Décision

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9123-8584 Québec inc. c. Bell

2024 QCTAL 7655

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

741969 18 20231024 G

No demande :

4086952

 

 

Date :

22 février 2024

Devant le juge administratif :

Philippe Morisset

 

9123-8584 Québec Inc

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Cinthia Bell

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par une demande introduite le 24 octobre 2023, la locatrice recherche la résiliation du bail, la condamnation de la locataire aux loyers dus ainsi qu’aux frais.

[2]         Au soutien de sa demande, la locatrice allègue que la locataire est en retard de plus de trois semaines.

CONTEXTE

[3]         Les parties sont liées par un bail concernant le logement numéro [...] de l’immeuble du [...] à Québec.

[4]         Le bail original ou sa copie n’a pas été produite en preuve tant par la locatrice que la locataire.

[5]         Au mois de janvier 2021, la locatrice remet à la locataire un avis de renouvellement pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, par lequel elle propose d’augmenter le loyer au montant de 950 $ à 969 $.[1]

[6]         Le 18 janvier 2021, la locataire accepte les nouvelles modalités proposées par la locatrice et renouvelle son bail.[2]

[7]         Le même jour, la locataire signe un document intitulé « Politiques à respecter à l’égard d’une rabais » [Sic].[3]

[8]         Ce document mentionne notamment que pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, et ce, un rabais de 162 $ sera déduit par mois pour un montant de 807 $ au lieu de 969 $ par mois seulement pour la période du bail.[4] La clause 6 du même document mentionne que le rabais n’est pas renouvelable.[5]


[9]         Au mois de janvier 2022, la locatrice remet à la locataire un avis de renouvellement pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 par lequel elle propose d’augmenter le loyer de 969 $ à 989 $.[6]

[10]     Le 8 février 2022, la locataire refuse l’augmentation proposée et précise qu’elle veut « mes deux mois de loyer gratuit répartie sur 12 mois. »[7] [Sic]

[11]     Entre le 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, la locataire paye à la locatrice une somme de 807 $ à titre de loyer.

[12]     Le représentant de la locatrice admet que le loyer payable par la locataire pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 est de 807 $, précisant que la gratuité de deux mois de loyer a été renouvelée. Toutefois, aucun document quant à cette entente correspondant à une gratuité de deux mois de loyer n’est toutefois produit en preuve.

[13]     Au mois de janvier 2023, la locatrice remet à la locataire un avis de renouvellement pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 par lequel elle propose d’augmenter le loyer de 969 $ à 1 021 $.[8]

[14]     La locataire a refusé la modification proposée tout en renouvelant son bail.[9]

[15]     La preuve ne démontre pas que la locatrice a introduit une demande en fixation de loyer pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024.

Preuve de locatrice

Témoignage de monsieur Jean-Philippe Arsenault

[16]     Monsieur Arsenault est employé de la locatrice.

[17]     Il témoigne que le rabais de 162 $ s’est terminé lors du renouvellement du bail au 1er juillet 2023.

[18]     Le loyer est donc revenu au montant de 969 $, le rabais n’étant pas renouvelable.

[19]     Toutefois, la locataire continue de payer une somme de 807 $ depuis le 1er juillet 2023.

[20]     En date de l’audience, la locataire doit donc un solde de 1 241 $ selon son témoignage.

Preuve de la locataire

[21]     La locataire témoigne qu’elle a bénéficié d’un rabais de 162 $ tant pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 que pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023.

[22]     Durant ces deux périodes, elle a payé un loyer de 807 $.

[23]     Elle témoigne que puisqu’elle a refusé l’avis d’augmentation du mois de janvier 2023 et que la locatrice n’a pas introduit de demande de fixation, son bail a donc été reconduit aux mêmes conditions jusqu’au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 807 $ et non 969 $ comme le prétend la locatrice.

QUESTIONS EN LITIGES

  1.        Quel est le montant de loyer payable à compter du 1er juillet 2023?
  2.        La locataire est-elle en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer?

DÉCISION

  1. Quel est le montant de loyer payable à compter du 1er juillet 2023?

[24]     La locatrice prétend que le loyer payable à compter du 1er juillet 2023 est de 969 $.


[25]     Il prétend qu’un rabais a été accordé à la locataire pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, ce qui a fait passer le loyer de 969 $ à 807 $. Ce rabais n’était toutefois pas renouvelable.

[26]     Pourtant pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, la locataire a payé un loyer de 807 $.

[27]     La locatrice prétend que ce rabais a pris fin le 30 juin 2023, celui-ci n’étant pas renouvelable et qu’il n’a pas été renouvelé par la locatrice.

[28]     Qu’en est-il ?

[29]     Dans l’affaire, Minto Apartement c. Favero[10], voici comment le juge administratif Henri, maintenant juge à la Cour du Québec s’exprime :

« [61]   En ce qui concerne la clause de rabais prévue à l’entente du 28 janvier, la jurisprudence considère généralement qu’une telle clause n’est pas reconduite lorsque le bail prévoit que celle-ci est valable seulement pendant une période de temps déterminée.

