Décision

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Abel c. R.

2023 QCCA 824

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-10-003747-206

(200-01-205948-163)

 

DATE :

22 juin 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

JEAN-BAPTISTE ABEL

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

et

CENTRE CANADIEN DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE

MIS EN CAUSE 

 

 

ARRÊT

 

 

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée le 2 août 2019 par la Cour supérieure (l’honorable Carl Thibault), en vertu des articles 486.4 et 486.4(3) C.cr., interdisant la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité des victimes.

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un verdict de culpabilité rendu le 19 février 2020 par un jury au terme d’un procès présidé par l’honorable Carl Thibault de la Cour supérieure, district de Québec, lequel déclare l’appelant coupable de possession, d’accession et de distribution de pornographie juvénile.

[2]                Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Ruel et Kalichman, LA COUR :

[3]                REJETTE l’appel;

[4]                ORDONNE à l’appelant de se livrer aux autorités carcérales dans les 72 heures du présent arrêt, conformément au jugement rendu le 6 août 2020.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

Me Catherine Soucy

Pour l’appelant

 

Me Sonia Lapointe

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Me Jessy Héroux

BATTISTA, TURCOT

Pour le mis en cause

 

Date d’audience :

18 avril 2023


 

 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

[5]                L’appelant a été reconnu coupable par un jury d’avoir possédé et distribué de la pornographie juvénile (al. 163.1(4)a) et paragr.163.1(3) C.cr.), de même que d’y avoir accédé (al. 163.1(4.1)a) C.cr.).

[6]                Il conteste le verdict et fait valoir trois arguments selon lesquels le juge qui a présidé le procès aurait erré en restreignant indûment l’accès à la preuve de la poursuite, en jugeant admissible une déclaration extrajudiciaire faite en présence des policiers et en donnant des directives erronées au jury.

[7]                Avant d’aborder ces trois moyens d’appel, voyons le contexte dans lequel ils se situent.

LE CONTEXTE

[8]                La police reçoit une information selon laquelle l’appelant, un militaire, aurait distribué une image constituant de la pornographie juvénile.

[9]                Les enquêteurs de la Sûreté du Québec responsables du dossier décident de le rencontrer à la base militaire de Valcartier, son lieu de travail. Pour ce faire, ils communiquent avec les supérieurs de l’appelant pour les informer qu’ils désirent le rencontrer, sur une base volontaire, au motif qu’il est suspecté d’avoir été impliqué dans une affaire de pornographie juvénile.

[10]           Le 19 octobre 2016, des policiers militaires communiquent donc avec l’appelant pour l’informer que des enquêteurs de la Sûreté du Québec veulent lui parler. Les policiers militaires soulignent que les enquêteurs veulent le rencontrer sur une base volontaire concernant une dénonciation selon laquelle il aurait possédé et distribué de la pornographie juvénile.

[11]           Il accepte de rencontrer les enquêteurs. Malgré ce que plaidera l’appelant, les policiers militaires ne lui intiment aucun ordre de le faire. Le supérieur de l’appelant témoigne même qu’aucune mesure disciplinaire n’aurait été imposée en cas de refus. Bref, le tout se déroule avec l’accord de l’appelant.

[12]           L’enquêteur de la Sûreté du Québec remplit le formulaire « Déclaration volontaire d’une personne majeure ». Il procède ensuite à une mise en garde et informe l’appelant de son droit à l’assistance d’un avocat. L’appelant confirme qu’il a bien compris et l’enquêteur réitère qu’il est avec eux sur une base volontaire. L’appelant dit qu’il souhaite exercer son droit à l’avocat et, à 9 h 49, il s’entretient au téléphone de manière confidentielle avec une avocate de l’aide juridique pendant dix minutes.

[13]           Après l’appel, il revient dans la pièce et dit à l’enquêteur que son avocate l’a informé qu’il peut quitter les lieux s’il le souhaite, sans toutefois manifester le désir de s’en aller, selon le policier. L’enquêteur lui répond que c’est exact, qu’il peut quitter les lieux, mais ajoute qu’il voudrait lui expliquer les circonstances de son enquête. À 10 h, l’appelant signe le formulaire de déclaration volontaire dans laquelle il indique avoir bien compris la mise en garde ainsi que le droit à l’assistance d’un avocat.

[14]           Alors que l’enquêteur lui montre l’image ayant fait l’objet de la dénonciation, l’appelant répond qu’il ne consomme que de la pornographie pour adulte sur Internet et qu’il ne connaît pas la personne à qui il aurait transmis l’image. Il admet toutefois que l’adresse courriel associée aux événements est bien la sienne.

[15]           À la suite de cette information, l’appelant est mis en arrestation pour possession et distribution de pornographie juvénile et l’enquêteur lui fait de nouveau la lecture de ses droits, qu’il dit de nouveau bien comprendre; il est 11 h 06. Le policier l’avise qu’il y aura une perquisition à son domicile, ce à quoi l’appelant répond ne pas être inquiet.

[16]           Un mandat de perquisition est donc exécuté au même moment à son domicile. Les policiers y saisissent un ordinateur fixe, des ordinateurs portables et des disques durs. Plusieurs fichiers contenant de la pornographie juvénile sous forme de photographies ou de vidéos sont trouvés dans ce matériel informatique. On découvre également des cahiers contenant des dessins faits par l’appelant, représentant des jeunes d’environ 14 ou 15 ans. En conséquence, il sera ensuite mis en arrestation pour production de pornographie juvénile, mais ces accusations seront retirées avant le procès.

[17]           À 11 h 15, il demande à parler à la même avocate, ce qu’il fait de 11 h 15 à 11 h 24. À 11 h 47, il signe un document autorisant la fouille de son téléphone portable et la saisie a lieu à 12 h 10 dans son automobile.

[18]           Tous se transportent ensuite au quartier général de la Sûreté du Québec où ils arrivent à 12 h 30. L’interrogatoire, capté sur bande vidéo, commence à 13 h 32 et se termine à 19 h 39.

