Décision

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Chaussé c. R.

2016 QCCA 568

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-005690-142

(450-01-086284-143)

 

DATE :

 Le 5 avril 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

ISABELLE CHAUSSÉ

APPELANTE - Accusée

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - Plaignante

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 18 juin 2014, par la Cour du Québec (l'honorable Conrad Chapdelaine), district de St-François, qui, ayant condamné l’appelante une peine de 60 jours de détention suivie d’une période de probation, il rejette sa demande pour son incarcération immédiate à défaut de payer les suramendes compensatoires.

[2]           L’appelante a obtenu l’autorisation d’appeler de cette dernière décision.

[3]           Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Levesque;

LA COUR :

 

[4]           DÉCLARE  ne pas avoir compétence pour réformer la décision du 18 juin 2014 dans le dossier 450-01-086284-143.

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

Me Marc-André Champagne

Me Benoit Gagnon

CENTRE COMMUNAUTAIRE JURIDIQUE DE L’ESTRIE

Pour l’appelante

 

Me Dionisios Galiatsatos

PROCUREUR DU DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

Le 18 février 2015


 

 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

 

[5]           Le 29 mai 2014, l’appelante plaide coupable à trois chefs d’accusation de voies de fait et de menaces de mort contre des policiers. L’honorable Conrad Chapdelaine de la Cour du Québec, accepte la suggestion commune des parties et il impose à l’appelante une peine de 60 jours de détention suivie d’une période de probation. L’appelante requiert alors son incarcération immédiate en lieu et place de payer les suramendes compensatoires qui s’élèvent à 600 $ pour trois condamnations à des infractions poursuivies par voie de mise en accusation. Dans une décision du 18 juin 2014, le juge refuse[1]. L’appelante se pourvoit.

[6]           La principale question soulevée en appel, sinon l’unique, est de savoir si un délinquant peut renoncer au délai de paiement de la suramende, s’il peut alors demander au juge son incarcération immédiate, et bien sûr, si ce dernier peut donner suite à cette demande.

[7]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge pouvait certainement se saisir de la question de l’incarcération immédiate, mais que, contrairement à ce que laisse croire le dossier à première vue, aucun appel n’est prévu au Code criminel de cette décision. Toutefois, vu l’importance de la question et l’éclairage reçu des parties, il n’y a pas lieu de rejeter sommairement le pourvoi.

LE CONTEXTE

[8]           En raison de son approche en appel, l’appelante fait peu de cas des événements à la base des accusations. Il n’y a pas lieu de les reprendre en détail. L’appelante plaide coupable à une accusation de voies de fait sur un agent de la paix et à deux accusations de menaces de mort. Les événements sont la suite d’une course en taxi que l’appelante, intoxiquée, ne pouvait pas payer. Les événements ont également eu comme conséquence son expulsion de la maison de thérapie qui la traitait.

[9]           L’appelante témoigne. Elle est âgée de 40 ans. Elle n’appréciait pas l’école et elle ne l’a plus fréquentée après la troisième secondaire. Elle dit bénéficier, pour le moment, de la Sécurité du revenu. Elle a travaillé une dizaine d’années pour une entreprise d’aménagement paysager, soit jusqu’en 2008 alors qu'elle reçoit une peine de prison. En 2011, alors en maison de transition dans le cadre de cette peine, elle a occupé un autre emploi, mais l’a perdu en raison d’une dépression sévère diagnostiquée en novembre de la même année. Elle est toujours en traitement pour cette dépression. Elle a tenté récemment de suivre des cours de cuisine adaptés, mais une rechute dans la consommation d’alcool et d’ecstasy a mis fin à ses efforts. Ce dernier problème serait cependant derrière elle.

[10]        Elle reçoit 624 $ par mois des services sociaux et il lui est donc impossible de payer la somme demandée dans le délai de 45 jours. Elle ne possède aucun bien. Elle ne sait pas combien de temps cela lui prendrait pour payer la suramende, mais probablement plus qu’un an. Cela dit, elle n’est pas inapte au travail selon les normes de la Sécurité du revenu. Par contre, elle dit ne pouvoir travailler, invoquant une santé fragile occasionnée par un diabète et un genou en mauvais état. Elle n’a jamais consulté un médecin pour cette blessure. Elle ne veut pas entreprendre des travaux compensatoires « parce [qu’elle] 'file' pas assez bien pour faire ça ». Elle craint les travaux physiques en raison de son genou et dit que son état mental est dépendant d’une médication qui n’est pas tout à fait ajustée.

[11]        Des admissions complètent la preuve. Les parties y brossent à grands traits le processus de recouvrement des suramendes en vertu du Code de procédure pénale et le travail du percepteur des amendes qui en a la responsabilité. On y apprend que les travaux compensatoires sont, en pratique, le seul moyen pour les bénéficiaires de la Sécurité du revenu d’acquitter la suramende.

[12]        Cela étant, l’appelante renonce au délai prévu par règlement pour le paiement de la suramende obligatoire, elle demande au juge de constater son défaut, puis d’ordonner son incarcération en conformité avec l’article 734.7 du Code criminel. De plus, elle recherche une période de détention concurrente, convaincue que le paragraphe 718.3(4) C.cr. n’exige pas qu’elle soit consécutive.

LE JUGEMENT

[13]        Le juge explique la situation de l’appelante. En date de sa décision, il conclut qu’elle n’a pas les moyens financiers d’acquitter l’amende et « n'est pas non plus dans une condition physique et mentale pour exécuter des travaux compensatoires »[2]. Elle ne détient aucun document visé par l’article 734.5 du Code criminel.

[14]        Le juge rappelle la déférence due à l’intention du législateur. Il reconnaît qu’à défaut d’une contestation constitutionnelle, il ne peut contourner une loi claire. Le juge accepte la position du ministère public et confirme qu’il revient plutôt au percepteur des amendes de récupérer la suramende et plus spécifiquement de proposer des mesures alternatives au paiement.