[62]   À ce sujet, la juge administrative Luce De Palma s’exprime comme suit dans l’affaire Palturn Towers Inc. c. Issenman[4] :

« [36] Il est vrai que les tribunaux ont décidé que lorsque le bail contient une clause promotionnelle pour inciter un locataire à signer un contrat et que cette clause prend notamment la forme d’un rabais « pour le bail en cours », tout en indiquant qu’il n’est pas renouvelable, telle clause doit recevoir son plein effet. Dans un tel cas, lors de la reconduction du bail, le loyer qui doit être pris en considération est celui qui est indiqué au bail, non celui qui a été réellement payé par le locataire. »

[Références omises]

[63]   Dans cette affaire, la juge administrative De Palma en vient toutefois à la conclusion, après avoir analysé la conduite des parties lors de la conclusion du contrat et dans leurs négociations, qu’il n’était nullement question en l’espèce d’un rabais promotionnel visant à inciter le locataire à louer le logement.  

[64]   Dans le présent cas sous étude, le Tribunal ne fait pas face à une telle preuve probante qui pourrait lui permettre d’établir qu’il ne s’agissait pas d’un véritable rabais promotionnel.  Les faits mis en preuve tendent plutôt à démontrer que la véritable intention des parties était d’établir le loyer mensuel à 1 200 $ moins un rabais de 305 $ valable seulement durant la première année du bail. 

[65]   Le Tribunal endosse entièrement l’analyse et les conclusions auxquelles en arrive le juge administratif Marc Landry dans l’affaire Grenier c. Roy[5], lesquelles s’appliquent tout à fait au présent dossier :

« [13] Les promotions ou les rabais consentis par les locateurs pour amener d'éventuels locataires à louer leurs logements ont été traditionnellement reconnus par la jurisprudence comme étant une pratique légale. Ce genre de promotion incitative n'est habituellement pas considéré comme une condition du bail et donc, en principe, une telle clause ne se reconduit pas de plein droit lors du renouvellement.

[14] Ainsi, dans la cause Manoir Montefiore inc. c. Neremberg souvent citée par la jurisprudence subséquente, la locataire prétendait que le rabais consenti au début du bail s'étendait au bail reconduit. Le Tribunal a rejeté cette prétention statuant que le rabais accordé n'avait pas modifié les conditions du bail, à savoir le montant du loyer exigible. Dit autrement, le loyer qui doit être pris en considération lors de la reconduction du bail est celui indiqué au bail, non celui qui a été réellement payé par le locataire suite au rabais consenti.

[15] Récemment, le juge administratif Serge Adam réitérait le principe dans la cause Meunier et Aubé c. Bourbonnais-Viens.

[16] La jurisprudence a cependant refusé de considérer comme temporaires (et non reconductibles) certaines clauses de rabais en apparence promotionnelles lorsque celles-ci étaient en réalité des clauses pénales déguisées ou bien des clauses fictives déterminant artificiellement le loyer à un loyer plus élevé au bail qu’il ne l’était en réalité, lorsque lesdites clauses apparaissaient au bail année après année.

[17] La clause de rabais dans le présent litige ne s’apparente pas aux cas décrits au paragraphe précédent. »

[Nos soulignements]

[Références omises]


[66]   À la lumière des principes énoncés ci-dessus et compte tenu des circonstances propres au présent dossier, le Tribunal conclut que le rabais de 305 $ prévu à l’entente du 28 janvier constituait un véritable rabais et que celui-ci n’a pas été reconduit lors du renouvellement du bail. 

[67]   Par conséquent, suite à l’expiration de ce rabais, le loyer payable par la locataire à compter du 1er février2020 est de 1 200 $ par mois[6], tel que prévu au bail.

[68]   De plus, les circonstances particulières entourant les négociations intervenues entre les parties en janvier 2019 amènent également le Tribunal à conclure que l’entente du 28 janvier ne visait pas à imposer à l’avance une augmentation de loyer à la locataire ni à contourner le mécanisme d’avis prévu à l’article 1942 C.c.Q.

[69]   Le Tribunal ne retient pas l’argument de la locataire à l’effet que le loyer mentionné au bail était fictif. »

[30]     Le Tribunal est en accord avec les principes de cette décision.

[31]     Toutefois, les faits de cette affaire sont différents et se distinguent des faits du présent dossier.

[32]     Pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, le document (Pièce P-2) est clair à l’effet que le rabais de 162 $ n’est que pour cette période et que le rabais n’est pas renouvelable.

[33]     Toutefois, il n’y a aucune preuve et il y a absence de toute référence à un montant de rabais ou à un rabais pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 et sa période de validité ou d’effet.

[34]     La seule preuve que le Tribunal dispose est que la locataire a refusé l’avis d’augmentation (Pièce P-3) et qu’elle a continué de payer un loyer de 807 $ du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023.

