[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Louis Lacoursière), qui, en date du 19 janvier 2015, rejette sa demande d’autorisation d'exercer une action collective. Dans le cadre de ce pourvoi, elle demande, par deux requêtes datées respectivement des 5 mai 2015 et 9 mars 2016, la permission de produire une preuve nouvelle indispensable.
[2] Pour les motifs du juge Levesque, auxquels souscrivent les juges Bich et Savard, et pour les motifs concourants de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Levesque et Savard, LA COUR :
[3] REJETTE les requêtes pour permission de produire une preuve nouvelle indispensable, sans frais de justice;
[4] ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice;
[5] INFIRME le jugement de première instance et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu,
[6] GRANTS the petitioner Adanna Charle’s application seeking authorization to institute the class action;
[7] ASCRIBES to the petitioner Adanna Charles the status of representative plaintiff for the purpose of exercising the class action on behalf of the following class:
- all residents in Canada who have purchased Oscillococcinum and Children Oscillococcinum [“Oscillo Products”] since April 13, 2009;
[8] IDENTIFIES the following as the principal questions of fact and law to be treated collectively in the action:
a) Did the defendant engage in unfair, false, misleading, or deceptive acts or practices regarding the marketing and sale of its Oscillo Products?
b) Is the defendant liable to the class members for reimbursement of the purchase price of the Oscillo Products as a result of their misconduct?
c) Should an injunctive remedy be ordered to prohibit the defendant from continuing to perpetrate their unfair, false, misleading, and/or deceptive conduct?
d) Is the defendant responsible to pay compensatory and/or punitive damages to class members and in what amount?
[9] IDENTIFIES the following as the principal conclusions that relate to the aforementioned questions:
a) GRANT the class action of the representative plaintiff and each of the members of the class;
b) ORDER the defendant to cease from continuing their unfair, false, misleading, and/or deceptive conduct;
c) DECLARE the defendant liable for the damages suffered by the representative plaintiff and each of the members of the class;
d) CONDEMN the defendant to pay to each member of the class a sum to be determined in compensation of the damages suffered, and ORDER collective recovery of these sums;
e) CONDEMN the defendant to pay to each of the members of the class, punitive damages, and ORDER collective recovery of these sums;
f) CONDEMN the defendant to pay legal interest and additional indemnity on the above sums from the date of service of the application to authorize a class action;
g) ORDER the defendant to deposit in the office of the court the totality of the sums which forms part of the collective recovery, with interest, additional indemnity and legal costs;
h) ORDER that the claims of individual class members be the object of collective liquidation if the proof permits and alternately, by individual liquidation;
i) CONDEMN the defendant to bear the costs of the present action including expert and notice fees;
j) RENDER any other order that the court shall determine and that is in the interest of the members of the class;
[10] DECLARES that all members of the class that have not requested their exclusion, be bound by any judgment to be rendered on the class action to be instituted in the manner provided for by the law;
[11] FIXES the time limit for requesting exclusion from the class at 60 days from the date of publication of the notice to members, from which time the members of the class who have not requested exclusion therefrom will be bound by any and all judgments that are rendered in the class action;
[12] ORDER the publication of a notice to the members of the group in accordance with the terms and conditions determined by the judge of the Superior Court assigned to the case, the whole pursuant to articles 576 and 579 C.C.P.;
[13] REMANDS the file to the Chief Justice of the Superior Court for determination of the judicial district in which the case will proceed and for appointment of the judge charged with hearing the case;
[14] Costs in first instance to follow suit.
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[15] L’appelante s'est vu refuser sa demande d’autorisation d’exercer une action collective contre l’intimée qui commercialise, au Canada, l’Oscillococcinum et une version pour enfants (collectivement « Oscillo »), un produit homéopathique qu’elle annonce comme ayant la capacité de soulager les effets de la grippe[1].
[16] La demande de l'appelante, dans sa version amendée, soutient essentiellement que l’Oscillo est présenté comme un produit homéopathique pour le traitement de la fièvre et des symptômes de la grippe, alors qu’en réalité ce produit ne serait rien d’autre qu’un placebo composé à 85 % de sucrose et à 15 % de lactose.
[17] Le juge de la Cour supérieure a longuement considéré la preuve qui lui était présentée et qu’il devait, à ce stade, tenir pour avérée[2]. Il a plutôt écarté les trois articles scientifiques, car trop généraux, et le rapport du Dr Willis déposés par l'appelante. Il s’est dit d’avis que, même si les tribunaux supérieurs enseignent qu'il lui faut adopter une approche libérale et généreuse à l’endroit de la demande, l’appelante n’a pas su rencontrer le fardeau de présentation qui était le sien : les faits allégués ne justifient pas les conclusions recherchées[3].
[18] Le juge se livre aussi à l’étude de la qualité de représentante dont veut se voir coiffée l'appelante. Il conclut que celle-ci n’a pas les qualités requises par l’alinéa 1003d) C.p.c.[4]
[19] L’appelante soutient que le juge a commis une erreur en se livrant à une étude de l’affaire comme s’il siégeait au mérite et qu’il s'est aussi mépris sur les exigences de l’alinéa 1003d) C.p.c.
[20] Je suis respectueusement d’avis que le premier juge, qui n’avait pas le bénéfice des principes qui se dégagent de l’arrêt récent de notre Cour dans Sibiga c. Fido Solutions inc.[5], a commis une erreur en déterminant que le syllogisme juridique de l’appelante ne satisfait pas aux conditions de l’alinéa 1003b) C.p.c. De plus, avec égards, il s’est mépris en ne reconnaissant pas la qualité de l’appelante à titre de représentante du groupe proposé (alinéa 1003d) C.p.c.).
