Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Vallières c. R.

2020 QCCA 372

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-10-003300-162

200-10-003310-161

(400-01-069882-124)

 

(400-01-070345-137)

 

200-10-003329-179

200-10-003479-180

 (400-01-069892-123)

((400-01-075233-148)

((400-01-084989-177)

 

DATE :

4 mars 2020

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

 

N° :

200-10-003300-162

(400-01-069882-124)

 

RICHARD VALLIÈRES

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

N° :

200-10-003310-161

(400-01-070345-137)

 

RAYMOND VALLIÈRES

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

N° :

200-10-003329-179

(400-01-069892-123)

 

ÉTIENNE ST-PIERRE

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

et

JEAN H. PHILIPPE

MIS EN CAUSE

 

 

N° :

200-10-003479-180

(400-01-075233-148)

(400-01-084989-177)

 

AVIK CARON

REQUÉRANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

I.    INTRODUCTION

[1]           Les accusations dans les dossiers qui font l’objet de cet arrêt ont été portées à l’issue de l’enquête « Luisance » concernant le vol de sirop d’érable à l’entrepôt situé au 150, rue Industrielle à St-Louis-de-Blandford, dans la région du Centre-du-Québec en 2011-2012 et, dans le cas d’une accusation portée dans un autre contexte uniquement contre l’appelant Caron, à l’issue de l’enquête « Loutre ».

1.         Les jugements rendus contre les appelants Vallières et St-Pierre par la Cour supérieure

[2]           Les appelants Richard Vallières, Raymond Vallières et Étienne St-Pierre ont subi un procès conjoint devant un jury présidé par l’honorable juge Raymond W. Pronovost.

[3]           Le jury a rendu ses verdicts le 12 novembre 2016.

[4]           Richard Vallières a été déclaré coupable de vol, ainsi que de fraude et de trafic de biens obtenus criminellement.

[5]           Étienne St-Pierre a lui aussi été déclaré coupable de fraude et de trafic de biens obtenus criminellement.

[6]           Raymond Vallières a quant à lui été déclaré coupable de possession de biens obtenus par la perpétration d’un acte criminel.

[7]           Richard Vallières et Raymond Vallières se pourvoient contre les verdicts de culpabilité en soulevant que le juge Pronovost a erré dans son jugement interlocutoire rendu oralement le 7 octobre 2016 rejetant leurs requêtes en arrêt des procédures pour délai déraisonnable[1].

[8]           Étienne St-Pierre se pourvoit quant à lui contre le verdict de culpabilité rendu par le jury aux motifs que le juge Pronovost n’aurait pas dû accepter l’acte d’accusation tel que présenté par le ministère public, d’une part, et que son avocat en première instance aurait fait défaut de lui apporter une assistance effective, d’autre part. St-Pierre a par ailleurs abandonné lors de l’audience de l’appel ses moyens relatifs aux erreurs qu’aurait commises le juge dans ses directives au jury.

[9]           Richard Vallières se pourvoit par ailleurs contre la peine prononcée par le juge Pronovost le 28 avril 2017, lequel l’a condamné :

-           à purger 88 mois d’emprisonnement, soit 96 mois moins une déduction de 8 mois pour le temps de détention présentenciel;

-           à restituer à la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (la « Fédération ») la somme de 606 501,56$;

-           à payer une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité au montant total de 9 393 498,44 $ dans un délai de 10 ans, à défaut de quoi le juge le condamne à une peine d’emprisonnement consécutive de 6 ans.

2.         Les jugements de la Cour du Québec (l’honorable Jacques Lacoursière) contre l’appelant Avik Caron

[10]        Dans le dossier relatif à l’enquête « Luisance » concernant le vol de sirop d’érable, Caron a plaidé coupable aux accusations de vol et de trafic de biens obtenus criminellement.

[11]        Dans le dossier découlant de l’enquête « Loutre » entendu par la Cour du Québec conjointement avec celui précité relatif à l’enquête « Luisance », l’appelant Caron a plaidé coupable à l’accusation d’avoir frustré la société d’assurance l’Industrielle Alliance d’une somme d’argent d’une valeur dépassant 5 000 $.

[12]        L’appel de Caron ne porte pas sur la peine d’emprisonnement globale de 72 mois que le juge lui a imposée dans ces deux dossiers, moins une déduction de 33 mois pour sa détention présentencielle. Il se pourvoit uniquement contre les volets de la peine prononcée le 21 avril 2017 par le juge Lacoursière le condamnant à payer deux amendes compensatoires à la confiscation des produits de la criminalité totalisant 1 693 047,11 $, soit 1 200 000 $ dans le dossier découlant de l’enquête « Luisance » et 493 047,11 $ dans celui découlant de l’enquête « Loutre », et ce, dans un délai de cinq ans et six mois. À défaut de paiement dans ce délai, le juge a ordonné l’emprisonnement de Caron pour une durée consécutive de cinq ans.

II.   CONTEXTE GÉNÉRAL

[13]        L’enquête « Luisance » concernant le vol de sirop d’érable est la plus importante enquête de la Sûreté du Québec en termes de valeur de biens tangibles volés et de moyens d’enquête déployés. 

[14]        La trame factuelle résumée par le juge Pronovost dans son jugement sur la peine de Richard Vallières permet de mettre en contexte le rôle joué par ce dernier, Avik Caron et Étienne St-Pierre :

[2]        La Fédération des producteurs acéricoles du Québec [ci-après, « la Fédération » ou « FPAQ »] représente les producteurs et productrices de sirop d’érable du Québec. La mise en marché de la sève et du sirop d’érable au Québec est chapeautée par le plan conjoint des producteurs acéricoles du Québec.

[3]        Les acériculteurs qui produisent du sirop d’érable en vrac ou en baril doivent le commercialiser par l’intermédiaire de l’agence de vente de la Fédération. Au printemps 2011, la Fédération loua un entrepôt situé au 150, rue Industrielle à St-Louis-de-Blandford. À la suite d’un inventaire au mois de juillet 2011, 16 224 barils de sirop d’érable étaient entreposés à cet endroit.

[4]        Le 24 août 2012, la Fédération portait plainte auprès de la Sûreté du Québec pour un vol de sirop d’érable survenu à son entrepôt à St-Louis-de-Blandford. Sur les 16 224 barils entreposés, 9 571 barils furent vidés. Le vol représentait un total de 5 935 250 livres de sirop d’érable d’une valeur approximative de 17 805 750,00 $.

[5]        De ce lot, 1 130 063 livres de sirop d’érable ont été retrouvés et saisis.

[6]        L’entrepôt était la propriété de quatre personnes dont entre autres la conjointe de monsieur Avik Caron qui a planifié le vol. Celle-ci agissait comme prête-nom pour lui. Celui-ci se rendait régulièrement à l’entrepôt.

[7]        Le vol a eu lieu d’août 2011 à juillet 2012. Au mois de juin 2011, Avik Caron rencontrait pour la première fois l’accusé Richard Vallières et lui proposa l’achat de sirop d’érable et ce dernier accepta.

[8]        La Fédération avait des barils distinctifs d’une couleur spécifique dans lesquels elle entreposait le sirop d’érable. Avik Caron et son groupe s’occupaient de vider les barils de sirop d’érable de la Fédération et de les remplir d’eau. La vidange et le remplissage de barils ont été effectués à l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford par Avik Caron et ses complices en partie.

[9]        Le sirop d’érable ainsi soutiré à la Fédération était transvidé soit dans des barils ou dans des tôtes de plastique.

[10]      Richard Vallières était dans le milieu du sirop d’érable depuis plusieurs années. Il achetait du sirop d’érable en vrac des producteurs du Québec, sans passer par la Fédération. Puis, il vendait ce sirop d’érable dans d’autres provinces ou aux États-Unis, sans payer à la Fédération les droits prévus par la réglementation.

[11]      Entre autres, il en a vendu à l’entreprise S.K. Export inc. au Nouveau-Brunswick, propriété d’Étienne St-Pierre, coaccusé, ainsi qu’à Darveau Évaporators à Sherbrooke qui eux le revendaient à des transformateurs de produits d’érable et l’exportaient également à l’extérieur du pays.

[12]      Le transport de ces barils se faisait généralement par camion remorque de 53 pieds, effectué principalement par Sébastien Jutras et son équipe. C’est d’ailleurs celui-ci qui a mis en contact Avik Caron et Richard Vallières, car ils ne se connaissaient pas avant juin 2011.

[13]      C’est lors d’une prise d’inventaire en juillet 2012 que la Fédération a constaté la disparition de son sirop d’érable.[2]

[15]        Raymond Vallières est quant à lui le père de Richard Vallières. Pendant la période des infractions, il était propriétaire d’une érablière à St-Adalbert dans la région de Chaudière-Appalaches. Cette érablière a servi pendant un certain temps à transvider des barils de sirop volés qui étaient ensuite remplis d’eau pompée à même un étang adjacent. Il s’agit d’un des lieux principaux d’où Richard Vallières dirigeait les opérations de recel du sirop volé à l’entrepôt de la Fédération. Raymond Vallières vendait également sa production de sirop à son fils Richard sans payer à la Fédération la cotisation par livre de sirop vendu prévue par la réglementation applicable à l’époque dans le domaine acéricole.

[16]        Dans le milieu acéricole québécois, le terme « rouleux de barils » désigne un individu qui fait l’achat et la revente de sirop en dehors de la réglementation de mise en marché. Richard Vallières était un rouleux de barils notoire depuis 10 ans jusqu’à son arrestation.

[17]        Les « tôtes » de plastique utilisées par les complices sont des contenants de 1 000 litres en plastique avec une armature de métal qui servent généralement à l’entreposage de produits chimiques. Elles constituaient donc un risque pour la santé. Des employés de Richard Vallières sont d’ailleurs tombés malades en consommant du sirop contenu dans ces tôtes. Parmi le sirop saisi durant l’enquête, 710 366 livres durent être détruites puisqu’il était devenu impropre à la consommation.

[18]        Les camions-remorque de 53 pieds utilisés par les complices pour le transport des cargaisons de sirop volé contenaient chacun environ 45 000 livres[3]. Les barils de la Fédération contiennent 45 gallons de sirop pesant en moyenne 650 livres brut. Durant la période infractionnelle, la Fédération achète le sirop des producteurs à un coût moyen de 2,82 $ la livre et le revend au prix de 3,15 $ la livre. Selon les témoignages d’Avik Caron et de Richard Vallières, ce dernier payait entre 75 000 $ et 100 000 $ par livraison de sirop de 45 000 livres. Richard Vallières revendait le sirop à un prix variant selon ses clients, mais sous le prix de vente de la Fédération. Étienne St-Pierre achetait le sirop de Richard Vallières au prix de 2,50 $ la livre.

[19]        Le ministère public estime à 95 les cargaisons que Richard Vallières aurait achetées pour écouler le sirop volé. Selon son témoignage, ce dernier aurait reçu entre 100 et 150 livraisons. Avik Caron estime plutôt entre 80 et 95 le nombre de cargaisons achetées par Richard Vallières, livrées par autant de camions de 53 pieds.

[20]        À l’époque, lorsque les producteurs vendent leur sirop en vrac à un acheteur autorisé selon la réglementation de mise en marché, ils doivent payer une cotisation à la Fédération de 0,12 $ par livre.

III.  REQUÊTES EN ARRÊT DES PROCÉDURES DES APPELANTS RICHARD VALLIÈRES (200-10-003300-162) ET RAYMOND VALLIÈRES (200-10-003310-161)

A.  Faits et procédures

1.   Richard Vallières

[21]        Le 17 décembre 2012, une dénonciation-mandat d’arrestation est lancée contre Richard Vallières comportant quatre chefs d’accusation de complot pour vol, fraude, trafic et possession dans le but de faire le trafic de biens obtenus par la commission d’un crime.

a)   Succession d’avocats

[22]        De décembre 2012 au 28 août 2013, Richard Vallières est représenté par Me Sarto Landry. Me Landry est déclaré inhabile le 28 août 2013 pour cause de conflit d’intérêts. Ce dernier représentait 11 autres coaccusés.

[23]        Du 20 septembre 2013 au 18 octobre 2013, Richard Vallières est représenté par Me Guylaine Gauthier. Cette dernière est déclarée inhabile le 18 octobre 2013.

[24]        Richard Vallières n’est pas représenté entre le 18 octobre 2013 et le 8 mai 2014. Du 9 mai 2014 à la présentation de la requête en arrêt des procédures, il est représenté par Me René Duval.

b)   Communication de la preuve et enquête préliminaire

[25]        Le 20 juin 2014, le ministère public communique à la défense un rapport d’enquête de 2850 pages de la Sûreté du Québec. Selon le ministère public, ce rapport constitue un résumé de la preuve déjà transmise à la défense. Lors de l’audition de la requête en arrêt des procédures, l’avocat de Richard Vallières affirme que la communication de la preuve est substantiellement réglée le 20 juin 2014 avec la communication du rapport d’enquête de la SQ.

[26]        Le 26 août 2014, l’enquête préliminaire devait être fixée. La défense n’a pas encore transmis sa liste de témoins. L’avocat de Richard Vallières explique qu’il n’a pas été en mesure de compléter la lecture du rapport de la SQ reçu en juin 2014 en raison « des vacances et des petits problèmes de santé » et parce que « c’est un dossier volumineux ». Le dossier est remis au 2 octobre 2014 pour fixer les dates de l’enquête préliminaire.

[27]        Le 2 octobre 2014, Richard Vallières transmet une liste des témoins qu’il souhaite entendre à l’enquête préliminaire. Le ministère public, quant à lui, communique une preuve supplémentaire provenant de coaccusés qui ont décidé de collaborer avec la poursuite et annonce que de la preuve supplémentaire sera encore communiquée dans les semaines suivantes. Le dossier est remis de consentement au 16 décembre 2014 afin de terminer la communication de la preuve et d’entamer des discussions dans le but de raccourcir la durée de l’enquête préliminaire.

[28]        Le 24 mars 2015, l’enquête préliminaire est fixée au 12 novembre 2015. La défense renonce au délai entre ces dates. Les appelants sont cités à procès à l’issue de l’enquête préliminaire.

[29]        Le 12 novembre 2016, le jury déclare Richard Vallières coupable de tous les chefs d’accusation.

2.   Raymond Vallières

[30]        Les faits et procédures sont essentiellement les mêmes pour Richard et Raymond Vallières. Les seules différences concernent la date de comparution, les délais causés par les substitutions d’avocats et la date du dépôt du formulaire de demande d’enquête préliminaire.

[31]        Le 1er février 2013, une dénonciation-mandat d’arrestation est lancée contre Raymond Vallières comportant un chef d’accusation de possession dans le but de trafic de biens obtenus par la commission d’un crime. Le 4 février 2013, Raymond Vallières comparaît devant la Cour du Québec, district de Trois-Rivières. Il est mis en liberté sous conditions.

[32]        Le 12 novembre 2016, le jury déclare Raymond Vallières coupable.

a)   Enquête préliminaire

[33]        L’enquête préliminaire de Raymond Vallières a lieu en même temps que celle de Richard Vallières, en novembre 2015.

b)   Qualification non contestée des délais en première instance

[34]        Les parties s’entendent sur le calcul du délai total entre le dépôt des accusations et la fin du procès anticipée, le 18 décembre 2016. Ce délai totalise 1 413 jours ou environ 46,3 mois.

[35]        Lors de l’audition de la requête en arrêt des procédures, Raymond Vallières reconnaît avoir causé un délai de 439 jours, mais n’admet aucune renonciation.

[36]        Quant à la qualification juridique des délais, en plaidoirie, son avocate, Me Lafleur, annonce qu’elle « va s’en remettre aux arguments de maître Duval », l’avocat de Richard Vallières.

[37]        Me Lafleur ne produit pas la déclaration sous serment de Raymond Vallières puisqu’elle estime que le délai net, en l’occurrence 32,3 mois, dépasse le plafond de 30 mois, que le préjudice est présumé, qu’elle n’a donc pas besoin d’en faire la preuve, et qu’il revient par conséquent au ministère public de démontrer que son client n’a pas subi de préjudice.

C.  Jugement entrepris

1.    Remarques préliminaires

[38]        Lors de la conférence préparatoire, le juge Pronovost critique le manque de sérieux des requêtes en arrêt des procédures telles que déposées.

[39]        Lors de l’audition de ces requêtes, l’avocat de Richard Vallières corrige à la baisse son calcul du délai pour un total de 31,67 mois. Le juge Pronovost s’adresse alors à Me Duval dans ces mots :

Croyez-vous honnêtement, maître Duval, avec vos chiffres […] que pour un mois je vais faire l’arrêt des procédures? […] Pensez-vous que la Cour d’appel va me maintenir? […] Dans une période transitoire? […] Mais il faut quand même être sérieux.

2.   Richard Vallières

[40]        Le juge note que les chiffres suivants ne sont pas contestés : le délai total entre le dépôt des accusations et la fin anticipée du procès est de 1 460 jours, la défense a renoncé à 233 jours, a causé 261 jours de délai, pour un délai net de 966 jours, ce qui représente 31,6 mois.

[41]        Le juge impute 100 jours supplémentaires à la défense pour défaut de se constituer un avocat dans un délai raisonnable à la suite de la déclaration d’inhabilité de Me Gauthier le 18 octobre 2013. Ce calcul tient compte d’un délai de 64 jours déjà admis par la défense, ainsi qu’un délai de grâce d’un mois. Le juge note que l’avocat de Richard Vallières a admis que ce délai supplémentaire doit être imputé à la défense.

[42]        Le juge conclut que le délai net de 866 jours, soit 28,2 mois, se trouve sous le plafond de 30 mois, ce qui est un motif suffisant pour rejeter la requête de Richard Vallières.

3.   Raymond Vallières

[43]        Le juge note que les chiffres suivants ne sont pas contestés : le délai total entre le dépôt des accusations et la fin anticipée du procès est de 1 414 jours, la défense a causé 439 jours de délai, pour un délai net de 975 jours, ce qui représente 31,93 mois.

[44]        Le juge impute 129 jours supplémentaires à la défense pour défaut de se constituer un avocat dans un délai raisonnable à la suite de la déclaration d’inhabilité de Me Landry le 28 août 2013. Ce calcul tient compte d’un délai de 124 jours déjà admis par la défense, ainsi qu’un délai de grâce d’un mois.

[45]        Le juge conclut que le délai net de 846 jours, soit 27,75 mois, se trouve sous le plafond de 30 mois, ce qui est un motif suffisant pour rejeter la requête.

4.   Motifs supplémentaires

[46]        Le juge, citant l’arrêt Béliveau[4], ajoute que des délais supplémentaires pourraient être imputés à la défense en raison des multiples substitutions d’avocats et des remises de consentement qui peuvent indiquer une renonciation implicite aux délais.

[47]        En outre, le juge rappelle sommairement les chiffres reliés à l’étendue du vol, le volume de la preuve et la quantité initiale de coaccusés pour conclure qu’il s’agit d’une affaire complexe et précise que la mesure transitoire peut s’appliquer à ce dossier, sans indiquer exactement s’il considère qu’il s’agit d’une affaire particulièrement complexe en soi ou s’il considère la complexité au niveau de l’application de la mesure transitoire.

D.  Questions en litige

[48]        Le seul enjeu concerne la question de savoir si le juge a erré en rejetant les requêtes en arrêt des procédures de Richard et Raymond Vallières. Les appelants prétendent que le juge a erré :

·        en imputant des délais à la défense alors que la communication de la preuve n’était pas complétée;

 

·        en imputant à la défense des délais causés par les requêtes en déclaration d’inhabilité des avocats de la défense déposées par le ministère public;

 

·        en mentionnant que les remises consenties par la défense pouvaient constituer une renonciation;

 

·        en concluant que l’affaire est complexe;

 

·        en déterminant que la mesure transitoire exceptionnelle s’applique à cette affaire.

E.  Droit applicable

1.    Le cadre général d’analyse

[49]        Pour une affaire instruite devant une cour supérieure à l’issue d’une enquête préliminaire, un plafond de 30 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès, en déduisant les délais imputables à la défense, est établi, au-delà duquel le délai est présumé déraisonnable. À moins que la poursuite ne démontre la présence de circonstances exceptionnelles, un arrêt des procédures doit être ordonné[5].

[50]        Si le délai net, après déduction des délais imputables à la défense, est inférieur au plafond de 30 mois, le délai est présumé raisonnable. Par conséquent, le fardeau incombe à la défense de démontrer que ce délai est néanmoins déraisonnable en faisant la preuve (1) « d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être »[6]. Ce n’est que dans les affaires les plus manifestes qu’un arrêt des procédures est ordonné lorsque le délai est inférieur au plafond applicable[7].

[51]        Dans le calcul du délai net, la Cour suprême précise que le délai imputable à la défense comprend (1) le délai que la défense renonce à invoquer et (2) le délai qui résulte uniquement de la conduite de la défense[8]. Le second volet concerne le délai causé par des demandes dilatoires ou lorsque la défense cause directement le délai alors que le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder[9], notamment quand la défense adopte une « attitude attentiste »[10] ou en raison d’une substitution d’avocat[11].

[52]        Toutefois, « le temps nécessaire pour traiter les mesures prises légitimement par la défense afin de répondre aux accusations portées contre elle est exclu du délai qui lui est imputable »[12], ce qui inclut le temps raisonnable de préparation des procédures et les demandes non frivoles. Les délais qui en résultent sont déjà compris dans le plafond[13].

[53]        Ce nouveau cadre d’analyse s’applique aux affaires déjà en cours lors du prononcé de l’arrêt Jordan en juillet 2016[14].

