Décision

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Arc en ciel RH c. Services Swissnova inc.

2023 QCCA 1151

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029495-215

(500-17-094519-165)

 

DATE :

15 septembre 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

JULIE DUTIL, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

ARC EN CIEL RH S.A.R.L.

P.V.O.E., S.A.R.L.

PATRICE FABART

APPELANTS/INTIMÉS INCIDENTS – demandeurs/défendeurs reconventionnels

c.

 

SERVICES SWISSNOVA INC.

SOLUTIONS SWISSNOVA GLOBAL INC.

SOLUTIONS SWISSNOVA MONDE INC.

GUY BÉLANGER

JASMINE BÉLANGER

INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS – défendeurs/demandeurs reconventionnels

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure rendu le 6 avril 2021 et rectifié le 19 avril 2021, district de Montréal (l’honorable Lukasz Granosik). Les intimés se pourvoient également par appel incident.

Pour les motifs de la juge Lavallée, auxquels souscrivent les juges Dutil et Hamilton, LA COUR :

[2]                ACCUEILLE en partie l’appel principal des appelants, avec les frais de justice en faveur des appelants;

[3]                REJETTE l’appel incident, avec les frais de justice en faveur des appelants;

[4]                INFIRME en partie le jugement de première instance à la seule fin de biffer le paragraphe 149 et de le remplacer par les paragraphes 149 à 149b suivants :

[149] DÉCLARE que le Profil Nova 2.0 est une contrefaçon de la Méthode Arc En Ciel – AeC et des éléments qui la composent;

[149a] CONDAMNE l’intimée SOLUTIONS SWISSNOVA MONDE INC. à payer aux appelants la somme de vingt mille dollars (20 000 $) à titre de dommages-intérêts préétablis en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, avec intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle à compter de la date de signification de la demande introductive d’instance;

[149b]  CONDAMNE solidairement les intimées SERVICES SWISSNOVA INC. et SOLUTIONS SWISSNOVA GOLBAL INC. à payer aux appelants la somme de dix mille dollars (10 000 $) pour avoir utilisé illégalement les marques de commerce des appelants, avec intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle à compter de la date de signification de la demande introductive d’instance;

[5]                DÉCLARE que toutes les autres conclusions du jugement de première instance demeurent inchangées.

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

Me Stéphanie Lisa Roberts

Me Olivier Lajeunesse

CABINET D’AVOCATS NOVALEX

Pour les appelants/intimés incidents

 

Me Karim Renno

RENNO VATHILAKIS

Pour les intimés/appelants incidents

 

Date d’audience :

28 mars 2023


 

MOTIFS DE LA JUGE LAVALLÉE

 

 

[6]                La Cour est saisie d’un pourvoi contre un jugement rendu le 6 avril 2021 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Lukasz Granosik)[1].

APERÇU DU LITIGE

[7]                En première instance, les appelants adressaient trois reproches aux intimés, soit :

  • d’avoir, postérieurement à la résiliation des contrats de licence/distribution qui les liaient précédemment, plagié la méthode et les outils des appelants pour faire leurs propres outils, soit des tests psychométriques, contrevenant ainsi à la Loi sur le droit d’auteur[2] (L.d.a.);
  • d’avoir mis en marché les outils ainsi plagiés sous un nom quasi identique à celui sous lequel, en vertu des contrats qui les liaient précédemment, les intimés mettaient en marché les produits des appelants, contrevenant ainsi aux articles 6 et 7 alinéa b) de la Loi sur les marques de commerce[3] (L.m.c.);
  • d’avoir commis divers actes fautifs, en l’occurrence d’avoir fait concurrence aux appelants en violation des contrats de distribution qui les liaient et d’avoir fait sans droit usage de la liste de clients des appelants.

[8]                S’agissant du premier reproche, le juge de première instance donne raison aux appelants en concluant à l’existence de la contrefaçon. Il conclut néanmoins qu’ils n’ont pas l’intérêt pour agir sur ce fondement contre les intimés. Plus précisément, il est d’avis que :

  • l’œuvre en cause, un test psychométrique appelé Méthode Arc En Ciel (« Méthode AEC »), que l’appelant Patrice Fabart a élaborée à partir de certains outils appartenant à la société américaine The Cleaver Company International (« Cleaver »), est une œuvre protégeable et donc protégée par la L.d.a.[4];

[9]                Les appelants affirment que le juge a raison d’affirmer que :

  • en vertu de la L.d.a., les licenciés non exclusifs ne peuvent poursuivre pour la violation du droit d’auteur sur l’œuvre en cause[6];
  • la méthode psychométrique, en l’occurrence la Méthode AEC, qu’ils ont développée est une œuvre protégée en vertu de la L.d.a;
  • les intimés ont plagié cette œuvre, d’où leur recours en contrefaçon.

[10]           Ils soutiennent toutefois qu’il a erré :

1)     en concluant que cette œuvre n’était qu’une modification d’une œuvre visée par la licence non exclusive qui les lient au titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre, soit Cleaver. Il a conséquemment erré en concluant que la licence non exclusive ne leur conférait pas l’intérêt pour agir afin de réclamer des dommages-intérêts sur le fondement de la contrefaçon;

2)     en rejetant leurs réclamations fondées sur la concurrence déloyale au titre de la L.m.c. et du Code civil du Québec C.c.Q. »).

[11]           Les intimés se portent appelants incidents, recherchant uniquement la réformation d’une décision rendue en cours d’instruction par le juge. Dans celle-ci, ce dernier conclut à l’inadmissibilité en preuve de pages Web que les intimés souhaitaient mettre en preuve pour démontrer que des tests psychométriques semblables existent en libre accès sur le Web, et qu’ils n’ont donc pas plagié l’œuvre des appelants.

***

[12]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge a eu raison de conclure que la Méthode AEC est une œuvre en soi, protégée par la L.d.a., et qu’il y a contrefaçon puisque les intimés l’ont plagiée. Avec égards, j’estime toutefois que le juge a erré en concluant que toutes les composantes de cette œuvre étaient sous licence non exclusive et que les appelants n’avaient donc pas l’intérêt pour agir en justice afin de faire valoir leur droit d’auteur.

[13]           J’estime également qu’il a erré en ne faisant pas droit à leurs réclamations fondées sur la concurrence déloyale et la violation de leurs marques de commerce.

CONTEXTE

1. La Méthode Arc En Ciel

[14]           L’appelant Patrice Fabart a développé un test psychométrique, la Méthode AEC, laquelle appartient aux appelantes Arc En Ciel RH s.a.r.l. et P.V.O.E. s.a.r.l. (collectivement appelées « Groupe AEC ») dont il est l’âme dirigeante. Cette méthode est un outil psychométrique qui permet d’évaluer des traits de personnalité. Elle est utilisée dans le domaine des ressources humaines par différentes organisations.

[15]           En 2006, les appelants et les intimés signent un contrat de distribution dans lequel ces derniers sont désignés comme étant les « Master distributeur[s] » de la Méthode AEC pour le Québec et l’Ontario. Ce contrat désigne Arc En Ciel RH s.a.r.l. comme « Concessionnaire ».

[16]           La Méthode AEC est ainsi décrite dans le contrat de distribution que les parties ont signé en 2006 et dont il sera question plus loin :

"La Méthode ARC EN CIEL" incluant les Applications Spécialisées (Vente, Management, Synergie d'équipe, Ressources Humaines) et les marques déposées : Management lnteractif et Méthode des Couleurs.

Cette méthode comprend notamment et sans que cette liste puisse être considérée comme exhaustive :

• des supports pédagogiques,

• des profils personnalisés,

des manuels,

• des livres,

• des transparents,

• des jeux pédagogiques

s'intégrant dans une méthodologie et une pédagogie spécifiques selon des valeurs et un engagement réciproque que Le MASTER DISTRIBUTEUR déclare bien connaître.[7]

[17]           Pour créer la Méthode AEC, les appelants utilisent des questionnaires (« Basic Tools ») qui sont la propriété de Cleaver. Ils les utilisent en vertu d’un contrat de licence non exclusive qu’ils ont conclu avec celle-ci[8].

2. La commercialisation de Profil NOVA 1.0 et Profil NOVA 2.0 par les intimés

[18]           Guy Bélanger et sa fille Jasmine sont les propriétaires et dirigeants des sociétés Services Swissnova inc., Solutions Swissnova Global inc., Solutions Swissnova Monde inc. Les parties intimées seront appelées collectivement « les intimés ».

[19]           De 2006 à 2014, Services Swissnova inc., Solutions Swissnova Global inc. et Solutions Swissnova Monde inc. assurent la distribution exclusive de la Méthode AEC en tant que « Master distributeur[s] » pour le Québec et l’Ontario. Conformément au contrat de distribution de 2006, elles distribuent la méthode sous le nom de Méthode AEC.

[20]           Après quelques années, les intimés Guy Bélanger et Jasmine Bélanger tentent de convaincre les appelants de leur vendre cette méthode, ce que ces derniers refusent. Les parties s’entendent plutôt pour que la Méthode AEC soit commercialisée sous un autre nom au Québec, soit le « Profil NOVA ».

[21]           En 2011, les intimés Guy Bélanger et Jasmine Bélanger négocient un nouveau contrat de distribution avec Patrice Fabart, lequel leur permet de commercialiser et de distribuer la Méthode AEC sous le nom Profil NOVA, ce qu’ils font à compter de 2011.

[22]           Le 28 novembre 2014, les appelants résilient intempestivement le contrat de distribution avec les intimés.

[23]           Les intimés créent alors, en quatre mois, le Profil NOVA 2.0 (« Profil » ou « NOVA 2.0 » indistinctement). Les appelants déposent une demande introductive d’instance en injonction et en dommages contre les intimés en juin 2016. Ils allèguent que ce « nouveau » produit n’est essentiellement qu’une copie de la Méthode AEC, d’où le recours qu’ils entreprennent en contrefaçon. Leur recours est également fondé sur la concurrence déloyale, au titre de la L.m.c. et du C.c.Q. Ils allèguent plus précisément que les intimés se seraient livrés à de la commercialisation trompeuse (« passing off »), en présentant ce « nouveau produit » comme une version améliorée du Profil NOVA, lequel n’était que la Méthode AEC commercialisée sous ce nom au Québec en vertu du contrat de 2011. Le recours inclut comme défendeurs dix clients et partenaires d’affaires des intimés.

[24]           De plus, à la fin du mois d’avril 2018, les intimés intentent, dans un dossier parallèle, soit le dossier 500-17-103027-184, une demande en injonction visant à ordonner aux appelants de cesser l’utilisation de leur liste de clients. Ce dernier dossier ne fait pas l’objet du présent appel.

[25]           Enfin, tant les appelants que les intimés demandent le prononcé de déclarations en abus de procédure et l’octroi de dommages-intérêts à ce titre. La veille de l’audience, les appelants retirent leur réclamation contre les clients et partenaires d’affaires des intimés.

[26]           Le jugement de première instance est rendu le 6 avril 2021 (rectifié le 19 avril 2021).

JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[27]           Le juge résume ainsi le litige entre les parties :

[1] Les créateurs et propriétaires d’un test psychométrique poursuivent les anciens distributeurs de ce test, leur reprochant d’avoir copié leur méthode et d’avoir contrevenu au contrat de distribution.

[2] Les parties demanderesses Arc En Ciel RH s.a.r.l. et P.V.O.E. s.a.r.l. sont contrôlées et dirigées par Patrice Fabart. Arc En Ciel RH s.a.r.l. est le distributeur exclusif mondial de la Méthode Arc En Ciel  AeC, et P.V.O.E. s.a.r.l. en est le propriétaire. Josée Gélinas est la distributrice actuelle de cette méthode au Québec. Les parties demanderesses seront appelées collectivement AEC ou Fabart.

[3] Guy Bélanger et sa fille Jasmine sont les propriétaires et dirigeants des sociétés Services Swissnova inc., Solutions Swissnova Global inc., Solutions Swissnova Monde inc. et Coaching de gestion inc. Entre 2006 et 2014, ils distribuaient la Méthode Arc En Ciel  AeC et, après la fin de la relation d’affaires, ils ont développé un test psychométrique appelé Profil NOVA 2.0, similaire à la Méthode Arc En Ciel–AeC. Les parties défenderesses seront appelées collectivement Swissnova.

[4] Dans le dossier initié en 2016, AEC reproche à Swissnova la contrefaçon de sa méthode et réclame des dommages pour un montant d’environ un million de dollars, plaidant essentiellement que le test psychométrique, Méthode Arc En Ciel  AeC, dont elle est propriétaire, a été plagié. Elle ajoute aussi que Swissnova a contrevenu au contrat de distribution et lui fait de la concurrence déloyale. Swissnova se porte demanderesse reconventionnelle et réclame plus de deux millions de dollars pour abus de droit et inexécution contractuelle, ainsi qu’en application d’une clause pénale prévue au contrat. De plus, dans le dossier de 2018, Swissnova intente un recours en injonction et en dommages contre AEC au montant de 100 000,00 $ pour avoir fait usage sans droit de sa liste de clients et, par le fait même, lui reproche d’avoir exercé une concurrence déloyale.

[5] Enfin, les deux parties, jadis partenaires d’affaires et amies, se reprochent mutuellement d’abuser de la procédure et réclament à l’autre le remboursement complet de leurs honoraires professionnels en lien avec ce litige, soit 238 314,07 $ pour Swissnova et 143 432,07 $ pour AEC.

[6] Ainsi, en dépit de leur grande connaissance de la psychologie, les parties n’ont pas réussi à mettre leurs compétences dans ce domaine en application et n’ont pas su éviter la judiciarisation de leur différend, dont l’aspect principal, au-delà de la responsabilité contractuelle, consiste à déterminer si la méthode Profil NOVA 2.0 est une copie illégale et constitue ainsi de la contrefaçon de la Méthode Arc En Ciel  AeC.[9]

[Soulignement ajouté]

[28]           La question au cœur du litige, comme le juge l’explique, est celle de savoir si la Méthode Profil NOVA 2.0 est une contrefaçon de la Méthode AEC.

[29]           Le juge répond par l’affirmative à cette question, concluant qu’il y a contrefaçon au sens de la L.d.a. Il est d’avis que la Méthode AEC en cause, que Patrice Fabart a élaborée à partir de certains outils (« Basic Tools ») appartenant à Cleaver, laquelle lui a conféré une licence non exclusive, est une œuvre protégeable et protégée par la L.d.a.[10]. Il conclut ensuite que les intimés ont plagié l’œuvre puisque le Profil NOVA 2.0 des intimés copie une partie importante de la Méthode AEC. Il y a donc contrefaçon au sens de la L.d.a.[11].

[30]           Le juge ne fait toutefois droit ni à la demande des appelants d’ordonner aux intimés de ne plus utiliser et commercialiser le Profil NOVA 2.0 ni à leurs réclamations pécuniaires contre les intimés sur le fondement de la contrefaçon. En effet, il estime qu’ils n’ont pas l’intérêt juridique requis pour intenter leur recours contre les intimés en vertu de la L.d.a. Selon lui, ils ne sont pas les titulaires du droit d’auteur sur l’œuvre ainsi plagiée. Il conclut que la Méthode AEC est une œuvre résultant de modifications apportées à une œuvre, les « Basic Tools », appartenant à Cleaver, et que, vu leur statut de licenciés non exclusifs de ces outils, les appelants n’ont pas l’intérêt juridique pour poursuivre les intimés en contrefaçon de cette œuvre modifiée[12]. Il refuse par conséquent d’ordonner aux intimés de ne plus utiliser le Profil NOVA 2.0.

[31]           Il accueille néanmoins la demande des appelants d’ordonner aux intimés de cesser d’utiliser leurs marques de commerce et de cesser d’utiliser et de gérer le site Web profilaec.com. Il se penche ensuite sur les réclamations mutuelles des parties découlant de la résiliation du contrat de distribution de 2011 conclu par les parties.

[32]           Il rejette la demande en dommages-intérêts des appelants contre les intimés pour violation du contrat de distribution de 2011, en raison de la résiliation illégale de ce contrat dont ils sont responsables[13].

[33]           Il accueille partiellement la demande reconventionnelle des intimés, concluant que les appelants ont résilié abusivement le contrat de distribution de 2011. Il conclut que les intimés n’ont pas fait la preuve des dommages pécuniaires subis en raison de la résiliation fautive du contrat par le Groupe AEC, sauf en ce qui concerne la somme de 43 276 $ relative à l’achat des « unités » du Groupe AEC annulé par Patrice Fabart lors de la rupture définitive du lien entre les parties. Il condamne les appelants au paiement de 15 000 $ à titre de dommages-intérêts en raison de la résiliation illégale du contrat de distribution. Enfin, il les condamne à payer aux intimés la somme de 10 000 $ pour abus de procédure[14].

MOYENS D’APPEL

[34]           Dans leur appel, les appelants recherchent uniquement la réformation des conclusions du jugement ayant trait à la contrefaçon et la concurrence déloyale[15]. Ils soutiennent que le juge a erré :

1)     en concluant qu’ils n’ont pas l’intérêt pour réclamer des dommages-intérêts en vertu de la L.d.a.;

2)     en omettant de traiter leurs réclamations en dommages-intérêts pour violation de leurs marques de commerce;

3)     en rejetant leur réclamation fondée sur la concurrence déloyale.

[35]           Les intimés se portent quant à eux appelants incidents, à la seule fin d’obtenir la réformation d’une décision rendue en cours d’instance par le juge. Dans cette décision, ce dernier a conclu à l’inadmissibilité en preuve de questionnaires de plusieurs méthodes psychométriques autres que la Méthode AEC, fondées sur la théorie DISC, qui sont libres d’accès sur Internet. Les intimés souhaitaient mettre en preuve les pages Web en question afin de démontrer que des outils semblables à ceux utilisés dans la Méthode AEC existent en libre accès sur le Web.

ANALYSE

L’appel incident

[36]           Il y a d’abord lieu de se pencher sur l’appel incident afin de déterminer si le juge a erré en rejetant des éléments de preuve que voulaient produire les intimés pour échapper à la réclamation des appelants.

[37]           Ils ne contestent que la décision rendue en cours d’instance par le juge, dans laquelle il refuse le dépôt des pièces D-1 à D-35. Ces pages Web sont des exemples d’outils psychométriques qui sont basés sur la théorie DISC, tout comme l’est la Méthode AEC. Ils souhaitaient les produire en preuve afin de démontrer que l’outil utilisé par les appelants n’avait rien d’unique et qu’ils se sont inspirés de ces pages qui sont en libre accès sur le Web pour créer le Profil NOVA 2.0.

[38]           Voici comment le juge a tranché la question :

[45] La doctrine n’est pas unanime sur la qualification de ce que constitue une page Internet au regard du droit de la preuve. Certains l’envisagent comme un écrit instrumentaire, d’autres comme un témoignage ou un élément matériel. Une telle page est toutefois dans tous les cas un « document technologique » et la Loi sur le cadre juridique des technologies de l’information s’y applique. Ainsi, la preuve d’intégrité n’est pas requise.

[46] Malgré la dispense de preuve touchant l'intégrité, comme pour un document écrit ou un élément matériel, la preuve d’authenticité est toutefois nécessaire, comme le souligne Mark Phillips, aujourd’hui juge à notre Cour :

127. On y voit clairement que l'intégrité est une règle générale qui s'applique à tous les documents, qu'ils soient sur support papier, électronique ou autre. La mention du fait que le document technologique doit par ailleurs respecter les mêmes règles vise tout simplement à confirmer que si le document technologique se trouve « élevé » au même rang que le document papier traditionnel, il n'en a pas pour autant un statut supérieur. Il doit respecter les mêmes règles que le document sur support papier. On peut en déduire que la règle exigeant l'authentification s'applique donc au document technologique.

[47] Ainsi, tous les tests et modèles psychométriques trouvés sur Internet par Swissnova doivent être mis en preuve par un témoin qui puisse démontrer que le document présenté est bien celui qui aurait été trouvé sur Internet et qu’il est bien ce qu’on dit qu’il est. Or, aucune preuve d’authenticité n’a été faite en l’instance.

[48] Il faut noter que Swissnova n’établit pas, par ailleurs, qu’il s’agirait de documents provenant d’un site fiable, voire « officiel », d’un organisme reconnu. Cette notion a déjà fait l’objet de commentaires de la Cour fédérale alors que la juge Tremblay-Lamer a admis en preuve certains imprimés d’Internet pour démontrer le fait que la marque de commerce en litige avait revêtu diverses significations d'une période à l'autre :

[16] Pour ce qui concerne la fiabilité d’Internet, je souscris à l’idée que, en général, les sites Web officiels, c’est-à-dire ceux qui sont créés et tenus à jour par l’organisme même, fournissent des renseignements plus fiables que les sites Web non officiels, c’est-à-dire ceux qui contiennent de l’information sur l’organisme mais sont offerts par des personnes physiques ou des entreprises.

[17] À mon avis, les sites Web officiels d’organismes connus peuvent fournir des renseignements fiables qui seraient admissibles en preuve, de la même façon que la Cour peut se fier à Carswell ou à C.C.C. pour ce qui concerne la publication des décisions judiciaires, sans avoir à exiger une copie certifiée conforme du texte publié par l’arrêtiste. Par exemple, il est évident que le site Web officiel de la Cour suprême du Canada propose une version exacte des arrêts de ce tribunal.

[18]  Pour ce qui concerne les sites Web non officiels, je souscris à l’opinion de M. Carroll, selon laquelle la fiabilité de l’information provenant de tels sites dépend de divers facteurs, notamment une appréciation soigneuse de ses sources, la corroboration indépendante, le point de savoir si le contenu d’origine a pu être modifié et l’objectivité de la personne qui a mis cette information en ligne. Lorsque ces éléments ne peuvent être établis avec certitude, on ne devrait donner que peu de poids, voire aucun, à l’information provenant d'un site Web non officiel.