[15]        Le juge résume ainsi cette intention :

[25] Les intentions du législateur le sont tout autant : responsabiliser davantage tous les contrevenants en les forçant à une forme de restitution envers les victimes d'actes criminels, augmenter de façon significative les sommes recueillies et consacrées aux victimes d'actes criminels par les divers programmes provinciaux adoptés à cette fin et finalement, retirer aux tribunaux le pouvoir de dispenser les contrevenants de cette obligation de restitution même si leur situation, au moment de leur condamnation, ne leur permet pas de s'en acquitter.[3]

[16]        Le juge distingue l’imposition et l’administration d’une peine. Pour lui, acceptant le raisonnement de l’arrêt Crowell[4], la suramende est une peine. Cette peine est en quelque sorte minimale et obligatoire. Le juge reconnaît sans détour qu’elle peut ainsi « par un effet cumulatif dans certains cas, [devenir] complètement disproportionnée par rapport à la gravité des infractions commises. Elle pourrait dans ces cas porter atteinte aux droits fondamentaux d'un accusé », mais qu’à défaut de contestation constitutionnelle, il doit appliquer la loi[5].

[17]        Dans le cas précis de l’appelante, le juge conclut que l’imposition de la suramende n’est pas contraire au principe de proportionnalité[6].

[18]        Par ailleurs, la preuve amène le juge à conclure qu’il revient au percepteur de décider de la marche à suivre pour recouvrer le montant : délai additionnel, exécution de travaux compensatoires ou, en dernier recours, rechercher un mandat d’incarcération. Un juge tranchera l’existence d’une excuse raisonnable justifiant le non-paiement. En définitive, le juge estime c’est au percepteur que l’appelante doit s’adresser. L’objectif est ici « de favoriser au maximum le paiement des suramendes »[7].

[19]        Enfin, de façon un peu théorique compte tenu de cette conclusion, le juge estime que la peine d’emprisonnement à défaut de paiement de la suramende, si elle est imposée, doit être consécutive. Il donne effet à un argument de texte en soulignant que le paragraphe 737(1) prévoit la suramende « en plus de toute autre peine qui lui est infligée », le tout sous réserve de respecter le principe de la proportionnalité, ce qui est le cas pour l’appelante[8].

LES MOYENS

[20]        L’appelante soulève trois moyens. Je les traduis comme trois propositions de droit décrivant une seule erreur du juge, soit celle d’avoir conclu qu’il ne pouvait pas accepter la renonciation au délai de paiement de la suramende afin de constater le défaut de l’appelante et lui imposer sur-le-champ une peine d’emprisonnement concurrente et non consécutive. Voici les moyens qu’elle formule :

A. L’honorable juge de première instance a erré en droit en ne se reconnaissant pas le pouvoir de modifier le délai auquel l’appelante a droit pour payer la suramende;

B. L’honorable juge de première instance a erré en droit en ne se reconnaissant pas le pouvoir de décerner, contre l’appelante, un mandat d’incarcération conformément à l’article 734.7 du Code criminel;

C. L’honorable juge de première instance a erré en droit et a outrepassé son pouvoir en déclarant qu’une peine d’emprisonnement pour défaut de paiement d’une suramende doit être purgée de façon consécutive à toute autre peine.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[21]        L’appelante prétend qu’en raison du paragraphe 737(8) et de l’article 734.3 du Code criminel, le juge peut, sur présentation d’une demande de modification, changer les modalités et l’échéance du paiement de la suramende. Elle ajoute que cette demande peut être présentée à tout moment, incluant lors de la détermination de la peine.

[22]        Le paragraphe 737(8) C.cr. est ainsi libellé :

(8) Avis — Le tribunal fait donner au contrevenant un avis écrit établissant, en ce qui concerne la suramende compensatoire :

 a) le montant;

 b) les modalités du paiement;

 c) l'échéance du paiement;

 d) la procédure à suivre pour présenter une demande visant à modifier les conditions prévues aux alinéas b) et c) en conformité avec l'article 734.3.

[23]        Pour sa part, l’article 734.3 C.cr. s’applique à la suramende, tel que prévu au paragraphe 737(9) C.cr. et permet la modification des conditions de l’ordonnance prononcée à 737(8) C.cr.[9]. Il stipule :

734.3 Le tribunal qui rend l’ordonnance prévue à l’article 734.1 ou la personne désignée — par son nom ou par son titre — par celui-ci peut, sur demande présentée par le délinquant ou pour son compte, sous réserve des règles établies par le tribunal aux termes des articles 482 ou 482.1, modifier une condition de l’ordonnance autre que le montant de l’amende, et la mention d’une ordonnance au présent article et aux articles 734, 734.1, 734.2 et 734.6 vaut mention de l’ordonnance modifiée aux termes du présent article.

[Je souligne]

[24]        Ainsi, rappelle l’appelante, les modifications à l’ordonnance de paiement de la suramende, sauf pour le montant, sont possibles. Par conséquent, le percepteur n’est pas le seul, comme le conclut le juge, qui peut modifier les modalités et l’échéance du paiement d’une suramende. Aucune disposition du Code criminel n’exige que la demande soit présentée à une étape ultérieure à la détermination de la peine si le délinquant souhaite abroger le délai prévu.

[25]        L’article 734.7 C.cr. prévoit l’emprisonnement pour défaut de paiement de l’amende. Il est rédigé en ces termes :

734.7 (1) Lorsqu’un délai de paiement a été accordé, l’émission d’un mandat d’incarcération par le tribunal à défaut du paiement de l’amende est subordonné[e] aux conditions suivantes :

a) le délai accordé pour le paiement intégral de l’amende est expiré;

b) le tribunal est convaincu que l’application des articles 734.5 et 734.6[[10]] n’est pas justifiée dans les circonstances ou que le délinquant a, sans excuse raisonnable, refusé de payer l’amende ou de s’en acquitter en application de l’article 736.