[19]           L’enregistrement vidéo ne fait voir aucune promesse de la part de la police, aucune menace ni aucune suggestion d’intérêt à collaborer.

[20]           Les questions de l’enquêteur deviennent de plus en plus précises, de plus en plus ciblées, ce qui pousse l’appelant à demander s’il a le « droit d’avoir un avocat ici ». L’enquêteur lui répond qu’il a déjà exercé son droit à l’avocat. S’ensuit une discussion au cours de laquelle l’appelant fait part de sa fatigue et des émotions qui l’envahissent, ce qui mène l’enquêteur à lui suggérer qu’on « devrait crever l’abcès aujourd’hui », ce à quoi l’appelant acquiesce. La déclaration se poursuit.

[21]           Un peu plus tard, l’enquêteur indique à l’appelant qu’ils ont trouvé de la pornographie juvénile dans le matériel informatique saisi à son domicile. L’appelant demande s’il a droit à un avocat, ce à quoi l’enquêteur rétorque que non puisqu’il a déjà parlé à un avocat et qu’il n’y a pas eu de changement dans l’enquête. À la question de savoir s’il a le droit de garder le silence, le policier lui rappelle qu’il a ce droit dans les termes suivants :

ENQUÊTEUR

T’as le droit de garder le silence. Mais ce qu’il faut comprendre aujourd’hui c’est qu’est-ce que ça te donne de garder le silence. T’sais, jusqu’à date, je t’ai pas fait de menterie là. J’ai pas fait de mensonge, je te le dis, regarde…

JEAN-BAPTISTE ABEL

Je le sais mais (…)

[…]

ENQUÊTEUR

C’est ton droit de garder le silence, mais moi j’ai le droit de te poser des questions parce que j’ai le droit de t’informer de ce qu’on a.

JEAN-BAPTISTE ABEL

Continuez.

[22]           L’interrogatoire se poursuit sans que l’appelant parle à son avocat et il avouera ensuite qu’il a eu accès à de la pornographie juvénile et qu’il en a possédé.

[23]           Lors de son témoignage au cours du voir-dire, l’appelant déclare qu’il ne pouvait refuser de rencontrer les enquêteurs en raison du régime militaire qui le contraignait à collaborer avec la police. De plus, contrairement au témoignage de ses supérieurs, il affirme que ceux-ci lui ont dit de collaborer.

[24]           L’appelant fait valoir trois arguments que je reformule ainsi : 1) le juge a indûment restreint l’accès à la preuve détenue par la poursuite; 2) il a erré en jugeant recevable la déclaration faite aux policiers; 3) les directives finales comportent des erreurs sur des aspects importants du dossier. Examinons ces moyens d’appel.

L’ACCÈS À LA PREUVE

[25]           Le 16 juin 2017, l’appelant dépose à la Cour du Québec une première demande d’accès à une chose saisie afin d’obtenir une copie intégrale de toutes les pièces à conviction, notamment celles contenant de la pornographie juvénile. Étant donné la nature pédopornographique de ces éléments de preuve (ce qui n’est pas en litige), l’intimé propose plutôt des modalités d’accès, invitant l’appelant et son expert à consulter le matériel aux bureaux de la Sûreté du Québec pour en extraire les données ne contenant pas de pornographie juvénile à des fins d’analyse. L’identité de l’expert devra être divulguée et vérifiée à des fins de sécurité. Il devra également s’engager à respecter les modalités d’accès. L’appelant refuse cette avenue.

[26]           Le 12 juillet 2017, la Cour du Québec rejette la demande que des copies de toutes les pièces soient remises à l’appelant et reporte l’audition afin que certaines informations puissent être vérifiées par l’expert de l’appelant. Après plusieurs reports, la suite de l’audition n’aura finalement jamais lieu.

[27]           L’appelant exigera d’avoir en sa possession tous les éléments de preuve et rejettera toute offre de modalités. Il refuse même de procéder au choix du mode de procès tant que sa demande ne sera pas satisfaite. Il est donc réputé avoir choisi un procès devant un tribunal composé d’un juge et d’un jury.

[28]           Lors de l’enquête préliminaire, certains fichiers sont visionnés et des experts policiers témoignent.

[29]           Une deuxième demande d’accès est déposée le 16 novembre 2018, après l’enquête préliminaire. L’appelant requiert de nouveau que toutes les pièces lui soient communiquées, plus précisément que lui soit remise une copie miroir du matériel informatique afin de pouvoir analyser la preuve et la soumettre à un expert « pour bien connaître les détails relatifs à ces informations et les données techniques associées à ces informations », selon les termes de sa demande. 

[30]           L’intimé et l’intervenant, le Centre canadien de protection de l’enfance, s’y opposent et proposent, encore une fois, un accès à la preuve aux bureaux de la Sûreté du Québec selon certaines modalités, dont le but est la protection des enfants et l’établissement d’un obstacle à la dissémination de la pédopornographie.

[31]           Cette demande est entendue par le juge du procès. Un enquêteur de la division technologique de la Sûreté du Québec témoigne sur les précautions à prendre avant d’autoriser la consultation de fichiers contenant de la pornographie juvénile et la faisabilité d’une expertise dans les conditions proposées par l’intimé. La consultation sur place par un expert de la défense prendrait une demi-journée et une expertise, environ une semaine.

[32]           Le juge conclut que le droit à une défense pleine et entière n’est pas enfreint par les conditions proposées par la poursuite :

[50] Enfin, les modalités proposées par le ministère public entraînent certes des inconvénients ou des irritants pour le requérant, son procureur et l’expert qu’ils retiendront éventuellement. Toutefois, outre des inconvénients d’ordre logistique, le requérant ne démontre pas en quoi son droit à une défense pleine et entière est atteint du fait qu’il doit aller consulter la preuve dans les locaux de la Sûreté du Québec, plutôt que d’en recevoir une copie intégrale.