[49] En réalité, l’objection d’AEC ne vise pas tant l’intégrité ou l’authenticité de tous ces documents mais plutôt leur origine et leur contenu. En effet, il est manifeste que même si Swissnova établissait l’intégrité et l’authenticité de l’ensemble de ces documents, il n’en demeure pas moins que leur valeur probante serait quasi-nulle. En effet, il n’existe aucune preuve permettant de savoir qui en sont les auteurs, quand ces documents ont été confectionnés, ce qu’ils représentent, comment ils ont été publiés ou versés sur le Web. N’importe qui peut verser n’importe quoi n’importe quand sur Internet.[16]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[39]           Avec égards, dans la mesure où les appelants ont eux-mêmes affirmé que ces autres modèles ou tests psychométriques existent[17], la question de l’authenticité des pages Web où on les trouve était moins importante que ce que le juge de première instance laisse entendre dans le jugement. En effet, les intimés voulaient simplement prouver l’existence de ces pages Web et qu’il était possible de les consulter afin de s’en inspirer pour créer leur propre produit. Il n’était pas ici question de mettre en preuve leur contenu, c’est-à-dire d’établir la véracité de leur contenu. D’ailleurs, le juge de première instance l’explique lorsqu’il écrit qu’« [e]n réalité, l’objection d’AEC ne vise pas tant l’intégrité ou l’authenticité de tous ces documents, mais plutôt leur origine et leur contenu »[18].

[40]           Il pouvait être pertinent pour le juge qui devait trancher les questions en litige d’avoir la preuve que certains sites Internet fournissent au grand public des informations pouvant servir à produire un modèle fondé sur la théorie DISC. J’estime néanmoins que, peu importe la recevabilité intrinsèque des éléments de preuve en question, le juge n’a pas erré en concluant que, même s’il les avait jugés admissibles, il leur aurait accordé une faible valeur probante[19].

[41]           Partant, même si l’appel incident était accueilli et que ces pages Web étaient admises en preuve, elles ne changeraient nullement le sort du litige.

L’appel principal

1.     La contrefaçon

[42]           S’agissant de ce moyen, la thèse défendue par les appelants est la suivante : 1e) l’œuvre en cause, soit la Méthode AEC, est une œuvre nouvelle et originale, quoique dérivée de celle qui faisait l’objet de la licence non exclusive conférée par Cleaver et elle n’est pas assujettie à cette licence; 2e) les appelants, à titre d’auteurs, sont les titulaires du droit d’auteur sur cette œuvre nouvelle (paragr. 13(1) L.d.a.) et ils ont donc l’intérêt juridique requis pour poursuivre les intimés en contrefaçon en vertu de l’article 41.23 L.d.a. puisque 3e) ces derniers l’ont plagiée en créant le Profil NOVA 2.0.

1.1 La Méthode AEC est-elle une œuvre protégée en vertu de la L.d.a.?

[43]           Les intimés affirment que la Méthode AEC n’est qu’un concept et non l’expression d’un concept. Partant, le juge aurait, selon eux, erré en concluant qu’il s’agissait d’une œuvre protégée en vertu de la L.d.a. Ils ne précisent toutefois pas davantage leur idée, qui ne convainc nullement.

[44]           Il est acquis que la détermination du caractère original d’une œuvre est une question mixte de fait et de droit et que la norme d’intervention est celle de l’erreur manifeste et déterminante[20]. Le juge a-t-il commis une erreur de cette nature en concluant que la Méthode AEC est une œuvre en soi, protégée au titre de la L.d.a.?

[45]           Voici les passages pertinents du jugement :

[54] La combinaison particulière, d’une part, de l’ensemble de ces éléments et, d’autre part, d’une synthèse des principes de base, et ce, d’une façon organisée et originale découlant du talent et du jugement de son auteur, Fabart, doit jouir d’une protection. En effet, la Cour suprême reconnait la protection de l’expression d’idées sous la forme de combinaisons dans l’arrêt Cinar Corporation c. Robinson:

[…]

[55] C’est grâce à son travail et à son talent que Fabart a créé sa méthode qui utilise le choix des couleurs d’un arc-en-ciel, chacune étant attribuée à des traits de personnalité, et ce, dans un ordre spécifique. Sa Roue Arc En Ciel comporte une configuration permettant de visualiser certains résultats dans les différents profils utilisés de façon à les illustrer dans un seul cadran parmi ceux se trouvant sur le disque. Par ailleurs, le dégradé des couleurs de la Roue Arc en Ciel permet de préciser des nuances importantes dans l’analyse de la personnalité. AEC détient et exploite des marques de commerce et des dessins industriels en lien avec la Méthode Arc En Ciel. Le matériel et les outils utilisés et commercialisés par AEC rencontrent dans leur ensemble les trois éléments requis pour être qualifiés d’œuvre originale : elle émane d’un auteur; elle ne constitue pas une copie et, enfin, elle résulte de l’exercice non négligeable du talent et du jugement de l’auteur en question.[21]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[46]           J’estime que le juge n’a pas erré en concluant que les appelants ont créé un « assemblage » ou un « agencement », lequel a une plus-value qui transcende la simple somme de ses composantes.

[47]           Cette conclusion prend appui dans la preuve. Celle-ci démontre que la Méthode AEC est une combinaison des questionnaires de Cleaver, dont deux ont été modifiés par Patrice Fabart, d’un algorithme permettant de traiter ces questionnaires et d’un système de représentation des résultats qui inclut notamment une roue colorée inspirée de la roue développée par une autre entreprise, TTI Success Insights France (« Insights »), pour laquelle M. Fabart a déjà travaillé dans le passé. 

[48]           Le constat qu’un assemblage original peut être protégé par la L.d.a est conforme à l’état du droit. En effet, pour se qualifier comme une « œuvre », une création doit être davantage qu’une copie, mais n’a pas à être en plus, « novatrice ou unique ». L’élément essentiel « est l’exercice du talent et du jugement » de son auteur, lequel implique nécessairement un effort intellectuel[22].

1.2 Les appelants ont-ils l’intérêt pour agir sur le fondement de la contrefaçon?

[49]           La Méthode AEC est-elle une œuvre nouvelle et originale qui dépasse la simple modification des « Basic Tools » visés par le contrat de licence non exclusive entre Cleaver et les appelants?

[50]           Cette question, portant sur le contenu et la portée d’une licence non exclusive, soulève une question mixte de fait et de droit puisqu’il s’agit d’interpréter le contrat de licence entre les appelants et Cleaver[23].

[51]           Avec égards, j’estime que le juge a erré de manière manifeste et déterminante en concluant que les appelants n’avaient pas l’intérêt pour agir en justice afin de faire respecter cette protection parce que les composantes de la Méthode AEC sont toutes visées par la licence non exclusive de Cleaver[24]. 

[52]           Malgré le constat que la Méthode AEC est une œuvre protégée par la L.d.a., le juge conclut que les appelants ne peuvent se fonder sur le recours offert par la L.d.a. pour poursuivre les intimés en contrefaçon, puisqu’ils ne sont titulaires que d’une licence non exclusive sur les composantes de l’« assemblage » qu’est la Méthode AEC.

[53]           De l’avis du juge, les appelants ne sont pas les titulaires du droit d’auteur sur l’œuvre ainsi plagiée. Selon lui, l’œuvre modifiée qu’a réalisée M. Fabart l’a été à partir d’une œuvre appartenant à Cleaver. Or, celle-ci est la seule titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre ainsi que sur l’œuvre modifiée, et ce, en vertu du contrat l’unissant aux appelants, qui sont par ailleurs simplement ses licenciés non exclusifs, et qui n’ont donc pas l’intérêt juridique à poursuivre les intimés pour la contrefaçon de l’œuvre, dans sa version modifiée[25].

[54]           Sa conclusion repose sur deux éléments de preuve. Le premier est un aveu judiciaire qu’il estime déterminant. Il explique que les appelants ont admis dans leur demande introductive d’instance du 16 juin 2016 et leur demande introductive d’instance modifiée du 17 août 2016, qu’ils « […] détiennent une licence d’utilisation des questionnaires (P-8, P-10 et P-12) créés et exploités par Cleaver, tel qu’il appert dudit contrat, daté du 15 mars 2005, dénoncé au soutien des présentes comme pièce P-54 »[26]. Le second est le contrat de licence en soi. En effet, le juge explique que cet aveu des appelants est d’ailleurs conforme au contrat de licence non exclusive, lequel ne leur confère aucun droit d’agir en justice pour faire respecter leur droit d’auteur sur la Méthode AEC[27].

[55]           Le juge de première instance aborde les questions suivantes : 1) seule la propriété ou une licence exclusive confère la qualité pour engager une action en contrefaçon d’un droit d’auteur. Les licenciés non exclusifs ne peuvent poursuivre pour la violation du droit d’auteur sur l’œuvre en cause[28]; 2) les appelants ne peuvent pas échapper à leur aveu selon lequel la licence accordée par Cleaver vise trois questionnaires psychométriques (appelés « Basic Tools »), soit les questionnaires Self-DISCription, Motivating Values et Human Factor Job DISCription tools; 3) de plus, le juge rappelle qu’une présomption existe en faveur de l’auteur de l’œuvre, selon le paragraphe 34.1(1) L.d.a. :

34.1 (1) Dans toute procédure civile engagée en vertu de la présente loi où le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du demandeur :

 

a) l’œuvre, la prestation, l’enregistrement sonore ou le signal de communication, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d’auteur;

 

 

b) l’auteur, l’artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur.

34.1 (1) In any civil proceedings taken under this Act in which the defendant puts in issue either the existence of the copyright or the title of the plaintiff to it,

 

 

(a) copyright shall be presumed, unless the contrary is proved, to subsist in the work, performer’s performance, sound recording or communication signal, as the case may be; and

 

(b) the author, performer, maker or broadcaster, as the case may be, shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the owner of the copyright.

[56]           Partant, comme le juge l’explique, il incombait aux intimés de le convaincre qu’ils n’avaient pas reproduit une « partie importante de l’œuvre » des appelants puisque, ajoute-t-il avec justesse, dans l’analyse de la contrefaçon, la véritable question est de savoir si une « partie importante » de l’œuvre a été copiée et cette analyse doit être globale[29].

[57]           Avec égards, c’est lors de cette analyse que le juge commet une erreur manifeste et déterminante.