[Je souligne]

[26]        Pour imposer l’emprisonnement, le juge doit constater que le délai est révolu, que les mesures incitatives à l’article 734.5 C.cr. sont inutiles ou que le délinquant refuse sans excuse raisonnable de payer l’amende ou d’effectuer des travaux compensatoires, permis par l’article 736 C.cr.

[27]        L’alinéa a) de l’article 734.5 C.cr. est ici pertinent et prévoit ce qui suit :

734.5 Lorsque le délinquant est en défaut de paiement d’une amende :

a) dans le cas où le produit de l’amende est attribué à Sa Majesté du chef d’une province en application du paragraphe 734.4(1), la personne responsable, sous le régime d’une loi de la province, de la délivrance, du renouvellement ou de la suspension d’un document — licence ou permis — en ce qui concerne le délinquant peut refuser de délivrer ou de renouveler tel document ou peut le suspendre jusqu’au paiement intégral de l’amende, dont la preuve incombe au délinquant;

[…]

[Je souligne]

[28]        Quant à l’article 736 C.cr., qui s’applique dans le contexte de la suramende en vertu du paragraphe 737(9) C.cr., il permet l’utilisation du programme provincial de travaux compensatoires :

  736 (1) Le délinquant condamné au paiement d’une amende au terme de l’article 734, qu’il purge ou non une peine d’emprisonnement pour défaut de paiement de celle-ci, peut s’acquitter de l’amende en tout ou en partie par acquisition de crédits au titre de travaux réalisés, sur une période maximale de deux ans, dans le cadre d’un programme, auquel il est admissible, établi à cette fin par le lieutenant-gouverneur en conseil :

    a) soit de la province où l’amende a été infligée;

    b) soit de la province de résidence du délinquant, lorsque le gouvernement de celle-ci et celui de la province où la peine a été infligée ont conclu un accord en vigueur à cet effet.

  Taux, crédits, etc.

  (2) Le programme visé au paragraphe (1) détermine le taux auquel les crédits sont acquis et peut prévoir la manière de créditer les sommes gagnées à l’acquittement de l’amende ainsi que toute autre mesure nécessaire ou accessoire à sa réalisation.

  Présomption

  (3) Les crédits visés au paragraphe (1) sont, pour l’application de la présente loi, réputés constituer le paiement de l’amende.

  Entente fédéro-provinciale

  (4) Dans le cas où, en application du paragraphe 734.4(2), le produit d’une amende est attribué à Sa Majesté du chef du Canada, le délinquant peut s’acquitter de l’amende en tout ou en partie dans le cadre d’un programme provincial visé au paragraphe (1) lorsque le gouvernement de la province et celui du Canada ont conclu un accord en vigueur à cet effet.

[Je souligne]

[29]        Selon l’appelante, le juge pouvait donc l’incarcérer sans autre délai puisqu’elle ne possédait aucun permis visé par l’article 734.5 C.cr. et refusait de payer la suramende, en plus de renoncer au délai de 45 jours prévu au décret :

1.         La date d'échéance du paiement de la suramende compensatoire qui doit être versée par un contrevenant condamné ou absous à l'égard d'une infraction prévue au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, c. 19), dans le cas où aucune amende n'est infligée, est fixée à 45 jours de la condamnation ou de l'absolution prononcée par le tribunal.[11]

[Je souligne]

[30]        L’appelante rappelle, comme le constate le juge, qu’il est fort possible qu’on en arrive au même point après un long détour et qu’elle soit incarcérée[12]. Pour cette raison, elle prétend que demander à un individu de se présenter à intervalles réguliers devant un juge pour établir son indigence et son incapacité physique, psychologique ou intellectuelle à accomplir des travaux compensatoires impose un très lourd fardeau à une personne faisant partie d’une clientèle déjà hautement marginalisée.

[31]        Selon l’appelante, le juge fait également erreur lorsqu’il conclut que cette peine d’emprisonnement est consécutive. L’appelante, référant au paragraphe 718.3(4) C.cr., soutient qu’elle peut l’être et non qu'elle doit l’être[13] :

Peines cumulatives

718.3 (4) Le tribunal envisage d’ordonner:

  a) que la période d’emprisonnement qu’il inflige à l’accusé soit purgée consécutivement à toute autre peine d’emprisonnement à laquelle celui-ci est assujetti;

  b) que les périodes d’emprisonnement qu’il inflige à l’accusé au même moment pour diverses infractions soient purgées consécutivement, notamment lorsque:

    (i) les infractions ne découlent pas des mêmes faits,

    (ii) l’une des infractions a été commise alors que l’accusé était en liberté provisoire par voie judiciaire, notamment dans l’attente de l’issue d’un appel,

    (iii) l’une des infractions a été commise alors que l’accusé fuyait devant un agent de la paix.

Peines cumulatives: amendes

(5) Pour l’application du paragraphe (4), la période d’emprisonnement comprend l’emprisonnement infligé en application du paragraphe 734(4).

[Je souligne]

[32]        À titre d’exemple, selon l’appelante, une peine consécutive est indiquée si le délinquant refuse de payer ou d’effectuer des travaux compensatoires alors qu’il est en mesure de le faire. Cependant, l’appelante dit qu’elle n’a pas les capacités physique et, psychologique d’effectuer les travaux et dans ces circonstances, une peine concurrente est justifiée.

[33]        L’appelante souhaite donc que la Cour prenne acte de la renonciation aux délais, ordonne l’émission d’un mandat d’incarcération rétroactif au 18 juin 2014 de manière à ce que cette période d’emprisonnement soit concurrente à la peine de 60 jours de détention, et avise le percepteur des amendes du jugement.

