Ville de Brossard c. Ville de Longueuil | 2022 QCCA 1139 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(505-17-007729-140) | |||||
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DATE : | 22 août 2022 | ||||
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VILLE DE BROSSARD | |||||
VILLE DE SAINT-BRUNO-DE-MONTARVILLE | |||||
APPELANTES – défenderesses/demanderesses reconventionnelles | |||||
c. | |||||
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VILLE DE LONGUEUIL | |||||
INTIMÉE – demanderesse/défenderesse reconventionnelle | |||||
et | |||||
VILLE DE BOUCHERVILLE | |||||
MISE EN CAUSE – mise en cause | |||||
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[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 5 août 2019 par la Cour supérieure, district de Longueuil (l’honorable Jérôme Frappier), lequel rejette, sans se prononcer sur le fond, la demande en jugement déclaratoire de l’intimée qui visait à faire reconnaître la légalité de la résolution CA071217-1.7 adoptée par le conseil d’agglomération de Longueuil le 17 décembre 2007, résolution en vertu de laquelle ce conseil délègue au conseil ordinaire de Longueuil le pouvoir d’accomplir seul des actes mixtes, et rejette la demande reconventionnelle en nullité de cette même résolution, de même qu’une série de résolutions adoptées par le conseil ordinaire de Longueuil en vertu du pouvoir ainsi délégué.
[2] Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Doyon et Cotnam, LA COUR :
[3] ACCUEILLE en partie l’appel, avec les frais de justice contre la Ville de Longueuil;
[4] INFIRME en partie le jugement de la Cour supérieure et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu :
REJETTE la demande en jugement déclaratoire de la Ville de Longueuil;
ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle de la Ville de Brossard et de la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville;
ANNULE la résolution CA071217-1.7 adoptée le 17 décembre 2007 par le conseil d’agglomération de Longueuil;
[5] Le tout, avec les frais de justice tant en appel qu’en première instance contre la Ville de Longueuil.
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| FRANÇOIS DOYON, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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Me Pierre Laurin | ||
Tremblay Bois Mignault Lemay | ||
Pour les appelantes | ||
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Me Fabienne Riffon | ||
Me Marco Rivard | ||
Rivard Vézina Larose | ||
Pour l’intimée | ||
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Me Chloé Fauchon | ||
Lavery, De Billy | ||
Pour la mise en cause | ||
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Date d’audience : | 21 septembre 2021 | |
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MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON |
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[6] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 5 août 2019 par la Cour supérieure, district de Longueuil (l’honorable Jérôme Frappier), lequel rejette, sans se prononcer sur le fond, la demande en jugement déclaratoire de l’intimée qui visait à faire reconnaître la légalité de la résolution CA071217-1.7 (ci-après « la Résolution du 17 décembre 2007 ») adoptée par le conseil d’agglomération de Longueuil le 17 décembre 2007, résolution en vertu de laquelle ce conseil délègue au conseil ordinaire de Longueuil le pouvoir d’accomplir seul des actes mixtes, et rejette leur demande reconventionnelle en nullité de cette même résolution, de même qu’une série de résolutions adoptées par le conseil ordinaire de Longueuil en vertu du pouvoir ainsi délégué[1].
L’agglomération de Longueuil et le partage des compétences
[7] Certaines explications sont nécessaires à la compréhension des enjeux.
[8] Créée par la Loi sur l’exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations[2], l’agglomération de Longueuil regroupe les villes de Longueuil, de Boucherville, de Brossard, de Saint-Bruno-de-Montarville et de Saint-Lambert. Alors que toutes sont qualifiées de municipalités liées, Longueuil est qualifiée de municipalité centrale de l’agglomération, les quatre autres sont des municipalités reconstituées.
[9] L’agglomération n’est pas une structure régionale selon le modèle des municipalités régionales de comté. Elle n’est pas même dotée d’une personnalité juridique. Le modèle adopté par le législateur est plutôt celui décrit à l’article premier de la Loi sur l’exercice :
1. La présente loi a pour objet de déterminer les compétences municipales qui, plutôt que d’être exercées distinctement pour chaque territoire municipal local compris dans une agglomération définie au titre II, doivent être exercées globalement pour celle-ci. | 1. The object of this Act is to determine the municipal powers that, rather than being exercised separately for each local municipal territory included in an urban agglomeration defined in Title II, must be exercised globally for that urban agglomeration. |
Elle a également pour objet de prescrire les règles relatives à l’exercice de ces compétences. | A further object is to prescribe the rules for the exercise of those powers. |
[10] La Loi sur l’exercice divise les compétences municipales en compétences de proximité et compétences d’agglomération. Les compétences d’agglomération sont identifiées de façon exhaustive aux articles 19 à 44 de la Loi sur l’exercice. Toutes les compétences qui n’y apparaissent pas sont des compétences de proximité, aussi appelées compétences locales. Simplement présentées, les compétences de proximité ne concernent généralement que le territoire ou les intérêts de chacune des cinq villes, alors que celles dites d’agglomération portent sur des matières qui intéressent l’ensemble formé par les municipalités liées.
[11] Les compétences de proximité de chacune des cinq municipalités de l’agglomération sont exercées par leur conseil municipal (art. 16 et 17 Loi sur l’exercice), alors que les compétences d’agglomération le sont par la municipalité centrale, mais non par son conseil municipal qui ne possède, tout comme chacun des conseils des municipalités reconstituées, que le droit d’exercer ses compétences de proximité. Plutôt, le Décret 1214-2005 concernant l’agglomération de Longueuil[3], dont la raison d’être est de compléter, pour cette agglomération, les règles prescrites par la Loi sur l’exercice (art. 1 Décret), crée au sein de la municipalité centrale un deuxième organe délibérant appelé le conseil d’agglomération (art. 3 et s. Décret), qui est chargé d’exercer ces compétences d’agglomération. Ce deuxième conseil est composé du maire de chacune des cinq municipalités de l’agglomération et de cinq représentants de Longueuil (art. 4 Décret). Ainsi, bien que seule la municipalité centrale puisse agir à l’égard des compétences d’agglomération spécifiées aux articles 16 à 44 de la Loi sur l’exercice, elle ne peut le faire que par son conseil d’agglomération.
[12] Le législateur ayant choisi une telle structure, il a confié du même coup à la municipalité centrale la charge d’administrer les affaires de l’agglomération. Conscient que les municipalités reconstituées souhaiteraient tout de même avoir leur mot à dire sur ces décisions qui les concernent, si ce n’est que parce qu’elles seront éventuellement appelées à participer au paiement des dépenses qui en découlent[4], c’est au conseil d’agglomération de la municipalité centrale que le législateur a confié la prise de toutes les décisions qui portent sur des actes qui relèvent à la fois de l’exercice d’une compétence de proximité de la municipalité centrale et de l’exercice d’une compétence d’agglomération. Ces actes portent le nom d’actes mixtes.
[13] Ces actes mixtes couvrent un vaste éventail de sujets mentionnés aux articles 18, 54, 57 et 68 de la Loi sur l’exercice. L’adoption de la résolution d’engagement du directeur général de la municipalité centrale constitue un exemple d’acte mixte puisque certaines des tâches de cet employé sont accomplies dans le cadre des compétences locales de la municipalité centrale alors que d’autres le sont dans le cadre des compétences d’agglomération. Il en va de même de l’adoption de la résolution d’engagement du trésorier et du greffier de la municipalité centrale, lesquels préparent les budgets et les projets de résolutions et de règlements, tantôt pour la municipalité centrale dans le cadre de l’exercice de ses compétences de proximité, mais aussi pour l’agglomération, ou encore aux avocats des services juridiques de la municipalité centrale qui, un jour, entreprennent des démarches afin d’exproprier un terrain pour y élargir une rue à Longueuil (une compétence de proximité de Longueuil) et à un autre moment traitent des griefs des pompiers (une compétence d’agglomération).
[14] Il en va de même des actes posés à l’égard de l’hôtel de ville de Longueuil, comme l’octroi des contrats pour son entretien ou ses réparations, puisque ce bâtiment abrite des employés de la municipalité centrale qui travaillent à la fois dans le cadre de l’exercice des compétences locales de Longueuil et de ses compétences d’agglomération. Autre exemple d’actes mixtes : l’octroi des contrats pour l’entretien du stationnement de l’hôtel de ville et des stationnements des casernes de pompiers, le premier relevant des compétences de proximité et les seconds, d’une compétence d’agglomération.
[15] Quant aux dépenses qui découlent de ces actes mixtes, elles sont aussi qualifiées de mixtes et sont financées par des quotes-parts payées par les municipalités liées[5] réparties entre chacune l’elles selon ce qui est prévu dans le Règlement sur le partage des dépenses mixtes[6].
[16] Au total, la valeur des dépenses mixtes avoisinait, seulement pour l’année 2015, à titre d’exemple, 36 millions de dollars[7].
La genèse du litige.
[17] À la 11e heure de l’entrée en vigueur de l’agglomération de Longueuil prévue pour le 1er janvier 2006, les élus municipaux réalisent que, en raison du très court délai accordé par le gouvernement pour mettre en place cette nouvelle structure, aucune d’elles ne sera totalement prête à assumer leurs nouveaux rôles.
[18] Afin de pallier cette difficulté, les membres du futur conseil d’agglomération de la Ville de Longueuil (agissant alors en anticipation de sa création, car la nouvelle structure n’existe pas encore) adoptent à la fin du mois de décembre 2005 une résolution qui entérine une entente intermunicipale avec les municipalités qui seront reconstituées le 1er janvier suivant, intitulée Entente intermunicipale sur la délégation de compétences concernant l'entretien du réseau de voirie artérielle, l'entretien des réseaux principaux d'aqueduc et d'égout, la gestion des équipements, infrastructures et activités d’intérêt collectif et la fourniture des services mixtes (ci-après « l’Entente de décembre 2005 »)[8]. Les élus des municipalités reconstituées font de même dans les premiers jours suivant leur création en janvier 2006[9].
[19] Prenant effet le 1er janvier 2006 et d’une durée de deux ans, cette entente porte sur deux objets distincts.
[20] Le premier, prévu aux articles 4 à 6, est une délégation par la municipalité centrale à chacune des municipalités reconstituées des compétences d’agglomération à l’égard de l’entretien du réseau de voirie artérielle, des réseaux principaux d’aqueduc et d’égout, et de la gestion des équipements, infrastructures et activités d’intérêt collectif.
[21] Le deuxième objet, qui selon les termes de l’entente s’autorisait de l’article 48 de la Loi sur l’exercice, prévoyait la délégation par le conseil d’agglomération de Longueuil au conseil ordinaire de Longueuil du pouvoir de poser certains actes dont l’exercice relève à la fois d’une compétence d’agglomération et d’une compétence locale, des actes mixtes. Il y était prévu que « l’exercice de la compétence d’agglomération concernant les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires au bon fonctionnement des services mixtes de la municipalité centrale » sera effectué, pendant la durée de l’entente, par le conseil ordinaire de la municipalité centrale plutôt que par son conseil d’arrondissement (art. 7). La liste des services mixtes couverts était jointe à l’entente :
ANNEXE C
Description des services mixtes visés par la présente entente
Constituent notamment des services mixtes, les services rendus par les directions suivantes qui ne constituent pas des services de nature exclusivement locale ou d'agglomération. La délégation continue de s'appliquer même si les noms des directions changent ou si celles-ci sont restructurées de façon différente.
- Direction des communications
- Direction des ressources humaines
- Direction générale et D.G.A.
- Direction des services juridiques
- Direction des finances
- Direction des ressources informationnelles
- Direction de l'aménagement et du développement du territoire
- Direction des infrastructures
- Direction des approvisionnements, des bâtiments et des équipements
[22] Comme mentionné plus haut, toutes les municipalités reconstituées ont entériné, par résolution de chacun de leur conseil municipal, cette entente et celle-ci, pas plus que la délégation du droit de poser les actes mixtes qu’elle comporte, n’a jamais été contestée judiciairement.
[23] Le 21 décembre 2006, soit à la fin de la première année de la nouvelle structure, un document intitulé Un champ de compétences, une fiscalité et une gouvernance simplifiés pour l’agglomération de Longueuil – Concept d’aménagement est approuvé par les membres du conseil d’agglomération[10]. Ce document fait état de certaines difficultés constatées au cours de la première année du nouveau régime et comporte un certain nombre de recommandations, essentiellement que certaines des compétences puissent éventuellement être réparties autrement que de la façon dont elles l’étaient alors dans la Loi sur l’exercice.