[33]           Il rejette tout autant l’argument selon lequel les conditions sont indûment strictes, au point où elles empêchent tout expert d’accepter le mandat :

[52] La preuve révèle également que la multitude d’experts contactés par le requérant n’a pas refusé d’accepter le mandat en raison des contraintes imposées par le ministère public. La situation est toute autre : la liste d’experts potentiels ayant refusé d’accepter le mandat fait plutôt état d’entreprises qui, pour la plupart, n’acceptent pas de mandats de particuliers. Des 29 entreprises répertoriées, 2 refusent, car elles sont incapables d’effectuer des analyses suffisamment poussées, 14 car elles ne travaillent que pour des entreprises ou ne travaillent pas pour les particuliers, 9 car elles ne font pas d’analyse ou de dépannage, 1 car elle ne veut pas être exposée à ce type de matériel et 3 car elles n’ont pas les compétences ou la disponibilité requises.

[53] Considérant la nature hautement sensible du matériel, les intérêts en cause et le refus du requérant d’être assujetti à des restrictions permettant de tempérer le risque de dissémination de pornographie juvénile, il est nécessaire de restreindre la possibilité ou le risque que la preuve soit disséminée, copiée ou circulée ou que des tiers non autorisés y aient accès.

[54] Le Tribunal est d’avis que le ministère public a exercé sa discrétion en matière de communication de la preuve de façon raisonnable et que la consultation dans un environnement sécurisé constitue un juste équilibre entre le droit du requérant à la communication de la preuve et à une défense pleine et entière et les droits et intérêts des victimes figurant dans le matériel dont on demande copie.

[34]           Je ne vois pas d’erreur dans cette décision. Bien que l’accusé ait droit à la communication de la preuve et qu’il puisse évidemment faire une demande de communication supplémentaire, la poursuite conserve un pouvoir discrétionnaire de choisir « le moment et la forme de la divulgation » : R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 339. Le refus de communiquer des renseignements pertinents ne peut toutefois se justifier « que par l'existence d'un droit au secret qui soustrait ces renseignements à la divulgation » : Stinchcombe, p. 327.

[35]           Ce pouvoir discrétionnaire peut toutefois être l’objet d’un contrôle exercé par un tribunal compétent, de sorte que le juge de la Cour supérieure avait compétence pour examiner la conduite de la poursuite, comme il l’a fait.

[36]           Il va de soi que les éléments de preuve saisis dans les ordinateurs et le téléphone portable de l’appelant sont pertinents tant pour la poursuite que la défense. La poursuite devait donc démontrer qu’il était dans l’intérêt de la justice de restreindre l’accès à la preuve : Stinchcombe, p. 340. Je n’ai aucun doute que c’est le cas ici. S’ils devaient être divulgués et, en principe, être communiqués, il reste qu’ils entrent dans la catégorie des éléments de preuve dont l’accès doit être balisé. Comme l’écrivaient les juges Watt et Paciocco dans York (Regional Municipality) v. McGuigan, 2018 ONCA 1062, il arrive que certains éléments de preuve ne doivent pas être reproduits ou remis à la défense :

[93] Ordinarily, disclosure is achieved by providing photographs, photocopies or electronic copies of documents or things capable of reproduction: Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions, the Hon. G. Arthur Martin, Chair (Ontario: Queen's Printer, 1993), at pp. 234-35, 470-72, recommendation 41.12 (the "Martin report"). This is arguably what Sopinka J. envisaged in Stinchcombe when he spoke, at p. 338 S.C.R., of "[p]roduction to the defence". Yet some things, such as pornographic images of children, should not be copied. Other information may be too sensitive to lose control over. In these exceptional cases, where it is in the interests of justice to do so, inspection by the defence may have to do: R. v. Blencowe (1997), 1997 CanLII 12287 (ON SC), 35 O.R. (3d) 536, [1997] O.J. No. 3619 (Gen. Div.), at p. 44 O.R. [page100].

[37]           Il peut arriver, au moment où la poursuite prend sa décision, qu’une inspection suffise et que la remise des pièces soit refusée afin de ne pas perdre « le contrôle » de ces éléments de preuve. Parfois, et je dirais même généralement, des éléments de pornographie juvénile ne devront pas être copiés ou autrement remis à la défense dès ce stade ou même plus tard. D’une part, il s’agit de pièces dont la possession est interdite et dont il faut évidemment limiter totalement la dissémination. Un engagement de la part de l’avocat et de l’accusé doit à tout le moins être souscrit, mais même l’engagement le plus sévère signé par un avocat pourra, dans certains cas, être insuffisant, puisque l’accusé pourrait ensuite vouloir lui-même les examiner et qu’une erreur informatique entraînant leur mise en circulation serait toujours possible. D’autre part, la dignité et la vie privée d’enfants victimes de violence sexuelle doivent être adéquatement protégées, ce qui exige parfois de strictes modalités de communication de preuve et même d’accès. La dissémination de pédopornographie, même par inadvertance, alimente cette violence sexuelle puisque l’enfant qui en est victime « vit en sachant que d’autres personnes peuvent accéder aux films ou aux images, qui peuvent à tout moment refaire surface dans sa vie » : R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, paragr. 48, références omises.

[38]           La poursuite doit naturellement prendre sa décision en considérant le droit à une défense pleine et entière. À ce sujet, je suis d’accord avec le juge Cameron lorsqu’il écrit, dans R. v. O. (W.A.), 2001 SKCA 64 :

[22]   With that, we may turn to the second limb of the issue, concerning the exercise of the Crown's discretion in this instance. Having disclosed the existence and content of the tape, Crown counsel chose not to provide a copy of the tape to defence counsel, offering instead to provide defence counsel an opportunity to inspect and view the tape. Crown counsel did so on the basis of protecting the privacy interests of the complainant, on the one hand, and of enabling the accused to examine the tape, on the other. 

