qui peut nous être plaidée en l’espèce.
[57] D’autre part, et pour seule fin de discussion, il apparaît douteux à première vue que l’appelant puisse se prévaloir de cette disposition dans la mesure où il a dûment « procédé au fond sans faire de réserve » devant le premier juge. La lecture du jugement entrepris permet en effet de constater à plusieurs endroits que l’appelant a activement participé au débat, qu’il a témoigné, a été contre-interrogé et qu’il a fait ses représentations. En somme, son droit fondamental d’être entendu a été respecté et il a eu la possibilité de faire valoir ses moyens.
[58] Pour toutes ces raisons, il y a donc lieu de rejeter l’appel à l’égard des conclusions du jugement entrepris (i) établissant le revenu annuel de l’appelant pour fins de fixation de la pension alimentaire à 160 000 $, (ii) fixant la pension alimentaire payable par ce dernier au bénéfice de l’enfant Y à 1 295 $ par mois et (iii) rejetant sa demande de provision pour frais. Ajoutons que la demande de l’appelant que nous ordonnions à l’intimée de lui verser 65 000 $ à titre de provision pour frais dans l’instance d’appel est mal fondée, notamment en l’absence de la preuve nécessaire à l’analyse d’une telle demande.
[59] Par ailleurs, l’appel de la conclusion du premier juge rejetant la demande de l’appelant en « révocation » du jugement rendu par la juge Gaudreau le 3 mai 2019, autorisant la notification par courriel des procédures et documents nécessaires à l’audition des 13 et 14 mai 2019 est sans objet, l’audition ayant eu lieu.
[60] Enfin, bien que madame n’ait pas produit d’exposé, ni d’appel incident à l’égard de la conclusion du juge autorisant monsieur à lui signifier toutes procédures, pièces, documents ou correspondance nécessaires à la suite du dossier par voie de courriel, il est opportun de prévoir que les deux parties devront se signifier/notifier tout « acte judiciaire » pour la suite des choses suivant les dispositions de la Convention.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[61] ACCUEILLE l’appel en partie;
[62] INFIRME les conclusions suivantes du jugement entrepris :
[45] AUTORISE la procureure de madame à signifier toutes procédures, pièces, documents ou correspondances nécessaires pour la suite du dossier à monsieur par courriel, à l’adresse suivante : [...]@gmail.com;
[46] AUTORISE monsieur à signifier toutes procédures, pièces, documents ou correspondances nécessaires pour la suite du dossier à la procureure de madame, par courriel à l’adresse suivante : […]@montrealfamilylaw.com.
[63] REMPLACE ces conclusions par la suivante :
DÉCLARE que pour
la suite de l’instance en divorce (dossier no :
500-12-332049-166) les parties devront se signifier ou notifier mutuellement
tout « acte judiciaire » tel que défini à la Convention relative à
la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et
extrajudiciaires en matière civile ou commerciale en conformité avec
l’article
[64] ENJOINT le greffier de la Cour de signifier le présent arrêt à l’appelant suivant les modalités prévues à la Convention relative à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale[29].
[65] SANS FRAIS DE JUSTICE compte tenu de la nature du dossier.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
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PATRICK HEALY, J.C.A. |
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MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. |
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S... R... |
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Appelant |
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C... M... |
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Intimée |
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Date d’audience : |
15 novembre 2019 |
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[1] Disposition préliminaire du Code de procédure civile, alinéa 2.
[2]
Droit de la famille — 161392,
[3]
Droit de la famille — 191086,
[4] Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, 15 novembre 1965, 658 R.T.N.U. 163 (reproduite à l’annexe I du C.p.c.).
[5] Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.).
[6] Jugement entrepris, paragr. 1.
[7] Cette ordonnance ayant été valide jusqu’au jugement du juge Granosik, selon le paragraphe 21 du jugement du juge Riordan.
[8] Ministère de la Justice et SOQUIJ, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art. 494.
[9] L'Organisation mondiale pour la coopération transfrontalière en matière civile et commerciale, « État présent » (dernière mise à jour le 29 juillet 2019), en ligne : Conférence de La Haye de droit international privé, <www.hcch.net/fr/instruments/conventions/status-table/?cid=17>.
[10] Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, précitée, note 4, art. 2.
[11] Frédérique Sabourin, Les demandes intéressant le droit international privé dans Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, 5e éd., vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, no 2-816.
[12] Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, précitée, note 4, art. 3 et suivants.
[13] Id., art. 5.
[14] Conférence de La Haye de droit international privé, « Annexe 8 : Utilisation des technologies de l’information dans le fonctionnement de la Convention Notification » dans Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification, La Haye, 2016, Conférence de La Haye de droit international privé, Bureau permanent, p. 185-186, no 35-36.
[15] L'Organisation mondiale pour la coopération transfrontalière en matière civile et commerciale, « Déclaration/réserve/notification » (dernière consultation le 11 octobre 2019), en ligne : Conférence de La Haye de droit international privé, <www.hcch.net/fr/instruments/conventions/status-table/notifications/?csid=424&disp=resdn>.
[16] Conférence de La Haye de droit international privé, Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification, précité, note 14, p. 86-87, no 259.
[17] Id., p. 31, no 77.
[18]
Gagnon c. Audi Canada inc.,
[19] Bountounis c. Volkswagen Group Canada Inc.,
[20] Khan Resources Inc. v. Atomredmetzoloto,
[21] Metcalfe Estate v. Yamaha Motor Powered Products Co., Ltd.,
[22] « Règles uniformes visant à mettre en œuvre la Convention de la Haye relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale », (août 2013) aux p. 4-5, en ligne (pdf) : Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, <www.ulcc.ca/fr/reunions-annuelles/775-2013-victoria-cb/documents-de-la-section-civile-2013/2160-regles-uniformes-visant-a-mettre-en-oeuvre-la-convention-de-la-haye-relative-a-la-signification-et-la-notification-a-l-etranger-des-actes-judiciaires-et-extrajudiciaires-en-matiere-civile-ou-commercialez>.
[23] La condition « en matière civile ou commerciale » réfère à l’exclusion des matières administratives, pénales et fiscales. Voir : Conférence de La Haye de droit international privé, Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification, précité note 14, p. 26, no 58-59.
[24] Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, précitée, note 4, art. 1.
[25]
Art.
[26]
Québec (procureur général) c. Duval,
[27] Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (« LDIP »), RO 1988 1776, R.S. 291.
[28]
Dans de telles circonstances, la preuve du droit d’un État étranger doit
être faite par le témoignage d’un expert ou par la production d’un certificat
établi par un jurisconsulte, à défaut de quoi le tribunal applique le droit en
vigueur au Québec (sous réserve évidemment, dans notre cas, de la Convention,
introduite dans la législation québécoise par l’article
[29] Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, précitée, note 4.
AVIS :
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