Décision

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Dumanschi c. Cattan

2023 QCTAL 982

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

643834 31 20220720 G

No demande :

3616565

 

 

Date :

16 janvier 2023

Devant la juge administrative :

Karine Morin

 

Emilia Dumanschi

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Maria-Pia Cattan

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours déposé le 20 juillet 2022, la locataire demande le remboursement de la somme de 580 $ pour une réparation urgente et nécessaire, des dommages moraux de 1 500 $ ainsi que les frais de justice.

[2]         Au soutien de sa demande, elle allègue que la locatrice a négligé de faire la réparation demandée et nécessaire à son logement. Elle a donc dû faire appel à un plombier pour réparer la robinetterie de la baignoire.

LES FAITS

[3]         De la preuve administrée à l’audience, le Tribunal retient ce qui suit.

[4]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018, reconduit jusqu’au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 1 060 $.

[5]         Une inscription au bail désigne le fils de la locatrice à titre de gestionnaire de l’immeuble. L’adresse courriel et le numéro de téléphone de ce dernier sont fournis à la locataire.

[6]         La locataire habite un logement comprenant cinq pièces et demie, situé au 2e étage d’un immeuble comprenant quatre logements.

[7]         Elle soutient que de l’eau s’écoule du robinet de la baignoire de la salle de bain principale depuis 2017. Bien que le fils de la locatrice ait fait certaines démarches pour tenter de régler la problématique, celle-ci ne fut pas complètement résolue.

[8]         La locataire dépose en preuve un enregistrement vidéo, pris le 12 décembre 2021, lequel démontre que des gouttes s’échappent à un faible débit du robinet de la baignoire. Un bruit y est aussi associé.


[9]         En février 2022, la problématique s’aggrave considérablement, affirme la locataire. Une vidéo prise le 9 février 2022 permet de constater qu’environ un litre d’eau froide s’écoule à la minute de la robinetterie de la baignoire. Un bruit plus intense est aussi entendu.

[10]     Est aussi déposé en preuve un message texte envoyé au fils de la locatrice le 2 février 2022, accompagné d’une vidéo démontrant l’état de la problématique. Le message est lu par le destinataire, mais la locataire ne reçoit pas de réponse. Elle affirme l’avoir aussi contacté par téléphone et lui avoir laissé un message, sans retour.

[11]     Le 7 février 2022, un autre message texte est envoyé au fils de la locatrice afin d’y dénoncer l’importance de la problématique. Par un courriel du 3 mars 2022, la locataire l’informe qu’elle entend faire appel à un plombier dans les prochains jours, à défaut d’avoir un suivi de sa part. Une mise en demeure datée du 22 février 2002, dont la preuve démontre réception par la locatrice le 7 mars 2022, dénonce aussi cette même problématique.

[12]     La locataire dépose aussi en preuve une facture datée du 7 mars 2022, d’un montant total de 580,62 $, provenant d’une entreprise spécialisée en plomberie pour la réparation du robinet de bain, incluant la main-d’œuvre, la pièce à remplacer ainsi que les frais de service.

[13]     Elle décide ensuite de déduire cette somme du paiement de son loyer de mars 2002. Elle en informe la locatrice par une lettre, dont copie est déposée en preuve. En avril 2022, la locataire constate que le chèque n’a pas été encaissé et s’enquiert du motif de cette absence d’encaissement, par courriel, au fils de la locatrice mais elle ne reçoit aucune réponse.

[14]     Faisant suite à un recours déposé par la locatrice et à une décision du Tribunal rendue le 24 mai 2022 (dossier 624253), la locataire se voit dans l’obligation de payer à la locatrice la totalité du loyer de mars 2022, d’où la présente demande.

[15]     Au chapitre des dommages moraux, la locataire invoque le stress et les inconvénients causés par la problématique d’écoulement d’eau qui s’aggrave au fil du temps. En raison du fort débit de l’eau qui s’écoule et d’une aggravation possible, elle craint qu’un dégât d’eau survienne et d’en être tenue responsable. Elle doit donc s’assurer d’une présence constante dans son logement. Au surplus, l’eau qui s’écoule étant froide, elle ne peut prendre un bain.