2.   Les circonstances exceptionnelles et la complexité de l’affaire

[54]        Si le délai dépasse toujours le plafond après déduction du délai imputable à la défense, les circonstances exceptionnelles sont la seule justification qui peut être invoquée par le ministère public[15]. Elles sont décrites dans Jordan comme :

Des circonstances indépendantes de la volonté du ministère public, c’est-à-dire (1) qu’elles sont raisonnablement imprévues ou raisonnablement inévitables, et (2) que l’avocat du ministère public ne peut raisonnablement remédier aux délais lorsqu’ils surviennent.[16]

 

[Italiques dans l’original]

Exceptional circumstances lie outside the Crown’s control in the sense that (1) they are reasonably unforeseen or reasonably unavoidable, and (2) Crown counsel cannot reasonably remedy the delays emanating from those circumstances once they arise.

 

(Italics in original)

 

[55]        Le ministère public doit « démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables qui étaient à sa portée pour éviter et régler le problème avant » que le plafond ne soit dépassé[17]. Il s’agit là d’une obligation de moyens pour le ministère public, qui n’a pas à démontrer que ses efforts ont porté fruit[18].

[56]        Il existe deux catégories de circonstances exceptionnelles : les événements distincts et les affaires particulièrement complexes[19]. La présente affaire ne concerne que la question de la complexité.

[57]        Lorsqu’il invoque ce second type de circonstances exceptionnelles, le ministère public doit justifier l’étendue du dépassement du plafond par la particularité exceptionnelle de l’affaire.

[58]        L’analyse de la complexité de l’affaire « se concentre sur la nature de la preuve ou sur les questions soulevées par le procès et leur impact sur la durée exceptionnelle du procès ou de sa préparation ». Les tribunaux retiennent notamment le nombre de témoins, le volume de la preuve, la complexité des expertises, le nombre d’accusations, le temps nécessaire pour traiter les requêtes préliminaires légitimes, le nombre et la complexité des questions litigieuses importantes, etc.[20]. Entre autres, lorsque « la défense exprime le besoin d’une plus longue préparation, ceci peut bien être l’indice important d’une cause complexe au sens des circonstances exceptionnelles et de la mesure transitoire »[21].

[59]        Ceci dit, il ne suffit pas de démontrer que l’affaire est complexe : le ministère public doit également démontrer qu’il a tenté de mitiger les délais en établissant et suivant « un plan concret pour réduire au minimum les retards occasionnés par une telle complexité »[22]. Dans l’arrêt R. c. Rice, cette Cour précise que « [l]e temps dont dispose le ministère public pour […] réagir [à la complexité de l’affaire] avant l’atteinte du plafond devient évidemment un élément important de l’analyse »[23].

3.   La mesure exceptionnelle transitoire

[60]        Pour les affaires ayant débuté avant le prononcé de l’arrêt Jordan, la Cour suprême prévoit l’application d’une mesure exceptionnelle transitoire. Cette mesure requiert d’appliquer « un examen contextuel, eu égard à la manière dont l’ancien cadre d’analyse a été appliqué »[24]. La Cour justifie cette mesure par la nécessité d’appliquer le nouveau cadre d’analyse « selon le contexte et avec souplesse aux affaires déjà en cours » puisqu’il serait « [injuste] de juger rigoureusement les participants au système de justice criminelle au regard de normes dont ils n’avaient pas connaissance »[25]. Une telle approche contextuelle vise notamment à éviter une vague d’arrêts de procédures comme ce fut le cas après le prononcé de l’arrêt Askov[26].

[61]        Lorsque le délai net excède le plafond, la mesure transitoire exceptionnelle peut s’appliquer dans deux situations: (1) si les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable; ou (2) si la cause est moyennement complexe dans une région confrontée à des problèmes de délais institutionnels importants[27].

[62]        À cette étape, les facteurs d’analyse sous Morin demeurent pertinents. Dans Cody, la Cour suprême reformule ainsi cette étape de l’analyse de la mesure transitoire :

[…] Il est permis au ministère public de démontrer qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir pris de mesures additionnelles, étant donné que le délai lui apparaissait raisonnable eu égard à sa compréhension du droit avant Jordan et à la manière dont ce délai et d’autres facteurs tels la gravité de l’infraction et le préjudice étaient évalués suivant l’arrêt Morin[28].

(…) the Crown may show that it cannot be faulted for failing to take further steps, because it would have understood the delay to be reasonable given its expectations prior to Jordan and the way delay and the other factors such as the seriousness of the offence and prejudice would have been assessed under Morin.

[63]        Le préjudice réel subi par l’accusé et la gravité de l’infraction conservent ainsi une certaine pertinence. Puisqu’ils « ont souvent joué un rôle décisif » dans l’ancien cadre d’analyse, ils « peuvent donc aider à déterminer si les parties se sont raisonnablement fondées sur l’état antérieur du droit »[29]. Ces facteurs ne permettent pas en soi de décider d’appliquer ou non la mesure transitoire, mais bien uniquement de déterminer si les parties s’étaient fondées sur l’état antérieur du droit[30].

[64]        Dans l’ancien cadre d’analyse, il est possible de déduire qu’un délai prolongé cause préjudice à l’accusé[31]. Le tribunal doit cependant tenir compte du comportement de l’accusé qui ne correspond pas à un désir d’être jugé rapidement pour évaluer son préjudice[32]. Ainsi, une conduite de l’accusé qui n’équivaut pas à une renonciation peut néanmoins être symptomatique d’une absence de préjudice réel[33]. L’absence d’empressement est par conséquent un facteur pertinent pour évaluer si la mesure transitoire trouve application parce que les parties se sont raisonnablement conformées au droit antérieur[34].

[65]        La conduite des parties pour tenter de surmonter les délais institutionnels systémiques préexistants peut également être pertinente[35]. Il faut ainsi tenir compte des limites que ces délais institutionnels posent dans les marges de manœuvre de la poursuite, en particulier lorsque l’affaire présente un certain degré inhérent de complexité[36].

[66]        Dans sa discussion de la mesure transitoire, la Cour suprême souligne qu’un « arrêt des procédures sera encore plus difficile à obtenir pour les causes en cours d’instance lorsque le délai est inférieur au plafond »[37].

4.   La norme d’intervention

[67]        La norme d’intervention a été rappelée par cette Cour dans l’affaire Gariépy :

[L]a qualification des délais aux fins de l’alinéa 11b) de la Charte est une question de droit à l’égard de laquelle la norme d’intervention en appel est celle de la décision correcte; toutefois, les constations de faits qui sous-tendent cette qualification sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante.[38]

[68]        Dans R. c. Rice, cette Cour ajoute :

[150]    Tous conviendront qu’un nombre infini de nuances peuvent s’inviter dans la qualification et la responsabilité d’un délai. Dès lors que le juge en tient compte, la Cour suprême exhorte les tribunaux d’appel à la déférence.[39]

[69]        Ainsi, cette Cour a récemment rappelé que « si la qualification des délais peut constituer une erreur de droit, leur fondement factuel […] ne peut être l’objet d’une intervention de la Cour »[40], à moins que « ces conclusions n’aient aucune base factuelle ou, en d’autres termes, soient le résultat d’une analyse déraisonnable de la preuve »[41].

[70]        Une cour d’appel interviendra « rarement à l’égard d’une décision d’un juge de première instance portant sur l’évaluation du préjudice »[42], qui est « une question pouvant donner lieu à une erreur mixte de fait et de droit »[43].

[71]        Concernant la légitimité des actions de la défense, un tribunal d’appel doit accorder une grande déférence aux juges de première instance qui sont, selon les termes de Jordan, « particulièrement bien placés pour juger de la légitimité des agissements de la défense »[44].

[72]        Pour ce qui est des circonstances exceptionnelles, « le caractère “exceptionnel” des circonstances dépendra du bon sens et de l’expérience du juge de première instance »[45]. Ainsi, la détermination de ce qui constitue une affaire particulièrement complexe « relève entièrement de l’expertise du juge de première instance »[46]. Les conclusions relatives à la complexité de l’affaire méritent par conséquent une haute déférence en appel.

[73]        Dans le cas de l’application de la mesure transitoire, la Cour suprême écrit que « [l]’examen doit toujours être contextuel. Nous nous fions au bons sens des juges de première instance pour juger du caractère raisonnable du délai dans les circonstances de chaque cas »[47]. Dans R. c. Rice, cette Cour décrit ainsi la norme d’intervention en appel concernant l’application de la mesure transitoire : « Si le cadre d’analyse doit nécessairement être suivi et correct, la pondération des différents facteurs menant à une évaluation et à un résultat raisonnable demeure à l’abri d’une intervention du tribunal d’appel »[48].

F.   Analyse

[74]        Les appelants n’identifient aucune erreur justifiant l’intervention de cette Cour eu égard à la norme d’intervention applicable.

1.    Qualification des délais

a)    La communication tardive de la preuve

[75]        Concernant la prétention des appelants qu’aucun délai ne peut être imputé à la défense avant que la communication de la preuve ne soit complétée le 16 décembre 2014, le ministère public remarque avec justesse que cette prétention n’a jamais été soulevée en première instance et que les appelants ont admis avoir causé des délais avant cette date[49]. Les appelants ne sauraient ainsi modifier leur position en appel.

[76]        Par ailleurs, les appelants ne démontrent pas que le ministère public n’était pas prêt à procéder avant le 16 décembre 2014 en raison de la communication supposément tardive de la preuve. Plutôt, le dossier révèle que le ministère public était en attente de la position de la défense concernant l’enquête préliminaire, au moins depuis le 26 août 2014.

[77]        En somme, il n’est pas opportun dans les circonstances d’imputer au ministère public tous les délais antérieurs à la communication de la preuve à l’automne 2015 concernant des déclarations des coaccusés. Ce dernier ne pouvait raisonnablement prévoir que cette nouvelle preuve ajouterait quoi que ce soit à la preuve essentielle déjà communiquée. Le contexte en l’espèce est bien différent de celui de l’affaire Guimont sur laquelle insistent les appelants[50].

[78]        En outre, les avocats des appelants ont reconnu que la question de la communication de la preuve était substantiellement réglée le 20 juin 2014 et ont annoncé ne pas avoir de preuve ou d’observations à faire concernant la communication de la preuve lors de l’audition des requêtes en arrêt des procédures.

[79]        Bien que certaines remises aient eu lieu à la suite de la communication du rapport de la SQ et de la preuve complémentaire en automne 2014, le juge n’a imputé à la défense que les délais admis par celle-ci.

[80]        Fait intéressant, le 26 août 2014, l’avocat de l’appelant Richard Vallières, Me Duval, ne communique pas sa liste de témoins pour l’enquête préliminaire puisqu’il n’a pas terminé la lecture du rapport d’enquête communiqué deux mois auparavant en raison « des vacances et des petits problèmes de santé » et parce que « c’est un dossier volumineux ». Ces propos démontrent soit un manque de proactivité en défense ou supportent la conclusion du juge quant à la complexité de l’affaire.

b)   Délais imputables aux appelants non représentés à la suite des déclarations d’inhabilité

[81]        Quant aux délais engendrés par les requêtes en déclaration d’inhabilité des avocats, le juge n’impute à la défense que les périodes durant lesquelles les appelants n’étaient pas représentés, excluant un délai de grâce d’un mois pour se constituer de nouveaux avocats. Les avocats des appelants en première instance ont admis que cette méthode était adéquate et ont reconnu que « le temps que le client se cherche un avocat […] est imputable à la défense ».

[82]        La méthode adoptée par le juge est raisonnable et ne traduit aucune erreur révisable.

[83]        Encore une fois, les appelants ne devraient pas être autorisés à changer de position en appel.

c)   Délais nets

[84]        Les appelants n’identifient pas d’erreur dans la qualification des délais.

[85]        En somme, le calcul des délais par le premier juge est correct et les appelants ne satisfont pas leur fardeau.

IV. APPEL DU VERDICT DE CULPABILITÉ DE L’APPELANT ÉTIENNE ST-PIERRE (200-10-003329-179)

[86]        Tel que mentionné précédemment, l’appelant St-Pierre se pourvoit contre le verdict de culpabilité rendu par le jury le déclarant coupable de fraude et de trafic de sirop obtenu criminellement.

[87]        Lors de l’audience, St-Pierre a abandonné ses moyens d’appel concernant les directives formulées par le juge à l’intention du jury.

[88]        Il ne soulève donc en appel que les moyens fondés sur la réception de l’acte d’accusation tel que présenté par le ministère public et le défaut d’assistance effective de son avocat en première instance.

 

A.        Faits et procédures

1.    Le rôle de l’appelant

[89]        La preuve en première instance a établi que Richard Vallières dirigeait les opérations de trafic, de recel et d’exportation du sirop volé de l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford et qu’il opérait également un marché noir de sirop acheté directement de productions acéricoles québécoises en fraude de la Fédération, puisque ni les producteurs, ni Richard Vallières, ni ses intermédiaires ne payaient la cotisation de 0,12 $ par livre de sirop.

[90]        St-Pierre jouait quant à lui un rôle clé dans les opérations de trafic, recel et exportation, puisque son entreprise S.K Export, située à Kedgwick au Nouveau-Brunswick, a acheté d’importantes quantités de sirop de Richard Vallières, obtenu en fraude ou volé de la Fédération et destiné à l’exportation.

[91]        Dans son explication de la séquence de la preuve lors de la conférence préparatoire du 30 septembre 2016, le ministère public explique la pertinence de la preuve relative à Richard Vallières en ce qui concerne les accusations contre St-Pierre, à savoir que cette preuve permet de suivre la trace du sirop volé de l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford jusqu’à l’entreprise de St-Pierre, S.K. Export. Sur ce sujet, le ministère public plaide que le sirop volé est transporté notamment à l’érablière de Raymond Vallières, puis livré à S.K. Export par camion conduit par un employé.

2.   Procédures de mise en accusation

[92]        Le 25 septembre 2012, St-Pierre est rencontré par les enquêteurs de la Sûreté du Québec dans le cadre de l’enquête Luisance. Il donne deux déclarations consécutives aux enquêteurs, les 25 et 26 septembre 2012, où il décrit sa relation d’affaires avec Richard Vallières, alors l’un des principaux suspects du vol de l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford.

[93]        Son entrepôt de Kedgwick au Nouveau-Brunswick est ensuite saisi par les autorités le 26 septembre 2012.

[94]        Le 17 décembre 2012, un mandat d’arrêt est décerné à l’encontre de St-Pierre dans le contexte d’une première vague d’arrestations ayant lieu à la suite du déclenchement de l’enquête Luisance. Ce dernier est accusé de quatre chefs d’accusation : (1) possession de biens criminellement obtenus (al. 355.4(a) et (b), 355.5(a) C.cr.); (2) trafic de sirop criminellement obtenu (al. 355.2(a) (b), 355.5(a) C.cr.); (3) fraude envers la Fédération (al. 480(1)a) C.cr.); et (4) avoir désobéi à une ordonnance légale, soit une ordonnance de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, homologuée par la Cour supérieure, lui interdisant de transiger du sirop visé par le Plan conjoint des producteurs acéricoles du Québec (al. 127(1)a) C.cr.).

[95]        St-Pierre est informé du mandat d’arrestation et se rend au poste de la SQ à Trois-Rivières le 27 décembre 2012, où il est arrêté et détenu; il fait la troisième déclaration admise en preuve lors du procès. Il donne alors davantage de détails sur sa relation d’affaires avec Richard Vallières, nie avoir su que le sirop vendu par Richard Vallières était volé, admet que le volume d’offre de Richard Vallières a augmenté en 2012 et qu’il trouvait étrange que ce sirop lui était livré dans des tôtes de plastiques, mais explique qu’il ne posait pas de question à Richard Vallières sur la provenance du sirop.

[96]        À la suite de l’enquête préliminaire qui s’est déroulée pour l’ensemble des accusés dans la foulée de l’enquête Luisance, St-Pierre, toujours accusé seul dans son dossier, est cité à procès et décide d’être jugé devant juge et jury.

[97]        Le 18 décembre 2015, 15 individus accusés dans le cadre du projet Luisance ont opté pour être jugés devant juge et jury. Le ministère public annonce alors son intention de regrouper les dénonciations en deux actes d’accusation.

[98]        Le 25 février 2016, le ministère public dépose deux actes d’accusation conformément à son intention de tenir deux procès, le « Procès Vallières » et le « Procès Caron », St-Pierre étant accusé conjointement avec les autres inculpés dans le procès d’Avik Caron. Le libellé des chefs d’accusation concernant St-Pierre est identique à la dénonciation du 17 décembre 2012, à l’exception de certaines adaptations au niveau des lieux d’infraction vu la nature conjointe des chefs d’accusation.

[99]        Le 15 avril 2016, pendant la période de facilitation pénale s’étant déroulée entre février et juin 2016, Richard Vallières et St-Pierre annoncent vouloir fixer une date de procès. Le ministère public explique qu’ils auront un procès conjoint. Le dossier de St-Pierre est remis au 16 septembre 2016 afin d’attendre la fin de la facilitation pénale des autres inculpés.

[100]     Le 16 septembre 2016, le ministère public annonce son intention de demander la modification des actes d’accusation du 25 février 2016 afin de refléter le fait que plusieurs inculpés ont plaidé coupable à l’issue des séances de facilitation. L’intention du ministère public est de fixer le Procès Caron en premier avec St-Pierre le 17 octobre 2016. Certains avocats des accusés dans le Procès Caron n’étant pas disponibles, le procès Vallières est fixé au 17 octobre 2016.

[101]     Au retour de la pause le 16 septembre 2016, le ministère public annonce qu’il accepte de joindre St-Pierre au Procès Vallières, à la demande de celui-ci et de son avocat, Me Jean H. Philippe, étant donné le désir de St-Pierre d’« avoir un procès le plus rapidement possible ». Me Philippe confirme que cette demande provenait de son client personnellement. Au même moment, St-Pierre annonce qu’il présentera une requête en arrêt des procédures pour délai déraisonnable.

[102]     Lors de la conférence préparatoire du 30 septembre 2016, le ministère public explique les modifications apportées à l’acte d’accusation dans le cadre du Procès Vallières afin de retirer les inculpés ayant plaidé coupable et d’ajouter les chefs d’accusation concernant St-Pierre, conformément aux discussions du 16 septembre 2016. Le libellé des chefs d’accusation demeure identique à l’acte d’accusation du 25 février 2016, à l’exception des lieux des infractions et du fait que St-Pierre est désormais accusé de fraude et trafic conjointement avec Richard Vallières. Le chef d’accusation de possession de biens obtenus criminellement visant St-Pierre est retiré.

[103]     Aucun des coaccusés ne formule d’objection aux modifications apportées. L’avocat de St-Pierre, Me Philippe, affirme qu’il ne présentera pas de requête en procès séparé. Le juge Pronovost questionne le ministère public sur la pertinence du 5e chef d’accusation qui vise la désobéissance par St-Pierre à une ordonnance de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, de nature civile plutôt que criminelle.

[104]     Le 7 octobre 2016, le ministère public demande au tribunal la permission de retirer le 5e chef d’accusation qui portait sur la désobéissance par St-Pierre à une ordonnance légale de nature civile, conformément à une lettre transmise au juge Pronovost ainsi qu’aux parties. Le tribunal exige la production d’un nouvel acte d’accusation pour refléter cette modification. L’avocat de St-Pierre, Me Philippe, n’a pas d’objection. Par conséquent, le tribunal autorise le retrait du 5e chef d’accusation. Le nouvel acte d’accusation est ensuite formellement déposé plus tard en après-midi.

[105]     Étienne St-Pierre était accusé tant à titre d’auteur principal que de complice.

3.   Les admissions

[106]     Des discussions relatives aux admissions ont lieu le 30 septembre 2016 et le 20 octobre 2016 en présence de St-Pierre. Ces discussions mèneront au dépôt formel des admissions 1 à 16. St-Pierre a consenti à 12 des 16 admissions faites au cours du procès.

[107]     Les admissions 11, 13 et 14, auxquelles St-Pierre n’a pas participé, sont presque identiques à l’admission numéro 12 et portent sur le fait que, comme St-Pierre le concède dans l’admission numéro 12, ses coaccusés reconnaissent également qu’ils ne sont ni producteurs, ni acheteurs, ni mandataires autorisés par la Fédération, conformément à la réglementation de mise en marché de produits d’érable. Le juge a incité les parties à faire ces admissions afin d’éviter au poursuivant de mettre en preuve une documentation volumineuse dans le but de démontrer que les accusés n’opèrent pas en conformité avec la réglementation québécoise. L’avocat de St-Pierre est d’ailleurs intervenu pour préciser dans l’admission numéro 12 que son client demande à ce qu’une mention soit ajoutée selon laquelle il est résident du Nouveau-Brunswick.

[108]     Les autres admissions fournies dans le dossier par l’intimée ont été soit signées personnellement par St-Pierre, soit approuvées par son avocat en sa présence. Les admissions numéro 6 et 10, qui ne sont pas signées par St-Pierre, ont été approuvées par son avocat en sa présence, au motif qu’elles ne le concernent tout simplement pas, donc que les faits ainsi admis ne lui étaient pas préjudiciables.

[109]     En ce qui concerne l’admission numéro 4, le ministère public avait l’intention de mettre en preuve des documents et des procédures judiciaires entreprises par la Fédération contre St-Pierre destinés à établir sa connaissance personnelle de la réglementation québécoise de mise en marché des produits d’érable. Lors de la lecture de l’admission, St-Pierre intervient personnellement pour ajouter qu’il ne se considère pas assujetti à la réglementation québécoise, sans toutefois nier sa connaissance personnelle du cadre réglementaire du Québec.

