Matera c. Joseph |
2015 QCRDL 32304 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
219980 31 20150528 G |
No demande : |
1758801 |
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Date : |
05 octobre 2015 |
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Régisseure : |
Manon Talbot, juge administrative |
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Crescenzo Matera |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Ysma Joseph |
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Locataire - Partie défenderesse |
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et |
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JUNIOR LOVIUS |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande présentée par le locateur en résiliation du bail et expulsion de tous les occupants du logement en raison de troubles de comportement lui causant un préjudice sérieux. Le locateur demande aussi l’exécution provisoire de la décision, malgré l’appel, de même que la condamnation de la locataire au paiement des frais.
[2] Les parties sont liées par un bail renouvelé du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016, au loyer mensuel de 665 $.
[3] Il s’agit d’un immeuble de 20 logements acquis par le locateur en 2013.
[4] La locataire habite un logement composé de 5 ½ pièces depuis 18 ans.
[5] Au soutien de la demande de résiliation du bail, le locateur allègue ce qui suit :
« La partie défenderesse contrevient au bail, causant ainsi un préjudice sérieux au demandeur pour les motifs suivants : le petit-fils de la défenderesse, Junior Lovius, qui occupe le logement avec sa grand-mère, cause beaucoup de problème dans l’immeuble. Il aurait, avec un complice, battu et volé le locataire de l’appartement #5. La police a été appelé et un rapport a été fait. De plus, il y a du va-et-vient et du bruit provenant du logement, ce qui dérange les autres locataires dans l’immeuble. M. Lovius a également causé des dégâts d’eau dans les mois précédents. La situation cause un grave préjudice au demandeur. » (Sic)
[6] La preuve non contredite révèle que des accusations criminelles d’introduction par effraction, d’utilisation d’une arme lors de voies de fait et de complot pour commettre un acte criminel ont été portées contre Junior Lovius (Junior).
[7] Les policiers ont fait enquête sur les lieux et une ordonnance enjoignant à Junior de respecter différentes conditions a été rendue. L’une de ces conditions est qu’il ne doit pas s’approcher du locataire du logement # 5 ni de l’immeuble.
Question en litige
[8] La locataire, madame Ysma Joseph, a-t-elle manqué à ses obligations découlant du bail et de la loi et, dans l’affirmative, celle-ci a-t-elle causé un préjudice sérieux au locateur qui justifie la résiliation de son bail?
La preuve du locateur
[9] Monsieur Rudy Salvatore de Leon Cardoza (Cardoza) habite le logement #5 de l’immeuble concerné depuis plus de deux ans.
[10] Il raconte que le 20 mai 2015 vers 17 h, Junior et un ami se sont introduits par effraction dans son logement et l’ont battu et volé.
[11] Il a appelé les policiers qui les ont retrouvés et des accusations ont été déposées.
[12] Le complice de Junior est le petit-fils d’un autre locataire de l’immeuble, Armand Frizznel, lequel serait en prison actuellement, déclare-t-il.
[13] Monsieur Frizznel n’a vu qu’une seule fois Junior depuis les événements, soit il y a environ un mois, durant la nuit, pour le menacer de ne pas se présenter devant le Tribunal.
[14] Les policiers n’ont pas donné suite à cette dénonciation, ne pouvant affirmer avec certitude qu’il s’agissait de Junior.
[15] Le locateur témoigne que cet événement a causé beaucoup de stress aux autres locataires de l’immeuble qui ne veulent pas révéler leur identité ou témoigner devant le Tribunal par crainte de représailles.
[16] Depuis l’achat de cet immeuble en 2013, il a constaté beaucoup de va-et-vient provenant du logement de la locataire.
[17] Bien que le calme se soit rétabli quelque peu depuis les restrictions imposées à Junior, il reçoit encore des plaintes des autres locataires.
[18] Ainsi, le locataire du logement numéro 3 a déménagé.
[19] Toutefois, il a réussi à retenir et rassurer d’autres locataires qui menaçaient également de quitter leur logement.
