Décision

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Avis d'intention de Azoxco Cryogénique inc.

2022 QCCA 1387

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029728-219

(700-11-020320-216)

 

DATE :

11 octobre 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

DANS L'AFFAIRE DE l’avis d’intention de faire une proposition dAZOXCO CRYOGÉNIQUE inc. :

 

alain masse, en sa qualité de fiduciaire de fiducie familiale alain masse

valérie lacombe, en sa qualité fiduciaire de FIDUCIE FAMILIALE ALAIN MASSE

APPELANTS – créanciers

c.

 

azoXco cryogénique inc.

INTIMÉE – débitrice

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure du 1er octobre 2021 (l’honorable Danielle Turcotte)[1] qui annule la décision du syndic de l’intimée d’admettre leur preuve de réclamation à titre de créanciers non garantis, qualifie cette réclamation comme étant relative à des capitaux propres selon l’article 2 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[2] (LFI) et déclare que les appelants n’ont pas le droit de vote sur la proposition concordataire de l’intimée.

[2]                Le contexte est le suivant. Le 28 juin 2019, les appelants, alors actionnaires de Azoxco Cryogénique inc. (Azoxco préfusion), vendent à 9397-5530 Québec inc. (Québec inc.) la totalité de leurs actions. Un montant de 2 535 000 $ est acquitté et un solde est payable plus tard.

[3]                Le même jour, et tel qu’il est prévu à la clause 0.01.06 du contrat de vente d’actions, Québec inc. et Azoxco (préfusion) procèdent à une fusion simplifiée par laquelle la première absorbe la seconde. La société résultant de cette fusion reprend le nom d’Azoxco Cryogénique. Il s’agit de l’intimée, laquelle devient donc la débitrice du solde du prix des actions.

[4]                Le 25 août 2020, les appelants, toujours impayés, réclament à l’intimée une somme de 1 952 817 $ représentant le solde du prix de vente. L’intimée conteste l’action et se porte demanderesse reconventionnelle alléguant dol et fausses représentations de la part des appelants.

[5]                En février 2021, l’intimée dépose un avis d’intention de faire une proposition concordataire à ses créanciers, ce qui amène une suspension de l’action. Celle-ci sera par la suite levée.

[6]                Le 2 février 2021, les appelants déposent un avis de réclamation à titre de créanciers non garantis.

[7]                Le 8 juillet 2021, l’assemblée des créanciers est ajournée notamment afin d’obtenir une opinion juridique quant à la recevabilité de la réclamation des appelants.

[8]                Le 6 août 2021, le syndic annonce que la réclamation des appelants est acceptée.

[9]                Cette décision aura, à terme, l’effet de provoquer la faillite de l’intimée puisque les appelants détiennent alors un vote prépondérant et, contrairement aux autres créanciers, entendent voter contre la proposition concordataire. L’intimée conteste donc la décision du syndic aux termes de l’article 37 LFI. C’est cette question que tranche le jugement entrepris.

[10]           Se fondant sur l’article 286 de la Loi sur les sociétés par actions[3] (LSA), la juge conclut que la fusion n’a pas changé la nature de la réclamation, les droits et les obligations des sociétés fusionnantes devenant ceux de la société issue de la fusion. La juge note d’ailleurs que dans leurs procédures, les appelants allèguent eux-mêmes que la réclamation porte sur le solde du prix de vente des actions d’Azoxco (préfusion).

 

[11]           Appliquant les principes développés par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Sino-Forest[4] selon lesquels la notion de réclamation relative à des capitaux propres doit être interprétée largement et que l’analyse doit être axée sur la nature de la réclamation et non sur l’identité du réclamant, la juge conclut que la réclamation des appelants porte sur des capitaux propres. Même si elle ne le dit pas explicitement, la juge relie la demande à « des pertes pécuniaires associées à la propriété, à l’achat ou à la vente d’un intérêt relatif à des capitaux propres ou à l’annulation de cet achat ou de cette vente » prévues au paragraphe d) de la définition.