[58]           En effet, il se dit d’abord d’avis que la Méthode AEC est composée de trois parties indispensables : les questionnaires, les algorithmes et les résultats, mais que les questionnaires n’en constituent pas une partie importante :

[73] En conséquence, il faut conclure que la Méthode Arc en Ciel est constituée de trois parties distinctes mais toutes trois également indispensables : les questionnaires, les algorithmes et les résultats. Même si les questionnaires ne constituent pas une partie importante de la méthode et même si les algorithmes du logiciel d’opération sont totalement différents, au final NOVA 2 constitue bel et bien une copie de l’œuvre d’AEC. Le Tribunal retient tant l’opinion de l’expert Longpré que celle des témoins ordinaires qui connaissent les deux profils et qui n’y voient pas de véritable différence.[30]

[Soulignements ajoutés]

[59]           Il conclut ensuite que toutes les composantes de la Méthode AEC sont visées par la licence non exclusive, ce qui n’est manifestement pas le cas. D’une part, Cleaver n’a rien à voir avec l’algorithme. Celui-ci a été commandé par Patrice Fabart à un informaticien et il n’est assujetti à aucune licence. D’autre part, alors qu’au paragraphe 73, le juge passe sous silence la roue colorée, il en traite au paragraphe 83 comme une composante importante de la Méthode AEC en concluant erronément qu’elle est visée par le contrat de licence avec Cleaver, ce qui n’est pas le cas puisque, selon la preuve non contestée, il s’agit d’une roue inspirée de celle de la compagnie Insights.

[60]           Le juge conclut erronément que l’œuvre modifiée qu’est la Méthode AEC, qui est composée des questionnaires (lesquels sont peu importants dans la Méthode, selon lui), d’un algorithme, des résultats et de la présentation sur la roue, est visée par le contrat de licence non exclusive, et que c’est Cleaver qui détient le droit d’auteur sur cette œuvre modifiée, ce qui lui permet, à elle seule, d’agir en justice :

[83] Or, la partie importante copiée par Swissnova de la méthode d’AEC, soit les résultats précis, la présentation sur la roue/le disque et la combinaison particulière des résultats fait partie de ce qui est visé par cette licence non exclusive de Cleaver. En conséquence, AEC ne possède pas l’intérêt juridique pour poursuivre Swissnova, un tel recours appartenant plutôt à Cleaver.[31]

[61]           Contrairement à cette conclusion du juge, le contrat de licence prévoit que ce ne sont que les « Basic Tools », soit les questionnaires Self-DISCription, Motivating Values et Human Factor Job DISCription tools, élaborés par Cleaver, qui font l’objet de la licence non exclusive conférée aux appelants[32]. Le contrat de licence prévoit effectivement que ces trois questionnaires font l’objet de la licence, que les appelants peuvent les intégrer dans la Méthode AEC avant de la commercialiser, et qu’ils peuvent les modifier, avec le consentement préalable de Cleaver, mais qu’ils doivent alors continuer de payer des redevances à celle-ci, tant qu’ils les utilisent dans la Méthode AEC[33]. Voici les clauses pertinentes du contrat de licence :

Cleaver Company agrees to approve the use of the basic Cleaver Company Instruments (Self-DISCription, Motivating Values, Human Factor Job DISCription tools (“Basic Tools”) only in PVOE and Patrice FABART product offering using any of Cleaver Company basic instruments in exchange for a one time license fee of $50,000.00 and a six (6) percent share of the gross revenue generated by each of these product offerings using Basic Tools by Arc-en-Ciel to TCII via PVOE. This payment is to continue only as long as PVOE and Patrice FABART uses the Cleaver Instruments or modified version of Cleaver Tools in its product offerings. […]

“Cleaver Instruments” as defined herein include the following: SelfDISCription, Motivating Values, along with the Human Factor Job. Moreover, DuMar has worked with PVOE and Patrice FABART in developing the Reports and Customer Instruments for Motivating Values and styles that will be used in the PVOE and Patrice FABART offerings.

[…]

PVOE and Patrice FABART is granted a perpetual license to use and modify (with TCCI written approval) these Instruments in any way it deems necessary to service its customers as long as Arc-en-Ciel, PVOE and Patrice FABART chooses to utilize the Cleaver Company Instruments pursuant to this Agreement. […].

PVOE and Patrice FABART is granted a license to use these instruments in any way it deems necessary to service its customers as PVOE and Patrice FABART chooses to utilize the Cleaver Company Instruments pursuant to this Agreement. Notwithstanding, the Cleaver Company must approve any changes and or modifications in writing, which PVOE and Patrice FABART makes in its use of Cleaver Company Instruments, such approval not to be unreasonably withheld or delayed.

[…]

If any product or service offering subsequently developed or offered by Arc-en-Ciel, PVOE and Patrice FABART that uses instruments and tools provided by PVOE and Patrice FABART, then the commission of the six (6) % percent gross revenue fee to TCCI via PVOE will be applied to reflect the additional use of Cleaver Company Instruments and tools or the addition of the new or modified Cleaver Company Instrument or tool will be treated as a new bundled offering. In the case of a new bundled offering, the "fee" will be due on this new offering.

[…]

The parties agree that nothing herein prevents Arc-en-Ciel, PVOE and Patrice FABART from utilizing products and services of companies other than Cleaver Company products and services including, but not limited to, DISC assessment and testing tools, Arc-en-Ciel, PVOE and Patrice FABART has no re-licensing authority and reconfiguration of the Basic Tools without prior written consent by TCCI is not permitted and this is a Non-exclusive arrangement, for one company and non-transferable.[34]

[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]

[62]           Patrice Fabart a témoigné avoir réécrit deux de ces trois questionnaires de Cleaver et son témoignage n’a pas été contesté[35]. La preuve révèle ainsi que le premier formulaire de Cleaver « Self-DISCription » (Pièce P-61) est le même que le formulaire du Groupe AEC (Pièces P-8, P-8A, P-8B, Questionnaire de comportement AEC) et Patrice Fabart admet utiliser ce formulaire sans modification. Profil NOVA 2.0 l’utilise également avec des mots un peu différents (Questionnaire de personnalité P-7). Le second formulaire Cleaver (Pièce P-62 Motivating Values) est un peu différent de celui du Groupe AEC (Pièce P-10). L’idée est semblable, mais le concept et le formulaire sont différents. Le questionnaire NOVA 2.0 est véritablement une copie de celui du Groupe AEC, avec une présentation plus conviviale (Pièce P-9). Le troisième formulaire de Cleaver (Pièce P-63, Job Description) est lui aussi différent de celui du Groupe AEC (Pièce P-12). Tout comme pour le précédent questionnaire, l’idée est semblable, mais des modifications ont bel et bien été apportées au formulaire. Il y a notamment un regroupement de quatre énoncés en huit sections qui n’est pas présent dans celui de Cleaver. Celui de NOVA 2.0 est littéralement une copie (Pièce P-11) de celui du Groupe AEC (la représentation sur des carrés est identique).

[63]           Force est de constater que le témoignage de M. Fabart n’a pas été contesté à ce sujet, ni sur le fait qu’il a engagé un informaticien pour créer l’algorithme qui génère les résultats des questionnaires de Cleaver qu’il a modifiés, ni non plus sur le fait que la roue Insights qu’il a modifiée et qu’il utilise dans la Méthode AEC n’est pas visée par le contrat de licence avec Cleaver. Les utilisateurs de la Méthode AEC remplissent les questionnaires, et leurs résultats sont compilés par le logiciel créé par un informaticien engagé par M. Fabart et ses sociétés, logiciel qui exécute un traitement des données à l’aide d'algorithmes. Ce logiciel produit alors différents résultats individuels en forme de profil Arc En Ciel pour les clients. La Méthode AEC permet de produire cinq profils dont M. Fabart est l’auteur.

[64]           Le juge ne conclut pas que le témoignage de Patrice Fabart n’est pas crédible ou qu’il n’est pas fiable. Les intimés ont tort de prétendre que ce témoignage devait être corroboré et que l’omission des appelants d’avoir fait témoigner un représentant de Cleaver pour ce faire leur est fatale. Si les intimés voulaient contester ce témoignage, il leur incombait de faire témoigner un tel représentant de Cleaver, ce qu’ils n’ont pas fait.

[65]           Ainsi, contrairement à la conclusion du juge à cet égard, la méthode AEC ne se limite pas qu’à ces trois questionnaires sous licence exclusive; le juge l’a d’ailleurs reconnu lui-même quelques paragraphes auparavant, en écrivant qu’ils ne sont pas une partie importante de la Méthode AEC[36]. En effet, l’algorithme, qui permet de restituer les résultats des questionnaires est la propriété des appelants, ce que les intimés reconnaissent d’ailleurs[37]. Quant à la roue colorée, le juge retient erronément qu’elle fait partie des instruments visés par la licence. Or, il n’en est fait nulle mention dans le contrat de licence, ni dans les trois questionnaires de Cleaver qui sont les « Basic Tools » utilisés dans la Méthode AEC.

[66]           Avec égards, j’estime que les appelants ont raison d’affirmer que le juge a erré de manière manifeste et déterminante en concluant que l’assemblage qu’est la Méthode AEC n’est qu’une série de modifications des « Basic Tools », et que ces modifications appartiennent à Cleaver en vertu de la licence non exclusive.

[67]           La preuve révèle que la Méthode AEC n’est pas une simple « révision » du produit de Cleaver, mais bien un agencement de différents éléments, soit des trois questionnaires de Cleaver, dont deux ont été modifiés par Patrice Fabart, de la roue de la compagnie Insights, et d’un algorithme que M. Fabart a commandé à un programmeur[38].

[68]           Si M. Fabart se trouvait dans une situation où il ne respectait pas son contrat de licence avec Cleaver ou encore les droits de propriété intellectuelle de Insights, le non-respect de ses obligations à l’égard de ces tiers au présent litige serait susceptible de faire l’objet d’autres litiges. Le présent dossier ne commande toutefois pas de se pencher sur ces questions.

[69]           Dans le présent litige, il suffit de constater que les questionnaires de Cleaver, combinés avec la roue colorée et l’algorithme commandé à un informaticien par Patrice Fabart et ses entreprises, forment un « assemblage » original bénéficiant d’une protection en vertu de la L.d.a. Cette œuvre que constitue cet agencement original n’est pas visée par la licence et Cleaver n’est pas titulaire du droit d’auteur sur celle-ci.

[70]           Pour rappel, le juge écrit ceci au paragraphe 54 du jugement :

[54] La combinaison particulière, d’une part, de l’ensemble de ces éléments et, d’autre part, d’une synthèse des principes de base, et ce, d’une façon organisée et originale découlant du talent et du jugement de son auteur, Fabart, doit jouir d’une protection. En effet, la Cour suprême reconnait la protection de l’expression d’idées sous la forme de combinaisons dans l’arrêt Cinar Corporation c. Robinson […].[39]

[71]           Si, comme le juge l’affirme lui-même, la Méthode AEC se qualifie comme une « œuvre » puisqu’il s’agit « d’une façon organisée et originale découlant du talent et du jugement de son auteur, [Patrice] Fabart »[40], il ne peut conclure que la Méthode AEC ne résulte que d’une série de modifications des « Basic Tools » de Cleaver visés par la licence. Avec égards, ce raisonnement est entaché d’une erreur manifeste et déterminante.

