Guessous c. Austin |
2012 QCRDL 14947 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No : |
31 111124 110 G |
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Date : |
26 avril 2012 |
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Régisseure : |
Jocelyne Gravel, juge administratif |
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Saad Guessous |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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James Austin |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande l’autorisation de reprendre le logement à compter du 1er juin 2012 afin de s’y loger. Un avis a été transmis en ce sens au locataire le 9 novembre 2011 et le 11 novembre 2011 ce dernier refusait de quitter d’où la présente demande déposée le 24 novembre 2011.
[2] Les parties sont liées par bail du 1er juin 2011 au 31 mai 2012 pour la location d’un trois pièces situé au dernier étage d’un immeuble comportant six unités d’habitation. Le locateur est également copropriétaire d’un autre condo situé au 1225 Notre-Dame Ouest, appartement 404 à Montréal. Ce condo serait cependant occupé par l’ex-conjointe de ce dernier.
[3] Le locateur explique être toujours copropriétaire du condo occupé par son ex-conjointe, car cette dernière n’ayant pu se qualifier seule pour le prêt hypothécaire. Le courtier hypothécaire, Jonathan Gagnon confirmera la version du locateur sur cette question.
[4] Ce témoin a procédé aux financements des différentes propriétés du locateur. Le témoin n’a pu cependant préciser le montant du dernier prêt hypothécaire obtenu pour son client. Il explique que la séparation du couple aurait motivé la vente d’un condo situé sur la rue Hadley. Après ils ont fait l’achat conjoint de deux condos afin de faciliter l’obtention des prêts hypothécaires. Sitôt le prêt obtenu, le but aurait été de devenir chacun unique propriétaire de leur condo respectif en assumant chacun la part d’hypothèque de l’autre. L’opération aurait seulement réussi au locateur et non pas à son ex-conjointe.
[5] Il est utile de faire l’historique des acquisitions d’immeubles impliquant le locateur depuis mai 2009.
[6] Le 15 mai 2009, le locateur et sa conjointe achètent un condo situé au 4951 rue Ontario Est, suite 132 à Montréal au prix de 208 000 $. Cet acte indique que le couple réside à la même adresse. Ils déclarent de plus être mariés sous le régime de la société d’acquêts et que ni leur état ni leur régime matrimonial n’ont été modifiés ni ne sont sur le point de l’être.
[7] Cet immeuble sera vendu le 18 mars 2010 au prix de 206 000 $. Cet acte indique que le couple réside à la même adresse. Ils déclarent de plus être mariés sous le régime de la société d’acquêts et que ni leur état ni leur régime matrimonial n’ont été modifiés ni ne sont sur le point de l’être.
[8] Le 22 mars 2010, le couple achète un condo situé au 5450 Hadley à Montréal au prix de 186 000 $. Cet acte indique que le couple réside à la même adresse, au 4951 rue Ontario, appartement 132 à Montréal. Ils déclarent de plus être mariés sous le régime de la société d’acquêts et que ni leur état ni leur régime matrimonial n’ont été modifiés ni ne sont sur le point de l’être.
[9] Le 4 mars 2011, le couple faisait l’acquisition du condo situé au 1661 Notre-Dame Ouest, appartement 303 à Montréal au prix de 171 000 $. Cet acte indique que le couple réside à la même adresse soit, au 5450 Hadley, à Montréal. Ils déclarent de plus être mariés sous le régime de la société d’acquêts et que ni leur état ni leur régime matrimonial n’ont été modifiés ni ne sont sur le point de l’être.
[10] Le 23 juin 2011, le couple achète un condo au 1225 Notre Dame Ouest, appartement 404 à Montréal au prix 227 500 $. Le couple déclare résider à la même adresse, soit au 5450 Hadley appartement 202 à Montréal. Ils déclarent de plus être mariés sous le régime de la société d’acquêts et que ni leur état ni leur régime matrimonial n’ont été modifiés ni ne sont sur le point de l’être.
[11] Le 26 septembre 2011, le couple vend le condo situé au 5450 Hadley, appartement 202 à Montréal. Le couple déclare résider à la même adresse. Ils déclarent de plus être mariés sous le régime de la société d’acquêts et que ni leur état ni leur régime matrimonial n’ont été modifiés ni ne sont sur le point de l’être.
