Décision

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Institut Philippe-Pinel de Montréal c. M.E.

2016 QCCS 4556

JF0937

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-093294-166

 

 

 

DATE :

22 SEPTEMBRE 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

INSTITUT PHILIPPE-PINEL DE MONTRÉAL

Demandeur

c.

 

M... E...

Défendeur

et

CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         INTRODUCTION

[1]           L’Institut Philippe-Pinel de Montréal (« Pinel ») demande d’ajouter à l’autorisation de traitement de la condition psychiatrique du défendeur, la permission de lui administrer le traitement physique recommandé par ses experts, à savoir des soins de confort et palliatifs visant à atténuer les symptômes rattachés à la maladie dont il souffre, un lymphome de Hodgkin.

[2]           Malgré un diagnostic favorable de survie de cinq ans sans maladie pouvant atteindre 85 % avec un traitement approprié à sa condition, le psychiatre et l’hémato-oncologue consultés recommandent plutôt un traitement palliatif vu l’absence totale de collaboration du défendeur et son refus d’autoriser le traitement recommandé par les experts pour traiter le cancer dont il souffre. Selon eux, l’impact du traitement physique sur la santé mentale du défendeur viendrait rompre l’équilibre difficilement atteint par les soins psychiatriques autorisés qu’il reçoit et l’alliance thérapeutique avec son psychiatre et l’équipe traitante, en plus d’être difficilement praticable, voire irréalisable dans ces conditions particulières.

[3]           Le défendeur nie le diagnostic posé, soutient n’être affecté d’aucune maladie et refuse tout traitement.

[4]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’autoriser les traitements recommandés par les experts et de ne prodiguer que des soins palliatifs et de confort au défendeur selon les symptômes présentés par ce dernier et de ne pas l’assujettir au traitement curatif de chimiothérapie et de radiothérapie propre au diagnostic d’un lymphome de Hodgkin.

2.            LE CONTEXTE

[5]           Le 15 avril 2016, le Tribunal conclut à l’inaptitude du défendeur et, vu son refus, autorise le traitement de la maladie psychiatrique[1].

[6]           Un diagnostic de schizophrénie paranoïde est posé à son égard depuis plusieurs années. Cette maladie mentale grave se complique encore davantage dans son cas, car il est réfractaire au traitement et présente des éléments psychotiques, des idées délirantes et vraisemblablement des hallucinations malgré la médication.

[7]           Le Tribunal a déjà conclu à la nécessité du traitement psychiatrique et des bénéfices qu’en tire le défendeur malgré sa résistance à la médication.

[8]           Quant au traitement physique suggéré par Pinel relativement au lymphome de Hodgkin diagnostiqué au début de l’année 2016, le Tribunal écrivait alors[2] :

 [56]      Le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’informations pour conclure à la nécessité du plan de traitement général et non spécifique à M. E... que Pinel propose. Par le fait même, le Tribunal ne peut évaluer les bénéfices et les risques qui pourraient être associés au traitement ni les avantages ou les désavantages envisagés en cas d’absence de traitement.

[57]       Cependant, une évaluation des options de M. E... comporte des avantages surpassant les risques de cette évaluation. À ce stade, compte tenu des informations disponibles, il s’agit des seuls soins au plan physique que le Tribunal est en mesure d’autoriser, c’est-à-dire l’évaluation des traitements possibles du lymphome, ce qui, selon la preuve, inclut des examens additionnels, en fonction de son refus de traitement et l’évaluation de l’impact psychiatrique de ce traitement.

[9]           Le Tribunal invitait Pinel à lui soumettre la question du traitement physique une fois cette évaluation complétée et lorsqu’un plan de traitement spécifique à son cas serait établi.

[10]        Cette évaluation ayant été faite, Pinel demande d’ajouter au traitement psychiatrique déjà accordé, l’autorisation de traiter sa condition physique en se fondant sur l’opinion de la docteure Isabelle Fleury, hémato-oncologue et l’évaluation par le psychiatre, docteur Gilles Chamberland de l’impact du traitement physique sur la condition mentale du défendeur.