[21] Madame Charles est une consommatrice québécoise qui, à l’hiver 2011, alors qu’elle et son fils étaient porteurs des symptômes de la grippe, s’est procuré de l’Oscillo afin d’en réduire les effets. Elle croyait, comme le suggère particulièrement l’étiquetage du produit (R-5), que l’Oscillo était un médicament homéopathique propre à soulager les effets grippaux tels que la fièvre, les frissons et les courbatures. Bien qu'elle ait utilisé le produit selon la posologie recommandée, elle n’a constaté aucun résultat notable relativement à ses malaises.
[22] Sa demande amendée précise qu'elle a, par la suite, découvert que l’Oscillo n’a aucun effet positif sur la santé et que ses ingrédients médicaux sont si dilués qu’ils ne se retrouvent pas dans le produit final[6]. Elle a aussi appris que des actions collectives ont été entreprises à l’égard du même produit aux États-Unis et qu’elles ont été réglées.
[23] L’appelante expose le syllogisme juridique à la base de son recours ainsi :
3. Oscillo was falsely marketed to have the ability to cure the flu with its purported active ingredient Anas Barbarie Hepatis et Codis extractum, more particularly known as autolysate of the liver and heart of the duck anas barbariae;
[…]
5. By reason of their actions and omissions, the Respondent induced consumers into purchasing the Oscillo product that does not live up to its promised results, thereby causing Petitioners and the members of the class to suffer economic damages, which they are entitled to claim;[7]
[italiques dans l’original]
[24] Dans un jugement longuement élaboré et minutieusement motivé, le juge se dit d’avis que l’appelante ne satisfait pas aux exigences des alinéas 1003b) et d) C.p.c.
[25] Précisément, après avoir passé en revue les allégations de la demande amendée[8], ainsi que les arguments particuliers de la contestation de l’intimée[9], le juge autorisateur s’attaque à l’analyse des exigences de l’alinéa 1003b) C.p.c., non sans avoir adéquatement exposé les principes de droit applicables à la situation[10].
[26] Il décrit d’abord le syllogisme juridique de l’appelante de la façon suivante :
[32] Petitioner's proposed legal syllogism is the following: she was mislead by Boiron in the context of the sale of Oscillo and Children Oscillo products and this entails the latter's liability to refund the purchase price and to pay punitive damages.[11]
[27] Il morcelle ensuite les éléments qui doivent être démontrés :
Petitioner has to demonstrate that she has an arguable case in that:
- there is a fault, i.e. that Boiron's representations on Oscillo and Children Oscillo are misleading;
- there is a causal link, i.e. but for these representations, Petitioner (and the other members of the Group) would not have purchased the products; and
- there are damages suffered as a result of the purchase.[12]
[28] Le juge considère particulièrement le témoignage hors cour de l’appelante et l’affidavit de monsieur Philippe Waddington, directeur général de la Direction générale des produits de santé naturels chez Santé Canada de 2000 à 2008[13].
[29] Il en retient que l’Oscillo est catégorisé comme un produit de niveau 1, soit que la meilleure preuve scientifique disponible a été fournie à Santé Canada (une étude aléatoire et contrôlée par placebo)[14]. Il reconnaît qu’il existe un débat scientifique quant à l’efficacité des traitements homéopathiques, mais il explique qu’il n’est pas nécessaire de le trancher à ce stade[15]. Il centre donc son analyse sur la détermination des éléments de la responsabilité civile[16].
[30] Le juge considère les pièces déposées au soutien de la demande. Il exclut d’abord de la preuve, la référence au site Web de Boiron U.S.A. (R-3) puisque la publicité qui est faite diffère de celle présentée par l’intimée au Canada. Il analyse ensuite les trois articles scientifiques déposés par l’appelante. Il note particulièrement qu’ils sont, en quelque sorte, un plaidoyer général à l’encontre des produits homéopathiques et qu’ils n’ont guère d’assises reconnues scientifiquement[17]. Il choisit de ne pas les retenir en considérant, entre autres, que l’Oscillo a reçu l’approbation de Santé Canada[18]. Puis, le juge procède à l’étude détaillée du rapport du Dr Lynn Willis, professeur émérite au Département de pharmacologie et de toxicologie ainsi qu’à celui de médecine de l’École de médecine de l’Université de l’Indiana[19]. Il résume sa pensée ainsi :
[88] What is there to conclude from a study of his report? That the Oscillo products have been subjected to credible clinical trials, that the Ferley and Papp studies as to the effects of Oscillo on the duration of the flu symptoms are statistically significant and that the ability of Oscillo to relieve flu-like symptoms is slightly better than the effects of the placebo treatment. Dr Willis, however, expresses the opinion that Oscillo lacks clinical relevance and utility for the treatment of flu-Iike symptoms.[20]
[31] Finalement, en procédant à l’analyse de cette opinion dans le contexte du syllogisme juridique avancé par l’appelante, le juge décide qu’elle n’a pas démontré qu’elle a été induite en erreur quant aux vertus de l’Oscillo ou que celui-ci est assimilable à un placebo[21].
[32] Il conclut sur ce sujet en expliquant :
[98] […] However, in authorizing a class action, the Court has to base itself on concrete and objective facts as opposed to hypotheses. While the merits of homeopathy and the nature of the evidence required by Health Canada to issue a licence for a homeopathy product may be challenging subjects, the Court has to be concerned with the Petitioner's allegations and whether she has an "arguable case" to present.
[99] The Court is very mindful of the fact that a "generous" approach has to be used in assessing the conditions of authorization and that the authorization stage is not meant by the Legislator to decide of the merits of a claim. However, the very report which is at the basis of the "arguable case" of the Petitioner concludes to some efficiency of the Oscillo products.