* * *

[12]           Il est utile de reproduire certaines dispositions de la LFI :

2. […]

 

intérêt relatif à des capitaux propres

  • a) S’agissant d’une personne morale autre qu’une fiducie de revenu, action de celle-ci ou bon de souscription, option ou autre droit permettant d’acquérir une telle action et ne provenant pas de la conversion d’une dette convertible;
  • b) s’agissant d’une fiducie de revenu, part de celle-ci ou bon de souscription, option ou autre droit permettant d’acquérir une telle part et ne provenant pas de la conversion d’une dette convertible. (equity interest)

 

 

[…]

réclamation relative à des capitaux propres Réclamation portant sur un intérêt relatif à des capitaux propres et visant notamment :

  • a) un dividende ou un paiement similaire;
  • b) un remboursement de capital;
  • c) tout droit de rachat d’actions au gré de l’actionnaire ou de remboursement anticipé d’actions au gré de l’émetteur;
  • d) des pertes pécuniaires associées à la propriété, à l’achat ou à la vente d’un intérêt relatif à des capitaux propres ou à l’annulation de cet achat ou de cette vente;
  • e) une contribution ou une indemnité relative à toute réclamation visée à l’un des alinéas a) à d). (equity claim)

 

 

[…]

54.1 Malgré les alinéas 54(2)a) et b), les créanciers qui ont des réclamations relatives à des capitaux propres font partie d’une même catégorie de créanciers relativement à ces réclamations, sauf ordonnance contraire du tribunal, et ne peuvent à ce titre voter à aucune assemblée, sauf ordonnance contraire du tribunal.

2. (…)

 

equity interest means

  • (a) in the case of a corporation other than an income trust, a share in the corporation — or a warrant or option or another right to acquire a share in the corporation — other than one that is derived from a convertible debt, and
  • (b) in the case of an income trust, a unit in the income trust — or a warrant or option or another right to acquire a unit in the income trust — other than one that is derived from a convertible debt; (intérêt relatif à des capitaux propres)

 

(…)

equity claim means a claim that is in respect of an equity interest, including a claim for, among others,

 

  • (a) a dividend or similar payment,
  • (b) a return of capital,
  • (c) a redemption or retraction obligation,

 

 

 

  • (d) a monetary loss resulting from the ownership, purchase or sale of an equity interest or from the rescission, or, in Quebec, the annulment, of a purchase or sale of an equity interest, or
  • (e) contribution or indemnity in respect of a claim referred to in any of paragraphs (a) to (d); (réclamation relative à des capitaux propres)

 

(…)

54.1 Despite paragraphs 54(2)(a) and (b), creditors having equity claims are to be in the same class of creditors in relation to those claims unless the court orders otherwise and may not, as members of that class, vote at any meeting unless the court orders otherwise.

[13]           De même que l’article 286 de la LSA :

286. Le certificat de fusion, délivré par le registraire des entreprises conformément aux dispositions du chapitre XVIII, atteste de la fusion des sociétés à la date et, le cas échéant, à l’heure figurant sur ce certificat.

À compter de ce moment, les sociétés fusionnantes continuent leur existence dans la société issue de la fusion et leurs patrimoines n’en forment alors qu’un seul qui est celui de la société issue de la fusion. Les droits et les obligations des sociétés fusionnantes deviennent ceux de la société issue de la fusion et celle-ci devient partie à toute procédure judiciaire ou administrative à laquelle étaient parties les sociétés fusionnantes.

286. A certificate of amalgamation, issued by the enterprise registrar in accordance with Chapter XVIII, attests the amalgamation of the corporations as of the date and, if applicable, the time shown on the certificate.

As of that time, the amalgamating corporations are continued as one corporation and, as of that time, their patrimonies are joined together to form the patrimony of the amalgamated corporation. The rights and obligations of the amalgamating corporations become rights and obligations of the amalgamated corporation and the latter becomes a party to any judicial or administrative proceeding to which the amalgamating corporations were parties.

 

[14]           Il est nécessaire de bien cerner le débat au centre de cet appel.

[15]           Les capitaux propres d’une société constituent l’avoir de ses actionnaires. Ils comprennent, notamment, le capital-actions émis et payé ou les bénéfices non répartis[5].

[16]           La règle énoncée à l’article 54.1 LFI de ne pas permettre aux détenteurs de réclamations relatives à des capitaux propres de voter sur une proposition concordataire, vise, d’une part, à éviter que ceux-ci contrôlent l’issue du vote et, d’autre part, à prioriser la protection des créanciers qui, contrairement aux actionnaires et autres détenteurs de capitaux propres, n’ont pas participé à une opération spéculative[6]. L’insolvabilité constitue le risque associé à l’investissement des actionnaires, lequel risque justifie d’ailleurs leurs gains éventuels. Voici ce qu’écrit l’auteur Frank Bennet sur ce point[7] :

EQUITY CLAIMS

Claims against a company that result from ownership, purchase or sale of an equity interest in the debtor company and related indemnity claims are considered equity claims. Such claims as shareholders' claims can result in significant upside while creditors who supply goods and services do not share in the same upside. Consequently, there can be no distribution to holders of equity claims unless non-equity claimants are paid in full. Shareholders cannot expect to receive a dividend until all the creditors are satisfied. Shareholders do not have any financial interest in the debtor company until that happens.