[34]        De son côté, le ministère public soutient la décision du juge. Selon lui, la Cour suprême, dans l’arrêt Wu, réitère l’importance d’accorder un délai dans les cas où il y a incapacité de payer et de ne pas présumer que la situation du délinquant à la date de la détermination de la peine demeurera nécessairement inchangée dans le futur[14]. L’ordonnance d’incarcération immédiate n’est pas indiquée.

ANALYSE

[35]        Force est de constater que la simple abrogation de la discrétion judiciaire dans l’imposition de la suramende entraîne des complications extraordinaires et inutiles pour la justice et l’administration de la justice criminelle.

[36]        Les dispositions sur la suramende compensatoire, équivalent d'une peine minimale insensible aux capacités de payer du délinquant[15] et qui comporte un délai rigide, reportent nécessairement l’inévitable décision sur les conséquences au défaut de paiement. Elle devra tenir compte de l’aversion fondamentale de notre société d’incarcérer des indigents en défaut de payer leur dette envers la Couronne[16]. Comme le démontre l’appelante cependant, le juge peut en être saisi le jour même de la condamnation. La question plus difficile est de savoir si le juge doit nécessairement se prononcer au moment où elle est demandée.

*

L’appelante peut-elle demander son incarcération immédiate?

[37]        L’appelante prétend qu’elle peut demander son incarcération immédiate en renonçant au délai. Dit autrement, elle peut présenter une demande afin d’abroger le délai pour qu’un juge se penche immédiatement sur les conditions d’application de 734.7(2) et (4) C.cr. qui prévoient la possibilité d’un emprisonnement sans délai pour défaut de paiement.

[38]        Je crois qu’elle a raison. L’article 734.3 C.cr. est clair et non équivoque. Elle a également raison de dire que le Code criminel prévoit que c’est au juge de décider d’une demande de modification[17]. J’ajouterais que le délinquant peut même demander au juge de fixer des modalités de paiement conformément à l’alinéa 737(8)bC.cr. qui ne sont pas initialement prévues de quelque façon.

[39]        J’ouvre ici une courte parenthèse. Dans le contexte québécois, la condamnation entraîne automatiquement une suramende et un délai de paiement de 45 jours, les deux composantes de cette mesure étant prévues par la loi. Ainsi, le délinquant ne peut pas demander et le juge ne peut pas ordonner l’application directe de l’article 734.7(2) C.cr. Un délai étant attribué, c’est à l’article 734.7(1) C.cr. qu’il faut se reporter, ce dernier s’appliquant « lorsqu’un délai de paiement a été accordé »[18]. À mon avis, l’approche de l’appelante est la bonne. Je ferme la parenthèse.

[40]        Lors d’une demande de modification du délai, le délinquant ne vise pas une dispense de la suramende, mais des modifications dans les modalités que fixe autrement la loi. À mon avis, il s’agit d’une procédure autonome, distincte de la détermination de la peine. Cette demande peut être présentée en tout temps, l’article 734.3 C.cr. ne précisant aucune limite à cet égard[19]. Le juge doit alors accomplir les fonctions que lui attribue ce même législateur et remplir les devoirs de sa charge.

[41]        L’opportunité de faire droit à la demande dépendra en premier lieu de la nature de celle-ci. Les modifications demandées ne peuvent avoir pour effet de contourner l’intention claire du législateur d’imposer une suramende à tous les délinquants. Elle dépendra également de la preuve administrée.

[42]        Or, si je comprends bien la demande de l’appelante, elle met de l’avant des excuses raisonnables pour ne pas payer la suramende et pour ne pas effectuer des travaux compensatoires soit, respectivement, son incapacité de payer et son état de santé. En raison de ces excuses raisonnables, elle demande à être condamnée à l’emprisonnement pour défaut de paiement, mais requiert que cette période d’emprisonnement soit purgée de manière concurrente et non consécutive à la peine d’emprisonnement prononcée. Voilà une proposition qui, à la lumière des principes existants, est contradictoire. Comme l’a expliqué la Cour suprême, l’incapacité réelle et l’emprisonnement pour défaut sont incompatibles[20].

**

Le rôle du percepteur

[43]        Le juge écarte l’opportunité d’entendre la demande de l’appelante en remettant la responsabilité de l’administration de la peine au percepteur des amendes, institution créée par le Code de procédure pénale. Or, la délégation de pouvoir qui s’ensuit lui confie plutôt une responsabilité relativement limitée dans le contexte de la suramende. Son rôle est de mettre en œuvre ce qui est prévu au Code criminel, c’est-à-dire d’offrir au délinquant, dans le cadre du programme mis en place dans la province, la possibilité d’acquérir des crédits au titre de travaux réalisés, sur une période maximale de deux ans[21] afin d’éponger le montant dû en raison de la suramende.

[44]        La lecture de l’article 736 C.cr. m’incite à douter, avec égards pour l’opinion exprimée par le juge[22], que le percepteur puisse déployer l’arsenal que lui accorde le Code de procédure pénale pour recouvrer les suramendes compensatoires.

Les moyens de recouvrer la suramende et le délai

[45]        Le Code criminel n’autorise qu’une seule mesure incitative pour récupérer la suramende en argent et un seul mode alternatif de paiement, soit l’application du programme de travaux compensatoires de la province. Par ces deux mesures, le législateur traduit le souci exprimé maintes fois lors des débats parlementaires de ne pas incarcérer les indigents[23].

[46]        Puisque l’emprisonnement résulte d‘un choix du délinquant de ne pas payer et de ne pas effectuer des travaux compensatoires, son pouvoir incitatif est tout au plus limité, et il est inexistant pour celui qui n’a pas les moyens de payer[24].

La sanction d’un permis : art. 734.5 C.cr.

