Décision

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Garat c. Immeubles Montréal

2024 QCTAL 25690

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

756307 31 20240115 G

No demande :

4165266

 

 

Date :

08 août 2024

Devant le juge administratif :

Michel Rocheleau

 

Ragina Garat

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Les Immeubles Montréal Société en nom collectif

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 15 janvier 2024, la locataire demande une ordonnance d'exécution en nature des obligations de la locatrice, une diminution de loyer de 20 % par mois à compter de l’année 2020 jusqu’à la réalisation de tous les travaux dont une ordonnance est requise. Elle réclame aussi des dommages moraux pour troubles et inconvénients, insécurité, stress et insomnie, pour un montant de 3 500 $, le tout, portant intérêt au taux légal, majorés de l'indemnité additionnelle, l'exécution provisoire de la décision, malgré l'appel, et les frais.

[2]         Au soutien de sa demande et se référant à la mise en demeure transmise à la locatrice le 20 novembre 2023, la locataire déclare que la locatrice néglige d'effectuer les travaux suivants : 

1. Importante infestation de coquerelles, présence de souris dans le logement;

2. Manque d’aération naturelle ou artificielle dans la salle de bain;

3. Porte patio de la cuisine mal installée qui ne se referme pas correctement;

4. Deux plaques de cuisson non-fonctionnelles sur la cuisinière;

5. Comptoir de cuisine qui écaille;

6. Baignoire en mauvais état la rendant difficile à utiliser;

7. Présence de moisissures autour des fenêtres;

8. Sonnette non fonctionnelle dans l’immeuble.

9. En plus de demander l’exécution de travaux sur les sujets ci-dessus, la locataire allègue que la diminution de loyer est réclamée pour la non-jouissance des lieux.

[3]         Les parties sont liées par un bail depuis le 1er août 2019 au 31 juillet 2020[1], reconduit jusqu’au 30 juin 2024 au loyer mensuel de 651 $. Le logement est situé au deuxième étage de l’immeuble de cinq étages et comportant 45 logements. Il comporte trois pièces et demie.

[4]         Lors de la signature du bail, aucun travaux à effectuer par l’ancien locateur n’y est indiqué.


CONTEXTE

[5]         La locataire témoigne devoir composer avec la présence de coquerelles et de souris dans son logement depuis le mois d’octobre 2023. Elle raconte que la situation s’améliore depuis peu, car la locatrice a mandaté une entreprise d’extermination qui s’occupe de faire un suivi de la situation dans l’immeuble. En fait, le problème serait à toute fin pratique réglé depuis le mois de mars dernier.

[6]         En ce qui concerne le manque d’aération et surplus d’humidité occasionnant des moisissures autour des fenêtres et dans la salle de bain, il semble selon le témoignage de la représentante de la locatrice, qu’il s’agit d’un problème qui serait en cours d’être réglé à la grandeur de l’immeuble par l’installation d’un extracteur d’air dans la salle de bain.

[7]         La locataire, photos à l’appui, explique que la porte patio se ferme avec beaucoup d’efforts et qu’il en est toujours de même lors de l’audience. Le Tribunal a également pu observer sur les photos qu’il y a de la moisissure autour des cadres de fenêtres.

[8]         En ce qui a trait à la cuisinière et à la baignoire que les photos démontrent en piètre état, la locataire indique que ces deux éléments ont été changés par la locatrice avec des appareils et matériaux neufs vers la fin mars en ce qui concerne la baignoire, mais sans précision quant à la cuisinière.

[9]         La sonnette de porte est toujours non fonctionnelle selon la locataire et le problème perdure depuis octobre 2023.

[10]     La locataire vit avec sa fillette de 4 ans et sa mère dans le logement.

[11]     Afin d’étayer ses prétentions sur sa réclamation de dommages moraux, elle souligne que sa fille a eu vraiment peur par la présence des rongeurs qui s’activaient autour de la nuit au cours de l’automne 2023. Également, prétendant que les problèmes de rongeurs et de coquerelles ont été dénoncés au concierge de l’immeuble sans résultat, elle insiste pour dire que le taux d’humidité dans le logement a eu des répercussions sur sa santé et celle de sa fille.