[Renvoi omis]

[17]           C’est ainsi que la définition de « réclamation relative à des capitaux propres » de l’article 2 LFI inclut, notamment, un dividende, un droit de rachat ou des pertes pécuniaires associées à la propriété, à l’achat ou à la vente d’un intérêt dans des capitaux propres. La question en l’espèce est donc de savoir si la réclamation des appelants fait partie de cette énumération qui, par l’usage du terme « notamment », indique son caractère non limitatif.

[18]           La particularité du présent dossier peut se résumer ainsi. Au moment de la vente d’actions, la créance que détenaient les appelants à l’égard de Québec inc. portait sur des actions -donc des capitaux propres- d’Azoxco (préfusion), laquelle était un tiers au contrat. C’est dire qu’entre les parties au contrat, les appelants détenaient, aux termes de la LFI, une créance non garantie à l’égard de Québec inc. C’est dire aussi qu’à ce stade, si Azoxco (préfusion) avait fait faillite, les appelants n’auraient détenu ni créance ni capitaux propres à son égard. Les actions d’Azoxco (préfusion) détenues par Québec inc. étaient un actif de celle-ci.

[19]           Toutefois, à la suite de la fusion, la dette de Québec inc. est dorénavant assumée par l’intimée qui en poursuit la personnalité juridique et les actions d’Azoxco (préfusion) détenues par Québec inc. sont annulées. Dès lors, la question est de savoir si la réclamation, dans la mesure où elle porte sur des capitaux propres d’une des entités ayant entrainé la création de l’intimée, est relative à des capitaux propres de celle-ci aux termes de l’article 2 LFI. Si tel est le cas, les appelants ne peuvent pas voter sur la proposition concordataire aux termes de l’article 54.1 LFI. Si tel n’est pas le cas, ils le peuvent.

[20]           Selon les appelants, la juge a erré en modifiant, par l’effet de la fusion, la nature de la créance qu’ils détenaient à l’endroit de Québec inc. - laquelle n’était qu’une créance non garantie- en une réclamation relative à des capitaux propres. Selon eux, la fusion ne peut avoir cet effet, puisqu’aux termes de l’article 286 LSA, celle-ci ne fait que transférer, sans la modifier, la dette de Québec inc. à l’intimée. Elle était une créance non garantie -ce qui n’est pas contesté- et le demeure.

[21]           Au surplus, les appelants plaident que, pour que leur réclamation soit qualifiée de relative à des capitaux propres, ils auraient dû détenir, au moment de l’avis d’intention, une action de l’intimée, un bon de souscription, une option ou un autre droit analogue. Or, non seulement n’est-ce pas le cas, mais l’article 282 LSA prévoit que les actions d’Azoxco (préfusion), que les appelants ont vendues, n’existent plus et ne sont pas remplacées par des actions de l’intimée. Les appelants n’ont donc jamais été actionnaires de cette dernière.

[22]           L’intimée, quant à elle, fait valoir que notre Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la juge de première instance tant parce qu’elle était saisie d’une question mixte que parce que l’article 37 LFI lui reconnaît une grande discrétion.  Elle fait ensuite valoir que la juge a eu raison d’utiliser le cadre d’analyse de l’arrêt Sino-Forest dans lequel la cour d’appel de l’Ontario établit que c’est la nature de la réclamation et non la qualité du réclamant actionnaire ou non- qui compte[8]. Retenir l’interprétation proposée par les appelants aurait donc pour effet de s’écarter de ce principe en exigeant que le réclamant, lors de l’avis d’intention, détienne une action ou une autre forme de capital propre. Elle aurait aussi pour effet d’obtenir indirectement ce que l’article 54.1 LFI entend proscrire en permettant aux appelants de voter sur la proposition concordataire.

 

[23]           Devant la Cour, les parties soutiennent toutes deux, tout comme la juge de première instance, que la fusion n’a pas changé la nature de la réclamation des appelants mais elles en tirent des conséquences opposées. L’intimée soutenait toutefois l’inverse dans sa requête en appel de la décision du syndic. À la réflexion, cette question de la transformation ou non de la nature de la réclamation à la suite de la fusion dépend en définitive de l’angle par lequel on analyse le dossier. Voici pourquoi.

