Décision

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R. c. Rioux

2024 QCCA 657

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-700013-228

(460-01-037611-203)

 

DATE :

21 mai 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

APPELANT – poursuivant

c.

 

FRÉDÉRIC RIOUX

INTIMÉ – accusé

 

 

ARRÊT

 

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4 C.cr. a été rendue en première instance, interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la plaignante.

[1]                Le ministère public porte en appel le jugement du 12 janvier 2022 du juge Benoit Gagnon de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Bedford, prononçant l’acquittement de l’intimé à une infraction d’agression sexuelle.

[2]                Pour les motifs du juge Bachand, auxquels souscrit le juge Hamilton, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE l’appel;

[4]                ORDONNE un nouveau procès;

[5]                LIMITE la portée de ce nouveau procès à la responsabilité criminelle de l’intimé quant aux événements survenus à Magog durant la soirée du 1er août 2019;

[6]                Pour sa part, le juge Mainville rejetterait l’appel pour les motifs qu’il exprime.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

Me Maxime Hebrard

directeur des poursuites criminelles et pénales

Pour l’appelant

 

Me Sophie Beauvais

hamelin picard beauvais, avocats

Me Benoit Demchuck

corbeil demchuck roy, avocats

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

28 novembre 2023


 

 

MOTIFS DU JUGE BACHAND

 

 

[7]                Avec beaucoup dégards pour lopinion contraire, j’estime que le juge de première instance a commis des erreurs de droit en analysant la question de la capacité de la plaignante à consentir aux actes sexuels survenus à Magog. Je suis également d’avis que ces erreurs ne sont pas sans conséquence et qu’un nouveau procès — limité toutefois aux événements de Magog — doit être ordonné.

* * *

[8]                Des paragraphes pertinents du jugement entrepris [1], deux éléments retiennent tout particulièrement mon attention. D’abord, le juge semble avoir considéré que le témoignage de l’intimé constituait une preuve directe de la capacité de la plaignante à consentir aux actes sexuels survenus à Magog et du fait que cette dernière avait effectivement consenti à ces actes. Ensuite — et surtout —, le juge a estimé que le témoignage de la plaignante ne lui était d’aucune utilité dans l’analyse de son état d’esprit au moment où les actes sont survenus, car elle n’en avait aucun souvenir. Ces éléments ressortent des extraits suivants du jugement entrepris :

[60]  S’il est vrai que la plaignante n’avait pas l’intention d’avoir des rapports sexuels avec l’accusé avant de se rendre au pique-nique, et que clairement le lendemain matin, sachant qu’elle avait eu des rapports sexuels avec l’accusé, elle déplorait ce fait, la question à laquelle doit répondre le Tribunal doit être ramenée dans un espace-temps concomitant avec chacun des actes sexuels. […]

[61]  La problématique majeure dans la situation qui nous occupe est que la plaignante ne savait pas quelle a eu des relations sexuelles avec laccusé au parc de la Pointe-Merry à Magog. Elle explique avoir un blackout, une amnésie, sauf pour quelques « flashs ».

[62]  Le Tribunal na que la version de laccusé, décrivant la plaignante comme une femme enjouée avec qui il a eu une soirée au départ amicale, mais qui sest transformée en une soirée romantique culminant par divers rapports sexuels.

[…]

[76]  Le Tribunal est ici privé du témoignage de la personne clef pour établir ce qui se passe dans lesprit de la plaignante, soit celui de la plaignante elle-même.

[77]  La Cour supérieure de lOntario, dans la décision R. v. J.R. arrive à cette conclusion :

« Absent expert evidence, a loss of memory or a blackout is direct evidence of nothing except the fact that the witness cannot testify as to what happened during a particular period. (…) Thus, the only significance of memory loss, without more, is that the complainant cannot give direct evidence as to whether or not she consented to the sexual contact or whether or not she had the capacity to do so. »[*]

[78]  Le témoignage de laccusé est le seul qui demeure offert au Tribunal quant à létat de la plaignante au moment de cet acte sexuel. Bien que la plaignante rapporte navoir aucun souvenir de ces moments, laccusé lui, décrit une personne tout à fait consentante et apte à consentir aux relations sexuelles.

[…]

[82]  Le Tribunal nest pas, comme dans larrêt Kishayinew, dans une situation où, en labsence de preuve directe, il se retrouve dans un cadre de preuve circonstancielle qui n’amène qu’à une seule conclusion logique, soit que la plaignante ne consentait pas ou ne pouvait, légalement, consentir.

[83]  Ici, la preuve émanant de laccusé est probante sur le consentement de la plaignante. Cette preuve nest pas contredite par la plaignante, nayant aucun souvenir de la situation.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[9]                Il convient de préciser que le juge n’a pas uniquement tenu compte du témoignage de l’intimé pour conclure que l’actus reus n’avait pas été prouvé hors de tout doute raisonnable relativement aux actes sexuels survenus à Magog. Il a également pris en considération deux éléments circonstanciels, soit le témoignage de la mère de la plaignante quant à l’appel téléphonique qu’elle a reçu durant la soirée et le fait que la plaignante avait également passé un coup de fil à son père :

[79]  Le témoignage de la mère de la plaignante est certes pertinent à lanalyse, mais il napporte que peu dinformations sur ce qui se passe dans lesprit de la plaignante. Tout au plus le témoignage de la mère de la plaignante nous apprend quà un moment probablement connexe à la relation sexuelle sur la table de pique-nique, sa fille avait une voix « soufflée » et hors norme que la mère a mise sur le fait que sa fille avait consommé trop dalcool.

[80]  Quant au fait que la mère rapporte quil était inhabituel pour elle de recevoir des appels téléphoniques de sa fille, laccusé avance une explication qui semble plausible : ils venaient tous deux davoir une conversation sur la perte, par laccusé, de ses parents et du fait que la plaignante était chanceuse que les siens soient encore en vie.

[81]  Le fait que la plaignante mentionne avoir téléphoné à son père, dans la même période, sans pouvoir sen rappeler de façon claire est également pertinent et rend la version de laccusé crédible.

[Soulignements ajoutés]

* * *

[10]           Dans la mesure où j’ai raison de croire que le juge a considéré que le témoignage de l’intimé constituait une preuve directe de l’état d’esprit de la plaignante au moment où les actes sexuels sont survenus — je reconnais que le jugement entrepris peut prêter à interprétation sur ce point —, j’estime qu’il a commis une erreur de droit.

[11]           En effet, en raison de l’approche exclusivement subjective qui doit prévaloir lors de l’analyse du consentement à un geste à caractère sexuel[2], le témoignage d’une plaignante est le seul élément pouvant constituer une preuve directe de son état d’esprit au moment où a été commise l’agression sexuelle reprochée à l’accusé. Voici ce que la Cour suprême enseigne à ce sujet dans l’arrêt Ewanchuk[3] :

[29]  Bien que le témoignage de la plaignante soit la seule preuve directe de son état desprit, le juge du procès ou le jury doit néanmoins apprécier sa crédibilité à la lumière de lensemble de la preuve. Il est loisible à laccusé de prétendre que les paroles et les actes de la plaignante, avant et pendant lincident, soulèvent un doute raisonnable quant à laffirmation de cette dernière selon laquelle, dans son esprit, elle ne voulait pas que les attouchements sexuels aient lieu. Si, toutefois, comme cest le cas en lespèce, le juge du procès croit la plaignante lorsquelle dit quelle na pas subjectivement consenti, le ministère public sest acquitté de lobligation quil avait de prouver labsence de consentement.

[30]  La déclaration de la plaignante selon laquelle elle na pas consenti est une question de crédibilité, qui doit être appréciée à la lumière de lensemble de la preuve, y compris de tout comportement ambigu. À cette étape, il sagit purement dune question de crédibilité, qui consiste à se demander si, dans son ensemble, le comportement de la plaignante est compatible avec sa prétention selon laquelle elle na pas consenti. La perception quavait laccusé de létat desprit de la plaignante nest pas pertinente. Cette perception nentre en jeu que dans le cas où la défense de croyance sincère mais erronée au consentement est invoquée à létape de la mens rea de lenquête.

[Soulignements ajoutés]

[12]           Comme l’indique cet extrait, un accusé peut témoigner relativement à des faits circonstanciels susceptibles de soulever un doute raisonnable quant au témoignage d’une plaignante qui nie avoir consenti à l’acte sexuel litigieux. Le témoignage de l’accusé est également recevable lorsque, comme en l’espèce, la plaignante n’est pas en mesure de témoigner directement sur son état d’esprit au moment où est survenu cet acte. Toutefois, là aussi, ce témoignage ne constituera qu’un élément de preuve circonstancielle parmi d’autres — et non une preuve directe — de l’état d’esprit de la plaignante.

* * *

[13]           Le juge a commis une erreur beaucoup plus significative en considérant que le témoignage de la plaignante n’était d’aucune utilité dans l’analyse de son état d’esprit lors des actes sexuels survenus à Magog.

[14]           Comme l’indiquent les paragraphes [76] à [78] du jugement entrepris[4], le juge s’est appuyé à cet égard sur un extrait du jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire J.R.[5]. Or, cet extrait ne soutient pas la conclusion à laquelle il est arrivé, car, loin d’affirmer que le témoignage d’une plaignante n’ayant pas de souvenir des actes sexuels litigieux n’est d’aucune utilité dans l’analyse de son état esprit au moment pertinent, le juge ontarien souligne uniquement que la preuve d’une situation d’amnésie temporaire — communément appelée black-out — fait en sorte qu’un tel témoignage ne saurait constituer une preuve directe d’incapacité ou d’absence de consentement. Le juge ontarien précise d’ailleurs, deux paragraphes plus loin, qu’une preuve de black-out peut constituer une preuve circonstancielle d’incapacité de la plaignante[6]. De plus — et surtout —, dans les paragraphes suivants, il conclut au caractère non consensuel de la relation sexuelle litigieuse en s’appuyant principalement sur le témoignage d’une plaignante qui n’en avait aucun souvenir, mais qui avait néanmoins relaté de manière probante une série de faits circonstanciels qui, selon le juge, permettaient d’inférer qu’elle n’avait pu y consentir[7].

[15]           L’utilité potentielle du témoignage d’une plaignante incapable de se souvenir de l’acte sexuel litigieux est confirmée par la jurisprudence de la Cour suprême[8].

[16]           Par exemple, dans l’affaire James, la plaignante n’avait pu témoigner relativement à la relation sexuelle litigieuse en raison d’une amnésie temporaire causée par une consommation excessive d’alcool et de cocaïne, et le juge du procès avait conclu que le ministère public ne s’était pas déchargé de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère non consensuel de cette relation. À l’instar des juges d’appel majoritaires, la Cour suprême s’est dite d’avis qu’il y avait lieu d’ordonner un nouveau procès. Elle a conclu en ce sens après avoir constaté que le juge avait notamment erré en omettant de tenir compte du témoignage de la plaignante relativement à certains éléments circonstanciels, dont le fait qu’elle avait préalablement indiqué à l’accusé son refus d’avoir des rapports sexuels avec lui[9] :

[2]  Lorsqu’il a examiné la question cruciale du consentement, le juge du procès a conclu que la plaignante souffrait d’une sorte d’amnésie au moment où, prétend l’appelant, [traduction] « elle avait consenti à avoir des rapports sexuels avec lui » […].

[3]  En toute déférence, l’appelant n’a fourni aucune preuve du consentement. C’est uniquement dans sa déclaration à la police qu’il a prétendu que la plaignante avait consenti. Mais cette déclaration n’a pas été admise en preuve et elle ne faisait aucunement partie du dossier. […]

[4]  À notre avis, le fait que le juge du procès se soit appuyé sur une preuve qui ne faisait pas partie du dossier a peut-être influencé son raisonnement sur la question du consentement, tout particulièrement lorsqu’il s’est demandé si la plaignante avait peut-être consenti aux rapports sexuels mais avait oublié l’avoir fait à cause d’un trou de mémoire, ou si, comme la plaignante l’a prétendu, elle était inconsciente durant toute la période pertinente et n’avait jamais consenti à de tels rapports.

[5]  Outre cette erreur, lorsqu’il a examiné la question du consentement, le juge du procès a omis de tenir compte des diverses occasions où la plaignante avait indiqué à l’appelant, tout au long de la soirée, qu’elle ne voulait pas avoir de rapports sexuels avec lui. Le témoignage de la plaignante à ce sujet a été confirmé en partie par un témoin indépendant que le juge du procès avait trouvé crédible. De même, le juge du procès n’a pas tenu compte du désarroi dans lequel se trouvait la plaignante peu après le fait, lorsqu’elle a signalé l’agression sexuelle alléguée à la police.