[23]   In our judgment, the Crown cannot be said to have exercised its discretion on an improper basis, though it remains to consider whether the effect was to infringe the appellant's right to make full answer and defence. The complainant was deeply concerned lest her privacy, and that of her children, be further compromised should the tape fall into another's hands. Given the content of the tape and the risk of it falling into the wrong hands, this is readily understandable and was worthy of consideration. And if, as Crown counsel thought—and Dawson J. held—the appellant's right to make full answer and defence was not compromised in the result, there can be no interfering with Crown counsel's exercise of this discretion.

[39]           En somme, comme tout pouvoir discrétionnaire, il doit être exercé judiciairement et judicieusement, ce qui signifie que la décision de la poursuite peut être contrôlée par un tribunal compétent et qu’il faut prendre en compte le droit à une défense pleine et entière. Or, l’appelant ne fait pas ici la démonstration d’une atteinte à son droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, comme cela lui incombe : R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, paragr. 32 et R. v. O. (W.A.), précité, paragr. 25.

[40]           En réalité, l’appelant n’a fait aucun effort pour tenter de trouver une solution. Il a sans cesse demandé, sans équivoque, une copie complète de la preuve, sans s’interroger sur les alternatives et, surtout, sans démontrer en quoi l’examen des éléments de preuve aux bureaux de la Sûreté du Québec le privait de son droit à une défense pleine et entière. Il n’évoque que des hypothèses sans lien avec le dossier, même dans son mémoire. Ainsi, après avoir affirmé que « [l]’examen des fichiers, essentiel à la défense pleine et entière de l’appelant, nécessite d’avoir une copie des fichiers, et non seulement de pouvoir les consulter au poste de police », il écrit :

Ceci permet à la Défense de faire sa propre évaluation de la qualité de la preuve et d’effectuer de possibles enquêtes. Ainsi, en regardant les fichiers, la Défense peut observer, en outre, les participants à cette photo, le lieu où cette photo aurait été prise, les expressions faciales des participants, les marques ou l’absence de marques sur le corps des participants.

[41]           Je ne vois pas en quoi un examen au poste de police ne permet pas d’observer les participants, le lieu, les expressions faciales ou les marques sur leur corps. Qui plus est, je doute fortement qu’il puisse s’agir de faits importants pour la défense. D’ailleurs, aucun effort n’a été fait, pas même à l’enquête préliminaire, pour établir l’importance d’avoir une copie complète de la preuve. Ainsi, la Demande de l’Accusé pour obtenir copie des documents de novembre 2018, qui mentionne que « [l]’Accusé a aussi besoin de connaître les données numériques associées à ces documents, et pas seulement connaître les seules données que la Poursuivante veut bien dévoiler » et que « [l]a Poursuivante prive l’Accusé d’une défense pleine et entière et rend le procès à venir inéquitable » n’explique pas en quoi cela était si nécessaire pour assurer une défense pleine et entière. Il en est de même de l’affirmation selon laquelle « [l]’Accusé ne dispose d’aucun moyen de vérifier la qualité de la preuve que la Poursuivante se propose d’opposer à l’Accusé, tant avant, pendant qu’après le procès ».

[42]           Bien sûr, les modalités retenues par la poursuite n’étaient pas idéales pour la défense, mais l’accusé a droit à un procès équitable, non à un procès parfait.

[43]           L’appelant et son avocat avaient la possibilité de se rendre aux bureaux de la Sûreté du Québec afin d’examiner les pièces à conviction. Or, ni l’un ni l’autre ne l’a fait. Sil n’a pu contre-interroger efficacement les témoins à charge, ce n’est pas en raison du refus de lui communiquer une copie complète de la preuve, comme le soutient l’appelant, mais plutôt parce qu’il a décidé de n’entreprendre aucune démarche pour au moins consulter la preuve avant l’audience.

[44]           L’article 605(1) C.cr. permet au juge d’« ordonner la communication de toute pièce aux fins d’épreuve ou d’examen scientifique ou autre, sous réserve des conditions estimées utiles pour assurer la protection de la pièce et sa conservation afin qu’elle serve au procès »[1]. Afin de procéder à une expertise sur des biens infractionnels, un accusé doit démontrer que sa demande a une certaine « vraisemblance / air of reality » et qu’elle a une base plus tangible que de simples spéculations : R. v. Eagles (1989), 1989 CanLII 205, (NS CA), 47 CCC (3d), 129, p. 136; R. v. R., 2019 ONSC 5533, paragr. 30.

[45]           En somme, l’appelant ne me convainc pas que son droit constitutionnel à une défense pleine et entière a été enfreint ni que ses arguments satisfont les exigences de l’article 605 C.cr. puisqu’ils ne démontrent pas que les exigences de la poursuite, entérinées par le juge, ne constituent pas des conditions utiles ou raisonnables, comme le prévoit l’article. L’intimé a raison lorsqu’il écrit : « en s’obstinant à ne pas prendre minimalement connaissance de la preuve disponible, il a lui-même restreint ses propres moyens de défense […] ». Au minimum, il fallait tenter l’expérience, consulter la preuve dans les locaux de la Sûreté du Québec autant de fois que nécessaire, s’assurer que ce soit fait dans un cadre où la confidentialité entre l’avocat et son client est protégée et ensuite, s’il y a lieu, présenter des demandes fondées sur des faits et non sur de simples hypothèses. En exigeant, sans nuances et sans conditions, de recevoir une copie miroir de la preuve, l’appelant se limitait à invoquer son droit à une défense pleine et entière sans arguments concrets et en ne prenant aucunement en compte les autres intérêts en cause, notamment ceux des jeunes victimes et du système de justice.

[46]           En écrivant ce qui suit, le juge a tenu compte de toutes les circonstances de l’affaire et de tous les intérêts en jeu :

[38]  Il convient de rappeler que le droit du requérant à la communication de la preuve n’équivaut pas à un droit absolu à l’obtention de copies miroirs du matériel. […].