[35]     Le Tribunal partage l’avis des régisseurs Pothier et Joly dans l’affaire Balian c. Fedor[11] :

« L'accord des volontés, lors du premier bail et de ses renouvellements s'est fait sur un loyer réduit; c'est cet accord qui doit être sanctionné. Il n'y a donc pas de gratuité comme on en voit dans un but promotionnel, mais bien une entente sur un loyer incluant cette pseudogratuité.

Le législateur attache une si grande importance à un tel accord de volonté, qu'il permet, exceptionnellement la preuve testimoniale pour prouver le loyer effectivement payé lorsqu'il n'est pas celui qui apparaît au bail (art. 77 de la Loi sur la Régie du logement).

Comme le veut l'expression populaire anglaise, c'est le "bottom line" qui compte, c'est-à-dire le montant finalement convenu et payé qui doit être retenu et non les détails, artifices ou autres pour y arriver.

Bien sûr, par exception à ce principe, la Régie accepte qu'une "gratuité", en général d'un mois ou plus de loyer comme moyen de promotion pour inciter à signer un premier bail, ne soit pas incorporée au loyer; c'est ce qui a été décidé dans la décision soumise de Summit Ridgewood Corp. c. Sheng, 1995 J.L. 207, p. 208.

[…]

Nous devons ajouter que le corollaire du principe découlant de la décision citée ci-dessus est que si la gratuité se répète, elle cesse d'être une clause promotionnelle et la "gratuité" est incorporé dans le loyer de base.

[…]

Décider autrement serait en pratique écarter le contrôle des loyers et permettre au locateur, selon son bon vouloir, à la suite d'un différent avec le locataire sur un autre élément du bail, comme ce semble le cas ici, de faire varier le loyer d'un montant considérable et d'imposer au locataire une augmentation de loyer déguisée, ce qui aurait pour effet pratique de même souvent faire échec au droit au maintien dans les lieux; garder une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête d'un locataire, durant 4 ans comme ici nous apparaît dans ce sens contraire à la lettre, et à l'esprit de la loi concernant le droit au maintien dans les lieux. »

[Sic]

[36]     Pour le Tribunal, rien ne démontre que s’il y a eu rabais, il s’agissait d’une promotion pour inciter la locataire à signer un premier bail d’autant plus que le bail original n’a pas été produit en preuve et que la première référence à un rabais est dans un contexte de reconduction de bail.


[37]     Par ailleurs, tel que mentionné dans Balian c. Fédor précitée, il a été décidé que lorsqu’un bail prévoyait une forme de rabais, et que ce rabais était renouvelé, celui-ci devenait partie intégrante du bail.

[38]      Dans l’affaire Perron c. Gosselin[12], il a également été décidé que des clauses avec rabais ou gratuité reconduites au bail renouvelé sont alors incorporées au loyer, ce qui signifie que le loyer est réduit d'autant.

[39]     Plusieurs autres décisions du Tribunal sont au même effet.[13]

[40]     En appliquant ces principes, le rabais que la locatrice allègue ferait donc partie intégrante du bail, faisant en sorte que le loyer exigible ne pourrait être de 969 $ comme il le prétend.

[41]     Pour le Tribunal, si un rabais est accordé sur le montant du loyer, le bail doit y faire expressément référence, indiquer le montant ou le pourcentage du rabais et sa durée. Le locataire est en droit d’être informé et comprendre aisément le rabais qui lui est consenti.

[42]     Or, cela n’est pas le cas pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023.

[43]     En conclusion, le loyer payable par la locataire pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 est de 807 $, la locataire ayant refusé les modifications proposées dans l’avis de renouvellement de janvier 2023 (Pièce P-4) et l’absence d’introduction par la locatrice de demande en fixation de loyer suivant ce refus.

  1. La locataire est-elle en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer ?

[44]     La locatrice prétend que la locataire doit une somme de 1 241 $ à titre de loyer impayé soit la différence entre la somme payée par mois depuis juillet 2023 et le loyer réclamé par la locatrice, soit 969 $.

[45]     En retenant le loyer au montant de 807 $, la locataire ne doit donc aucun loyer au moment de l’audience.

[46]     La locataire n’est donc pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer.

[47]     La résiliation du bail n’est donc pas justifiée en vertu de l’article 1971 du C.c.Q.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]     REJETTE la demande;

[49]     LE TOUT sans frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Philippe Morisset

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

le locataire

Date de l’audience : 

7 février 2024

 

 

 


 


[1] Pièce P-1.

[2] Idem.

[3] Pièce P-2.

[4] Idem.

[5] Idem.

[6] Pièce P-3.

[7] Idem.

[8] Pièce P-4.

[9] Admission du représentant de la locatrice.

[10] 2020 QCTAL 8275 (Requête pour permission d'appeler rejetée; voir Favero c. Minto Apartement 2021 QCCQ 6.).

[11] R.L. révision Montréal 31-970415-034V-980302, le 10 juin 1998, rr. Pothier et Joly.

[13] Voir notamment G. Paradis inc. c. Larivière 2018 QCRDL 31505; Gestion 10356-60 Leblanc inc. c. Harchi 2018 QCRDL 21555; Gauthier c. Cabral, 31-010410-054 V02040527-06-2002.

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