[47]        En cas de défaut de paiement de la suramende, il est possible pour la province de suspendre, de refuser de délivrer ou de renouveler une licence ou un permis, autant de variantes de sanctions sur un ou des permis. On pense spontanément au permis de conduire, mais ce peut être un permis de chasse ou de pêche. Bref, l’article n’est pas limitatif.

[48]        Lorsque le délinquant possède un ou plusieurs de ces documents, le législateur autorise la sanction relative à un permis aussi longtemps que la suramende n’est pas payée[25]. Seul le paiement de la suramende met fin à la sanction. Si la mesure se révèle inefficace, une demande de lancer un mandat d’incarcération peut être formulée, à charge pour l’État de démontrer, notamment, que l’inefficacité de la sanction est un motif de conclure qu’elle « n’est pas justifiée dans les circonstances » au sens de l’alinéa 734.7(1)b) C.cr.

[49]        L’autre question que soulève cette mesure est de savoir si elle peut s’appliquer lorsque le délinquant n’a pas la capacité de payer la suramende. En effet, si la mesure peut être un incitatif puissant si le délinquant a la capacité de payer, cette logique est moins évidente lorsque les moyens de payer n’existent pas.

[50]        Puisqu’il est admis que l’appelante ne possède aucun document pertinent, il n’est pas nécessaire ni souhaitable de dresser une liste des cas où des sanctions de permis ne seraient pas justifiées[26].

Les travaux compensatoires : art. 736 C.cr.

[51]        En introduisant un mode alternatif de paiement, le législateur concède qu’à défaut de paiement en espèce, l’objectif pénologique associé à la suramende compensatoire, soit la responsabilisation du délinquant, peut se traduire par des services à la communauté.

[52]        Cependant, l’article 736 C.cr. ne prévoit pas l’application générale des dispositions de la loi provinciale. Il permet uniquement à un délinquant de « s'acquitter de [la suramende] en tout ou en partie par l’acquisition de crédits au titre de travaux réalisés, sur une période maximale de deux ans, dans le cadre d'un programme, auquel il est admissible, établi à cette fin par le lieutenant-gouverneur en conseil… ». L’article précise que le taux de crédit est identique à celui prévu dans la loi provinciale[27] et que les crédits sont réputés constituer le paiement de l’amende[28].

[53]        Au Québec, le programme de travaux compensatoires se retrouve parmi une gamme étendue de mesures pour recouvrer les amendes. De plus, la loi provinciale régit l'emprisonnement pour défaut de paiement avec ses propres paramètres[29]. L’appelante n’a pas soulevé en appel, ni en première instance d’ailleurs, la question de savoir si les autres mécanismes prévus au Code de procédure pénale peuvent être utilisés pour récupérer la suramende, comme la saisie civile. Toutefois, le législateur ayant écarté l’application de mesures similaires figurant au Code criminel, il y a probablement lieu de conclure de même pour celles contenues à la loi provinciale. Il est cependant inutile de se prononcer définitivement sur cette question qui, je le répète, n’a pas été débattue.

[54]        Ce qui m’amène au délai. Le décret, adopté en vertu du Code criminel, prévoit un délai de 45 jours, mais rien d’autre. Avant son expiration, l’État ne peut prendre aucune mesure en vue du recouvrement de la somme due. Une fois ce premier délai échu, ni le décret ni le Code criminel ne fixent les délais à l’intérieur desquels l’État doit agir.

[55]        Le juge retient de la preuve que le percepteur « peut attendre à l’expiration de la peine du contrevenant, quelle qu’elle soit, afin de prendre une entente visant le paiement des sommes dues pour un dossier criminel »[30]. N’étant soumis à aucun délai d’agir, il semble que le percepteur peut demeurer passif.

[56]        Toutefois, le délinquant peut s’activer. En effet, une demande visant à modifier le délai imparti peut et doit être initiée par le délinquant, tant en vertu de la loi provinciale[31] que du Code criminel[32]. Dans ce dernier cas, la demande de modification doit être autorisée par un juge conformément à l’article 734.3 C.cr.

[57]        Cela n’empêche pas le percepteur et le délinquant, à l’initiative de ce dernier, de s’entendre. Le délai, avant lequel l’État ne peut entreprendre des mesures de recouvrement, est au bénéfice du délinquant et il peut renoncer à un bénéfice que lui accorde la loi. Cette notion n’est pas étrangère au droit criminel[33].

[58]        Une personne condamnée peut donc demander à un juge de prolonger, ou comme le fait l’appelante, d’abroger le délai initial.

[59]        Dans l’arrêt Lavigne, la Cour suprême note qu’un délai raisonnable eu égard à toutes les circonstances devient la contrepartie logique à une amende minimale sans égard à la capacité de payer. La juge Deschamps, pour la Cour, écrit :

47 Dans Wu, la Cour a rappelé quelques principes généraux reconnus par la common law, notamment que (1) « [s]i le délinquant n’a de toute évidence pas les moyens de payer sa dette immédiatement, le tribunal doit lui accorder un délai pour l’acquitter » et que (2) « [c]e délai devrait être établi selon ce qui est raisonnable eu égard à toutes les circonstances » (par. 31). Ces principes généraux s’appliquent tout autant à l’amende de remplacement. Si le tribunal qui inflige l’amende n’a pas discrétion pour faire varier le montant de l’amende en fonction de la capacité de payer, ce facteur peut tout de même être pris en considération dans la détermination du délai de paiement. De plus, aux termes de l’al. 734.7(1)b) C. cr., lorsque le délai imparti pour payer l’amende de remplacement est expiré, le tribunal appelé à délivrer le mandat d’incarcération ne peut le faire que s’il est convaincu que le contrevenant a, sans excuse raisonnable, refusé de payer l’amende. Selon l’arrêt Wu, le défaut de paiement pour cause d’indigence ne saurait être assimilé à un refus de payer. Les différentes étapes — soit la décision d’infliger l’amende, la détermination de la valeur du bien et la fixation du délai — ne sont pas assujetties aux mêmes conditions et ne doivent pas être confondues. [34]

[Je souligne]

[60]        En matière de suramende compensatoire, le juge n’a aucun moyen de modifier le délai de 45 jours prévu par le décret sans une demande du délinquant. Si la demande de modification est présentée, le juge peut modifier le délai, selon ce qui est raisonnable eu égard à toutes les circonstances, notamment la capacité de payer, pour reprendre les enseignements de l’arrêt Lavigne, mais aussi en respectant l’objectif de la mesure. Lorsque la preuve le justifie et qu’un délai n’est pas dilatoire, un juge peut certainement agir conformément à l’article 734.3 C.cr.

