Décision

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Bowman c. Goncalves

2010 QCRDL 20518

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Longueuil

 

No :          

37 090828 010 T 100420

 

 

Date :

26 mai 2010

Régisseure :

Anne Morin, juge administratif

 

Mckellian Bowman

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Sophie Goncalves

 

José Goncalves

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le tribunal est saisi d'une demande de rétractation d'une décision rendue le 14 avril 2010 dernier par Me Jocelyne Gascon. Cette demande énonce que le demandeur a été empêché lors de l'audience de présenter une argumentation pleine et entière.

[2]         Le demandeur déclare qu'il est défendeur dans la demande originaire et, conformément au règlement sur la procédure devant la Régie du logement, il expose, les moyens sommaires de défense qu'il entend faire valoir: soit qu'il veut présenter des arguments qui auraient dû être entendus par le tribunal.

[3]         Le locataire déclare que les loyers ont été payés mais après vérification, ce témoignage n’est pas exact.

Les faits

[4]         Le Tribunal retient de la preuve les éléments suivants :

[5]         Le locataire affirme qu'il est insatisfait de la décision rendue par Me Gascon et déclare que des déclarations mensongères ont été faites contre lui. Il veut rétablir les faits.

[6]         L'analyse du dossier révèle qu'il était absent lors de la tenue de l'audience, le 10 février dernier. Par la suite, le tribunal a rejeté deux demandes de rétractation. Le tribunal doit maintenant statuer sur une troisième demande de rétractation.

[7]         La locatrice s'oppose fermement à la rétractation car le locataire abuse de ses droits et requiert la forclusion.

[8]         Le tribunal doit donc décider du litige relatif au bien-fondé de la troisième demande de rétractation.


Règles de preuve applicables

[9]         En l'espèce, il appartient à la partie qui réclame un droit d'en faire la preuve, de manière prépondérante, tel que le prévoit les articles 2803, 2804 et 2805 du C.c.Q.

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée».

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante».

« 2805. La bonne foi se présume toujours à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.»

[10]     De plus, l'auteur Léo Ducharme, énonce relativement au fardeau de la preuve dans son traité, Précis de la preuve[1] :

« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »

Décision sur la rétractation

[11]     Quant à la demande de rétractation, le locataire fait valoir qu'il a été empêché de fournir une argumentation précise et entière à l'audience et déplore la décision rendue car on a fait valoir des faits inexacts. Toutefois il argumente que le loyer est maintenant payé alors que seul un document démontrait un mois payé est montré en preuve.

[12]     Bien que la demande en rétractation ne le mentionne expressément dans son recours, le locataire fait valoir son insatisfaction à l'égard de la décision rendue par Me Lavigne et a mentionné ce fait à l'audience.

[13]     Les tribunaux supérieurs ont établi depuis longtemps que la rétractation de jugement est une mesure d'exception au principe de l'irrévocabilité des jugements. L'Honorable juge Bélanger de la Cour d'appel énonce à cet effet :

« Le principale de l'irrévocabilité des jugements et nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »[2]

[14]     Le tribunal estime que ce que réclame notamment le locataire par le présent recours, c'est de modifier une décision déjà rendue par le même tribunal. En effet, le locataire reproche l'appréciation de certains faits par l'adjudicateur Gascon qui a rendu la décision relative à la demande de rétractation. Ce faisant, le locataire requiert du Tribunal, de reconsidérer le bien fondé de la décision déjà rendue et demande au Tribunal d'agir comme si le jugement faisait l'objet d'un appel. La Cour provinciale a rendu à ce sujet, un jugement de principe dans la cause de Fairway House enr. c. Wolofsky[3], dans laquelle l'honorable juge Bernard Desjarlais a décidé dans une affaire où l'on prétendait que la Régie du logement avait rendu une décision « au-delà de ce qui avait été demandé » ce qui suit :

« L'article 28 de la Loi sur la Régie du logement prévoit la juridiction du régisseur qui "connaît en première instance...", alors que les articles 90 et 91 de cette même loi prescrivent la révision des décisions des régisseurs de première instance dans des cas particuliers et l'appel des décisions des régisseurs de première instance dans les autres cas.