[20] Il ne reproche rien à la locataire, si ce n’est qu’elle permet l’accès à son logement à différents individus non recommandables, ce qui affecte la jouissance paisible des lieux par les autres locataires, lesquels craignent pour leur sécurité.
La preuve de la locataire
[21] Madame Joseph est âgée de 75 ans et habite son logement depuis 18 ans sans jamais avoir eu d’ennuis avec son ancien locateur.
[22] Son petit-fils habitait avec elle jusqu’à tout récemment.
[23] Elle témoigne que Cardoza s’est présenté chez elle le 17 mai vers 22 h pour prendre une bière avec son petit-fils et Stanley, un ami de ce dernier présent chez elle. Junior étant absent, Stanley est parti acheter de la bière et Cardoza est demeuré pour les attendre.
[24] Alors qu’elle était couverte d’une simple serviette pour se rendre dans la douche, Cardoza a tenté de poser ses mains sur elle, déclare-t-elle. Elle s’est enfuie dans la chambre à coucher où se trouvait monsieur Frizznel, lequel regardait la télévision. Cardoza est retourné chez lui.
[25] Au retour de Stanley, elle lui a expliqué les événements survenus.
[26] Deux jours plus tard, la locataire portait plainte à la police contre Cardoza.
[27] Concernant les événements rapportés par ce dernier concernant son petit-fils, elle affirme n’avoir été témoin de rien. Elle sait seulement que les policiers se sont présentés chez elle pour rencontrer Junior et lui mentionner qu’il serait préférable qu’il ne revienne plus au logement.
[28] D’ailleurs, il habite chez son cousin depuis ce temps, dit-elle, et il envisageait déjà déménager avant la survenance de cet événement, dit-elle. C’est pourquoi elle avait déjà demandé au locateur de déménager dans un logement plus petit parce qu’elle y habiterait seule.
[29] Elle affirme être prête à s’engager à ce que son petit-fils ne retourne plus au logement.
[30] En contre-interrogatoire, elle déclare que personne n’habite avec elle. Il y a parfois son frère et sa sœur de New York qui viennent la visiter quelque temps.
[31] Finalement, elle reconnaîtra qu’un jeune homme dénommé Kiki, ami de Junior, vit là temporairement depuis deux ans à qui elle demande de partir, sans trop de succès.
[32] Monsieur Armand Frizznel corrobore le témoignage de la locataire concernant les événements du 17 mai 2015.
[33] Il habite l’immeuble depuis 1993 sur le même étage que la locataire qui est une amie de la famille depuis près de 20 ans.
[34] Il confirme que l’homme appelé Kiki est un ami de Junior qui habite le logement de la locataire depuis quelques mois.
[35] Il mentionne passer beaucoup de temps chez la locataire, soit presque quotidiennement. Ainsi, il lui apporte son aide parce que ses enfants vivent loin et qu’elle ne parle ni l’anglais, ni le français.
[36] Il affirme que Junior n’est pas retourné au logement depuis les événements et qu’à sa connaissance il n’ira plus y vivre non plus. Il est celui qui a discuté avec le locateur concernant le souhait de la locataire d’habiter dans un plus petit logement.
[37] En contre-interrogatoire, le témoin Frizznel mentionne que Stanley dormait au logement quelques fois.
Analyse et décision
Le droit
[38] Le recours du locateur
à l’encontre de la locataire se fonde sur les articles
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail.»
«1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.»
[39] Et puisqu’il n’y a pas de résiliation de bail sans la preuve d’un préjudice sérieux causé au locateur ou aux autres locataires, le trouble issu d’un événement ou d’un comportement dont la responsabilité incombe au locataire fautif doit comporter un élément dérangeant qui est anormal, excessif. Ces caractéristiques pourront être le fait qu’il est fréquent, répété, continu ou persistant.
[40] Autant dire que pour constituer un préjudice sérieux, la preuve doit démontrer que le préjudice subi par le locateur et/ou les autres locataires va au-delà des simples inconvénients.
[41] Soulignons que dans certains cas exceptionnels, tels qu’une agression, un incendie volontaire ou des menaces, un seul manquement grave pourrait être jugé suffisant par le Tribunal pour que soit résilié le bail eu égard à la gravité du geste, mais aussi des effets et conséquences sur la victime ou sur son patrimoine.