4.   Les déclarations extrajudiciaires des coaccusés

[110]     Des déclarations extrajudiciaires pour l’ensemble des quatre coaccusés ont été admises en preuve, incluant les trois déclarations de St-Pierre susmentionnées. Aucun des coaccusés n’a prétendu que St-Pierre était impliqué dans le vol de l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford ou qu’il connaissait la provenance du sirop que Richard Vallières lui vendait.

[111]     Richard Vallières a fait une déclaration dans laquelle il décrit ses opérations dans le marché noir de sirop pendant plus de 10 ans, ainsi que ses relations d’affaires avec Avik Caron et Étienne St-Pierre. Il nie avoir participé au vol de l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford, explique qu’il a pris du temps à soupçonner Avik Caron d’être impliqué dans une entreprise criminelle, affirme qu’il a été impliqué dans cette affaire malgré lui, et prétend qu’Avik Caron et la Fédération étaient de mèche afin de le piéger. Dans sa déclaration, Richard Vallières décrit St-Pierre comme un simple client à qui il livre du sirop au Nouveau-Brunswick.

[112]     Dans sa déclaration, Raymond Vallières témoigne de sa connaissance des opérations de Richard Vallières, ainsi qu’au sujet des autres acteurs impliqués dans l’affaire du vol de l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford. Il nie que Richard Vallières ou lui-même soient impliqués dans le vol, mais sait que Richard Vallières revendait du sirop volé. Spécifiquement au sujet de St-Pierre, il confirme simplement qu’il s’agit d’un client de Richard Vallières. Raymond Vallières dit vendre sa production à Richard Vallières et ne pas faire affaire directement avec St-Pierre.

[113]     Jean Lord témoigne de son emploi de journalier, puis de camionneur pour Richard Vallières. Il admet avoir livré cinq camions de 53 pieds de sirop à S.K. Export en partant des entrepôts de Richard Vallières à St-Nicolas. Jean Lord a été acquitté du seul chef d’accusation qui pesait contre lui, soit possession de sirop volé dans le but d’en faire le trafic.

5.   Témoignage de Richard Vallières

[114]     Le témoignage de Richard Vallières confirme essentiellement le contenu de sa déclaration extrajudiciaire tout en ajoutant davantage de détails. Il ne mentionne pas St-Pierre dans son interrogatoire principal. Il soulève pour la première fois le fait que lorsqu’il a su que le sirop était volé, il a continué ses opérations uniquement en raison des menaces de mort proférées par Avik Caron.

[115]     Lors du contre-interrogatoire mené par l’avocat de St-Pierre, Richard Vallières témoigne que St-Pierre est un « rouleux de barils », qu’il n’est pas un acheteur autorisé par la Fédération et donc qu’il achète du sirop du Québec en dehors du cadre légal. Il ajoute des détails sur leur relation d’affaires.

[116]     Dans le contre-interrogatoire mené par l’avocat du ministère public, Richard Vallières précise divers aspects de sa relation d’affaires avec St-Pierre. Il témoigne notamment sur l’augmentation de son volume de vente à S.K. Export durant la période visée par les chefs d’accusation, en 2011-2012, ce que confirment les fiches clients saisies chez S.K. Export. Il souligne qu’il n’a jamais mentionné à St-Pierre que le sirop qu’il lui vendait était volé, mais que St-Pierre savait qu’il était « un gros acheteur […] capable de rouler du sirop ». Au contraire, Richard Vallières affirme que St-Pierre ne posait pas de questions sur la provenance du sirop.

6.   Le témoignage de St-Pierre

[117]     Dans son témoignage, St-Pierre confirme sa connaissance personnelle du cadre normatif gouvernant la mise en marché du sirop au Québec et admet ne pas être un acheteur autorisé conformément à la réglementation québécoise. Il insiste néanmoins sur le fait qu’il ne se considère pas assujetti à cette réglementation et qu’il ne voit pas en quoi acheter du sirop sur le marché noir Québécois constitue de la fraude. Ce moyen de défense est toutefois rejeté par le juge Pronovost.

[118]     St-Pierre reconnaît qu’il achète du sirop de producteurs québécois qui n’ont pas de quotas ou ne paient pas la cotisation légale de 0,12$ par livre à la Fédération, ce qu’il ne fait pas non plus. En outre, il confirme en substance les propos de Richard Vallières concernant leur relation d’affaires et l’augmentation du volume de vente de Richard Vallières en 2011-2012. Il avoue savoir que ce dernier « roule des barils » de sirop produit au Québec. Il nie cependant avoir connaissance de la provenance exacte du sirop de Richard Vallières.

7.   La preuve nouvelle et le défaut d’assistance effective de son avocat

[119]     Dans sa déclaration, Me Philippe affirme notamment les faits suivants concernant son client Étienne St-Pierre :

·                    il a approuvé toutes les décisions stratégiques ou juridiques;

 

·                    il a toujours manifesté l’intention de témoigner lors de son procès;

 

·                    il n’a jamais demandé la tenue d’un procès séparé et manifestait plutôt l’intention de subir son procès le plus rapidement possible;

 

·                    il a compris et était en accord avec toutes les admissions, qui étaient par ailleurs conséquentes avec le moyen de défense privilégié par St-Pierre personnellement;

 

·                    il a continué de retenir ses services pour les observations sur la peine pendant qu’il retenait les services de son avocat, Me Bernard, pour constituer son dossier d’appel, lequel comprend des allégations d’assistance ineffective à l’encontre de Me Philippe.

C.  Analyse

1.   La recevabilité de l’acte d’accusation

a)   Droit applicable

[120]     Le ministère public jouit d’un large pouvoir discrétionnaire dans la confection et la modification de l’acte d’accusation avant son dépôt formel au début du procès[51]. Le tribunal jouit également d’une large discrétion pour ordonner un procès conjoint[52]. Le consentement des accusés est un facteur pertinent, mais non déterminant[53].

[121]     Dans ses arguments, St-Pierre omet de préciser que le jugement de la Cour du Québec dans R. c. Ozcan[54] sur lequel il se fonde a été cassé en Cour supérieure pour les motifs suivants : 

[7]        Dans son évaluation, la juge intimée analyse la situation comme si c'était une demande de procès séparés.  De plus, elle impose à la poursuite le fardeau de preuve de justifier la réunion de chefs d'accusation dans un même acte d'accusation et décide que la défense n'avait pas, à cette étape, à présenter une requête pour procès séparés […].

[9]        La défense concède qu'il y a erreur de la part de la juge intimée […].

[10]      Effectivement, il est du privilège de la poursuite, en vertu des articles 574(1) et 591(1) de produire un acte d'accusation contenant plusieurs chefs d'accusation visant plusieurs infractions. C'est un pouvoir discrétionnaire qui appartient à la poursuite qui a le droit de décider du péril auquel fera face un accusé.  L'acte d'accusation devient le point de départ du procès.

[11]      Une fois le chef d'accusation déposé, le Tribunal entendra, le cas échéant, une requête pour procès séparés qui sera présentée par la défense qui a alors le fardeau, selon la balance des probabilités, de démontrer que les intérêts de la justice requièrent des procès séparés.[55]

[Soulignements ajoutés]

[122]     Dans R. c. Ozcan, la juge avait donc commis une erreur en imposant le fardeau au ministère public de démontrer que la jonction des chefs d’accusation était dans l’intérêt de la justice, et ce, particulièrement en l’absence d’une requête pour procès séparé.

[123]     L’extrait de l’affaire R. c. Blanchet cité par St-Pierre concerne une requête en arrêt des procédures pour délai déraisonnable dans laquelle la juge McKenna, j.c.q. commente un jugement antérieur de la juge Blanchard, sur une requête en procès séparé déposée par la défense :

[22]      L’accusé conteste la réunion des actes d’accusation et à la suite d’une conférence de gestion tenue devant madame la juge Sandra Blanchard, le 13 janvier 2016, il dépose une requête pour procès séparés.

[23]      Comme le ministère public n’avait pas préalablement obtenu le consentement de l’accusé ni l’autorisation de la Cour, madame la juge Blanchard devait déterminer, conformément aux enseignements jurisprudentiels, si les fins de la justice militaient en faveur de la réunion des actes d’accusation.

[124]     La juge Blanchard avait conclu qu’un procès conjoint exposait l’accusé à un procès de quatre mois plutôt que quatre jours pour un procès séparé, ce qui justifiait la séparation des chefs d’accusation.

b)   Application aux faits de l’espèce

[125]     C’est à la demande expresse de St-Pierre que l’acte d’accusation a été modifié afin de le joindre au procès Vallières parce qu’il désirait subir son procès plus rapidement. Il ne peut pas prétendre que le ministère public n’a pas obtenu son consentement ou que la jonction des chefs d’accusation lui a été préjudiciable alors que l’acte d’accusation a été modifié à sa demande et qu’il n’a pas présenté de requête en procès séparé. En outre, le libellé des chefs d’accusation est demeuré inchangé en substance depuis la dénonciation du 17 décembre 2012. D’ailleurs, le juge Pronovost a formellement autorisé la version finale de l’acte d’accusation. Enfin, tel qu’analysé précédemment, une requête en procès séparé aurait présenté de faibles chances de succès.

[126]     Ce moyen est donc rejeté.

2.   Le défaut d’assistance effective de l’avocat de première instance

a)    Prétentions des parties

[127]     St-Pierre invoque deux erreurs commises par son avocat en première instance : (i) le défaut de demander un procès séparé; et (ii) avoir consenti négligemment à des admissions.

[128]     Le ministère public souligne que St-Pierre ne présente aucune preuve tangible permettant de démontrer une incompétence ayant mené à un préjudice sérieux ou permettant de répudier les stratégies adoptées en première instance.

              i.        Le défaut de demander un procès séparé

[129]     St-Pierre prétend d’abord que le défaut de Me Philippe de présenter une demande de procès séparé en vertu du paragraphe 591(3) C.cr. démontre une incompétence qui lui a créé un préjudice sérieux susceptible d’affecter le verdict.

[130]     Au soutien, St-Pierre explique que la preuve administrée relativement aux chefs d’accusation 1 et 4 « n’avait absolument aucun rapport » avec sa propre culpabilité et lui était donc préjudiciable. Il réfère notamment à la preuve relative au vol qui ne l’impliquait aucunement et à la défense de contrainte de Richard Vallières, dont le manque de crédibilité serait susceptible d’avoir affecté sa propre crédibilité.

[131]     Le ministère public réplique qu’en matière d’entreprise criminelle commune, le procès conjoint est le principe et le procès séparé l’exception. Il ajoute que St-Pierre ne démontre aucun préjudice tangible à la lumière du fardeau de preuve en matière d’allégation d’incompétence, soit la balance des probabilités.

[132]     Le ministère public précise qu’il est faux de prétendre que la preuve relative au vol et à Richard Vallières n’avait aucun rapport avec St-Pierre. La relation d’affaire entre ce dernier et Richard Vallières était hautement pertinente aux chefs d’accusation conjoints 2 et 3, et la preuve du vol permettait d’établir la provenance illégale du sirop acheté par St-Pierre à Richard Vallières, ce qui constitue l’un des éléments essentiels de l’infraction visée au 3e chef d’accusation.

[133]     Le ministère public réfère à la nouvelle preuve, la déclaration sous serment du mis en cause, qui confirme que St-Pierre a toujours entretenu le désir de témoigner et n’a jamais exprimé la volonté de subir son procès séparément.

[134]     Enfin, le ministère public note que Jean Lord, coaccusé de St-Pierre, a été acquitté par le jury. Il observe que cet acquittement démontre que ce procès conjoint n’a pas été préjudiciable et n’a pas contaminé le jury malgré la présence de certains éléments de preuve et chefs d’accusation qui ne concernaient pas l’ensemble des accusés.

ii.   Les admissions concédées par son avocat

[135]     St-Pierre prétend que les admissions concédées par son avocat étaient « excessivement négligentes », « complètement et unilatéralement à l’avantage de la poursuite » et ont « catégoriquement nuis (sic) » à ses intérêts, particulièrement en ce qui concerne sa mens rea relative aux infractions reprochées.

[136]     Il soutient que, n’eût été les admissions et le procès conjoint, le verdict aurait été différent. Selon lui, la preuve lors d’un hypothétique procès séparé aurait été limitée au fait qu’il achetait du sirop de Richard Vallières. Il en vient à cette conclusion en soustrayant de l’ensemble de la preuve les admissions, la preuve provenant des coaccusés et relative aux chefs 1 et 4, ainsi que son témoignage (rendu selon lui nécessaire en raison des témoignages de ses coaccusés).

[137]     Selon St-Pierre, en raison des admissions préjudiciables, il a été établi qu’il avait une connaissance personnelle de la réglementation de mise en marché des produits de l’érable au Québec et que Richard Vallières ne se conformait pas à la réglementation applicable.

[138]     Le ministère public rappelle que St-Pierre était présent au cours des discussions sur les admissions, qui ont d’ailleurs été passées en revue par le juge, point par point, et qu’il a signé personnellement les admissions le concernant. En outre, Me Philippe confirme dans sa déclaration sous serment que les admissions ont toutes été discutées et approuvées par St-Pierre et qu’il a toujours voulu témoigner.

[139]     Enfin, le ministère public prétend que St-Pierre n’a subi aucun préjudice puisque les faits visés par les admissions sont corroborés par d’autres éléments de preuve, dont les trois déclarations extrajudiciaires et le témoignage de St-Pierre, ainsi que le témoignage de Richard Vallières en ce qui concerne l’admission numéro 12.

b)   Droit applicable

              i.        La norme d’intervention en matière de défaut d’assistance effective de l’avocat

[140]     Dans André c. R., cette Cour a récemment rappelé le droit applicable lorsqu’un manquement au droit à l’assistance effective de l’avocat est invoqué : 

[45]      Le droit à l’assistance effective de l’avocat est un principe de justice fondamentale, découlant de la common law, de l’article 650(3) C.cr. ainsi que des articles 7 et 11d) de la Charte. Un manquement à ce principe pourra entraîner une erreur judiciaire et ainsi justifier l’intervention de la Cour en vertu de l’article 686(1)(a)(iii) C.cr..

[46]      Dans R. c. G.D.B., la Cour suprême résume les principes applicables à une allégation d’incompétence de l’avocat : « il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté ». Ces principes reprennent ceux déjà exposés par la Cour d’appel de l’Ontario dans Joanisse et par la Cour d’appel du Québec dans Delisle.

[47]      La conduite de l’avocat s’évalue au moyen de la norme du caractère raisonnable. Il bénéficie d’une forte présomption que sa conduite « se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable ». La conduite de l’avocat mérite déférence et il faut éviter de tomber dans le piège de la « sagesse rétrospective » ou « hindsight ».

[…]

[49]      La question du préjudice est importante puisque le but de l’analyse n’est pas « d’attribuer une note au travail de l’avocat ». C’est pourquoi la Cour suprême est d’avis que dans les cas où l’absence de préjudice est évidente, il n’est pas souhaitable qu’une cour d’appel examine le travail de l’avocat. Le juge Proulx, dans Delisle, proposait pour cette raison d’examiner d’abord la question du préjudice […].

[50]      Enfin, compte tenu de la présomption de compétence, c’est à celui qui allègue l’incompétence de l’avocat de convaincre le tribunal après avoir établi les faits contestés par prépondérance. Il faudra aussi que l’avocat dont la conduite est en cause ait l’opportunité de venir expliquer la conduite qui lui est reprochée.[56]

[Renvois omis]

[141]     L’assistance ineffective de l’avocat peut causer deux types d’erreurs judiciaires. D’une part, l’équité procédurale est compromise si l’incompétence de l’avocat est omniprésente et affecte l’entièreté du processus. D’autre part, l’appelant peut démontrer que des erreurs au niveau de décisions spécifiques de l’avocat entachent la fiabilité du verdict[57].

[142]     Bien entendu, « plus la preuve à charge est forte, moins le sont les probabilités que le verdict eût été différent sans l’incompétence de l’avocat »[58] et vice versa.

ii.   Les principes et facteurs pertinents à une demande de procès séparé

 

[143]     Cette Cour ne siège pas en appel d’une décision rejetant une demande de procès séparé. Plutôt, St-Pierre reproche à Me Philippe de ne pas avoir fait une telle demande. Afin d’évaluer le préjudice qu’il a subi, il convient d’exposer sommairement les principes et facteurs pertinents à une telle demande.

[144]     L’alinéa 591(3) C.cr. est ainsi libellé :

591.  3)  Lorsqu’il est convaincu que les intérêts de la justice l’exigent, le tribunal peut ordonner : 

 

[…]

 

b) s’il y a plusieurs accusés ou défendeurs, qu’ils subissent leur procès séparément sur un ou plusieurs chefs d’accusation.

 

591.  (3)  The court may, where it is satisfied that the interests of justice so require, order:

 

(…)

 

(b) where there is more than one accused or defendant, that one or more of them be tried separately on one or more of the counts

[145]     La décision d’inclure plusieurs accusés et plusieurs chefs d’accusation dans un même acte d’accusation relève du pouvoir du ministère public[59]. Similairement, un tribunal de première instance jouit d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la décision d’accueillir une demande de procès séparé[60]. Une intervention en appel n’est justifiée que lorsque le tribunal de première instance n’agit pas selon les normes judiciaires ou si sa décision cause une injustice[61]. L’ultime question étant de déterminer « si les intérêts de la justice exigent une telle séparation » des chefs d’accusation[62].

[146]     La véritable question est de savoir si le défaut de l’avocat de première instance de présenter une demande de procès séparé sous l’angle de la question de l’injustice a effectivement causé un préjudice sérieux à St-Pierre.

[147]     À cet égard, la Cour suprême définit ainsi les considérations pertinentes à la question des « intérêts de la justice » :

[…] Les intérêts de la justice englobent le droit de l’accusé d’être jugé en fonction de la preuve admissible contre lui, ainsi que l’intérêt de la société à ce que justice soit rendue d’une manière raisonnablement efficace, compte tenu des coûts.  Le risque évident que comporte l’instruction des chefs d’accusation réunis est que la preuve admissible à l’égard d’un chef influencera le verdict sur un chef non lié.[63]

 

(…) The interests of justice encompass the accused’s right to be tried on the evidence admissible against him, as well as society’s interest in seeing that justice is done in a reasonably efficient and cost-effective manner. The obvious risk when counts are tried together is that the evidence admissible on one count will influence the verdict on an unrelated count.

[148]     Le principe veut que les individus accusés d’infractions liées à une entreprise criminelle commune ou découlant d’une même suite d’événements soient jugés conjointement, sauf s’il est établi qu’une injustice découlerait d’un procès conjoint[64]. À cet égard, le seul « fait qu'une preuve émanant du coaccusé soit déclarée inadmissible pour valoir contre un accusé ne justifie pas en soi une ordonnance de procès séparé »[65].

[149]     Dans R. c. Last, la Cour suprême énumère une série non exhaustive de facteurs pertinents à la question de savoir s’il y a lieu d’ordonner une séparation des chefs d’accusation[66] :

·                    le préjudice causé à l’accusé;

·                    le lien juridique et factuel entre les chefs d’accusation;

·                    la complexité de la preuve;

·                    la question de savoir si l’accusé entend témoigner à l’égard d’un chef d’accusation, mais pas à l’égard d’un autre;

·                    la possibilité de verdicts incompatibles;

·                    le désir d’éviter la multiplicité des instances;

·                    l’utilisation de la preuve de faits similaires au procès;

·                    la durée du procès compte tenu de la preuve à produire;

·                    le préjudice que l’accusé risque de subir quant au droit d’être jugé dans un délai raisonnable; et

·                    l’existence de moyens de défense diamétralement opposés entre coaccusés.

[150]     Ces facteurs sont tout aussi applicables dans un contexte où la demande de procès séparé concerne plusieurs coaccusés ou plusieurs chefs d’accusation[67].

c)   Application aux faits de l’espèce

              i.        Le défaut de demander un procès séparé

[151]     Un aperçu du déroulement du procès démontre que les arguments de St-Pierre relatifs au préjudice subi par l’absence de demande de procès séparé sont mal fondés.

[152]     La défense des coaccusés n’était pas particulièrement préjudiciable à St-Pierre. Aucun des coaccusés n’a prétendu qu’il savait que le sirop qu’il achetait à Richard Vallières était volé. En l’occurrence, les déclarations extrajudiciaires et son propre témoignage ont confirmé en substance l’essentiel de la preuve émanant des coaccusés qui le concernait. Par ailleurs, ses arguments font totalement abstraction de la probabilité que ses coaccusés auraient été appelés à témoigner à l’occasion d’un procès séparé.

[153]     Il est erroné de prétendre que la preuve relative aux chefs d’accusation 1 et 4 n’avait « absolument aucun rapport » avec sa culpabilité. Tel que mentionné précédemment, la preuve relative à l’origine criminelle du sirop acheté par St-Pierre ainsi que la preuve concernant sa relation d’affaires avec Richard Vallières étaient hautement pertinentes aux infractions qui lui étaient reprochées.

[154]     De surcroît, l’allégation selon laquelle la défense de contrainte du coaccusé Richard Vallières a influencé le jury dans l’évaluation de sa crédibilité fait fi du principe que les jurés sont présumés raisonnables et fait abstraction des directives claires du juge quant à l’évaluation distincte de la culpabilité et de la crédibilité des témoins et des accusés.

[155]     Si une demande de procès séparé avait effectivement été présentée, plusieurs facteurs militent en faveur du maintien du procès conjoint, notamment la complexité de la preuve et le désir exprimé par l’appelant d’être jugé de manière expéditive qui s’avère incompatible avec les délais découlant d’une ordonnance de procès séparé. En outre, les liens juridiques et factuels entre les chefs d’accusation concernant tous les coaccusés étaient forts, St-Pierre étant considéré par le ministère public comme un acteur clé au sein des opérations de recel dirigées par Richard Vallières. Celui-ci procurait à Étienne St-Pierre un large volume de sirop volé destiné à l’exportation. Les chefs d’infractions découlaient en effet d’une même suite d’événements et le ministère public alléguait que les coaccusés faisaient partie d’une entreprise criminelle commune.