[24] Les 17 et 21 décembre 2007, alors qu’approche l’échéance de l’Entente de décembre 2005, le conseil d’agglomération, s’autorisant à nouveau (selon ce qu’il y est inscrit) de l’article 48 de la Loi sur l’exercice, adopte la résolution CA071217-1.7[11] (la Résolution du 17 décembre 2007) qui décrète la délégation suivante :
CONSIDÉRANT que la Loi sur l'exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations prévoit la possibilité pour le conseil d'agglomération de déléguer certaines compétences au conseil ordinaire de la municipalité centrale par résolutions similaires selon le mécanisme prévu à l'article 48 de cette loi;
Il est proposé :
1° que l'exercice de la compétence d'agglomération concernant les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires au bon fonctionnement des services mixtes de la municipalité centrale soit effectué par le conseil ordinaire de la municipalité centrale et que la compensation financière pour les services mixtes soit établie en vertu du règlement sur le partage des dépenses mixtes;
2° qu'aux fins d'application du paragraphe 1°, constituent notamment des services mixtes, les services mixtes visés par l'Entente intermunicipale sur la délégation de compétences concernant l'entretien du réseau de voirie artérielle, l'entretien des réseaux principaux d'aqueduc et d'égout, la gestion des équipements, infrastructures et activités d'intérêt collectif et la fourniture des services mixtes;
3° que l'exercice de la compétence d'agglomération concernant les travaux financés par des règlements d'emprunt dont la gestion a été déléguée au conseil ordinaire en vertu de l'article 6 de l'Entente intermunicipale sur la délégation de compétences concernant l'entretien du réseau de voirie artérielle, l'entretien des réseaux principaux d'aqueduc et d'égout, la gestion des équipements, infrastructures et activités d'intérêt collectif et la fourniture des services mixtes continue à être effectué par le conseil ordinaire jusqu'à ce que les travaux soient complétés;
4° qu'aux fins d'application du paragraphe 3°, les travaux soient considérés complétés à l'acceptation finale de ces travaux;
5° que la municipalité centrale conserve la responsabilité de tous les dommages et de toutes les réclamations reliés à une activité déléguée aux paragraphes 1° et 3° et que toute somme versée en règlement d'une telle réclamation soit autorisée par le conseil d'agglomération et constitue une dépense d'agglomération;
6° que cette délégation ait effet du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2027.
[Soulignements ajoutés]
[25] Le 22 janvier 2008, le conseil ordinaire de Longueuil accepte cette délégation par l’adoption d’une résolution similaire à celle adoptée par le conseil d’agglomération[12].
[26] Les services mixtes dont les actes seront pris par le conseil ordinaire de Longueuil sont les mêmes[13] que ceux qui étaient prévus dans l’annexe de l’Entente de décembre 2005. Toutefois, contrairement à ce qui avait été fait deux ans plutôt alors que toutes les municipalités liées avaient donné leur accord à cette délégation, cette fois la municipalité centrale agit sans obtenir l’approbation des municipalités reconstituées.
[27] Dès les premiers jours de janvier 2008, les conseils municipaux des Villes de Saint‑Lambert et de Saint-Bruno-de-Montarville manifestent leur opposition à l’adoption de la délégation opérée par la Résolution du 17 décembre 2007 ainsi qu’au Règlement sur le partage des dépenses mixtes adopté le même jour aussi à la majorité des deux tiers de ses membres. Ils soutiennent que cette délégation, qui n’a pas été approuvée par leur conseil municipal, est illégale puisqu’elle leur retire tout droit de regard sur les actes et dépenses mixtes (puisque les maires de ces municipalités reconstituées ne siègent pas au conseil ordinaire de la municipalité centrale). Ces municipalités reconstituées demandent alors à la Commission municipale du Québec de ne pas approuver ce règlement, comme la loi le leur permet[14].
[28] Le 17 mars 2008, la Commission municipale décide que le Règlement sur le partage des dépenses mixtes n’est pas « inéquitable envers leurs contribuables »[15] et approuve le règlement.
[29] Sept ans plus tard, soit le 11 décembre 2014, les maires de Brossard, de Saint‑Lambert et de Saint-Bruno-de-Montarville tiennent une conférence de presse lors de laquelle ils informent la population du contenu d’une opinion juridique commandée par la Ville de Brossard, laquelle conclut que la délégation du pouvoir de passer les actes mixtes opérée par la résolution du 17 décembre 2007 serait illégale. Simplement présentée, l’opinion argue que la Loi sur l’exercice n’autorisait pas le conseil d’agglomération à déléguer comme il l’a fait au conseil ordinaire de la municipalité centrale les pouvoirs que cette résolution lui accorde, et que cette résolution serait illégitime puisque les élus qui siègent au conseil ordinaire de la municipalité centrale ne sont pas imputables de leurs décisions envers les citoyens des municipalités reconstituées qui sont pourtant appelés à payer une partie importante des coûts qui en résultent.
[30] Le 17 décembre 2014, Longueuil (et non les appelantes) dépose une demande introductive d’instance en jugement déclaratoire qui conclut comme suit :
DIRE ET DÉCLARER que la délégation au conseil ordinaire de l'exercice de la compétence d'agglomération concernant les ressources humaines, financières et matérielles, nécessaire au bon fonctionnement des services mixtes de la demanderesse, comme prévu à la résolution CA-071217-1.7 (P-1) adoptée le 17 décembre 2007 est valide ayant été adoptée conformément à la loi et en vertu des pouvoirs conférés à la demanderesse.
[31] Le 3 août 2015, Saint-Bruno-de-Montarville, Saint-Lambert et Brossard répondent aux arguments de Longueuil par le dépôt d’une défense commune à laquelle elles joignent une demande reconventionnelle qui demande à la Cour supérieure de conclure en sens inverse et d’ainsi déclarer invalide et « nulle de nullité absolue, au motif d’absence totale de compétence » la résolution visée par la demande de Longueuil. Elles y ajoutent une conclusion en nullité des 129 résolutions (les pièces DR-1 à DR-129) adoptées par le conseil local de l’intimée en application de la Résolution du 17 décembre 2007.
[32] Au moment du dépôt de la requête pour jugement déclaratoire de l’intimée, il reste 12 ½ ans à courir sur la délégation opérée par cette résolution.
Le jugement entrepris
[33] Le juge établit d’abord que la norme de contrôle applicable à la demande reconventionnelle est celle de la décision raisonnable. Son jugement ayant été rendu quelques mois avant que la Cour suprême rende sa décision dans Vavilov[16], le juge n’a toutefois pas eu le bénéfice des enseignements de cet arrêt.
[34] Le juge estime que « [l]es [appelantes] ne remettent pas en question l’existence du pouvoir de délégation en faveur de la municipalité centrale non plus que l’équité procédurale, le processus utilisé par des résolutions similaires, ainsi que le respect des formalités liées à l’adoption des résolutions similaires »[17], et qu’« [e]lles ne soulèvent qu’une absence totale de compétence à ce qu’une délégation de l’exercice d’une compétence d’agglomération puisse avoir des effets à l’égard de l’ensemble des municipalités liées ou de leur territoire »[18]. Il conclut que puisque les arguments des appelantes ne consistent qu’en une simple question d’interprétation de la loi, par opposition à une question de compétence, c’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique à la question en litige.
[35] Le juge de première instance s’interroge ensuite sur la recevabilité de la demande reconventionnelle présentée par les appelantes, et estime qu’elle est irrecevable, faute d’avoir été introduite dans un délai raisonnable.
[36] Pour conclure de la sorte, le juge réfère principalement aux motifs de l’arrêt Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village)[19]. Il écrit que l’absence totale de compétence correspond à un vide législatif, un vide total de compétence qui correspondrait à une impossibilité légale d’adopter la résolution en litige. Puisque la Résolution du 17 décembre 2007 « peut raisonnablement s’appuyer sur une disposition législative habilitante »[20] et qu’il n’y avait pas d’ « impossibilité légale » de l’adopter[21], il conclut qu’elle n’a pas été adoptée en l’absence totale de compétence. Ainsi, le délai de sept ans que les appelantes ont laissé s’écouler entre l’adoption de la Résolution du 17 décembre 2007 et le dépôt de leur demande reconventionnelle en nullité rend celle-ci irrecevable.
[37] Malgré cette conclusion d’irrecevabilité de la demande reconventionnelle, le juge estime tout de même approprié d’aborder la question de la validité de la résolution. Appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable (suivant les critères pré‑Vavilov), il estime que l’interprétation faite par Longueuil de sa loi constitutive commande la déférence. Il tient compte du fait que, lors de l’adoption de la résolution, le conseil d’agglomération avait en main le document Un champ de compétence, une fiscalité et une gouvernance simplifiée pour l’agglomération de Longueuil de décembre 2016[22] et avait donc une bonne compréhension des enjeux sur son territoire. Il retient de sa lecture de ce document et du témoignage de M. Guy Benedetti, le directeur général de Longueuil à cette époque, que la délégation contenue dans la Résolution du 17 décembre 2007 se situait dans un contexte de révision de « la gouvernance d’agglomération »[23] et se présentait comme une solution à certaines des difficultés relevées dans ce document. Ainsi, conclut le juge, la Résolution du 17 décembre 2007 « fait partie de la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »[24], et donc, elle est valide.
[38] Enfin, le juge estime que, puisqu’il rejette la demande reconventionnelle des appelantes, il devient alors inutile de se pencher sur la demande pour jugement déclaratoire de l’intimée puisqu’« il ne subsiste aucune difficulté réelle à trancher »[25].
Les moyens d’appel
[39] Les parties ont produit en première instance une liste d’admissions. Il est ainsi admis que, depuis l’adoption de ces deux résolutions et jusqu’au jour de l’audition, le conseil ordinaire de la Ville de Longueuil a adopté 129 résolutions[26] décrétant la prise d’actes mixtes en s’autorisant de la Résolution du 17 décembre 2007. Toutefois, les appelantes se sont désistées de leur demande en nullité à l’égard de 86 d’entre elles et demandent à la Cour, advenant qu’elle accueille l’appel, de déclarer les résolutions qui subsistent nulles avec toutefois la réserve découlant du principe de « validité de facto », c’est-à-dire que cette nullité ne soit pas opposable aux tiers qui n’ont pas été dûment appelés (par exemple, à l’égard des employés engagés et des tiers à qui des contrats ont été octroyés et ne sont pas terminés).
[40] On comprend donc que la demande en nullité vise avant tout la Résolution du 17 décembre 2007 qui, au moment du dépôt des procédures judiciaires par Longueuil visant à en déterminer la validité, continuera à produire ses effets pendant encore 12 ½ ans. La demande de déclarer valide ou invalide, selon qui fait la demande, cette résolution, ainsi que les 43 résolutions qui en ont découlé, se veut donc essentiellement prospective.
* * *
[41] Les appelantes soutiennent d’abord que le juge de première instance a fait erreur en concluant que la nature du vice dont l’intimée alléguait qu’il n’affectait pas la Résolution du 17 décembre 2007 n’aurait pu mener qu’à sa nullité relative, plutôt qu’absolue. Selon elles, puisque la loi n’accorde au conseil d’agglomération que le pouvoir de prévoir la délégation au conseil ordinaire de la municipalité centrale de l’exercice d’une compétence d’agglomération à l’égard de celle-ci ou de son propre territoire, et puisque la Résolution du 17 décembre 2007 a effet à leur égard, la municipalité centrale a outrepassé ses pouvoirs et la nullité qui afflige cette résolution est absolue. Ainsi, le juge ne pouvait pas exercer sa discrétion judiciaire dans le sens de refuser de déclarer que la résolution était illégale et donc nulle.
[42] De plus, plaident les appelantes, le juge aurait dû exercer sa discrétion dans le sens de l’intervention et aurait alors dû l’annuler vu l’effet prospectif du jugement demandé. L’annulation s’imposerait alors puisque autrement, cette résolution demeurerait en vigueur jusqu’au 31 décembre 2027 et permettrait à la municipalité centrale de continuer pendant toutes ces années à agir illégalement.
[43] Quant au fond, les appelantes plaident que la norme de contrôle est celle de la décision correcte puisque l’intimée ne possédait pas le pouvoir d’adopter cette résolution. Elles soutiennent, pour les raisons déjà mentionnées, que le juge a erré en concluant que l’intimée avait le pouvoir d’ainsi déléguer, de son conseil d’agglomération à son conseil ordinaire, par l’emploi de résolutions similaires, l’exercice des actes concernant les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires au fonctionnement des services mixtes de la municipalité centrale indiqués dans son annexe. En tout état de cause, l’application de la norme de la décision correcte s’impose puisque la question en litige vise à délimiter les compétences respectives d’organismes administratifs.
[44] L’intimée répond que le juge n’a pas erré en concluant qu’à la lumière des circonstances qui prévalaient au moment de l’adoption de la résolution, il lui était raisonnable d’interpréter l’article 48 de la Loi sur l’exercice comme lui octroyant le pouvoir d’ainsi déléguer de son conseil d’agglomération à son conseil ordinaire la compétence de poser les actes mixtes mentionnés dans la résolution. La Résolution du 17 décembre 2017 ne porte que sur des services mixtes accomplis par des employés de Longueuil et qu’à l’égard des immeubles qui se situent sur son territoire. L’interprétation faite par Longueuil de cet article 48 de la Loi sur l’exercice a tenu en compte le climat politique qui régnait entre les élus à l’époque, les enjeux de l’agglomération et les problématiques liées à l’exercice des compétences d’agglomération décrites dans le document Un champ de compétence, une fiscalité et une gouvernance simplifiée pour l’agglomération de Longueuil approuvé par le conseil d’agglomération en décembre 2006. L’article 48 de la Loi sur l’exercice ne l’obligeait donc pas à conclure au préalable une entente intermunicipale avec les villes reconstituées, ni à obtenir leur accord. Celles-ci n’ont pas été laissées-pour-compte, car leur représentant a eu l’occasion de se prononcer à la table du conseil d’agglomération lors de l’adoption de la résolution en litige et chaque ville reconstituée a par la suite eu l’occasion de faire état de ses récriminations auprès de la Commission municipale du Québec.
Analyse
La norme de contrôle
[45] Comme la Cour suprême le rappelle dans Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking[27], les municipalités sont des gouvernements délégués. Leur conseil se compose d’élus sans expérience particulière et agit en se substituant à l’Assemblée législative et au pouvoir exécutif. Une municipalité ne possède donc que les pouvoirs qui lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement de pouvoirs ainsi délégués. Ce dernier énoncé, paraphrasé des propos du juge Gonthier dans Immeubles Port Louis[28], a depuis été régulièrement, et sans faille, repris tant par la Cour suprême que par notre Cour[29].