[11]        Les deux experts recommandent un traitement de confort plutôt que d’autoriser le traitement de chimiothérapie et de radiothérapie qui pourraient théoriquement être envisageables vu la condition du défendeur.

[12]        Ce dernier a reçu signification de la présente demande. Il a de plus été invité à de nombreuses reprises à se présenter au tribunal. Il choisit d’être présent à l’audience par visioconférence seulement et à s’y exprimer.

[13]        Devant son refus d’être représenté par avocat, le Tribunal a requis qu’un avocat soit nommé à titre d’amicus curiae et a désigné Me Jérôme Dannet[3] pour agir à ce titre.

4.         ANALYSE

            4.1       L’existence de la maladie

[14]        Le diagnostic de la maladie mentale dont souffre le défendeur demeure le même, soit celui d’une schizophrénie paranoïde. Sur la foi de son dossier médical, l’hémato-oncologue, la docteure Fleury confirme le diagnostic d’un lymphome de Hodgkin.

            4.2       L’inaptitude du défendeur

[15]        L’inaptitude du défendeur demeure aussi la même, en ce qui a trait à la maladie psychiatrique.

[16]        Il nie souffrir de quelque maladie que ce soit et de ce fait, refuse systématiquement de discuter des risques et des avantages des traitements qui pourraient lui être offerts. Il a une absence complète d’autocritique et une méfiance inhérente à sa maladie mentale qui affectent sa capacité de consentir aux soins requis tant par sa condition mentale que physique.

[17]        Depuis le jugement rendu en avril 2016, le docteur Chamberland constate toutefois certains changements dans sa situation. Une certaine composante de déni de la maladie s’installerait indépendamment de ses idées délirantes. Le docteur Chamberland souligne qu’une partie de ce déni pourrait ne pas relever du délire et comporter une certaine compréhension qu’il est atteint d’une maladie physique grave qu’il refuserait d’admettre. Il ajoute que la distinction entre ce déni et son inaptitude à comprendre la nature de la maladie diagnostiquée est impossible à faire.

[18]        Dans ces circonstances, la preuve prépondérante permet de conclure que le défendeur est inapte à consentir au traitement physique, tout comme à celui de la maladie psychiatrique. La possibilité de la compréhension de cette maladie, ce qui correspondrait à un deuil selon le docteur Chamberland, est trop ténue pour être retenue, compte tenu des idées délirantes toujours en place.

            4.3       Le refus catégorique

[19]        Tout comme en avril 2016, le refus catégorique du défendeur aux soins proposés se manifeste de façon claire et sans équivoque tant devant le Tribunal qu’à la lecture des rapports produits et du témoignage du docteur Chamberland.

            4.4       La nécessité des soins requis

[20]        Dès le mois d’avril 2016, la nécessité du traitement psychiatrique a été établie et ce dernier a été autorisé pour une durée de trois ans. La preuve ne révèle pas qu’il y ait lieu de revoir cette autorisation. Le défendeur ne comprend toujours pas la nécessité du traitement psychiatrique et il le subit dans le meilleur des cas. Comme le mentionne le docteur Chamberland, la médication qu’il reçoit actuellement est optimale.

[21]        La docteure Fleury, consultée relativement à l’évaluation de la situation du défendeur quant au diagnostic du lymphome de Hodgkin, ne l’a pas rencontré, celui-ci refusant la consultation. De plus, la venue de ce dernier à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont où elle exerce est jugée non sécuritaire.

[22]        La docteure Fleury explique que le traitement de lymphome de Hodgkin dépend des bilans d’extension d’analyses sanguines et des tests visant à vérifier la fonction respiratoire du patient. Une biopsie de la moelle osseuse peut également être requise de même que des examens plus étendus et le recours à un scanneur des vertèbres cervicales et de la cage thoracique. En se basant sur les résultats des examens actuellement disponibles, elle affirme que le défendeur souffre d’une maladie agressive pour laquelle un traitement composé de chimiothérapie intraveineuse suivi d’irradiations pourrait être envisagé. Elle ajoute qu’il est probable que les masses déjà constatées il y a plusieurs mois aient augmenté de façon significative en taille et qu’elles aient des impacts cliniques.