[156]     En réalité, si Me Philippe avait présenté une demande de procès séparé, les chances de succès d’une telle demande auraient été faibles. Par conséquent, St-Pierre ne satisfait pas son fardeau de démontrer un préjudice sérieux causé par le défaut de Me Philippe de présenter une demande de procès séparé.

ii.   Les admissions concédées par Me Philippe

[157]     La prétention de St-Pierre selon laquelle les « admissions étaient complètement et unilatéralement à l’avantage de la poursuite et ne pouvaient aucunement servir [s]es intérêts » est inexacte. En effet, les admissions ont permis d’écourter la durée du procès et d’alléger la preuve présentée au jury. Ainsi, son désir d’être jugé de manière expéditive a été mieux servi en raison des admissions et le jury a pu concentrer son analyse sur les enjeux réellement litigieux, ce qui bénéficie autant à St-Pierre qu’à l’administration de la justice en général.

[158]     Il appert des discussions relatives aux admissions que le ministère public était effectivement en mesure de présenter la preuve tendant à démontrer les faits faisant l’objet des admissions. À titre d’exemple, le ministère public avait l’intention de mettre en preuve des documents et des procédures judiciaires entreprises par la Fédération contre St-Pierre destinés à établir sa connaissance personnelle de la réglementation québécoise de mise en marché des produits d’érable. Ces documents risquaient d’être davantage préjudiciables à St-Pierre qu’une simple admission, d’autant plus qu’il a lui-même confirmé sa connaissance personnelle du cadre normatif gouvernant la mise en marché du sirop lors de son témoignage. Enfin, le juge est lui-même intervenu pour suggérer aux parties de faire certaines admissions afin d’alléger le travail du jury.

[159]     Afin de démontrer un préjudice sérieux, St-Pierre suggère que, lorsqu’il est fait abstraction des admissions de la preuve émanant des coaccusés et de son propre témoignage rendu nécessaire en raison du procès conjoint, la preuve administrée au procès ne permet pas de maintenir un verdict de culpabilité. Ce raisonnement est hautement spéculatif et fait totalement abstraction de la preuve que le ministère public pouvait présenter en l’absence des admissions et des témoignages de St-Pierre et des coaccusés, notamment ses trois déclarations extrajudiciaires par ailleurs jugées admissibles.

[160]     En l’occurrence, il convient de souligner que Me Philippe, dans sa déclaration sous serment, confirme que les admissions ont toutes été discutées et approuvées par St-Pierre et que ce dernier a toujours exprimé le désir de témoigner. Il ne contredit pas ces affirmations et se contente de soutenir que n’eût été les actes et omissions reprochés à Me Philippe, « son témoignage ne serait pas nécessaire ». En définitive, les interventions personnelles de St-Pierre lors des procédures, son témoignage généralement franc ainsi que la défense qu’il voulait personnellement maintenir, selon laquelle il ne se considère pas soumis à la réglementation québécoise, démontrent qu’il désirait effectivement témoigner, notamment afin d’exprimer son insatisfaction à l’encontre de la Fédération.

[161]     Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce moyen d’appel.

3.   Conclusion sur l’appel de St-Pierre

[162]     De l’avis de la Cour, l’appel de St-Pierre doit être rejeté.

V.  APPEL DE LA PEINE DE RICHARD VALLIÈRES (200-10-003300-162)

A. Faits et procédures

[163]     Comme on l’a vu, Richard Vallières a été reconnu coupable par un jury de vol, fraude et trafic de sirop volé contre la Fédération d’une valeur dépassant 5 000 $.

[164]     Le 17 novembre 2016, le ministère public dépose une requête en restitution de produits de la criminalité (par. 462.41(3) C.cr.) visant des sommes d’argent bloquées.

[165]     Les sommes visées par la requête en restitution représentent des paiements pour le solde de 606 501,56 $ dû par la compagnie américaine Highland Sugarworks à Richard Vallières pour l’achat de sirop. Ces sommes sont détenues par un cabinet d’avocats et une institution financière aux États-Unis[68].

[166]     Lors des observations sur la requête en restitution, Me Marc Gaucher intervient pour un dénommé Abbas Sheikh et prétend que ce dernier a un droit légitime sur les sommes bloquées. Cependant, il ne demande pas la restitution immédiate des sommes puisque son client est alors accusé de fraude envers la Fédération. Il est allégué qu’Abbas Sheikh et Richard Vallières ont confectionné un prêt factice afin d’obtenir un jugement condamnant Richard Vallières à payer 888 925,45 $ à Abbas Sheikh de manière à empêcher la Fédération de récupérer les produits des crimes de Richard Vallières ou, alternativement, que ce prêt a servi à financer les crimes de celui-ci. Richard Vallières a plaidé coupable et Abbas Sheikh a été déclaré coupable de fraude dans cette autre affaire.

[167]     La peine est prononcée le 28 avril 2017[69] et, le 9 juin 2017, un juge de cette Cour défère à la Cour la requête pour permission[70].

B.  Jugement entrepris

[168]     Le juge résume le contexte factuel des infractions, puis décrit la position des parties sur la peine[71]. En plus d’une peine d’emprisonnement de 8 ans, le ministère public demandait plusieurs ordonnances, dont (1) une interdiction de communication avec l’ensemble des complices, (2) se soumettre au prélèvement d’échantillons de substances corporelles, (3) une suramende compensatoire, (4) un dédommagement (5) la restitution des produits de la criminalité, (6) une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité et, à défaut du paiement de cette amende, (7) l’incarcération pour une durée de 10 ans consécutifs à toute peine d’emprisonnement[72]. Richard Vallières suggérait un emprisonnement de 3 à 5 ans et s’opposait aux autres ordonnances[73].

[169]     Le juge énumère les objectifs de détermination de la peine qui doivent guider son analyse et note les peines auxquelles les complices de Richard Vallières ont été condamnés[74]. Il entame ensuite l’analyse pour chacune des ordonnances demandées par le ministère public.

1.    Ordonnance de dédommagement

[170]     Le juge constate que Richard Vallières « a déjà dilapidé tout ce qu’il a pu acquérir par ce vol »[75]. Par conséquent, il refuse d’accorder l’ordonnance de dédommagement au motif que cette demande est illusoire, vu l’incapacité de payer de Richard Vallières[76], et souligne que le montant visé par la demande de dédommagement, soit 18 540 521,41 $, est exagéré[77].

2.   Ordonnance de restitution

[171]     L’ordonnance de restitution demandée par le ministère public vise une somme de 606 501,56 $ qui a fait l’objet d’une ordonnance de blocage. De ce montant, une somme de 550 760,40 $ représente un solde impayé de la compagnie américaine Highland Sugarworks à l’appelant Vallières et sa compagnie 657807 New Brunswick inc. (radiée en 2014). Cette somme était détenue en fiducie par le cabinet d’avocats Gravel & Shea PC[78]. L’autre montant visé par la requête, totalisant 55 741,16 $, était détenu par la Community Bank VT Vermont et représentait également un solde dû par la compagnie Highland Sugarworks à Richard Vallières.

[172]     Le juge rejette l’intervention d’Abbas Sheikh puisqu’il ne demande pas la restitution des sommes et qu’il est accusé de fraude pour l’obtention du jugement par défaut condamnant Richard Vallières à lui rembourser un prêt[79].

[173]     Le juge ordonne que les sommes d’argent soient confisquées par le ministère public et remises à la Fédération[80]. Il semble convaincu par le ministère public que ces sommes sont des produits de la criminalité puisqu’il s’agit d’un solde impayé par Highland Sugarworks pour l’achat à Richard Vallières de sirop volé ou fraudé de la Fédération pendant la période infractionnelle[81].

3.   Amende compensatoire

[174]     Le juge délimite les modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé par le Code criminel en matière d’amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité en référant à l’arrêt Lavigne de la Cour suprême[82].

[175]     Il conclut que Richard Vallières ne satisfait pas aux exceptions pour ne pas ordonner d’amende compensatoire puisqu’il ne s’agit pas d’un crime isolé, la période d’infraction s’étendant sur plus de 12 mois[83]. Le juge détermine aussi que Richard Vallières a bénéficié du crime, ce dernier ayant admis, lors de son témoignage, avoir fait un chiffre d’affaires de 10 000 000 $ et une marge de profit de près de 1 000 000 $, moins certaines dépenses de transport, par la vente de sirop volé ou fraudé pendant la période des infractions[84].

[176]     Le juge constate que Richard Vallières a effectivement eu le contrôle sur au moins 10 000 000 $ de sirop obtenu de la criminalité en raison de sa position de dirigeant dans les opérations de recel du sirop volé et fraudé[85].

[177]     Puisque les critères pour une amende compensatoire sont satisfaits, le juge explique qu’il n’a pas d’autre choix que d’ordonner une telle amende égale à la valeur du bien que Richard Vallières a eu en sa possession, sa capacité de payer n’étant pas un considérant[86].

[178]     Puisque le juge est convaincu hors de tout doute raisonnable que Richard Vallières a perçu 10 000 000 $ du vol de la Fédération, il le condamne à payer une amende compensatoire de 9 393 498,44 $, soit 10 000 000 $ moins le montant de 606 501,56 $ correspondant au montant de l’ordonnance de restitution. Sans ajouter de motifs précis à ce sujet, le juge étale le paiement de cette amende sur une durée de 10 ans et ordonne son incarcération pour une durée de 6 ans consécutifs à toute autre peine d’emprisonnement en cas de défaut du paiement de cette amende.

4.   Interdiction de contact

[179]     Le juge refuse d’accorder la demande d’interdiction de contact avec les complices puisqu’une telle ordonnance n’aurait pas grand avantage pour la société[87].

5.   Suramende compensatoire

[180]     Le juge refuse de condamner Richard Vallières au paiement de la suramende compensatoire en raison de son incapacité à la payer, considérant les autres ordonnances, et parce que l’article 737 C.cr. est entré en vigueur après la période des infractions[88].

6.   Peine d’emprisonnement

[181]     Le juge calcule d’abord la déduction à laquelle Richard Vallières a droit selon l’application jurisprudentielle du paragraphe 719 (3) C.cr. et détermine qu’un total de 8 mois doit être déduit de la peine d’emprisonnement pour le temps de détention présentenciel[89]. Il revoit ensuite les objectifs de détermination de la peine ainsi que les facteurs d’individualisation de celle-ci qui doivent guider sa décision[90], et résume les faits mentionnés dans le rapport présentenciel[91].

[182]     Au titre des facteurs aggravants, le juge retient :

·  la complexité et la durée de planification des infractions[92];

 

·  le fait que Vallières a toujours vécu en marge des lois[93];

 

·  le fait qu’il a causé des risques pour la santé publique en pompant le sirop dans des tôtes de plastique qui avaient déjà contenu des produits chimiques[94];

 

·     son absence de responsabilisation[95];

 

·     le fait qu’il a entraîné avec lui des proches qui n’avaient aucuns antécédents judiciaires[96];

 

·     le mobile des infractions, soit l’appât du gain[97];

 

·     le fait qu’il ne démontre aucun respect pour quiconque et se moque du système judiciaire et de la loi, notamment en rendant un témoignage contradictoire dans le dossier sur la peine du complice Sylvain Bourassa ou en soulevant à la dernière minute une défense de contrainte invraisemblable[98];

 

·     l’absence de perspectives de réhabilitation[99]; et

 

·      sa fuite en croisière lorsque l’affaire fut rapportée dans les médias[100].

[183]     Le juge observe qu’au niveau des circonstances atténuantes, l’avocat de Vallières n’en fait valoir aucune, sauf la défense de contrainte que le jury a écartée[101].

[184]     Le juge constate que les peines d’emprisonnement pour le type d’infractions reprochées à Richard Vallières se situent dans une fourchette de 3 à 10 ans. Il réitère les peines reçues par les principaux complices Sébastien Jutras et Avik Caron, respectivement de 42 mois et 5 ans[102].

[185]     Le juge précise les éléments qui militent en faveur d’une peine plus sévère que les autres complices, dont (1) la grande implication de Richard Vallières incluant son rôle indispensable pour liquider au-delà de 9 000 barils de sirop[103]; (2) son manque de responsabilisation alors que, contrairement à d’autres complices, il n’a pas plaidé coupable et a présenté une défense invraisemblable de dernière minute[104]; (3) le fait qu’il a entraîné des proches sans antécédents judiciaires dans cette opération criminelle[105]; (4) l’ensemble des facteurs aggravants; et (5) l’absence de facteurs atténuants[106].

[186]     Le juge conclut qu’une peine de 88 mois est justifiée, soit 96 mois pour les chefs de vol et trafic de sirop volé, ainsi qu’une peine de 4 ans concurrents pour le chef de fraude, moins 8 mois de déduction pour la détention antérieure au prononcé de la peine[107].

C.  Questions en litige

[187]     L’appel de Vallières soulève les questions suivantes. Le juge :

  1. a-t-il commis une erreur en portant une attention inadéquate à des facteurs particuliers ou en omettant de tenir compte de facteurs atténuants ayant une incidence sur la détermination de la peine?
  2. a-t-il imposé une peine trop sévère et manifestement non indiquée eu égard au principe d’harmonisation des peines, considérant le principe de parité des peines entre coaccusés?
  3. a-t-il erré en concluant que Richard Vallières a eu en sa possession 10 000 000 $ en produits de la criminalité aux fins des ordonnances imposées en vertu de la Partie XII.2 C.cr.?
  4. a-t-il erré en rendant une ordonnance de restitution au montant de 606 501,56 $?
  5. a-t-il erré en imposant une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité au montant de 9 393 498,44 $?

[188]     Voyons donc ce qu’il en est.

D.  Analyse

1.    La norme d’intervention en matière de détermination de la peine.

[189]     Le processus de détermination de la peine commande un haut degré de déférence en appel[108]. Notre collègue le juge Vauclair a récemment résumé le fardeau que l’appelant doit satisfaire afin d’obtenir gain de cause en appel de sa peine :

L’intervention est justifiée si l’appelant démontre :

A) que le juge, d’une part :

     i) commet une erreur de principe;

     ou

     ii) omet de tenir compte d’un facteur pertinent ou insiste trop lourdement sur les facteurs appropriés;

     ou

     iii) considère erronément un facteur aggravant ou atténuant;

     et d’autre part :

     i) que cette erreur a une incidence sur la détermination de la peine.

     ou

B) que la peine est manifestement non indiquée ou déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires.[109]

[190]     Une erreur de principe est commise lorsque le juge accorde une importance indue ou omet de considérer suffisamment un principe ou un objectif de détermination de la peine, de sorte que la peine contestée est disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant[110]. En revanche, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir pour modifier une peine simplement parce qu’ils auraient accordé un poids différent aux facteurs pertinents[111].

[191]     Ainsi, l’intervention de cette Cour est justifiée notamment par l’omission de prendre en considération un facteur pertinent ou la pondération déraisonnable des facteurs aggravants et atténuants[112], dans la mesure où ces erreurs ont pour conséquence directe d’imposer une peine qui ne respecte plus les principes directeurs en matière de détermination de la peine ou qui s’avère manifestement non indiquée[113].

b)   Application en l’espèce

[192]     Le juge a conclu à l’absence de facteur atténuant au motif que « le procureur de l’accusé n’en a émis aucun »[114]. Cela dit, son avocat a notamment plaidé que Richard Vallières est « un individu relativement jeune », « qui n’est pas criminalisé » et qui « a profité d’une mauvaise occasion ». Il a également plaidé qu’en termes de perspectives de réhabilitation, Richard Vallières entendait « investir dans la fabrication de produits dérivés du sirop d’érable […] cette fois en conformité avec les diverses normes […] qui régissent […] la vente du sirop », tel que constaté dans le rapport présentenciel. D’ailleurs, le rapport présentenciel appuie effectivement sa prétention en appel qu’il est un individu « travaillant », notamment dans le domaine de la construction.

[193]     Ceci dit, Richard Vallières ne démontre pas en quoi l’omission de tenir compte de ces facteurs a eu une incidence sur la détermination de la peine. Ces facteurs, même lorsque proprement pris en compte, n’ont que très peu de poids en comparaison avec les facteurs aggravants en l’espèce. En effet, « [l]’importance accordée à l’âge du délinquant décline progressivement à mesure que le contrevenant vieillit pour s’éteindre complètement à la trentaine et réapparaître à nouveau dans le dernier tiers de la vie du délinquant »[115]. Richard Vallières, né en 1978, était dans la trentaine pendant la période infractionnelle et durant les procédures de première instance.

[194]     Quant à l’absence d’antécédents criminels au titre des facteurs atténuants, il convient de souligner que Richard Vallières a admis opérer un marché noir de sirop pendant 10 ans, sans payer d’impôts à l’État ou de cotisation à la Fédération. Il a d’ailleurs été condamné à payer 1 800 000 $ à la Fédération pour des infractions similaires dans un jugement civil[116], en plus d’avoir d’autres accusations pendantes de fraude envers la Fédération, pour lesquelles il a plaidé coupable subséquemment au jugement sur la peine dans le présent dossier[117]. Ainsi, le fondement pour considérer l’absence d’antécédents judiciaires criminels comme facteur atténuant, soit qu’une « erreur isolée est excusable »[118] trouve difficilement application en l’espèce. D’autant plus que l’impact de ce facteur est négligeable en matière de fraude d’envergure[119].

[195]     Quant à son projet de se repartir en affaires avec son père Raymond Vallières et sa prétention selon laquelle il est un individu travaillant, l’effet potentiellement atténuant de ces éléments sont annulés par d’autres facteurs aggravants adéquatement soupesés par le juge, soit le risque réel de récidive et le fait qu’il a « toujours vécu en marge des lois »[120]. Le fait qu’il a profité d’une mauvaise occasion n’écarte pas le facteur aggravant que les infractions étaient motivées par l’appât du gain[121].

[196]     Bien que Richard Vallières remarque avec justesse que la tenue d’un procès ne constitue pas un facteur aggravant, cet élément peut être retenu au niveau de l’harmonisation des peines[122]. De toute évidence, le juge a considéré cet élément au niveau du principe de parité des peines de manière à justifier une peine plus sévère comparativement aux coaccusés ayant plaidé coupables :

[126]    Contrairement à la majorité des autres complices qui ont plaidé coupables, l’accusé a tenu un procès, fait des requêtes et a utilisé le système judiciaire à son maximum. Il s’est présenté avec une défense de dernière minute qui ne tenait pas la route.[123]

[Soulignements ajoutés]

[197]     Contrairement à ce que prétend Richard Vallières, l’absence de lien avec le crime organisé n’est pas une circonstance atténuante[124].

[198]     Enfin, Richard Vallières a raison d’observer que le juge semble lui imputer le blâme de la responsabilité criminelle de ses proches ayant pris part à l’opération criminelle. Le juge insiste à diverses reprises sur cet élément :

[109]    Il a entraîné avec lui, dans son aventure criminelle, nombre de personnes qui n’avaient aucun antécédent judiciaire. Il a mêlé son père dans cette aventure, sans penser aux conséquences que pourraient avoir pour lui, un individu de 62 ans.

[110]    Tout ce qui l’intéressait dans cette aventure, c’est l’appât du gain. Il se foutait royalement de ses parents et de ses amis qu’il a entraînés avec lui. […]

[115]    […] Il fait ses propres lois, ses propres principes qui sont tous axés uniquement sur lui pour son bien et ses gains, peu importe ce qui arrive même à sa famille. […]

[127]    De plus, comme souligné précédemment, il a amené dans son tourbillon, son père, des parents, des amis proches qui se retrouvent tous aujourd’hui avec des casiers judiciaires, grâce à lui.

[199]     De fait, le juge accorde trop d’importance à cet élément en blâmant Richard Vallières pour la responsabilité criminelle de ses proches. Nous sommes en effet loin d’une situation où le délinquant recrute des personnes vulnérables pour commettre des infractions au profit d’une organisation criminelle. Cela dit, Richard Vallières ne démontre pas en quoi cette erreur peut justifier l’intervention de cette Cour eu égard à la norme d’intervention applicable.

[200]     Comme plus amplement détaillé ci-dessous, une peine d’emprisonnement de huit ans pour les infractions reprochées à Richard Vallières n’est pas nettement non indiquée considérant son rôle dans le vol et la fraude de la Fédération, l’ensemble des facteurs aggravants et l’absence de facteur atténuant réellement significatif. La Cour rejette ce moyen.

2.   La sévérité de la peine eu égard au principe d’harmonisation

a)   Peines en matière de fraude d’envergure

[201]     Les auteurs Parent et Desrosiers rapportent qu’en matière de fraude de plusieurs millions comportant de nombreux facteurs aggravants, « des peines de 6 à 10 ans d’emprisonnement sont souvent infligées »[125]. L’appât du gain, la longue période d’infraction et le degré élevé de préméditation sont des facteurs aggravants particulièrement significatifs dans de tels cas. Ces périodes d’emprisonnement sont justifiées en raison de la gravité objective de l’infraction qui met l’accent sur les objectifs de dissuasion et dénonciation[126].

[202]     La gravité objective des fraudes de grande importance comme en l’espèce se reflète dans les dispositions législatives actuelles. Une peine minimale de deux ans est applicable si la valeur totale de l’objet des infractions en cause dépasse un million de dollars[127]. La peine maximale pour une fraude de plus de 5 000 $ est passée de 10 ans à 14 ans en 2004[128]. Enfin, l’emprisonnement avec sursis n’est plus disponible en matière de fraude de plus de 5 000 $ commise postérieurement au 20 novembre 2012[129]. Ces dispositions indiquent la forte réprobation de la société en matière de fraude d’importance[130].