[Soulignements ajoutés]

[17]           L’arrêt Kishayinew[10] confirme lui aussi l’utilité potentielle du témoignage d’une plaignante incapable de se souvenir de l’acte sexuel litigieux. Là encore, la plaignante n’avait gardé aucun souvenir de la relation sexuelle litigieuse en raison d’une amnésie temporaire causée par son intoxication. Toutefois, elle avait relaté de manière convaincante une série de faits circonstanciels à partir desquels le juge du procès, s’appuyant notamment sur les enseignements de J.R., avait inféré le caractère non consensuel de la relation. La Cour suprême a confirmé le bien-fondé de cette analyse dans un court arrêt dont l’essentiel se trouve au paragraphe suivant[11] :

La Cour est davis à la majorité que, considérés dans leur contexte, les motifs du juge du procès indiquent clairement quil était convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la plaignante navait pas subjectivement consenti à quelque activité sexuelle que ce soit avec M. Kishayinew. Sur ce point, nous souscrivons aux motifs exposés par le juge Tholl, en dissidence, aux par. 52 à 78 de sa décision. Le juge du procès a à juste titre reconnu quen raison des trous de mémoire de la plaignante, la seule preuve qui existait quant à la question du consentement subjectif était la preuve circonstancielle suivante — la plaignante pleurait et était désorientée, elle ne voulait pas suivre M. Kishayinew, elle navait pas consenti à ses tentatives de lembrasser ou de la toucher, elle avait tenté de quitter la maison à plusieurs reprises, et, après son trou de mémoire, elle sétait sentie effrayée et [traduction] « bizarre dans le bas-ventre » et voulait séchapper. À notre avis, ainsi quil ressort des par. 94, 96 et 97 des motifs du juge du procès (2017 SKQB 177 (CanLII)), une seule inférence peut raisonnablement être tirée de cette preuve : la plaignante na consenti à aucun attouchement par M. Kishayinew. Cette conclusion est suffisante pour appuyer la déclaration de culpabilité pour agression sexuelle.

[Soulignements ajoutés]

[18]           L’utilité potentielle du témoignage d’une plaignante incapable de se souvenir de l’acte sexuel litigieux est également soulignée par la doctrine. Par exemple, dans leur ouvrage de référence sur l’agression sexuelle en droit canadien, les auteures Desrosiers et Beausoleil-Allard abordent cette question en insistant tout particulièrement sur la pertinence du témoignage de la plaignante relativement au fait qu’elle n’aurait pas consenti à l’acte sexuel litigieux si elle avait été dans un état normal[12] :

Quen est-il maintenant de la plaignante dont la conscience est altérée (black-out)? […] Le scénario classique est celui dune consommation excessive, à la suite de laquelle la plaignante perd contact avec la réalité et se réveille quelques heures plus tard dévêtue, en compagnie de celui quelle considère son agresseur. Dans l’esprit de la plaignante, elle n’a pas consenti, puisqu’un tel consentement était impossible dans les circonstances : elle aurait eu une relation sexuelle avec plusieurs personnes, laccusé est son cousin, ou un parfait inconnu, un voisin, un ami, un chauffeur de taxi, un homme à qui elle avait indiqué ne pas vouloir de relation sexuelle ou un ancien amant quelle craint parce quil la harcèle et la menace. L’accusé, de son côté, affirme que la plaignante était une participante volontaire et enthousiaste.

Face à un tel scénario, différents pièges sont à éviter. Tout dabord, il convient de bien identifier la question juridique en litige : il ne s’agit pas de statuer sur le consentement de la plaignante, mais bien sur sa capacité à consentir. Il est donc pernicieux de douter de la crédibilité de la plaignante sous prétexte quelle na aucun souvenir de ce qui sest passé, puisque cette absence de souvenir tend précisément à établir un black-out et partant, une incapacité. De même, les raisons pour lesquelles la plaignante, en temps normal, n’aurait pas consenti, doivent être considérées. En effet, même si le rationnel avancé par la plaignante ne permet pas de statuer sur le consentement qu’elle a pu donner au moment des faits, alors qu’elle était très intoxiquée, il permet certainement de juger de son degré d’intoxication et partant, de sa capacité. […]

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original; renvois omis]

[19]           Dans la présente affaire, la plaignante a livré un témoignage que le juge a qualifié de fiable et crédible[13] et elle a relaté une série de faits circonstanciels, dont ceux-ci :

  • elle ne souhaitait pas avoir de relation sexuelle avec l’intimé durant la soirée du 1er août 2019;
  • elle s’est retrouvée dans un état d’amnésie quasi totale en début de soirée, peu de temps après avoir consommé une boisson à base de gin préparée par l’intimé;
  • elle a gardé quelques souvenirs épisodiques et ponctuels du déroulement du reste de la soirée à Magog et, durant ces moments, elle ne se sentait pas du tout dans son état normal, notamment parce qu’elle était « molle comme une guenille »;
  • elle a vomi tout juste avant de quitter Magog;
  • elle n’a aucun souvenir du trajet en voiture de Magog vers la résidence de l’intimé à Bonsecours, où elle a passé la nuit du 1er au 2 août 2019;
  • son état d’amnésie a perduré durant la nuit, mais elle se souvient vaguement d’un moment où, alors qu’elle était partiellement nue — et toujours « molle comme une guenille —, elle a mis ses bras autour du cou de l’intimé;
  • au moment où elle a retrouvé son état normal — à son réveil, vers 5 h 30 —, elle était paniquée, car elle venait de réaliser qu’elle avait eu des rapports sexuels avec l’intimé, sans toutefois en avoir le moindre souvenir;
  • si elle a décidé d’enregistrer sa conversation avec l’intimé lorsque ce dernier l’a reconduite chez elle peu de temps après, c’est parce qu’elle était convaincue d’avoir été droguée contre son gré;
  • c’est également pour cette raison qu’elle a décidé de se rendre à l’hôpital le jour même pour vérifier si son corps contenait des traces de GHB.

[20]           Étant d’avis que le témoignage de la plaignante ne lui était d’aucune utilité en raison de son incapacité à se souvenir des actes sexuels litigieux, le juge n’a tenu compte d’aucun de ces faits circonstanciels dans son analyse du caractère consensuel des actes sexuels survenus à Magog. Ils sont pourtant d’une pertinence indéniable, car plusieurs d’entre eux tendent à contredire le récit de l’intimé, qui a i) « décri[t] la plaignante comme une femme enjouée avec qui il a eu une soirée au départ amicale, mais qui s’est transformée en une soirée romantique culminant par divers rapports sexuels »[14], ii) affirmé qu’elle était tout au plus « pompette » durant la soirée du 1er août 2019 et la nuit suivante[15], et iii) nié qu’elle ait été — à quelque moment que ce soit dans un état la rendant inapte à consentir[16].

[21]           Ainsi, en ne tenant pas compte du témoignage de la plaignante à titre d’élément de preuve circonstancielle, le juge a commis une erreur de droit de même nature que celle relevée par la Cour suprême dans l’affaire James[17].

* * *

[22]           Bien que l’analyse qui précède suffise pour constater que la conclusion du juge quant au caractère consensuel des actes sexuels survenus à Magog est entachée d’une erreur révisable, je me permets d’ajouter que le juge a également omis de tenir compte d’autres éléments circonstanciels pertinents.

[23]           Par exemple, il n’a pas pris en considération son propre constat selon lequel la plaignante était inapte à consentir au moment de la relation sexuelle survenue quelques heures plus tard, à Bonsecours. Voici les passages clés de la section de son jugement entrepris traitant du caractère consensuel de cette relation :

[86]  À cet égard, la plaignante a un souvenir franc, quoique bref, de ce qu’elle ressent alors qu’elle a une relation sexuelle avec l’accusé: elle est « molle comme une guenille », fatiguée, et elle n’a aucun jugement sur la situation, ni aucun contrôle sur son corps.

[87]  Il est acquis que le consentement nécessite l’accord volontaire de la plaignante à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise. La description que fait la plaignante de sa situation interne lorsqu’elle se retrouve les bras autour du cou de l’accusé démontre clairement qu’elle n’est plus en mesure de décider volontairement si elle veut continuer ou refuser de participer à l’activité sexuelle.

[]

[89]  Il apparait clair au Tribunal, que la preuve a été faite hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’avait pas la capacité de savoir qu’elle pouvait refuser de participer à la relation sexuelle à ce moment. Ce faisant, il ne peut y avoir de consentement.

Je suis d’accord avec le ministère public que l’état d’incapacité de la plaignante au moment de la relation sexuelle survenue à Bonsecours est un fait circonstanciel qui était indéniablement pertinent quant à l’état dans lequel elle se trouvait quelques heures plus tôt. Le juge se devait donc de le prendre en considération en analysant le caractère consensuel des actes sexuels survenus à Magog.

[24]           Autre exemple : sur l’enregistrement audio réalisé par la plaignante, l’intimé approuve — même si ce n’est qu’indirectement — l’affirmation de cette dernière selon laquelle elle n’était « plus là » la veille. Comme le ministère public le souligne à juste titre, cette déclaration extrajudiciaire de l’intimé tend à contredire son propre témoignage et à démontrer que la plaignante n’était pas apte à consentir aux actes sexuels survenus à Magog. Il s’agit d’un autre élément circonstanciel dont le juge devait tenir compte en analysant le caractère consensuel de ces actes.

* * *

[25]           J’estime, par ailleurs, que les erreurs de droit que le juge a commises en analysant la question du caractère consensuel des actes sexuels survenus à Magog nécessitent la tenue d’un nouveau procès.

[26]           Dans l’arrêt Cowan, la Cour suprême a rappelé le fardeau incombant au ministère public lorsqu’il prétend qu’une erreur de droit commise en première instance justifie la tenue d’un nouveau procès[18] :

Les verdicts d’acquittement ne sont pas annulés à la légère (R. c. Sutton, 2000 CSC 50, [2000] 2 R.C.S. 595, par. 2). Pour faire annuler un verdict d’acquittement en raison d’une erreur de droit, il incombe à la Couronne de convaincre la cour d’appel, avec un degré raisonnable de certitude, que l’erreur de droit en cause pourrait avoir eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement (Graveline, par. 14). Cela ne signifie pas que la Couronne est tenue de persuader la cour que le verdict aurait nécessairement été différent n’eût été l’erreur (ibid.). La Couronne doit plutôt démontrer qu’il se peut fort bien que l’erreur ait eu une incidence sur le verdict (R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374).

[Soulignements ajoutés]

[27]           Il s’agit donc de s’interroger sur le jugement qui aurait été rendu si le juge avait compris que le témoignage de l’intimé constituait tout au plus un élément de preuve circonstancielle et, surtout, tenu compte des faits circonstanciels mis en preuve par l’entremise du témoignage de la plaignante ainsi que des autres éléments circonstanciels au dossier, dont l’état d’incapacité de la plaignante au moment de la relation sexuelle survenue à Bonsecours et la déclaration extrajudiciaire de l’intimé approuvant l’affirmation de cette dernière selon laquelle elle n’était « plus là » au moment où sont survenus les actes sexuels litigieux.

[28]           Je n’ai aucune difficulté à constater qu’il se peut fort bien que le juge aurait alors conclu, malgré le témoignage de l’intimé, que la plaignante n’avait pu consentir aux actes sexuels survenus à Magog puisqu’elle était dans un état d’incapacité continue entre le moment où elle a consommé la boisson préparée par l’intimé et son réveil le lendemain matin, vers 5 h 30. Loin d’être « abstraite ou purement hypothétique »[19], cette possibilité me semble être bien réelle.

* * *

[29]           J’estime enfin que le nouveau procès devrait être limité à la responsabilité criminelle de l’intimé relativement aux événements survenus à Magog.

[30]           Certes, les actes sexuels survenus à Magog et ceux survenus à Bonsecours ont fait l’objet d’un seul chef d’accusation[20], et la règle générale posée par le sous-alinéa 686(4)b)(i) C.cr. telle qu’interprétée par la Cour suprême est qu’une ordonnance de nouveau procès consécutive à l’annulation d’un acquittement « signifie un nouveau procès complet, et non pas un nouveau procès limité à certaines questions »[21]. De plus, la question se pose sérieusement de savoir si l’erreur commise par le juge relativement aux événements de Magog a pu entacher son analyse de ceux survenus à Bonsecours[22], ce qui, le cas échéant, militerait assurément en faveur de la tenue d’un nouveau procès complet.

[31]           Cela étant, le dossier a de particulier que l’appelant a renoncé à contester la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’intimé n’avait pas engagé sa responsabilité criminelle relativement aux événements de Bonsecours. Il est vrai que sa position continue d’être que la Cour devrait ordonner un nouveau procès tant sur les rapports sexuels survenus à Magog que sur ceux survenus à Bonsecours. Toutefois, il a abandonné les moyens qu’il avait préalablement fait valoir à l’égard de la portion du jugement entrepris traitant des événements de Bonsecours. De plus, il s’est exprimé on ne peut plus clairement, au tout début de son mémoire, quant aux paramètres du débat en appel : « [c]et appel porte sur le premier rapport, qui a eu lieu entre la plaignante et l’intimé dans un parc pendant la soirée »[23].

[32]           Si l’appelant maintient que le nouveau procès devrait tout de même porter tant sur les événements de Magog que sur ceux de Bonsecours, c’est uniquement parce qu’il est d’avis que ce résultat s’impose à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Cowan[24].