[24]           Comme nous l’avons dit précédemment, lors de la vente des actions, la nature de la réclamation des appelants à l’égard de sa débitrice, Québec inc., ne portait pas sur des capitaux propres de cette dernière, mais bien sûr ceux d’une tierce partie, soit Azoxco (préfusion). C’est dire que si Québec inc. avait été mise en faillite, les appelants auraient pu déposer une réclamation à titre de créanciers non garantis. Cette première perspective donne appui à l’argument des appelants selon lequel, en qualifiant leur réclamation de « relative à des capitaux propres » après la fusion, la juge modifie la nature de la créance initiale et, de ce fait même, le risque d’insolvabilité des appelants.

[25]           À l’inverse, on peut aussi regarder la nature de la dette en fonction de ce qui fait l’objet de la vente. En l’espèce, les appelants procèdent à la vente de la totalité des actions d’Azoxco (préfusion) et un solde leur est dû par Québec inc. Cette créance vise bien des actions d’Azoxco (préfusion) et conséquemment, un intérêt relatif à des capitaux propres de cette société. Suite à la vente des actions, Azoxco (préfusion) et Québec inc. fusionnent par voie simplifiée pour devenir l’intimée. Ce type de fusion n’est en réalité qu’un réaménagement du capital des sociétés fusionnantes[9]. Comme le souligne le professeur Paul Martel, la société issue de la fusion n’est pas une entité différente des sociétés fusionnantes, mais en est plutôt la continuation, de sorte que cette nouvelle société possède tous les biens, tous les droits et toutes les obligations des entités originales, sans que les droits des tiers soient affectés par la fusion[10]. C’est l’essence de ce que prévoit le second alinéa de l’article 286 LSA. Donc, l’intimée se retrouve avec tous les actifs et les dettes d’Azoxco (préfusion) et de Québec inc. Quant aux capitaux propres d’Azoxco (préfusion), ils sont annulés et, dans les faits, se voient convertis en dette de l’intimée. Cette dernière est donc dorénavant obligée au paiement d’une dette liée à des capitaux propres d’une des entités fusionnantes dont elle poursuit aujourd’hui la personnalité juridique.

[26]           Alors qu’en est-il?

[27]           Il est vrai que la Cour doit faire preuve ici d’une grande déférence à l’égard des conclusions de la juge de première instance qui exerçait un pouvoir découlant de l’article 37 LFI, lequel lui reconnaît une large discrétion[11].

[28]           À ce premier motif de déférence s’ajoute la nature de la question dont la juge était saisie. Contrairement à ce que prétendent les appelants, il ne s’agit pas d’une question de droit pur, mais plutôt d’une question mixte. En effet, la qualification de la nature de la réclamation à laquelle procède la juge n’est pas purement technique et doit être faite en prenant compte des circonstances de l’espèce afin de rechercher la véritable nature de la transaction[12]. En l’espèce, la vente des actions est indissociablement liée à la fusion. Non seulement cette dernière est-elle prévue au contrat, mais elle intervient dans sa foulée. Cette concomitance et l’intégration des actes intervenus permettent de véritablement saisir la nature de l’opération et des intérêts en jeu. Cette approche est d’autant nécessaire qu’il a été constaté qu’il est parfois difficile de distinguer les capitaux propres de créances non garanties, les sociétés trouvant de nouveaux mécanismes pouvant rapprocher ces deux catégories[13].

[29]           Voyons la question autrement et posons l’hypothèse qu’Azoxco (préfusion) ait procédé elle-même (plutôt que par Québec inc.) au rachat de son capital-actions détenu par les appelants. En toute logique, et conformément à une interprétation large de la définition de réclamation relative à des capitaux propres[14], une telle transaction aurait dû être qualifiée comme telle aux termes du paragraphe d) de la définition, le solde impayé constituant bien une perte pécuniaire associée « à la propriété, à l’achat ou à la vente d’un intérêt relatif à des capitaux propres […] ». Accepter la thèse des appelants contournerait ainsi l’application de l’article 54.1 LFI en permettant à ceux-ci de voter sur la proposition concordataire, ce qui irait directement à l’encontre de l’intention du législateur de subordonner les intérêts des détenteurs d’intérêts relatifs à des capitaux propres à ceux des créanciers.

