Korniakov c. Coopérative d'habitation Les Ormes de Goyer | 2025 QCTAL 13559 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 812838 31 20240731 T | No demande : | 4645523 |
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Date : | 16 avril 2025 |
Devant la juge administrative : | Luce De Palma |
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Pavel Korniakov | |
Locataire - Partie demanderesse |
c. |
Coopérative d'habitation Les ormes de Goyer | |
Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Par une demande du 4 mars 2025, le locataire demande la rétractation de la décision rendue le 14 février 2025 et résiliant son bail pour de fréquents retards dans le paiement du loyer.
- Il a pris connaissance de cette décision le ou vers le 24 février, relate-t-il, sans plus de précisions.
- Le locataire invoque maintenant les termes de l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (L.T.A.L), lequel se lit ainsi :
« 89 : Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.
La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.
Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »
- De plus, l’article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement (RPTAL) indique ceci :
« 44 : La demande de rétractation d’une décision doit contenir non seulement les motifs qui la justifient mais, si elle est produite par le défendeur à la demande originaire, elle doit également contenir les moyens sommaires de défense à la demande originaire. »
- Pour sa part, le représentant de la locatrice demande non seulement le rejet de cette demande de rétractation, mais également d’interdire au locataire de déposer de nouveau une telle demande dans le présent dossier.
- Notons d’abord que la décision dont il est ici demandé rétractation fait suite à une audience lors de laquelle toutes les parties étaient présentes.
- Par cette décision, un premier juge administratif retenait qu’une situation de fréquents retards dans le paiement du loyer avait cours, constatant que le loyer exigible chaque 1er jour du mois était payé au moyen de montants inégaux et remis à différents moments. Cette façon de faire a causé un préjudice sérieux à la locatrice, concluait-il.
- Aux termes de sa demande de rétractation, le locataire n’allègue aucun motif particulier, note la soussignée.
- En cours d’audience, il demande finalement le report de celle-ci, expliquant qu’il lui sera nécessaire d’obtenir l’enregistrement de l’audience antérieure, lequel ne pourra lui être remis que le 22 avril prochain par le Tribunal administratif du logement (le TAL).
- Interrogé quant à la date de sa requête afin d’obtenir cet enregistrement, il ne peut l’identifier.
- Par ailleurs, aucune demande d’obtention d’un tel enregistrement n’apparaît au dossier du TAL, de sorte que tout porte à croire que telle demande n’a toujours pas été formulée, à ce jour, soit plus de deux mois après la tenue de cette audience.
- Quant à la pertinence de cette requête projetée, eu égard au présent recours, il avance que la locatrice aurait commis un mépris de cour, affirmant qu’elle se serait parjurée lors de l’audience tenue devant le premier juge administratif, sans plus et sans alléguer la découverte d’une nouvelle preuve.
- Cela étant, réitérons que le locataire était présent devant le premier juge et qu’il se devait de réagir sur le champ advenant le constat immédiat d’un parjure, soit lors de la présentation des éléments de preuve devant servir de base à la décision de ce dernier.
- Le locataire devait donc aviser ce juge de tout élément qui lui apparaissait faux, ou qui aurait requis une preuve additionnelle, le cas échéant, alors qu’une fois la décision rendue, il ne peut, par le biais de la présente demande, contredire, expliquer ou circonstancier les faits.
- Partant, le Tribunal juge que la demande de remise pour déposer l’enregistrement de l’audience du 16 janvier 2025 n’est pas justifiée.
- Ce parjure n’a pas non plus été indiqué à la demande de rétractation du 4 mars dernier et a semblé d’autant plus improvisé que la demande pour l’obtention de cet enregistrement n’a pas même été formellement exprimée à l’administration du TAL, réitère le Tribunal.
- Le locataire n’avance aucun autre motif permettant la rétractation de la première décision.
- En termes de moyens de défense, il indique que la coopérative est « corrompue » et qu’elle agit en violation de la loi sur l’immigration.
- De son côté, la locatrice s’oppose vivement à la rétractation de la décision du 14 février 2025.
- Elle remet en cause la crédibilité du locataire, lequel n’a pu témoigner avec certitude de la date à laquelle il avait pris connaissance de cette décision, tout en soulignant que la présente demande ne lui a pas été notifiée, bien qu’elle renonce à toute remise de la cause.