[61]        Abroger le délai et prononcer l’emprisonnement immédiat est toutefois plus problématique.

[62]        L’arrêt Wu souligne que le fait de vivre de prestations d’aide gouvernementale établit une incapacité de payer, mais n’est pas, en soi, un motif suffisant pour prononcer l’incarcération immédiate[35]. Le juge Binnie rappelle, et le ministère public le fait valoir, qu’il « est souvent difficile de prévoir de façon certaine si un contrevenant sera un jour en mesure de s’acquitter de l’amende, grâce au fruit de son travail ou, peut-être, à un gain providentiel » [36].

[63]        Il est vrai, comme le fait remarquer la Cour suprême, que le Code criminel offre des mesures de recouvrement dont l’efficacité, difficile à évaluer au moment de la condamnation, peut se révéler si un délai conséquent est octroyé. Il est bien possible que le délinquant aux prises avec des difficultés financières prenne des arrangements afin que de telles mesures ne soient pas mises à exécution. Ainsi la confiscation, la suspension ou autre contrôle sur les permis ou licences peuvent être des mesures incitatives efficaces. Sinon, il y a les travaux communautaires puis, en dernier recours, l’emprisonnement.

[64]        J’emboîte volontiers le pas à l’optimisme exprimé par le juge Binnie, mais force est d’admettre que le futur est ici à courte vue, soit 45 jours. En outre, à la fin du délai, l’appelante était toujours sous le coup d’une peine d’emprisonnement de 60 jours. La preuve et la législation sont muettes sur la possibilité d’effectuer des travaux compensatoires en détention[37].

[65]        L’idée que le percepteur puisse rester passif et attendre la fin de peine, ayant pour effet de prolonger le délai imparti au délinquant, ne semble pas contraire aux dispositions législatives. Après tout, ce délai est au bénéfice du délinquant.

[66]        Toutefois, dans le cas d’une personne indigente, l’appelante plaide que les procédures de recouvrement de la suramende compensatoire peuvent recommencer perpétuellement. Cela me laisse perplexe. Sans surprise, ni l’arrêt Wu ni les textes législatifs n’offrent de réponse. La Cour a déjà dit qu’ « il n'est pas improbable qu'un mandat d'incarcération ne soit jamais émis »[38]. Tout indique que cette proposition est correcte, mais doit-on un jour trancher définitivement la question? Sinon, combien de fois et à quelle fréquence acceptable la personne indigente peut-elle être forcée de comparaître, peut-être arrêtée et détenue[39], afin de déterminer si elle a toujours une « excuse raisonnable » de ne pas payer ou de ne pas exécuter des travaux compensatoires? D’ailleurs, l’article 734.7 C.cr. autorise-t-il le tribunal à prolonger un délai de payer s’il détermine que le délinquant a une excuse raisonnable de refuser de payer ou d’exécuter des travaux compensatoires? Dans la décision Cook, la Cour supérieure conclut qu’un tribunal épuise sa compétence lorsqu’il prononce une ordonnance d’emprisonnement pour défaut de paiement[40]. N’en serait-il pas de même lorsqu’il la refuse?

[67]        Comme l’a fait valoir l’appelante, plus l’infortune est sérieuse, plus le préjudice est élevé, comme c’est le cas des personnes sans domicile ou aux prises avec des problèmes de santé mentale. Plusieurs de ces questions ne sont pas soulevées dans le cadre de ce pourvoi et d’autres impliquent une réponse à une contestation constitutionnelle. Elles illustrent néanmoins des difficultés bien réelles.

[68]        Cela dit, pour l’instant, il semble que la suramende soit une dette imprescriptible qui ne s’éteint que par le paiement en espèce, des travaux compensatoires ou l’emprisonnement.

L’emprisonnement à défaut

[69]        Contrairement à la loi provinciale[41], l’emprisonnement ne peut pas être imposé lorsqu’il existe une excuse raisonnable pour expliquer le refus de payer ou d’exécuter des travaux compensatoires. Une réelle incapacité de payer constitue une excuse raisonnable[42]. Le refus dont il est question à l’alinéa 734.7(1)b) C.cr. implique l’exercice d’un choix et, en principe, l’indigence n’en laisse aucun[43].

[70]        Dans l’arrêt Wu, le juge Binnie écrit que « [s]ur le plan du droit, il n’était absolument pas inévitable que l’intimé soit incarcéré si, en raison de sa pauvreté, il était tout simplement incapable de payer l’amende … »[44].

[71]        On peut aussi penser que l’État pourra, à l’occasion, être incapable d’offrir des travaux compensatoires, soit par manque de ressources ou pour une autre raison[45]. Ainsi, ce n’est que si le délinquant peut choisir de ne pas acquitter la suramende par l’exécution de travaux compensatoires que l’emprisonnement devient possible.

[72]        Le délinquant ne sera donc incarcéré que s’il refuse de payer l’amende alors qu’il a les capacités de le faire ou, s’il n’en a pas les capacités financières, refuse sans excuse raisonnable de s’en acquitter en effectuant des travaux compensatoires qui lui sont proposés. L’indigence est une « excuse raisonnable » au sens de l’article 734.7(1)bC.cr. tout comme, on peut le croire, l’absence de programme de travaux compensatoires[46].