[203]     L’arrêt Lévesque rendu par notre Cour expose les principaux facteurs permettant de mesurer la responsabilité morale intrinsèque d’un délinquant en matière de fraude aux fins de la détermination de la peine et du principe de l’individualisation de la peine :

·         la nature et l’étendue de la fraude se traduisant, notamment, par l’ampleur de la spoliation ainsi que la perte pécuniaire réelle subie par la victime […];

·         le degré de préméditation se retrouvant, notamment, dans la planification et la mise en œuvre d’un système frauduleux […];

·         le comportement du contrevenant après la commission de l’infraction dont les facteurs de bonification pourraient résider dans le remboursement des sommes appropriées par la commission d’une fraude, la collaboration à l’enquête ainsi que l’aveu […];

·         les condamnations antérieures du contrevenant : proximité temporelle avec l’infraction reprochée et gravité des infractions antérieures […];

·         les bénéfices personnels retirés par le contrevenant […];

·         le caractère d’autorité et le lien de confiance présidant aux relations du contrevenant avec la victime […];

·         la motivation sous-jacente à la commission de l’infraction : cupidité, désordre physique ou psychologique, détresse financière, etc. […];

·         la fraude résultant de l’appropriation des deniers publics réservés à l’assistance des personnes en difficulté.[131]

[Renvois omis]

b)   Principe de parité des peines entre les coaccusés

[204]     Même si plusieurs accusés sont déclarés coupables d’une même infraction criminelle, leur responsabilité réelle peut différer, ce qui influencera leurs peines respectives. Dans l’arrêt R. c. Brisson, notre Cour donne plusieurs indices permettant au juge de la peine d’évaluer la culpabilité morale distincte de chaque contrevenant :

[20]      Ainsi, le rôle joué dans la perpétration de l’infraction, le degré de participation, les comportements et attitudes adoptés, les risques sciemment encourus et leurs conséquences, la motivation sous-jacente et la volonté d’accomplir le dessein criminel sont tous des éléments qui influenceront le niveau de responsabilité morale d’un délinquant :

[…]           En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite. […] [Rc. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500.]

[Soulignements de la Cour]

[21]      Peu importe le processus légal par lequel plusieurs délinquants sont reconnus coupables d’une même infraction, la culpabilité morale distincte de chacun sera examinée au stade de la détermination de la peine :

(…) Where more than one offender is involved, the role played in the commission of the offence is a relevant factor in sentencing, as it enables the court to deal with an important consideration: assessing the offender’s personal responsibility pursuant to section 718.1 of the Criminal Code. A minor role will tend to produce a lower sentence, and the principal offender can expect to be dealt with more severely. (…) [Clayton C. Ruby, Gerald J. Chan et Nader R. Hasan, Sentencing, 8th ed., Markham, LexisNexis, 2012, paragr. 5.231, 5.232.].

[22]      Dans tous les cas où il y a plusieurs parties à une infraction, la responsabilité morale peut être distinguée de la responsabilité pénale selon les circonstances propres à chacune.

[23]      Un juge peut donc, à bon droit, tenir compte des différences entre la responsabilité morale de chacun des coaccusés selon leurs comportements respectifs, les risques engendrés par leurs comportements et leurs conséquences […].[132]

[Certaines références omises; soulignements ajoutés]

[205]     Le principe de parité des peines entre les coaccusés n’est qu’une modalité spécifique du principe d’harmonisation des peines pour les infractions semblables commises dans des circonstances semblables[133], principe lui-même « subordonné au principe fondamental de la proportionnalité »[134]. En ce sens, le principe de parité des peines entre les coaccusés ne justifie pas l’intervention d’une cour d’appel lorsque des peines disparates imposées à des coaccusés sont justifiées, notamment par les caractéristiques personnelles des coaccusés ou par une différence dans leur degré d’implication dans les infractions reprochées[135].

c)   Application en l’espèce

[206]     Il importe de rappeler que le juge a pris soin de motiver les raisons pour lesquelles Richard Vallières s’est vu imposer une peine d’emprisonnement plus sévère que celle imposée à Avik Caron, l’instigateur du vol et l’ « alter ego » de Richard Vallières dans le vol de sirop de la Fédération. Le juge retient, avec raison, l’ensemble des facteurs aggravants spécifiques à Richard Vallières; son rôle indispensable pour écouler la quantité importante de près de 9 500 barils volés en l’espace de 12 mois; et, à l’inverse de Richard Vallières, le fait qu’Avik Caron a plaidé coupable[136]. D’autres circonstances atténuantes propres à Avik Caron ressortent du jugement sur sa peine, dont le fait qu’il est père de famille, qu’il a toujours été un actif pour la société et que sa détention présentencielle a été éprouvante[137]. Aucune de ces circonstances atténuantes n’a été soulevée par Richard Vallières en première instance.

[207]     En outre, contrairement à Avik Caron, Richard Vallières a été déclaré coupable de fraude par rapport à ses opérations sur le marché noir de sirop alors qu’il n’en était pas à ses premiers déboires avec la Fédération. Au titre des facteurs aggravants additionnels s’appliquant individuellement à Richard Vallières, le juge mentionne son irrévérence envers la loi et le système de justice démontré par ses témoignages contradictoires et sa défense invraisemblable[138], l’absence de perspectives de réhabilitation et le fort risque de récidive, ainsi que son comportement postérieur aux infractions : il a dilapidé ses profits obtenus des suites des infractions commises en prenant la fuite en en faisant une croisière de deux mois et demi lorsque le vol a été révélé par les médias[139].

[208]     Dans l’ensemble, une peine d’emprisonnement de huit ans n’est pas manifestement contre-indiquée et se situe à l’intérieur des fourchettes de peines en pareille matière pour des délinquants présentant les facteurs aggravants de Richard Vallières, en l’absence de facteurs atténuants concrètement significatifs[140]. À cet égard, la disparité entre les rôles de Richard Vallières et d’Avik Caron, en tenant compte des facteurs d’individualisation de la peine propres à chacun des délinquants, permet raisonnablement de justifier un écart de trois ans par rapport à la peine de cinq ans imposée à Caron pour le vol et le trafic de sirop d’érable.

[209]     En l’espèce, une peine de 8 ans d’emprisonnement ne constitue pas un écart marqué et substantiel justifiant cette Cour d’intervenir et d’écarter la règle du respect de la discrétion du juge de première instance en matière de détermination de la peine. Ce moyen est rejeté.

3.   Ordonnances en vertu des dispositions sur les produits de la criminalité

a)   Dispositions législatives applicables

[210]     Les dispositions pertinentes de la partie XII.2 du Code criminel en matière d’ordonnance de restitution et d’amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité sont ainsi libellées :

462.37 (1) Sur demande du procureur général, le tribunal qui détermine la peine à infliger à un contrevenant condamné pour une infraction désignée — ou qui l’en absout en vertu de l’article 730 — est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 462.39 à 462.41, d’ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté des biens dont il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils constituent des produits de la criminalité obtenus par la perpétration de cette infraction désignée; l’ordonnance prévoit qu’il est disposé de ces biens selon les instructions du procureur général ou autrement en conformité avec le droit applicable.

 

 

(2) Le tribunal peut rendre une ordonnance de confiscation aux termes du paragraphe (1) à l’égard de biens dont il n’est pas convaincu qu’ils ont été obtenus par la perpétration de l’infraction désignée pour laquelle le contrevenant a été condamné — ou à l’égard de laquelle il a été absous — s’il est convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’il s’agit de produits de la criminalité.

 

 

 

 

[…]

 

(3) Le tribunal qui est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien — d’une partie d’un bien ou d’un droit sur celui-ci — d’un contrevenant peut, en remplacement de l’ordonnance, infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du bien s’il est convaincu que le bien ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance et notamment dans les cas suivants :

 

 

 

 

 

 

a) impossibilité, malgré des efforts en ce sens, de retrouver le bien;

 

b) remise à un tiers;

 

 

c) situation du bien à l’extérieur du Canada;

 

d) diminution importante de valeur;

 

 

e) fusion avec un autre bien qu’il est par ailleurs difficile de diviser.

 

 

(4) Le tribunal qui inflige une amende en vertu du paragraphe (3) est tenu :

 

 

a) d’infliger, à défaut du paiement de l’amende, une peine d’emprisonnement :

 

[…]

 

(v) de deux ans à trois ans, si l’amende est supérieure à cent mille dollars mais égale ou inférieure à deux cent cinquante mille dollars,

 

 

 

(vi) de trois ans à cinq ans, si l’amende est supérieure à deux cent cinquante mille dollars mais égale ou inférieure à un million de dollars,

 

 

(vii) de cinq ans à dix ans, si l’amende est supérieure à un million de dollars;

 

 

 

b) d’ordonner que la peine d’emprisonnement visée à l’alinéa a) soit purgée après toute autre peine d’emprisonnement infligée au contrevenant ou que celui-ci est en train de purger.

 

 

(5) L’article 736 ne s’applique pas au contrevenant à qui une amende est infligée en vertu du paragraphe (3).

 

462.41 (1) Avant de rendre une ordonnance en vertu des paragraphes 462.37(1) ou (2.01) ou 462.38(2) à l’égard d’un bien, le tribunal doit exiger qu’un avis soit donné à toutes les personnes qui, à son avis, semblent avoir un droit sur le bien; le tribunal peut aussi les entendre.

 

 

[…]

 

(3) Le tribunal peut ordonner que des biens qui autrement seraient confisqués en vertu des paragraphes 462.37(1) ou (2.01) ou 462.38(2) soient restitués en tout ou en partie à une personne — autre que celle qui est accusée d’une infraction désignée, ou qui a été déclarée coupable d’une telle infraction, ou celle qui a obtenu un titre ou un droit de possession sur ces biens d’une personne accusée d’une telle infraction dans des circonstances telles qu’elles permettent raisonnablement d’induire que l’opération a été effectuée dans l’intention d’éviter la confiscation des biens — à la condition d’être convaincu que cette personne en est le propriétaire légitime ou a droit à leur possession légitime et semble innocente de toute complicité ou de toute collusion à l’égard de la perpétration de l’infraction.

 

 

 

 

 

734 (2) Sauf dans le cas d’une amende minimale ou de celle pouvant être infligée au lieu d’une ordonnance de confiscation, le tribunal ne peut infliger l’amende prévue au présent article que s’il est convaincu que le délinquant a la capacité de la payer ou de s’en acquitter en application de l’article 736.

 

[…]

 

(8) Le présent article et les articles 734.1 à 734.8 et 736 s’appliquent à toute amende imposée sous le régime d’une loi fédérale. Toutefois, les paragraphes (4) et (5) ne s’appliquent pas si le texte en cause prévoit relativement à la peine d’emprisonnement en cas de défaut de paiement de l’amende :

 

a) soit d’autres modalités de calcul;

 

b) soit une peine d’emprisonnement minimale ou maximale.

 

734.7 (1) Lorsqu’un délai de paiement a été accordé, l’émission d’un mandat d’incarcération par le tribunal à défaut du paiement de l’amende est subordonné aux conditions suivantes :

 

 

a) le délai accordé pour le paiement intégral de l’amende est expiré;

 

 

b) le tribunal est convaincu […]

 

 

 

que le délinquant a, sans excuse raisonnable, refusé de payer l’amende ou de s’en acquitter en application de l’article 736.

 

[Soulignements ajoutés]

462.37 (1) Subject to this section and sections 462.39 to 462.41, if an offender is convicted, or discharged under section 730, of a designated offence and the court imposing sentence on or discharging the offender, on application of the Attorney General, is satisfied, on a balance of probabilities, that any property is proceeds of crime obtained through the commission of the designated offence, the court shall order that the property be forfeited to Her Majesty to be disposed of as the Attorney General directs or otherwise dealt with in accordance with the law.

 

 

 

 

(2) If the evidence does not establish to the satisfaction of the court that property in respect of which an order of forfeiture would otherwise be made under subsection (1) was obtained through the commission of the designated offence of which the offender is convicted or discharged, but the court is satisfied, beyond a reasonable doubt, that the property is proceeds of crime, the court may make an order of forfeiture under subsection (1) in relation to that property.

 

(…)

 

(3) If a court is satisfied that an order of forfeiture under subsection (1) or (2.01) should be made in respect of any property of an offender but that the property or any part of or interest in the property cannot be made subject to an order, the court may, instead of ordering the property or any part of or interest in the property to be forfeited, order the offender to pay a fine in an amount equal to the value of the property or the part of or interest in the property. In particular, a court may order the offender to pay a fine if the property or any part of or interest in the property

 

(a) cannot, on the exercise of due diligence, be located;

 

(b) has been transferred to a third party;

 

(c) is located outside Canada;

 

 

(d) has been substantially diminished in value or rendered worthless; or

 

(e) has been commingled with other property that cannot be divided without difficulty.

 

(4) Where a court orders an offender to pay a fine pursuant to subsection (3), the court shall

 

(a) impose, in default of payment of that fine, a term of imprisonment

 

 

(…)

 

(v) of not less than two years and not exceeding three years, where the amount of the fine exceeds one hundred thousand dollars but does not exceed two hundred and fifty thousand dollars,

 

(vi) of not less than three years and not exceeding five years, where the amount of the fine exceeds two hundred and fifty thousand dollars but does not exceed one million dollars, or

 

(vii) of not less than five years and not exceeding ten years, where the amount of the fine exceeds one million dollars; and

 

(b) direct that the term of imprisonment imposed pursuant to paragraph (a) be served consecutively to any other term of imprisonment imposed on the offender or that the offender is then serving.

 

(5) Section 736 does not apply to an offender against whom a fine is imposed pursuant to subsection (3).

 

462.41 (1) Before making an order under subsection 462.37(1) or (2.01) or 462.38(2) in relation to any property, a court shall require notice in accordance with subsection (2) to be given to and may hear any person who, in the opinion of the court, appears to have a valid interest in the property.

 

(…)

 

(3) Where a court is satisfied that any person, other than

 

(a) a person who is charged with, or was convicted of, a designated offence, or

 

(b) a person who acquired title to or a right of possession of that property from a person referred to in paragraph (a) under circumstances that give rise to a reasonable inference that the title or right was transferred for the purpose of avoiding the forfeiture of the property,

 

is the lawful owner or is lawfully entitled to possession of any property or any part thereof that would otherwise be forfeited pursuant to subsection 462.37(1) or (2.01) or 462.38(2) and that the person appears innocent of any complicity in an offence referred to in paragraph (a) or of any collusion in relation to such an offence, the court may order that the property or part thereof be returned to that person.

 

734 (2) Except when the punishment for an offence includes a minimum fine or a fine is imposed in lieu of a forfeiture order, a court may fine an offender under this section only if the court is satisfied that the offender is able to pay the fine or discharge it under section 736.

 

 

(…)

 

(8) This section and sections 734.1 to 734.8 and 736 apply to a fine imposed under any Act of Parliament, except that subsections (4) and (5) do not apply if the term of imprisonment in default of payment of the fine provided for in that Act or regulation is

 

 

 

(a) calculated by a different method; or

 

(b) specified, either as a minimum or a maximum.

 

734.7 (1) Where time has been allowed for payment of a fine, the court shall not issue a warrant of committal in default of payment of the fine

 

 

(a) until the expiration of the time allowed for payment of the fine in full; and

 

(b) unless the court is satisfied

 

(…)

 

(ii) that the offender has, without reasonable excuse, refused to pay the fine or discharge it under section 736.

 

 

(Emphasis added)

 

[211]     L’article 462.3 C.cr. définit notamment les termes suivants :

infraction désignée

 

[T]oute infraction prévue par la présente loi ou une autre loi fédérale et pouvant être poursuivie par mise en accusation […].

 

produits de la criminalité

 

Bien, bénéfice ou avantage qui est obtenu ou qui provient, au Canada ou à l’extérieur du Canada, directement ou indirectement :

 

a) soit de la perpétration d’une infraction désignée;

 

b) soit d’un acte ou d’une omission qui, au Canada, aurait constitué une infraction désignée.

 

[Soulignements ajoutés]

 

designated offence

 

[A]ny offence that may be prosecuted as an indictable offence under this or any other Act of Parliament (…).

 

 

proceeds of crime

 

[A]ny property, benefit or advantage, within or outside Canada, obtained or derived directly or indirectly as a result of

 

(a) the commission in Canada of a designated offence, or

 

(b) an act or omission anywhere that, if it had occurred in Canada, would have constituted a designated offence

 

(Emphasis added)

[212]     Le terme « bien » est définit comme suit à l’article 2 C.cr.:

biens ou propriété

 

a) Les biens meubles et immeubles de tous genres, ainsi que les actes et instruments concernant ou constatant le titre ou droit à des biens, ou conférant le droit de recouvrer ou de recevoir de l’argent ou des marchandises;

 

b) des biens originairement en la possession ou sous le contrôle d’une personne, et tous biens en lesquels ou contre lesquels ils ont été convertis ou échangés et tout ce qui a été acquis au moyen de cette conversion ou de cet échange […].

 

[Soulignements ajoutés]

 

property 

 

(a) real and personal property of every description and deeds and instruments relating to or evidencing the title or right to property, or giving a right to recover or receive money or goods,

 

 

(b) property originally in the possession or under the control of any person, and any property into or for which it has been converted or exchanged and anything acquired at any time by the conversion or exchange (…).

 

(Emphasis added)

 

[213]     En vertu du paragraphe 462.37 (1), le tribunal est donc tenu d’ordonner la confiscation des biens dont il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils constituent des produits de la criminalité obtenus en rapport avec l’infraction désignée dont l’accusé est déclaré coupable. Alternativement, et suivant le paragraphe 462.37 (2), le tribunal a la discrétion d’ordonner la confiscation, s’il est tout de même convaincu hors de tout doute raisonnable qu’il s’agit de produits de la criminalité sans rapport avec l’infraction désignée dont l’accusé a été déclaré coupable.

[214]     Il est entendu que Richard Vallières a été déclaré coupable d’infractions désignées.

b)   La norme d’intervention en matière d’amende compensatoire

[215]     La Cour d’appel de l’Ontario a exprimé ainsi la norme d’intervention en matière d’amende compensatoire :

[22]      An order made under s. 462.37, including an order refusing to direct payment of a fine in lieu of forfeiture under s. 462.37(3), is a “sentence” within s. 673 of the Criminal Code. As an appeal from sentence, and as a discretionary order, the trial judge’s conclusion is subject to deference in the absence of an error in principle, a failure to consider a relevant factor, consideration of an irrelevant factor, overemphasis of appropriate factors or a decision that is plainly unreasonable (…). Appellate intervention is justified only where it appears from the trial judge’s decision that an error had an impact on the result (…).

[23]      Where a judge’s decision under s. 462.37(3) requires or involves an interpretation of the subsection, however, appellate review of the decision applies a standard of correctness (…).[141]

[Renvois omis]

c)   La décision d’imposer une amende compensatoire

[216]     Le paragraphe 462.37 (3) accorde la discrétion au tribunal d’imposer au contrevenant une amende en remplacement d’un bien dont la confiscation devrait être ordonnée lorsque le bien n’est plus disponible selon une liste non exhaustive de motifs prévus. Cette amende doit être égale à la valeur du bien qui aurait fait l’objet d’une ordonnance de confiscation[142].

[217]     Le pouvoir discrétionnaire d’imposer une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité est limité par l’objectif de ces dispositions, soit : de priver le délinquant des bénéfices de ses crimes et de dissuader le délinquant et d’autres délinquants potentiels ainsi que les organisations criminelles[143].

[218]     La Cour suprême dans Lavigne a déterminé que, lorsque le tribunal est convaincu que la confiscation du bien devrait être ordonnée si le bien avait été disponible, n’eût été de l’impossibilité de rendre l’ordonnance conformément au paragraphe 462.37 (3) C.cr., il doit imposer une amende compensatoire égale à la valeur du bien. La capacité de payer du délinquant n’est pas un facteur pertinent à l’analyse[144].

[219]     En effet, la considération de la capacité de payer du délinquant n’est pas compatible avec les objectifs du régime particulier des dispositions sur les produits de la criminalité qui cherchent à « priver le contrevenant et l’organisation criminelle des produits de leurs crimes et à les dissuader de perpétrer d’autres infractions »[145]. Lorsqu’un tribunal est appelé à statuer sur l’imposition d’une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité, ces objectifs spécifiques écartent les objectifs généraux de détermination de la peine tels que l’objectif de réhabilitation du contrevenant ou sa capacité de payer[146].

