Décision

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Martineau c. Dalakian

2023 QCTAL 35856

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

723019 31 20230720 G

No demande :

3976995

 

 

Date :

14 novembre 2023

Devant la juge administrative :

Lise Gélinas

 

Josée Martineau

 

Serge Quevillon

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Alexandra Dalakian

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par une demande introduite le 20 juillet 2023, les locateurs demandent l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et les frais.

CONTEXTE

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er juin 2009 au 30 juin 2010, renouvelé au 30 juin 2023. La locataire habite le logement depuis plus de 17 ans.

[3]         Les locateurs témoignent avoir informé, verbalement, la locataire de leur intention de reprendre son logement pour s’y loger à compter du 1er juillet 2023, leur permettant ainsi, dit le locateur, « d’avoir un pied à terre ».

[4]         Le locateur témoigne d’ailleurs qu’en 2021 une demande de reprise de logement est déposée au Tribunal administratif du logement, mais rejetée le 21 mars 2022, vu l’invalidité de l’avis et de la date de reprise.[1]

[5]         Ainsi, au mois de novembre 2022, s’ensuit une discussion entre le locateur et la locataire, dans laquelle le locateur soumet à nouveau son projet de reprendre le logement au 30 juin 2023. Après négociations, les parties conviennent d’une entente de résiliation du bail au 30 juin 2023, moyennant une compensation. Selon le locateur, les relations entre les parties sont cordiales et aucune pression n’est exercée à l’égard de la locataire.

[6]         Le locateur témoigne préparer l’entente intervenue entre les parties en novembre. Le 2 décembre 2022, selon le témoignage du locateur, cette entente appelée « Entente de non-renouvellement de bail »[2] prévoit une compensation de 6 000 $ pour la locataire, laquelle compensation sera déduite mensuellement à même les loyers, et ce, à compter du 1er décembre 2022. Quant à tout solde dû en date de la résiliation ou du départ de la locataire, il est prévu qu’il sera versé à la locataire lors de son déménagement.

[7]         Cependant, le locateur ajoute que c’est à la demande expresse de la locataire que cette déduction mensuelle de 570 $ est effectuée à compter de décembre 2022. Ainsi, tenant compte de cette déduction, la locataire paie un loyer mensuel de 500 $ à compter du 1er décembre 2022.[3]

[8]         La locataire allègue que ladite entente est illégale et contre l’ordre public. De plus, son avocat argue que le titre de l’entente l’emporte sur l’intention des parties. Ainsi, qu’elle ne peut être contrainte à renoncer, en date du 2 décembre 2022, à son droit de renouveler son bail en dehors des délais prévus à la loi.

[9]         Toutefois, la locataire témoigne être consciente que la compensation offerte et convenue est attrayante et supérieure à ce qu’elle obtiendrait à titre de frais de déménagement en cas de reprise de logement.

[10]     Or, selon le témoignage de la locataire, elle signe cette entente sous pression et la détresse en raison de travaux extérieurs (égouts de la ville), la circulation abondante, de troubles de sommeil et de l’attente, depuis 2020, d’une chirurgie. Elle témoigne aussi de sa méconnaissance de la loi.

[11]     Tel se résume l’essentiel de la preuve.

QUESTION EN LITIGE

[12]     La locataire occupe-t-elle sans droit le logement ?

ANALYSE ET DISCUSSION

Le fardeau de preuve

[13]     Le Tribunal juge opportun de rappeler les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec qui prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante.

[14]     La force probante de la preuve testimoniale est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui, pour ce faire, évalue la crédibilité des témoignages à la lumière de la chronologie des événements, de ce qui apparaît de la motivation des parties à agir et de la corroboration des allégations par d'autres témoignages notamment.

[15]     Si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra[4].

[16]     Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme dans leur Traité de droit civil du Québec :

« Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire qu'il perdra son procès si la preuve qu'il a offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »[5]

[17]     La présente demande se fonde sur l'article 1889 C.c.Q. qui se lit comme suit :

1889. Le locateur d'un immeuble peut obtenir l'expulsion du locataire qui continue d'occuper les lieux loués après la fin du bail ou après la date convenue au cours du bail pour la remise des lieux; le locateur d'un meuble peut, dans les mêmes circonstances, obtenir la remise du bien.

[18]     Les articles 2631 et suivants du Code civil du Québec (C.c.Q.) stipulent :

2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l'exécution d'un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

Elle est indivisible quant à son objet.

2632. On ne peut transiger relativement à l'état ou à la capacité des personnes ou sur les autres questions qui intéressent l'ordre public.

Elle est indivisible quant à son objet.

2633. La transaction a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée.

La transaction n'est susceptible d'exécution forcée qu'après avoir été homologuée.

2634. L'erreur de droit n'est pas une cause de nullité de la transaction. Sauf cette exception, la transaction peut être annulée pour les mêmes causes que les contrats en général.

[19]     Ces articles doivent être lus avec l'article 1385 C.c.Q., prévoyant la formation d'un contrat par le seul échange de consentement, et l'article 1386 C.c.Q., spécifiant la réalisation de l'échange de consentement par la manifestation, expresse ou tacite, de la volonté d'une personne d'accepter l'offre de contracter que lui fait une autre personne.

[20]     Selon l'article 1399 C.c.Q., le consentement doit être libre et éclairé. Autrement dit, il ne doit pas être vicié par la crainte, l'erreur ou la lésion, selon l'alinéa 2 de ce même article.

[21]     Ainsi, le vice de consentement étant allégué par la locataire, le fardeau de prouver ce vice lui revient. En l’instance, la locataire n’a pas démontré, par preuve prépondérante, de vice de consentement à ladite entente.

[22]     Le Tribunal croit sincère et crédible le témoignage du locateur à l’effet que cette entente est négociée et rédiger selon les termes et les conditions convenues entre les parties. D’ailleurs, la preuve non contestée démontre l’application de la déduction mensuelle de 570 $ à compter du 1er décembre 2022, et ce, tel que convenu à l’entente.

[23]     Quant à l'ignorance de la loi mentionnée par la locataire, elle ne constitue pas une défense et ne peut être invoquée dans les circonstances afin de remettre en cause la validité de l'entente convenue. D’autant plus que le Tribunal ne constate aucun élément de vulnérabilité ou d'inégalité situationnelle entre les parties.

[24]     La preuve démontre plutôt que la locataire fait défaut de se conformer à une entente de résiliation convenue avec les locateurs.

[25]     Par conséquent, la locataire occupe le logement sans droit et doit quitter le logement. Le Tribunal n'a pas d'autre choix que d'ordonner l'expulsion de la locataire et de tous les occupants.

[26]     Le préjudice subi par les locateurs ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[27]     DÉCLARE le bail résilié au 30 juin 2023;

[28]     DÉCLARE que la locataire est occupante sans droit et ORDONNE l'éviction de la locataire et de tous les occupants du logement;

[29]     REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lise Gélinas

 

Présence(s) :

le locateur pour lui-même et à titre de mandataire de la locatrice

la locataire

Me Yorrick Bouyela, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

22 août 2023

 

 

 


 


[1] Pièce L-1 en liasse, dossier 607922.

[2] Pièce P-2.

[3] Pièce P-3.

[4] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson et Lafleur ltée, p. 62.

[5] Nadeau, André et Ducharme, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur, pages 98 et 99.

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