[46] Le fait qu’une municipalité n’exerce que les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi emporte comme conséquence qu’elle doit agir à l’intérieur du cadre qui lui est fixé, car « [a]gir autrement constitue une atteinte à l'existence même du pouvoir puisque l'autorité administrative n'a aucune compétence pour agir comme elle le fait »[30]. Tout dépassement par une municipalité du cadre législatif qui lui est attribué pourra mener à une intervention de la Cour supérieure par le biais d’un pourvoi en contrôle judiciaire[31]. Dans Catalyst Paper, la Cour suprême décrit ce qu’est le rôle de la cour de révision en cas d’un tel dépassement :
[11] Les municipalités ne jouissent d’aucun pouvoir leur étant directement accordé par la Constitution. Elles n’ont que les pouvoirs que leur délèguent les législatures provinciales. Cela signifie qu’elles doivent s’en tenir aux contraintes législatives que la province leur impose, à défaut de quoi leurs décisions et leurs règlements peuvent être annulés à l’issue d’une procédure de contrôle judiciaire.
[12] Les décisions et les règlements d’une municipalité, à l’instar de tout acte administratif, peuvent être révisés de deux façons. D’abord, les exigences en matière d’équité procédurale et le régime législatif qui régit la municipalité peuvent l’obliger à respecter certaines exigences de nature procédurale, notamment en matière d’avis ou de vote, et sa décision ou son règlement peut être jugé invalide si elle néglige de suivre ces procédures. Mais en plus de pouvoir être annulés au motif que ces exigences légales minimales n’ont pas été respectées, il se peut que les actes d’une municipalité le soient parce qu’ils outrepassent ce que le régime législatif permettait de faire. Cette révision sur le fond est fondée sur la présomption fondamentale, découlant de la primauté du droit, selon laquelle le législateur ne peut avoir voulu que le pouvoir qu’il a délégué soit exercé de façon déraisonnable, ou, dans certains cas, incorrecte.
[13] Un tribunal procédant à la révision sur le fond de l’exercice de pouvoirs délégués doit d’abord déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer. Cela dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment l’existence ou non d’une clause privative (aussi appelée disposition d’inattaquabilité) dans la loi habilitante, la nature du délégataire, et la question de savoir si la décision relève du domaine d’expertise de ce dernier. Il existe deux normes de contrôle : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. Voir, de façon générale, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[…]
[24] Il est donc clair que les tribunaux appelés à réviser le caractère raisonnable de règlements municipaux doivent le faire au regard de la grande variété de facteurs dont les conseillers municipaux élus peuvent légitimement tenir compte lorsqu’ils adoptent des règlements. Le critère applicable est le suivant : le règlement ne sera annulé que s’il s’agit d’un règlement qui n’aurait pu être adopté par un organisme raisonnable tenant compte de ces facteurs. Le fait qu’il faille faire preuve d’une grande retenue envers les conseils municipaux ne signifie pas qu’ils ont carte blanche.
[25] La norme de la décision raisonnable restreint les conseils municipaux en ce sens que la teneur de leurs règlements doit être conforme à la raison d’être du régime mis sur pied par la législature. L’éventail des issues raisonnables est donc circonscrit par la portée du schème législatif qui confère à la municipalité le pouvoir de prendre des règlements.
[Soulignements ajoutés]
[47] Dans Vavilov, rendu subséquemment à Catalyst Paper, la Cour suprême énonce la règle dorénavant d’application générale selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’appliquera dans tous les cas de contrôle d’une décision prise par un organisme administratif, sauf lorsqu’une des cinq situations qu’elle identifie se présente, soit que la loi elle-même fixe la norme de contrôle, qu’elle prévoit un appel, s’il s’agit de résoudre une question constitutionnelle, une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, ou une question liée aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs[32]. Elle a par la suite ajouté à cette courte liste une sixième situation, « lorsque les cours de justice et les organismes administratifs ont compétence concurrente en première instance sur une question de droit dans une loi » / « when the courts and administrative bodies have concurent first instance juridiction over a legal issue in a statute »[33].
[48] Mon collègue le juge Morissette, écrivant au nom de la Cour, présentait dans Ville de Québec et al. c. Vidéotron ltée et al., bien qu’à l’égard d’une décision motivée émanant d’un tribunal administratif et non, comme en l’espèce, d’un conseil municipal qui n’a pas donné ses motifs, la synthèse des contraintes imposées au décideur selon Vavilov et dont le juge réviseur doit tenir compte lors de son analyse de la raisonnabilité d’une décision[34] :
[59] Les contraintes factuelles et juridiques pertinentes varieront en fonction du contexte propre à chaque prise de décision. Sans tenter d’en dresser une liste exhaustive, il paraît utile d’identifier les principales contraintes de ce genre et de rappeler qu’elles peuvent interagir entre elles.
[60] Le régime législatif applicable présente une première contrainte importante. La décision à réviser doit être conforme à la raison d’être et à la portée de ce régime et le décideur doit demeurer attentif aux exigences spécifiques de la loi en cause en se gardant d’en outrepasser le cadre. Les termes, limitatifs ou non, dans lesquels le législateur s’est exprimé ont une importance particulière pour déterminer quel degré de souplesse il entendait laisser au décideur dans l’interprétation de la loi.
[61] Les lois, la common law et le droit privé incorporent des notions et des règles d’interprétation consacrées auxquelles une décision raisonnable se conformera. Les précédents pertinents fixent eux aussi des balises que le décideur devra le plus souvent respecter, sauf à parfois passer outre en explicitant la raison de la dérogation ou en adaptant au contexte administratif une règle établie dans un autre contexte. Certaines règles du droit international coutumier ou conventionnel sont aussi à prendre en compte.
[62] Viennent ensuite les principes d’interprétation législative. L’analyse de novo, par ailleurs familière, n’a plus cours ici, car s’il s’agit d’évaluer la raisonnabilité d’une décision, l’examen d’ensemble de la décision doit prévaloir, ce qui comprend son contexte, les motifs qu’’elle comporte et le résultat qu’elle engendre. Le « principe moderne » d’interprétation domine toujours, mais il est modulé à l’aune de l’expérience et de l’expertise spécialisée du décideur administratif. Le respect du texte de loi demeure primordial, ce qui exclut les interprétations plausibles mais de moindre qualité, échafaudées en fonction du résultat recherché. Aussi, omettre un élément clé du texte, du contexte ou de l’objet de la disposition visée risque de compromettre la raisonnabilité de la décision. Une interprétation unique peut également se dégager en révision et justifier qu’on la mette en lumière pour casser la décision révisée.
[Renvois omis]
[49] Selon Vavilov, lorsque qu’aucuns motifs n’ont été fournis et où ni le dossier ni le contexte général ne permettent de discerner le fondement de la décision en cause, comme il est fréquent lorsque la décision est un règlement municipal à caractère normatif, alors le rôle du juge réviseur appliquant la norme de la décision raisonnable sera ramené à celui-ci :
[138] Il existe néanmoins des situations dans lesquelles aucuns motifs n’ont été fournis et où ni le dossier ni le contexte général ne permettent de discerner le fondement de la décision en cause. En pareil cas, la cour de révision doit tout de même examiner la décision à la lumière des contraintes imposées au décideur afin de déterminer s’il s’agit d’une décision raisonnable. Toutefois, il est peut‑être inévitable que faute de motifs, l’analyse soit alors centrée sur le résultat plutôt que sur le raisonnement du décideur. Il ne s’ensuit pas pour autant que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est moins rigoureux dans ces circonstances; il prend seulement une forme différente.
[50] La Cour suprême, dans le même arrêt, explique également ce que sont ces « contraintes imposées au décideur », l’une d’elles, le contexte législatif, étant alors susceptible de jouer un rôle déterminant :
[68] La norme de la décision raisonnable ne permet pas aux décideurs administratifs d’interpréter leur loi habilitante à leur gré et ne les autorise donc pas à élargir la portée de leurs pouvoirs au‑delà de ce que souhaitait le législateur. Elle vient plutôt confirmer que le régime législatif applicable servira toujours à circonscrire les actes ainsi que les pouvoirs des décideurs administratifs. Même dans les cas où l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir — en les limitant peut‑être à une seule. À l’inverse, lorsque le législateur confère au décideur de vastes pouvoirs au moyen d’un texte législatif rédigé en termes généraux, et ne prévoit aucun droit d’appel devant une cour de justice, il y a lieu de donner effet à son intention d’accorder une plus grande latitude au décideur sur l’interprétation de sa loi habilitante. Sans pour autant chercher à importer en bloc la jurisprudence américaine sur ce point, nous estimons pertinents les propos suivants formulés par la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt Arlington, p. 307 :
[traduction] Il faut éviter le syndrome du « loup dans la bergerie » non pas en créant une catégorie arbitraire et indéfinissable de décisions d’organismes à l’égard desquelles il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence, mais en prenant au sérieux et en appliquant rigoureusement, dans tous les cas, les restrictions prévues par la loi relativement aux pouvoirs conférés à un organisme. Si [le législateur] trace une ligne de démarcation claire, l’organisme ne peut aller au‑delà de celle‑ci; si [le législateur] trace une ligne de démarcation ambiguë, l’organisme ne peut dépasser les limites de l’ambiguïté même. Or, pour l’application rigoureuse de cette dernière règle, la cour de justice n’est pas nécessairement tenue de s’arrêter et d’essayer de comprendre si la question d’interprétation soulevée touche à la « compétence ». . . .
[Caractères italiques dans l’original; soulignements ajoutés]
[51] Une municipalité ne saurait donc être absoute d’une décision déraisonnable du seul fait que la lecture qu’elle a faite de son pouvoir habilitant lui procurerait un bénéfice ou un droit :
[121] La tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause. Toutefois, le décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité — mais plausible — simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. Il incombe au décideur de véritablement s’efforcer de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité.[35]
[Soulignement ajouté]
[52] La Cour précise l’attention particulière que le décideur – tout comme par la suite le juge réviseur – devra accorder au contexte législatif :
[110] La question de savoir si une interprétation est justifiée dépendra du contexte, notamment des mots choisis par le législateur pour décrire les limites et les contours du pouvoir du décideur. Si le législateur souhaite circonscrire avec précision le pouvoir d’un décideur administratif de façon ciblée, il peut se servir de termes précis et restrictifs et définir en détail les pouvoirs conférés, limitant ainsi strictement les interprétations que le décideur peut donner de la disposition habilitante. À l’inverse, dans les cas où le législateur choisit d’utiliser des termes généraux, non limitatifs ou nettement qualitatifs — par exemple, l’expression « dans l’intérêt public » — il envisage manifestement que le décideur jouisse d’une souplesse accrue dans l’interprétation d’un tel libellé. D’autres formulations se retrouveront entre ces deux extrêmes. Bref, selon le libellé des dispositions législatives habilitantes, certaines questions touchant à la portée du pouvoir d’un décideur peuvent se prêter à plusieurs interprétations, alors que d’autres questions ne sauraient commander qu’une seule interprétation.
[Soulignements ajoutés]
[53] Ainsi, « [l]e fait que les décideurs administratifs participent, avec les cours de justice, à l’élaboration du contenu précis des régimes administratifs qu’ils administrent, ne devrait pas être interprété comme une licence accordée aux décideurs administratifs pour ignorer ou réécrire les lois adoptées par le Parlement et les législatures provinciales »[36]. Afin d’interpréter ces lois, le décideur devra appel au principe moderne d’interprétation des lois :
[117] La cour qui interprète une disposition législative le fait en appliquant le « principe moderne » en matière d’interprétation des lois, selon lequel il faut lire les termes d’une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Le Parlement et les législatures provinciales ont également donné certaines indications en adoptant des règles législatives qui encadrent explicitement l’interprétation des lois et des règlements : voir, par ex., la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21.
[118] Notre Cour a adopté ce « principe moderne » en tant que méthode appropriée d’interprétation des lois parce que c’est uniquement à partir du texte de loi, de l’objet de la disposition législative et du contexte dans son ensemble qu’il est possible de saisir l’intention du législateur : Sullivan, p. 7‑8. Les personnes qui rédigent et adoptent des textes de loi s’attendent à ce que les questions concernant leur sens soient tranchées à la suite d’une analyse qui tienne compte du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition concernée, que l’entité chargée d’interpréter la loi soit une cour de justice ou un décideur administratif. Une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui respecte l’intention du législateur doit donc tenir pour acquis que les instances chargées d’interpréter la loi — qu’il s’agisse des cours de justice ou des décideurs administratifs — effectueront cet exercice conformément au principe d’interprétation susmentionné.
[Références omises]
[54] Non seulement ce principe d’interprétation a-t-il toujours sa place, il se situe au cœur de l’exercice que le décideur administratif doit accomplir : « […] quelle que soit la forme que prend l’opération d’interprétation d’une disposition législative, le fond de l’interprétation de celle‑ci par le décideur administratif doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet »[37].
[55] Le fait que l’étude de l’ensemble des circonstances et l’emploi de la règle d’interprétation moderne amène le juge réviseur à la conclusion qu’il n’existe qu’une seule interprétation raisonnable possible de sa loi habilitante n’équivaut pas pour autant à l’emploi de la norme de la décision correcte[38]. Ainsi, et sauf les six cas d’exceptions mentionnés plus haut, l’analyse de la légalité de toute décision prise par une municipalité, que ce soit par résolution ou par règlement, devra se faire sous le regard de la décision raisonnable afin de vérifier « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »[39].
