Nokam Togue c. Cipro | 2024 QCTAL 17391 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Laval | ||||||
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No dossier : | 779340 36 20240402 G | No demande : | 4260999 | |||
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Date : | 23 mai 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Sylvie Lambert | |||||
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Gilbert Nokam Togue
Julie F. Ngwadjap |
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Locateurs - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Brice Mirlène Cipro
Daniel Cipro |
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Locataires - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 2 avril 2024, les locateurs demandent la résiliation du bail et l'expulsion des locataire et de tous les occupants du logement, le recouvrement des loyers impayés (4 384 $) ainsi que les loyers dus au moment de l'audience, avec les intérêts et l'indemnité additionnelle, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel, plus les frais.
[2] Les locateurs allèguent les motifs suivants au soutien de leur demande :
- les locataires refusent de payer l’augmentation de loyer de 548 $ par mois. Il s’agit d’un logement construit il a moins de cinq ans. Ainsi, puisqu’ils refusent le nouveau loyer, ils doivent quitter;
- les locataires retardent fréquemment le paiement de leur loyer causant un préjudice sérieux aux locateurs;
- les locataires sont en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
[3] Les locateurs fondent ainsi leur recours sur plusieurs dispositions de la loi, dont les articles 1889 et 1955 du Code civil du Québec (C.c.Q.). À cet égard, ils soumettent que, puisque les locataires ont refusé l’augmentation de loyer, ils occupent sans droit le logement.
Preuve et prétentions des parties
[4] Les parties signent un bail pour la période du 1er septembre 2022 au 31 août 2023 au loyer de 2 300 $ par mois.
[5] Le logement concerné est situé au rez-de-chaussée et à l’étage supérieur d’une maison unifamiliale. Un autre logement se trouve au sous-sol de l’immeuble.
[6] La section « F » du formulaire de bail obligatoire, intitulée « Restrictions au droit à la fixation du loyer et à la modification du bail » est complétée et indique que le l’immeuble était prêt pour l’habitation le 21 août 2022. Cette date n’est pas contestée.
[7] Le 2 avril 2023, les locateurs font tenir aux locataires un avis d’augmentation de loyer faisant passer le loyer de 2 300 $ à 2 848 $ par mois.
[8] Cet avis, donné au moyen du formulaire que le Tribunal met à la disposition des justiciables, contient notamment la mention quant à l’obligation du locataire de déménager au terme du bail si l’immeuble est construit depuis cinq ans ou moins et qu’il refuse l’augmentation de loyer.
[9] Le 20 avril 2023, les locataires refusent l’augmentation de loyer en utilisant également le formulaire de réponse offert par le Tribunal.
[10] Le 1er mai suivant, les locateurs introduisent un recours en fixation de loyer[1].
[11] L’audience de ce dossier a lieu le 1er mars 2024. Selon le procès-verbal du greffier spécial, les locateurs se désistent de leur demande après avoir été informés par le greffier spécial qu’ils n’avaient pas entrepris le bon recours puisque l’immeuble est visé par l’article 1955 C.c.Q.
[12] Il convient de citer cet article :
« 1955. Ni le locateur ni le locataire d'un logement loué par une coopérative d'habitation à l'un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d'autres conditions du bail par le tribunal.
De même, ni le locateur ni le locataire d'un logement situé dans un immeuble nouvellement bâti ou dont l'utilisation à des fins locatives résulte d'un changement d'affectation récent ne peut exercer un tel recours, dans les cinq années qui suivent la date à laquelle l'immeuble est prêt pour l'usage auquel il est destiné.
Le bail d'un tel logement doit toutefois mentionner ces restrictions, à défaut de quoi le locateur ne peut les invoquer à l'encontre du locataire. »
[13] Les locateurs témoignent qu’ils avaient calculé le montant de l’augmentation en complétant les informations dans l’outil mis à la disposition du Tribunal sur son site Internet pour le calcul du nouveau loyer. Ils ignoraient, dit la locatrice, qu’ils ne pouvaient pas demander au Tribunal de fixer le loyer. Il s’agit de leur premier immeuble locatif.
[14] De leur côté, les locataires soumettent que l’augmentation demandée est excessive, sans toutefois produire quelque document ou preuve à l’appui de leur déclaration. De plus, ils soutiennent que l’avis d’augmentation de loyer a été transmis hors délai et qu’il est donc invalide.
Analyse et conclusion
[15] Tel que mentionné à l’audience, l’avis donné par les locateurs respecte le délai légal. Selon l’article 1942 C.c.Q., les locateurs avaient jusqu’au 31 mai 2023 pour transmettre l’avis d’augmentation de loyer.
[16] Quant au fait que l’augmentation serait excessive ou abusive, cette déclaration n’est aucunement supportée par la preuve.
[18] Selon l'article 1945 C.c.Q., lorsque les locataires refusent l’augmentation de loyer, ils doivent quitter les lieux à la fin du bail, non pas parce que le bail sera résilié, mais bien parce qu'il ne sera pas renouvelé à échéance.
[19] L’article 1945 C.c.Q. énonce:
« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.
Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. » (Notre soulignement)
[20] En l’espèce, le Tribunal ne peut conclure à une reconduction du bail aux mêmes conditions. Certes, les locateurs n’ont pas introduit le bon recours pour obtenir un plus haut loyer. Ils ne pouvaient, comme ils l’ont d’abord fait, demander la fixation du loyer.