- Hormis la question du délai d’introduction de sa demande, elle fait valoir que le locataire souhaite en fait une reprise de la première audience, espérant une issue différente de l’affaire.
- De plus, ce dernier avance des moyens de défense qui ne sont pas recevables, à leur face même, dans le cadre d’une demande de résiliation de bail pour de fréquents retards dans le paiement du loyer.
- Pour elle, clairement, la présente procédure n’est pas justifiée et ne vise qu’à retarder l’exécution de la décision rendue le 14 février. Elle demande donc que le locataire se voit interdire le droit de déposer toute nouvelle demande dans le présent dossier, en vertu de l’article 63.2 LTAL.
- Ainsi se résume l'essentiel de la preuve.
- À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :
« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle([1]). »
- Notons que les motifs de rétractation ne doivent pas être confondus avec des motifs d'appel. La doctrine et la jurisprudence unanime de ce Tribunal précisent que la demande en rétractation ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision rendue. Le Tribunal, siégeant en rétractation, n'a pas à juger de la légalité ou de la justesse de la décision rendue ou du déroulement de l'instance, mais doit plutôt s'interroger sur l'application de l'article 89 LTAL et chercher à déterminer si la partie qui en fait la demande a pu démontrer un des motifs prévus à cette disposition.
- À l’instar de la partie locatrice, réitérons que la demande en rétractation ne peut servir non plus de prétexte à une partie pour recommencer une audition, soit parce qu'elle est insatisfaite de la décision rendue ou parce qu'elle est insatisfaite de la façon dont elle a présenté sa preuve.
- Les parties convoquées à une audience doivent s'y préparer adéquatement. Elles doivent réviser leur dossier, les procédures, les éléments de preuve qu'elles entendent invoquer et les règles applicables au déroulement de l'audience.([2]
- Compte tenu de ces enseignements, le locataire, au final, n’a pu établir aucun motif de rétractation de la décision du 14 février dernier.
- Par ailleurs, la défense alléguée est d’ores et déjà vouée à l’échec, la corruption que le locataire perçoit au sein de la coopérative, et les actes malveillants dont il se dit victime de la part de ses dirigeants, ne peuvent lui être de quelque secours devant une preuve claire de retards de paiements.
- Dans l'affaire Charbonneau c. St-Laurent([3]), la juge administrative Gravel mentionnait ce qui suit :
« On constate qu'un défendeur doit également prouver avoir un moyen de défense valable à faire valoir à l'encontre de la demande originaire. Dans l'éventualité où les moyens de défense invoqués sont voués à l'échec, il serait dès lors inutile de permettre la rétractation. »
- En ce qui a trait à la demande de limitation procédurale formulée par la locatrice, l’article 63.2 LTAL se lit ainsi :
« 63.2 : Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.
Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.
Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »
- Par ailleurs, la Cour du Québec, sous la plume du juge Dortelus, s'exprimait ainsi dans le dossier Quarré c. Gestion MRC inc. :
« [41] Déclarer un justiciable forclos de présenter une demande devant un tribunal, est un remède extrême qui ne doit être utilisé qu'avec grande circonspection et rigueur, vu ses conséquences graves sur les droits du justiciable qui est tenu de ne pas les exercer de manière abusive.
[...]
[51] Selon les principes bien établis par la jurisprudence, on ne doit pas restreindre l'accès à un tribunal à un justiciable sauf en présence d'une situation manifeste d'abus, ce qui est loin d'être le cas en l'espèce. »([4])
- Après analyse des faits présentés par la locatrice, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu de prononcer de limitation procédurale à l'égard du locataire. Ce dernier a introduit le mauvais recours pour contester la décision, certes, mais cela ne signifie pas qu'il soit de mauvaise foi ou qu'il abuse des procédures, s'agissant toute de même d'une première demande de rétractation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE la demande de remise du locataire;
- REJETTE la demande de rétractation;
- REJETTE la demande de limitation procédurale.
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| Luce De Palma |
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Présence(s) : | le locataire Me Marc Poirier, avocat de la locatrice |
Date de l’audience : | 25 mars 2025 |
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