[23]        Les cycles de chimiothérapie intraveineuse appropriée pour un traitement impliquent douze infusions de chimiothérapie d’une durée de plus ou moins quatre heures toutes les deux semaines et nécessitent une consultation médicale la veille comportant un examen physique et des analyses sanguines. Des traitements antinauséeux peuvent également être requis de même que des injections sous-cutanées quotidiennes. Une durée de huit mois serait requise pour administrer les six cycles de chimiothérapie intraveineuse et pour compléter la radiothérapie.

[24]        Les effets secondaires les plus fréquents pouvant être envisagés comprennent des ulcères buccaux, des nausées, des vomissements et d’autres effets pouvant se manifester par de la toux et des complications cardiaques et neurologiques graves pouvant être fatales. Tout au long de ce traitement, la collaboration du patient est essentielle afin qu’il demeure sécuritaire. Le suivi régulier des symptômes et des effets secondaires doit se faire par l’équipe traitante et le dialogue avec le patient est primordial à cet égard.

[25]        La docteure Fleury est d’avis que le lymphome de Hodgkin ne contribue pas à la maladie mentale et à l’inaptitude du défendeur.

[26]        En l’absence de traitement, le pronostic précis est difficile à établir, mais elle écrit que « les masses lymphomateuses de ce patient étaient significatives en novembre 2015 et on peut imaginer qu’elles sont d’autant plus progressives actuellement »[4]. Selon elle, le pronostic est de six à neuf mois. Les symptômes attendus sont un inconfort respiratoire progressif, des douleurs et de l’œdème aux bras et au visage qui pourrait évoluer vers un œdème cérébral.

[27]        La docteure Fleury a présenté le dossier du défendeur à l’équipe de spécialistes avec lesquels elle travaille en « comité de tumeurs », afin de discuter sa recommandation de s’orienter vers un traitement palliatif et de confort en l’absence de collaboration du défendeur au traitement en raison de sa maladie psychiatrique, de la difficulté de l’approcher et de son hygiène. Elle souligne qu’il a même refusé de prendre une douche ou un bain depuis près d’un an et qu’il refuse la prise de sa tension artérielle. Ses collègues sont du même avis.

[28]        Elle recommande donc que des soins palliatifs et de confort soient administrés au défendeur au fur et à mesure que les symptômes de la maladie se manifesteront et que de la douleur apparaitra. Ces soins consisteront principalement à l’administration de la morphine et à une médication visant à soulager l’inconfort dû à la maladie.

[29]        Le docteur Chamberland, son psychiatre traitant qualifie la situation et la détermination des soins à lui prodiguer de déchirantes[5] et il fait la même recommandation :

[…]

La situation est donc déchirante. Au point de vue psychiatrique, il est cependant clair que nous pourrions nous attendre à une régression importante de l’état de monsieur. Il ne fait aucun doute que celui-ci aura tendance à se refermer et à devenir plus agressif. Rappelons que monsieur entretient un délire paranoïde. De plus, compte tenu de sa personnalité, des gestes agressifs sont à prévoir. Finalement, c’est tout le lien thérapeutique et la qualité de vie dont monsieur dispose actuellement qui seraient compromis. Nous ne pouvons augmenter la médication ni la changer. Des ajustements pharmacologiques n’auraient d’ailleurs que peu d’effets sur la réaction de monsieur. Chaque nouveau test, traitement ou évaluation serait vécu par lui comme une provocation face à laquelle il aurait à se défendre.

De plus, nous ne voyons pas comment certains actes médicaux pourraient être faits. Par exemple, lorsqu’il est question d’un traitement intraveineux d’une durée de plus ou moins quatre heures, nous ne voyons pas comment monsieur pourrait supporter un tel traitement à moins d’être anesthésié pendant cette période. Nous ne croyons pas qu’un tel traitement pourrait être donné dans une salle d’opération avec un anesthésiste.

Au niveau psychiatrique, nous arrivons à la même conclusion que l’équipe d’hémato-oncologie de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont à savoir qu’un traitement de confort serait préférable.

[30]        De fait, le défendeur devient agressif, menaçant et désorganisé dès qu’il est question de cancer ou du fait qu’il en soit atteint ou encore du traitement de cette maladie.