[100] As the rules of proportionality have to be considered in assessing each of the conditions of art. 1003 C.C.P., it seems to the Court that, in this particular case, given the particular allegations of the Motion pertaining to Petitioner's appearance of right and the report filed in their support, it wouId be contrary to the imperatives of proportionality for the Court to hoId that the condition of article 1003 b) C.C.P. has been satisfied and to allow the parties to spend considerable time and energy and make use of substantial Court resources to take the matter to trial.
[101] ln the Court's view, the Petitioner fails on the issue of fault in that she has not demonstrated a prima facie case of false representations.
[102] ln the absence of a demonstration of fault, it is not necessary to assess the "arguable case" of damages and causation.[22]
[italiques dans l’original]
[33] Quant à la qualité de représentante de l’appelante, il critique au passage le caractère passif de sa démarche[23] ainsi que le rôle crucial des avocats en matière d’actions collectives[24]. Bref, il statue que l’appelante n’est pas une représentante adéquate pour le groupe[25].
[34] L’appelante a produit deux requêtes pour permission de déposer une preuve nouvelle. Elle souhaite que nous autorisions la production d'une étude du « Australian Government National Heath and Medical Research Council » ainsi qu’un reportage émanant de CBC/Radio-Canada sur les produits disponibles en pharmacie. Elle soutient qu'il s'agit d’éléments de preuve nouveaux qui n’étaient pas disponibles avant la décision de première instance. De plus, ils sont indispensables au soutien du syllogisme juridique qu’elle avance dans l’action collective qu'elle veut voir autorisée.
[35] Elle souhaite aussi obtenir l’autorisation de mettre en preuve une note de Santé Canada, émise postérieurement au jugement a quo, et ayant comme objet d’informer relativement à certaines modifications à l’étiquetage « to certain homeopathic products that fall under the Natural Health Product Regulations ("NHPR") which includes children’s cough, cold, and flu homeopathic products such as one of the products at issue, Children’s Oscillo ("Health Canada Labelling Changes Alert") »[26].
[36] La preuve que l'appelante souhaite ainsi porter à l'attention de la Cour ne répond pas aux critères et conditions de l'article 380 C.p.c. (art. 509 C.p.c. sous l’ancien régime) et sa demande sera donc rejetée. Il y a donc lieu de rejeter les requêtes pour permission de déposer une preuve nouvelle.
[37] En l’absence d’une erreur de droit, cette Cour fait preuve de déférence à l’égard des conclusions du juge qui décide du sort de la demande d’autorisation :
[33] The respondents are right to say that, barring an error of law, this Court owes deference to the motion judge’s decision, given the inherently discretionary character of his findings relating to the criteria for authorization set forth in article 1003 C.C.P.
[34] While the compass for appellate intervention is indeed limited, so too is the role of the motion judge. In clear terms, particularly since its decision in Infineon, the Supreme Court has repeatedly emphasized that the judge’s function at the authorization stage is only one of filtering out untenable claims. The Court stressed that the law does not impose an onerous burden on the person seeking authorization. “He or she need only establish a ‘prima facie case’ or an ‘arguable case’”, wrote LeBel and Wagner JJ. in Vivendi, specifying that a motion judge “must not deal with the merits of the case, as they are to be considered only after the motion for authorization is granted”.
[35] Since Infineon, our Court has consistently relied upon this standard, invoking it when authorization has been wrongly denied because too high a burden was imposed.[27]
[références omises - italiques dans l’original]
[38] L’appelante soutient que son témoignage conjugué avec les pièces produites, notamment le rapport du Dr Lynn Willis, tenues pour avérées établissent prima facie le syllogisme juridique qu’elle soutient. Le juge aurait, à ses yeux, revêtu la toge d’un juge du fond pour évaluer la preuve selon la balance des probabilités, en opposant, entre autres, l’opinion du Dr Willis à la décision de Santé Canada de reconnaitre le produit. Selon l’appelante, en tenant pour avérés les faits allégués, le juge n’avait d’autre choix que d’accueillir la demande d’autorisation.
[39] L’intimée fait valoir que le juge a adéquatement rempli le rôle qui était le sien de filtrer le recours qui lui était présenté. Il n’a commis en ce faisant aucune erreur de droit et mérite la plus grande déférence à l’égard de son pouvoir discrétionnaire. En d’autres mots, le juge n’a commis aucune erreur en déterminant que les allégations de la demande, ainsi que les pièces produites, ne supportent pas le syllogisme juridique de l’appelante. En effet, il n’y aurait pas de preuve prima facie que l’intimée a commis une faute en effectuant de fausses représentations sur les qualités et l’efficacité de l’Oscillo.
[40] Il est de bon droit de soutenir que la demande d’autorisation d’exercer une action collective est un processus de filtrage et de vérification du mérite possible de l’action[28]. Une telle demande est nécessaire afin d’écarter les recours insoutenables ou frivoles[29].
[41] Cela doit toutefois se faire en ayant à l’esprit que les conditions d’autorisation doivent recevoir une interprétation et une application larges, afin que se réalisent les objectifs de ce type de véhicule procédural[30].
[42] L’alinéa 1003b) C.p.c. se limite à établir que la demande d’autorisation d’exercer une action collective doit être accordée si « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ». C’est ainsi que la Cour suprême expose le principe applicable :
[62] Plus particulièrement, dans le contexte de l’application de l’al. 1003b), notre Cour et la Cour d’appel ont utilisé divers termes, tant en français qu’en anglais, pour décrire et qualifier la fonction de filtrage exercée par le tribunal saisi d’une requête en autorisation d’un recours collectif. En 1981, le juge Chouinard écrivait qu’à l’étape de l’autorisation, la question est de déterminer si « les allégués justifient les conclusions prima facie ou dévoilent une apparence de droit » (Comité régional des usagers, p. 426). À son avis, le tribunal « écarte d’emblée tout recours frivole ou manifestement mal fondé et n’autorise que ceux où les faits allégués dévoilent une apparence sérieuse de droit » (p. 429).