[16]     Elle témoigne aussi du stress relié au dépôt de la demande en résiliation de bail par la locatrice dans le dossier 624253, la crainte de ne pas être remboursée du montant payé pour les frais de plomberie ainsi que la nécessité de s’absenter pour quelques jours de son travail.

[17]     Pour sa part, la locatrice est représentée par sa fille, madame Candice Cattan. Tel qu’expliqué lors de l’audience, le Tribunal retient de son témoignage les éléments de preuve qui constituent une preuve directe, rejetant ainsi ceux qui constituent du ouï-dire puisqu’ils sont inadmissibles en preuve.

[18]     Madame Candice Cattan témoigne utiliser le logement situé en dessous de celui de la locataire à titre de bureau de travail. Elle n’a reçu aucune dénonciation de la part de la locataire et n’a entendu aucun bruit provenant de l’écoulement de l’eau dans la baignoire.

[19]     Bien qu’elle n’ait pas été personnellement informée, elle reconnaît la présence de la problématique du robinet de la baignoire. Elle dépose en preuve une facture d’un plombier, datée du 24 août 2021, pour des travaux effectués à la robinetterie de la baignoire de la locataire.

[20]     Le 7 mars 2022, la locatrice prend connaissance de la mise en demeure de la locataire mais, ajoute-t-elle, c’est cette même journée que la locataire fait exécuter les travaux par un plombier. La locatrice n’a donc pas le temps de réagir.

[21]     En raison du paiement partiel du loyer de mars 2022, un recours en résiliation du bail et en recouvrement de loyer est ouvert contre la locataire. Elle est condamnée au paiement du loyer complet de mars 2022.

[22]     De son avis, la demande de la locataire est non fondée puisque les travaux exécutés n’étaient pas urgents et les frais de réparation déboursés par la locataire sont trop élevés.

[23]     Ainsi se résume l’essentiel de la preuve administrée à l’audience.


QUESTIONS EN LITIGE

[24]     La locataire a-t-elle droit au remboursement des frais de réparation pour le robinet de la baignoire?

[25]     La locataire a-t-elle droit à des dommages moraux en raison des troubles et inconvénients?

ANALYSE

Le fardeau de preuve

[26]     Les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.

[27]     Il appartient au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et d'en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence. Ainsi, il ne suffit pas de présenter des allégations devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.

[28]     Par conséquent, si la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra[1].

[29]     En l'instance, le fardeau de la preuve appartient à la locataire.

La locataire a-t-elle droit au remboursement des frais de réparation pour le robinet de la baignoire?

[30]     Le recours de la locataire est fondé sur les articles suivants du Code civil du Québec : 

« 1864. La locatrice est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »

« 1866. Le locataire qui a connaissance d'une défectuosité ou d'une détérioration substantielle du bien loué, est tenu d'en aviser la locatrice dans un délai raisonnable. »

« 1867. Lorsque la locatrice n'effectue pas les réparations ou améliorations auxquelles il est tenu, en vertu du bail ou de la loi, le locataire peut s'adresser au tribunal afin d'être autorisé à les exécuter.

Le tribunal, s'il autorise les travaux, en détermine le montant et fixe les conditions pour les effectuer. Le locataire peut alors retenir sur son loyer les dépenses faites pour l'exécution des travaux autorisés, jusqu'à concurrence du montant ainsi fixé. »

« 1868. Le locataire peut, après avoir tenté d'informer la locatrice ou après l'avoir informé si celui-ci n'agit pas en temps utile, entreprendre une réparation ou engager une dépense, même sans autorisation du tribunal, pourvu que cette réparation ou cette dépense soit urgente et nécessaire pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué. La locatrice peut toutefois intervenir à tout moment pour poursuivre les travaux.