[39]  Dans des cas exceptionnels, il peut être suffisant, voire dans l’intérêt de la justice de donner uniquement accès au matériel recherché, et non d’en remettre copie. Le ministère public peut exercer une certaine discrétion à cet égard, pourvu que l’accusé soit en mesure de présenter une défense pleine et entière : […].

[…]

[43]  Le droit du requérant à la communication de la preuve et à une défense pleine et entière est certes capital, mais il existe en l’espèce des considérations opposées dont il faut tenir compte, dont les droits des victimes en cause, notamment leur droit à la vie privée, et le risque de dissémination de matériel hautement sensible.

[44]  Le requérant demande une copie intégrale du matériel saisi, sans encadrement et sans proposer d’expert ou de démarche permettant de contrôler le risque de dissémination de copies à des tiers. Son procureur refuse toute ingérence, plaidant qu’il a le droit d’être en possession de ces éléments et ajoutant lors de l’audition qu’il ne sera pas créé de risque indu advenant le cas où il consulterait une copie de ce matériel à son bureau, sur un poste ayant accès à Internet, puisque les victimes sont inconnues et que les fichiers circulent librement sur le Web.

[45]  Le Tribunal ne peut se ranger à la position du requérant.

[…]

[53]  Considérant la nature hautement sensible du matériel, les intérêts en cause et le refus du requérant d’être assujetti à des restrictions permettant de tempérer le risque de dissémination de pornographie juvénile, il est nécessaire de restreindre la possibilité ou le risque que la preuve soit disséminée, copiée ou circulée ou que des tiers non autorisés y aient accès.

[54]  Le Tribunal est d’avis que le ministère public a exercé sa discrétion en matière de communication de la preuve de façon raisonnable et que la consultation dans un environnement sécurisé constitue un juste équilibre entre le droit du requérant à la communication de la preuve et à une défense pleine et entière et les droits et intérêts des victimes figurant dans le matériel dont on demande copie.

[47]           Je ne vois pas d’erreur pouvant justifier l’intervention de la Cour dans cette décision.

[48]           Le mis en cause, intervenant au procès, le Centre canadien de protection de l’enfance, demande à la Cour de donner des indications permettant d’identifier le type de conditions acceptables dans des circonstances analogues au présent appel. Pour ce faire, il rappelle qu’a été produit en première instance un rapport-synthèse de 2016 suivant une enquête auprès de survivants et de survivantes d’abus pédosexuels afin de bien comprendre les effets de cette criminalité sur leur existence.

[49]           Quoique le présent dossier soit un bon exemple de conditions raisonnables, certaines précisions pourraient être utiles aux parties et aux juges qui révisent les conditions d’accès à des éléments de preuve de pornographie juvénile et les modalités de leur communication à la défense.

[50]           J’estime que les tribunaux doivent tenir compte des facteurs suivants :

1) Le préjudice susceptible d’être causé aux victimes. Que celles-ci soient connues ou inconnues n’a aucune importance. Il faut avoir à l’esprit l’atteinte à leur dignité en cas de dissémination et, parfois même, en cas de simple accès aux images.

 

2) Le danger réel de dissémination accidentelle. Si la technologie peut faire des merveilles, elle peut aussi causer des torts importants, même par inadvertance. Malgré qu’un officier de justice s’engage à garder le tout confidentiel, il reste que des manipulations informatiques accidentelles peuvent se produire. Il existe un risque inhérent que du matériel de cette nature se retrouve entre les mains de tiers : R. v. Blencowe,1997 CanLII 12287 (ON SC).

 

3) Il faut donc circonscrire avec précision les modalités d’accès et en peser les conséquences, tout en s’assurant que la défense a un accès suffisant à la preuve pour préserver son droit de se défendre. Il faut, par exemple, se poser les questions suivantes : qui aura accès à la preuve? À quel endroit? Des copies peuvent-elles être faites? Des engagements doivent-ils être souscrits? Comment les transporter, comment les transférer, le cas échéant? Comment décrire et délimiter les devoirs et responsabilités de chacun?


[51]           En plus de ces facteurs, il convient de limiter autant que possible le nombre de personnes pouvant avoir accès à la preuve. S’il va de soi que l’accusé et son avocat ou son avocate ont ce droit, encore faut-il en déterminer les modalités. La collaboration et la coopération de l’accusé s’imposent à ce sujet et la seule exigence d’un engagement signé par lui à respecter les modalités ne suffira pas toujours. Quant aux autres personnes, l’accusé a le fardeau de démontrer la nécessité de leur intervention (par exemple, seul un expert est en mesure de répondre aux préoccupations de la défense), et la manière d’y parvenir. Dans le cas d’un expert, seul un expert qualifié devrait pouvoir accéder à la preuve pour éviter qu’un tiers sans compétence, non en mesure de répondre adéquatement aux préoccupations de la défense, accède à des éléments de preuve dont l’accès, je le répète, constitue une infraction en dehors du contexte judiciaire.

[52]           Un expert doit, au minimum, souscrire un engagement de respecter les conditions qui doivent, de leur côté, veiller à protéger l’intérêt des victimes, celui de l’accusé et, plus généralement, les fins de la justice. On peut certes envisager, par exemple, la nécessité d’utiliser un mot de passe robuste, de ne faire aucune copie supplémentaire et l’obligation de procéder à l’analyse sur un appareil non branché à Internet. Comme le souligne l’intervenant, le jugement R. v. Pohl, 2021 MBQB 74, paragr. 25, constitue un bon exemple de telles conditions.  

[53]           Je ne prétends évidemment pas que toutes les modalités prévues dans le jugement Pohl devraient être imposées dans tous les cas, chaque affaire devant répondre à ses propres exigences, mais je donne cet exemple pour démontrer comment il peut être nécessaire d’encadrer l’analyse d’un expert, si tant est qu’il doive être autorisé à accéder à la preuve et à en prendre possession. J’en profite également pour indiquer que, dans tous les cas, une entente entre les parties devrait être entérinée et imposée par un tribunal afin d’en assurer davantage le respect.