[…]
[65] Comme nous pouvons le constater, la terminologie peut varier d’une décision à l’autre. Mais certains principes bien établis d’interprétation et d’application de l’art. 1003 C.p.c. se dégagent de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel. D’abord, comme nous l’avons déjà dit, la procédure d’autorisation ne constitue pas un procès sur le fond, mais plutôt un mécanisme de filtrage. Le requérant n’est pas tenu de démontrer que sa demande sera probablement accueillie. De plus, son obligation de démontrer une « apparence sérieuse de droit », « a good colour of right » ou « a prima facie case » signifie que même si la demande peut, en fait, être ultimement rejetée, le recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable.
[…]
[68] Tout examen du fond du litige devrait être laissé à bon droit au juge du procès où la procédure appropriée pourra être suivie pour présenter la preuve et l’apprécier selon la norme de la prépondérance des probabilités.[31]
[soulignements ajoutés - italiques dans l’original]
[43] En somme, cette condition sera remplie lorsque le demandeur est en mesure de démontrer que les faits allégués dans sa demande justifient, prima facie, les conclusions recherchées et qu’ainsi, il a une cause défendable. Toutefois, des allégations vagues, générales ou imprécises ne suffisent pas pour satisfaire ce fardeau[32]. En d’autres mots, de simples affirmations sans assise factuelle sont insuffisantes pour établir une cause défendable[33]. Il en sera de même pour les allégations hypothétiques et purement spéculatives[34]. Selon l’auteur Shaun Finn, en cas de doute, les tribunaux penchent en faveur du demandeur sauf si, par exemple, les allégations sont manifestement contredites par la preuve versée au dossier[35].
[44] Je suis d'avis, et cela dit avec le plus grand respect, que le juge de première instance, tout en exposant adéquatement les principes qu'il lui fallait appliquer au stade de la demande d’autorisation, s’en est clairement éloigné. Il s’adonne à une étude au fond de la question en opposant les éléments de preuve déposés par l'appelante aux arguments de l’intimée, ainsi qu’en retenant que le processus d’approbation d’un produit homéopathique par Santé Canada est fiable.
[45] La Cour suprême rappelle, dans l'arrêt Infineon, que le respect d’une réglementation, par ailleurs applicable, ne peut être vu comme une fin de non-recevoir à une action civile[36].
[46] Plutôt que de vérifier si les allégations de la demande amendée (particulièrement les paragraphes 18, 21, 22, 22.1 et 22.2) pouvaient être confirmées par les pièces produites, le juge s’est livré à un processus d’évaluation. Il écrit en effet :
[59] As is apparent from the magazine title, this article is very critical of homeopathy in general and Oscillococcinum in particular. Two paragraphs in the article provide the gist of its view on the product: […]
[60] This article, written by a retired Dutch mathematician, expresses a view. However, the Court, without expressing any opinion on the merits of homeopathy, is reluctant, in the circumstances, to give it any weight or credibility as it may be nothing more than a pamphlet or charge against homeopathy.
[61] The same is true of the article from the U.S. News and World Report magazine entitled Flu Symptoms? Try Duck dated February 9, 1997. This article, however, does refer to studies showing that homeopathic medicines work better than a placebo but that they have been attacked by the medical establishment for being unscientific.
[…]
[63] Again, the Court is reluctant to hold that there is an arguable case to be made that Oscillo products have no effect on the symptoms of flu sufferers strictly on the basis of these articles alone, notably because of the fact that Oscillo products have successfully met the requirements of Health Canada, have been approved for sale and, also, because these articles seem, at first glance, to be all out attacks on homeopathy.
[…]
[85] First of all, the Court, as mentioned above, is not swayed by the views expressed in the articles filed as Exhibits R-7, R-8, and R-10. They are very critical of homeopathy in general and Oscillo products in particular. They may be well founded. However the Court is most reluctant to base itself on such generalities to conclude, even on a prima facie basis, that the product at issue is a mere placebo and should be taken off the shelves.[37]
[soulignements ajoutés - référence omise - italiques dans l’original]
[47] En choisissant d’exclure de la preuve les éléments émanant des articles scientifiques déposés parce qu’ils visaient à discréditer l’homéopathie en général, et qu’en cela ils devenaient peu crédibles, le juge s’écarte carrément de son rôle et de l’approche large et libérale qu'il se devait de suivre.
[48] Lorsqu’il se livre à l’analyse du rapport du Dr Willis, le juge considère la valeur probante de ce document puisqu’il écrit :
[88] What is there to conclude from a study of his report? That the Oscillo products have been subjected to credible clinical trials, that the Ferley and Papp studies as to the effects of Oscillo on the duration of the flu symptoms are statistically significant and that the ability of Oscillo to relieve flu-like symptoms is slightly better than the effects of the placebo treatment. Dr Willis, however, expresses the opinion that Oscillo lacks clinical relevance and utility for the treatment of flu-like symptoms.
[…]
[93] Taking Dr Willis’ report as is, the Petitioner has not made the prima facie demonstration that the Oscillo Products are nothing more than placebo.
[94] It may very well be that, in Dr Willis’ opinion, Oscillo products lack clinical relevance and utility; however, the same expert acknowledges an ability of said products, based on credible studies, to relieve flu-like symptoms that is “slightly better” than the effects of placebo treatment.[38]
[soulignements ajoutés - italiques dans l’original]
[49] Sans prétendre traiter exhaustivement du sujet, le juge semble oublier que plusieurs aspects sont considérés dans l’évaluation de la notion de représentation fausse ou trompeuse. Dans Richard c. Time Inc. la Cour suprême explique le test ainsi :
[78] […] Ainsi, les tribunaux appelés à évaluer la véracité d’une représentation commerciale devraient procéder, selon l’art. 218 L.p.c., à une analyse en deux étapes, en tenant compte, si la nature de la représentation se prête à une telle analyse, du sens littéral des mots employés par le commerçant : (1) décrire d’abord l’impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite.[39]
[italiques dans l’original]
[50] Il me faut conclure, respectueusement, que l’effet de l’approbation par Santé Canada de la qualité du produit homéopathique et que la valeur de l’opinion du Dr Willis sont des questions qui relèvent du juge chargé d’entendre l'affaire à son mérite, à l'occasion d'un débat contradictoire où seront présentés tous les éléments de preuve de chaque partie.