[33]           Or, je suis d’avis que l’appelant se méprend sur la portée de cet arrêt, qui traitait d’une situation bien différente. Dans cette affaire, la responsabilité criminelle de l’accusé était recherchée soit à titre d’auteur principal de l’infraction, soit à titre de participant ayant encouragé ou conseillé la perpétration de cette même infraction. Le juge du procès avait rejeté les deux théories avancées par le ministère public, mais la Cour d’appel de la Saskatchewan avait décelé une erreur dans son analyse de la responsabilité de l’accusé à titre de participant, puis ordonné un nouveau procès limité à cette seule question. La Cour suprême a convenu que le juge du procès avait commis une erreur, mais elle a conclu qu’il y avait lieu d’ordonner un nouveau procès complet — autrement dit, un procès portant également sur la responsabilité de l’accusé à titre d’auteur principal. Elle a expliqué pourquoi après avoir rappelé les conditions devant être réunies avant qu’une ordonnance puisse être rendue en vertu du paragraphe 686(8) C.cr. :

[54]  Lorsqu’une cour d’appel exerce les pouvoirs que lui confèrent les par. 686(2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre « rendre toute ordonnance que la justice exige » en vertu du par. 686(8). Ce pouvoir n’est toutefois pas illimité. Comme l’a récemment expliqué la Cour dans l’arrêt R.V., pour qu’une cour d’appel puisse rendre une ordonnance en vertu du pouvoir résiduel que lui confère le par. 686(8), trois conditions doivent être réunies (par. 74, citant R. c. Thomas, 1998 CanLII 774 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 535). Premièrement, la cour doit avoir exercé un des pouvoirs conférés par les par. 686(2), (4), (6) ou (7). Deuxièmement, l’ordonnance rendue doit être accessoire à l’exercice de ce pouvoir en ce qu’elle ne doit pas être « directement incompatible avec [le] jugement sousjacent [de la cour] » (Thomas, par. 17; voir aussi R. c. Warsing, 1998 CanLII 775 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 579, par. 7274). Troisièmement, l’ordonnance doit en être une que « la justice exige ».

[55]  En l’espèce, je suis d’avis que les deuxième et troisième conditions pour l’exercice du pouvoir conféré par le par. 686(8) n’étaient pas satisfaites, puisque l’ordonnance accessoire limitant la portée du nouveau procès était incompatible avec le jugement sousjacent et qu’il ne s’agissait pas d’une ordonnance qu’exigeait la justice.

[…]

[57]  Comme je l’ai expliqué, les art. 21 et 22 ne créent pas des infractions multiples; ils prévoient simplement d’autres chemins vers la même destination en énonçant différentes façons dont un accusé peut participer à une infraction et en être déclaré coupable. Or, en séparant les thèses de la Couronne en matière de responsabilité dans son ordonnance accessoire, la Cour d’appel a fractionné l’infraction de vol qualifié en deux infractions distinctes : le vol commis à titre d’auteur principal et le vol commis à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Ainsi, l’ordonnance accessoire limitant la portée du nouveau procès a eu pour effet de maintenir en partie l’acquittement de M. Cowan à l’égard de la seule accusation de vol qualifié, ce qui est incompatible avec le jugement sousjacent accueillant l’appel de la Couronne et annulant le verdict rendu à l’égard de cette même accusation dans son ensemble. En termes simples, l’ordonnance accessoire a donné lieu à un acquittement partiel à l’égard d’une seule accusation criminelle — une créature bicéphale inconnue en droit criminel canadien.

[…]

[63]  En outre, l’ordonnance accessoire n’en était pas une qu’exigeait la justice. […] Dans le présent cas, à mon avis, l’ordonnance accessoire menace l’intégrité du processus en matière criminelle en dénaturant la fonction de recherche de la vérité des tribunaux.

[64]  L’un des objectifs du processus en matière criminelle étant de favoriser la recherche de la vérité, la justice ne peut exiger que soit restreinte la capacité du juge des faits à établir si un accusé a participé à une infraction donnée et, le cas échéant, de quelle façon il y a participé. Le juge des faits doit plutôt être en mesure d’examiner toutes les thèses relatives à la responsabilité qui semblent vraisemblables sur le fondement de la preuve présentée au nouveau procès (Huard, par. 60). Empêcher prospectivement le juge des faits d’examiner une thèse viable relative à la responsabilité aurait pour effet de miner sa capacité à exercer sa fonction principale, soit de décider si la Couronne a prouvé que l’accusé a commis l’infraction qui lui est reprochée. […]

[65]  En pratique, confirmer l’ordonnance accessoire de la Cour d’appel signifierait que si, au nouveau procès, la défense présentait des éléments de preuve montrant que M. Cowan n’avait ni encouragé ni conseillé une autre personne puisqu’il était, en réalité, l’auteur principal de l’infraction, et si le juge des faits ajoutait foi à ces éléments de preuve ou si ceuxci soulevaient un doute raisonnable, le juge des faits n’aurait d’autre choix que d’acquitter M. Cowan relativement à l’accusation de vol à main armée. Un tel résultat couvrirait de ridicule le système de justice et ne saurait être ce que la justice exige.

[34]           Le contexte de la présente affaire est tout autre. La question relative à la portée du nouveau procès ne concerne pas divers modes de perpétration d’une seule et même infraction, mais plutôt des événements distincts — bien que faisant l’objet d’un seul chef d’accusation — dont chacun a, selon l’appelant, engagé la responsabilité criminelle de l’intimé. Ces différences font en sorte que la tenue d’un nouveau procès complet ne s’impose pas à la lumière de l’arrêt Cowan. Il y a donc lieu d’analyser la question à la lumière des conditions d’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère à la Cour le paragraphe 686(8) C.cr. et des circonstances propres à la présente affaire.

[35]           Comme je l’ai mentionné, l’appelant a renoncé à contester la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’intimé n’avait pas engagé sa responsabilité criminelle relativement aux événements de Bonsecours. Pour cette raison, la tenue d’un nouveau procès complet aurait pour effet de rouvrir le débat à l’égard d’une question qu’il faut désormais considérer, me semble-t-il, comme ayant été tranchée de manière définitive. Cela serait à tout le moins contraire au principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et, partant, à l’intérêt supérieur de la justice[25]. Comme le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Mahalingan, « un accusé ne doit pas avoir à se défendre deux fois contre la même allégation »[26]. En outre, procéder de la sorte entraînerait possiblement une violation des droits fondamentaux de l’intimé protégés par l’alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés[27].

[36]           Certes, il est permis de penser qu’il serait préférable que la Cour ordonne un nouveau procès complet et laisse à l’intimé le soin de présenter, dans le cadre de ce nouveau procès, des demandes invoquant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou la protection constitutionnelle contre le double péril[28]. Toutefois, à la réflexion, j’estime que les circonstances particulières de l’espèce justifient que la Cour rende une ordonnance fondée sur le paragraphe 686(8) C.cr. ayant pour effet de clarifier dès maintenant que la portée du nouveau procès devra être limitée aux seuls événement de Magog.

* * *

[37]           Pour ces motifs, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir l’appel, d’ordonner un nouveau procès et d’en limiter la portée à la responsabilité criminelle de l’intimé quant aux événements survenus à Magog durant la soirée du 1er août 2019.

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.


 

MOTIFS DU JUGE MAINVILLE

 

 

[38]           Le ministère public porte en appel le jugement du 12 janvier 2022 du juge Benoit Gagnon de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Bedford, prononçant l’acquittement de l’intimé à l’infraction suivante[29] :

Entre le 1 août 2019 et le 2 août 2019, à Bonsecours, district de Bedford a agressé sexuellement [la plaignante], commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 271a) du Code criminel.

[39]           Le procès s’est déroulé en cinq jours, soit les 13, 14 et 15 octobre et les 10 et 11 novembre 2021. La plaignante, sa mère et une de ses amies ont témoigné pour la poursuite. L’appelant a témoigné pour la défense. Bien que le ministère public n’ait déposé qu’un seul chef d’accusation portant sur une agression sexuelle survenue à Bonsecours, la preuve de la poursuite a porté sur deux rapports sexuels, l’un survenu à Magog dans la soirée du 1er août 2019 et l’autre à Bonsecours dans la nuit du 1er au 2 août 2019. Il n’était pas clair au procès si la preuve des évènements survenus à Magog servait à établir le contexte des évènements survenus à Bonsecours ou servait plutôt à établir la culpabilité de l’intimé à une infraction distincte.

[40]           Le juge du procès a conclu que le ministère public n’avait pas établi au-delà d’un doute raisonnable que l’appelant avait agressé sexuellement la plaignante lors de ces deux rapports sexuels.

[41]           Dans le cas du rapport sexuel survenu à Magog, le juge conclut que le ministère public n’a pas établi l’actus reus de l’infraction hors de tout doute raisonnable vu qu’il retient le témoignage de l’intimé quant au consentement de la plaignante. En ce qui concerne le deuxième rapport sexuel survenu à Bonsecours, le juge conclut que le ministère public n’avait pas établi la mens rea de l’infraction hors de tout doute raisonnable vu qu’il retient le témoignage de l’intimé quant à sa croyance sincère, mais erronée, que la plaignante consentait aux actes sexuels posés. 

[42]           L’appel du ministère public ne porte pas sur les conclusions du juge quant au rapport sexuel survenu à Bonsecours visé par l’acte d’accusation, lesquelles ne sont pas remises en question en appel. En effet, le ministère public s’est désisté de ses moyens d’appel énoncés dans son avis d’appel en regard du rapport sexuel survenu à Bonsecours pour ne retenir finalement qu’un seul moyen d’appel visant exclusivement le rapport sexuel survenu à Magog[30].

[43]           L’appel porte donc uniquement sur une erreur de droit alléguée voulant que le juge du procès ait omis de considérer l’ensemble de la preuve circonstancielle afin d’évaluer la capacité de la plaignante de consentir au premier rapport sexuel survenu à Magog. Selon le ministère public, si le juge avait tenu compte de l’ensemble de la preuve circonstancielle, il aurait pu conclure à l’absence de consentement de la plaignante lors de ce premier rapport sexuel; le juge aurait dû ensuite déterminer si l’intimé a cru honnêtement, mais erronément, au consentement de la plaignante[31].

[44]           Bien qu’il ne remette pas en question les conclusions du juge quant au rapport sexuel survenu à Bonsecours, le ministère public soutient qu’un nouveau procès est requis pour celui-ci aussi, vu que la Cour « n’a pas le pouvoir de limiter la portée d’un nouveau procès lorsqu’il annule un acquittement rendu à l’égard d’une seule infraction »[32], se fondant à cet égard sur l’arrêt R. c. Cowan[33].

[45]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter l’appel du ministère public.

LES TÉMOIGNAGES

[46]           Les résumés des témoignages décrits par le juge du procès dans son jugement ne sont pas remis en question par les parties. Pour bien comprendre le débat en appel, il est utile de reproduire de longs extraits de ces résumés.

[47]           Quant à la nature de la relation entre les parties, le juge la résume comme suit[34] :

[24] En mai 2019, la plaignante et l’accusé se sont rencontrés via l’application Tinder. Lui, ancien soldat des forces spéciales en Afghanistan et elle, infirmière à l’urgence en congé de travail suite à une agression violente subie dans le cadre de son emploi, leur relation évolue rapidement.

[25] Ils forment non pas un couple, mais une « fréquentation », ce qui se veut une relation exclusive préalable permettant aux deux parties de voir si les affinités d’un début de relation peuvent continuer au long cours.

[26] Lors du retour d’un voyage en Gaspésie, la plaignante avise l’accusé que pour elle la « fréquentation » est terminée. Appréciant malgré tout la présence de l’accusé, elle aimerait garder une relation d’amitié platonique avec lui. La plaignante ne peut confirmer qu’elle a indiqué explicitement à l’accusé qu’elle ne désirait plus avoir de relations sexuelles avec lui, mais qu’il était implicite que c’était son désir. L’accusé demande quelques temps de réflexion.

[27] Le couple se revoit quelques jours plus tard lors d’un spectacle d’improvisation. Ils passent tous deux une belle soirée. L’accusé invite la plaignante chez lui. Voulant rester honnête face à elle-même, elle refuse poliment. L’accusé n’a pas de réaction particulière et accepte le refus de la plaignante.

[28] Ils passent une journée ensemble à une autre occasion en juillet, sans avoir de contacts amoureux. Encore une fois, l’accusé suggère à la plaignante de venir passer la soirée à sa demeure. Voulant rester cohérente une fois de plus, la plaignante refuse.

[Transcription textuelle]

[48]           Quant à la preuve de la poursuite concernant les évènements survenus à Magog et à Bonsecours, l’extrait suivant des motifs du juge en fait état[35] :

[29] Le 1er août, l’accusé suggère une soirée pique-nique aux abords du lac Memphrémagog. La plaignante doit s’occuper d’apporter de l’alcool et l’accusé de la nourriture. Vu les constatations passées de la plaignante quant à une éventuelle problématique d’alcool de l’accusé, la plaignante est rassurée.

[30] Ils s’y rencontrent tous deux, chacun se rendant au lieu de rendez-vous avec leur propre voiture.