[220]     La capacité de payer du contrevenant demeure néanmoins un facteur pertinent dans les dispositions générales régissant la détermination de la peine et l’amende, lesquelles s’appliquent à titre supplétif[147]. Ainsi, puisque les dispositions sur les produits de la criminalité n’abordent pas les enjeux du délai de paiement et les considérations applicables à la délivrance d’un mandat d’incarcération advenant un défaut de paiement, les articles 734 à 734.8 du C.cr. s’appliquent dans la mesure où ils sont compatibles avec la partie XII.2 C.cr. Par conséquent, la capacité de payer du contrevenant est pertinente à l’établissement d’un délai de paiement, et, lorsque le contrevenant fait défaut de payer l’amende à l’expiration de ce délai, le tribunal doit être convaincu que le contrevenant a refusé de payer l’amende sans excuse raisonnable[148]. À cet égard, la jurisprudence confirme que le défaut de paiement pour cause d’indigence ou d’incapacité réelle de payer n’est pas assimilable à un refus de payer et constitue une excuse raisonnable au sens de l’al. 734.7 (1)(b) C.cr.[149].

d)   L’ordonnance de restitution

[221]     Avant de rendre une ordonnance de confiscation de produits de la criminalité en vertu du paragraphe 462.37 (1) C.cr., le tribunal doit exiger qu’un avis soit donné aux personnes qui semblent avoir un droit légitime sur le bien[150]. Un tiers intéressé peut alors intervenir aux procédures et convaincre le tribunal qu’il a un droit légitime à la possession du bien qui serait autrement confisqué, pourvu qu’il soit innocent de toute collusion ou complicité à l’égard de l’infraction[151].

e)   Application en l’espèce

[222]     Richard Vallières plaide, tant sur le plan de l’amende compensatoire que de l’ordonnance de restitution, qu’il y a une absence de preuve que son chiffre d’affaires de 10 000 000 $ ou que le solde dû par la compagnie Highland Sugarworks pour l’achat de sirop sont des produits de la criminalité puisque le ministère public est incapable de démontrer que ces montants proviennent du recel de sirop volé et non de la revente de sirop acheté directement de producteurs. Comme le fait remarquer le ministère public, cet argument est mal fondé puisqu’il fait totalement abstraction de la conclusion que la revente de sirop acheté de producteurs québécois constitue une fraude envers la Fédération, soit une infraction désignée dont Richard Vallières a été déclaré coupable. En effet, il n’était pas un acheteur autorisé et ne payait pas la cotisation de 0,12 $/livre prévue dans la réglementation de mise en marché du sirop.

[223]     Il était raisonnable pour le juge d’inférer, en raison de la prépondérance de la preuve, que la totalité de ces montants sont des produits de la criminalité, considérant que Richard Vallières a reconnu que son seul revenu en 2011-2012 provenait de l’achat et la revente de sirop. Il est vrai qu’il a témoigné avoir acheté du sirop en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse en 2006. Cependant, il ne mentionne jamais avoir acheté du sirop d’autres provinces en 2011-2012, alors qu’il indique avoir acheté, lors de cette période, environ 20 à 25 livraisons de producteurs québécois, 100 à 150 livraisons d’Avik Caron, et un total de 150 livraisons en combinant les livraisons d’Avik Caron et de ses clients producteurs.

[224]     En ce qui concerne l’ordonnance de restitution, le ministère public a prouvé que le solde dû par la compagnie Highland Sugarworks devait compenser l’achat de sirop à Richard Vallières durant la période infractionnelle. Vu la conclusion que la totalité du sirop vendu par Vallières pendant la période infractionnelle provenait soit du vol, soit de la fraude envers la Fédération, des infractions désignées pour lesquelles ce dernier a été déclaré coupable, le juge pouvait conclure que ces sommes sont des produits de la criminalité au sens de l’article 462.37 C.cr. La Fédération avait un droit de possession légitime sur ces sommes en vertu de l’article 462.41 C.cr., particulièrement en considérant l’ampleur de la perte de la Fédération engendrée tant par le vol et le recel de sirop volé que la fraude de Richard Vallières.

[225]     L’argument de Richard Vallières selon lequel l’amende compensatoire ne pouvait pas être imposée puisqu’il s’agissait d’une « infraction isolée » doit aussi échouer. Il suffit de rappeler qu’il a admis opérer un marché noir pendant 10 ans, que les infractions se sont déroulées sur une période de 12 mois durant laquelle il a écoulé, selon les estimations, de 900 000 à 1 125 000 livres de sirop fraudé et 5 639 497 livres de sirop volé, pour une perte brute causée à la Fédération dépassant les 19 000 000 $. Seize complices ont plaidé coupables ou ont été déclarés coupables dans cette entreprise criminelle. Richard Vallières a admis avoir bénéficié personnellement d’environ 1 000 000 $ moins certaines dépenses de transport[152]. Il peut difficilement prétendre qu’il « n’a pas bénéficié du crime et qu’il s’agit d’un crime isolé commis par un contrevenant agissant seul »[153].

[226]     Une amende compensatoire est justifiée en l’espèce. La preuve soutient la conclusion que Richard Vallières a bénéficié des produits de la criminalité. Les objectifs de dissuasion et de privation des bénéfices que Richard Vallières a tirés de ses crimes ont préséance sur l’objectif de réhabilitation[154].

[227]     La capacité de payer de Richard Vallières n’est pas déterminante. Ce facteur sera toutefois considéré dans l’optique où un juge évaluera l’opportunité de délivrer un mandat d’incarcération dans l’hypothèse où Richard Vallières ferait défaut de payer l’amende. Il est erroné de prétendre que la peine d’incarcération ordonnée en cas de défaut de paiement constitue une peine déguisée[155]. De toute manière, cette Cour n’est pas saisie de la question hypothétique du défaut de paiement.

f)    Le montant de l’amende compensatoire

              i.        Observations préliminaires

[228]     Richard Vallières ne soulève pas d’argument spécifique concernant le montant de l’amende compensatoire, se contentant de prétendre que l’ordonnance n’aurait pas dû être prononcée.

[229]     D’emblée, force est de constater que le montant de l’amende compensatoire, 10 000 000 $ duquel est déduit le montant de l’ordonnance de restitution, apparaît exorbitant malgré la perte de la Fédération et même en faisant abstraction de la capacité de payer de Richard Vallières.

[230]     L’affaire Waxman est le seul précédent soumis par le ministère public où une amende en remplacement de la confiscation des produits de la criminalité dépassant 1 000 000 $ a été imposée, l’amende totalisant 15 514 643,61 USD sur une fraude dépassant 17 000 000 USD[156]. Dans cette affaire, l’accusé avait détourné plus de 17 000 000 USD d’une compagnie dont il était président et il avait été démontré que ce dernier avait un « contrôle exclusif » sur au moins 15 514 643,61 USD[157].

[231]     Parmi les seize autres complices déclarés coupables dans le cadre de l’enquête Luisance, sept d’entre eux se sont vu imposer des amendes variant entre 9 840 $ et 1 200 000 $[158]. Ces amendes compensatoires semblent davantage correspondre à une partie des bénéfices personnels que chacun a obtenus, bénéfices versés par Richard Vallières à même les revenus de vente de sirop. Or, si les amendes imposées aux autres accusés visent à priver ces derniers de bénéfices de la criminalité perçus des revenus de vente de sirop de Richard Vallières, l’imposition d’une amende de 10 000 000 $ pour la totalité des revenus de vente crée une situation claire de double recouvrement.

[232]     L’amende compensatoire imposée à Avik Caron a été calculée ainsi :

[L]’accusé admet dans son témoignage qu’il était payé 15 000 $ par voyage et qu’il a participé à au moins 80 livraisons pendant la période visée par les chefs d’accusation, ce qui représente un revenu de 1 200 000 $ qu’il a possédé pendant ses activités délictuelles.[159]

[233]     Si Avik Caron était payé 15 000 $ par voyage, il n’en demeure pas moins que la valeur de vente d’un seul voyage est estimée entre 75 000 $ et 100 000 $ selon le prix de vente retenu, pour une valeur totale entre 6 000 000 $ et 11 000 000 $[160] sous le contrôle de Caron. Il ne s’agit pas ici de revoir la preuve ou l’analyse concernant la peine de Caron. Toutefois, il est évident que, si la même méthodologie appliquée par le juge pour imposer une amende de 10 000 000 $ à Richard Vallières était transposée à l’ensemble des coaccusés ayant eu possession du sirop, la valeur totale des amendes dépasserait largement la valeur de la perte brute de la Fédération.

ii.   Jurisprudence relative au montant de l’amende compensatoire

[234]     Lorsque la valeur des produits de la criminalité qui auraient fait l’objet d’une ordonnance de confiscation est difficile ou impossible à établir, le juge d’instance doit faire preuve de retenue et imposer une amende égale à la valeur de ce que l’accusé a eu en sa possession ou sur laquelle il a exercé un contrôle[161]. À cet égard, dans R. c. Dolbec, cette Cour écrit :

[L]e juge a considéré qu'il ne pouvait identifier le montant provenant de la revente qui constitue le produit de la criminalité en raison de l’impossibilité de distinguer les profits légitimes des profits illégitimes provenant de la vente de véhicules usagés. Cette même impossibilité factuelle demeure un obstacle à l’imposition d’une amende compensatoire en regard du 30 000 $ malgré le fait que l’accusé avoue avoir retiré personnellement cette somme de l’aventure. […] Or, l’identification du produit de la criminalité est une condition sine qua non à l’application de l’article 462.37(3) C.cr.[162]

[Soulignements ajoutés]

[235]     Dans R. c. Grenier, cette Cour explique que « [l]a détermination de la valeur du bien obtenu par la criminalité est une question de fait » qui doit s’appuyer sur la preuve et non sur « un calcul purement théorique qui ne correspond pas à la réalité »[163].

[236]     Puisque l’objectif de l’amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité vise à priver le contrevenant des bénéfices de ses activités criminelles, certains tribunaux imposent une amende équivalente aux profits, bénéfices ou gains obtenus par l’accusé en rapport avec la criminalité[164], nonobstant la dilapidation ou l’indisponibilité de ces sommes.

[237]     Toutefois, certains tribunaux ont imposé des amendes équivalentes à la valeur de revente du bien obtenu[165], plutôt qu’une amende correspondant aux avantages perçus personnellement par le contrevenant lors de la revente du bien. Dans R. v. A.S., la Cour d’appel de l’Ontario a imposé une amende égale au prix d’achat payé par le policier banalisé, malgré l’argument du contrevenant qu’il avait utilisé la majeure partie de ces sommes pour payer son fournisseur et ses supérieurs dans l’organisation criminelle :

[14]      (…) [W]e are satisfied that the sentencing judge erred in not imposing a fine in lieu of forfeiture.  The respondent received $37,100 in drug buy money.  He did not act alone and his actions extended over a considerable period of time.  Receiving the money was a “benefit” in keeping with the purpose of the provisions.  What the respondent then chose to do with the money (i.e. pay his supplier, purchase drugs, etc.) need not be the subject of inquiry by the sentencing judge.[166]

[Soulignements ajoutés]

[238]     Similairement, dans R. v. Dow, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a conclu qu’il était justifié d’infliger une amende correspondant aux sommes payées par le policier banalisé, nonobstant l’allocation de bénéfices dans le réseau de trafic de stupéfiants du contrevenant et l’absence de preuve quant à la valeur des bénéfices que ce dernier a personnellement perçus de l’opération  :

Les intermédiaires et les passeurs de drogues, même s’ils sont peut-être au rang inférieur de la hiérarchie du trafic de drogue, jouent néanmoins un rôle clé dans cette activité illégale. Le besoin de dissuasion s’applique aussi dans leur cas.   Par surcroît, il faut démontrer aux organisations criminelles que personne, même pas ceux qui se trouvent au bas de la hiérarchie, ne pourra profiter des crimes qu’elles commettent.  Au bout du compte, il faut démontrer que le crime ne paie pas.[167]

[Soulignements ajoutés]

[239]     En 2015, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu deux jugements où il fut déterminé que « la valeur du bien » doit correspondre à la valeur du bien initial obtenu par la criminalité. Dans R v. Piccinini, le tribunal de première instance conclut que le contrevenant a été indirectement en contrôle d’une somme d’au moins 500 000 $ en tant que tête dirigeante d’une fraude totalisant 900 000 $. Le tribunal impose une amende de 500 000 $ en conséquence. La Cour d’appel maintient l’amende malgré l’absence de preuve que le contrevenant ait bénéficié personnellement de cette somme et écrit : « The “value of the property” (…) is the value of the property that was possessed or controlled by the appellant. It is not the benefit received by the appellant »[168].

[240]     Fait intéressant, la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Piccinini, réfère à l’affaire R. v. Siddiqi, dans laquelle la même Cour rejette l’argument selon lequel la poursuite doit démontrer que le contrevenant a bénéficié personnellement des sommes visées par l’amende compensatoire. La Cour rejette cet argument au motif qu’il n’y a aucune indication selon laquelle le transfert de fonds à une tierce personne visait une allocation de bénéfices plutôt qu’une tentative d’exclure les sommes de la portée de l’État :

The loan proceeds were proceeds of crime. Mr. Siddiqi had possession and control of loan proceeds in excess of the amount which he was fined. He put most of those funds beyond reach by transferring them out of the country to a third party. That third party was not a co-conspirator before the court. The trial judge did not need to find that Mr. Siddiqi personally benefitted from the funds he transferred to the third party, on a dollar-for-dollar basis, to impose a fine in lieu of forfeiture that included the amount of the transferred funds. The concerns that Mr. Siddiqi raises about possible double recovery do not arise on the facts of this case.[169]

[Soulignements ajoutés]

[241]     D’ailleurs, le tribunal de première instance dans Piccinini a imposé une amende de 500 000 $, plutôt qu’une amende de 900 000 $ correspondant à la valeur totale de la fraude, par souci d’éviter que l’ensemble des amendes imposées aux coaccusés excède la valeur totale de la fraude. La Cour d’appel n’intervient pas sur cet aspect[170].

[242]     Dans R. v. Dieckmann, la Cour d’appel de l’Ontario précise que la poursuite n’a pas à prouver que le contrevenant a personnellement bénéficié des sommes dont il avait le contrôle, mais qu’un tribunal peut exercer sa discrétion afin de diminuer le montant de l’amende en présence de preuve que les sommes dont le contrevenant a eu le contrôle ont été partagées entre complices, de manière à éviter une situation de double recouvrement :

[100]    There is no onus on the Crown to establish that an offender has received a benefit: R. v. Piccinini (…) and R. v. Siddiqi (…).  That said, if there is evidence before the court that establishes or admits of an allocation of benefit, it is open to the court to exercise its discretion to adjust the quantum of the fine.[171]

[243]     Par ailleurs, dans Lavigne, la Cour suprême ne traite pas spécifiquement de cet enjeu, mais impose une amende de 150 000 $ correspondant aux conclusions factuelles du juge de première instance quant aux bénéfices tirés par le contrevenant de ses opérations de trafic de drogue[172]. La juge Deschamps, au nom de la Cour suprême, décrit ainsi les limites que les objectifs législatifs imposent quant à la discrétion d’un tribunal d’infliger une amende compensatoire :

[…] L’intention du législateur est claire.  Non seulement l’acte doit-il être puni, mais il ne doit pas bénéficier au contrevenant.  Le législateur veut ainsi s’assurer que le crime ne paie pas. […] [I]l importe de bien cerner l’objectif de la disposition principale afin de pouvoir dégager celui de la disposition autorisant la peine substitutive.

 

 

 

 

[…]

 

[…] D’autre part, le tribunal pourrait être en présence de circonstances où la poursuite des objectifs de ces dispositions ne requiert pas l’infliction d’une amende. Ce serait le cas, par exemple, si le contrevenant n’a pas bénéficié du crime et s’il s’agit d’un crime isolé commis par un contrevenant agissant seul.  Dans ce cas, aucun des objectifs ne serait servi ou contrecarré par le refus d’infliger une amende de remplacement. Le mot « peut » laisse place à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui est conforme à l’esprit de l’ensemble des dispositions concernées.

[…]

Le contexte de la disposition a permis de faire ressortir la volonté du législateur de mettre l’accent sur la privation du gain et sur l’aspect dissuasif de la mesure.[173]

 

[Soulignements ajoutés] 

 

(…) The intention of Parliament is clear. Not only must the act itself be punished, but it must not benefit the offender. Parliament’s purpose in doing this is to ensure that crime does not pay. Although the appeal concerns the discretion of a court that imposes a fine instead of forfeiture, the objective of the primary provision must be correctly established for it to be possible to identify the objective of the provision authorizing this sentence.

 

(…)

 

(…) On the other hand, a court may face circumstances in which the objectives of the provisions do not call for a fine to be imposed. An example of this would be if the offender did not profit from the crime and if it was an isolated crime committed by an offender acting alone. In such a case, none of the objectives would be furthered or frustrated by a decision not to impose a fine instead of forfeiture. The word “may” allows for an exercise of discretion that is consistent with the spirit of the whole of the provisions in question.

 

 

(…)

 

It is plain from the context of the provision that Parliament’s intention is to focus on depriving offenders of the proceeds and on the measure’s deterrent aspect.

 

(Emphasis added)

[244]     L’objectif législatif visé par le paragraphe 462.37 (3) C.cr. met l’accent sur la privation du gain plutôt que sur la valeur des sommes dont le contrevenant a eu le contrôle. Ainsi, lorsque la juge Deschamps écrit que « le tribunal ne peut pas prendre en considération la capacité de payer du contrevenant pour ne pas infliger l’amende ou pour en diminuer le montant », elle n’exclut pas un exercice discrétionnaire pour réduire le montant de l’amende selon la preuve administrée quant au bénéfice que le contrevenant a tiré de son activité criminelle, par opposition à la valeur totale des produits de la criminalité dont il a eu possession telle que la valeur de revente d’un bien volé dans le cadre d’une opération de recel.

[245]     Nous sommes par conséquent d’avis de suivre l’approche adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans Dieckmann, à savoir qu’un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire, en présence d’une preuve suffisante, afin de fixer une amende qui reflète la marge de profit dont le contrevenant a bénéficié dans le cadre de son activité criminelle, pourvu que le double objectif de privation du gain et de dissuasion de l’organisation criminelle et des complices soit satisfait. Ceci dit, les tribunaux conservent leur pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende égale à la valeur du bien, par exemple en matière de vente de stupéfiants, si l’amende équivalente aux gains personnels du contrevenant était si basse que l’objectif de dissuasion ne pourrait pas être servi convenablement, particulièrement lorsque les infractions sont commises par un subalterne au profit d’une organisation criminelle continue et structurée[174].

iii.        Application en l’espèce

[246]     En matière de recel et en présence d’une preuve d’allocation de bénéfices, le juge avait le pouvoir discrétionnaire d’imposer une amende égale à la marge de profits que Richard Vallières tirait de la revente de sirop volé. Par conséquent, le juge commet une erreur lorsqu’il affirme qu’il « n’a d’autre choix que d’ordonner le paiement de ce montant de 9 393 498,44 $ »[175]. Cette erreur de principe a mené à l’imposition d’une amende manifestement non indiquée qui s’écarte de façon marquée et substantielle de l’amende imposée aux autres coaccusés ayant eu en leur possession le sirop volé.

[247]     Dans cette optique, et suivant la preuve et les conclusions factuelles du juge quant à la marge de profit dont Richard Vallières a bénéficié, il y a lieu d’établir le montant de l’amende compensatoire à 1 000 000 $[176], déduction faite du montant de l’ordonnance de restitution conformément à la conversion de devises suggérée par le ministère public, pour un total de 171 397,57 CAD[177].

[248]     S’attarder sur la marge de profit obtenue par la revente de biens volés ou fraudés s’accorde davantage avec l’objectif de privation du gain et avec la maxime « le crime ne paie pas ». Cette application favorable aux contrevenants s’harmonise d’ailleurs avec la règle bien établie selon laquelle les dispositions exceptionnelles en matière criminelle, tels les pouvoirs relatifs aux produits de la criminalité prévus à la partie XII.2 C.cr., doivent recevoir une interprétation et une application restrictives.

[249]     En outre, l’objectif de dissuasion du contrevenant, des complices et des organisations criminelles demeure satisfait. La peine d’emprisonnement de huit ans combinée à une amende compensatoire de 1 000 000 $ satisfait amplement à cet objectif.

[250]     Le fait que Richard Vallières a dilapidé les bénéfices perçus de ses crimes n’entre pas dans l’analyse. Au contraire, les dispositions législatives applicables en l’espèce visent précisément à priver le contrevenant des gains issus de la criminalité et à le punir s’il dilapide ses profits illégaux. Ceci étant, il est illusoire et donc non indiqué d’imposer une amende de 10 000 000 $ alors que la preuve démontre qu’il a tiré 1 000 000 $ de profit. Une amende de 10 000 000 $ est manifestement disproportionnée quant aux objectifs applicables. Richard Vallières n’a jamais eu en sa possession 10 000 000 $ et n’a jamais dilapidé une telle somme : il s’agit plutôt d’entrants qui servaient à acheter davantage de sirop destiné à la revente afin d’engranger une marge de profit. C’est cette marge de profit qui est réellement visée par les objectifs législatifs en l’espèce.

E.  Conclusion sur la peine de Richard Vallières

[251]     Par conséquent, l’amende compensatoire doit être réduite à 171 397,57 CA. Dès lors, la peine d’incarcération pour défaut de paiement doit également être réduite conformément au sous-alinéa 462.37 (4)(a)(v) C.cr. Il y a lieu par conséquent de réduire la peine d’incarcération pour défaut de paiement de 6 ans à 3 ans.

[252]     Il s’ensuit que la Cour est d’avis de rejeter les deux premiers moyens d’appel et de maintenir la peine d’emprisonnement de 8 ans, et d’accueillir l’appel en partie quant à l’amende compensatoire et l’ordonnance de restitution pour modifier les conclusions des paragraphes [133] et [134] du jugement sur la peine.

VI. APPEL DE LA PEINE D’AVIK CARON (200-10-003479-180)

[253]     Parmi les éléments constitutifs de la peine prononcée par la Cour du Québec le 21 avril 2017, l’appelant Caron ne conteste que le montant des amendes compensatoires qui lui ont été imposées, ainsi que le délai de paiement établi par le juge.

A.   Contexte

1.    Projet Luisance (400-01-084989-177)

[254]     Le juge a conclu de l’ensemble de la preuve que l’appelant Caron est l’instigateur et la tête dirigeante principale des opérations de vol de sirop à l’entrepôt de la Fédération à St-Louis-de-Blandford. Sa conjointe est actionnaire de la compagnie qui loue l’entrepôt à la Fédération et qui fournit de la main d’œuvre pour la surveillance, l’entretien et la manutention de l’espace d’entreposage loué par la Fédération.