[51] Comme cela était le cas dans l’arrêt Masella c. TD Bank Financial Group, le juge « […] ne s’est pas limité à l’examen du caractère soutenable du syllogisme juridique mis de l’avant par l’appelante comme c’était son obligation de le faire. Il a plutôt tranché le débat sur le fond, faisant siennes les positions énoncées par l’intimée […] »[40].
[52] Je suis d’avis que les allégations de la demande amendée tenues pour avérées sont, à la lumière des pièces produites à leur soutien, de nature à soutenir prima facie le syllogisme juridique que l’appelante met de l’avant. Les exigences de l’alinéa 1003b) C.p.c. sont donc satisfaites.
[53] L’appelante estime que le juge de la Cour supérieure a commis une erreur de droit en rejetant sa candidature comme représentante du groupe. Précisément, il lui reproche d’avoir jeté les emballages des produits achetés, de ne pas avoir communiqué avec les autres membres du groupe et d’avoir omis de faire des recherches pouvant justifier sa revendication. Elle fait valoir qu’il s'agit là de motifs qui n’ont aucune pertinence compte tenu des critères établis par l’arrêt Infineon[41] de la Cour suprême, ainsi que celui de notre Cour rendu dans Lévesque c. Vidéotron s.e.n.c.[42] Elle plaide que le juge ajoute ainsi aux exigences de base en la matière, soit l’intérêt, la compétence et l’absence de conflit d’intérêts.
[54] L’intimée soutient, au contraire, l’idée que le premier juge n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en décidant que l’appelante ne possédait pas les qualités requises au regard du critère relatif à la représentativité, et cela en dépit du fait qu'il devait utiliser une approche large et libérale.
[55] Le juge s’est longuement appliqué à expliquer les raisons justifiant le rejet de la candidature de l’appelante[43]. Comme je l’ai précédemment souligné, il ne bénéficiait pas, alors, des principes qui se dégagent de l’arrêt Sibiga c. Fido Solutions inc.[44] Notre collègue le juge Kasirer, au nom de la Cour rappelle les facteurs établis par l’arrêt Infineon[45] de la Cour suprême ainsi que ceux repris par notre Cour dans l’arrêt Lévesque c. Vidéotron s.e.n.c.[46] Il explique bien que dans le domaine du droit de la consommation, comme c’est ici le cas, l’exigence est minimale :
[97] Article 1003(d) C.C.P. directs that the member seeking the status of representative be “in a position to represent the class adequately / en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres”. As the judge correctly observed, this is generally said to require the consideration of three factors: a petitioner’s interest in the suit, his or her qualifications as a representative, and an absence of conflict with the other class members. These factors should, says the Supreme Court, be interpreted liberally: “No proposed representative should be excluded unless his or her interest or qualifications is such that the case could not possibly proceed fairly”.
[…]
[108] It is best to recognize, as does the appellant herself in written argument, that she may not have a perfect sense of the intricacies of the class action. This is not, however, what the law requires. As one author observed, Quebec rules are less strict in this regard that certain other jurisdictions: not only does the petitioner not have to be typical of other class members, but courts have held that he or she “need not be perfect, ideal or even particularly assiduous”. A representative need not single-handedly master the finery of the proceedings and exhibits filed in support of a class action. When considered in light of recent Supreme Court decisions where issues were equally if not more complicated, this is undoubtedly correct: […]
[109] To my mind, this reading of article 1003(d) makes particular sense in respect of a consumer class action. Mindful of the vocation of the class action as a tool for access to justice, Professor Lafond has written that too stringent a measure of representative competence would defeat the purpose of consumer class actions. After reviewing the law on this point, my colleague Bélanger, J.A. observed in Lévesque v. Vidéotron, s.e.n.c., a consumer class action, that article 1003(d) does not impose an onerous burden to show the adequate character of representation: “[c]e faisant, la Cour suprême envoie un message plutôt clair quant au niveau de compétence requis pour être nommé représentant. Le critère est devenu minimaliste”. In Jasmin v. Société des alcools du Québec, another consumer action, Dufresne, J.A. alluded to the Infineon standard and warned against evaluations of the adequacy of representation that are too onerous or too harsh, echoing an idea also spoken to by legal scholars.[47]
[références omises - italiques dans l’original - soulignements ajoutés]
[56] Il précise aussi le rôle des avocats dans les actions collectives en matière de droit de la consommation :
[102] While it is not inappropriate to be mindful of possible excesses of what some have described as “entrepreneurial lawyering” in class actions, it is best to recognize that lawyer-initiated proceedings are not just inevitable, given the costs involved, but can also represent a social good in the consumer class action setting. As Perrell J. wrote in one Ontario case, “the entrepreneurial nature of a class proceeding can be a good thing because it may be the vehicle for access to justice, judicial economy, and behaviour modification, which are all the driving policy goals of the Class Proceedings Act, 1992”. Scholars have observed that, within the proper limits of ethical rules that bind all lawyers, courts should recognize that lawyer-initiated consumer class actions can be helpful to meet the access to justice policy goals of the modern law of civil procedure. In my view, the fact that lawyers play an important, even primary role in instituting a consumer class action is not in itself a bar to finding that the designated representative has the requisite interest in the suit. Where the personal stake of a consumer representative is small - here, the appellant was charged $250.81 for roaming, of which only a portion is alleged to be overpayment - it is often unrealistic to insist upon a consumer-initiated class action.