[31] Alors qu’ils consomment la bouteille de vin apportée par la plaignante, celle-ci se passe une réflexion interne : « Je n’ai pas encore fini ma coupe de vin et la bouteille est déjà terminée ». L’accusé a apporté du gin. La plaignante accepte que l’accusé lui en verse un verre, accompagné de jus ou de « tonic ».

[32] Dès lors, les souvenirs de la plaignante sont flous, elle ne possède que quelques « flashs » lui permettant d’avoir une idée de la soirée. Tout le reste est dans un grand trou noir qu’elle qualifie de blackout. Tout au plus a-t-elle quelques « vagues impressions » lorsqu’on revient sur certains événements. Elle ne se souvient pas par exemple que le soleil ne se soit couché.

[33] Elle se rappelle tomber dans de grosses roches près du lac. Elle a une forte douleur à la hanche et aux coudes. Elle n’a aucune idée de comment ni de pourquoi elle s’est rendue à cet endroit.

[34] Contre-interrogée, elle indique qu’elle a un vague souvenir qu’il y a eu des rapprochements physiques entre elle et l’accusé sur la table de pique-nique au parc. Elle n’a toutefois aucune mémoire de pénétration digitale, ce que rapportera pourtant l’accusé dans son témoignage.

[35] Elle décrit ainsi son état : « J’ai la tête qui tourne, je suis incapable de me tenir debout, je suis molle comme une guenille. » Pour une raison qu’elle ignore, elle a appelé sa mère durant la soirée. Elle ne peut toutefois pas indiquer chronologiquement quand cet appel fut fait. Elle se rappelle que son intention est de se coucher dans son automobile. Elle se rappelle avoir dit à sa mère qu’elle ne voulait pas aller coucher chez l’accusé. Elle se rappelle également avoir appelé son père, mais ne peut pas indiquer au Tribunal ce qu’elle a pu lui dire. Elle n’en a aucune idée.

[36] La mère de la plaignante témoigne avoir effectivement reçu un appel téléphonique de sa fille dans la soirée, vers 20h30-21h00. Elle indique ne pas reconnaître la voix de sa fille tellement elle était « transformée », « altérée ». Voulant s’assurer de la sécurité de sa fille et sachant qu’elle se trouve avec l’accusé, elle leur recommande tous deux d’aller coucher dans un hôtel et de ne surtout pas prendre la route.

[37] La mère de la plaignante indique que sa fille est incohérente dans ses paroles. Il était d’ailleurs hors norme, pour la mère, que sa fille ne l’appelle. Elles ont rarement de telles conversations, préférant l’utilisation du message texte. Mais plus encore, la mère indique que sa fille n’a rien à lui dire. Elle se demande pourquoi sa fille a communiqué avec elle à ce moment.

[38] Elle a déjà consommé de l’alcool avec sa fille. Elle indique que sa fille supporte l’alcool normalement. Elle indique que la voix de sa fille est « soufflée », que « ça allait dans toutes les directions ». La mère indique avoir cru que sa fille avait pris au moins 3 bouteilles de vin tant sa voix était méconnaissable.

[39] Plus tard dans la soirée, l’accusé utilisera le téléphone de la plaignante afin de communiquer avec la mère de celle-ci. Il s’identifiera comme « [Fred] » et lui indiquera entre autres choses qu’ils sont tous les deux en sécurité. Il communiquera avec la mère de la plaignante un peu plus tard pour lui indiquer qu’ils sont « maintenant au lit ».

[40] La mère de la plaignante se sent alors rassurée de savoir que sa fille n’a pas pris la route et qu’elle est avec l’accusé.

[41] Autre souvenir plus clair de la plaignante, elle sait que l’accusé l’aide à se rendre jusqu’à l’automobile. Elle se souvient d’avoir une totale absence de contrôle sur son corps. L’accusé doit la soulever de terre et la prendre sur son épaule. Le couple croise alors un employé municipal dans une camionnette qui leur demande si tout va bien. Complètement absente, « je n’étais plus là, plus là pantoute », l’accusé lui indique de dire que tout va bien. Elle s’exécute et l’employé repart.

[42] Elle s’assoit sur le siège passager du véhicule de l’accusé et vomit. C’est alors un retour dans le trou noir. Elle se réveille dans le stationnement de la résidence de l’accusé. Ce dernier l’enjoint de sortir. Elle est perplexe : elle se croyait toujours au lac.

[43] Elle entre de peine et de misère dans la maison de l’accusé, passe à la salle de bain et se couche sur le divan. Elle ne veut que dormir. Elle s’assoupit presqu’immédiatement.

[44] Elle se réveille plus tard, un film pornographique joue à l’écran. Le bas de son corps est nu. Elle ne peut pas confirmer si le haut de son corps est nu ou non. Elle voit l’accusé qui est complètement nu passer devant l’écran, il s’installe sur elle et elle met ses mains autour du cou de l’accusé. Tout redevient noir.

[45] Elle se souvient que pendant cette période d’éveil, elle est « molle comme une guenille », fatiguée, et qu’elle n’a aucun jugement sur la situation. Elle expliquera qu’elle n’a aucun contrôle sur son corps.

[46] À 5h30, elle se réveille complètement paniquée de la situation. Elle tremble des pieds à la tête, elle se rend compte qu’elle ne voulait pas aller chez l’accusé et qu’elle n’a pas son automobile. Elle porte une chemise dont la taille est en fait un nœud. Le nœud est très serré, comme si on avait voulu l’enlever de force. Les boutons de sa chemise sont ouverts et son soutien-gorge est roulé vers l’intérieur pour dégager ses seins. Elle retrouve ses pantalons plus loin dans le salon. L’accusé est couché, nu, près d’elle.

[47] Elle se rend alors au sous-sol où se trouvent les chambres et se rend dans la chambre d’amis. La première idée qu’elle a, vu son état, c’est qu’elle a été droguée. Elle élabore alors un plan afin que l’accusé lui avoue ce fait. Elle entend donc l’enregistrer lorsqu’il viendra la reconduire à son automobile plus tard dans la journée.

[48] Tôt le matin, entre 7 et 8 heures, elle réveille l’accusé afin qu’il vienne la reconduire à son automobile qu’elle a laissé dans le stationnement du parc à Magog. Elle laisse l’enregistreur de son téléphone cellulaire allumé et tente de faire parler l’accusé.

[49]  Elle lui indique avoir « perdu des bouts » de sa soirée. Elle demande à l’accusé s’il « a mis quelque chose dans son verre » pour aider à la détendre. L’accusé nie. Il se montre toutefois curieux des souvenirs qu’a la plaignante sur sa soirée.

[50] Il lui indique clairement qu’ils ont eu des relations sexuelles ensemble pendant la soirée et que c’était « animal ».

[51] Dès que l’accusé la laisse à son automobile elle contacte son amie F.... Elle décide de se rendre à l’hôpital de Magog afin de faire effectuer une évaluation médico-légale. Le personnel lui indique que le GHB (drogue qu’elle suspectait avoir consommé à son insu et expliquant sa perte de contrôle) ne peut être décelable une fois les effets terminés. Elle décide donc d’abandonner cette voie et renonce à la consultation.

[52] Elle envoie un message texte à sa mère : « Rappelle moi quand tu auras du temps pour parler. Ce n’est pas urgent. » Ce n’est que quelques heures plus tard qu’elle pourra parler à sa mère et lui indiquer ce qu’elle se rappelle de sa soirée.

[53] C’est le 4 août que la plaignante décide d’aller effectuer la trousse médico-légale à l’hôpital. Dans le rapport déposé de consentement, le personnel médical remarque des ecchymoses sur la hanche gauche et des abrasions mineures aux deux coudes. Rien d’autre de particulier n’est remarqué.

[54] La plaignante se replie alors sur elle-même. Elle envoie un message texte à l’accusé en lui indiquant qu’elle ne voulait pas avoir de relations sexuelles avec lui le soir en question. Elle supprime ensuite tous les messages échangés entre elle et lui et cesse tout contact avec ce dernier.

[55] Pendant le mois d’août, elle s’enfonce de plus en plus dans son marasme, à telle point qu’elle a des idées suicidaires. Elle finit par être hospitalisée en psychiatrie pour deux mois, ses proches ayant des craintes pour sa santé.

[56] Elle ne veut pas porter plainte au criminel à ce moment. Elle veut oublier l’événement. Elle ne trouve pas normal qu’il lui manque autant d’informations. Elle indique que l’accusé n’est pas une mauvaise personne et se sent coupable de le dénoncer à la police. C’est en janvier 2020 qu’elle portera plainte à la police.

[Transcription textuelle]

[49]           Par ailleurs, le juge résume comme suit le témoignage en défense de l’intimé quant aux évènements survenus tant à Magog qu’à Bonsecours[36] :

[67] L’accusé décrit la soirée au parc de la Pointe-Merry [à Magog]. S’il a la même version que celle de la plaignante jusqu’à la consommation d’alcool, il est le seul témoin entendu qui peut expliquer les événements par la suite. La plaignante a été longuement contre-interrogée par l’avocate de la défense, en application des principes dégagés par l’arrêt Browne v. Dunn sur les faits qui sont rapportés par l’accusé. La plaignante ignore la plupart d’entre eux ou tout au plus a-t-elle de « vagues impressions » de ce qui est avancé.

[68] L’accusé explique ainsi qu’ils ont des conversations sur le retour au travail de la plaignante et sur ses inquiétudes à cet égard. Il ouvre la bouteille de vin et ils décident de jouer au frisbee.

[69] Revenant à la conversation et aux appréhensions de la plaignante sur son retour au travail, il lui suggère de lui donner des leçons d’auto-défense. Il agit ainsi afin de lui donner des outils pour faire face à une attaque, si elle devait à nouveau subir une agression dans le cadre de son emploi d’infirmière.

[70] Il explique au Tribunal que c’est suite à ces contacts physiques durant la leçon d’auto-défense que le flirt commence. Ils se rapprochent de plus en plus.

[71] Ils s’assoient tous deux sur le banc de la table de pique-nique. Il lui dit : « J’ai envie de t’embrasser ». Elle lui répond : « Ben vas-y ». Ils s’embrassent donc. Il est environ 1 heure 1/2 avant le coucher du soleil. Ils ont d’autres conversations et s’embrassent.

[72] À ce moment, la plaignante se place à cheval sur ses jambes. Il commence donc à lui masser les cuisses et à caresser ses cheveux. Après environ 30 minutes, il l’embrasse dans le cou.

[73] Compte tenu qu’il y a moins de gens dans le parc, il commence à lui caresser la poitrine. La plaignante déboutonne son jeans, et mets la main de l’accusé sur son sexe. Il commence alors à la masturber. Voulant éviter de mouiller ses pantalons, elle enlève une jambe de son jeans. L’accusé continue à la masturber, après avoir mis son propre chandail autour de la taille de la plaignante, afin de couvrir sa nudité.

[74] Il explique que la « vibe est sexy » et « qu’ils passent du bon temps ». La plaignante lui caresse les cheveux. La relation sexuelle se termine après l’orgasme de la plaignante. Elle se rhabille, mais garde ses sous-vêtements dans sa main. Elle les lance au visage de l’accusé qui les met dans sa bouche. Les deux pouffent de rire.

[…]

[98] L’accusé explique qu’après avoir masturbé la plaignante sur la table de pique-nique, ils ont continué d’avoir différentes conversations. Il se rappelle que la plaignante s’est rendue dans les rochers près du lac et qu’elle a glissé. Il est vrai que celle-ci a de la difficulté à marcher suite à cet incident.

[99] L’accusé reconnait également avoir porté la plaignante sur ses épaules. Ce n’est toutefois pas parce que celle-ci est rendue ivre, mais parce qu’elle boite suite à sa mésaventure. Il fait d’ailleurs une blague à la plaignante indiquant qu’elle marche comme les zombies de l’émission The Walking Dead. Les deux rient de l’allusion.

[100] L’accusé explique prendre la plaignante avec une technique propre aux pompiers, métier qu’il a exercé dans l’armée : il dépose la plaignante sur ses épaules et tient le bras et la jambe de celle-ci à un bras.

[101] L’estomac de la plaignante est sur l’épaule de l’accusé. Il explique qu’après environ 15 pieds de marche, celle-ci l’arrête puisque cela lui donne la nausée. Il la dépose. Il n’a pas de souvenir qu’elle ait vomi. Contre-interrogé par rapport au fait que la plaignante ait vomi ou non, il indique ne pas avoir porté attention à ce fait. Il indique toutefois que suite à l’événement, lorsqu’ils se retrouvent dans sa voiture afin de se rendre à son domicile, il embrasse la plaignante et que jamais il n’a senti l’odeur du vomi dans l’haleine de la plaignante.

[102] Il laisse la plaignante près du véhicule, afin qu’elle puisse reprendre son souffle. Il retourne à la table pour vérifier s’il a tout amené. Il trouve en effet des cellulaires et des clefs par terre, sous la table. Il ramène le tout au véhicule.

[103] Il décide de prendre le volant, malgré sa consommation d’alcool. Il croit dépasser la limite légale pour conduire, mais décide néanmoins de conduire jusqu’à chez lui.