[255]     Le juge Lacoursière résume ainsi les opérations de vol à l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford :

[17]      Du 1er août 2011 au 31 juillet 2012, l’accusé, avec la collaboration de complices, transvide les barils pour en remplacer le contenu par de l’eau.

[18]      Au début, les barils sont vidés directement dans l’entrepôt, mais par la suite, ils sont transportés tantôt dans un endroit isolé, tantôt dans d’autres entrepôts. L’accusé et ses complices se sont ainsi emparés du contenu d’environ 9 571 barils, soit 59 % de tous les barils entreposés à cet endroit par la FPAQ.

[19]      C’est un coaccusé, Richard Vallières, qui agit comme receleur dans cette affaire. Le sirop volé est donc transporté chez des distributeurs au Nouveau-Brunswick ou à Sherbrooke pour être revendu à des transformateurs des produits de l’érable ou pour être exporté à l’extérieur du pays.

[20]      Cette opération a nécessité selon la poursuite l’utilisation de 95 camions-remorques de 53 pieds et la valeur marchande du sirop d’érable ainsi volé s’élève à près de 19 millions de dollars.[178]

[256]     Le juge impose une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité de 1 200 000 $ à Caron.

[257]     Le témoignage de Caron est vague quant aux bénéfices qu’il a tirés de cette opération. En appel, il demande que le montant de l’amende compensatoire soit réduit à 450 000 $. Le ministère public maintient que la preuve permet de conclure qu’il a eu le contrôle d’au moins 9 500 000 $ en produits de la criminalité.

2.   Projet Loutre (400-01-075233-148)

[258]     Le juge résume ainsi la fraude commise par Caron contre la compagnie d’assurance Industrielle Alliance :

[7]        Entre le 1er janvier 2010 et le 31 juillet 2011, l’accusé est propriétaire de l’entreprise Sécurité financière Caron inc.

[8]        Cette société exerce des activités à titre de représentante pour la compagnie d’assurances Industrielle Alliance.

[9]        Pendant cette période, l’accusé a recours au stratagème consistant à soumettre plusieurs propositions d’assurance-vie ou assurance-invalidité à des membres de sa famille, à des amis ainsi qu’à des connaissances dans le but de réclamer les commissions ou les bonis de ces ventes à l’Industrielle Alliance.

[10]      Les montants importants des polices d’assurance vendues et leur nombre font en sorte que l’accusé retire de généreuses commissions de l’Industrielle Alliance. Selon le plan imaginé par ce dernier, celui-ci paie les premières primes de ses clients, puis il procède par la suite à la résiliation de ces mêmes polices d’assurance.

[11]      Selon la poursuite, ces manœuvres frauduleuses rapportent à l’accusé une somme d’environ 878 114,38 $.[179]

[259]     Le juge inflige une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité de 493 047,11 $. Caron maintient n’avoir bénéficié que de 220 000 $ dans cette aventure et demande que l’amende soit réduite en conséquence.

B.  Jugement entrepris

[260]     Tel que déjà mentionné, les moyens d’appel de Caron portent exclusivement sur les amendes compensatoires qui lui ont été imposées.

[261]     Le juge Lacoursière note d’abord qu’un jugement civil accorde à l’Industrielle Alliance 493 047,11 $ pour la fraude relative au projet Loutre. Il ajoute qu’il ne tient pas compte des condamnations civiles au titre des facteurs aggravants en raison du fardeau de preuve différent et du fait que Caron bénéficie toujours de la présomption d’innocence.

[262]     Le juge détermine ensuite que le ministère public a démontré par prépondérance des probabilités que Caron a obtenu des biens qui constituent des produits de la criminalité : soit une partie de l’argent remis par Richard Vallières à la suite de la vente du sirop volé ainsi que des commissions et bonis de l’Industrielle Alliance à la suite de ses agissements frauduleux. Puisque l’appelant a disposé de cet argent ou que les sommes sont introuvables, le juge conclut que les critères sont remplis pour imposer une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité.

[263]     Le juge expose les principes applicables lorsqu’il est impossible d’établir la valeur des produits de la criminalité. Il conclut qu’il n’y a pas de preuve tangible quant à la somme que Caron a eu en sa possession pour le vol de sirop. Il décide de se rapporter au témoignage de Caron, qui a déclaré avoir obtenu un profit de 15 000 $ par livraison de sirop et avoir participé à au moins 80 livraisons pendant la période visée par les chefs d’accusation, ce qui représente un total de 1 200 000 $. Il impose l’amende compensatoire relative au vol de sirop au même montant.

[264]     Concernant la fraude à l’Industrielle Alliance, le ministère public avançait le montant de 878 114,38 $ totalisant l’ensemble des commissions et bonis obtenus par Caron pendant la période infractionnelle. Ce dernier prétend n’avoir bénéficié que de 220 000 $ en commissions et bonis liés à ses agissements frauduleux.

[265]     Puisque les dossiers d’assurances n’ont pas tous été récupérés, le juge considère qu’il n’est pas possible de distinguer les bonis et commissions obtenus légitimement de ceux obtenus frauduleusement. Il considère néanmoins que le jugement de la Cour supérieure du 19 décembre 2011 condamnant Caron à payer 493 047,11 $ constitue une preuve prépondérante selon laquelle il a eu en sa possession un montant équivalent constituant un produit de la fraude à l’Industrielle Alliance. Le juge condamne alors Caron à un montant d’amende compensatoire additionnel de 493 047,11 $.

[266]     Le juge refuse de prononcer une ordonnance de dédommagement et dispense Caron de payer la suramende compensatoire, notamment en raison de son incapacité de payer.

[267]     Voici les conclusions relatives à l’amende compensatoire :

[123]    ORDONNE à l’accusé de payer une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité au montant de 1 200 000 $ dans le dossier 400-01-084989-177 et de 493 047,11 $ dans le dossier 400-01-075233-148 dans un délai total de 5 ans et 6 mois en vertu de l’article 462.37(3) du Code criminel.

[124]    ET, à défaut du paiement de cette amende,

[125]    ORDONNE la détention de l’accusé pour une durée de 5 ans consécutifs à toute autre peine d’emprisonnement infligée à celui-ci ou que celui-ci est en train de purger;

C.  Questions en litige

[268]     Caron ne prétend pas que le juge a erré en lui imposant des amendes compensatoires. Il conteste plutôt le montant des amendes eu égard à la preuve ainsi que le délai de paiement. Vu la nature des questions et des arguments de Caron, la Cour abordera les questions en litige dans l’ordre suivant :

(1) le juge a-t-il commis une erreur en établissant la valeur de l’amende compensatoire pour la fraude envers l’Industrielle Alliance à 493 047,11 $?

 

(2) le juge a-t-il commis une erreur en établissant la valeur de l’amende compensatoire pour le vol de sirop à 1 200 000 $?

 

(3) le juge a-t-il erré en droit en accordant un délai de 5 ans et 6 mois pour payer l’amende compensatoire totale compte tenu de la capacité limitée de payer de l’appelant?

D.  Analyse

1.    Le montant des amendes compensatoires

              i.        Le vol de sirop

a)   Droit applicable

[269]     En vertu du paragraphe 462.37 (3) C.cr., le tribunal, ainsi que nous l’avons vu, doit imposer une amende compensatoire égale à la valeur du bien dont il est convaincu qu’il devrait faire l’objet d’une ordonnance de confiscation s’il était toujours disponible.

[270]     À cet effet, le fardeau de preuve varie selon que le bien visé a été obtenu en rapport avec une infraction désignée pour laquelle l’accusé a été déclaré coupable ou que la preuve ne permet pas de conclure que le bien a été obtenu en rapport avec l’infraction désignée, mais que le tribunal est néanmoins convaincu que le bien constitue un produit de la criminalité. Dans le premier cas, le tribunal doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le bien a été obtenu en rapport avec l’infraction désignée pour laquelle l’accusé a été déclaré coupable. Dans le second cas, le tribunal doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que le bien constitue néanmoins un produit de la criminalité[180].

[271]     Au stade de détermination de la peine, il est bien connu que les règles de preuve sont assouplies[181], que le juge prend connaissance des éléments de preuve pertinents[182], et que les déterminations portant sur des faits contestés se font sur la base de la prépondérance de preuve, à l’exception des faits aggravants ou des condamnations antérieures[183].

b)   Application en l’espèce

            ii.        La fraude envers l’Industrielle Alliance

[272]     Le ministère public réclame le paiement d’une amende compensatoire de 878 114,38 $ en s’appuyant sur l’ensemble des commissions déposées par l’Industrielle Alliance à Caron durant la période infractionnelle. Ce dernier soutient qu’il a reçu tout au plus 220 000 $ en commissions frauduleuses, s’appuyant sur des explications vagues lors de son témoignage.

[273]     Les prétentions de Caron sont peu crédibles eu égard à la preuve documentaire. Selon la preuve du ministère public, plus de 96 % des propositions d’assurances soumises par Caron en 2010 et 2011 ont été résiliées. Ce dernier mentionne avoir commencé à soumettre des polices d’assurance frauduleuses en 2010. Caron aurait reçu en commissions les montants suivants de 2008 à juin 2011 :

·        2008 : 91 366,61 $;

·        2009 : 168 740,95 $;

·        2010 : 237 338,64 $;

·        Du 1er janvier au 23 juin 2011 : 640 775,74 $.

[274]     Alors que la moyenne pour les années 2008 à 2010 des trois meilleurs représentants se situe entre 96 et 117 propositions d’assurances par année, Caron aurait soumis 165 propositions en 2010 et 386 pour la moitié de l’année 2011, alors qu’il n’en avait soumises que 25 et 91 en 2008 et 2009 respectivement.

[275]     Malgré cette preuve qui lui permettait de remettre la crédibilité de Caron en doute quant aux bénéfices qu’il a perçus de la fraude, le juge a raison de souligner « qu’il n’est pas possible de confirmer le nombre et les motifs des résiliations demandées par les assurés qui avaient été approchés par ce dernier » et qu’il était donc impossible de distinguer les commissions frauduleuses des commissions légitimes, puisque seulement 50 dossiers ont été récupérés[184].

[276]     Selon le ministère public, Caron aurait fait disparaître les autres dossiers, notamment en prenant la fuite avec une tour d’ordinateur lorsque des huissiers se sont présentés chez lui à la suite de son refus de remettre ses dossiers conformément à un bref de saisie avant jugement obtenu par l’Industrielle Alliance. Les explications de Caron sur cet événement sont vagues.

[277]     Dans ces circonstances, le juge s’en remet au jugement civil condamnant Caron à verser à l’Industrielle Alliance 493 047,11 $ pour cette fraude. Le juge considère que « la preuve prépondérante réside dans [ce] jugement »[185].

[278]     Ce faisant, le juge n’a pas commis d’erreur révisable. Il exerce raisonnablement son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer le montant de l’amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité en concluant que Caron a bénéficié d’au moins 493 047,11 $ en commissions frauduleuses. Devant une preuve contradictoire et le témoignage peu crédible de celui-ci, le juge appuie son raisonnement sur une condamnation civile pour les mêmes faits alors que le fardeau de preuve est le même. Il n’y a aucun motif d’intervention sur cette conclusion factuelle considérant la norme de contrôle applicable.

[279]     Par ailleurs, aucun élément au dossier n’indique qu’un témoignage incriminant Caron aurait été utilisé lors des procédures de première instance, de sorte que l’allégation de violation de l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés n’a aucun fondement[186].

iii.  Le vol de sirop

[280]     Selon la preuve du ministère public, Caron dirigeait les opérations de vol du sirop à l’entrepôt du 150 Industriel à St-Louis-de-Blandford. Dans cet entrepôt, 9 571 barils de sirop ont été volés pour une valeur marchande de 18 720 717 $. Le ministère public estime que 95 camions-remorques de 53 pieds furent nécessaires au transport du sirop volé. Il avance que Caron aurait reçu au moins 9 500 000 $ en produits de la criminalité.

[281]     Richard Vallières estime avoir acheté de Caron de 100 à 150 cargaisons de sirop qu’il payait à la livraison. Il témoigne avoir payé une centaine de livraisons jusqu’en août 2012, puis avoir arrêté les paiements lorsque l’affaire fut médiatisée. La preuve démontre que Richard Vallières achetait à Caron le sirop volé au prix de 1 000 $ par baril de 45 gallons (ou environ 650 livres), ou entre 75 000 $ et 100 000 $ par cargaison de camion de 53 pieds. Vallières explique qu’il payait en espèces ou par virements bancaires.

[282]     Une analyse des retraits bancaires de Richard Vallières contemporains à des messages textes échangés avec Caron permettait au juge d’inférer qu’entre le 12 et le 26 avril 2012 seulement, Richard Vallières aurait remis 441 500 $ à Caron. Richard Vallières a témoigné avoir lui-même vendu pour 10 000 000 $ de sirop, la majorité provenant du sirop volé acheté à Caron. L’analyse des comptes bancaires de Richard Vallières a révélé que plus de 4 000 000 $ ont été retirés en espèces, dont seize retraits de plus de 100 000 $ et treize retraits de plus de 10 000 $ durant la période infractionnelle.

[283]     Par ailleurs, l’ensemble de la preuve permettait au juge de première instance de conclure que Caron était l’instigateur du vol, dirigeait les opérations de vol à l’entrepôt de St-Louis-de-Blandford, supervisait des livraisons, agissait comme lien entre les équipes de receleurs, collectait les paiements de Richard Vallières et payait les complices.

[284]     Vu l’absence de preuve tangible quant aux bénéfices personnels que Caron a tirés du vol de sirop et vu son témoignage peu crédible et contradictoire, le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable et sans commettre d’erreur révisable en concluant que Caron recevait 15 000 $ par livraison de sirop volé et qu’il a participé à un total de 80 livraisons, pour un profit totalisant 1 200 000 $. Il n’y a aucun motif d’intervention en appel sur cette conclusion factuelle qui trouve un appui dans la preuve.

2.   Le délai de paiement

[285]     Caron reproche au juge de ne pas avoir considéré sa capacité de payer limitée en établissant le délai de paiement de l’amende compensatoire. Selon lui, le montant de l’amende combinée au délai de paiement illusoire constituent une peine d’incarcération déguisée, cruelle et inusitée en contravention de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’objectif de réinsertion sociale des délinquants. Il demande en appel un délai total de 15 ans à compter de la date de sa libération pour payer l’amende.

a)   Droit applicable

[286]     Ainsi que nous l’avons déjà vu, la capacité de payer du délinquant n’est pas pertinente quant à la décision d’imposer une amende compensatoire et lorsque le tribunal détermine la valeur de l’amende. Ceci étant, ce facteur peut toutefois être pris en compte afin de déterminer le délai de paiement[187].

[287]     La détermination du délai de paiement doit tenir compte des principes suivants : (1) si le délinquant n’a pas la capacité de payer immédiatement, le tribunal doit lui accorder un délai; et (2) ce délai doit être établi selon ce qui est raisonnable eu égard aux circonstances. Les tribunaux disposent d’une marge discrétionnaire considérable en cette matière[188].

[288]     Selon les sources soumises par le ministère public, le juge peut, après examen de l’ensemble des circonstances, accorder un certain délai au contrevenant après sa libération afin d’acquitter l’amende compensatoire dans les cas d’incapacité de payer[189].

b)   Application en l’espèce

[289]     En cas de défaut de paiement, le contrevenant bénéficie d’une audience avant que le mandat d’incarcération soit lancé, lors de laquelle il peut faire valoir son incapacité de payer comme excuse raisonnable pour ne pas avoir acquitté son amende. Par conséquent, il est erroné de prétendre que la peine d’incarcération ordonnée en cas de défaut de paiement constitue une peine déguisée, cruelle et inusitée lorsqu’un délai de paiement est accordé comme en l’espèce. Il s’agit plutôt d’une mesure dissuasive distincte de la détermination de la peine visant à inciter le contrevenant à payer son amende[190].

[290]     Cela étant, les arguments de Caron quant à sa capacité de payer et le délai de paiement par rapport à sa peine d’incarcération méritent qu’on s’y attarde.

[291]     D’abord, le juge conclut expressément que Caron n’a pas la capacité de payer une suramende compensatoire[191]. Dans son analyse des amendes compensatoires, il cite les arrêts Lavigne et Wu et affirme que :

[S]i la capacité de payer ne peut être prise en considération par le tribunal pour décider d’infliger une amende de remplacement, ce facteur intervient tout de même aux étapes ultérieures qui ne sont pas touchées par les dispositions particulières sur les produits de la criminalité.[192]

[292]     Néanmoins, le juge accorde un délai de 5,5 ans pour payer une amende de 1 693 047,11 $ conformément à la suggestion du ministère public, alors que Caron doit concurremment purger une peine d’emprisonnement globale de 6 ans[193]. Il ne motive pas davantage sa décision concernant le délai de paiement.

[293]     Comme le fait valoir Caron, sa capacité de payer une telle somme durant son incarcération est illusoire et son potentiel de revenu à sa libération demeure marginal comparé au montant des amendes qui lui sont infligées. Contrairement au cas d’un détenu qui possède des actifs[194] ou lorsque le tribunal infère que le contrevenant détient toujours les sommes obtenues illégalement[195], un tribunal de première instance, a fortiori s’il conclut à l’incapacité de payer d’un contrevenant, devrait lui laisser un délai raisonnable de paiement après que ce dernier aura obtenu sa libération. Nous concluons en conséquence que le délai de paiement accordé par le juge de 5 ans et 6 mois est déraisonnable, quoiqu’il n’y a pas lieu de l’augmenter à 15 ans comme le demande Caron en appel, mais plutôt à 10 ans.

POUR CES MOTIFS, LA COUR : 

[294]     REJETTE les pourvois des appelants Richard Vallières (dossier 200-10-003300-162) et Raymond Vallières (dossier 200-10-003310-161) à l’encontre des verdicts de culpabilité rendus le 12 novembre 2016 et du jugement interlocutoire rendu oralement par le juge Pronovost le 7 octobre 2016 rejetant leurs requêtes en arrêts des procédures pour délai déraisonnable;

[295]     accueille la requête pour permission d’appeler de la peine du requérant Richard Vallières (dossier 200-10-003300-162);

[296]     ACCUEILLE en partie le pourvoi de l’appelant Richard Vallières (dossier 200-10-003300-162) à l’encontre de la peine prononcée le 28 avril 2017 par la Cour supérieure, à la seule fin de modifier les paragraphes [133] et [134] du jugement sur la peine qui doivent être ainsi libellés :

[133]    ORDONNE que soit restituées à la victime fruits de la criminalité obtenus par Richard Vallières soit les sommes d’argent faisant l’objet de l’ordonnance de blocage (400-38-005680-147) à savoir, la somme de 606 501,56 USD;

[134]    ORDONNE à Richard Vallières de payer une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité au montant total de 171 397,57 CAD dans un délai de dix (10) ans;

À défaut du paiement de cette amende :

[135]    ORDONNE l’incarcération de Richard Vallières pour une durée de trois (3) ans consécutifs à toute autre peine d’emprisonnement;

[297]     REJETTE le pourvoi de l’appelant Étienne St-Pierre (dossier 200-10-003329-179) à l’encontre du verdict de culpabilité rendu le 12 novembre 2016 par un jury au terme d’un procès présidé par le juge Pronovost le déclarant coupable de fraude et de trafic de sirop recelé ou obtenu par fraude.

[298]     ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler de la peine du requérant Avik Caron (dossier 200-10-003479-180);

[299]     ACCUEILLE en partie le pourvoi de l’appelant Avik Caron à l’encontre de la peine prononcée le 21 avril 2017 par la Cour du Québec à la seule fin de modifier le paragraphe [123] qui doit être ainsi libellé : 

[123]    ORDONNE à l’accusé de payer une amende compensatoire à la confiscation des produits de la criminalité au montant de 1 200 000 $ dans le dossier 400-01-084989-177 et de 493 047,11 $ dans le dossier 400-01-075233-148 dans un délai de 10 ans à compter de la date de sa libération en vertu de l’article 462.37(3) du Code criminel.

 

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

Me Teddy Tabet

Pour : Me Marie-Hélène Giroux et Me Maria Soledad Vivas Rodriguez

MGL AVOCATS

Pour les appelants Richard Vallières et Raymond Vallières

 

Me Mikaël H. H. Bernard

MATCHIM BERNARD LAW GROUP

Pour l’appelant Étienne St-Pierre

 

Me Nathalie Provost

MGL AVOCATS

Pour l’appelant Avik Caron

 

MJulien Beauchamp-Laliberté

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

Le 17 septembre 2019

 



[1]     Jugement sur requête en arrêt des procédures, 7 octobre 2016, [Jugement sur requête en arrêt des procédures].

[2]     R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[3]     Dans le présent arrêt, les références à une « livraison » ou à un « transport » correspondent à une cargaison d’environ 45 000 livres de sirop contenue dans un camion-remorque de 53 pieds.

[4]     Béliveau c. R., 2016 QCCA 1549, par. 112-114.

[5]     R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 46-47; M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr.73.

[6]     R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 82; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 77.

[7]     R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 83.

[8]     R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 61-63; R. c. Morin[1992] 1 R.C.S. 771, paragr. 37-39.

[9]     R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 64. Voir aussi R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 49-75; M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr. 75.

[10]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 61.

[11]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 72-73.

[12]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 65; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 51.

[13]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 65; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 51-52; M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr. 75.

[14]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 92 et s. M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr. 77.

[15]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 81.

[16]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 69 [italique dans l’original].

[17]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 70 [italique dans l’original].

[18]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 70.