[21] Toutefois, on ne peut conclure, considérant les actions qu’ils ont posées, qu’il y aurait eu renonciation de leur part, à l’exercice de leurs droits.
[22] Dans Decelles c. Paré[2], ma collègue, la juge administrative Camille Champeval, maintenant juge à la Cour du Québec, rappelle ainsi les principes applicables en matière de renonciation :
« Il est établi qu'une renonciation ne peut être présumée et qu'elle doit au contraire être expresse, claire. La renonciation tacite, quant à elle, ne peut s'inférer que d'actions présentant un caractère non équivoque.
[10] Dans la décision Société d'habitation Chambrelle c. Kane(1), la juge administrative Dina Mercier se penche sur la question de la renonciation tacite :
« Pour que l'on puisse conclure à une renonciation tacite, il faut en premier lieu une intention claire à cet effet, qui puisse se déduire des circonstances. Dans d'Assylva(2), la Cour d'appel souligne que la renonciation à un droit est une abdication et qu'elle ne se présume pas. Pour qu'il y ait renonciation tacite, il faut que les faits dont on voudrait l'induire soient tels qu'ils fassent voir une volonté manifeste d'abandonner le droit, c'est-à-dire que ces faits soient contraires au droit dont il s'agit ou inconciliables avec lui.
Dans Gingras(3), la Cour suprême rappelle que la renonciation tacite s'induit des faits non équivoques. Dans Pacific Properties(4), la Cour d'appel réfère aux propos de l'honorable Turgeon, confirmés par la Cour suprême dans Gingras, où il rappelle que la remise ou la renonciation tacite s'induit de certains actes posés par le créancier. Ces actes doivent être de nature à impliquer nécessairement la volonté de renoncer à son droit. Ils doivent présenter un caractère non équivoque, de façon qu'il soit impossible de les interpréter dans un autre sens que celui d'une renonciation. Il faut rappeler que la renonciation ne se présume pas et qu'elle doit toujours être interprétée de façon étroite. »
(Références omises)
[23] Le Tribunal conclut qu’en application de l’article 1945 C.c.Q., le bail ne s’est pas renouvelé aux mêmes conditions et que les locataires devaient quitter les lieux puisqu’ils ont refusé l’augmentation de loyer.
[24] Ainsi, le Tribunal conclut que les locataires occupent sans droit le logement. Il y a donc lieu d’ordonner leur expulsion du logement.
[25] Quant à la différence de loyer réclamé, le Tribunal est d’avis qu’en vertu du principe de la restitution des prestations, il y a lieu de condamner les locataires à payer un montant à titre d’augmentation de loyer.
[26] Le principe de la restitution des prestations est énoncé à l’article 1699 C.c.Q :
« 1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'une force majeure.
Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu'il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution. » (Notre soulignement)
[27] En l’espèce, il y a eu occupation véritable des lieux et il est impossible de procéder à une restitution en nature des prestations.
[28] Comme le mentionne la Cour du Québec dans Thurber c. Martin[3], alors qu’il y avait lieu à la restitution des prestations en présence d’un bail nul : « (…) le problème, dans le présent cas, c'est qu'il est impossible de le faire, comme l'a déjà souligné la jurisprudence: il ne sera jamais possible de faire en sorte que le locataire n'ait pas occupé les lieux loués. (…) ».
[29] Lorsque la restitution des prestations est impossible, tel que le souligne le juge Jacques Tremblay dans Blouin c. Argall, « la doctrine et la jurisprudence indiquent alors qu’on procède par équivalence »[4].
[30] En l’espèce, l’augmentation de loyer demandée par les locateurs est de 548 $ par mois. Toutefois, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’accorder la totalité de ce montant.
[31] Il ressort de la preuve soumise que les deux parties étaient de bonne foi et que c’est par ignorance de la loi que les locataires n’ont pas quitté les lieux et que les locateurs n’ont pas introduit leur recours sous 1889 C.c.Q. avant avril 2024.
[32] Le Tribunal est d’avis qu’il serait injuste, dans ce contexte, que les locataires soient pénalisés en étant obligés de payer la totalité de l’augmentation demandée, alors qu’ils avaient refusé celle-ci.
[33] Le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’exercer ainsi sa discrétion judiciaire et d’arbitrer à 200 $ par mois le montant que les locataires doivent payer, en plus du loyer de 2 300 $ par mois, pour la durée de leur occupation des lieux à compter du 1er septembre 2023. Ainsi pour la période allant du 1er septembre 2023 jusqu’au mois de mai 2024[5], les locataires doivent aux locateurs, la somme de 1 800 $.
[34] Le préjudice causé aux locateurs ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[6].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] ACCUEILLE, en partie, la demande;
[36] DÉCLARE QUE le bail a pris fin le 31 août 2023;
[37] ORDONNE l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;
[38] CONDAMNE les locataires à payer aux locateurs la somme de 1 800 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 2 avril 2024 sur la somme de 1 600 $ et sur le solde de 200 $, à compter du 2 mai 2024, plus les frais de justice de 87 $;
[39] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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Sylvie Lambert | ||
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Présence(s) : | la locatrice pour elle-même et à titre de mandataire du locateur les locataires | ||
Date de l’audience : | 6 mai 2024 | ||
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[1] Dossier 706066.
[2] Decelles c. Paré, T.A.L., 2023-02-09,
[4] Blouin c. Argall, C.Q., 2020-12-16, 2020 QCCQ 10282,
[5] Date de l’audience.
[6] RLRQ, c. T-15.01.
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