[72]           Autrement dit, selon la preuve, l’œuvre complète, globale, des appelants n’est pas une modification de l’œuvre de Cleaver, mais une nouvelle œuvre, quoique inspirée et dérivée du modèle Cleaver. Les appelants, à titre d’auteurs, sont les titulaires du droit d’auteur sur cette œuvre nouvelle et originale (art. 13 paragr. (1) L.d.a.) et ont donc l’intérêt juridique requis pour poursuivre les intimés en contrefaçon (art. 41.23 L.d.a.).

[73]           L’aveu des appelants, fait dans leurs demandes introductives d’instance du 16 juin 2016 et du 17 août 2016, selon lequel ils sont les licenciés non exclusifs de trois questionnaires de Cleaver (« Basic Tools »), n’empêche pas leur œuvre d’être substantiellement différente de celle de Cleaver, de n’en être pas qu’une simple amélioration ou modification, mais d’être un produit foncièrement différent.

1.3 Les intimés ont-ils contrefait cette œuvre protégée que constitue la Méthode AEC?

[74]           La Cour, sous la plume de mon collègue le juge Rancourt, résumait le fardeau de preuve applicable à un recours en contrefaçon :

[50]  Le paragraphe 27(1) de la LDA exige que le titulaire du droit d’auteur fasse la preuve que (1) la personne a commis un acte réservé au titulaire du droit d’auteur et que (2) la personne a commis cet acte sans son consentement.

[51]  La charge de persuasion incombe au titulaire du droit d’auteur, ce qui est « conforme au principe général selon lequel le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments nécessaires à son action ».[41]

[75]           En l’espèce, le juge est d’avis que ce fardeau de preuve est rempli et que le produit développé par les intimés, soit le Profil NOVA 2.0, est essentiellement une copie de cet assemblage qu’est la Méthode AEC, même si le code informatique derrière NOVA 2.0 a été réalisé dans un langage différent de celui des appelants :

[64] Cela dit, même si certaines composantes du profil NOVA 2, comme les algorithmes ou les questionnaires, ne constituent pas de la contrefaçon, l’évaluation globale de la situation démontre qu’il y a imitation illégale ou plagiat et donc une contravention au droit d’auteur d’AEC, en dépit de toutes les nouveautés mises en œuvre par Swissnova. Même si celle-ci utilise un questionnaire de type DISC et un cercle, comme les méthodes Insights et Cleaver, elle le fait en combinaison avec d’autres éléments dont la résultante est identique à celle de la méthode d’AEC. C’est la conclusion qui s’impose au vu de l’ensemble de la preuve factuelle et de la preuve d’opinion.

[65] L’expert Philippe Longpré détient un doctorat en psychologie du travail et se spécialise dans l’étude des tests psychométriques. Selon lui, les méthodes NOVA 2 et Arc En Ciel sont équivalentes, voire similaires, et le produit de Swissnova constitue clairement du plagiat. Il existe beaucoup trop de similitudes pour qu’il s’agisse du fruit du hasard. Longpré explique que les deux méthodes ont exactement les mêmes fonctions et les mêmes objectifs et que, sur les centaines de tests qu’il a effectués, des résultats presque identiques sont obtenus. Ses constats pointent vers une concordance significative, soit au-delà de 99 %, alors que le seuil accepté scientifiquement est de 95 %. En utilisant des méthodes d’analyse statistique (Wilcoxon) et avec des échantillons probants, il arrive toujours aux mêmes constats.

[…]

[71] En somme, que la présentation visuelle soit quelque peu différente et qu’on utilise un langage ou une méthode de programmation distincte, il y a ici contrefaçon, car, selon l’analyse globale de la situation, il s’agit de tests psychométriques quasi identiques, qui mesurent les mêmes aspects de la personnalité, selon la même théorie et présentent les résultats de façon similaire. Swissnova n’a donc pas réussi à repousser la présomption prévue à la loi.[42]

[Soulignements et caractères gras ajoutés]

[76]           Cette conclusion se fonde sur la preuve.

[77]           La preuve révèle qu’à la suite de la résiliation de leur contrat de distribution, les intimés n’avaient plus le droit de distribuer la Méthode AEC, et qu’ils ont développé leur propre méthode, Profil NOVA 2.0, en quatre mois, à l’aide d’un informaticien programmeur, comme les extraits suivants du témoignage de Guy Bélanger le confirment :

[…]

R- Monsieur Thibault est un expert SAP, un trouveur de solutions. Et je lui ai demandé les deux questions plus spécifiques, que ça, c’était les plus difficiles, parce qu’il pouvait le faire, il pouvait faire une plateforme. Mais le plus difficile, c’était de dire dans le temps, comment ça pourrait prendre de temps, avec des marges, puis lui, il ne voulait pas me répondre, il voulait avoir le temps de... Parce que moi j’avais besoin de ça, sinon je sentais que si on rate le train, ce n’est pas dans deux ans faut faire ça, là. Et dans les coûts. Donc il avait fini par me donner une réponse, j’étais sorti de là assez... un peu énergisé. Puis j’ai dit : « J’ai une solution, mais là, on ne sait pas comment le faire, on ne sait pas comment fonctionnent les profils, les tests et les questionnaires et tout le reste ».[43]

[…]

Q- [67] Parfait. Et, donc c’est finalement, c’est quelle option vous prenez, qu’est-ce que vous faites par la suite?

R-  Bien ce qu’on a fait c’est qu’après ça, j’ai convoqué un meeting avec Jasmine puis monsieur Thibault, qui est l’informaticien. Et on a regardé tout comment que lui il pouvait. Il avait fait beaucoup de travail déjà sur comment qu’il pouvait faire la plateforme, mais ça, ce n’était pas mon problème, la plateforme, ça, pour moi c’est le moteur qui va après la voiture, mais il est important. Donc il nous a suggéré des choses qu’il avait déjà faites qu’il pourrait prendre un genre de comment dire pas copier, quand qu’il a déjà créé une plateforme pour quelqu’un d’autre, il a déjà des enlignements pour le faire. Lui, il sait déjà un peu comment se retrouver dans son code puis dans ses choix de... c’est du chinois pour moi, là, ses choix de pièces qu’il va prendre pour monter ça.[44]

[…]

Q- [68] À partir du moment où vous prenez cette décision-là, donc de créer l’outil, combien de temps ça prend pour arriver, là, à compléter l’outil comme tel. Grosso modo?

R-  Ça a pris à peu près trois mois et demi, quatre mois pour... Trois mois et demi, c’était le... on a fait l’ouverture 26 de mai, ça fait que février, mars, avril... c’est trois mois et demi, et puis, il y avait une couple de petites choses qui n’étaient pas terminées quand on a fait l’ouverture, là. On l’a fait quand même.

Q- [69] O.K., ça...

R-  Là, c’était nuit et jour... Vous voulez que je rajoute sur ça?

Q- [70] Oui, ça... allez-y, juste...

R-  Jasmine, elle s’était... elle allait à la bibliothèque tous les jours […].[45]

[Transcription textuelle]

[78]           À un autre moment lors de son témoignage, Guy Bélanger explique que Jasmine Bélanger, le programmeur et lui-même n’ont pas de formation en psychométrie et ne sont pas des spécialistes de la discipline :

Q- [130]  Vous dites aussi que vous avez été certifié AEC. Ou Arc En Ciel  à l’époque?

R-  Oui.

Q- [131] Ça, c’était en... à quelle époque?

R-  Après avoir signé des contrats en 2006, on a été certifié à Genève.

Q- [132] Dans le cadre d’une formation de combien de jours ou d’heures?

R-  Bien, j’imagine... je ne me souviens plus exactement, je crois que c’était trois jours. C’était avec ma fille Jasmine qu’on avait... que la formation (propos indiscernables).

Q- [133] Donc semblable, une formation de...

R-  Semblable, oui oui, par le distributeur de monsieur Fabart.[46]

[…]

Q- [150] D’accord. Est-ce que vous avez suivi vous-même d’autres formations en  psychométrie?

R-  Non, à part avec monsieur Fabart, puis après ça, on a fait pour l’enseigner... enseigner les... la méthode Arc En Ciel, puis après la méthode de NOVA, mais je n’ai pas...

Q- [151] Avec monsieur Fabart?

R-  Oui. Bien j’ai fait avec monsieur Fabart, je pense c’est son partenaire Alain qui nous avait accrédités pour le faire nous-mêmes au Canada.

Q- [152] D’accord.

R-  Pour former des gens aux outils.

Q- [153] Donc les formations reliées à la psychométrie ont été limitées à ce que vous avez reçu de monsieur Fabart et son associé?

R-  Oui, si vous voulez, mais j’ai, depuis tout petit, j’ai une immense bibliothèque sur l’humain et sa psychologie. Tout ça, c’est des choses qui m’ont intéressé, sans faire des formations standardisées autres que...

Q- [154]  Est-ce que vous avez suivi, à part avec Arc En Ciel, des formations sur la rédaction de profils de personnalité?

R-  Aucunement.

Q- [155] Sur la rédaction de questionnaires?

R-  Non.

Q- [156] Non?

R-  Non, parce que je suis... Vous voulez dire une formation?

Q- [157] Comment?

R-  C’est une formation, que vous m’avez demandé?

Q- [158] Oui.

R-  Non non, aucune formation, puis...

Q- [159] Sur l’interprétation de résultats de tests psychométriques?

R-  Bien, l’interprétation selon les méthodes que j’ai apprises sur Insights et puis Arc En Ciel.

Q- [160] D’accord. Vous avez mentionné, pendant votre témoignage, Monsieur Bélanger, et je vous cite, là, intégralement, que lorsque vous avez rencontré monsieur Fabart : « C’était comme un petit génie qui avait inventé ce produit »?

R-  Oui.

Q- [161] Vous parliez de quoi, comme invention de produit?

R-  Bien son invention c’était qu’il avait, lui, un profil que je pouvais avoir accès, puis que... Parce qu’avant, c’était... j’étais intéressé par Insights...

[…]

Q- [163] Ça fait que dans le fond vous considérez que c’est évidemment monsieur Fabart qui a inventé la méthode AEC, là?

R-  Bien c’est ce qu’il a dit, oui. Mais moi, j’ai été impressionné parce que ce monsieur-là avait un outil comme ça que je désirais me servir ou... Donc je n’avais pas de connaissances trop trop en psychométrie, je n’en ai pas plus, là, mais j’en ai plus sur les profils.[47]              

[Transcription textuelle]

[79]           Ainsi, à compter du mois de mai 2015, les intimés commercialisent, au Québec et en Ontario, cette méthode psychométrique développée en quatre mois sans compétence particulière en psychométrie, sous le nom de « Profil NOVA 2.0 ».

[80]           La conclusion du juge selon laquelle les intimés ont contrefait la Méthode AEC puisque le Profil NOVA 2.0 copie de manière importante la Méthode AEC se fonde donc sur la preuve, et est conforme au droit.

[81]           En effet, selon les enseignements de la Cour suprême, dans l’analyse de la contrefaçon, la véritable question est de savoir si une « partie importante » de l’œuvre a été copiée[48] :

[25] Cependant, la Loi ne protège pas chaque [traduction] « infime partie » de l’œuvre originale, « chaque petit détail qui, si on se l’approprie, ne risque pas d’avoir une incidence sur la valeur de l’œuvre dans son ensemble » : Vaver, p. 182. L’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur confère en effet au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de reproduire « [une] œuvre [. . .] ou une partie importante de celle-ci ».