[103] A lawyer-initiated consumer class action is not inherently incompatible with an acceptable solicitor-client relationship, nor does it mean that the client has “no control” over counsel. Article 1049 C.C.P. requires that a lawyer act for the representative. In our case, the appellant retains the authority to walk away from the class action, with permission of the court, and the lawyers cannot unilaterally “dismiss” the client as representative of the class. The judge was wrong to suggest that the fact that the lawyers chose their client here means that the appellant is an inadequate representative. As my colleague Dufresne, J.A. wrote in Fortier:
[147] Cela dit, les juges peuvent déceler, à l’occasion, des indices qui laissent croire que les démarches ayant donné naissance à la requête portent fortement l’empreinte des avocats, mais cela ne discrédite pas nécessairement celui ou celle qui fait valoir une cause d’action qui apparaît suffisamment sérieuse alors que, sans lui, le groupe serait privé de l’exercice d’un droit. [48]
[références omises - italiques dans l’original - soulignements ajoutés]
[57] Rappelons que la preuve établit que l’appelante, quelques mois après avoir utilisé le produit a constaté, en naviguant sur Internet, l’existence d'un recours aux États-Unis et s’est informée à propos des qualités du produit. Elle a partagé sa découverte avec sa mère ainsi qu’avec une amie qui lui suggèrent de consulter un avocat. De plus, elle a discuté du produit avec moins de dix (10) personnes de son entourage, mais elle n’a pas contacté l’intimée pour obtenir des explications. Quant au processus judiciaire, elle a révisé la demande initiale avant qu’elle soit déposée. Elle n’a pas contacté le Dr Willis, mais elle a lu son rapport rapidement avant le dépôt. Depuis ce temps, elle suit l’avancement du recours par l’entremise de son avocat et continue de consulter les informations disponibles sur Internet. Elle n’a contacté aucun membre du groupe directement, mais elle indique qu’une page Web a été créée sur le site de son avocat pour informer le public.
[58] Lorsqu’il procède à l’analyse de la situation de l'appelante, au regard de sa capacité à représenter le groupe, le premier juge écrit :
[116] Basically, all Petitioner did was read the article on the internet, consult a lawyer and let him manage the matter from there on.[49]
[59] Faisant ensuite siens les propos de l’un de ses collègues en ce qui a trait au rôle des avocats dans l’élaboration et la conduite des actions collectives, le juge ajoute :
[121] The Court agrees with Justice Yergeau. However, for the word "adequately" of art. 1003 d) C.C.P. to have any meaning, the proposed group representative has to be more than a mere "figurant", whose essential feature is to have met the bare minimum condition to be a member of the proposed group; such representative has to show the Court that, through some steps, albeit small ones, he or she distinguishes himself or herself from a group member, through enquiries or initiatives which illustrate his or her interest to play the role of representative.[50]
[60] Je ne peux respectueusement souscrire à cette approche qui constitue, comme le prétend l’appelante, une erreur révisable. Il ressort, en effet, de l’interrogatoire de madame Charles qu’elle comprend bien les allégations de la demande amendée, qu’elle s’implique dans le processus judiciaire et qu’elle saisit que d’autres consommateurs aient pu être trompés, comme elle, par les termes évocateurs utilisés par l’intimée pour promouvoir l’Oscillo.
[61] Je suis d'avis, et cela dit avec égards, que la preuve relative à l’implication de madame Charles ainsi qu’à sa capacité de représenter le groupe, dans une approche souple et libérale, satisfait les exigences minimales de l’alinéa 1003d) C.p.c. et que celle-ci peut agir comme représentante des membres du groupe proposé.
[62] Pour tous ces motifs, je propose donc d’accueillir l’appel, d’annuler le jugement de la Cour supérieure et d’autoriser l’action collective telle que mise de l’avant par la demande amendée d’autorisation datée du 29 avril 2013, avec frais de justice contre l’intimée.
[63] Je suggère aussi de rejeter les requêtes pour preuve nouvelle sans frais de justice.
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JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
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[64] Je souscris à tous égards aux motifs du juge Levesque et, comme lui, suis d'avis que l'appelante aurait dû être autorisée à entreprendre son action collective contre l'intimée.
[65] D'une part, l'appelante, comme l'explique mon collègue, possède les qualités requises pour représenter adéquatement les membres du groupe visé, au sens du paragraphe 1003d) C.p.c.[51], disposition qui doit être interprétée de façon large et libérale[52]. Or, la situation personnelle de l'appelante, sur le plan factuel, est l'exemple même de celle des membres du groupe en question (d'où son intérêt juridique); elle n'est pas en situation de conflit d'intérêts avec les autres membres du groupe[53]; elle s'est par ailleurs suffisamment investie dans l'affaire pour qu'on puisse envisager de lui reconnaître le statut qu'elle sollicite[54].
[66] Sur ce dernier point, rappelons-le, la loi n'exige pas de la personne qui souhaite entreprendre un recours collectif qu'elle soit une activiste de la cause qu'elle entend défendre, qu'elle s'y consacre quotidiennement avec ardeur, soit constamment dans les premières lignes du combat judiciaire, le supervise dans ses moindres détails ou en tienne étroitement les rênes, que ce soit stratégiquement ou autrement. L’on ne saurait exiger du représentant davantage qu'un intérêt pour l'affaire (au sens familier de ce terme, c'est-à-dire le contraire de l'indifférence), une compréhension générale de ses tenants et aboutissants et, par conséquent, la capacité de prendre, au besoin et en connaissance de cause, les décisions qui s'imposent au bénéfice de l'ensemble du groupe et autrement que dans une perspective égotiste. Il est par ailleurs normal que, tout en portant attention au cheminement du recours, il s'en remette aux avocats qui le représentent, comme le font du reste la plupart des justiciables ordinaires agissant par l'intermédiaire d'un membre du Barreau.