* * *
[56] En l’espèce, les appelantes proposent que ce soit la norme de la décision correcte qui s’applique puisque la question en litige viserait à délimiter les compétences respectives des deux organismes décisionnels que sont la municipalité centrale et les municipalités reconstituées, ce qui la ferait entrer dans l’une des exceptions mentionnées par la Cour suprême dans Vavilov.
[57] Bien que cet argument soit séduisant, vu que du résultat de ce pourvoi résultera indirectement la détermination des pouvoirs respectifs des parties, je suis loin d’être convaincu que les appelantes ont raison.
[58] Je considère toutefois qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette proposition puisque l’application de la norme de la décision raisonnable mène à la conclusion que la Résolution du 17 décembre 2007 est illégale.
Le rôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire
[59] Dans Association des cadres de la Société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec[40], le juge Beaupré, écrivant pour la Cour, expose ce qu’est le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire dans les circonstances comme les nôtres[41] :
[76] Depuis l’arrêt Agraira, le rôle de la Cour lors de l’appel d’un jugement rendu en matière de contrôle judiciaire est bien connu. L’arrêt Vavilov n’y a rien changé.
[77] La Cour doit vérifier si le juge réviseur a choisi la norme de contrôle appropriée et, le cas échéant, s’il l’a appliquée correctement. À cette fin, « en se "met[tant] à la place" du tribunal d’instance inférieure », la Cour se concentre sur la décision administrative, soit, en l’espèce, la décision du TAT.
[Renvois omis]
[60] Je passe donc à l’analyse de la décision prise le 17 décembre 2017 par la municipalité centrale en appliquant la norme de la décision raisonnable telle qu’explicitée par la Cour suprême dans Vavilov : la résolution en litige est-elle raisonnable dans le sens de sa justification, de sa transparence, de l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit?
i) La décision doit reposer sur un raisonnement rationnel et logique et le contexte dans lequel les résolutions similaires ont été adoptées
[61] Sauf de référer à l’article 48 de la Loi sur l’exercice, la Résolution du 17 décembre 2007 n’est pas motivée, comme cela est commun lorsqu’un conseil municipal adopte une résolution ou un règlement. Elle ne donne aucune explication autre que celle que comporte son article premier :
Il est proposé :
1 • que l'exercice de la compétence d'agglomération concernant les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires au bon fonctionnement des services mixtes de la municipalité centrale soit effectué par le conseil ordinaire de la municipalité centrale et que la compensation financière pour les services mixtes soit établie en vertu du règlement sur le partage des dépenses mixtes;
[62] On peut comprendre de cet énoncé que l’intention de Longueuil était d’améliorer le bon fonctionnement de sa prise de décision. Rien ne permet toutefois de comprendre en quoi le fait de confier au conseil ordinaire de la municipalité centrale la prise de toutes les décisions qui portent sur des actes qui relèvent à la fois de l’exercice d’une compétence de proximité de la municipalité centrale et de l’exercice d’une compétence d’agglomération, faciliterait « le bon fonctionnement » des services visés, si ce n’est que, en écartant les maires des municipalités reconstituées du processus décisionnel, Longueuil aurait le champ libre pour décider seule ces questions sans leur opposition ou questionnements.
[63] Vu le silence de la résolution, l’intimée a présenté une certaine preuve du contexte dans lequel la résolution a été adoptée et de ce que pouvait être l’objectif recherché. Pour ce faire, Longueuil a déposé le document intitulé Un champ de compétences, une fiscalité et une gouvernance simplifiés pour l’agglomération de Longueuil – Concept d’aménagement approuvé le 21 décembre 2006, soit à la fin de la première année de la nouvelle structure et près d’une année avant l’adoption de la résolution en litige. Elle a aussi fait entendre le directeur général de Longueuil à cette époque et instigateur de ce document, M. Guy Benedetti.
[64] L’intimée soutient que ce document et ce témoignage montrent qu’elle a alors tenu compte du climat de confrontation qui prévalait entre les municipalités liées et des problèmes de gérance de certaines compétences d’agglomération et de certains actes mixtes. Référant au document, elle avance dans son mémoire que « [l]a preuve démontre clairement qu’à cette époque, le conseil d’agglomération souhaitait favoriser l’efficience dans la prise de décision et limiter les coûts reliés aux structures d’agglomération » et que « [c]’est en raison de leur appréciation des enjeux de l’agglomération que la délégation de compétences pour les services administratifs s’est imposée au conseil d’agglomération comme la solution aux problèmes passés ».
[65] Il est vrai que ce document semble soutenir la thèse avancée par l’intimée selon laquelle des gains importants de productivité et d’efficacité pourraient être obtenus par certaines des actions qui y étaient proposées. Personne ne conteste le fait que, comme le document le proposait dans le contexte particulier de cette agglomération, retirer de la liste des compétences d’agglomération prévue dans la Loi sur l’exercice celles relatives à la voirie artérielle, aux conduites supralocales d’égout et d’aqueduc et aux équipements d’intérêts collectifs afin de les redonner à chacune des municipalités liées, pouvait procurer des gains d’efficacité. De même, il ne fait pas de doute – et cela n’est pas contredit par la preuve – que de confier au conseil ordinaire la prise de toutes les décisions qui se rapportent aux actes mixtes serait de nature à accélérer le processus décisionnel, si ce n’est que parce que les maires des municipalités reconstitués, pourtant appelés à contribuer aux dépenses qui en découlent, en seraient écartés. Le juge de première instance appuie d’ailleurs en grande partie sa conclusion à l’égard de la légalité de la Résolution du 17 décembre 2007 sur ce contexte politique et administratif et sur le fait que la résolution avait pour objectif d’aplanir certaines des difficultés relevées.
[66] Que proposait donc ce document de travail?
[67] Ce document expose dans son introduction certaines des difficultés vécues au cours de la première année de la nouvelle structure municipale, constate que « les règles de gouvernance et de fonctionnement telles qu’elles ont été décrétées en 2005 ne sont pas adaptées aux réalités de l’agglomération de Longueuil »[42] et propose la mise en place d'« un mode de fonctionnement et de gouvernance simplifiés de l’agglomération de Longueuil ».
[68] Les deuxième, troisième et quatrième parties du document détaillent en quoi consisterait cette « révision du concept d’agglomération »[43] : certaines des compétences (celles portant sur la voirie artérielle, les conduites supralocales d’égout et d’aqueduc et les équipements d’intérêts collectifs) qui, selon l’article 19 de la Loi sur l’exercice, sont alors des compétences d’agglomération, seraient rétrocédées aux villes liées, à l’exception de certains équipements majeurs. Par ailleurs, la municipalité centrale fournirait les services d’administration générale et de soutien professionnel et technique relatifs aux compétences d’agglomération, le document précisant expressément que [je souligne] « [c]es services [mixtes] offerts par la ville centrale feront l’objet d’une entente entre les villes liées qui comprendra tous les éléments relatifs aux coûts d’opération et d’immobilisation. L’entente aura une durée de vingt ans. Les modalités encadrant la compensation financière seront sujettes à une révision quinquennale »[44].
[69] Enfin, les trois dernières parties du document émettent la proposition selon laquelle [je souligne] « [l]es activités faisant l’objet d’une délégation à la ville centrale seront assujetties à la gouvernance de cette dernière. Toutefois, une entente viendra baliser la portée, les niveaux et les coûts de ces services »[45] et il est mentionné un peu plus loin : « Établir une nouvelle entente de délégation entre le conseil d’agglomération et celui de la Ville centrale à l’égard de l’administration générale, du soutien professionnel et technique pour une période de vingt ans, en y prévoyant les éléments nécessaires notamment en matière d’immobilisation »[46].
[70] Comme en témoigne l’instigateur de ce document et directeur général de Longueuil en fonction à cette époque, M. Guy Benedetti, les délégations prévues dans cette entente de décembre 2005 avaient pour objectif de faciliter la prise des décisions par la municipalité centrale à l’égard des actes mixtes, comme l’intimée le plaide. M. Benedetti explique que les changements alors proposés visaient à faire en sorte que les municipalités reconstituées reprennent certaines des compétences d’agglomération en contrepartie de quoi Longueuil pourrait accomplir seule, par son conseil ordinaire, les actes administratifs mixtes[47] :
R- Donc, on s'est dit c'est correct que chacun va être maître sur son territoire. Donc, on avait révisé les ... le réseau artériel de voirie ...
Q- Um-hum.
R- ... les conduites supra locales, égouts, aqueduc, et cetera. Donc, chacun reprenait possession de ses propres actifs sur son territoire. En contrepartie, Longueuil disait : « Bien, là, je veux être maître de mon administration. »
[71] Cela dit, les auteurs de ce document n’étaient pas sans savoir que leurs propositions de révision du concept d’agglomération mis en place par le législateur nécessiteraient des modifications aux lois qui régissaient le partage des compétences de l’agglomération, comme en témoigne la mention suivante dans ce document :
L’ensemble des éléments relatifs au nouveau concept d’agglomération nécessitera divers amendements législatifs, notamment à la Charte de la Ville de Longueuil. Un projet à cet égard sera élaboré pour le 31 mai 2007, en vue d’un dépôt à la ministre des Affaires municipales et des Régions.[48]
ainsi que cet extrait du même document qui annonce les étapes qui devront être accomplies pour parvenir à cette fin :
c) En terme de gouvernance
Élaborer un projet de révision de la Charte de Longueuil et autres amendements législatifs pour le 31 mai 2007.
À partir de 2008
Avoir actualisé la gouvernance de l’agglomération à la nouvelle réalité.[49]
[72] Les parties n’ont pas déposé en preuve le projet d’amendement à la loi annoncé dans le document que Longueuil entendait présenter à la ministre au cours de l’année 2007. Toutefois, il semble bien que le souhait formulé par les auteurs du document d’orientation, soit que des modifications législatives requises afin de permettre les modifications proposées à la structure de l’agglomération soient apportées avant la fin de l’année 2007, a été exaucé, mais en partie seulement. En effet, les compétences portant sur la voirie artérielle, sur les conduites supralocales d’égout et d’aqueduc et sur les équipements d’intérêts collectifs, jusqu’alors des compétences d’agglomération, ont, à l’égard de l’agglomération de Longueuil seulement, été rétrocédées aux villes liées par l’amendement apporté aux articles 19, 22 à 24.1, 25 à 28 et 32 à 36 de la Loi sur l’exercice par l’article 19 du chapitre 10 des lois du Québec de 2007, entré en vigueur le 1er janvier 2008[50].
[73] Quant au pouvoir de la municipalité centrale de déléguer à son conseil ordinaire la prise des décisions qui portent sur des actes qui relèvent à la fois de l’exercice d’une compétence de proximité de la municipalité centrale et de l’exercice d’une compétence d’agglomération, le législateur l’a bien aussi accordée, mais seulement aux plus petites agglomérations de la province, à l’exclusion de celles de Montréal, Québec et Longueuil[51]. Nous y reviendrons.
[74] Ainsi, l’argument avancé par Longueuil selon lequel ses deux conseils, en décembre 2007, n’auraient fait que suivre le chemin tracé dans le document de décembre 2006, n’est supporté ni par ce document ni par le témoignage de son directeur général de l’époque. En d’autres mots, le raisonnement qui sous-tend la décision souffre d’une tare importante de cohérence.
ii) La conformité de la résolution à l’égard des contraintes d’ordre factuel et juridique qui lui sont pertinentes
[75] Comme il est expliqué dans Vavilov, la décision litigieuse doit se conformer à la raison d’être et à la portée du régime législatif qui s’y applique et le décideur, en l’espèce Longueuil, se devait d’y demeurer attentif et se garder d’en outrepasser le cadre.