[26] Le concept de « partie importante » de l’œuvre est souple. Il s’agit d’une question de fait et de degré. [traduction] « La question de savoir si une partie est importante est qualitative plutôt que quantitative » : Ladbroke (Football), Ltd. c. William Hill (Football), Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.), p. 481, lord Pearce. On détermine ce qui constitue une partie importante en fonction de l’originalité de l’œuvre qui doit être protégée par la Loi sur le droit d’auteur. En règle générale, une partie importante d’une œuvre est une partie qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre.

[27] Ce ne sont pas seulement les mots sur la page ou les coups de pinceau sur la toile qui peuvent constituer une partie importante d’une œuvre. La Loi protège les auteurs tant contre la reproduction littérale que contre la reproduction non littérale, pourvu que le matériel reproduit constitue une partie importante de l’œuvre contrefaite. […]

[82]           Ainsi, aux fins de l’exercice visant à déterminer si une « partie importante » de l’œuvre du Groupe AEC a été plagiée, il y a lieu d’adopter l’approche que la Cour suprême du Canada qualifie de « globale »[49] :

[35] [] Dans l’ensemble, les tribunaux canadiens ont adopté une approche qualitative et globale pour évaluer l’importance de la partie reproduite de l’œuvre. [traduction] « Le tribunal examinera la nature des œuvres et, dans tous les cas, il examinera non pas des extraits isolés, mais les deux œuvres dans leur ensemble pour déterminer si le projet du défendeur a indûment porté atteinte au droit du demandeur » : J. S. McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (feuilles mobiles), p. 2116.4 (je souligne).

[36] En général, il importe de ne pas analyser l’importance des caractéristiques reproduites en les examinant chacune isolément : Designers Guild, p. 705, lord Hoffman. Si elle était retenue, l’approche proposée par les appelants Cinar risquerait de mener à la dissection de l’œuvre de M. Robinson en ses éléments constitutifs. L’« abstraction » qui consisterait à réduire l’œuvre de M. Robinson à l’essence même de ce qui la rend originale et l’exclusion des éléments non susceptibles d’être protégés dès le début de l’analyse auraient pour effet d’empêcher le juge d’effectuer une évaluation réellement globale. Cette approche mettrait indûment l’accent sur la question de savoir si chacune des parties de l’œuvre de M. Robinson, prise individuellement, est originale et protégée par la législation sur le droit d’auteur. Il faut plutôt examiner l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l’œuvre afin de décider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve M. Robinson dans l’ensemble de son œuvre.

[83]           Le juge a suivi ces enseignements en procédant à une analyse globale de la situation, pour conclure que la Méthode AEC et le Profil NOVA 2.0 sont des tests psychométriques quasi identiques, et cette analyse est sans failles :

[70] De surcroît, la conclusion proposée par Longpré se vérifie aussi en pratique car les utilisateurs de ces tests qui sont venus témoigner à ce sujet ont mis en exergue la similitude, voire la confusion entre les deux profils. Ils indiquent que les profils NOVA 2 et Arc En Ciel évaluent les mêmes aspects et de la même façon un profil de quatre couleurs et huit types de personnalité de Jung. Certains utilisateurs se sont même déclarés surpris du fait que la certification de l’un ne vaut pas pour l’autre. D’ailleurs, dès 2015, et notamment dans la communication de Jasmine du 19 août 2015, Swissnova propose le profil NOVA 2 comme une évolution ou une amélioration du profil initial, lequel, bien entendu, était un profil AEC, bien que sous appellation NOVA.

[71] En somme, que la présentation visuelle soit quelque peu différente et qu’on utilise un langage ou une méthode de programmation distincte, il y a ici contrefaçon car, selon l’analyse globale de la situation, il s’agit de tests psychométriques quasi identiques, qui mesurent les mêmes aspects de la personnalité, selon la même théorie et présentent les résultats de façon similaire. Swissnova n’a donc pas réussi à repousser la présomption prévue à la loi.

[72] Enfin, la communication de Fabart d’octobre 2015 insistant sur le fait que le profil NOVA 2 n’a rien à voir avec le sien, ne peut constituer dans les circonstances de ce dossier un aveu et fonder une conclusion juridique – il s’agissait plutôt d’un argument de vente ou d’un geste de sollicitation visant à rapatrier les clients de Swissnova. Ce courriel ne peut être assimilé à une fin de non-recevoir à sa demande et ainsi, prédéterminer la conclusion recherchée.

[73] En conséquence, il faut conclure que la Méthode Arc en Ciel est constituée de trois parties distinctes mais toutes trois également indispensables : les questionnaires, les algorithmes et les résultats. Même si les questionnaires ne constituent pas une partie importante de la méthode et même si les algorithmes du logiciel d’opération sont totalement différents, au final NOVA 2 constitue bel et bien une copie de l’œuvre d’AEC. Le Tribunal retient tant l’opinion de l’expert Longpré que celle des témoins ordinaires qui connaissent les deux profils et qui n’y voient pas de véritable différence.[50]

[Renvoi omis; soulignements ajoutés]

1.4 Quelle réparation devait être accordée aux appelants sur le fondement de la contrefaçon?

[84]           Avec égards, le juge a erronément conclu que les appelants n’avaient pas l’intérêt pour agir en justice sur le fondement de la contrefaçon, et aussi erronément refusé d’accorder un remède sur ce fondement, en ces termes :

[84] La demande d’AEC fondée sur la violation de la Loi sur le droit d’auteur doit donc échouer et l’injonction demandée ne peut être prononcée.[51]

[85]           Les appelants ont réclamé des dommages-intérêts préétablis et des dommages-intérêts punitifs, comme la jurisprudence prévoit qu’ils ont le droit de le faire :

[36] Celui dont le droit d’auteur a été enfreint peut donc réclamer :

 des dommages compensatoires, c’est-à-dire soit des dommages-intérêts plus le profit réalisé par le responsable de la violation (art. 35), soit les dommages préétablis (« statutory damages ») prévus par l’art. 38.1, ces options étant mutuellement exclusives;

 des dommages punitifs;

 les frais, incluant ceux des experts ainsi que les honoraires extrajudiciaires.[52]

[Renvoi omis; soulignement ajouté]

[86]           Ces dommages-intérêts préétablis sont prévus au paragraphe 38.1(1) L.d.a. :

38.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), les dommages-intérêts préétablis ci-après pour les violations reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables :

 

a) dans le cas des violations commises à des fins commerciales, pour toutes les violations — relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur —, des dommages-intérêts dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence;

 

b) dans le cas des violations commises à des fins non commerciales, pour toutes les violations — relatives à toutes les œuvres données ou tous les autres objets donnés du droit d’auteur —, des dommages-intérêts, d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dont le montant est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence.

 

[…]

38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally,

 

 

 

 

(a) in a sum of not less than $500 and not more than $20,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for each work or other subject-matter, if the infringements are for commercial purposes; and

 

 

 

 

(b) in a sum of not less than $100 and not more than $5,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for all works or other subject-matter, if the infringements are for non-commercial purposes.

 

 

 

 

 

[…]

[87]           Il est acquis que de tels dommages-intérêts peuvent être attribués même si aucune perte ni dommage n’a été établi[53].

[88]           En l’espèce, il est logique que les appelants demandent des dommages-intérêts préétablis dans une affaire comme celle-ci où il aurait fallu qu’ils déploient des efforts considérables pour tenter d’estimer les dommages réels causés par les activités de contrefaçon des intimés. D’ailleurs, les profits illicites des intimés auxquels les appelants auraient autrement droit en vertu de l’article 35 de la L.d.a. ne peuvent être déterminés avec justesse.

[89]           Les appelants plaident qu’ils ont droit à des dommages-intérêts préétablis pour chacune des violations de leur droit d’auteur, soit pour chaque exemplaire contrefait, invoquant une décision de la Cour supérieure ayant conclu que « [l]’article 38.1 (1) de la L.d.a. précise que toutes les violations sont passibles de dommages-intérêts préétablis d’au moins 500 $ »[54]. Étant dans l’incapacité de quantifier le nombre de violations, ils plaident que les intimés ont vraisemblablement vendu plusieurs fois le Profil NOVA 2.0, puisqu’ils déclarent des revenus nets de 80 000 $ en 2015 et d’environ 150 000 $ en 2016 en lien avec la commercialisation du Profil[55].

[90]           Ils ont tort[56]. Au sujet des dommages-intérêts statutaires prévus par la L.d.a., l’auteur Jean-Philippe Mikus écrit plutôt ce qui suit :

Pour un contrefacteur commercial, les dommages statutaires varient entre 500 $ et 20 000 $ pour l’ensemble des actes de contrefaçon commis à l’égard de chaque œuvre contrefaite, sous réserve de certaines réductions au quantum. Le calcul des dommages statutaires pour un défendeur commercial se fait par œuvre et non sur la base de chaque exemplaire contrefait. Il en résulte qu’un demandeur est avantagé par le régime des dommages statutaires si les actes de contrefaçon du demandeur portent sur plusieurs œuvres, par opposition à un grand nombre d’actes de contrefaçon d’une seule œuvre.[57]

[Soulignements ajoutés]

[91]           Cette interprétation des dommages-intérêts préétablis au paragraphe 38.1(1) de la L.d.a. est conforme à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale selon laquelle « [l]es dommages-intérêts préétablis sont basés sur le nombre d’œuvres qui sont violées »[58]. La Cour fédérale affirme ce principe de manière encore plus précise, en écrivant ceci :

[61]  Je suis d’accord avec Bomanite pour dire que l’alinéa 38.1(1)a) utilise des mots différents — toutes les violations relatives à une œuvre donnée — et qu’une lecture simple prévoit l’octroi de dommages-intérêts préétablis dont le montant est calculé en multipliant un montant en dollars dans la fourchette par le nombre d’œuvres, et non par le nombre de violations. À mon avis, la jurisprudence établissant que chaque violation constitue une cause d’action n’impose pas une interprétation différente. Comme il est indiqué plus haut, Patterned Concrete n’a pas cité de décision dans laquelle le tribunal a calculé les dommages-intérêts préétablis en multipliant un montant compris dans la fourchette prévue à l’article 38.1 par le nombre de violations, et je n’ai pas été en mesure de trouver une telle décision. La détermination du montant des dommages-intérêts préétablis « par œuvre contrefaite » a récemment été confirmée par la juge Kane dans la décision Young c Thakur, 2019 CF 835 [Thakur] aux para 40 et 41 :

[40] Les demanderesses soutiennent que le montant maximal de 20 000 $ par violation devrait être accordé. Elles avancent que chaque visionnement du vidéoclip sur le site Web Badmash Factory et sur Vimeo constitue une violation distincte, et qu’au moins 82 violations ont été commises puisque le vidéoclip a été visionné 82 fois sur le compte Vimeo des défendeurs. Les demanderesses réclament des dommages-intérêts préétablis de 1 640 000 $.