[19]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr.71.  Selon la Cour suprême, les circonstances exceptionnelles se divisent « généralement » entre ces deux catégories, ce qui laisse donc en théorie une possibilité d’autres types de circonstances exceptionnelles. Dans Cody, la Cour suprême a considéré la mesure transitoire exceptionnelle « comme troisième forme de circonstances exceptionnelles ». R. c. Cody, 2017 CSC 31, paragr. 46.

[20]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 89; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 77-79.

[21]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 53.

[22]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 79. Ce paragraphe cite à ce sujet R. c. Auclair, [2014] 1 R.C.S. 83, paragr. 2.

[23]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 96; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 70, 74; R. c. Manasseri2016 ONCA 703, paragr. 367.

[24]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 96.

[25]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 94; R. c. Cody, 2017 CSC 31, paragr. 68; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 100; Béliveau c. R, 2016 QCCA 1549, paragr. 94; R. v. Warring, 2017 ABCA 128, paragr. 8.

[26]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 94.

[27]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 96-97; M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr. 78-80; Boulachanis c. R., 2020 QCCA 4, paragr. 27.

[28]    R. c. Cody, 2017 CSC 31, paragr. 68.

[29]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 96.

[30]    M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr. 82-83.

[31]    R. c. Morin[1992] 1 R.C.S. 771, p. 801-802. Voir aussi R. c. Godin, [2009] 2 R.C.S. 3, 2009 CSC 26, paragr. 31, 34; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 20, 21, 43; R. c. Huard, 2016 QCCA 1701, paragr. 28.

[32]    R. c. Morin[1992] 1 R.C.S. 771, p. 801-802. Voir aussi Martin Vauclair, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et de procédure pénales, 23e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, no. 2215.

[33]    R. c. Morin[1992] 1 R.C.S. 771, p. 801-802; R. c. J.G.B. (1993), 85 C.C.C. (3d) 112.

[34]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 202-203 citant R. v. Mallozzi, 2017 ONCA 644 paragr. 31; R v. Warring, 2017 ABCA 128, paragr. 11; R. v. Pyrek, 2017 ONCA 476. Voir aussi R. c. Poissant, 2017 QCCS 988 paragr. 54. Pour l’application de ce facteur sous l’ancien cadre, voir R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, 808; R. c. Martino, 2012 QCCA 182; R. c. Beausoleil (1991), 66 C.C.C. (3d) 415, 428 (C.A.Q.); R. c. Rabba (1991), 64 C.C.C. (3d) 445 (C.A.O.).

[35]    R. c. Cody, 2017 CSC 31, paragr. 74; R. c. Williamson, 2016 CSC 28, paragr. 26-30; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 58, 104, 202; R. v. Baron, 2017 ONCA 772, paragr. 42; R. c. Poissant, 2017 QCCS 988, paragr. 45; Roy c. R., 2016 QCCS 6542, paragr. 37, 65.

[36]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 97; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 206, 212, 214, 219 citant R. c. Duplessis, 2017 QCCS 606; R. c. Palma, 2016 QCCS 6543 (confirmé par Palma c. R., 2019 QCCA 762, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 décembre 2019, dossier 38744); R. c. Paul, 2016 QCCS 6838; R. c. Corriveau, 2016 QCCS 5799; R. c. Namazzade, 2017 QCCQ 5861; R. c. D'Urso, 2017 QCCQ 4706, paragr. 225. Voir aussi Roy c. R., 2016 QCCS 6542, paragr. 42; M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, paragr. 85-86.

[37]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 101.

[38]    Gariépy c. Autorité des marchés financiers, 2016 QCCA 839, paragr. 58. Voir aussi R. c. Jean-Jacques, 2012 QCCA 1628, paragr. 7; R. c. Camiran, 2013 QCCA 452, paragr. 20; R. c. Boisvert, 2014 QCCA 191, paragr. 12; Tremblay c. R., 2014 QCCA 690, paragr 56.

[39]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 150.

[40]    Autorité des marchés financiers c. Desmarais, 2019 QCCA 898, paragr. 62.

[41]    Autorité des marchés financiers c. Desmarais, 2019 QCCA 898, paragr. 61.

[42]    R. c. Boisvert, 2014 QCCA 191.

[43]    R. c. Jean-Jacques, 2012 QCCA 1628, paragr. 7; Tremblay c. R., 2014 QCCA 690, paragr. 56.

[44]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 65. Voir aussi R. c. Cody, 2017 CSC 31, paragr. 31.

[45]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 7; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 81

[46]    R. c. Cody, 2017 CSC 31, paragr. 64; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 79; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 97.

[47]    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, paragr. 98.

[48]    R. c. Rice, 2018 QCCA 198, paragr. 207.

[49]    Requête amendée en arrêt des procédures de Richard Vallières, 27 septembre 2016.

[50]    Guimont c. R., 2017 QCCA 1754. Voir aussi Allie c. R., 2018 QCCA 523, paragr. 47-51 (« [l]’obligation du poursuivant en matière de divulgation de la preuve est continue et l’accusé ne peut raisonnablement s’attendre à ce que, dans un dossier complexe, tous et chacun des éléments de preuve lui soient divulgués dès le début du processus » au paragr. 51 [renvois omis]).

[51]    Voir notamment R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr. 1; R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S 595, 609-611; Laroche c. R., 2011 QCCA 1891, paragr. 30-35. Sur le dépôt formel de l’acte d’accusation au début du procès, voir notamment R. c. Chabot, [1980] 2 R.C.S. 985, p. 999; R. c. St-Laurent, [1983] J.Q. no 49, paragr. 40 (C.A.).

[52]    R. c. Sciascia, 2017 CSC 57, paragr. 8.

[53]    R. c. Sciascia, 2017 CSC 57, paragr. 43.

[54]    R. c. Ozcan, EYB 2004-53650, (QC CQ).

[55]    R. c. Québec (Cour du Québec), EYB 2004-66321, (QC CS), paragr 7-11.

[56]    André c. R., 2019 QCCA 440, paragr. 45-50.

[57]    R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, paragr. 28-29; R. v. Joanisse, 102 CCC (3d) 35, p. 43-45 (Doherty J.A; André c. R., 2019 QCCA 440, paragr. 48-49; Ménard c. R., 2018 QCCA 1800, paragr. 43; R. c. Delisle, [1999] RJQ 129, paragr. 23.

[58]    Ménard c. R., 2018 QCCA 1800, paragr. 50; Lavigne c. R., 2008 QCCA 239, paragr. 6; Badio c. R., 2013 QCCA 180.

[59]    Code criminel, par. 591(1); R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr. 1.

[60]    R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr. 14; R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, p. 353-354; Marc c. R., 2006 QCCA 1112, paragr. 58 (demande d’autorisation d’appel rejetée, R. c. Jackson, [2006] C.S.C.R. no 430, dossier no 31703).

[61]    R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr.14-15; R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, p. 353-354.

[62]    R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr. 16.

[63]    R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr. 16.

[64]    R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858, paragr. 30-32; Marc c. R., 2006 QCCA 1112, paragr. 59.

[65]    Marc c. R., 2006 QCCA 1112, paragr. 62-65.

[66]    R. c. Last, 2009 CSC 45, paragr. 18.

[67]    R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S 595, 609

[68]    R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[69]    R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[70]    Vallières c. R., 2017 QCCA 924.

[71]    R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[72]    Id., paragr. 14

[73]    Id., paragr. 15.

[74]    Id., paragr. 40-45.

[75]    Id., paragr. 52.

[76]    Id., paragr. 51, 56.

[77]    Id., paragr. 51.

[78]    R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[79]    Id., paragr. 68-69. L’exécution du jugement condamnant Richard Vallières en faveur d’Abbas Sheikh a été suspendue par cette Cour en raison d’allégations de fraude et collusion entre Vallières et Sheikh. Voir Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Sheikh, 2014 QCCA 386; Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. 657807 New Brunswick inc., 2014 QCCA 1256. Abbas Sheikh a subséquemment été déclaré coupable de fraude envers la Fédération dans cette affaire. Voir R. c. Sheik, 2017 QCCQ 20841. Abbas Sheikh a porté cette déclaration de culpabilité en appel dans le dossier 500-10-006618-183.

[80]    Jugement sur peine, R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, paragr. 72.

[81]    Id., paragr. 57-72.

[82]    R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, citant R. c. Lavigne, 2006 CSC 10.

[83]    R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[84]    Id., paragr. 79, 81.

[85]    Id., paragr. 82.

[86]    Id., paragr. 83-86.

[87]    Id., paragr. 89-90.

[88]    Id., paragr. 91.

[89]    Id., paragr. 92-95.

[90]    Id., paragr. 96-100.

[91]    Id., paragr. 101-105.

[92]    Id., paragr. 106.

[93]    Id., paragr. 106.

[94]    Id., paragr. 107.

[95]    Id., paragr. 108.

[96]    Id., paragr. 109.

[97]    Id., paragr. 110.

[98]    Id., paragr. 111-115.

[99]    Id., paragr. 116.

[100]   Id., paragr. 117.

[101]   Id., paragr. 118.

[102]   Id., paragr. 119-123.

[103]   Id., paragr. 124-125, 128.

[104]   Id., paragr. 126.

[105]   Id., paragr. 127.

[106]   Id., paragr. 128.

[107]   Id., paragr. 128-129.

[108]   R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 48-52, 55;  R. c. L.M.2008 CSC 31, paragr. 15; R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290, paragr. 230; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 90.

[109]   Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, paragr. 37 citant R. c. L.M., 2008 CSC 31, paragr. 36R. c. M. (C.A.)[1996] 1 R.C.S. 500, par. 92R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, paragr. 46R. c. Nasogaluak2010 CSC 6R. c. Lacasse2015 CSC 64;  R. c. Suter2018 CSC 34. Voir aussi Lepage c. R., 2017 QCCA 956, paragr. 5-7; Méthot c. R., 2016 QCCA 736, paragr. 18-19; Wellman c. R., 2014 QCCA 524, paragr. 10.

[110]   R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, paragr. 39; Paré c. R., 2011 QCCA 2047, paragr. 41.

[111]   R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, paragr. 46; Wellman c. R., 2014 QCCA 524, paragr. 15.

[112]   R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, paragr. 46; R. c. McKnight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41 (Ont. C.A.) (Laskin J.A.), par. 35; Wellman c. R., 2014 QCCA 524, paragr. 15.

[113]   R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, paragr. 52; Paré c. R., 2011 QCCA 2047, paragr. 43 et s.

[114]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, Jugement sur peine, paragr. 118, 128.

[115]   Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel : La Peine, Tome III, 2e éd, Thémis, 2016, p. 158, paragr. 102.

[116]   FPAQ c. Richard Vallières. Décision 8834 (Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec), 10 juillet 2007.

[117]   Plumitif 400-01-075199-141.

[118]   Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel : La Peine, Tome III, 2e éd, Thémis, 2016, p. 101-102 citant Maurice Cusson, Pourquoi punir?, Paris, Dalloz, 1987, p. 127.

[119]   Cholette c. R., 2013 QCCA 273, paragr. 12; R. c. Chicoine, 2012 QCCA 1621, paragr. 89; Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel : La Peine, Tome III, 2e éd, Thémis, 2016, p. 102, 861.

[120]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, paragr. 105-106 et 115-116.

[121]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, Jugement sur peine.

[122]   R. c. Deng, [2003] J.Q. no 15393, (QC CA), paragr. 27; R. c. Deragon, [2003] J.Q. no 13442 (C.A) (QC CA), paragr. 178. Voir aussi Gavin c. R., 2009 QCCA 1, paragr. 27; R. c. Lépine, 2007 QCCA 70, paragr. 13.

[123]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, Jugement sur peine, paragr. 126. Le juge procède à l’analyse de l’harmonisation des peines aux paragr. 119-127 alors que l’analyse des facteurs aggravants procède aux paragr. 101-117.

[124]   R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351, paragr. 24.

[125]   Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel : La Peine, Tome III, 2e éd, Thémis, 2016, p. 859-861.

[126]   R c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, paragr. 106. Voir aussi R. c. Fredele, 2018 QCCA 1901, paragr. 52-53; R. c. Chicoine, 2012 QCCA 1621, paragr. 76

[127]   Art. 380(1.1) C.cr.

[128]   R. c. Fredele, 2018 QCCA 1901, paragr. 41; Thibault c. R.2016 QCCA 335, paragr. 69; R. c. Chicoine2012 QCCA 1621, paragr. 61-63.

[129]   Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel : La Peine, Tome III, 2e éd, Thémis, 2016, p. 856, par. 665i). Voir aussi art. 380(1)a) et 742.1c) C.cr.

[130]   R. c. Fredele, 2018 QCCA 1901, paragr. 41; Thibault c. R., 2016 QCCA 335, paragr. 69; Wellman c. R., 2014 QCCA 524, paragr. 24-26; R. c. Chicoine, 2012 QCCA 1621, paragr. 61-64, 75.

[131]   Lévesque c. Québec (P.G.), [1993] J.Q. no 2006, paragr. 5. Voir aussi R. c. Juteau, [1999] J.Q. no 1862, paragr. 36 (Proulx, J.A.)

[132]   R. c. Brisson, 2014 QCCA 1655, paragr. 20-22.

[133]   Art. 718.2b) C.cr.

[134]   R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 54-55.

[135]   R. c. L.M., 2008 CSC 31, paragr. 36; Morasse c. R., 2015 QCCA 74, paragr. 141; Nguyen c. R., 2010 QCCA 1482, paragr. 13.

[136]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687; R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465, paragr. 1.

[137]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465, paragr. 46-48.

[138]   Voir par ex R. c. Deng, [2003] J.Q. no 15393, (QC CA), paragr. 32-33.

[139]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, jugement sur la peine, paragr. 111-117.

[140]   Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel : La Peine, Tome III, 2e éd, Thémis, 2016, p. 859-861.

[141]   R. v. Angelis, 2016 ONCA 675, paragr. 22-23.

[142]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 34-35, 43-44; R. c. Dolbec, 2011 QCCA 1610, paragr. 19; Québec (Procureur général) c. Robitaille, 2006 QCCA 1619.

[143]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 44; R. v. Smith, 2008 SKCA 20; Clayton C. Ruby et al., Sentencing, 9e éd, LexisNexis, 2017, p. 528, paragr. 11.54-11.55.

[144]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 34-35, 43-44; O'Reilly c. R., 2017 QCCA 1286, paragr. 51; Québec (Procureur général) c. Robitaille, 2006 QCCA 1619; R. v. Grant (I.M.), 2009 MBCA 9, paragr. 120; Clayton C. Ruby et al., Sentencing, 9e éd, LexisNexis, 2017, p. 529, paragr. 11.58. 

[145]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 8-10, 52. Voir aussi le par. 734(2) C.cr.

[146]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 44, 52; R. v. Angelis, 2016 ONCA 675, paragr. 39-40.

[147]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 36, 39.

[148]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr 45, 48.

[149]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 47; R. c. Wu, 2003 CSC 73, paragr. 3, 41-43, 60-66; O'Reilly c. R., 2017 QCCA 1286, paragr. 51; R. c. Chaussé, 2016 QCCA 568, paragr. 72; R. c. Méthot, 2016 QCCA 581, paragr. 24, 27; R. v. Rafilovich, 2017 ONCA 634, paragr. 24; R. v. Khatchatourov, 2014 ONCA 464, paragr. 59.

[150]   Code criminel, par. 462.41 (1).

[151]   Code criminel, par. 462.41 (3); R. c. Kelly, 2013 QCCA 558, paragr. 32.

[152]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687, paragr. 81.

[153]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 28.

[154]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 44, 52; R. v. Angelis, 2016 ONCA 675, paragr. 39-40.

[155]   R. c. Deng, [2003] J.Q. no 15393, (QC CA), paragr. 21.

[156]   R. v. Waxman, 2011 ONSC 6207, paragr. 3, 42, 97.

[157]   R. v. Waxman, 2011 ONSC 6207, paragr. 42.

[158]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465.

[159]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465.

[160]   Avik Caron a témoigné que Richard Vallières payait entre 75 000 $ et 80 000 $ par voyage de 45 000 livres de sirop. Richard Vallières estime à 100 000 $ le prix d’achat d’une livraison. Selon les chiffres de la Fédération, la valeur marchande du sirop volé était de 3,15 $ par livre. La valeur marchande d’une livraison de 45 000 $ serait donc d’environ 140 000 $. D’ailleurs, le ministère public demandait 9 500 000 $ en amende compensatoire dans le dossier sur la peine d’Avik Caron, retenant le prix de vente avancé par Richard Vallières de 100 000 $ par livraison.

[161]   R. v. Dwyer, 2013 ONCA 34, paragr. 24; R. v. Mackenzie, [2002] O.J. No. 2512 (Ont. C.J.), paragr. 34-35, 39; Clayton C. Ruby et al., Sentencing, 9e éd, LexisNexis, 2017, p. 529, paragr. 11.59.

[162]   R. c. Dolbec, 2011 QCCA 1610, paragr. 25.

[163]   R. c. Grenier, 2017 QCCA 57, paragr. 32-33; R. c. M.V., 2014 QCCA 878, paragr. 16-18.

[164]   Voir notamment R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 51; O'Reilly c. R., 2017 QCCA 1286, paragr. 53; R. c. Dolan Sanchez, [2017] J.Q. no 5003 (Qué. C.S.), paragr. 66-72; R. v. Rafilovich, 2017 ONCA 634, paragr. 18; R. v. Mackenzie, [2002] O.J. No. 2512 (Ont. C.J.), paragr. 34-35, 39; Clayton C. Ruby et al., Sentencing, 9e éd, LexisNexis, 2017, p. 529, paragr. 11.60. Voir aussi R. v. Turmel, [1995] O.J. No. 1302, par. 18-27, appel accueilli en partie pour d’autres motifs, R. v. Turmel, [1996] 92 O.A.C. 215.

[165]   Clayton C. Ruby et al., Sentencing, 9e éd, LexisNexis, 2017, p. 529, paragr. 11.60.

[166]   R. v. A.S., 2010 ONCA 441, paragr. 14 (renvoi omis). Voir aussi R. v. Hoyles, [1997] N.J. No. 265 (Nfdl. C.A.), paragr. 5; R. v Fleming, 2016 ONSC 2805, paragr. 32.

[167]   Dow c. R., 2014 NBCA 15. Voir aussi R. v Fleming, 2016 ONSC 2805, paragr. 32.

[168]   R. v. Piccinini, 2015 ONCA 446, paragr. 19.

[169]   R. v. Siddiqi, 2015 ONCA 374, paragr. 6.

[170]   R. v. Piccinini, 2015 ONCA 446, paragr. 20.

[171]   R. v. Dieckmann, 2017 ONCA 575, paragr. 100.

[172]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 4, 51.

[173]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 10, 28, 30. Voir aussi O'Reilly c. R., 2017 QCCA 1286, paragr. 52.

[174]   Dow c. R., 2014 NBCA 15; R. v Fleming, 2016 ONSC 2805; R. c. Denis, 2014 QCCS 6535, paragr. 208-210, 229-230, 250, 257.

[175]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687.

[176]   R. c. Vallières, 2017 QCCS 1687. Selon les différents chiffres mentionnés au cours du procès, le montant de 1 000 000 $ semble une sous-estimation du gain réel réalisé par l’appelant Richard Vallières. Le ministère public estime dans ses observations sur la peine, selon les chiffres disponibles, qu’à partir d’une marge de profit de 0,20 $ la livre, Richard Vallières a dû réaliser un profit de 900 000 $ à 1 350 000 $. Toutefois, l’ensemble de la preuve indique que Richard Vallières faisait au moins 0,20 $/livre de profit, mais qu’il pouvait en faire plus selon ses clients.

[177]   1 000 000 CA - 828 602,43 CA = 171 397,57 CA.

[178]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465.

[179]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465.

[180]   Comparer les paragraphes 462.37 (1) et (2) C.cr.

[181]   R. c. Lévesque, 2000 CSC 47, paragr. 16.

[182]   Paragraphe 723 (2) C.cr.

[183]   Alinéa 724 (3)(d) C.cr.

[184]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465, paragr. 105. Voir aussi R. c. Dolbec, 2011 QCCA 1610, paragr. 25.

[185]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465, détermination de la peine; Industrielle Alliance c. Sécurité financière Avik Caron inc., 200-17-015509-110.

[186]   Le jugement civil condamnant l’appelant Caron à payer 493 047,11 $ est un jugement par défaut. Voir S-32D - Industrielle Alliance c. Sécurité financière Avik Caron inc., 200-17-015509-110.

[187]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 45, 47, 52; R. v. Angelis, 2016 ONCA 675, paragr. 81.

[188]   R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 47; R. c. Wu, 2003 CSC 73, paragr. 31; R. v. Waxman, 2011 ONSC 6207, paragr. 94-97.

[189]   R. v. Waxman, 2011 ONSC 6207, paragr. 85-102; R. c. Angelis, 2016 ONCA 675, paragr. 77-86; R. c. Denis, 2014 QCCS 6535, paragr. 224-227.

[190]   R. c. Craig, 2009 CSC 23, paragr. 34-37, 48; R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, paragr. 25-26; R. c. Deng, [2003] J.Q. no 15393, (QC CA), paragr. 21; R. v. Angelis, 2016 ONCA 675, paragr. 50-59; R. v. Dwyer, 2013 ONCA 34, paragr. 18-19.

[191]   R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465, paragr. 115-116.

[192]   Id., paragr. 108.

[193]   À noter qu’en raison des déductions pour la détention présentencielle, la durée de la peine d’emprisonnement à partir du prononcé de la peine était de 39 mois. R. c. Caron, 2017 QCCQ 3465, détermination de la peine.

[194]   Voir par ex. R. c. Denis, 2014 QCCS 6535, paragr. 224-227.

[195]   R. c. Topp, 2011 CSC 43, paragr. 27; R. c. Shin, 2015 ONCA 189, paragr. 115.

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