[54]           Le lieu à privilégier pour consulter la preuve devrait, bien entendu, être les locaux de la police, tout en assurant la confidentialité des rapports entre l’expert et l’accusé ou son avocat. Le transport des pièces à l’extérieur de ces locaux ne devrait être autorisé que si l’accusé en démontre la nécessité. Quant aux copies, elles sont à proscrire, sauf si l’examen des facteurs pertinents justifie d’en faire, par exemple, s’il est établi que l’expert ne peut réaliser son expertise autrement. Dans ce cas, les copies devraient être cryptées, entreposées en toute sécurité, en s’assurant qu’aucune autre personne que celles autorisées n’y ait accès, et retournées aux policiers dans le délai prévu dans les modalités.

LA DÉCLARATION FAITE À LA POLICE

[55]           L’appelant prétend que l’enquêteur qui a procédé à son arrestation a violé son droit au silence, car, écrit-il dans son mémoire, « il se sentait obligé de “collaborer” avec la police en raison des règles en vigueur au sein des Forces armées canadiennes » [renvoi omis]. Il ajoute que la déclaration n’était pas libre et volontaire puisque ses supérieurs lui ont dit de collaborer avec la police et que l’enquêteur lui a indiqué qu’il avait intérêt à collaborer.

[56]           Il soutient également que l’enquêteur a violé son droit à l’assistance d’un avocat après son arrestation puisqu’il a refusé à deux reprises qu’il parle à son avocat alors qu’il en avait pourtant fait la demande. De plus, toujours dans son mémoire, il écrit : « L’enquêteur a négligé de mettre l’appelant en garde lorsqu’il a acquis des informations nouvelles qui lui permettaient de croire que l’appelant avait commis des délits bien plus graves que celui pour lequel il l’avait mis en garde », plus précisément un crime d’inceste et un autre de production de pornographie juvénile.

[57]           Je suis d’avis que ces arguments ne tiennent pas la route. Voici pourquoi.

[58]           En ce qui a trait au caractère libre et volontaire de la déclaration, le juge conclut ainsi :

[179]  Rien dans la preuve ne tend à indiquer que monsieur Abel aurait fait l’objet de promesse ou menace. Le visionnement de l’interrogatoire démontre au contraire que l’exercice s’est déroulé dans une atmosphère courtoise, civilisée et dépourvue d’oppression. L’enquêteur Belley n’a eu recours à aucune ruse et l’accusé était manifestement doté d’un état d’esprit conscient.

[180]  Aucun élément de preuve ne suggère qu’il n’en était autrement avant le début de l’enregistrement ou pendant celui-ci ni pendant les très courtes périodes où monsieur Abel s’est absenté de la salle d’interrogatoire, sous supervision policière, pour se rendre à la toilette.

[181]  Monsieur Abel allègue qu’il était confus avant, pendant et après son arrestation. Lors de l’interrogatoire vidéo, le Tribunal a pu observer une certaine nervosité de monsieur Abel qui est tout à fait normale lorsqu’une personne se fait arrêter et interroger. Cependant, le Tribunal ne croit pas l’accusé lorsqu’il précise qu’il était confus, déconnecté et n’était pas conscient si c’était la réalité ou non.

[182]  Compte tenu que le ministère public doit faire une preuve hors de tout doute raisonnable que les verbalisations de monsieur Abel sont libres et volontaires, le Tribunal doit reposer l’évaluation de la crédibilité de l’accusé sur les principes énoncés dans R. c. W. (D.).

[183]  Ainsi, le Tribunal ne croit pas l’accusé lorsqu’il précise que « pour ne pas entendre les questions, il enlève tout le son, il est déconnecté, il n’est pas conscient si c’est la réalité. Il essaie de trouver un lien avec la réalité ». Sur cet aspect, il suffit de procéder au visionnement de l’interrogatoire vidéo pour réaliser que monsieur Abel est conscient et qu’il n’est aucunement déconnecté ou confus à un point où les verbalisations obtenues n’auraient pas été faites avec un esprit conscient. Son témoignage ne soulève aucun doute. Lorsqu’on évalue le témoignage de l’accusé en tenant compte de l’ensemble de la preuve, le témoignage de ce dernier ne soulève aucun doute que les verbalisations obtenues l’ont été avec un esprit conscient en l’absence de toute confusion.

 [Renvoi omis]

[59]           Ces conclusions, tant de fait que de droit, sont inattaquables. Elles sont bien fondées en droit et reposent essentiellement sur l’évaluation de la crédibilité des témoignages à l’égard de laquelle il n’y a pas de démonstration d’erreurs manifestes et déterminantes.

[60]           L’appelant soutient que sa déclaration n’était pas libre et volontaire en raison notamment de son statut de militaire, du fait que ses supérieurs lui ont dit de collaborer avec la police et que, de son côté, l’enquêteur lui a dit qu’il avait intérêt à collaborer.

[61]           Un policier peut user de ruse, à moins que celle-ci ne « choque la collectivité » : Rothman c. R., [1981] 1 R.C.S. 640, p. 697, ou qu’elle ne fasse naître un climat d’oppression, une atmosphère d’intimidation : Hobbins c. R., [1982] 1 R.C.S. 553, qui rendrait la déclaration involontaire. Cette règle demeure la règle cardinale en la matière. Le simple fait, pour une personne en autorité, d’indiquer qu’il existe un intérêt à collaborer ne rend pas nécessairement la déclaration inadmissible en preuve. Or, l’appelant ne prétend pas que l’enquêteur lui a fait des menaces ou des promesses de nature à rendre sa déclaration involontaire, et il ressort de la preuve que le policier n’agissait pas de manière oppressive, bien au contraire. Comme le souligne la Cour suprême dans R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, convaincre un suspect qu’il peut être dans son intérêt de faire une déclaration n’est pas une conduite interdite :

[57] En résumé, les tribunaux doivent avoir à l’esprit qu’il peut souvent arriver que les policiers offrent une certaine forme d’encouragement au suspect en vue d’obtenir une confession.  Peu de suspects confesseront spontanément un crime.  Dans la très grande majorité des cas, les policiers devront d’une façon ou d’une autre convaincre le suspect qu’il est dans son intérêt de faire une confession.  Cela ne devient inacceptable que lorsque les encouragements — à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs — sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect. […]

[62]           Il n’y a eu aucun encouragement de cette nature de la part du policier.