[41] Contrairement à ce que font valoir les demanderesses, la jurisprudence a établi que les dommages-intérêts préétablis sont accordés en fonction du nombre d’œuvres contrefaites. En d’autres mots, ceux-ci sont calculés « pour toutes les violations – relatives à une œuvre donnée ».[59]

[Soulignements dans l’original; caractères gras ajoutés]

[92]           Ainsi, comme on le constate, les calculs effectués ne sont pas faits en fonction du nombre de fois qu’une même œuvre a été contrefaite, mais bien du nombre d’œuvres contrefaites. En effet, chaque vente d’un produit contrefait ne donne pas droit aux dommages-intérêts préétablis prévus au paragraphe 38.1(1) de la L.d.a. Toutes les violations que l’on peut associer à une œuvre au sens de la L.d.a. sont donc traitées comme un tout dans l’octroi des dommages-intérêts statutaires.

[93]           La Cour fédérale a produit dans une décision de 2021 un tableau mis à jour des montants accordés par différents tribunaux en vertu de l’article 38.1 de la L.d.a., où l’on voit que pour la violation d’une œuvre, un montant variant de 500 $ à 20 000 $ a été accordé, ce qu’elle explique ainsi :

[95]  Les dommages-intérêts préétablis sont évalués en fonction de « toutes les violations […] relatives à chaque œuvre donnée » et le titulaire du droit d’auteur a droit à un montant de 500 $ à 20 000 $ par œuvre, si les violations ont été commises à des fins commerciales : art 38.1(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur. Il ne fait aucun doute que les violations dont les demanderesses se plaignent en l’espèce ont été commises à des fins commerciales.[60]

[94]           Dans cette même décision, la Cour fédérale rappelle les critères devant guider les tribunaux dans l’attribution de tels dommages préétablis :

[99] Le paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur dispose que, lorsqu’il [sic] doit déterminer le montant approprié des dommages-intérêts préétablis, la Cour tient compte notamment des facteurs suivants : (i) la bonne ou mauvaise foi du défendeur; (ii) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celleci; et (iii) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question. J’examine chacun de ces facteurs ci-dessous, ainsi que la question de savoir si le montant maximal des dommages-intérêts préétablis demandé par les demanderesses est « extrêmement disproportionné à la violation ».[61]

[95]           Les intimés auraient dû se limiter à poursuivre les appelants en dommages-intérêts pour la rupture unilatérale abusive et intempestive du contrat de 2011, et éviter de contrefaire sciemment la Méthode AEC, agissant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi et causant un préjudice aux appelants[62]. Il y a donc lieu de condamner les sociétés intimées au paiement du montant maximum pour une violation du droit d’auteur, soit 20 000 $ à titre de dommages-intérêts préétablis. J’estime toutefois qu’il n’y a pas lieu de condamner personnellement Guy Bélanger et Jasmine Bélanger au paiement de ces sommes, puisque la contrefaçon a été faite par l’intermédiaire de ces entités commerciales, sans qu’une preuve spécifique qui justifierait leur condamnation personnelle n’ait été apportée.

[96]           Les appelants plaident qu’ils ont aussi droit à des dommages-intérêts punitifs d’un montant de 75 000 $.

[97]           La Cour fédérale résume ainsi les facteurs applicables à l’octroi de dommages-intérêts punitifs en matière de violation d’un droit d’auteur :

[47] En revanche, les dommages-intérêts punitifs sont une mesure d’exception, qui ne se justifient que [traduction] « lorsque l’une des parties a eu une conduite malveillante, opprimante et abusive, qui choque le sens de dignité de la cour et que d’autres réparations ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation » : Young, précitée, au para 52, citant Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18 aux para 36, 123. Savoir si ce critère est respecté oblige la Cour à examiner : a) si le comportement était prémédité et délibéré; b) l’intention et la motivation du défendeur; c) si le défendeur a poursuivi la conduite inacceptable pendant un temps prolongé; d) si le défendeur a dissimulé son comportement répréhensible ou tenté de le faire; e) si le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs; f) si le défendeur a tiré profit ou non de sa conduite répréhensible : Collett, précitée, au para 72.

[48]  Le paragraphe 38.1(7) de la Loi sur le droit d’auteur permet aux parties de demander des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en plus d’opter pour des dommages-intérêts préétablis. […][63].

[98]           En appréciant ces critères dans le contexte de la fin de la relation d’affaires entre les parties et du risque de récidive qui est peu élevé, j’estime que l’octroi de dommages-intérêts punitifs ne servirait aucun objectif de prévention.

2.     La concurrence déloyale

[99]           Au chapitre de la concurrence déloyale, les appelants plaident que les intimés ont commercialisé frauduleusement leur propre produit sous un nom (Profil NOVA 2.0) très proche de la marque (Profil NOVA) sous laquelle il était commercialisé lorsqu’il était distribué par les intimés, créant ainsi de la confusion entre les deux marques au sens de l’article 6 L.m.c., contrevenant ainsi à l’alinéa 7b) L.m.c. et commettant, de ce fait, une faute au sens de l’article 1457 C.c.Q.

[100]      Le juge affirme qu’aucun débat n’a vraiment eu lieu relativement à la concurrence déloyale, de sorte qu’il n’a pas à trancher la réclamation des appelants sur ce fondement, sauf en ce qui a trait à deux réclamations non contestées par les intimés, soit celle d’ordonner aux intimés de ne plus utiliser les marques de commerce exploitées par le Groupe AEC, et celle de céder le contrôle du site Web profilaec.com au Groupe AEC :

[86]  Enfin, la demande d’AEC concernant ses marques de commerce exploitées par AEC ou le site Web dont cette dernière souhaite récupérer l’exploitation ou encore le site Web n’a pas fait véritablement objet d’un débat. En réponse à ces réclamations, tout à fait légitimes par ailleurs, Swissnova n’offre aucune défense en ce qui concerne l’adresse Internet ni aucun moyen en ce qui concerne les marques de commerce et se contente de nier leur utilisation. Cette demande d’AEC sera donc accueillie et Swissnova ne pourra utiliser les appellations protégées et devra céder le contrôle du site Web profilaec.com à AEC.[64]

[101]      Dans ce paragraphe, le juge constate cette violation de la L.m.c. par les intimés, dont le produit, de même nature que celui des appelants, est commercialisé sous un nom quasi identique au leur, ce qui engendre de la confusion. Il n’accorde toutefois pas de dommages-intérêts compensatoires (art. 53.2 paragr. (1) L.m.c. et 1457 al. 2 C.c.Q.) ou punitifs (art. 53.2 paragr. (1) L.m.c.) pour cette violation. C’est ce que contestent les appelants, qui réclament ces dommages-intérêts en appel.

[102]      Je suis d’avis que les appelants ont fait la preuve d’une contravention à la L.m.c. et de leur préjudice découlant de cette violation de leur marque de commerce, mais qu’ils ont échoué à le quantifier. Il est néanmoins possible de leur accorder des dommages symboliques en vertu de l’article 53.2 de la L.m.c. Voici pourquoi.

[103]      Les faits établis en l’espèce démontrent l’existence d’un préjudice probable[65] : à la suite de la fin de la relation contractuelle entre les parties, les intimés ont commercialisé leur produit, au Québec, sous le nom de Profil NOVA 2.0. Ce faisant, ils ont créé de la confusion en vendant ce produit, semblable à celui des appelants, sous le nom Profil NOVA 2.0 alors que la Méthode AEC était, au Québec, commercialisée sous le nom Profil NOVA. Il y a donc confusion entre les marques Profil NOVA 2.0 et Profil NOVA au sens de l’article 6 L.m.c., et contravention à l’alinéa 7b) L.m.c.

[104]      De plus, il est évident que cette façon de faire visait clairement la même clientèle que celle des appelants. Les intimés allaient jusqu’à présenter le Profil NOVA 2.0 à des clients utilisant le Profil NOVA comme une amélioration du produit des appelants[66]. Le juge retient d’ailleurs le témoignage de certains témoins ayant affirmé qu’ils ne voyaient aucune différence entre les deux produits :

[70] De surcroît, la conclusion proposée par Longpré se vérifie aussi en pratique, car les utilisateurs de ces tests qui sont venus témoigner à ce sujet ont mis en exergue la similitude, voire la confusion entre les deux profils. Ils indiquent que les profils NOVA 2 et Arc En Ciel évaluent les mêmes aspects et de la même façon un profil de quatre couleurs et huit types de personnalité de Jung. Certains utilisateurs se sont même déclarés surpris du fait que la certification de l’un ne vaut pas pour l’autre. D’ailleurs, dès 2015, et notamment dans la communication de Jasmine du 19 août 2015, Swissnova propose le profil NOVA 2 comme une évolution ou une amélioration du profil initial, lequel, bien entendu, était un profil AEC, bien que sous appellation NOVA.[67]

[Renvoi omis; soulignements ajoutés]

[105]      De même, au paragraphe 141 du jugement entrepris, le juge reconnaît que les appelants ont le droit d’obtenir un remède contre l’atteinte à leurs marques de commerce :

[141] AEC n’a par ailleurs subi aucun dommage ou encore est l’artisan de son propre malheur. Les Motivations no 2 lui appartiennent en revanche. Elle a aussi le droit de faire cesser toute atteinte aux marques de commerce et prévenir toute confusion future.[68]

[Soulignement ajouté]

[106]      Les appelants soutiennent que le juge aurait non seulement dû reconnaître l’existence d’une pratique contrevenant à la L.m.c., mais également leur octroyer une réparation pécuniaire pour leur préjudice, par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires ainsi que par la condamnation à des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 53.2 L.m.c.

[107]      Bien que les appelants aient réussi à démontrer leur préjudice probable[69], soit la perte d’achalandage et de ventes, ils n’ont toutefois pas été en mesure de le quantifier. L’avocate des appelants a d’ailleurs admis, lors de l’audience, que les appelants n’avaient pas établi le quantum de leurs dommages, n’ayant pas été en mesure d’obtenir les informations sur les profits réalisés par les intimés à la suite de la commercialisation du Profil NOVA 2.0.

[108]      Se fondant sur l’article 53.2 de la L.m.c. et l’arrêt Boulangerie Canada Bread ltée c. Boulangerie Saint-Méthode[70], ils demandent à la Cour de déterminer les dommages-intérêts sans la preuve des profits réalisés par les intimés et de condamner ces derniers à leur payer une somme, à titre symbolique, comme le permet la jurisprudence[71] :

[82]  Lorsqu’il est entendu qu’un préjudice a été subi, mais que rien n’établit le montant de la perte, il arrive parfois que des dommages-intérêts symboliques soient accordés. Toutefois, lorsque le demandeur a établi une contrefaçon et un préjudice subi, il a droit à une évaluation optimale des dommages-intérêts par la Cour sans devoir nécessairement se contenter de dommages-intérêts symboliques.