[42] Ainsi, la contravention par un locataire de son obligation de ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires donne droit au locateur commun de demander la résiliation du bail du locataire qui est à l’origine du trouble.
[43] Pour réussir dans sa
demande, la preuve doit s’avérer concluante, à la fois sur le manquement
allégué et sur le préjudice sérieux qui en découle. Encore une fois, il s’agit
des deux éléments essentiels qui conditionnent le prononcé de la résiliation du
bail en vertu de l’article
[44] La soussignée a entendu le témoignage sincère et crédible du locateur qui se dit dérangé et inquiet par le comportement de Lovius.
[45] Le Tribunal ne met pas en doute non plus le fait qu’il souhaite conserver ses locataires dans son immeuble et que ceux-ci puissent bénéficier de la jouissance paisible de leur logement qu’ils sont en droit d’exiger.
[46] Il n’appartient pas au tribunal de la Régie du logement de se prononcer sur les accusations de nature criminelle portées à l’encontre du locataire. C’est aux instances criminelles saisies de celles-ci que cette responsabilité incombe.
[47] Néanmoins, la preuve n’est pas contredite quant aux gestes posés par Lovius et un complice à l’égard de Cardoza.
[48] Cependant, la soussignée ne peut passer sous silence que ce dernier n’était pas très volubile et n’a pas mentionné qu’il était un ami de Lovius avant les événements. Nous pourrions en déduire qu’il s’agit d’un comportement isolé entre des individus qui se connaissent bien.
[49] Par contre, la gravité des gestes posés ne doit pas être sous-estimée ni les conséquences pour les autres locataires de l’immeuble, même s’ils ne sont pas présents à l’audience pour témoigner de leurs craintes.
[50] Cet événement non contredit est en soi suffisamment grave pour accorder la résiliation du bail.
[51] Bien que la locataire ne soit pas visée par tous les reproches adressés, elle est responsable des actes commis par les personnes qu’elle héberge, selon la loi.
[52] Par contre, malgré la preuve des faits et gestes à l’encontre de monsieur Cardoza, dont la gravité n’est nullement remise en cause, il y a absence de preuve que depuis le 20 mai 2015 Junior est retourné dans l’immeuble.
[53] Eu égard aux allées et venues alléguées par le locateur provenant du logement de la locataire, la preuve est peu convaincante. Le fait que la locataire accepte d’héberger des amis de Lovius dans son logement ne peut permettre de conclure nécessairement que ceux-ci ont un comportement dérangeant et troublent la jouissance paisible des autres locataires.
[54] Tel que discuté à l’audience, puisque les locataires de l’immeuble qui se plaignent de la locataire et/ou de ses occupants ne sont pas présents pour témoigner, le Tribunal appliquera le principe selon lequel le report des paroles ou constats d’un tiers constitue du ouï-dire, n’ayant pas force probante à l’instance.
[55] En cette matière, le Tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer si le locateur vit une situation qui, par sa répétition, insistance et ampleur, constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants.
[56] Il ne faut pas perdre de vue que la résiliation du bail est une sanction ultime.
[57] Par ailleurs, le Tribunal constate qu’aucune mise en demeure n’a été transmise à la locataire pour les faits reprochés.
[58] En conséquence, ce motif d’allées et venues pour lequel le locateur demande la résiliation du bail ne peut être accordé, faute de preuve probante.
[59] Cela étant, le
Tribunal croit la locataire dans sa volonté d’interdire à son petit-fils
l’accès à l’immeuble. La soussignée estime justifié d’émettre une ordonnance
suivant l’article
« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail.»
[60] Enfin, le préjudice causé au locateur justifie l’exécution provisoire de la décision rendue.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[61] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[62] ORDONNE à la locataire d’interdire l’accès à l’immeuble à son petit-fils, Lovius Junior;
[63] ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision, sur signification de celle-ci, même s’il y a appel;
[64] CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 80 $ représentant les frais judiciaires.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.