[104] La plaignante baisse son banc. Il lui caresse les cheveux. Elle le caresse en retour. Le chien de l’accusé se trouve sur le banc arrière de l’automobile. La plaignante caresse le chien. Lors du transport, il décrit l’état de la plaignante comme étant peu loquace, mais elle a les yeux ouverts. Elle semble pensive. Elle regarde les étoiles et lui fait le commentaire : « C’est beau l’Estrie ! ». Ils écoutent de la musique.

[105] Arrivés à la maison, la plaignante sort d’elle-même du véhicule. L’accusé sort les sacs du pique-nique. La plaignante prend son temps pour monter les marches extérieures de la maison en se tenant à la rampe. Elle se tient la hanche, suite à sa mésaventure dans les rochers près du lac.

[106] En entrant dans la maison, la plaignante va uriner. L’accusé a toujours les sous-vêtements de la plaignante dans ses poches, suite à l’événement de la table de pique-nique. Il dépose les sous-vêtements sur la table de cuisine.

[107] Il connecte son ordinateur à la télévision. Il décide de syntoniser une chaîne de musique sur YOUTUBE. Ils se collent tous deux sous une couverture, en prenant deux verres d’eau.

[108] Il rappelle à la plaignante à quel point il a passé une belle soirée. Il embrasse celle-ci dans le cou. Elle l’embrasse sur la bouche.

[109] Ils ont une conversation à savoir s’ils sont l’un et l’autre sur le site Tinder, un site de rencontre virtuel. Ils se posent également des questions sur le fait qu’ils ont ou non une relation avec un autre partenaire. Ils répondent tous deux par la négative.

[110] Ils finissent par se déshabiller l’un l’autre. L’accusé demande à la plaignante s’il peut lui faire confiance, c’est-à-dire s’il doit ou non mettre un condom. La plaignante lui pose la même question. Ils conviennent tous deux de ne pas utiliser de préservatif.

[111] La plaignante garde son chandail et son soutien-gorge. Ils ont alors une relation sexuelle avec pénétration. À un moment, l’accusé demande à la plaignante s’il peut insérer son doigt dans l’anus de la plaignante. Elle répond par l’affirmative.

[112] Suite à l’éjaculation de l’accusé, il se retire. La plaignante prend des mouchoirs dans la cuisine afin d’essuyer ses parties génitales. Ils rient tous deux de la situation.

[113] L’accusé propose à la plaignante de manger. Il sort un gâteau à la crème glacée et discutent de choses et d’autres. Il propose de ranger la vaisselle et de nourrir le chien pendant que la plaignante va se coucher au sous-sol.

[114] Croyant que la plaignante est au sous-sol, l’accusé met un film pornographique sur la télévision, via son ordinateur. Il veut avoir un autre orgasme avant d’aller se coucher. Il envisage donc de se masturber rapidement à l’insu de la plaignante. La plaignante le surprend en pleine action. Il y a un malaise entre les deux.

[115] Bien que gêné, puisqu’il fait trop froid dans le sous-sol où se trouve la chambre, il suggère à la plaignante d’ouvrir le divan-lit du salon et de s’y installer. C’est là qu’ils dormiront.

[116] Le lendemain matin il sent que la plaignante est distante et méfiante. Il ne sait pas si c’est parce qu’elle regrette sa soirée de la veille, ou si c’est suite à la situation du film pornographique.

[117] Il va reconduire la plaignante à sa voiture à Magog. Ils entrent donc tous deux dans la voiture de l’accusé. La plaignante semble ne pas se souvenir de la soirée de la veille. Il tente donc de lui rappeler les parties phares de cette soirée.

[118] Il ne croit pas qu’il ait quoi que ce soit à se reprocher. De son point de vue, ils ont tous deux passé une belle soirée. L’état de la plaignante le tracasse toutefois.

[119] De retour à la maison, il regarde l’état de la bouteille de gin. Tout au plus 6 onces ont été consommées. Même en rajoutant la demi-bouteille de vin qu’ils ont consommé chacun, il ne comprend pas, et ne comprend toujours pas au moment de rendre témoignage, les amnésies de la plaignante.

[120] Il reçoit quelques jours plus tard un message texte de la plaignante dans lequel elle lui reproche les événements. Il est alors bouleversé : il est passé d’un amoureux à un ami à un possible violeur.

[121] Pour lui la soirée a été agréable « de A à Z ». Tout a bien été, ils ont dormi collés, ont eu de belles conversations, ont eu des relations sexuelles satisfaisantes pour les deux. Pour lui, jamais la plaignante n’a été inconsciente ou autrement inapte à consentir.

[122] Il décrit la plaignante comme étant zen et prenant des initiatives dans les caresses ou dans le cadre même de la relation sexuelle. Ils s’embrassent les yeux ouverts, se regardant.

[Transcription textuelle]

[50]           Finalement, bien qu’en règle générale il n’appartienne pas à une cour d’appel de réévaluer la preuve, vu les propos de mon collègue le juge Bachand au paragraphe [24] de ses motifs, je me dois d’ajouter que, contrairement à ce qu’il retient, dans l’enregistrement audio, pièce P-2 du 2 août 2019, l’intimé n’approuve pas à quelque moment que ce soit l’affirmation de la plaignante selon laquelle elle n’était « plus là » la veille, que ce soit directement ou indirectement. Comme en a d’ailleurs conclu le juge du procès[37], l’écoute de cet enregistrement permet plutôt de constater que l’intimé prend acte de ce que la plaignante lui énonce à cet égard, et il procède par la suite à lui relater les évènements de la veille qu’elle dit ne pas se souvenir.

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[51]           Le juge décide d’analyser successivement le rapport sexuel à Magog et ensuite celui à Bonsecours[38], afin de trancher les seules véritables questions en litige, à savoir si le ministère public a établi au-delà d’un doute raisonnable que la plaignante n’a pas consenti à ces rapports ou, le cas échéant, a établi que l’accusé s’est livré à ces rapports tout en sachant que la plaignante n’y consentait pas en raison de ses paroles ou de ses actes ou encore en faisait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à cet égard[39].

[52]           En ce qui concerne le rapport sexuel à Magog, le juge constate que la plaignante n’en a aucun souvenir. C’est l’intimé qui, le lendemain, lui relate les évènements survenus à Magog, la plaignante n’ayant qu’un vague souvenir, une impression, mais rien pour contredire le témoignage de l’intimé à cet égard[40].

[53]           Par ailleurs, le témoignage de l’intimé est clair et jugé probant par le juge quant au consentement de la plaignante[41]. Après avoir relaté la séquence des évènements survenus à Magog, le témoignage de l’intimé permet de soulever un doute raisonnable quant à l’absence de consentement de la plaignante, laquelle, selon l’intimé, agissait comme participante volontaire active aux gestes à caractère sexuel posés de part et d’autre[42].

[54]           Le juge écarte la valeur probante du témoignage de la mère de la plaignante puisqu’il n’apporte que peu d’informations sur le consentement de la plaignante et est peu pertinent, l’explication de l’intimé quant à la raison d’être de l’appel téléphonique de la plaignante à sa mère étant jugée tout à fait crédible[43].

[55]           Quant aux autres éléments de la preuve circonstancielle du ministère public, le juge les écarte au motif qu’il croit le témoignage de l’intimé[44].

[56]           Le juge conclut donc que la preuve émanant de l’intimé est probante sur le consentement de la plaignante aux gestes sexuels survenus à Magog[45].

[57]           S’attardant ensuite au rapport sexuel survenu à Bonsecours, le juge constate que la plaignante en garde quelques souvenirs, lesquels sont suffisants pour lui permettre de conclure qu’elle n’avait pas, à ce moment, la capacité de consentir à celui-ci[46].

[58]           Cela étant, le juge retient le témoignage de l’intimé concernant sa croyance sincère, mais erronée, au consentement de cette dernière. Le juge reprend d’ailleurs la trame factuelle complète des évènements survenus tant à Magog[47] qu’à Bonsecours[48]. Référant à la démarche analytique exposée dans l’arrêt R. c. W.(D.)[49], il conclut que le témoignage de l’intimé est crédible et fiable et qu’à tout le moins, il soulève un doute raisonnable[50], d’autant plus que ce témoignage se recoupe largement avec celui de la plaignante quant à ce qu’elle se souvient des évènements[51]. Le juge note d’ailleurs que la plaignante se souvient qu’elle a enlacé l’appelant de ses bras lorsqu’ils étaient tous les deux au lit, ce qui renforce la crédibilité du témoignage de l’intimé quant à sa croyance sincère, mais erronée, du consentement à l’activité sexuelle survenue à Bonsecours[52].

LE MOYEN D’APPEL

[59]           Comme je l’ai déjà signalé, le ministère public ne remet pas en question les conclusions du juge quant au rapport sexuel survenu à Bonsecours, notamment ses conclusions quant à la croyance sincère, mais erronée, de l’intimé quant au consentement de la plaignante à ce rapport. Cet aspect du dossier ne fait donc l’objet d’aucune contestation en appel.

[60]           L’appel du ministère public concerne seulement le rapport sexuel survenu à Magog et un seul moyen d’appel est invoqué à cette fin, soit que le juge du procès aurait omis de considérer l’ensemble de la preuve circonstancielle afin d’évaluer la capacité de la plaignante de consentir à ce rapport.

[61]           Ainsi, selon le ministère public, le juge du procès aurait fondé toute son analyse du consentement de la plaignante au rapport sexuel survenu à Magog sur la preuve contemporaine à ce rapport, sans égard à la preuve d’incapacité de consentir antérieure et postérieure[53]. Puisque le juge croit le témoignage de l’intimé quant au consentement de la plaignante lors du rapport sexuel survenu à Magog et qu’il estime que cette preuve n’est pas contredite par la plaignante qui n’en a aucun souvenir, le juge aurait commis une erreur de droit puisqu’il écarterait la preuve circonstancielle de l’incapacité de la plaignante d’y consentir.

[62]           En effet, selon le ministère public, le juge du procès n’aurait pas dû uniquement se demander s’il disposait d’une preuve directe d’absence de consentement provenant de la plaignante; il aurait plutôt dû se demander si la preuve dans son ensemble établissait que la plaignante comprenait l’activité sexuelle et sa capacité à refuser d’y prendre part[54]. Si le juge s’était posé cette question, il aurait nécessairement pris en considération la preuve circonstancielle tendant à démontrer l’incapacité de la plaignante de consentir au rapport sexuel survenu à Magog[55].

ANALYSE

Remarques préliminaires

[63]           J’ai de sérieuses réserves quant à la validité d’un appel du ministère public à l’égard d’évènements qui ne font pas partie de l’acte d’accusation, soit le rapport sexuel survenu à Magog, alors que l’accusé fut acquitté de l’infraction directement visée par l’acte d’accusation, soit le rapport sexuel survenu à Bonsecours, ce que le ministère public ne remet pas en question.

[64]           Cela étant, je traiterai néanmoins du moyen d’appel du ministère public comme s’il pouvait validement être soulevé, et ce, malgré qu’il concerne des évènements qui ne sont pas formellement visés par l’acte d’accusation. Je reviendrai cependant à cette question lorsque je discuterai de l’ordonnance pour un nouveau procès dans ce dossier que propose mon collègue le juge Bachand.

Le moyen d’appel invoqué par le ministère public

[65]           Le ministère public ne peut interjeter appel de l’acquittement d’une infraction punissable par voie de mise en accusation que pour un motif d’appel qui comporte une question de droit seulement[56]. Il en résulte que lorsque le ministère public soulève en appel des lacunes dans l’appréciation de la preuve par le juge du procès, seules les situations qui peuvent être qualifiées d’erreurs de droit peuvent faire l’objet de l’appel. La jurisprudence fait généralement état de quatre situations de ce genre[57] :

1)     une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit; cependant, pour l’application de cette règle, la conclusion que le juge des faits entretient un doute raisonnable n’est pas une conclusion de fait;

2)     l’effet juridique des conclusions de fait ou des faits contestés soulève une question de droit;

3)     une appréciation de la preuve fondée sur un mauvais principe juridique constitue une erreur de droit;

4)     le juge du procès commet une erreur de droit s’il ne tient pas compte de toute la preuve qui se rapporte à la question ultime de la culpabilité ou de l’innocence.

[66]           C’est cette quatrième situation que le ministère public dit soulever, plus particulièrement d’avoir omis de tenir compte de la preuve circonstancielle afin d’évaluer l’absence de consentement de la plaignante quant au rapport sexuel survenu à Magog.

[67]           Or, contrairement à ce que soutient le ministère public, le juge du procès a effectivement tenu compte de la preuve circonstancielle quant à ce rapport sexuel, mais a conclu que la valeur probante du témoignage de l’intimé, qu’il a cru, lui permettait néanmoins de conclure à l’acquittement.