[12]     Elle montre sur les photos des souliers sports endommagés par des rongeurs ainsi qu’une partie d’un T-shirt. Elle estime devoir être remboursée.

[13]     Monsieur Richard Saucier témoigne. Il est le copain de la locataire. Il ne vit pas dans le logement, mais il s’y trouve fréquemment, dit-il. Il déclare avoir essayé plusieurs méthodes d’extermination des rongeurs et des coquerelles au cours de l’année 2022 et 2023. Il démontre par la production de photos la présence de ces indésirables.

[14]     Il explique que le problème de présence de souris est réglé et que celui pour la présence des coquerelles est en voie de l’être.

[15]     L’exterminatrice Pamela Marquis témoigne à la demande de la locatrice. Elle affirme avoir pour contrat de voir à éradiquer la présence de coquerelles et de rongeurs dans l’immeuble depuis environ 6 mois. Elle fait part de quatre visites ponctuelles effectuées au logement depuis le 26 janvier 2024.

[16]     Elle souligne qu’elle traite le problème de la présence de souris et celui des coquerelles également. Elle qualifie la collaboration de la locataire de bonne dans son témoignage. Elle termine en mentionnant qu’elle doit retourner pour des traitements dans l’immeuble le 3 juillet 2024.

[17]     Madame Annie Galarneau est la gestionnaire attitrée à la gestion de l’immeuble depuis 2023. Elle insiste pour affirmer que dès la réception de la mise en demeure du 20 novembre 2023[2], elle a vu à mandater une firme d’extermination afin d’entreprendre à solutionner ce problème dans l’immeuble.

[18]     Ses employés ont vu à colmater le maximum de trous sur les murs et sous l’évier de cuisine afin de diminuer les espaces où les rongeurs pouvaient s’introduire dans le logement de la locataire.

[19]     Elle indique que le bain fut réémaillé et le comptoir de cuisine changé au complet. Elle mentionne que la ventilation de l’immeuble au complet est en processus d’être changée et améliorée. Il en est de même avec le système de sonnette et intercom.

[20]     Elle ne semble pas préoccupée par la question précise de la présence de moisissures. Enfin quant au problème de fermeture de la porte patio, elle fut informée qu’il n’y avait plus de problème à cet égard.


[21]     Ceci résume l’essentiel de la preuve offerte lors de l’audience.  

QUESTIONS EN LITIGE

[22]     La locatrice a-t-elle fait défaut de procurer la pleine jouissance des lieux loués? Le cas échéant, quelle sera la diminution de loyer à accorder?

[23]     La locataire a-t-elle droit à des dommages moraux pour troubles et inconvénients?

ANALYSE

[24]     Les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.

[25]     Il appartient au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et d'en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence. Ainsi, il ne suffit pas de présenter des allégations devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.

[26]     Selon les articles 1854, 1864 et 1910 C.c.Q., le locateur a l'obligation de procurer la jouissance paisible du logement pendant toute la durée du bail, de faire les réparations nécessaires et de maintenir le logement en bon état d'habitabilité durant le bail. Ces obligations du locateur sont des obligations de résultat. Les moyens de défense du locateur sont donc limités[3]. La diligence raisonnable du locateur ne peut servir de défense dans le contexte de la présente situation.

[27]     Lorsque le locateur fait défaut de respecter cette obligation, le locataire peut obtenir une diminution de loyer[4]. En l'instance, la locatrice qui fait défaut de procurer à la locataire la pleine jouissance de son logement, ne peut exiger l'exécution totale de l'obligation corrélative de cette dernière, soit celle de payer le loyer[5].

[28]     Par ailleurs, pour obtenir une diminution de loyer, le locataire doit démontrer une perte subie de la valeur locative, une diminution de prestation d'une situation, ou encore, prouver que les défectuosités qu'il dénonce lui occasionnent une diminution significative et réelle ou une perte substantielle. Il ne peut pas s'agir d'un problème mineur, mais plutôt d'un problème sérieux.