Le locataire a le droit d'être remboursé des dépenses raisonnables qu'il a faites dans ce but; il peut, si nécessaire, retenir sur son loyer le montant de ces dépenses. »

[31]     Ainsi, un locataire peut, dans les cas d'urgence et de nécessité, entreprendre lui-même une réparation pourvu qu'il ait avisé ou tenté d'aviser le locateur et que ce dernier soit demeuré inactif.

[32]     En l'instance, le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante administrée à l’audience démontre qu’en raison du fort débit d’eau qui s’écoulait de la baignoire, soit approximativement un litre la minute, ainsi qu’en raison de l’aggravation possible cette problématique, la locataire était justifiée de craindre qu’il en résulte de façon imminente un dégât d’eau. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que les travaux de réparation du robinet de la baignoire étaient nécessaires et urgents.

[33]     Par ailleurs, la preuve non contestée démontre que le fils de la locatrice, désigné à titre de gestionnaire de l’immeuble dans le bail, fut informé au préalable à plusieurs reprises de la problématique et de l’urgence de procéder aux réparations, sans faire aucun suivi auprès de la locataire.


[34]     Conséquemment, devant l’inaction de la locatrice, le Tribunal estime que la locataire a le droit d'être remboursée des dépenses raisonnables qu'elle a engagées. La locatrice devra lui rembourser la somme réclamée de 580 $.

La locataire a-t-elle droit à des dommages moraux en raison des troubles et inconvénients?

[35]     L'inexécution d'une obligation de la locatrice prévue par la loi ou le bail permet au locataire de demander, entre autres, des dommages-intérêts et l'exécution en nature de ces obligations (article 1863 du C.c.Q.).

[36]     La juge administrative Francine Jodoin rappelait ce qui suit dans la décision Chammas c. Major[2] :

« [128] L'attribution de dommages-intérêts compensatoires et l'évaluation des pertes subies obéissent aux règles générales du droit commun. Aussi, le Tribunal doit considérer le lien de causalité qui existe entre la faute reprochée et les dommages réclamés.

[129] Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques. »

[37]     En l’instance, de l'ensemble de la preuve administrée à l'audience, le Tribunal constate que malgré plusieurs démarches de la locataire depuis le 2 février 2022, aucun suivi n’a été effectué par la locatrice. Celle-ci a donc tardé à agir alors que, dans les circonstances, une intervention rapide était nécessaire en raison d’une potentielle d’aggravation du débit d’eau et des conséquences qui auraient pu en résulter.

[38]     La locataire a témoigné avoir vécu du stress et des inconvénients en raison de cette problématique ainsi qu’en raison du refus de la locatrice de lui rembourser la somme déboursée au plombier. Dans les circonstances du présent dossier, le Tribunal arbitre une somme globale de 200 $ à titre de dommages moraux.

[39]     Par ailleurs, les dommages moraux réclamés en raison du stress occasionné par le dépôt de la demande en résiliation du bail par la locatrice sont des dommages indirects qui ne peuvent être indemnisés puisque la loi prévoit que seuls les dommages directs, soit ceux qui découlent directement d'une faute, peuvent être accordés[3].

[40]     En l’instance, la locatrice a suivi la procédure prévue par la loi pour déposer une demande en retard dans le paiement du loyer. En l'absence de faute, il ne peut y avoir de condamnation à payer des dommages.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]     CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire 580 $, plus les intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2022;

[42]     CONDAMNE la locatrice à verser à la locataire la somme de 200 $ à titre de dommages moraux, avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 20 juillet 2022, ainsi qu'une somme de 103 $ représentant les frais de justice de la demande;

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Morin

 

Présence(s) :

le locataire

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

5 décembre 2022

 

 

 


 


[1] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2005, p. 62.

[2] Chammas c. Major (R.D.L., 2020-03-19), 2020 QCRDL 9207, par. 128 et 129.

[3] Article 1613 du Code civil du Québec.

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