[76] Longueuil soutient que l’article 48 de la Loi sur l’exercice l’autorisait à adopter la Résolution du 17 décembre 2007, et qu’une référence à cet article apparaissait d’ailleurs dans son préambule :
CONSIDÉRANT que la Loi sur l'exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations prévoit la possibilité pour le conseil d'agglomération de déléguer certaines compétences au conseil ordinaire de la municipalité centrale par résolutions similaires selon le mécanisme prévu à l'article 48 de cette loi;
[77] Le régime législatif pertinent dans lequel l’article 48 s’insère se retrouve dans la Loi sur l’exercice, laquelle prévoit les règles suivantes telles qu’applicables à l’agglomération de Longueuil :
COMPÉTENCES NON EXERCÉES SELON LES RÈGLES GÉNÉRALES | POWERS NOT EXERCISED ACCORDING TO GENERAL RULES
|
45. Une compétence d’agglomération n’a pas, du seul fait qu’elle est conférée à la municipalité centrale par une disposition de l’un ou l’autre des chapitres II et III, à être exercée. | 45. An urban agglomeration power is not required to be exercised by the sole fact that it has been conferred on the central municipality by a provision of Chapter II or Chapter III. |
Ce seul fait n’empêche pas une municipalité régionale de comté d’exercer son pouvoir de prendre tout ou partie de la compétence. La prise de compétence doit être effectuée à l’égard de toutes les municipalités liées ou de tous leurs territoires.
| That sole fact does not prevent a regional county municipality from exercising its right to assume all or part of that power. The power must be assumed in respect of all the related municipalities or all their territories.
|
Le seul fait que la compétence est conférée à la municipalité centrale n’empêche pas non plus celle-ci de déléguer l’exercice de tout ou partie de la compétence, notamment à une municipalité reconstituée, par une entente conclue selon les règles qui lui sont applicables. La délégation peut être effectuée à l’égard d’une municipalité reconstituée ou du territoire de celle-ci uniquement si cette dernière est le délégataire ou si elle intervient à l’entente pour accepter que le délégataire agisse à son égard ou sur son territoire.
| The sole fact that the power has been conferred on the central municipality does not prevent the central municipality from delegating all or part of the power, in particular to a reconstituted municipality, by an agreement entered into according to the applicable rules. The delegation may be made in respect of a reconstituted municipality or its territory only if the reconstituted municipality is the delegatee or if it enters into the agreement in order to accept that the delegate act for the reconstituted municipality or in its territory.
|
Toute disposition qui vise l’exercice d’une compétence d’agglomération est réputée viser aussi, le cas échéant, celui d’une partie seulement de la compétence ou l’exercice de tout ou partie de celle-ci à l’égard d’une partie seulement des municipalités liées ou sur quelques-uns seulement de leurs territoires.
| Any provision respecting the exercise of an urban agglomeration power is also deemed to pertain, where applicable, to the exercise of only part of the power or to the exercise of all or part of the power as regards only some of the related municipalities or in only a few of their territories.
|
46. Dans le cas où, à la suite d’une délégation faite par entente, la compétence est exercée par chaque municipalité reconstituée à son propre égard ou sur son propre territoire, tout acte inhérent à l’exercice de la compétence à l’égard de la municipalité centrale ou sur le territoire de celle-ci, qui selon l’article 18 devrait être accompli par le conseil d’agglomération, est plutôt accompli par le conseil ordinaire de la municipalité.
| 46. If, following delegation by agreement, a power is exercised by each reconstituted municipality for itself or in its own territory, any act inherent in the exercise of the power in respect of the central municipality or in its territory which, according to section 18, should be performed by the urban agglomeration council, must rather be performed by the regular municipal council.
|
Cette substitution ne vise pas le pouvoir ou l’obligation du conseil d’agglomération de faire un règlement.
| That substitution does not apply to the power or obligation of the urban agglomeration council to make by-laws.
|
47. Le conseil d’agglomération peut, par un règlement assujetti au droit d’opposition prévu à l’article 115, prévoir que l’exercice d’une compétence d’agglomération est effectué, à l’égard de chaque municipalité liée ou sur le territoire de celle-ci, par le conseil de cette dernière ou, dans le cas de la municipalité centrale, le conseil ordinaire de celle-ci.
| 47. The urban agglomeration council may prescribe, by a by-law subject to the right of objection under section 115, that an urban agglomeration power is exercised, in respect of a related municipality or in its territory, by the council of that related municipality or, in the case of the central municipality, by the regular council of the central municipality. |
Le règlement doit viser l’ensemble des municipalités liées ou des territoires de celles-ci. Il peut prévoir les conditions et modalités de la délégation; dans un tel cas, elles ne peuvent comporter aucune discrimination en fonction des municipalités ou des territoires de celles-ci.
| The by-law must apply to all the related municipalities or their territories. It may prescribe the conditions and manner of the delegation, which must not involve discrimination based on the municipalities or their territories.
|
48. Dans tout autre cas que ceux visés aux articles 46 et 47, le conseil d’agglomération et le conseil ordinaire de la municipalité centrale peuvent, par des résolutions similaires, prévoir la délégation, pour une période déterminée, de l’exercice d’une compétence d’agglomération à l’égard de la municipalité ou sur son territoire. | 48. In any case other than the cases referred to in sections 46 and 47, the urban agglomeration council and the regular council of the central municipality may, by similar resolutions, provide for the delegation, for a set period, of the exercise of an urban agglomeration power in respect of the municipality or in its territory. |
Une fois les deux résolutions en vigueur, pendant la période qu’elles déterminent, la substitution prévue à l’article 46 s’applique.
| Once the two resolutions are in force for the set period, the substitution under section 46 applies. |
[78] Les deux premiers alinéas de l’article 45 ne sont pas pertinents à notre propos, mais son troisième l’est : la municipalité centrale peut déléguer « l’exercice de tout ou partie de la compétence / delegating all or part of the power » d’agglomération à toute municipalité, notamment à toute municipalité reconstituée, dans tous les cas « en suivant les règles qui lui sont applicables ». Ces « règles qui lui sont applicables » sont celles qui régissent la délégation de l’exercice d’une compétence municipale prévue aux articles
468. Toute municipalité peut conclure une entente avec toute autre municipalité, quelle que soit la loi qui la régit, relativement à tout ou partie d’un domaine de leur compétence. | 468. Every municipality may make an agreement with any other municipality, regardless of the law governing it, relating to all or part of any field within its jurisdiction. |
[…] | […] |
468.3. L’entente doit contenir : | 468.3. The agreement must include |
1° une description détaillée de son objet; | (1) a detailed description of its object; |
2° le mode de fonctionnement, déterminé selon l’article 468.7; | (2) the mode of operation, determined in accordance with section 468.7; |
3° le mode de répartition des contributions financières entre les municipalités parties à l’entente; | (3) the mode of apportionment of the financial contributions among the municipalities that are parties to the agreement; |
4° mention de sa durée et, le cas échéant, les modalités de son renouvellement; | (4) an indication of the term of the agreement and, where such is the case, the terms and conditions of its renewal; |
5° lorsque l’entente est visée par le deuxième alinéa de l’article 468.5, un mécanisme palliatif pour le cas où la consommation réelle excède la capacité maximum de consommation; | (5) where the agreement is contemplated in the second paragraph of section 468.5, a palliative measure for the case where actual consumption exceeds maximum capacity of consumption; |
6° le partage de l’actif et du passif découlant de l’application de l’entente, lorsque celle-ci prend fin. | (6) the apportionment of the assets and liabilities relating to the implementation of the agreement, when the agreement is terminated. |
[…] | (…) |
468.7. L’entente prévoit l’un des modes de fonctionnement suivants : | 468.7. The agreement must provide one of the following modes of operation: |
1° la fourniture de services par l’une des municipalités parties à l’entente; | (1) the supply of services by one of the municipalities that are parties to the agreement; |
2° la délégation d’une compétence, à l’exception de celles de faire des règlements et d’imposer des taxes d’une municipalité à une autre; | (2) the delegation of a jurisdiction, except that of making by-laws or imposing taxes, from one municipality to another; |
3° la régie intermunicipale. | (3) intermunicipal management. |
[79] Ainsi, la délégation par la municipalité centrale à toute municipalité de « l’exercice d’une compétence d’agglomération / the exercise of an urban agglomeration power » ne pourra se faire que dans le cadre d’une entente intermunicipale, laquelle devra prévoir tous les éléments mentionnés à ces articles – et aux autres qui s’y appliquent – de la Loi sur les cités et villes.
[80] L’article 45 Loi sur l’exercice prévoit cependant une condition à la conclusion d’une telle entente intermunicipale de délégation : si la délégation l’est à l’égard d’une municipalité reconstituée ou de son territoire (selon la nature de la compétence déléguée), elle ne pourra être accomplie qu’à la condition que cette municipalité reconstituée intervienne à l’entente afin d’y manifester son accord à ce que cette autre municipalité devienne la délégataire de l’exercice de la compétence visée. Cette condition n’est pas spécifiée lorsque c’est la municipalité reconstituée qui est elle-même la municipalité délégataire puisqu’alors, elle aura nécessairement donné son accord en signant l’entente intermunicipale.
[81] L’article 46 couvre le cas où la municipalité centrale a délégué une compétence d’agglomération à toutes les municipalités reconstituées, toujours à la suite de la conclusion d’une entente intermunicipale. L’article prévoit alors que puisque toutes les municipalités reconstituées (ce que n’est pas la municipalité centrale) exerceront alors cette compétence à leur égard ou sur leur territoire, alors Longueuil se verra reconnaître les mêmes droits et pourra automatiquement et sans formalité elle aussi exercer cette compétence à l’égard d’elle‑même ou de son territoire, par son conseil ordinaire. Dans une telle circonstance, s’agissant d’une entente intermunicipale affectant toutes les municipalités reconstituées, toutes auront nécessairement donné leur accord à ce qu’elles deviennent délégataires de la compétence visée. L’attribution automatique de ce droit en faveur du conseil ordinaire de la municipalité centrale permet ainsi d’éviter le problème découlant du fait que la municipalité centrale convienne d’une délégation à elle‑même.
[82] L’article 47 est une variation sur un même thème : il permet à la municipalité centrale, par règlement de son conseil d’agglomération, de décréter unilatéralement (donc cette fois sans conclusion préalable d’une entente intermunicipale) que l’exercice d’une compétence d’agglomération à l’égard de toutes les municipalités liées ou leur territoire sera dorénavant exercé par les conseils ordinaires de chacune d’elles. Puisque le mécanisme prévu est celui d’un règlement et non d’une entente, le problème de Longueuil s’entendant avec elle-même ne se pose pas. Aussi, bien que toutes les municipalités n’auront possiblement pas donné leur accord à cette délégation de l’exercice de la compétence, il demeure que toutes deviennent délégataires de la compétence et, de ce fait, continuent à être imputables envers leurs citoyens (lesquels seront appelés à payer la note des décisions qu’elles prendront à la suite de cette délégation).
[83] Il importe ici de souligner que, dans tous les cas où la Loi sur les cités et villes ou l’un ou l’autre des articles 45 ou 46 de la Loi sur l’exercice traite de la délégation de l’exercice d’une compétence municipale, le législateur prend le soin de spécifier que la délégation ne peut être effectuée à l’égard d’une municipalité ou de son territoire à moins qu’elle n’y donne son accord. Dans le cas prévu à l’article 47 de la Loi sur l’exercice, si une municipalité peut se voir imposer l’exercice d’une compétence, il demeure qu’elle en devient alors la délégataire, c’est-à-dire qu’elle ne perd pas le droit d’exercer cette compétence, et encore, elle peut alors demander à la Commission municipale du Québec de ne pas approuver ce règlement si elle considère qu’il est inéquitable envers l’une d’elles, droit spécifiquement prévu à cet article.
[84] Qu’en est-il de l’article 48? L’intimée soutient que cette disposition conférait à son conseil d’agglomération le pouvoir d’adopter unilatéralement la Résolution du 17 décembre 2007 et à son conseil ordinaire celui d’adopter la résolution similaire.
[85] Reprenons l’article 48 :
48. Dans tout autre cas que ceux visés aux articles 46 et 47, le conseil d’agglomération et le conseil ordinaire de la municipalité centrale peuvent, par des résolutions similaires, prévoir la délégation, pour une période déterminée, de l’exercice d’une compétence d’agglomération à l’égard de la municipalité ou sur son territoire.
Une fois les deux résolutions en vigueur, pendant la période qu’elles déterminent, la substitution prévue à l’article 46 s’applique.
| 48. In any case other than the cases referred to in sections 46 and 47, the urban agglomeration council and the regular council of the central municipality may, by similar resolutions, provide for the delegation, for a set period, of the exercise of an urban agglomeration power in respect of the municipality or in its territory.
Once the two resolutions are in force for the set period, the substitution under section 46 applies.
|
[86] La lecture que l’intimée fait de cet article se heurte à plusieurs difficultés.
[87] D’abord, bien que l’article 45 précise que la municipalité centrale peut déléguer l’exercice d’une compétence d’agglomération « notamment » à une municipalité reconstituée de l’agglomération, rien n’empêche qu’elle puisse elle-même être la délégataire de l’exercice de la compétence d’agglomération alors visée, de sorte que l’exercice soit accompli par son conseil ordinaire plutôt que par son conseil d’agglomération.
[88] À titre d’exemple, le conseil d’agglomération pourrait, en vertu de l’article 45, déléguer à l’une ou l’autre des municipalités liées l’exercice de la compétence en matière d’évaluation (une compétence d’agglomération, art. 19 et 21 Loi sur l’exercice) à l’égard de toutes les municipalités liées, ou le déléguer au conseil ordinaire de la municipalité centrale. Si cette délégation porte sur l’exercice de la compétence à l’égard de toutes les municipalités liées, alors leur approbation sera exigée. Toutefois, si la délégation de cette compétence a lieu en faveur d’une municipalité liée (qui en devient donc la délégataire) et à son seul égard (que pour les immeubles sur son seul territoire), alors la délégation ne requiert l’approbation que du conseil d’agglomération et de la municipalité délégataire.
[89] Dans le cas où la délégation par le conseil d’agglomération au conseil ordinaire de la municipalité centrale porte sur l’exercice d’une compétence d’agglomération à l’égard de la municipalité centrale ou de son territoire, une difficulté surgit. On sait que la municipalité centrale est une personne morale, mais que l’agglomération n’en est pas une. On sait aussi qu’une personne, soit-elle physique ou morale, ne peut pas logiquement ni juridiquement conclure une entente avec elle-même afin de se déléguer l’exercice d’une compétence ni, d’ailleurs, afin de conclure quelque entente que ce soit. Cette difficulté n’a pas échappé au législateur, qui l’a réglée en prévoyant, lorsqu’une municipalité centrale envisage une telle délégation de son conseil d’agglomération à son conseil ordinaire, un mode de délégation alternatif à celui de l’entente intermunicipale prévu à l’article 46. Ce moyen est celui prévu à l’article 48.