[30]           Enfin, quant à l’argument des appelants selon lequel la définition de la « réclamation relative à des capitaux propres » suppose que ces derniers, au moment de l’avis d’intention, devaient détenir une action de l’intimée, un bon de souscription, une option ou un autre droit de ce type, il ne saurait être retenu. Non seulement l’ajout d’une telle condition irait, une fois encore, à l’encontre d’une interprétation large et libérale de cette définition et s’écarterait de l’intention du législateur de subordonner la protection des détenteurs d’un intérêt relatif à des capitaux propres à celui des créanciers, mais le texte même de la définition ne le suggère pas. En effet, le paragraphe d) de la définition réfère à toute perte pécuniaire pouvant, entre autres, découler de la vente d’un intérêt relatif à des capitaux propres. Dès lors qu’il y a eu une vente de tels capitaux, le vendeur n’est plus, par définition, détenteur de ceux-ci. Il demeure tout de même que sa réclamation peut être qualifiée de relative à des capitaux propres aux termes du paragraphe d) de la définition. Il n’y a pas de raison de conclure autrement parce qu’il s’agit ici d’un solde de prix de vente.

[31]           C’est également en ce sens qu’a conclu la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Sino-Forest. Dans cet arrêt, les actionnaires poursuivaient des experts-comptables qui avaient omis de déceler l’inexactitude des données financières fournies par la société. La Cour d’appel de l’Ontario, confirmant la décision de l’honorable Morawetz, conclut que cette réclamation était incluse dans la définition de « réclamation relative à des capitaux propres » même si le réclamant n’était pas, et n’avait jamais été, détenteur de tels capitaux. Certes cette affaire n’est pas identique à la nôtre puisqu’ultimement les bénéficiaires de la réclamation étaient des détenteurs de capitaux propres. Il demeure que dans les deux cas, l’analyse de la nature de la réclamation plutôt que celle de la qualité du réclamant permet de révéler qu’elle se rapporte à un intérêt relatif à des capitaux propres.

[32]           En l’absence d’une erreur manifeste et déterminante de la juge de première instance dans la qualification de la nature réelle de la réclamation, l’appel doit être rejeté.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[33]           REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Bernard Gravel

Me Guillaume Hébert

SOCIÉTÉ D’AVOCATS DEXAR

Pour les appelants

 

Me François D. Gagnon

Me Kevin Mailloux

BORDEN LADNER GERVAIS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

22 septembre 2022

 


[1]  Avis d'intention de Azoxco Cryogénique inc., 2021 QCCS 4100 [jugement entrepris].

[2]  L.R.C. (1985), ch. B-3.

[3]  RLRQ, c. S-31.1.

[4]  Sino-Forest Corporation (Re), 2012 ONCA 816 [Sino-Forest].

[5]  Voir : Raymonde Crête et Stéphane Rousseau, Droit des sociétés par actions, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2018, nos 495 et 496.

[6]  Royal Bank of Canada v. Central Capital Corp., 38 C.B.R. (3d) 1, 1996 CanLII 1521 (ON CA), paragr. 149.

[7]  Frank Bennett, Bennett on Bankruptcy, 24e éd., Toronto, LexisNexis, 2022, p. 1371. Ces propos de l’auteur portent sur la définition de « réclamation relative à des capitaux propres » en vertu de l’art. 2 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36, laquelle est identique à celle de l’art. 2 LFI.

[8]  Sino-Forest, supra, note 4, paragr. 46.

[9]  André Morisset et Jean Turgeon, Droit des sociétés par actions, vol. 2, Toronto, LexisNexis, 1991 (feuilles mobiles, mise à jour no 248, juin 2022), p. 1620 et 1623.

[10]  Paul Martel, La société par actions au Québec : les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, nos 33-129 et 33-130. Voir aussi, Banque Royale du Canada c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, J.E. 2000-1041, 2000 CanLII 8607 (C.A.), paragr. 27-28, citant R. c. Black & Decker Manufacturing Co., [1975] 1 R.C.S. 411, p. 417 et Lebeuf c. Groupe SNC-Lavalin inc., [1999] RJQ 385, 1999 CanLII 13644 (C.A.), p. 23-24.

[11]  Medcap Real Estate Holdings Inc. (Re), 2022 ONCA 318, paragr. 25; Lloyd W. Houlden, Geoffry B. Morawetz et Janis P. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, 4e éd., Toronto, Thomson Reuters, 2009 (feuilles mobiles, mise à jour août 2022), no 2:128, p. 2-183 et 2-184.

[12]  Trakopolis SaaS Corp (2007996 Alberta Ltd) (Re), 2020 ABQB 643, paragr. 65.

[13]  INSOL International, Update on Shareholder and Equity – Related Claims in Insolvency Proceedings, October 2013, Technical Series Issue no 28, p. 6.

[14]  Sino-Forest, supra, note 4, paragr. 40-41 citant la Cour suprême quant à l’utilisation de l’expression « in respect » : CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, paragr. 16.

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