L'empêchement de présenter une preuve qui origine du refus d'un juge d'entendre un témoignage qu'il ne juge pas pertinent ne peut faire l'objet d'une demande de rétractation mais plutôt d'une demande d'appel. On ne peut en effet demander à la Régie du logement d'accorder la rétractation pour ce motif car ce serait confier au régisseur siégeant en rétractation une fonction qui va au-delà de sa compétence: celle de juger de la justesse de la décision d'un collègue, une tâche réservée tant à la Cour provinciale siégeant en appel dans les cas prévus à l'article 91 de la Loi sur la Régie du logement qu'à la Régie du logement siégeant en révision des décisions portant sur une demande dont le seul objet est la fixation, la révision ou le réajustement de loyer.

Dans cette cause, on a demandé à un régisseur de la Régie du logement de prononcer la rétractation d'une décision d'un autre régisseur qui a refusé d'entendre la preuve d'un témoin qu'il jugeait inutile.

Ce n'était pas de la compétence du régisseur siégeant en rétractation de juger du bien-fondé de la décision de son collègue qui, au mérite, a décidé de ne pas entendre un témoin mais plutôt au palier supérieur en l'instance, le tribunal de révision, puisqu'il s'agit de réajustement de loyer, suivant la Loi sur la Fiscalité municipale, à décider s'il doit entendre ce témoin et à s'exécuter, s'il y avait lieu. »

[15]     Le même principe a été confirmé par la cour d'Appel du Québec dans Ferrarelli c. Leclerc dans laquelle le tribunal déclare :

« Considérant que, si le 9 octobre 979, la discrétion a mal été exercée, ceci pouvait faire l'objet d'une réformation par la Cour d'Appel saisie d'un pourvoi mais assurément pas d'une rétractation par un autre juge de la Cour supérieure[4]. »

[16]     Pour toutes ces raisons, le tribunal ne peut reconsidérer les faits tels qu'ils ont été présentés devant Me Gascon.

Forclusion

[17]     La locatrice requiert aussi vu les faits de la présente cause de décision de déclarer le locataire forclos de présenter une nouvelle demande de rétractation car il s'agit de la troisième demande de rétractation.

[18]     À ce propos, une décision récente fort motivée du juge administratif André Gagnier dans l'affaire Milord c. Raoul Blouin Ltée.[5] reconnaît au tribunal de la Régie du logement le pouvoir de déclarer une partie forclose de déposer toute autre demande de rétractation.

[19]     CONSIDÉRANT que le tribunal de la Régie du logement ne peut se prononcer sur la demande de rétractation du locataire;

[20]     CONSIDÉRANT la compétence, les finalités et les pouvoirs dévolus à ce tribunal;

[21]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve et du droit applicable;

[22]     CONSIDÉRANT l'article 82.1 (3) de la Loi sur la Régie du logement relativement aux conditions de l'exécution provisoire d'une décision;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[23]     REJETTE la demande de rétractation du locataire;

[24]     MANTIENT la décision rendue par Me Jocelyne Gascon le 14 avril 2010;


[25]     DÉCLARE le locataire forclos de produire toute autre demande en rétractation;

[26]     ORDONNE l'exécution immédiate de la présente décision malgré l'appel;

[27]     Sans remboursement des frais judiciaires.

 

 

 

 

 

Anne Morin

 

Présence(s) :

les locataires

le locateur

Date de l’audience :  

10 mai 2010

 


 



[1] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson & Lafleur Ltée, p.62.

[2] Les entreprises Roger Pilon Inc. c. Atlantis Estate Cie, [1980] C.A., 218, 220. Au même effet; Falardeau c. Lagacé [2002] J.L.300-301.Voir aussi : Commission des Normes du Travail c. Entreprises C.J.S. Inc. (Les), [1992] R.D.J. 330 (C.A.).

[3] J.L. 85-44 (C.P.).

[4] Ferrarelli c. Leclerc, 500-09-001523-794, juges Laurent E. Bélanger, Claude Bisson, John A. Nolan, (C.A.).

[5] Milord c. Raoul Blouin Ltée, 2010 QC RDL 7785, 1er mars 2010, André Gagnier; Juge administratif.

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