[73]        Il se présentera des cas où un délinquant n’a ni les moyens financiers ni les capacités d’effectuer des travaux. C’est le cas de l’appelante.

[74]        Elle a raison de dire que rien ne lui interdisait de réclamer son incarcération immédiate. Le juge est alors saisi simultanément d’une demande de modification du délai pour payer, prévue à l’article 734.3 C.cr., et d’une demande d’emprisonnement pour défaut de paiement prévue à l’article 734.7 C.cr.

[75]        Le juge n’a toutefois pas commis d’erreur en refusant d’abroger les délais et de s’en remettre à ce que le percepteur jugera utile. Cela pour deux raisons.

[76]        La première est qu’il respecte alors l’intention très claire du législateur à l’égard de la suramende, laquelle demande que l’incarcération immédiate ne soit prononcée que dans des cas exceptionnels[47].

[77]        La seconde est que la preuve disponible n’est pas convaincante. Elle devait montrer plus que l’expression d’un refus de payer la suramende et d’exécuter des travaux compensatoires. Sans minimiser les difficultés du dossier, le cas de l’appelante est particulier. D’une part, si au moment du plaidoyer son incapacité financière est acquise aux fins de l’alinéa 737(1)b) du Code criminel, la preuve laisse entendre qu’il s’agit d’une personne qui a occupé des emplois et qui possède certaines habiletés sociales. D’autre part, la preuve est également peu convaincante sur son incapacité réelle à effectuer des travaux compensatoires. La preuve est même muette sur les types de travaux qui pourraient lui être proposés et, partant, il est difficile sinon impossible de conclure que l’appelante a une excuse raisonnable de ne pas les faire.

[78]        Enfin, je note que le juge tient compte de l’impact de la suramende dans la totalité de la peine lorsqu’il conclut que la mesure respecte le principe de la proportionnalité.

[79]        En somme, même si mes motifs sont légèrement différents de ceux du premier juge, je crois comme lui qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de l’appelante.


Emprisonnement consécutif ou concurrent

[80]        Puisque l’emprisonnement découle du refus, sans excuse raisonnable, du délinquant de payer la suramende ou d’effectuer des travaux compensatoires, l’emprisonnement qui en résulte est en principe consécutif. L’appelante est d’ailleurs d’accord avec cet énoncé. Mais surtout, il ne s’agit pas alors d’une peine, mais d’une sanction pour forcer le paiement ou l’exécution des travaux compensatoires[48].

Existe-t-il un droit d’appel d’une décision rendue en vertu de 734.7 C.cr. ?

[81]        Comme expliqué plus avant, un délai étant automatiquement prévu par règlement, la décision d’une incarcération immédiate est gouvernée par l’article 734.7 du Code criminel. Or, dans ce dernier cas, aucun droit d’appel n‘est prévu au Code criminel. Il est bien connu que l’appel est un droit statutaire[49]. La simple lecture de l’article 675 C.cr. répond à cette question[50]. Le libellé ne laisse même pas place à une interprétation généreuse du droit d’appel comme l’avait fait mon collègue Chamberland pour l’alinéa 839(1)a) C.cr. dans sa décision Belaroui[51]. Ce dernier alinéa semble effectivement généreux dans l’attribution des questions qui peuvent être soumises à la Cour d’appel. Il prévoit la possibilité de porter en appel « toute décision d'un tribunal relativement à un appel prévu par l'article 822 / a decision of a court in respect of an appeal under section 822 ». Une telle formulation ne se retrouve pas à l’alinéa 675(1)b) C.cr.

[82]        Pour tous ces motifs, je propose de déclarer la Cour sans compétence pour réformer la décision du juge.

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 



[1]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234. Permission d’appeler accordée à 2014 QCCA 1548.

[2]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 14.

[3]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 25 (caractères gras dans l’original).

[4]     R. c. Crowell (1992) 76 C.C.C. (3d) 413 (C.A.N.-É).

[5]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 30.

[6]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 33.

[7]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 43.

[8]     R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 52.

[9]     Bien qu’un juge ne prononce pas d’ordonnance de suramende, sauf le cas de 737(3) C.cr. (imposition d’une suramende compensatoire supérieure), l’avis établissant les modalités de paiement, exigé par le paragraphe 737(8) C.cr., est réputé être une ordonnance pour l’application de l’article 734.1 C.cr., tel que le prévoit le sous-alinéa 737(9)bC.cr.

[10]    Contrairement à ce que plaide l’appelante dans son mémoire, l’article 734.6 C.cr. est inapplicable dans le cas de la suramende compensatoire. En effet, l’article 737(9) C.cr. ne prévoit pas la possibilité pour le créancier d’inscrire un jugement civil à l’encontre du débiteur de la suramende, comme c’est le cas pour les amendes ou la confiscation.

[11]    Décret concernant la date d'échéance du paiement de la suramende compensatoire, ch. CCR, r. 1.

[12]    Au par. 43 de sa décision, le juge écrit : « [43] Il se peut qu'il s'agisse d'un très très long détour pour en arriver à une conclusion similaire à celle à laquelle le Tribunal pourrait en arriver aujourd'hui dans le cas de Mme Chaussé, mais le Tribunal estime que c'est la voie clairement choisie par le législateur, et ce, afin de favoriser au maximum le paiement des suramendes. »

[13]    Cela reste vrai avec les amendements apportés à ce paragraphe et récemment entrés en vigueur: Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants, L .C. 2015, ch. 23, art. 17, entrée en vigueur le 17 juillet 2015, TR/2015-0068.

[14]    R. c. Wu, [2003] 3 RCS 530, par. 31.