[31]        À l’heure actuelle, le traitement de sa maladie psychiatrique a permis d’atteindre un certain équilibre où le défendeur est confortable et a de bonnes relations avec son entourage à Pinel. Il réussit même à faire certaines sorties et à circuler librement, ce qu’il n’avait pas fait depuis de nombreuses années.

[32]        Bien que la nécessité du traitement d’un cancer aussi agressif que le sien puisse paraître évidente à première vue et qu’une personne apte choisirait vraisemblablement de le subir, sans toutefois que l’on puisse l’affirmer de façon certaine, l’impact psychologique d’un tel traitement sur une personne qui le refuse et la souffrance morale pour un patient qui la subirait comme une agression, en diminue les bénéfices à un point tel qu’il n’y a pas lieu de l’autoriser; sans compter que son application apparaît difficilement réalisable dans un contexte sécuritaire particulièrement, compte tenu de la durée et de la fréquence des soins auxquelles le défendeur devrait se soumettre.

[33]        Ainsi, malgré le traitement disponible pour soigner la maladie physique dont souffre le défendeur, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’autoriser Pinel à lui administrer des soins palliatifs et de confort nécessaires pour soulager les douleurs de ce dernier et maintenir l’équilibre difficilement atteint et la qualité de vie dont il dispose pour l’instant.

[34]        Le Tribunal prend note de l’affirmation de Pinel voulant que la situation sera revue constamment avec le défendeur relativement au traitement du cancer et de la volonté manifestée par la docteure Fleury de prodiguer le traitement physique curatif du cancer advenant toute modification favorable à son administration.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]        AUTORISE les médecins traitants et tout autre médecin qui pourraient traiter le défendeur à l’avenir et pour la même durée que l’ordonnance rendue le 15 avril 2016, soit pour une durée de trois ans à compter de cette date, ainsi que l’Institut Philippe-Pinel ou tout autre établissement de santé dans la province de Québec qui pourrait recevoir le défendeur, à donner à ce dernier :

un traitement pharmacologique de confort et palliatif qui vise à atténuer les symptômes de la maladie incurable dont souffre le défendeur (lymphome de Hodgkin) dans un objectif de prévenir et de soulager les douleurs physiques et tout autre symptôme inconfortable (et sans restreindre la généralité de ce qui précède, la nausée, la constipation, l’anxiété, etc.) et également de prendre en compte la souffrance psychologique, le cas échéant;

[36]        PREND ACTE de l’engagement de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal à revoir le traitement autorisé par la présente ordonnance advenant une modification de la situation actuelle permettant d’envisager la possibilité d’un traitement pouvant guérir le défendeur du lymphome de Hodgkin et de l’accord de la docteure Isabelle Fleury et de son équipe traitante d’administrer un tel autre traitement et leur ORDONNE de s’y conformer et de soumettre sans délai au Tribunal une demande visant à l’autoriser;

[37]        ORDONNE au médecin traitant de soumettre aux six mois au Comité d’évaluation médicale, dentaire et pharmaceutique (CEMDP) du milieu hospitalier auquel il est rattaché, un rapport écrit sur les traitements administrés au défendeur et les effets dudit traitement sur le patient;

[38]        ORDONNE dans le cas d’un désaccord entre le médecin traitant et ledit Comité que la situation soit exposée devant le Tribunal;

[39]        ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel;

[40]        LE TOUT sans les frais de justice, vu la nature du dossier.

 

 

__________________________________

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

 

 

 

 

Me Sylvain Guernon

GUERNON AVOCATS

Pour le demandeur

 

Me Jérôme Dannet

DANNET J.-ROBERT, AVOCATS

À titre d’ami de la Cour

 

Date d’audience :

15 septembre 2016

 

 

 



[1]     Institut Philippe-Pinel de Montréal c. M.E., 2016 QCCS 1719.

[2]     Id., paragr. 56 et 57.

[3]     Me Dannet a déjà représenté le défendeur à quelques reprises devant la Commission des troubles mentaux.

[4]     Pièce P-6, page 6, transcrit tel quel.

[5]     Pièce P-7.

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