[63]           En ce qui concerne les supérieurs de l’appelant, malgré ce qu’il prétend, ils ont tous témoigné de l’absence de coercition. Ils affirment d’ailleurs ne pas lui avoir suggéré de collaborer et clairement le juge retient leur version. L’appelant ne démontre pas une erreur à cet égard.

[64]           L’appelant attire l’attention de la Cour sur deux extraits du témoignage du capitaine pour démontrer que ses « supérieurs l’ont instruit de collaborer avec l’enquêteur de la Sûreté du Québec ». Pourtant, il n’en est rien. Dans le premier extrait, le capitaine s’exprime ainsi :

Moi, je lui donnais des tâches, mais pour des situations comme ça, on va laisser les genson va leur donner la... on va les libérer de leur travail pour qu’ils puissent aller collaborer.

[65]           Cette conduite, bien normale, qui consiste à relever les militaires de leurs tâches pour qu’ils puissent collaborer (j’ajouterais « s’ils le désirent »), ne démontre en rien que, dans notre cas, la capitaine a « instruit » l’appelant de collaborer.

[66]           Voici l’autre extrait :

R. Oui. Moi, j’ai compris qu’il voulait se rendre pour aller aider une amie qu’il croyait que c’était une situation par rapport à son appartement au Saguenay, une amie. Ça fait que je lui ai dit : «C’est beau, vas-y et puis on se reverra plus tard.»

Q. Bon. Maintenant, vous lui dites «vas-y», là, vous aurez parlé d’aller collaborer avec la police?

R. Je... mais, je...

Q. Que vous trouvez ça normal que...

R. C’est... oui. C’est normal de... moi, personnellement, j’aurais un appel et puis je voudrais aller aider mon amie, j’irais collaborer, j’irais parler, j’irais rencontrer voir c’est quoi qu’il en discute, mais pas plus que ça, là.

Q. Bon. Alors, vous avez libéré monsieur Abel, j’imagine, pour qu’il puisse s’absenter de son travail et puis aller voir la police?

R. C’est exactement ce qu’on a fait, oui.

Q. Parce que d’après ce que vous comprenez, c’est une base volontaire, là?

R. Oui, c’était sur une base volontaire, donc je lui ai permis d’y aller s’il voulait y aller.

[67]           On voit bien que l’hypothèse évoquée par le capitaine n’a rien à voir avec une incitation à collaborer, comme le plaide l’appelant.

[68]           Le juge estime, en se basant sur les témoignages du capitaine, d’un adjudant et d’un sergent, que l’appelant s’est volontairement rendu à la rencontre avec l’enquêteur. Il croit leur témoignage selon lequel l’appelant s’y est rendu en toute liberté et était d’accord pour ce faire, sans qu’ils aient insisté de quelque façon. Ici encore, l’appelant ne démontre aucune erreur.

[69]           Comme on vient de le voir, le capitaine ne savait même pas quelles étaient les raisons de la rencontre. Il ajoute qu’aucune sanction ne pouvait être imposée en cas de refus :

Q. […] dans le cas où le caporal Abel aurait refusé d’aller rencontrer les policiers, est-ce que pour vous, il s’exposait à une quelconque sanction disciplinaire au niveau de l’Armée?

R. Non, parce que ce n’était pas... il n’y avait rien de... comment dire, de légal, ou de procédure judiciaire à ce moment-là qu’on connaissait. Pour moi, c’était une déclaration volontaire, il allait aider une amie, donc c’était... voici, c’était... une bonne action qu’il allait faire.

[70]           De son côté, le sergent, qui était au courant des motifs de la rencontre, n’a eu qu’un contact téléphonique très bref avec l’appelant lors duquel il l’informe que la police veut le rencontrer sur une base volontaire et qu’il n’est pas en état d’arrestation. Selon le sergent, l’appelant n’a pas vraiment posé de question et n’a opposé aucun refus :

J’ai expliqué au téléphone que non, c’était libre et volontaire, que la SQ voulait le rencontrer, qu’il n’était pas arrêté à ce moment-là.

[71]           En somme, si l’appelant a eu l’impression qu’il devait collaborer, c’est uniquement sur une base subjective qu’il a pu conclure ainsi. Or, « le test ne peut être purement subjectif », comme le rappelle cette cour dans Léo c. R., 2017 QCCA 2042, paragr. 20. Je ne vois donc pas d’erreur lorsque le juge écrit :

[149] Tel que précisé précédemment, le Tribunal ne retient pas la version de monsieur Abel lorsqu’il précise qu’il se sentait dans l’obligation de collaborer avec les policiers dû à son statut de militaire. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’accusé aurait fait la différence entre son statut de militaire et l’exercice de ses droits constitutionnels. Le Tribunal a eu le bénéfice de voir l’accusé témoigner. Il s’agit d’une personne occupant la fonction d’informaticien au sein des Forces armées, il est très articulé, volubile et en mesure de prendre des décisions éclairées. Ainsi, lorsqu’il décide de rester en présence de l’enquêteur et de répondre aux questions de ce dernier, il le fait en toute connaissance de cause. Il était libre de ses déplacements et en mesure de faire des choix éclairés. L’enquêteur Belley n’a pas usé d’artifice ni de ruse. Au contraire, il a été respectueux des droits constitutionnels de monsieur Abel. D’ailleurs, l’enquêteur Belley est transparent, il n’a pas caché l’importance des infractions pour lesquelles l’accusé était enquêté. Ce dernier connaissait son risque. Suite à l’exercice de son droit à l’avocat, l’enquêteur Belley a précisé à monsieur Abel que c’était vrai qu’il pouvait quitter, mais qu’il voulait lui expliquer son enquête et qu’il devait remplir certaines formalités, ce qu’il a d’ailleurs fait lors de la signature à 10 h du formulaire concernant la mise en garde ainsi que le droit à l’assistance d’un avocat.