[15]    En fait, les dispositions sur la suramende compensatoire présument la capacité de payer puisque le Code criminel prévoit, au paragraphe 737(3), que le juge doit en tenir compte s’il impose un montant supérieur. Cette dernière disposition n’est pas l’objet du présent appel.

[16]    R. c. Wu, [2003] 3 RCS 530, par. 41.

[17]    Voir également l’affaire R. c. Bateman, 2015 BCSC 2071, par. 32-36.

[18]    Dans l’arrêt R. c. Deng, 2003 CanLII 32942 (C.A.Q.), la Cour a souligné qu’un délai de paiement d’une amende permet d’atteindre les objectifs fixés par le législateur et au délinquant de bénéficier de la condition prévue à l'alinéa 734.7(1) b) C.cr. (par. 20-21).

[19]    Il est intéressant de noter que dans l’arrêt R. c. Cook, 2014 QCCS 6657, la Cour supérieure est saisie d’un recours en certiorari visant à casser la décision d’un juge qui avait accordé une prolongation de délai à un délinquant après que le mandat d’emprisonnement a été lancé conformément à l’article 734.7 C.cr. La Cour, rappelant l’arrêt R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 33, conclut qu’une fois le mandat lancé, une extension des délais pour payer n’est plus possible, puisqu’au sens de cet article, le tribunal a alors épuisé sa compétence. S’appuyant également sur la décision terre-neuvienne dans R. c. Grace, 2011 CanLII 16155 (C.Prov.T.-N.L.), elle laisse entendre qu’une extension de délai ne peut être présentée une fois que le délai est expiré. Cette dernière conclusion mériterait qu’on s’y attarde puisque rien dans l’article 734.3 C.cr., il me semble, ne comporte une telle limite de temps, contrairement à la disposition de la loi provinciale sous étude dans la décision de Grace (voir notamment les par. 14-22).

[20]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530.

[21]    L’article 338 du Code prévoit que : « Les travaux compensatoires doivent se terminer dans les 12 mois de l'engagement, sauf si les sommes dues sont supérieures à 10 000 $, auquel cas ils doivent se terminer dans les deux ans. » Le juge écrit, au par. 38 de sa décision, que le délai de 12 mois est en principe applicable. Encore, je ne suis pas convaincu que le délai prévu au programme provincial puisse prévaloir, mais cette question, comme d’autres, n’a pas été débattue et il est donc inutile de conclure sur cet aspect.

[22]    R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 38.

[23]    Voir R. c. Cloud, C.A. Montréal, no. 500-10-005575-145, ce jour, par. 44.

[24]    R. c. Wu, [2003] 3 RCS 530, par. 3, 39-40.

[25]    Art. 734.5 C.cr.

[26]    Art. 734.7(1)bC.cr.

[27]    Art. 736(2) C.cr.

[28]    Art. 736(3) C.cr.

[29]    Code de procédure pénale, RLRQ, c C-25.1, art. 315 à 362.

[30]    R. c. Chaussé, 2014 QCCQ 5234, par. 37. Admissions, Pièce S-7, M.A. p. 37, no. 3.

[31]    L’article 327 du Code de procédure pénale prévoit ceci : « Le percepteur peut, sur demande du défendeur, lui accorder un délai additionnel pour payer les sommes dues lorsque l'examen de la situation financière du défendeur permet au percepteur de croire que celui-ci a la capacité de payer, mais que les circonstances justifient de lui accorder un délai additionnel. » (Je souligne).

[32]    Art. 734.3 C.cr.

[33]    R. c. Dudley, [2009] 3 R.C.S. 570, par. 34.

[34]    R. c. Lavigne, [2006] 1 R.C.S. 392, par. 47.

[35]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 32.

[36]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 33.

[37]    Admissions, Pièce S-7, M.A. p. 37-39.

[38]    R. c. Deng, 2003 CanLII 32942, par. 21 (C.A.Q.).

[39]    L’article 734.7(3) C.cr. prévoit notamment l’application des dispositions relatives à l’arrestation des personnes pour les amener à comparaître devant le juge de paix.

[40]    R. c. Cook, 2014 QCCS 6657.

[41]    Art. 346 et 347 Code de procédure pénale. Il faut mentionner que l’emprisonnement est exclu dans le cas d’amendes impayées pour des infractions relatives à la circulation routière et au stationnement (art. 363 à 366.2), mais le fait de se soustraire de façon délibérée au paiement des sommes est une infraction qui est passible d’un emprisonnement et qui ne libère par le délinquant des sommes dues (art. 366).

[42]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 3; R. c. Lavigne, [2006] 1 R.C.S. 392, par. 47.

[43]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 64.

[44]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 30.

[45]    L’accès aux travaux compensatoires n’est pas garanti. Tant l’article 736 C.cr. que les admissions déposées prévoient que l’application de la mesure est soumise à des conditions d'admissibilité (Admissions, Pièce S-7, M.A. p. 38, no. 7). Au surplus, l’article 333 C.p.p. prévoit que le percepteur offre la possibilité d’effectuer des travaux compensatoires « dans la mesure de la disponibilité » de ceux-ci. Or, si en droit provincial la non-disponibilité de travaux compensatoires ne semble pas être un empêchement à l’emprisonnement, il en va peut-être différemment en droit criminel puisque cette réalité pourrait constituer une « excuse raisonnable ».

[46]    R. c. Topp, [2011] 3 R.C.S. 119, par. 13.

[47]    R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 32.

[48]    R. c. Cloud, C.A. Montréal, no. 500-10-005575-145, par. 70.

[49]    R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764; R. c. Heikel, [1989] 1 R.C.S. 1776, et R. c. Ouellette, [1989] 1 R.C.S. 1781; Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, et Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835.

[50]    R. c. Druet (2001), 159 C.C.C. (3d) 445 (C.A.N.-B.).

[51]    R. c. Belaroui, 2004 CanLII 9844 (C.A.Q.).

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