[12] Le 3 novembre 2011, l’ex-conjointe du locateur lui cède ses droits dans le condo du 1661 Notre-Dame Ouest, appartement 303 à Montréal. À la clause intitulée Prix est inscrit : La présente cession est faite pour bonnes et valables considérations que le Cédant déclare avoir reçu dont quittance finale.
[13] Le locateur donne alors comme adresse le 966 Girouard à Montréal et son ex-conjointe le 1225 Notre Dame Ouest, appartement 404 à Montréal. Le locateur explique que cette cession s’est effectuée dans le cadre du partage informel des biens du couple lors du divorce prononcé le 30 août 2011.
[14] Parallèlement à la plupart de ces transactions immobilières où le couple déclare habiter ensemble, une demande en divorce était déposée le 3 septembre 2010. Dans la déclaration assermentée jointe à cette procédure, le locateur indique habiter au […] à Montréal. La conjointe quant à elle déclare habiter le […] à Le Gardeur depuis le 15 septembre 2009. Le jugement de divorce sera rendu le 30 août 2011. Il prendra effet le 30 septembre et le certificat sera délivré le 4 octobre 2011.
[15] Le locataire conteste la bonne foi de la reprise. Il est d’avis qu’elle constitue une mesure de représailles suite aux litiges l’opposant au locateur. En effet, le 2 juin 2011, la Régie du logement ordonnait entre autres au locateur d’exécuter plusieurs réparations au logement. Le 7 novembre 2011, le locateur recevait signification d’une autre procédure où le locataire lui réclame cette fois des dommages totaux de 7 000 $, dont 3 500 $ de dommages punitifs. Il y allègue que le locateur n’a pas respecté certaines ordonnances du tribunal l’enjoignant de faire des travaux au logement. Le locateur nie les allégations contenues à cette procédure toujours pendante. Il déclare être en mesure de se défendre efficacement face à ces allégations. À l’audience, les deux parties se disaient victime de harcèlement. C’est ce qui aurait incité le locateur à ne pas donner sa nouvelle adresse au locataire. Il indique que ce dernier pouvait facilement le contacter à son travail. Le locateur témoigne être d’avis que le bas prix obtenu pour le condo résulte des difficultés d’accès engendrés par le locataire auprès de son vendeur.
[16] Le locataire met en évidence la concomitance entre la réception de l’avis de reprise et la signification du dernier recours. En effet, il a reçu l’avis de reprise le lendemain de la signification au locateur de sa procédure judiciaire.
[17] Le locataire doute également que le locateur ait eu l’intention d’occuper le logement depuis l’achat du condo. Ce dernier ne lui aurait jamais mentionné ce désir. De plus, par courriel du 17 août 2011, le locateur lui promettait de changer le climatiseur du logement au début juin 2012. Le locataire est d’avis que ce fait est inconciliable avec une personne prévoyant reprendre le logement le 31 mai 2012.
[18] Finalement les déclarations contradictoires du locateur et de son ex-conjointe relativement aux adresses et procédures de divorce dans les différents documents légaux produits, entacheraient irrémédiablement sa crédibilité. On demande en conséquence au tribunal de rejeter la demande.
[19] Le locateur nie avoir fait des fausses déclarations aux actes notariés. Il explique que le divorce n’était toujours pas effectif. Il ne voyait donc pas l’importance de préciser les différentes adresses. Le locateur explique de plus, qu’une possible réconciliation du couple a fait en sorte qu’ils hésitaient à déclarer leur véritable lieu de résidence. Cette tentative de réconciliation expliquerait également l’achat commun du condo sur Hadley, où le couple aurait sporadiquement habité ensemble, mais non pas de façon maritale. Le locateur déclare qu’à cette époque, son ex-conjointe vivait la moitié du temps au condo et l’autre moitié chez ses parents. Le locateur quant à lui recevait son courrier à cette adresse et disposait toujours des clefs. Il considérait donc ce lieu comme son adresse principale.
[20] Il précisera qu’à compter de juin 2011, la séparation était complétée et que lui et son ex-épouse avaient chacun des nouveaux conjoints.
[21] Le locateur explique habiter présentement chez un ami, au 966 Girouard à Montréal. Depuis les derniers mois, il aurait également résidé temporairement à différentes adresses. Tantôt dans un condo inoccupé de ses ex-beaux-parents, chez un ex-beau-frère ou même à l’étranger.