[68]           Notons, en premier lieu, l’absence de preuve quant à l’hypothèse voulant que l’intimé ait drogué la plaignante. Aucun rapport toxicologique ne vient appuyer cette hypothèse, aucune expertise psychologique ou médicale n’a été soumise en preuve afin de l’étayer, aucun élément matériel n’a été produit à cette fin et aucun témoignage ne l’a établi, l’intimé le niant par ailleurs dans son témoignage qui a été jugé crédible et fiable[58]. La plaignante elle-même reconnaît qu’il ne s’agit que d’une hypothèse[59]. Le ministère public a d’ailleurs reconnu au procès que la théorie de l’intoxication par une drogue n’importe pas dans le dossier à charge[60], et d’ailleurs, il ne soulève pas cette théorie en appel vu notamment l’absence de preuve pour la soutenir. Par ailleurs, l’intimé a mis en preuve la consommation pharmaceutique de la plaignante et sa condition médicale, ce qui pourrait, selon lui, expliquer sa perte de mémoire[61].

[69]           Aussi, le juge du procès conclut de son analyse de la preuve que la consommation d’alcool lors des évènements en cause n’était pas déraisonnable dans les circonstances[62]. En effet, la plaignante témoigne n’avoir consommé qu’un verre de vin et un gin avec tonic[63], alors que l’intimé témoigne que lui et la victime ont partagé tout au plus une bouteille de vin et quatre à six onces de gin durant la soirée à Magog[64].

[70]           Si la plaignante a témoigné qu’elle ne se souvient pas des évènements survenus à Magog, l’origine ou la cause de cette absence de souvenir n’a pas été établie au procès.

[71]           Cela étant, comme le ministère public l’a soutenu au procès et en appel, cela ne signifie pas nécessairement que la plaignante a consenti ou était en mesure de consentir au rapport sexuel survenu à Magog. La question ultime n’est pas celle de savoir si la plaignante se souvient de son consentement audit rapport sexuel ou même du rapport sexuel lui-même, mais plutôt si la preuve établit hors de tout doute raisonnable qu’elle ne consentait pas à l’activité sexuelle en cause[65].

[72]           À cet égard, tous les éléments de preuve devaient être considérés par le juge du procès afin de décider si le ministère public s’était déchargé de son fardeau d’établir au-delà d’un doute raisonnable que la plaignante n'y consentait pas ou n’était pas en mesure d’y consentir. C’est ce qu’a fait le juge du procès en l’espèce.

[73]           Ainsi, la position défendue par la défense au procès ne consistait pas à demander au juge de retenir le témoignage de l’intimé quant au consentement de la plaignante à l’exclusion de la preuve circonstancielle dans le dossier. Au contraire, la défense proposait plutôt au juge d’examiner le témoignage de l’intimé en tenant compte de l’ensemble de la preuve dans le dossier, comme en fait foi l’extrait suivant de la plaidoirie de l’avocate de l’intimé lors du procès[66] :

Le test à appliquer sera celui de WD, bien évidemment, et, lors des deux premières étapes, vous devrez analyser le témoignage de monsieur Rioux, mais en fonction de l’entièreté de la preuve qui a été administrée devant vous. Donc, on n’analyse pas le témoignage de celui-ci en vase clos, mais on va l’analyser en fonction des témoignages de la plaignante et de l’entièreté de la preuve qui a été administrée par la Poursuite.

[Soulignement ajouté]

[74]           Le juge du procès était donc bien au fait de la démarche qu’il devait suivre et c’est précisément ce sur quoi il s’est concentré.

[75]           En ce qui concerne le témoignage de la plaignante quant au rapport sexuel survenu à Magog, le juge a constaté qu’elle n’en avait aucun souvenir, ce qui est effectivement conforme à son témoignage[67] :

Q– Donc, je vais revenir à la table de pique-nique. Vous avez une vague impression que vous avez eu peut-être des rapports, à ce moment-là, sexuels avec monsieur Rioux, mais comment est-ce que ça s’est passé, vous n’avez aucune idée?

R– C’est ça. Je ne pourrais pas vous dire.

Q– Donc, à ce moment-là, vous n’êtes pas en mesure de dire: « J’étais inconsciente », c’est exact?

R– Bien, je ne peux pas consciemment dire que j’étais inconsciente, non.

Q– O.K. Et j’ai raison de dire que si je vous suggère qu’à ce moment-là, sur la table de pique-nique, vous étiez active dans le processus des attouchements ou, bref, de la relation sexuelle, vous n’êtes pas en mesure de la confirmer ou de l’infirmer …

R– Non, je ne suis pas en mesure.

Q– … parce que vous ne vous en souvenez pas?

R– Non.

Q– C’est ça?

R– Oui.

[76]           Quant à la valeur probante qu’il faut accorder à cette absence de souvenirs, le juge cite[68] la décision de la Cour supérieure de l’Ontario dans R. v. J.R.[69] dans laquelle fut réfuté l’argument du ministère public voulant qu’une absence de souvenirs d’une relation sexuelle par une plaignante suffit, en soi, pour établir l’absence du consentement de celle-ci. Le droit applicable est plutôt à l’effet contraire, soit que l’absence de souvenir de la part d’une plaignante ne peut servir comme preuve directe de l’absence de son consentement à une relation sexuelle[70] : 

[19] I also cannot find any support for the Crown’s proposition in the jurisprudence.  Indeed, the law is precisely to the contrary.  If the Crown’s submission was correct this would mean that, in any case where the trier of fact accepted that the complainant had been touched sexually, although she had no memory of this, the actus reus would be proven and the only remaining issue would be whether or not there was any basis for the defence of honest but mistaken belief in consent.  The cases discussed below in footnotes 13 to 15, infra, demonstrate clearly that this is not the case.  In none of these cases is a blackout or memory loss, without more, taken as proof of lack of consent or lack of capacity.

[Soulignement ajouté]

[77]           Cela étant, cela ne signifie pas que le fait qu’une plaignante ne se souvienne pas de la relation sexuelle soit sans pertinence. Au contraire, selon les circonstances de chaque affaire, il peut s’agir d’un élément de preuve qui peut être tenu en compte, avec le reste de la preuve dans le dossier, quant à la question du consentement[71] :

[20] This does not mean that evidence of memory loss or a blackout is unimportant, irrelevant or necessarily lacking in probative value.  It may well be circumstantial evidence which, when considered with other evidence in a case, may permit inferences to be drawn about whether or not a complainant did or did not consent or whether she was or was not capable of consenting at the relevant time. But even here, while not required as a matter of law, for such evidence to be probative, some expert evidence will almost always be essential.

[Note de bas de page omise]

[78]           Or, le reste de la preuve comprend aussi le témoignage de l’intimé, puisque ce dernier a choisi de témoigner. Le juge a cru ce témoignage. Le témoignage d’un accusé quant au consentement de la plaignante, comme tout autre témoignage, est recevable en preuve et peut être considéré par le juge afin de décider si le ministère public s’est déchargé de son fardeau sur cette question[72]. C’est ce qui permet au juge de conclure qu’il n’est pas dans une situation où seule une preuve circonstancielle de l’absence de consentement est produite au procès. Ici, le témoignage de l’accusé, que le juge retient et qu’il juge crédible, permet de soulever un doute raisonnable quant à l’absence de consentement :

[82] Le Tribunal n’est pas, comme dans l’arrêt Kishayinew, dans une situation où, en l’absence de preuve directe, il se retrouve dans un cadre de preuve circonstancielle qui n’amène qu’à une seule conclusion logique, soit que la plaignante ne consentait pas ou ne pouvait, légalement, consentir.

[Soulignement ajouté]

[79]           Il faut par ailleurs noter que dans tous les jugements cités par les parties où une preuve circonstancielle a servi à démontrer l’absence de consentement d’une plaignante lorsque celle-ci n’avait aucun souvenir de l’activité sexuelle en cause, il s’agissait de cas où soit l’accusé n’a pas témoigné[73], ou soit son témoignage quant au consentement n’a pas été jugé crédible ou fiable[74]. Le présent dossier s’en distingue considérablement vu que le juge a conclu, en application de la méthode d’analyse préconisée dans R. c. W.(D.), que le témoignage de l’intimé était à la fois crédible et fiable en regard des circonstances du rapport sexuel survenu à Magog. Rappelons à cet égard que « l’appréciation de la crédibilité est une question de fait »[75], qui ne peut donc faire l’objet d’une révision en appel à la demande du ministère public[76].

[80]           Cela étant, le juge a aussi tenu compte des autres éléments de la preuve circonstancielle, y compris le témoignage de la mère de la plaignante. Le juge a analysé ce témoignage et l’a écarté comme n’étant pas probant[77] :

[79] Le témoignage de la mère de la plaignante est certes pertinent à l’analyse, mais il n’apporte que peu d’informations sur ce qui se passe dans l’esprit de la plaignante. Tout au plus le témoignage de la mère de la plaignante nous apprend qu’à un moment probablement connexe à la relation sexuelle sur la table de pique-nique, sa fille avait une voix « soufflée » et hors norme que la mère a mise sur le fait que sa fille avait consommé trop d’alcool.

[80] Quant au fait que la mère rapporte qu’il était inhabituel pour elle de recevoir des appels téléphoniques de sa fille, l’accusé avance une explication qui semble plausible : ils venaient tous deux d’avoir une conversation sur la perte, par l’accusé, de ses parents et du fait que la plaignante était chanceuse que les siens soient encore en vie.

[81]           Le juge analyse aussi un autre élément de la preuve circonstancielle du ministère public, soit l’appel téléphonique de la plaignante à son père. Le juge conclut que cette preuve renforce la crédibilité du témoignage de l’intimé quant au déroulement des évènements survenus à Magog[78] :

[81] Le fait que la plaignante mentionne avoir téléphoné à son père, dans la même période, sans pouvoir s’en rappeler de façon claire est également pertinent et rend la version de l’accusé crédible.

[82]           Quant aux autres éléments de la preuve circonstancielle invoqués par le ministère public, ils sont tous abordés par le juge de première instance, et ce, tant dans sa description du contexte de l’affaire[79], que lors de son analyse des circonstances dans lesquelles le rapport sexuel survenu à Bonsecours s’est déroulé[80]. Il est manifeste que le juge avait aussi ces éléments de preuve à l’esprit dans son analyse des circonstances du rapport sexuel survenu à Magog.

[83]           Notons que le juge du procès n’a pas à traiter de chacun des éléments de la preuve circonstancielle dans l’ordre que voudrait le ministère public ni n’est-il obligé de consigner dans ses motifs chacun de ces éléments et l’appréciation qu’il en a faite. Dans la mesure où les motifs du juge permettent de conclure qu’il avait l’ensemble de la preuve pertinente à l’esprit lorsqu’il a prononcé l’acquittement, l’appel du ministère public doit alors échouer[81] :

[31] […] Il est erroné d’appliquer le principe établi dans Morin chaque fois que le juge du procès ne traite pas de chacun des éléments de preuve ou ne consigne pas chacun d’eux et l’appréciation qu’il en a faite.  Comme le juge Sopinka l’a souligné à la p. 296 de l’arrêt Morin (1992) : « Le juge du procès doit examiner tous les éléments de preuve qui se rapportent à la question ultime à trancher, mais à moins que les motifs démontrent que cela n’a pas été fait, l’omission de consigner que cet examen a été fait ne permet pas de conclure qu’une erreur de droit a été commise à cet égard. »  C’est le motif sur lequel s’est fondée la Cour d’appel pour intervenir, mais, comme je l’ai déjà dit, une interprétation juste des motifs du juge du procès n’étaie pas ce constat d’erreur de droit.

[32] Le juge du procès n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve qu’il a examinés ou d’expliquer en détail l’appréciation qu’il a faite de chacun d’eux.  Comme l’a souligné le juge Binnie dans Walker, « [l]es motifs sont suffisants s’ils répondent aux questions en litige et aux principaux arguments des parties.  Leur suffisance doit être mesurée non pas dans l’abstrait, mais d’après la réponse qu’ils apportent aux éléments essentiels du litige » (par. 20).  L’arrêt Walker établit aussi clairement que le caractère suffisant des motifs du juge du procès est fonction des moyens limités permettant au ministère public de faire appel d’un acquittement (par. 2 et 22).  Comme l’a dit succinctement le juge Binnie, « [i]l faut prendre garde de ne pas s’arrêter aux lacunes apparentes des motifs formulés par le juge du procès lors de l’acquittement pour créer un motif d’acquittement déraisonnable, verdict que le tribunal ne peut prononcer en vertu du Code criminel » (par. 2).

[Soulignement ajouté]

[84]           Ainsi, lorsque le juge du procès énonce que le témoignage de l’intimé est probant quant au consentement au rapport sexuel survenu à Magog[82], il tire cette conclusion après avoir considéré l’ensemble de la preuve, y compris à la lumière du témoignage de la plaignante.

[85]           En conclusion, le juge du procès a effectivement considéré l’ensemble de la preuve en ce qui concerne les circonstances entourant le rapport sexuel survenu à Magog et en a conclu qu’il croyait le témoignage de l’intimé. Ce témoignage lui permettant de conclure que le ministère public ne s’était pas déchargé de son fardeau quant à l’absence de consentement.