[90] Ce que permet l’article 48 est en fait bien simple : cet article n’a pour seul but que de régler la difficulté que pose l’article 45 lorsque la délégation de l’exercice d’une compétence d’agglomération est faite en faveur du conseil ordinaire de la municipalité centrale. Sauf les cas où la municipalité centrale acquiert le droit d’exercer une compétence d’agglomération par l’effet de l’article 46 (par une entente intermunicipale par laquelle toutes les municipalités reconstituées deviennent délégataires de l’exercice de la compétence) ou de l’article 47 (règlement du conseil d’agglomération par lequel toutes les municipalités liées deviennent délégataires de l’exercice de la compétence), l’article 48 n’accorde à la municipalité centrale aucun autre pouvoir que celui de permettre à son conseil d’agglomération de déléguer à son conseil ordinaire l’exercice d’une compétence d’agglomération, et ce, seulement dans la mesure où cet exercice ne concerne que la municipalité centrale (« à l’égard de la municipalité ») ou de son territoire (« ou sur son territoire »).
[91] Ainsi, si la délégation d’une compétence d’agglomération se fait de la municipalité centrale (c’est-à-dire de son conseil d’agglomération) vers une municipalité reconstituée à l’égard de celle-ci ou de son territoire, alors une entente est requise (article 45). Mais si cette délégation d’une compétence d’agglomération se fait de la municipalité centrale (c’est-à-dire de son conseil d’agglomération) vers la municipalité centrale (c’est-à-dire à son conseil ordinaire) à l’égard de celle-ci ou de son territoire, alors l’adoption des résolutions similaires suffit (article 48). La méthode des résolutions similaires prévue par le législateur à cet article rend alors inutile la conclusion d’une entente de Longueuil avec elle-même étant donné que les éléments qui devraient normalement être prévus dans une telle entente intermunicipale ne s’appliquent tout simplement pas à une délégation intramunicipale. Il est alors suffisant d’indiquer, dans les résolutions similaires, et comme l’article 48 le prévoit, l’objet de la délégation et sa durée.
[92] L’article 48 de la Loi sur l’exercice doit être lu dans le contexte des autres articles de cette loi qui traitent de la délégation des compétences, dont ses articles 45 à 47, de même que des articles
[93] Cette lecture des articles 45 à 48 est d’ailleurs celle qui avait été faite dans le document explicatif du ministère des Affaires municipales à l’égard des articles initiaux de la Loi sur l’exercice et des amendements qui ont été apportés pendant le processus d’adoption :
L’article 48 prévoit que la substitution dont parle l’article 46 peut être obtenue de façon non automatique, lorsque les conditions mentionnées à cet article ne sont pas remplies (c’est-à-dire lorsqu’au moins une municipalité reconstituée n’a pas conclu une entente de délégation avec la municipalité centrale).
Comme la municipalité centrale ne peut conclure d’entente avec elle-même, la façon de faire consiste dans l’adoption de résolutions similaires par les deux organes délibérants de la municipalité que sont le conseil d’agglomération et le conseil ordinaire. Ces deux résolutions prévoient que, pour une période déterminée, le conseil ordinaire exerce la compétence, à la place du conseil d’agglomération, sur le territoire de la municipalité centrale.
[…]
Le second élément de l’amendement précise que, lorsque des résolutions similaires du conseil ordinaire de la municipalité centrale et du conseil d’agglomération permettent de substituer le premier au second quant à l’exercice d’une compétence d’agglomération, cette substitution ne vaut qu’à l’égard de cette municipalité ou de son territoire.[53]
[94] La lecture que l’intimée fait de l’article 48 se heurte à une autre difficulté.
[95] On a vu plus haut que le législateur a, en matière de délégation de l’exercice des compétences, pris grand soin, d’une part, de respecter le principe de l’imputabilité des élus qui prennent les décisions et, d’autre part, de préserver celui de la représentativité, même dans le cas de délégation d’une compétence. Les municipalités reconstituées participent à toutes les décisions prises à leur égard ou à l’égard de leur territoire, et ce, directement par leur conseil municipal dans le cas de leurs compétences de proximité, ou par leur maire qui siège au conseil d’agglomération à l’égard des compétences d’agglomération et des actes mixtes. La loi prend toujours soin de prévoir qu’une municipalité ne pourra jamais perdre le droit d’exercer une compétence à son égard ou à l’égard de son territoire à moins que cela ne soit fait par une délégation qui devra dans tous les cas être acceptée par son conseil municipal.
[96] En l’espèce, la Résolution du 17 décembre 2007 retire aux maires des municipalités reconstituées qui siègent au conseil d’agglomération le droit d’accomplir les actes visés par cette résolution qui, nécessairement, sont posés à l’égard de chacune des municipalités liées ou de leur territoire, ce qui inclut évidemment toutes les municipalités reconstituées, et ce, sans que le conseil de celles-ci ait accepté cette délégation.
[97] L’intimée a raison lorsqu’elle plaide que, puisque tous les bâtiments à l’égard desquels des actes mixtes sont accomplis par son conseil ordinaire sont situés sur son territoire (par exemple, l’octroi du contrat de déneigement du stationnement de l’hôtel de ville de Longueuil ou l’embauche du greffier de Longueuil qui a son bureau sur le territoire de Longueuil), alors ces actes ne sont exercés que sur son territoire. Toutefois, lorsque le conseil passe un acte à l’égard de l’un ou l’autre des services identifiés dans l’annexe de la Résolution du 17 décembre 2017, un acte mixte, il agit nécessairement à l’égard de toutes les municipalités liées, ce qui inclut les municipalités reconstituées puisque, par définition, l’acte est aussi posé dans le cadre d’une compétence d’agglomération qui les concerne et que la dépense qui en découle sera payée en partie par les municipalités reconstituées.
[98] Par exemple, l’embauche du personnel du greffe de la municipalité centrale est un acte qui est posé à l’égard de toutes les municipalités de l’agglomération, étant donné que cet officier prépare les assemblées et résolutions du conseil d’agglomération. Le fait que son bureau soit situé sur le territoire de Longueuil n’importe pas. Pareillement, le personnel de la Direction des services juridiques de Longueuil, situé physiquement que sur le territoire de celle-ci, agit à l’égard des municipalités reconstituées lorsqu’il exécute des tâches qui concernent une compétence d’agglomération. Il en va de même des officiers municipaux de Longueuil de sa Direction des finances ou de sa Direction des communications lorsqu’ils effectuent des travaux qui relèvent d’une compétence d’agglomération (art. 19 (11) Loi sur l’exercice). La même chose peut être dite du travail des employés de la Direction de l’aménagement et du développement du territoire, dont on peut en plus dire qu’il est accompli à l’égard du territoire des municipalités reconstituées.
[99] L’intimée plaide que les appelantes n’ont pas raison de soutenir que lorsque la Direction des finances de Longueuil prépare le budget de l’agglomération, elle agit à l’égard de toutes les municipalités liées ou de leur territoire puisque ce qui est délégué au conseil ordinaire par la Résolution du 17 décembre 2007, ce n’est que la compétence de nommer les employés de cette direction. L’intimée a tort : les actes ainsi délégués, des actes mixtes, demeurent des actes qui sont posés, même à la suite de la délégation, en partie dans le cadre de l’exercice d’une compétence d’agglomération, laquelle, par définition, continuera alors à intéresser les municipalités reconstituées. Celles-ci, d’ailleurs, y contribueront financièrement, portant ainsi atteinte au principe jusque‑là préservé par le législateur de l’imputabilité des décisions prises par un conseil municipal, conséquence qui milite en défaveur de la lecture que l’intimée fait de cet article.
[100] Enfin, la lecture que l’intimée fait de l’article 48 se heurte à une troisième difficulté.
[101] J’ai mentionné plus haut que le législateur a, en 2007, modifié la Loi sur l’exercice afin, en outre, de faire droit à certaines des demandes formulées dans le document de décembre 2006, dont la rétrocession de certaines compétences d’agglomération aux municipalités reconstituées.
[102] Cette même année 2007, une autre loi modifiant la Loi sur l’exercice[54] est aussi entrée en vigueur. Parmi les modifications qu’elle y apporte se trouve l’ajout des articles 118.24 et 118.25 et s., lesquels, je le précise dès maintenant, s’appliquent à toutes les agglomérations de la province sauf aux trois plus grandes, soit celles de Longueuil, de Québec et de Montréal :
TITRE IV.2 | TITLE IV.2 |
DISPOSITIONS PARTICULIÈRES APPLICABLES AUX AGGLOMÉRATIONS DE MONT‑LAURIER, DE LA TUQUE, DES ÎLES-DE-LA-MADELEINE, DE SAINTE-AGATHE-DES-MONTS, DE MONT-TREMBLANT, DE COOKSHIRE‑EATON, DE RIVIÈRE‑ROUGE ET DE SAINTE‑MARGUERITE-ESTÉREL | SPECIAL PROVISIONS APPLICABLE TO THE URBAN AGGLOMERATIONS OF MONT-LAURIER, LA TUQUE, ÎLES‑DE-LA-MADELEINE, SAINTE‑AGATHE-DES-MONTS, MONT‑TREMBLANT, COOKSHIRE-EATON, RIVIÈRE-ROUGE AND SAINTE-MARGUERITE-ESTÉREL |
CHAPITRE I
DÉLÉGATION AU CONSEIL ORDINAIRE DE LA MUNICIPALITÉ CENTRALE
| CHAPTER I
DELEGATION TO THE REGULAR COUNCIL OF THE CENTRAL MUNICIPALITY
|
118.24. Sous réserve du troisième alinéa, le conseil d’agglomération peut, par règlement et avec le consentement préalable de toute municipalité reconstituée, déterminer tout acte relevant de sa compétence qu’il délègue au conseil ordinaire de la municipalité centrale. Le règlement doit prévoir les conditions et modalités de la délégation, notamment la durée de celle-ci et, le cas échéant, les modalités de son renouvellement.
Ne peut être déléguée :
1° l’adoption de la partie du budget ou du programme des immobilisations de la municipalité centrale qui relève de la compétence du conseil d’agglomération;
2° l’adoption d’un règlement qui est destiné à recueillir les recettes prévues à la partie du budget de la municipalité centrale qui relève de la compétence du conseil d’agglomération ;
3° la prise d’une décision en vertu de l’un ou l’autre des articles 69, 118.26, 118.28 et 118.75.
| 118.24. Subject to the third paragraph, the urban agglomeration council may, by by-law and with the prior consent of any reconstituted municipalities, delegate any act under its jurisdiction to the regular council of the central municipality.
The by-law must prescribe the conditions and manner of the delegation, in particular its duration and, if applicable, how it is to be renewed.
The following may not be delegated:
(1) the adoption of the part of the central municipality’s budget or capital expenditure program that is within the jurisdiction of the urban agglomeration council;
(2) the adoption of a by-law made to collect the revenue provided for in the part of the budget of the central municipality that is within the jurisdiction of the urban agglomeration council; and
(3) the adoption of a decision under section 69, 118.26, 118.28 or 118.75.
|
118.25. Dans le cas où le conseil d’agglomération délègue conformément à l’article 118.24 l’exercice d’un acte visé à l’article 57 et lié à l’administration générale de la municipalité centrale, le règlement peut prévoir que les dépenses consécutives à l’exercice d’un tel acte ne sont pas des dépenses mixtes.
En contrepartie d’une telle décision, le règlement peut prévoir que la partie du budget de la municipalité centrale qui relève de la compétence du conseil d’agglomération comprend une somme à titre de dépenses. Cette somme est portée au crédit de l’autre partie du budget de la municipalité centrale qui relève de la compétence du conseil ordinaire. Le règlement précise alors les règles permettant d’établir le montant de cette somme.
Pour l’application du premier alinéa, constitue notamment un acte lié à l’administration générale toute décision entraînant une dépense concernant l’hôtel de ville de même que toute décision entraînant une dépense prévue ordinairement au budget sous les rubriques « conseil municipal », « gestion financière et administrative », « greffe » et « gestion du personnel ».
| 118.25. If the urban agglomeration council delegates under section 118.24 an act referred to in section 57 that is related to the general administration of the central municipality, the by-law may provide that the expenditures entailed by the act are not mixed expenditures.
To compensate for such a decision, the by-law may provide that the part of the central municipality’s budget that is within the jurisdiction of the urban agglomeration council must include an amount for expenditures. That amount is credited to the part of the central municipality’s budget that is within the jurisdiction of the regular council. The rules governing the determination of the amount are specified in the by-law.
For the purposes of the first paragraph, a decision involving an expenditure concerning the city hall or a decision involving an expenditure that is ordinarily provided for in the budget under the heading “municipal council”, “financial and administrative management”, “clerk’s office” or “personnel management” is an act related to general administration.
[Soulignement ajouté] |
[103] Cet ajout à la Loi sur l’exercice a fait l’objet de commentaires à la Commission permanente de l’aménagement du territoire préalablement à son adoption. L’échange suivant entre la ministre Normandeau, le député Camirand et un fonctionnaire permet de comprendre le contexte dans lequel ces pouvoirs ont été élaborés et de saisir leur portée :
M. Camirand: J'aimerais savoir, Mme la ministre, contrairement à ce qu'on avait avant, les amendements viennent changer quoi? C'est ça que j'essaie de voir, là; dans la lecture, là, j'essaie de comparer les deux. Ça vient changer quoi, les amendements?
(Consultation)
Mme Normandeau: La philosophie derrière ça, les maires que nous avons rencontrés nous ont dit: Écoutez, là, nous, on veut être plus efficaces dans le fonctionnement de l'agglomération, et on veut se rencontrer sur de grandes questions qui touchent l'agglomération, éviter la poutine, excusez l'expression, là, quotidienne, là, ou courante, et c'est dans ce sens-là que l'article a été libellé. Donc, s'assurer vraiment de se rencontrer pour les grandes questions qui touchent le fonctionnement de l'agglomération. Et les grandes questions qui touchent le fonctionnement de l'agglomération, c'est les questions qui touchent l'adoption du budget, du programme triennal d'immobilisations, du financement ou du partage des dépenses mixtes, enfin bref, c'est toutes ces grandes questions là.