Analyse
[22] Il appartient au locateur d’établir que son projet de reprise est de bonne foi. C’est-à-dire qu’il ne constitue pas un prétexte pour arriver à d’autres fins que d’occuper le logement. De plus, le projet doit s’envisager sur une base permanente pour faire valablement échec au principe du droit au maintien dans les lieux du locataire. Dans cette évaluation le tribunal doit vérifier notamment, le besoin du bénéficiaire, la faisabilité du projet, le caractère permanent du projet envisagé ainsi que tout prétexte pouvant apparaître des faits prouvés. C’est dans ce contexte que la nature des relations entre les parties sera étudiée comme indice ou non de bonne foi. Il est entendu qu’une inimitié entre les parties n’est qu’un indice et ne constitue pas un fait déterminant.
[23] Appliquant ces principes aux faits du litige, le tribunal conclut que le locateur n’a pas rencontré son fardeau de preuve en l’instance.
[24] Le locateur et son ex-conjointe ont procédé à sept transactions immobilières entre mai 2009 et novembre 2011 alors que dès septembre 2009 ils auraient cessé de faire vie commune.
[25] Le tribunal juge invraisemblable que plusieurs achats aient été faits conjointement uniquement afin de faciliter le financement. Le tribunal ne voit comment il serait plus facile de financer deux immeubles en copropriété alors que l’objectif final serait que chaque partenaire devienne propriétaire unique à très court terme et assume seul le plein montant de l’hypothèque. Le tribunal juge plus probable que l’ex-couple soit demeuré des partenaires d’affaires dans leurs investissements immobiliers malgré l’échec de leur mariage.
[26] Une fois divorcés, ces partenaires ne pouvaient plus exercer une reprise de logement. La cession du condo au locateur sans considération financière quelques jours seulement avant l’envoi de l’avis de reprise peut raisonnablement s’interpréter comme une étape essentielle à la reprise du logement. Elle peut également s’interpréter comme une étape nécessaire afin d’enlever un irritant face à une revente rapide de l’immeuble. Tel semble l’habitude du locateur de revendre rapidement ses acquisitions.
[27] Notons que le locateur est courtier immobilier et qu’il admet avoir acquis le condo en cause à très bon prix. Il indique lui-même avoir obtenu cette aubaine en grande partie grâce à l’attitude vindicative du locataire qui aurait découragé d’éventuels acquéreurs. C’est dans ce contexte que l’inimitié évidente entre les parties devient pertinente en l’instance.
[28] Le tribunal accepte également en partie les arguments du locataire concernant la crédibilité générale du locateur en l’instance. Le fait que le locateur ait des versions contradictoires entre ses procédures de divorce assermentées et ses actes de vente notariés sur un fait aussi important que son lieu de résidence est révélateur. Le tribunal n’y voit pas une omission sur un simple détail tel qu’on lui a plaidé. Lors d’une procédure de divorce, le lieu de résidence de chacun des époux est un fait déterminant pouvant ou non faciliter son obtention. Dans un acte de vente notarié, l’adresse est une information importante permettant au notaire de rencontrer son obligation de vérifier l’identité des parties. Il y a lieu de conclure que le locateur peut donner des versions différentes selon ses intérêts.
[29] À l’audience, il a rendu un témoignage vague relativement à ses forts nombreux lieux de résidence. Il habite tantôt dans une résidence de ses ex-beaux-parents, chez un ex-beau-frère, chez un ami et régulièrement à l’étranger. Appeler à expliquer ses déclarations contradictoires, il ajoute avoir également à l’occasion habité avec son ex-conjointe pendant les procédures de divorce. Notons que le locateur témoigne que ses affaires l’obligent à voyager fréquemment à l’étranger. C’est dans ce contexte que le tribunal doit analyser le besoin du locateur de se loger à long terme au condo. Or la preuve présentée n’a pas convaincu le tribunal d’un réel besoin jumelé d’une intention d’occupation à long terme.
[30] Vu ce qui précède, la reprise n’est pas autorisée. Le locataire pourra poursuivre son occupation des lieux loués à compter du 1er juillet 2012.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] REJETTE la demande du locateur.
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Jocelyne Gravel |
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Présence(s) : |
le locateur Me Michel Dorais, avocat du locateur le locataire Me Stéphane Proulx, avocat du locataire |
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Date de l’audience : |
10 avril 2012 |
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AVIS :
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