[86]           Il m’apparaît utile de citer à cet égard les propos du juge Cromwell dans R. c. J.M.H.[83] :

[25] Il est reconnu depuis longtemps qu’une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit : Schuldt c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 592, p. 604.  Il ne découle toutefois pas de ce principe qu’un acquittement peut être annulé parce qu’il n’est pas appuyé par la preuve.  En l’absence de quelque fait ou élément à l’égard duquel le fardeau de preuve incombe à l’accusé, un acquittement est non pas une conclusion de fait, mais une conclusion qu’il n’a pas été satisfait à la norme de persuasion hors de tout doute raisonnable.  Qui plus est, comme l’a souligné la Cour dans R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, au par. 39, un doute raisonnable doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve.  Le juge en avise à juste titre les jurés et leur dit qu’ils peuvent accepter une partie ou l’ensemble de la déposition d’un témoin ou la rejeter entièrement : Lifchus, par. 30 et 36; Conseil canadien de la magistrature, Modèles de directives au jury, partie III, Directives finales, 9.4 Évaluation de la preuve (en ligne).

[26]  La règle selon laquelle une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit ne s’applique généralement pas à l’acquittement fondé sur un doute raisonnable.  Comme l’a dit le juge Binnie au par. 22 de l’arrêt R. c. Walker, 2008 CSC 34, [2008] 2 R.C.S. 245 :

La différence majeure entre la position du ministère public et celle de l’accusé dans un procès criminel tient à ce que, bien sûr, l’accusé jouit de la présomption d’innocence. [. . .] [T]andis que l’accusé ne peut être déclaré coupable que si la poursuite établit chacun des éléments factuels de l’infraction audelà de tout doute raisonnable, cette exigence ne s’applique pas à un acquittement qui, contrairement à une condamnation, peut reposer simplement sur l’absence de preuve.  [Italiques omis.]

[27] Notre Cour l’a dit très clairement dans R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 33 : « . . . la notion d’“acquittement déraisonnable” est incompatible, en droit, avec la présomption d’innocence et l’obligation qu’a la poursuite de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable. »

[Soulignement ajouté]

[87]           Ainsi, la règle qu’une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit ne s’applique généralement pas à l’acquittement fondé sur un doute raisonnable, puisqu’il s’agirait alors d’introduire dans notre droit le concept « d’acquittement déraisonnable », laquelle est incompatible avec les principes fondamentaux de notre droit criminel. Ce principe s’applique avec encore plus de force lorsque, comme ici, le juge du procès conclut que le témoignage de l’accusé est tout à fait crédible, qu’il croit l’accusé, et qu’il retient ce témoignage dans son entièreté.

[88]           Conclure autrement, c’est non seulement introduire dans notre droit le concept de « l’acquittement déraisonnable », mais c’est aussi écarter la démarche analytique bien connue et énoncée dans R. c. W.(D.)[84], laquelle a été confirmée et réitérée par les tribunaux canadiens dans des milliers de jugements, de sorte qu’elle fait partie intégrante du droit criminel canadien : 1) si le décideur des faits (en l’occurrence le juge du procès) croit le témoignage de l’accusé, il doit prononcer l’acquittement; 2) même s’il ne croit pas le témoignage de l’accusé, mais qu’un doute raisonnable subsiste, il doit acquitter l’accusé; et 3) même si le témoignage de l’accusé ne soulève pas un doute raisonnable, il doit être convaincu, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité de l’accusé par le reste de la preuve qui est retenue.

[89]           Par ailleurs, le fardeau que doit satisfaire le ministère public lorsqu’il fait appel d’un verdict d’acquittement est énoncé dans l’arrêt Vézeau c. La Reine[85] et la jurisprudence qui y fait suite : le ministère public a l’obligation de convaincre la Cour « avec un degré raisonnable de certitude » que le verdict n’aurait pas été nécessairement le même[86], ou, autrement dit, que l’erreur de droit « pourrait avoir eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement »[87]. Ainsi, un accusé qui a déjà été acquitté une fois ne devrait pas subir un nouveau procès, à moins que l’erreur qui entache le premier procès était telle qu’il y a un degré raisonnable de certitude qu’elle a bien pu influer sur le résultat[88].

[90]           Ici, à la lecture du jugement dans son ensemble, il ressort clairement que le juge a conclu que le témoignage de l’intimé était crédible, qu’il a cru l’intimé et qu’il a retenu son témoignage dans son entièreté. Il est indubitable que ce témoignage a soulevé un doute raisonnable dans l’esprit du juge quant à sa culpabilité. Que la preuve retenue par le juge permette de conclure à un doute raisonnable quant à l’absence de consentement de la plaignante au rapport sexuel survenu à Magog ou, plutôt, permette de conclure à une croyance erronée, mais sincère, de l’intimé quant au consentement de la plaignante lors de ce rapport sexuel[89], le verdict serait le même, soit l’acquittement.

[91]           Cela suffit pour disposer de l’appel.

[92]           Il y a cependant lieu d’expliquer pourquoi je suis d’avis qu’une ordonnance pour un nouveau procès, tel que le suggère mon collègue le juge Bachand, ne peut pas et ne devrait pas être émise par la Cour.

Une ordonnance pour un nouveau procès est contre-indiqué en l’espèce

[93]           Comme je le signalais dans mes remarques préliminaires, j’ai des réserves quant à la validité d’un appel du ministère public à l’égard d’évènements qui ne font pas partie de l’acte d’accusation, alors que l’accusé fut acquitté de l’infraction directement visée par l’acte d’accusation et que le ministère public ne conteste pas en appel les conclusions du juge du procès à cet égard. Il est vrai que, lors du procès, l’intimé ne s’est pas objecté à la preuve des évènements survenus à Magog. Cela étant, comme je l’ai déjà noté, il n’était pas clair au procès si cette preuve servait à établir le contexte des évènements survenus à Bonsecours ou servait plutôt à établir la culpabilité de l’intimé à une infraction distincte.

[94]           Quoi qu’il en soit, ces réserves deviennent pour moi une certitude lorsqu’il s’agit d’ordonner un nouveau procès. En effet, une telle ordonnance a pour effet de mettre en péril la liberté de l’intimé à l’égard d’une infraction pour laquelle il a été acquitté, soit d’avoir agressé sexuellement la plaignante à Bonsecours. Comme le note avec raison l’intimé dans son mémoire d’appel[90], cela est contraire aux principes fondamentaux du droit criminel canadien et contrevient à l’alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés interdisant de juger à nouveau un accusé pour une infraction dont il été définitivement acquitté.

[95]           En effet, dans ce dossier, le ministère public ne remet pas en question les conclusions du juge en regard de l’infraction d’agression sexuelle survenue à Bonsecours et l’acquittement de l’intimé à cet égard. Cependant, s’appuyant sur l’arrêt R. c. Cowan[91], le ministère public soutient qu’un nouveau procès doit être ordonné à la fois sur les évènements survenus à Magog et ceux survenus à Bonsecours, et ce, même si le juge du procès a acquitté l’intimé de l’infraction d’agression sexuelle en lien avec ces derniers évènements et même si les conclusions du juge à cet égard ne sont plus contestées en appel[92].

[96]           Dans R. c. Cowan[93], le juge Moldaver, écrivant pour la majorité, conclut que les cours d’appel « ne disposent pas du pouvoir de limiter la portée d’un nouveau procès à une thèse particulière en matière de responsabilité relativement à une seule accusation criminelle »[94]. Or, ces propos du juge Moldaver doivent être compris comme se rapportant aux diverses façons de commettre la même infraction, et non pas, comme en l’espèce, lorsqu’il s’agit de deux infractions distinctes reposant sur des évènements distincts.

[97]           Comme le note le juge Moldaver, les dispositions concernant la responsabilité des participants en cause dans l’affaire R. c. Cowan « ne créent pas deux infractions distinctes; elles décrivent plutôt différentes façons de commettre la même infraction »[95]. Cela lui permet de conclure que la Cour d’appel de la Saskatchewan a erré « en traitant les modes de perpétration d’une infraction comme s’ils constituaient des verdicts distincts en soi, pouvant être dissociés »[96]. Le juge Moldaver ajoute cependant que lorsqu’il s’agit d’infractions distinctes, telle une infraction moindre et incluse, une cour d’appel peut alors limiter la portée du nouveau procès[97].

[98]           Ainsi, contrairement au ministère public, je ne lis pas l’arrêt R. c. Cowan comme obligeant la Cour, dans les circonstances du présent dossier, d’ordonner un nouveau procès à la fois sur l’infraction alléguée d’agression sexuelle survenue à Magog et sur l’infraction alléguée d’agression sexuelle survenue à Bonsecours. En effet, il s’agit de deux infractions distinctes reposant sur des évènements distincts.

[99]           Par ailleurs, la Cour est liée par l’acte d’accusation, lequel vise l’infraction alléguée d’agression sexuelle survenue à Bonsecours pour laquelle l’intimé a été acquitté, un acquittement que ne conteste pas le ministère public. La Cour ne peut ordonner un nouveau procès qu’à l’égard de l’acte d’accusation tel qu’il se présente à elle. Or, comme je l’ai déjà noté, une telle ordonnance serait contraire aux principes fondamentaux du droit criminel, repris à l’alinéa 11 h) de la Charte canadienne des droits et libertés, interdisant de juger à nouveau un accusé pour une infraction dont il été définitivement acquitté.

[100]      Contrairement à ce que suggère mon collègue, la Cour ne saurait non plus amender l’acte d’accusation de son propre chef afin d’y ajouter une nouvelle accusation à l’égard d’une infraction d’agression sexuelle survenue à Magog et ordonner un nouveau procès restreint à cette accusation, ce que ne demande d’ailleurs pas le ministère public, ce dernier choisissant plutôt de s’appuyer sur l’arrêt R. c. Cowan afin de requérir un nouveau procès à l’égard des deux évènements distincts.

[101]      Comme l’écrit le juge Cory dans l’arrêt R. c. Tremblay, même si le formaliste d’antan a fléchi et même si les tribunaux ont désormais des pouvoirs étendus en matière de modification, « le fait pour une cour d’appel de modifier substantiellement l’acte d’accusation et de prononcer une déclaration de culpabilité à partir de l’acte d’accusation ainsi modifié, constitue une mesure exceptionnelle »[98]. Ces propos s’appliquent tout autant lorsqu’il s’agit d’ordonner un nouveau procès, surtout lorsque l’accusé a été acquitté lors du premier procès.

[102]      En effet, bien que la Cour détienne le pouvoir de modifier un acte d’accusation[99], le problème qui se pose en l'espèce n'est pas celui d'une modification, mais de la création d'un nouvel acte d'accusation contenant un chef d’accusation distinct[100]. Même si la Cour venait à amender le seul chef d'accusation existant en y apposant une mention quant au rapport sexuel survenu à Magog – ce qu’elle ne saurait faire vu le paragraphe 581(1) C.cr.[101], le problème serait toujours le même, soit qu'en raison de l'existence d'un seul chef d'accusation à l’acte d’accusation, un nouveau procès porterait sur deux événements, dont un pour lequel l'accusé a été définitivement acquitté.

[103]      Pour ordonner un nouveau procès à l’égard d’une infraction sexuelle alléguée quant au rapport sexuel survenu à Magog, il faudrait que la Cour soit capable de créer un nouvel acte d'accusation concernant un chef d’accusation distinct visant ce rapport sexuel. Or, selon moi, la Cour n’a pas ce pouvoir.

CONCLUSION

[104]      Pour ces motifs, je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter l’appel.

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 


[1] R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63.

[*] [TRADUCTION] « En l’absence de preuve d’expert, une perte de mémoire ou un black-out n’est la preuve directe de rien, sauf de l’impossibilité du témoin à témoigner à propos de ce qui s’est passé pendant une certaine période. (...) Par conséquent, la seule importance que revêt la perte de mémoire, à elle seule, est que le témoignage de la plaignante ne saurait constituer une preuve directe quant à la question de savoir si elle a consenti au rapport sexuel ou si elle avait la capacité de le faire. »

[2] Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, 2017, p. 68-69; Daniel Brown et Jill Witkin, Prosecuting and Defending Sexual Offence Cases, 2e éd., Edmond, Toronto, 2020, p. 398-399.

[3] R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330. Voir aussi : R. c. Barton, 2019 CSC 33, paragr. 89; R. c. Kirkpatrick, 2022 CSC 33, paragr. 28.

[4] Supra, paragr. 8.

[5] R. v. J.R., 2006 CanLII 22658 (jugement confirmé par la Cour d’appel : R. v. J.R., 2008 ONCA 200 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée, 31 juillet 2008, no 32644)), paragr. 18.

[6] Id., paragr. 20 : « This does not mean that evidence of memory loss or a blackout is unimportant, irrelevant or necessarily lacking in probative value. It may well be circumstantial evidence which, when considered with other evidence in a case, may permit inferences to be drawn about whether or not a complainant did or did not consent or whether she was or was not capable of consenting at the relevant time. » / [TRADUCTION] « Cela ne signifie pas pour autant que la preuve d’une perte de mémoire ou d’un black-out ne revêt aucune importance ou pertinence ou qu’elle est nécessairement dépourvue de toute valeur probante. Il pourrait fort bien s’agir d’un élément de preuve circonstancielle qui, combiné aux autres éléments de preuve, peut permettre de tirer des inférences quant à la question de savoir si oui ou non la plaignante a consenti ou si elle était capable de le faire au moment des faits. »

[7] Id., paragr. 31-39.