M. Pépin, est-ce qu'on a autre chose à ajouter de notre côté? Peut-être... Parce qu'il faut savoir, M. le Président, que M. Pépin a fait un travail absolument colossal de rencontre avec l'ensemble des maires concernés, et c'est vraiment lui qui a été sur la ligne de front pour négocier l'ensemble des dispositions qui se retrouvent ici, dans le projet de loi. Alors, avec le consentement, peut-être qu'on pourrait... si les collègues le souhaitent, M. Pépin pourrait nous donner davantage de précisions sur la teneur des discussions qu'il a eues avec les municipalités, les maires.
Le Président (M. L'Écuyer): Merci, Mme la ministre. Alors, de consentement? Alors, M. Pépin.
M. Pépin (Roger): Oui. Alors, bonsoir, tout le monde. Alors, l'idée, je pense que Mme la ministre l'a bien résumée, là, l'idée, c'est de faire en sorte que les municipalités se réunissent, en fait que les conseils d'agglomération se réunissent uniquement pour des grandes questions, des grandes décisions, O.K., et que toute la gestion courante se fasse par le conseil ordinaire de la municipalité centrale, tout simplement. Donc, le conseil d'agglomération déléguerait, mais uniquement avec l'accord de la municipalité reconstituée, donc déléguerait en fait toutes les questions de gestion courante au conseil ordinaire de la municipalité centrale, et on réserverait le conseil de l'agglomération... on réunirait le conseil de l'agglomération uniquement pour les grandes questions.
Donc, il y a certaines balises qui sont fixées dans la loi, donc il y a un certain nombre de choses, là, qui de toute évidence ne seraient pas déléguées parce que de toute évidence les municipalités veulent continuer de prendre part à ces décisions-là. Donc, tous les élus veulent continuer de prendre part à ces décisions-là, l'adoption du budget – quand on parle de programme triennal en immobilisations, les règlements de taxation ou les règlements sur le partage des dépenses mixtes – mais les autres balises seraient fixées localement par un règlement du conseil d'agglomération, mais un règlement du conseil d'agglomération qui devrait être approuvé par la municipalité reconstituée. O.K.?
[…]
Mme Normandeau: Il ne faut pas oublier que la dynamique repose... l'adoption du règlement repose sur le consentement. Ça prend un consentement de l'ensemble des municipalités membres de l'agglomération, là, pour se donner un règlement qui permettrait une délégation plus large, là.[55]
[Soulignements ajoutés]
[104] Ainsi, cette nouvelle habilitation législative permet la délégation, par le conseil d’agglomération au conseil ordinaire de la municipalité centrale, des actes qui relèvent de sa compétence, ce qui vise spécifiquement l’exercice des actes mixtes visés à l’article 57 Loi sur l’exercice, dont ceux liés à l’administration générale de la municipalité centrale. Cohérent avec les autres méthodes de délégation prévues dans cette loi et dans la L.c.v., le législateur a une fois de plus prévu qu’une telle délégation ne pourra être faite sans le consentement préalable de toutes les municipalités reconstituées.
* * *
[105] Ainsi, l’interprétation faite par l’intimée de l’article 48 omet de considérer un élément clé de son texte, soit que la délégation d’une compétence d’agglomération permise par cet article ne peut avoir effet sans le consentement des municipalités reconstituées que si elle l’est qu’à l’égard de la municipalité centrale elle-même ou de son propre territoire. En l’espèce, la délégation opérée par les résolutions en litige a effet à l’égard de toutes les municipalités reconstituées sans que toutes y aient consenti.
[106] Bien que l’adoption des résolutions similaires ait possiblement permis d’accroître l’efficacité de la prise de décision de Longueuil relative aux actes mixtes qu’elles mentionnent en écartant les maires des municipalités reconstituées du processus décisionnel, ce gain d’efficacité, obtenu au détriment du droit de regard des représentants des municipalités reconstituées que le législateur a pourtant toujours voulu préserver, ne pouvait à lui seul autoriser Longueuil à adopter une interprétation de moindre qualité de sa loi habilitante – même si une telle interprétation avait été plausible, ce qui m’apparaît n’être clairement pas le cas – simplement parce que cette interprétation lui paraissait possible et très opportune vu le climat politique qui régnait à cette époque[56].
[107] Par conséquent, je conclus que la seule interprétation raisonnable possible des pouvoirs habilitants de Longueuil est que l’adoption de la Résolution du 17 décembre 2007 n’est pas raisonnable, dans le sens de sa justification, de l’intelligibilité du processus décisionnel, non plus qu’à son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit car elle contredit clairement le texte législatif invoqué en l’espèce au soutien des résolutions. Autrement dit, et pour paraphraser les juges majoritaires dans Vavilov, les textes législatifs en cause ici sont formulés en des termes précis et étroits qui restreignent les interprétations raisonnables que l’intimée pouvait en faire et les limitent en l’occurrence à une seule, à laquelle contreviennent la Résolution du 17 décembre 2007 litigieuse.
L’exercice de la discrétion judiciaire
[108] Tel que mentionné plus haut, le juge de première instance considère que, puisque les appelantes ont tardé à déposer leur demande en nullité de la Résolution du 17 décembre 2007 et des résolutions adoptées par le conseil ordinaire de l’intimée en vertu de la délégation opérée par la première, il aurait refusé de les déclarer illégales et de les annuler. Le juge estime que l’illégalité que soulevaient les appelantes n’aurait mené, leur eût-il donné raison sur le fond, qu’à une nullité relative et non absolue.
[109] Dans Immeubles Port Louis, le juge Gonthier écrit[57] :
À mon avis et de façon générale, sauf le cas d'absence totale de compétence, le juge saisi en vertu de l'art.
[Soulignement ajouté]
[110] Plus récemment, la Cour suprême, sous la plume du juge en chef Wagner, écrivait dans Lorraine (Ville de) c. 2646-8926 Québec inc.[58] :
[25] Une demande en nullité présentée à l’encontre d’un règlement municipal pour cause d’abus de pouvoir doit être formée dans un délai raisonnable. En effet, la saisine de la Cour supérieure au moyen d’une demande en nullité repose sur son pouvoir général de contrôle ou de surveillance à l’égard des actes de l’Administration, dont ceux des conseils municipaux (Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25, art. 33 (maintenant Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 34 (« C.p.c. »))). L’exercice de ce pouvoir inhérent étant discrétionnaire, la Cour supérieure peut rejeter le recours entrepris par un justiciable qui a omis de se pourvoir dans un délai raisonnable. Toutefois, cette discrétion ne peut être exercée que dans les cas où le demandeur cherche à faire déclarer la nullité d’un règlement qu’il estime abusif, et non dans ceux où la nullité est demandée pour cause d’absence de compétence ou d’excès de compétence.
[Soulignements ajoutés]
[111] Ainsi, en cas d’absence ou d’excès de compétence, la Cour supérieure n’a pas discrétion afin de refuser de déclarer nulle la disposition attaquée.
[112] Comment doit-on alors concilier le fait que dans Vavilov la Cour suprême écarte le concept même d’absence de compétence, situation auparavant susceptible de mener à l’application de la norme de la décision correcte, et le fait que cette absence totale de compétence constitue l’exception à l’exercice de la discrétion judiciaire dans le cadre de ce même pourvoi en contrôle judiciaire?
[113] À mon avis, il ne fait, d’abord, aucun doute que la Cour suprême dans Vavilov n’a pas modifié les paramètres d’exercice de la discrétion judiciaire du juge saisi d’une demande en révision judiciaire, un des attributs fondamentaux du pouvoir constitutionnel de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure. Il m’apparaît plutôt que l'absence totale de compétence à laquelle le juge Gonthier réfère correspond aux situations lors desquelles l’application de la norme de contrôle (que celle-ci soit la norme dite correcte ou celle de la raisonnabilité) et suivant le principe d’interprétation moderne, une seule interprétation raisonnable du pouvoir habilitant la municipalité à poser l’acte attaqué s’impose, et que cette interprétation mène à la conclusion que la municipalité, en agissant sans pouvoir législatif, ne pouvait poser l’acte en question[59].
[114] L’intimée soutient que tel n’est pas le cas en l’espèce puisque pour qu’il y ait absence totale de compétence au sens de l’arrêt Immeubles Port Louis, il faut que cette incompétence porte sur la matière, sur le territoire ou sur la personne, comme le juge Gonthier l’a établi dans Immeubles Port Louis[60]. Puisqu’en l’espèce, l’objet de la résolution est une délégation et que la loi permet à l’intimée de déléguer certaines de ses compétences, l’illégalité alléguée ne porterait pas sur la matière, ni sur le territoire ni sur la personne.
[115] L’intimée a tort. Le juge Gonthier écrit[61] :
Créature de la loi, une municipalité ne possède que les pouvoirs qui lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement des pouvoirs ainsi délégués. Agir autrement constitue une atteinte à l’existence même du pouvoir puisque l’autorité administrative n’a aucune compétence pour agir comme elle le fait. Cette incompétence peut avoir trait à la matière, le territoire ou la personne. En droit municipal, la plupart des illustrations de cette situation se retrouvent en matière de taxation.
[116] Le juge Gonthier décrit les cas d’espèce, mais ne fait pas là un inventaire exhaustif de toutes les matières dans lesquelles il pourrait y avoir excès de compétence. Mais s’il faut faire correspondre l'illégalité dont est affectée la résolution attaquée à l’un des types d’illégalité mentionnés par le juge Gonthier, il y a ici clairement incompétence quant à la matière : que ce soit en vertu de l’article 48 ou de toute autre disposition légale, l’intimée ne peut pas se déléguer des pouvoirs dont l’exercice dépasse son territoire ou sa propre entité, comme elle a prétendu avoir le droit de le faire ici. C’est là une matière.
[117] Il est clair que, selon le modèle qui était encore en vigueur à l’époque où l’arrêt Immeuble Port Louis a été rendu, l’acte de l’intimée ne constitue pas un abus de pouvoir posé en cours d'exercice d’une compétence qui lui est accordée par la loi, comme le sont les actes qui constituent un abus ou un excès de pouvoir (comme il était allégué dans Catalyst Paper, soit lorsque le conseil municipal, bien que possédant clairement le pouvoir de taxer, poursuivrait une fin qui n’était pas voulue par le législateur), pas plus qu’il ne constitue une illégalité grave qui n’est pas une simple irrégularité ou informalité, illégalité qui atteindrait la procédure dans sa substance ou qui affecte un droit fondamental[62]. En l’espèce, l’intimée a agi en l’absence de pouvoir, sans compétence, c’est-à-dire sans habilitation législative, prétendument en vertu d’une disposition (l’art. 48) qui ne peut raisonnablement avoir le sens que lui prêtait l’intimée. Dès lors, le redressement demandé doit être accordé.
[118] Quel sort doit-on alors réserver à cette résolution et à celles adoptées sous son autorité?
[119] Vu la conclusion selon laquelle l’acte attaqué est affecté d’une nullité absolue, elle sera annulée. Mais même si elle avait été affectée de nullité relative, le résultat aurait dû être le même. Étant donné les particularités et effets de cette résolution, l’analyse faite des motifs justifiant le refus d’intervenir n’aurait pas dû se limiter au seul fait qu’un certain nombre d’années s’étaient écoulées entre les deux.
[120] S’il est vrai que sept ans se sont écoulés avant que la question de la validité de la résolution soit portée devant la Cour supérieure, on ne peut ignorer que cette résolution a ceci de particulier qu’elle forme l’assise sur laquelle le conseil ordinaire de la municipalité centrale s’appuie, et continuera de puiser son pouvoir jusqu’au 31 décembre 2027, de poser des actes sur les matières mentionnées dans son annexe qui, en vertu de la loi, doivent plutôt être posés par le conseil d’agglomération.
[121] On peut certes aisément concevoir que, dû à la tardiveté du recours, la question du préjudice se pose à l’égard des nombreux actes qui ont déjà été accomplis.
[122] Tel n’est pas le cas des actes qui n’ont pas encore été posés et qui, si l’annulation de la résolution n’est pas déclarée, le seront d’ici son échéance.
[123] Je ne peux perdre de vue la raison d’être de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour supérieure en cette matière. Or, comme le soulignait le juge Gonthier dans Immeubles Port Louis, l’importance de l’atteinte à un droit peut dans certaines circonstances l’emporter sur le délai[63]. Le délai et ses causes sont certes des éléments importants que le juge doit prendre en considération lors de son l'analyse, mais son analyse ne doit pas s’arrêter là lorsque d’autres éléments lui sont présentés. Le juge doit alors aussi « tenir compte de la nature de l'acte attaqué, de la nature de l'illégalité commise et ses conséquences »[64].
[124] En l’espèce, la résolution a comme effet de retirer à un organe municipal délibérant le pouvoir de poser des actes et de l’attribuer à un autre organe délibérant sur lequel siègent des membres qui ne seront jamais appelés à rendre compte de leur décision à la population des municipalités reconstituées qui sont en grande partie visées par ces actes, sans que les élus de ces dernières aient donné leur accord et en contravention à l’intention du législateur. À cela s’ajoute le fait que les effets de la demande en nullité se voulaient avant tout prospectifs, c’est-à-dire que la nullité se limiterait à un certain nombre de résolutions et aurait surtout effet à l’égard du futur.