[67] D'autre part, le syllogisme juridique que propose ici l'appelante répond aux exigences du paragraphe 1003b) (qui ne vont pas au delà du prima facie et font du terme « exigences », dans ce contexte, une sorte d'oxymoron) et je n'ai rien à ajouter à la démonstration de mon collègue, qui repose sur l'état du droit tel que l'a défini la Cour suprême.
[68] Les autres conditions de l'article 1003 C.p.c. étant en l'espèce remplies, l'action sera donc autorisée.
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[69] Cela dit, je succomberai pour l'occasion à la tentation de faire quelques commentaires sur le processus d'autorisation de l'action collective.
[70] Vu l'état du droit en la matière (particulièrement au regard du paragraphe 1003b), qui est le nœud du problème), on peut se demander si ce que la Cour suprême définit comme un mécanisme de filtrage (n'exigeant qu'une simple possibilité d'avoir gain de cause et non pas une possibilité réaliste ou raisonnable[55]) a encore aujourd'hui une vocation utile comme préalable à l'action collective (autrement que pour régler certaines questions plus techniques, comme la description du groupe, la définition précise des questions en jeu ou les modalités de la publicité). Certes, le processus d’autorisation pave la voie au recours de celui qui agit non seulement pour lui-même, mais pour autrui (un autrui qui sera lié par le jugement statuant sur l’action collective), et l’idée qu’on s’assure de l’existence de certaines conditions minimales n’est donc pas déraisonnable, mais l’on peut néanmoins se questionner sur la manière de faire.
[71] L'action collective (désormais régie par les art. 574 et s. du nouveau Code de procédure civile[56]) n'est plus une institution procédurale nouvelle, elle a conquis ses galons, elle est connue et bien intégrée au processus judiciaire : a-t-on toujours besoin que la porte d'entrée soit verrouillée et doive être déverrouillée au cas par cas, de cette manière? Et, parlant de porte, le « seuil peu élevé » que décrit la Cour suprême, notamment dans l'arrêt Infineon, justifie-t-il que l'on consacre autant d'efforts et de ressources à cette pré-instance? S'il ne s'agit que d'écarter les actions manifestement mal fondées ou frivoles à leur lecture même, ne serait-il pas opportun de laisser la fonction au domaine ordinaire de l'irrecevabilité ou à celui de l'abus au sens des articles 51 et s. n.C.p.c. (précédemment art. 54 et s. C.p.c.).
[72] En pratique, par ailleurs, le processus d'autorisation préalable de l'action collective, dans son cadre actuel, consomme des ressources judiciaires importantes, dont la rareté s'accommode mal de ce qui paraît un déploiement d'efforts sans proportion avec le résultat atteint, qui s'obtient au prix d'un engorgement difficilement supportable. C'est également un processus coûteux pour les parties, lent (parfois même interminable), donnant lieu à des débats qui, dans la plupart des cas, seront de toute façon repris sur le fond si l'action est autorisée et généreront encore diverses disputes interlocutoires. Et ceci sans parler du droit d'appel qui coiffe le tout, multipliant les occasions de faire durer les préliminaires, un droit d'appel que le législateur, pour d'insaisissables raisons, a récemment choisi d'élargir.
[73] L'action collective se veut un moyen de faciliter l'accès à la justice alors que, trop souvent, paradoxalement, le processus d'autorisation préalable, dans sa forme actuelle, entrave cet accès. Et lorsqu'il n'est pas une entrave, il est une formalité dont les coûts exorbitants ébranlent la raison d'être ou encore une sorte de mondanité procédurale ne permettant pas un filtrage efficace. Dans tous les cas, il engendre une insatisfaction généralisée, pour ne pas dire - et j'ose le mot - une frustration, qui résonne dans tout le système judiciaire. Certains profitent peut-être de l'affaire (on ne compte plus les dénonciations de l'« industrie » de l'action collective, nouvel avatar de l'« ambulance chasing »), mais cela ne saurait justifier le statu quo.
[74] L’on rétorquera que si les choses ont tourné ainsi, c'est que les dispositions législatives, qui reposent sur des fondements théoriquement solides, sont mal comprises ou mal appliquées. Cela est possible, je le concède, mais l'affirmation ne résout rien. Je serais de mon côté portée à dire que si la pratique, après 38 ans[57], n'arrive pas à donner vie à la théorie, c'est que la théorie est défaillante ou dépassée ou que le modèle qui prétend l'incarner a besoin d'être non pas simplement rafistolé ou retouché, mais carrément rénové. J'évoque plus haut la possibilité que le processus d'autorisation soit supprimé ou, mieux peut-être, intégré à l’instance elle-même, mais d'autres, avec lesquels on pourrait tout aussi bien être d’accord, suggèrent plutôt de le renforcer, pour lui donner le mordant qu'on lui a jusqu'ici refusé. Quoi qu'il en soit, il serait temps que le législateur se penche sur la question et l'on s'étonne d'ailleurs que la chose n'ait pas été au programme de la dernière réforme du Code de procédure civile[58].
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[75] Je m'empresse enfin d'ajouter que les propos qui précèdent ne sont pas un jugement indirect ou masqué sur la valeur véritable de l'action que souhaite entreprendre l'appelante, qui répond de manière satisfaisante aux conditions de l'article 1003 C.p.c. Mais la situation même des procédures de l'espèce illustre le problème, malgré que l'affaire ait ici cheminé plutôt rondement, si l'on s'en remet au plumitif, et l'on doit souligner à cet égard la diligence du juge de première instance. Il y a néanmoins des délais intrinsèques, inévitables et, pourrait-on dire, érosifs : la requête pour autorisation a été déposée en avril 2012, le jugement de première instance a été rendu en janvier 2015 et c'est seulement aujourd'hui, en octobre 2016, que l'on peut envisager d'instituer l'action comme telle. Voilà qui a un prix individuel et systémique qui ne peut être ignoré.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
[1] Charles c. Boiron Canada inc., J.E. 2015-517 (C.S.), 2015 QCCS 312 [Jugement dont appel].