[8] Voir également, en ce sens : R. v. Al-Rawi, 2018 NSCA 10, paragr. 69-74 et 94-95; R. v. Capewell, 2020 BCCA 82 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 13 août 2020, no 39161), paragr. 48-50 et 73.

[9] R. c. James, 2014 CSC 5.

[10] R. c. Kishayinew, 2020 CSC 34.

[11] Id., paragr. 1.

[12]Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, 2017, p. 85-86. Sur cette question, voir aussi R. v. Garciacruz, 2015 ONCA 27, paragr. 69 : « In the absence of direct evidence on the issue of consent, a court can draw inferences from a complainant’s pre-existing attitudes and assumptions regarding the period during which she has no recollection. In appropriate cases, the court can conclude that the complainant must have been incapable of consenting at the time of the sexual interaction because, had she been capable of consenting, she clearly would have refused to consent. This type of inference would support the trial judge’s finding of that the complainant was asleep and incapable of consenting. » / [TRADUCTION] « En l’absence de preuve directe sur la question du consentement, un juge peut tirer des inférences à partir de comportements préexistants de la plaignante et des hypothèses de cette dernière relativement à la période dont elle n’a aucun souvenir. Dans les cas qui s’y prêtent, le tribunal peut conclure que la plaignante devait être incapable de consentir au moment du rapport sexuel parce que, si elle avait été en mesure de consentir, elle aurait de toute évidence refuser de le faire. Ce type d’inférence appuierait la conclusion du juge du procès selon laquelle la plaignante était endormie et incapable de consentir. »

[13] Jugement entrepris, paragr. 90.

[14] Jugement entrepris, paragr. 62.

[15] A.A., paragr. 28.

[16] Jugement entrepris, paragr. 121.

[17] Voir aussi, au même effet : R. v. Al-Rawi, 2018 NSCA 10, paragr. 100-102.

[18] R. c. Cowan, 2021 CSC 45, paragr. 46.

[19] R. c. Graveline, 2006 CSC 16, paragr. 14.

[20] Bien que l’acte d’accusation fasse seulement état d’une agression sexuelle commise à Bonsecours, l’intimé a reconnu, tant dans son mémoire (A.I., paragr. 30) qu’à l’audience du 28 novembre dernier, que les parties avaient toujours tenu pour acquis que ce chef visait tant les événements de Magog que ceux de Bonsecours. Dans les circonstances, et soit dit avec beaucoup d’égards, je ne partage pas les préoccupations de mon collègue quant au fait que le présent pourvoi viserait des événements ne faisant pas partie de l’acte d’accusation (infra, paragr. 93 et s.).

[21] R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535, paragr. 22 [soulignement dans l’original]. Voir aussi : R. c. R.V., 2021 CSC 10, paragr. 43  L’alinéa 686(4)b) du Code prévoit que, lorsqu’une cour d’appel admet l’appel d’un acquittement prononcé par un jury, elle ordonne un nouveau procès. En général, toutes les accusations qui sont interreliées devraient être renvoyées pour faire l’objet d’une nouvelle instruction »); M.D. c. R., 2022 QCCA 915, paragr. 108 (« [n]ormalement, un nouveau procès est un nouveau procès complet »).

[22] Plus exactement, la question est de savoir si un constat d’incapacité continue de la plaignante aurait pu conduire le juge à rejeter le témoignage de l’intimé dans son ensemble et à rejeter la défense de croyance sincère mais erronée soulevée par ce dernier relativement à la relation sexuelle survenue à Bonsecours.

[23] A.A., paragr. 2.

[24] R. c. Cowan, 2021 CSC 45.

[25] Voir notamment R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, paragr. 36 et s. Voir aussi R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 24, p. 257 : « [i]l est de la plus haute importance qu'une instance criminelle ait un caractère définitif ».

[26] R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, paragr. 47.

[27] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11. La question du lien entre le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’article 11h) de la Charte est épineuse. Voir à ce sujet Steve Coughlan and Robert J. Currie, « Sections 9, 10 and 11 of the Canadian Charter », (2013) 62 S.C.L.R. 143, p. 221.

[28] Sur une telle façon de procéder, voir notamment R. c. R.V., 2021 CSC 10, paragr. 44.

[29]  R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63.

[30]  Argumentation dans le mémoire de la partie appelante, par. 33.

[31]  Id., par. 51-52.

[32]  Id., par. 56.

[33]  R. c. Cowan, 2021 CSC 45, par. 7.

[34]  R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63, par. 24-28.

[35]  Id., par. 29-56.

[36]  Id., par. 67-74 et 98-122.

[37]  Id., par.49-50.

[38]  Id., par. 57.

[39]  Id., par. 12-13.

[40]  Id., par. 65 et 67.

[41]  Id., par. 83.

[42]  Id., par. 68-74 et 78.

[43]  Id., par. 79-81.

[44]  Id., par. 82.

[45]  Id., par. 83-84.

[46]  Id., par. 86-87 et 89-96.

[47]  Id., par. 98-104 et 121-124.

[48]  Id., par. 105-119.

[49]  R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742. Le juge du procès traite de cet arrêt aux par. 129 à 131 de ses motifs.

[51]  Id., par. 139.

[52]  Id., par. 149-150.

[53]  Argumentation dans le mémoire du ministère public, par. 39.

[54]  Id., par. 43.

[55]  Id., par. 44.

[56]  Alinéa 676(1)a) du Code criminel C.cr. »).

[58]  Transcription de l’interrogatoire de l’intimé lors de l’audition du 10 novembre 2021, p. 59, ligne 12 à p. 60, ligne 2 : « Q– … est-ce que vous avez, vous, personnellement, mis quelque chose cette soirée-là dans le verre de madame … R– Non, non, aucunement. Q– … E…? R– Non, jamais. Q– Pourquoi vous dites : « Non, jamais »? R– Bien, parce que j’ai de l’amour pour elle. J’ai de l’affection pour elle. Je ne ferai jamais quelque chose de terrible comme ça, c’est contre mes valeurs. C’est inacceptable. C’est dégueulasse. C’est la pire pourriture qui ferait ça sur terre. J’ai été militaire, démineur, médical, pompier, intervenant en DPJ, ce n’est pas moi. Ça n’a aucun sens, là, qu’on aille dans cette direction-là ».

[59]  Transcription de l’interrogatoire de la plaignante lors de l’audition du 13 octobre 2021, p. 54, lignes 5 à 17 : « R– […] Mais j’ai eu vraiment de la misère parce que, pour moi, Frédéric, ce n’est pas une mauvaise personne, puis, tu sais, je pense qu’on pourrait se soutenir, tu sais, justement parce qu’on était deux bonnes personnes qui avaient eu des vies pas faciles. Ça fait que je me sentais vraiment coupable de porter plainte parce que je le sais que je ne le savais pas exactement, tu sais, ce qui s’était passé exactement, tu sais. Mais ça, ces bouts-là, à un moment donné, il a fallu que j’accepte que, tu sais, je ne les aurai jamais. Ça fait que je me suis dit : je vais porter plainte et puis on verra »; Transcription du contre-interrogatoire de la plaignante lors de l’audition du 14 octobre 2021, p. 138, lignes 8 à 18 : « Q– O.K. Et j’ai raison de dire qu’on vous a également posé la question à savoir s’il y avait eu ingestion de drogue et d’alcool contre votre volonté? Vous vous souvenez de ça? R– Oui. Q– Et puis, à ce moment-là, vous êtes d’accord avec moi que vous avez répondu que vous ne le savez pas? R– Oui. Q– C’est exact? R– Oui ». Transcription du contre-interrogatoire de la plaignante lors de l’audition du 14 octobre 2021, p. 218, ligne 22 à p. 219, ligne 10 : « Q– Donc, ce que vous êtes en mesure de dire, parce que vous en avez parlé beaucoup, là, dans votre interrogatoire, mais ce que vous êtes en mesure de dire, c’est : « J’ai pris un verre de vin et un verre de gin… ». R– Oui. Q– … et je me suis sentie... », comme vous l’avez décrit, c’est exact? R– Oui. Q– C’est ce que vous affirmez, mais vous ne pouvez pas dire que c’est relié à de la drogue quelconque? R– Non. C’était un doute. C’est justement. Q– O.K. ».

[60]  Transcription des plaidoiries de la procureure du ministère public lors de l’audition du 11 novembre 2021, p. 60, lignes 9-17 : « Cependant, l’origine de son intoxication, Monsieur le Juge, que ce soit l’intoxication volontaire, que ce soit sa médication qui a joué un rôle, elle n’importe pas, pas dans la théorie de la Poursuite. Ce qui importe, c’est le degré d’intoxication qu’elle a atteint et ce degré-là, tout converge vers la conclusion qu’il était extrême ».

[61]  Transcription du contre-interrogatoire de la plaignante lors de l’audition du 14 octobre 2021, p. 220, ligne 24 à p. 221, ligne 16; Transcription des plaidoiries de l’avocate de la défense lors de l’audition du 11 novembre 2021, p. 54, lignes 10 à 17.

[64]  Transcription de l’interrogatoire de l’intimé lors de l’audition du 10 novembre 2021, p. 29, ligne 21 à p. 60, ligne 14. Le juge du procès retient ce témoignage : R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63, par. 119 et 132.

[65]  R. c. G.F., 2021 CSC 20, par. 65.

[66]  Transcription des plaidoiries de l’avocate de la défense lors de l’audition du 11 novembre 2021, p. 16, lignes 9-18.

[67]  Transcription du contre-interrogatoire de la plaignante lors de l’audition du 13 octobre 2021, p. 94, lignes 6 à 26.

[68]  R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63, par. 77.

[69]  R. v. J.R., 2006 CanLII 22658 (ON SC), par. 18-20. Ces propos sont repris en d’autres mots par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans R. v. Kishayinew, 2019 SKCA 127, par. 74-75, conf. R. c. Kishayinew, 2020 CSC 34, [2020] 3 R.C.S. 502.

[70]  R. v. J.R., 2006 CanLII 22658 (ON SC), par. 19.

[71]  Id., par. 20. Voir aussi, notamment, Touchette c. R., 2016 QCCA 460, par. 39; R. c. Dumont, 2020 QCCA 728, par. 33.

[72]  R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, par. 29.

[73]  R. v. Capewell, 2020 BCCA 82, par. 29; R. v.Tubongbanua, 2022 ONCA 601, par. 3; R. v. Al-Rawi, 2018 NSCA 10, par. 76. C’est aussi le cas dans l’affaire James sur laquelle s’appuie mon collègue puisque, bien que l'accusé ait témoigné, il n’a pas témoigné que la plaignante avait consenti à des rapports sexuels : R. c. James, 2014 CSC 5, [2014] 1 R.C.S. 80, par. 3.

[74]  R. v. Kishnayinew, 2020 CSC 34, qui doit être lu avec R. v. Kishnayinew, 2017 SKQB 177, par. 93; R. v. Garciacruz, 2015 ONCA 27, par. 1; Touchette c. R., 2016 QCCA 460, par. 16; R. v. J.R., [2006] OTC 614, 2006 CanLII 22658 (ON SC), par. 23.

[75]  R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par. 8; R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. 746, par. 10.

[76]  Art. 676(1)a) C.cr.

[77]  R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63, par. 79-80.

[78]  Id., par. 81.

[79]  Id., par. 31-49.

[80]  Id., par.  91-94, 98-117 et 148.

[81]  R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 31-32.

[82]  R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63, par. 83.

[83]  R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 25-27.

[84]  R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

[85]  Vézeau c. R., [1977] 2 R.C.S. 277, p. 292.

[86]  R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374.

[87]  R. c. Cowan, 2021 CSC 45, par. 46.

[88]  R. c. Graveline, [2006] 1 R.C.S. 609, 2006 CSC 16, par. 13-16; R. c. Sutton, [2000] 2 R.C.S. 595, 2000 CSC 50, par. 2.

[89]  Voir en particulier R. c. Rioux, 2022 QCCQ 63, par. 67 à 74.

[90]  Argumentation dans le mémoire de l’intimé, par. 30.

[91]  R. c. Cowan, 2021 CSC 45.

[92]  Argumentation dans le mémoire du ministère public, par. 56.

[93]  R. c. Cowan, 2021 CSC 45, par. 7.

[94]  R. c. Cowan, 2021 CSC 45, par. 7.

[95]  Id., par. 61, soulignement ajouté.

[96]  Id., par. 61, soulignement ajouté.

[97]  Id., par. 66. Voir aussi par analogie : Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356; Rickard c. La Reine, [1970] R.C.S. 1022.

[98]  R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932, p. 956-957.

[99]  Alinéa 683(1)g) C.cr.; R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932; R. c. J.B., 2019 QCCA 761.

[100]  Voir paragraphes 591(1) et (2) C.cr.

[101]  Le paragraphe 581(1) C.cr. stipule que chaque chef dans un acte d’accusation s’applique, en général, qu’à une seule affaire.

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