[125] Le juge écrit :
[117] Dans les circonstances propres à la présente affaire, après avoir analysé le délai pendant lequel Brossard et Saint-Bruno n’ont pas agi, l’importance des conséquences qui découlerait de la nullité de la résolution P-1 plus de dix ans après son adoption, le principe de la stabilité des lois et règlements et tout en conservant à l’esprit que Brossard et Saint-Bruno n’offrent aucune justification pour un tel délai d’inaction, le Tribunal, exerçant sa discrétion, refuser d’accorder le redressement recherché.
[126] Le juge a raison lorsqu’il conclut qu’aucune justification acceptable n’a été donnée à l’égard du délai de sept ans, et a raison lorsqu’il décrit les effets négatifs potentiels susceptibles de découler de l’annulation des résolutions adoptées par le conseil ordinaire de Longueuil à la suite de l’adoption de la Résolution du 17 décembre 2007. Toutefois, il ne traite pas du fait que nul ne subirait de conséquences négatives advenant l’annulation de cette résolution, ni ne traite des conséquences contraires sur les municipalités reconstituées advenant que celle-ci demeure en vigueur jusqu’à son échéance.
[127] Par ailleurs, je ne peux ignorer la façon dont ce dossier s’est présenté en première instance, ce qui permet de le distinguer des autres : ce ne sont pas les appelantes qui ont porté la question de la validité de la Résolution du 17 décembre 2007 auprès la Cour supérieure, mais bien l’intimée.
[128] Dans le cadre d’une procédure judiciaire qui, bien que titrée Requête en jugement déclaratoire, a toutes les caractéristiques d’un pourvoi en contrôle judiciaire, si ce n’est l’absence de la conclusion en nullité, l’intimée demandait à la Cour supérieure de déclarer que la délégation au conseil ordinaire de l'exercice de la compétence d'agglomération concernant les ressources humaines, financières et matérielles mixtes, comme prévu dans la résolution en litige, était valide puisqu’ayant été adoptée conformément aux pouvoirs conférés par l'article 48 de la Loi sur l’exercice[65].
[129] Non seulement cette procédure faisait-elle état de la position de Longueuil quant à son interprétation de ses pouvoirs habilitants, elle exposait l’historique des relations des parties et aux débats politiques, référait à l’adoption de l’Entente de décembre 2005, aux discussions qui ont entouré la rédaction du document Un champ de compétences, une fiscalité et une gouvernance simplifiés pour l’agglomération de Longueuil – Concept d’aménagement, aux autres considérations pertinentes à l’étude de la légalité de la résolution et à la contestation devant la Commission municipale du Québec du Règlement sur le partage des dépenses mixtes et du refus de celle-ci de se prononcer sur la légalité de la résolution et sur l’opportunité des choix effectués par le conseil d’agglomération.
[130] En réponse à cette procédure, les appelantes ont pris la balle au bond, ont contesté la demande de l’intimée et ont demandé son rejet et de déclarer, au contraire de ce que l’intimée demandait, que la Résolution du 17 décembre 2007 visée par la demande introductive d’instance soit déclarée illégale, ajoutant une conclusion en nullité de cette résolution ainsi que des 129 autres adoptées sous l’autorité de la première.
[131] Ainsi, par sa demande en jugement déclaratoire qui visait à faire contrôler la légalité de la Résolution du 17 décembre 2007, Longueuil, tout comme les appelantes dans leur demande reconventionnelle, faisait appel au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure codifié à l’article
[132] Ainsi, la prise en compte ces facteurs, dont l’effet prospectif d’une conclusion en annulation, aurait dû mener, si la nullité de la Résolution du 17 décembre 2007 n’avait été que relative, à l’exercice de la discrétion judiciaire en faveur de l’annulation de la Résolution du 17 décembre 2007 à compter de la date de l’arrêt, mais possiblement pas à l’égard des résolutions adoptées sous son autorité, vu l’absence d’explication raisonnable du délai.
[133] Puisque la nullité dont est atteinte la Résolution CA071217-1.7 du 17 décembre 2007 est absolue, je propose qu’elle soit annulée.
Le sort des 43 résolutions adoptées en vertu de la délégation opérée par la Résolution du 17 décembre 2007
[134] Il en ira toutefois autrement des 43 résolutions adoptées en vertu de la délégation décrétée par cette résolution, non pas pour la réserve exprimée par les appelantes découlant du principe de « validité de facto », mais parce que toutes ont des effets immédiats sur des tiers qui n’ont pas été dûment appelés comme parties au litige.
[135] L’article
17. Le tribunal ne peut se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment appelée. | 17. The court cannot rule on an application, or take a measure on its own initiative, which affects the rights of a party unless the party has been heard or duly called. |
Dans toute affaire contentieuse, les tribunaux doivent, même d’office, respecter le principe de la contradiction et veiller à le faire observer jusqu’à jugement et pendant l’exécution. Ils ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les parties n’ont pas été à même de débattre. | In any contentious matter, the court, even on its own initiative, must uphold the adversarial principle and see that it is adhered to until the judgment and during execution of the judgment. It cannot base its decision on grounds the parties have not had the opportunity to debate. |
[136] Lorsqu’un acte implique des tiers et qu’une partie demande sa nullité, les tiers doivent être mis en cause pour qu’un tribunal puisse le déclarer nul[68]. La Cour suprême l’explique dans l’arrêt de principe Corporation de la Paroisse de St. Gervais v. Goulet :
Dans tous les cas, avant de prononcer la nullité d’un contrat, toutes les parties contractantes doivent être appelées devant le tribunal. Et ce principe s’impose tout autant à la juridiction d’appel que devant le tribunal de première instance.[69]
[137] Ne pas mettre en cause toutes les parties intéressées constitue « un vice de procédure fondamental » et un défaut fatal[70] :
[197] Dans Robillard c. Qué. (Commission hydro-électrique), la Cour suprême, sous la plume du juge Rinfret, écrit que :
Il ne peut être adjugé sur une demande judiciaire sans que la partie contre laquelle elle est formée ait été entendue ou dûment appelée (C.P.C. 82). C'est là un principe fondamental basé sur l'équité naturelle et dont l'inobservance détruit la juridiction du tribunal et entraîne la nullité de toutes les procédures subséquentes, y compris le jugement. Ce principe a été établi chaque fois qu'il a été soulevé et a été appliqué par les tribunaux d'une façon constante.
Le juge Fauteux renchérit là-dessus en rappelant le caractère d'ordre public de ce principe. Je me permettrai d'ajouter que ce caractère d'ordre public transcende les intérêts des seules personnes potentiellement en cause : c'est l'un des pivots de l'ordre judiciaire qui est le nôtre. La nullité qui résulte d'une contravention à la règle est donc absolue et vise non seulement à protéger les personnes qui pourraient autrement être condamnées dans un procès auquel elles n'ont pas été appelées, mais la nature et l'intégrité mêmes de notre processus judiciaire.[71]
[Renvois omis]
[138] Ainsi, je propose le rejet de la demande d’annulation des 43 résolutions en question.
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STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
[1] Ville de Longueuil c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville,
[2] Loi sur l'exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations, RLRQ, c. E‑20.001 [Loi sur l’exercice].
[3] Décret 1214-2005 concernant l’agglomération de Longueuil, (2005) 137 G.O.Q. II, 6905A [Décret].
[6] Pièce P-11, Nouveau règlement sur le partage des dépenses mixtes numéro CA-2014-218, 11 décembre 2014.
[7] Témoignage de la directrice des finances et trésorière de Longueuil Sylvie Toupin au sujet du Tableau illustrant le partage des dépenses mixtes 2015 entre les villes liées préparé par la direction des finances de l’intimée.
[8] Pièce P-3, Entente intermunicipale et résolution CA-051221-1.6, 21 décembre 2005, en liasse.
[9] Pièce P-25, copie signée de « l'Entente intermunicipale sur la délégation de compétences concernant l'entretien du réseau de voirie artérielle, l'entretien des réseaux municipaux d'aqueduc et d'égout, la gestion des équipements, infrastructures et activités d'intérêt collectif et la fourniture des services mixtes », résolutions CA-051221.1-6 et CO-051220.1-20, sommaire exécutif SE-2005-1802 et lettres de l’assistante-greffière de la Ville de Longueuil en date du 9 janvier 2006 adressées aux Villes de Saint-Bruno-de-Montarville, Saint-Lambert, Brossard et Boucherville.
[10] Pièce P-14, Document intitulé « Un champ de compétences, une fiscalité et une gouvernance simplifiés pour l'agglomération de Longueuil - Concept et engagements » et la résolution CA-061221-1.24 du conseil d'agglomération de la demanderesse adoptée à la double majorité. Étant donné les difficultés qui résultaient des conflits récurrents entre les représentants de certaines des municipalités liées, le législateur a adopté au cours de l’année 2006 l’article 13 du Décret 1214-2005 qui prévoyait, lorsque le vote à la double majorité initialement prévu dans le Décret d’agglomération ne permettait pas l’adoption d’une mesure, la possibilité de tenir un deuxième vote qui requerrait une majorité plus facilement atteignable, soit la majorité des deux tiers des membres du conseil d’agglomération. Le document a ici été adopté lors de ce deuxième vote.
[11] Pièce P-1, Résolution numéro CA-071217-1.7 du conseil d'agglomération de Longueuil adoptée le 17 décembre 2007.
[12] Pièce P-2, Résolution similaire adoptée par le conseil ordinaire de Longueuil.
[13] Art. 2 de la Résolution du 17 décembre 2007.
[14] Pièce P-5, Opposition des défenderesses Saint-Bruno-de-Montarville et Saint-Lambert, en liasse. L’article 115 de la Loi sur l’exercice prévoit que, lorsqu’une municipalité considère qu’un des règlements que la loi identifie est inéquitable, elle peut demander à la Commission municipale du Québec de refuser de l’approuver si celle-ci le juge inéquitable, mais non de constater son illégalité ou sa nullité, ce pouvoir relevant de la Cour supérieure. La Loi sur l’exercice n’accorde pas à la Commission municipale le pouvoir de refuser d’approuver les résolutions similaires adoptées en vertu de l’article 48.
[15] Pièce P-6, Décision de la Commission municipale CM-62730 rendue le 17 mars 2008.
[16] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[18] Id., paragr. 84.
[19]
[21] Id., paragr. 101.
[23] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 126.
[24] Id., paragr. 121.
[25] Id., paragr. 137.
[26] Pièces DR-1 à DR-129.
[27]
[29] Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville),
[31] Cela est vrai même lorsque le recours prend sa source aux articles
[32] Vavilov, supra, note 16, paragr. 17 et 69; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association,
[33] Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, supra, note 32, paragr. 28.
[34] Ville de Québec et al. c. Vidéotron Ltée et al.,
[38] Restaurants Canada c. Ville de Montréal,
[39] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[40]
[41] Ce rôle pourra être différent dépendamment des décisions à l’encontre desquelles le pourvoi est dirigé. Voir, à titre d’exemple d’une variation du rôle de la Cour : Ville de Québec et al. c. Vidéotron Ltée et al., supra, note 34, paragr. 53 et s.
[43] Id., p. 513.
[44] Id., p. 516.
[45] Id., p. 522.
[46] Id., p. 524.
[47] Interrogatoire du 14 mai 2015 de M. Guy Benedetti, M.A., vol. 5, p. 1691.
[49] Id., p. 525.
[50] Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale, L.Q. 2007, c. 10, art. 19. Cet article insère les articles 118.7 à 118.10 et 118.13 à la Loi sur l’exercice et modifie pour l’agglomération de Longueuil les articles 19, 22 à 24.1, 25 à 28 et 32 à 36.
[51] Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale, L.Q. 2007, c. 33, art. 9.
[53] Québec, Ministère des Affaires municipales et des Régions, Notes explicatives sur le projet de loi 75, 2004 [non publié].
[54] Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale, L.Q. 2007, c. 33, entrée en vigueur le 13 décembre 2007.
[55] Assemblée nationale, Commission permanente de l’aménagement du territoire, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, nº 22, 29 novembre 2007, p. 26‑27.
[58]
[59] La Cour suprême réfère à une telle situation dans Vavilov, supra, note 16, paragr. 68 et 110. Pour des applications pré-Vavilov, et donc partielles, de telles situations, voir : St-Placide (Municipalité de) c. Régie intermunicipale Argenteuil Deux-Montagnes,
[61] Ibid.
[63] Immeubles Port Louis, supra, note 19, p. 372. Voir au même effet : Corporation municipale de la Cité de Sept-Îles c. Rioux,
[65] Demande introductive d'instance en jugement déclaratoire réamendée, 16 octobre 2015.
[66] Grégoire c. Coopérative d’habitation de la rue Bélair, 2019 QCCA 1245; Indigo Parc Canada inc. c. Commission scolaire des Découvreurs, 2017 QCCS 1852 (Gagné, j.c.a.).
[67] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 17.
[68] Corporation de la Paroisse de St. Gervais v. Goulet, [1931] S.C.R. 437, p. 440 et 441; Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal v. Quebec Labour Relations Board,
[70] Québec (Régie des marchés agricoles) c. Québec (Fédération des producteurs de porcs), J.E. 97‑1356, 1997 CanLII 10706 (C.A.) (Beauregard, Mailhot, Chamberland jj.c.a., motifs du j. Chamberland), cité dans Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Les Produits de l'érable Les Bois Francs inc.,
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