[2] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, 2013 CSC 59, paragr. 67 [Infineon].
[3] Jugement dont appel, paragr. 85-96.
[4] Ibid., paragr. 114-119 référant au Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25. Il s’agit maintenant de l’article 575 C.p.c. (RLRQ, c. C-25.01).
[5] Sibiga c. Fido Solutions inc., AZ-51313351 (C.A.), 2016 QCCA 1299.
[6] Demande amendée d’autorisation d’exercer une action collective, paragr. 31-33.
[7] Ibid., paragr. 3 et 5.
[8] Jugement dont appel, paragr. 9-25.
[9] Ibid., paragr. 28-30.
[10] Ibid., paragr. 26 et 27.
[11] Ibid., paragr. 32.
[12] Ibid., paragr. 48.
[13] Ibid., paragr. 33-43.
[14] Ibid., paragr. 43.
[15] Ibid., paragr. 44-46.
[16] Ibid., paragr. 48-51.
[17] Ibid., paragr. 57-63.
[18] Ibid., paragr. 63.
[19] Ibid., paragr. 66-87.
[20] Ibid., paragr. 88.
[21] Ibid., paragr. 93-96.
[22] Ibid., paragr. 98-102.
[23] Ibid., paragr. 104-119.
[24] Ibid., paragr. 120 et 121.
[25] Ibid., paragr. 123.
[26] Requête pour permission de déposer une preuve nouvelle du 9 mars 2016, paragr. 3.
[27] Sibiga c. Fido Solutions inc., supra, note 5, paragr. 33-35. Voir aussi : Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, 2014 CSC 1, paragr. 34 et 35 [Vivendi].
[28] Infineon, supra, note 2, paragr. 59; Vivendi, supra, note 27, paragr. 37; Lambert c. Whirlpool Canada, l.p., J.E. 2015-516 (C.A.), 2015 QCCA 433, paragr. 11, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 29 octobre 2015, 36425; Pharmascience inc. c. Option Consommateurs, [2005] R.J.Q. 1367 (C.A.), 2005 QCCA 437, paragr. 24; Thompson c. Masson, [1993] R.J.Q. 69, 72 (C.A.).
[29] Infineon, supra, note 2, paragr. 61; Sibiga c. Fido Solutions inc., supra, note 5, paragr. 50; Masella c. TD Bank Financial Group, J.E. 2016-167 (C.A.), 2016 QCCA 24, paragr. 7.
[30] Marcotte c. Longueuil (Ville de), [2009] 3 R.C.S. 65, 2009 CSC 43, paragr. 22. Voir aussi : Vivendi, supra, note 27, paragr. 55.
[31] Infineon, supra, note 2, paragr. 62, 65 et 68.
[32] Ibid., paragr. 67. Voir aussi : Harmegnies c. Toyota Canada inc., J.E. 2008-584 (C.A.), 2008 QCCA 380, paragr. 43 et 44, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 25 septembre 2008, 32587.
[33] Infineon, supra, note 2, paragr. 134.
[34] Option Consommateurs c. Bell Mobilité, J.E. 2008-2293 (C.A.), 2008 QCCA 2201, paragr. 37; Option Consommateurs c. Novopharm Ltd., [2008] R.J.Q. 1350 (C.A.), 2008 QCCA 949, paragr. 29, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 4 décembre 2008, 32759.
[35] Shaun Finn, Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 55. Voir aussi : Pierre-Claude Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 115 et 116.
[36] Infineon, supra, note 2, paragr. 96 et 97.
[37] Jugement dont appel, paragr. 59-61, 63 et 85.
[38] Jugement dont appel, paragr. 88, 93 et 94.
[39] Richard c. Time Inc., [2012] 1 R.C.S. 265, 2012 CSC 8, paragr. 78.
[40] Masella c. TD Bank Financial Group, supra, note 29, paragr. 10.
[41] Infineon, supra, note 2.
[42] Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c., J.E. 2015-297 (C.A.), 2015 QCCA 205.
[43] Jugement dont appel, paragr. 104-123.
[44] Sibiga c. Fido Solutions Inc., supra, note 5.
[45] Infineon, supra, note 2.
[46] Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c., supra, note 42.
[47] Sibiga c. Fido Solutions Inc., supra, note 5, paragr. 97, 108 et 109.
[48] Ibid., paragr. 102 et 103.
[49] Jugement dont appel, paragr. 116.
[50] Ibid., paragr. 121.
[51] RLRQ, c. C-25.
[52] Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299, paragr. 97 et s.
[53] La seule possibilité d'un conflit n'étant pas raison de refuser automatiquement l'exercice de l'action collective : Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, paragr. 150.
[54] Id., paragr. 149 et 150.
[55] Voir : Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., 2015 CSC 18, [2015] 2 R.C.S. 106, notamment aux paragr. 19, 36 et 38; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, supra, note 3, paragr. 65 et 66.
[56] RLRQ, c. C-25.01 [« n.C.p.c.»].
[57] Le recours collectif, tel qu'il était alors nommé, a fait son entrée au Code de procédure civile en 1978, en même temps que la procédure d'autorisation, qui a connu quelques ajustements au fil du temps.
[58] Le présent appel concerne uniquement la question de l'autorisation d'une action collective et je restreins donc mes propos à ce domaine. On pourrait néanmoins se demander si, au delà de ce préalable, tout le régime de l'action collective n'aurait pas besoin d'une sérieuse cure de rajeunissement.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.