[109]      À titre de dommages-intérêts symboliques, les appelants réclament 50 000 $ pour la période pendant laquelle il y avait confusion, soit entre la fin de la relation contractuelle, vers la fin 2014, et le début de l’année 2016, lorsque les intimés ont cessé d’associer le Profil NOVA au profil NOVA 2.0. Ils demandent également de se voir octroyer 15 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs pour chacun des intimés, pour un total de 75 000 $.

[110]      L’exercice consistant à arbitrer les dommages-intérêts devant être accordés est, en l’espèce, plutôt difficile. Compte tenu des faits de la présente affaire et de la nature des reproches pouvant être formulés aux intimés selon la L.m.c., la condamnation solidaire des sociétés intimées au paiement d’une somme globale de 10 000 $ est raisonnable. Il n’y a toutefois pas lieu de condamner personnellement Guy Bélanger et Jasmine Bélanger au paiement de ces sommes puisque la concurrence déloyale a été faite par l’intermédiaire de ces entités commerciales, et la preuve qui justifierait leur condamnation personnelle n’a pas été faite.

[111]      Enfin, je suis d’avis qu’il n’est pas opportun d’accorder des dommages-intérêts punitifs sur le fondement du paragraphe 53.2 L.m.c., compte tenu de l’absence de risque de récidive (les intimés ayant cessé la commercialisation trompeuse) et de l’effet dissuasif de la condamnation à des dommages-intérêts, même minimaux et symboliques. Dans ces circonstances, l’octroi des dommages-intérêts punitifs ne servirait aucun objectif de prévention.

CONCLUSION

[112]      Pour les motifs qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter l’appel incident et d’accueillir en partie l’appel principal afin d’infirmer en partie le jugement de première instance, de déclarer que le Profil NOVA 2.0 est une contrefaçon de la Méthode AEC, de condamner SOLUTIONS SWISSNOVA MONDE INC. au paiement de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts préétablis en application de l’article 38.1 de la L.d.a. et de condamner solidairement SERVICES SWISSNOVA INC. et SOLUTIONS SWISSNOVA GLOBAL INC. à payer 10 000 $ pour avoir enfreint l’alinéa 7b) L.m.c. en ayant fait usage d’une marque de commerce causant la confusion avec celle des appelants.

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 


[1]  Arc En Ciel RH c. Services Swissnova inc., 2021 QCCS 1187, tel que rectifié le 19 avril 2021 [jugement entrepris].

[2]  Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42.

[3]  Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13.

[4]  Jugement entrepris, paragr. 53-55.

[5]  Id., paragr. 64, 71 et 73.

[6]  Art. 2.7, 13 et 41.23 L.d.a. Voir aussi Université York c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2021 CSC 32, paragr. 62 et 74; Euro Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, notamment paragr. 26-32; Druide Informatique inc. c. Éditions Québec Amérique inc., 2020 QCCA 1197, paragr. 50-51, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 18 mars 2021, no 39391.

[7]  Pièce P-4, Contrat de distribution du 25 octobre 2006.

[8]  Pièce P-54, Contrat de licence du 15 mars 2005 et certificat de licence daté du 22 juin 2016.

[9]  Jugement entrepris, paragr. 1-6.

[10]  Id., paragr. 53-55.

[11]  Id., paragr. 64, 71 et 73.

[12]  Id., paragr. 83.

[13]  Id., paragr. 87-123.

[14]  Id., paragr. 138 et 153.

[15]  Les questions que pose le pourvoi principal sont uniquement liées au dossier 500-17-094519-165.

[16]  Jugement entrepris., paragr. 45-49.

[17]  Pièce D-47, Précision des demandeurs concernant d’autres outils psychométriques, 6 décembre 2016.

[18]  Jugement entrepris, paragr. 49.

[19]  Id., paragr. 46-49.

[20]  RTI Turbo inc. c. Canada Allied Diesel Company Ltd., 2007 QCCA 1420, paragr. 6.

[21]  Jugement entrepris, paragr. 54-55.

[22]  CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, paragr. 16 cité dans Stoyanova c. Syndic de Disques Mile End inc., 2018 QCCA 1788, paragr. 13, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 18 avril 2019, no 38456.

[23]  Druide Informatique inc. c. Éditions Québec Amérique inc., supra, note 6, paragr. 46.

[24]  Jugement entrepris, paragr. 83.

[25]  Id., paragr. 80 et 83.

[26]  Demande introductive d’instance en injonction permanente et en dommages et demande d’injonction interlocutoire, datée du 16 juin 2016, paragr. 13 et Demande introductive d’instance modifiée en injonction permanente et en dommages, datée du 17 août 2016, paragr. 46.

[27]  Jugement entrepris, paragr. 79-80.

[28]  Cela est exact aux termes des articles 2.7, 13 et 41.23 L.d.a. Voir aussi Université York c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), supra, note 6, paragr. 62 et 74; Euro Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., supra, note 6, notamment paragr. 26-32; Druide Informatique inc. c. Éditions Québec Amérique inc., supra, note 6, paragr. 50-51 et 59.

[29]  Jugement entrepris, paragr. 56-57, citant CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, supra, note 22, paragr. 28.

[30]  Jugement entrepris, paragr. 73.

[31]  Id., paragr. 83.

[32]  Pièce P-54, supra, note 8, p. 2. Ces « Cleaver Instruments » y sont définis ainsi : « “Cleaver Instruments” as defined herein include the following: SelfDISCription, Motivating Values, along with the Human Factor Job. Moreover, DuMar has worked with PVOE and Patrice FABART in developing the Reports and Customer Instruments for Motivating Values and styles that will be used in the PVOE and Patrice FABART offerings [sic] ». Dans le dossier en appel, il s’agit des pièces P-61, Questionnaire Self DISCription (The Cleaver Company); P-62, Questionnaire Motivating Values (The Cleaver Company); P-63, Questionnaire Job DISCription.

[33]  Pièce P-54, supra, note 8, p. 2-5.

[34]  Id., p. 2-5.

[35]  Témoignage de Patrice Fabart, 21 octobre 2020, p. 3310, 3316-3317, 3319, 3322-3323 et 3337-3341.

[37]  Mémoire des intimés, appelants incidents, 20 décembre 2021, paragr. 64.

[38]  Témoignage de Patrice Fabart, 21 octobre 2020, p. 3310, 3316-3317, 3319, 3322-3323 et 3337-3341.

[39]  Jugement entrepris, paragr. 54.

[40]  Ibid.

[41]  Druide Informatique inc. c. Éditions Québec Amérique inc., supra, note 6, paragr. 50-51 citant Harmony Consulting Ltd. c. G. A. Foss Transport Ltd., 2012 CAF 226, paragr. 31. Voir aussi : Jean-Philippe Mikus, dans JurisClasseur Québec, vol. « Propriété intellectuelle », Montréal, Lexis Nexis, 2018 (feuilles mobiles, mise à jour, décembre 2022), « Recours en contrefaçon », p. 9/79.

[42]  Jugement entrepris, paragr. 64-65 et 71. Voir aussi les paragraphes 66-67 ainsi que la Pièce P-107, Rapport d’expertise du 28 juin 2017 de Philippe Longpré, p. 2007-2211; Témoignage de Philippe Longpré, 23 octobre 2020, p. 3803, lignes 7-22, p. 3809, ligne 24 à p. 3810, ligne 4, p. 3813, lignes 7 à p. 3816, ligne 13.

[43]  Témoignage de Guy Bélanger, 27 octobre 2020, p. 4187.

[44]  Id., p. 4190-4191.

[45]  Id., p. 4193.

[46]  Id., p. 4234-4235.

[47]  Id., p. 4239-4242.

[48]  Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, paragr. 25-27.

[49]  Id., paragr. 35-36.

[50]  Jugement entrepris, paragr. 70-73.

[51]  Id., paragr. 84.

[52]  Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson, 2010 QCCA 1287, paragr. 36.

[53]  2424508 Ontario Ltd c. Rallysport Direct LLC, 2022 CAF 24, paragr. 29.

[55]  Jugement entrepris, paragr. 103.

[56]  Les appelants s’appuient sur la décision Régie du bâtiment du Québec c. Cours Construction Forcier inc., supra, note 54, laquelle n’a pas été suivie par la jurisprudence ultérieure. Cette décision n’a été citée qu’une fois, dans Desrosiers c. Institut de formation en zoothérapie appliquée (IFZA) inc., 2023 QCCQ 1523. Dans cette dernière affaire, au paragraphe 41, un juge de la Cour du Québec, division des petites créances, mentionne ce jugement lorsqu’il fait un survol des dommages-intérêts préétablis octroyés par les tribunaux par le passé. Il souligne alors que « le calcul des dommages préétablis se fait par œuvre et non sur la base de chaque exemplaire contrefait ». Voir aussi le paragraphe 36 de cette dernière affaire, citant Drouin (Succession de Côté-Droin) c. Pépin, 2020 QCCS 1424, paragr. 31.

[57]  Jean-Philippe Mikus, « Recours en contrefaçon », supra, note 41, p. 9/126, citant Microsoft Corporation c. PC Village Co. Ltd., 2009 CF 401; Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 2006 CF 1509. Ce passage est cité dans l’affaire Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin, supra, note 56, paragr. 31.

[58]  2424508 Ontario Ltd. c. RallySport Direct LLC, supra, note 53, paragr. 10. Dans cette affaire, il s’agissait de 1 430 photographies.

[59]  Patterned Concrete Mississauga Inc. c. Bomanite Toronto Ltd., 2021 CF 314, paragr. 61.

[60]  Bell Canada c. L3D Distributing Inc. (INL3D), 2021 CF 832, paragr. 98.

[61]  Id., paragr. 99.

[62]  Ibid.

[63]  Rallysport Direct LLC v. 2424508 Ontario Ltd., 2020 CF 794, paragr. 47-48.

[64]  Jugement entrepris, paragr. 86.

[65]  Boulangerie Canada Bread ltée c. Boulangerie St-Méthode inc., 2013 QCCA 1503, paragr. 16.

[66]  Jugement entrepris, paragr. 70; Pièce P-66, Courriel de Mme Jasmine Bélanger du 19 août 2015; Témoignage de Jean Vézina, 27 octobre 2020.

[67]  Jugement entrepris, paragr. 70.

[68]  Id., paragr. 141.

[69]  Boulangerie Canada Bread ltée c. Boulangerie St-Méthode inc., supra, note 65, paragr. 16 et 61.

[70]  Ibid.

[71]  Stork Market Inc. c. 1736735 Ontario Inc. (Hello Pink Lawn Cards Inc.), 2017 CF 779, paragr. 82. Dans le même sens, voir : Harley-Davidson Motor Company Group, LLC c. Manoukian, 2013 CF 193, paragr. 39-45; Microsoft Corporation v. 9038-3746 Quebec Inc., 2006 FC 1509, paragr. 103. Cette jurisprudence a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, notamment dans Kwan Lam c. Chanel S. de R.L., 2016 CAF 111, paragr. 17.

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