[29]     À ce sujet, le Tribunal souscrit à l'opinion de Me Gilles Joly dans l'affaire Gagné c. Larocque[6] :

« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains des services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.

Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »

[30]     À cela, ajoutons que le recours en diminution de loyer vise la protection du loyer et tout ce qui le compose ou le détermine tel que les services, les accessoires, les dépendances, les lieux et les commodités[7].

[31]     En l'espèce, la locataire a été privée de la jouissance paisible du logement avec la présence de rongeurs qui a pris fin vers le mois de mars 2024. Elle doit toujours vivre dans un environnement où la moisissure est présente. Reste que le Tribunal ignore depuis quand cette situation subsiste. Néanmoins, il est bien connu que vivre dans un milieu où la moisissure est présente peut entrainer des conséquences néfastes sur la santé de ses occupants.

[32]     Tout bien considéré, une diminution de loyer de 20 % est accordée à la locataire à compter du mois de décembre 2023, vu la réception de la mise en demeure de la locataire à la fin du mois de novembre 2023. Cette diminution de loyer vise à compenser la locataire pour la perte de jouissance de son logement dû à la présence de vermine et de rongeurs en plus de vivre dans un milieu humide provoquant des moisissures notamment aux fenêtres et dans la salle de bain.

[33]     Cette diminution de loyer représente la somme totale de 1 041,60 $, soit 130,20 $ par mois entre décembre 2023 et juillet 2024. Par ailleurs, une diminution de loyer mensuelle de 80 $ demeurera tenante jusqu’à ce que tous les travaux prévus par la locatrice et auxquels elle a déclaré s’engager soient exécutés. Ceux-ci seront précisés dans les conclusions ci-dessous.

[34]     Enfin, quant à la réclamation pour dommages moraux, le Tribunal la rejettera pour le motif principal que la locatrice a démontré sa bonne foi et sa célérité à vouloir résoudre la situation. Le Tribunal a pris acte de ces engagements et conclu qu’elle n’a pas commis de faute génératrice de responsabilités.

[35]     Le préjudice causé à la locataire ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]     PREND ACTE des engagements de la locatrice formulés lors de l’audience;

[37]     ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;

[38]     ORDONNE à la locatrice d’installer un extracteur d’air mécanique dans la salle de bain;

[39]     ORDONNE à la locatrice de s’assurer du bon fonctionnement de la porte patio de la cuisine du logement;

[40]     ORDONNE à la locatrice d’installer dans le logement un mécanisme faisant en sorte d’éliminer les moisissures présentes dans le logement et d’assurer une ventilation adéquate;

[41]     ORDONNE à la locatrice de réparer ou remplacer le système d’intercom et sonnette relié au logement;

[42]     CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 1 041,60 $ à titre de diminution de loyer, avec les intérêts au taux légal, majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la présente décision;

[43]     PERMET aux parties d’opérer compensation entre ladite somme au paragraphe précédent et les loyers à échoir;

[44]     ORDONNE et MAINTIENT une diminution de loyer mensuelle de 80 $ à compter du mois d’août 2024 jusqu’à ce que tous les travaux et réparations faisant l’objet des ordonnances ci-dessus soient complètement terminés;

[45]     CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais judiciaires de 103,75 $;

[46]     REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Rocheleau

 

Présence(s) :

la locataire

Me Marc-B. Bilodeau, avocat de la locatrice

Date de l’audience : 

27 juin 2024

 

 

 


 


[1] Pièce P-1, bail entre les parties.

[2] Pièce L-1.

[3] Baudouin J.- L. et P. -G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e édition, 2005.

[4] Article 1863 al. 2 C.c.Q.

[5] Lareau c. Régie du logement, 1999 CanLII 11291 (QC CS).

[6] Gagné c. Larocque, R.D.L., 1997-12-01, SOQUIJ AZ-50756952.

[7] Baril c. Habitations Van Horne, [2009] no AZ-50787617 (R.D.L.); Gestions Adlexco ltée c. Brody, J. E. 91-158 (C. Q.).

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