[72]           Il a été démontré, hors de tout doute raisonnable, que la déclaration a été donnée librement, volontairement, alors que l’appelant était tout à fait conscient de ce qu’il faisait. Voilà essentiellement le test approprié, de sorte que la déclaration était recevable en preuve.

[73]           Par ailleurs, la preuve est limpide : comme l’a conclu le juge, l’appelant n’était pas détenu, même « psychologiquement », jusqu’à son arrestation à 11 h 06, quoiqu’il ait quand même été informé de son droit à l’avocat et qu’il l’ait exercé bien avant. Il est de nouveau informé de ce droit au moment de l’arrestation, droit qu’il exerce encore une fois. Il n’y a donc aucun accroc au droit à l’avocat protégé par l’al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans les circonstances, tout indique que l’appelant a bien compris son droit au silence, son droit de ne pas parler aux policiers. Comme le rappelle la Cour suprême dans R. c. Singh, 2007 CSC 48, [2007] 3 R.C.S. 405 :

[33] […] si le détenu a exercé le droit à l’assistance d’un avocat que lui garantit l’art. 10, il aura vraisemblablement été informé de son droit de garder le silence, et l’importance globale de la mise en garde peut se trouver quelque peu réduite. Toutefois, si le suspect n’a pas consulté un avocat, la mise en garde policière devient d’autant plus importante en tant que facteur à considérer pour répondre à la question du caractère volontaire qui se pose en dernière analyse.

[74]           L’appelant soutient aussi que les policiers devaient lui permettre de communiquer de nouveau avec un avocat en cours d’interrogatoire parce que les circonstances avaient changé. Je rappelle qu’en matière de droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, c’est au requérant de démontrer, par la prépondérance des probabilités, que ses droits ont été brimés. Il échoue à cet égard.

[75]           Pour soutenir son argument selon lequel il avait droit à une nouvelle consultation avec un avocat, l’appelant insiste particulièrement sur les trois volets suivants de l’enquête policière qui se poursuivait pendant ce temps : la découverte de fichiers informatiques contenant de la pornographie juvénile, la découverte de dessins pouvant constituer de la pornographie juvénile et la découverte d’informations portant à croire qu’il avait pu commettre l’inceste. Il a formulé deux fois une demande d’accès supplémentaire à un avocat, ce qui lui a été refusé.

[76]           Lorsqu’une personne détenue a exercé son droit à l’avocat, « les policiers ont le droit de commencer à recueillir des éléments de preuve, et c’est uniquement de façon exceptionnelle qu’ils sont obligés de lui offrir une possibilité additionnelle de recevoir des conseils juridiques » : R. c. Dussault, 2022 CSC 16, paragr. 34.

[77]           Sans être limitatifs, R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, paragr. 2, décrit trois cas de figure qui requièrent un nouvel accès à l’avocat : « le détenu est soumis à des mesures additionnelles; un changement est survenu dans les risques courus par le détenu; il existe des raisons de croire que les renseignements fournis initialement comportent des lacunes ».

[78]           Une mise en garde s’impose toutefois : « Le fait de ne pas accorder une nouvelle consultation constitue une violation de l’al. 10b) seulement s’il devient clair, à la suite d’un changement de circonstances ou de faits nouveaux, que les conseils reçus au départ, compte tenu du contexte, ne suffisent plus ou ne sont plus bons » : Sinclair, précité, paragr. 57 et « la révélation graduelle au détenu d’éléments de preuve l’incriminant ne fait pas renaître, à elle seule, le droit de consulter un avocat prévu à l’al. 10b) » : R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402, paragr. 23.

[79]           Ceci ne s’applique cependant pas si les faits nouveaux qui sont portés à l’attention du détenu permettent de croire qu’il est peut-être désorienté sur son droit de garder le silence. Le tribunal doit alors se demander si la confusion vécue par le détenu a affecté sa capacité à comprendre qu’il avait le droit de garder le silence : Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e édition, Montréal, Yvon Blais, 2022, p. 958, paragr. 38.123.2.

[80]           Voyons maintenant ce qu’il en est des deux demandes de l’appelant pour avoir accès de nouveau à un avocat.

[81]           Réglons d’abord la question de l’inceste, dont la découverte par les policiers constituerait, selon lui, l’un des changements significatifs autorisant une nouvelle consultation avec un avocat. Il n’en est rien.

[82]           Le policier explique ce qu’il en était en contre-interrogatoire lors du voir-dire :

Q. Maintenant, l'information sur Facebook, là, à l'effet que, possiblement, il y avait eu inceste, vous l'aviez depuis longtemps, ça?

[…]

R. C'est pas vraiment de l'inceste, Monsieur le Juge, parce que c'était plus... euh... de l'exhibitionnisme, du voyeurisme entre frère et soeur, mais... euh... c'était sur un espèce de... de forum, puis un dénommé [...], dix-neuf (19) ans, mentionnait, en anglais, que...euh... il regardait sa sœur quand elle sortait de la douche, "pis" vice versa.

Ça fait que j'ai essayé de vérifier avec monsieur Abel si c'était lui l'auteur de ces lignes, monsieur Abel m'a dit que non.

[83]           L’affaire n’est pas allée plus loin. Voilà un incident qui n’a pas l’importance que lui accorde l’appelant.

[84]           Le juge retient que, dans les circonstances, l’appelant ne pouvait exiger une nouvelle consultation :

[158]  Le Tribunal est d’opinion que tant vers 15 h 54 que vers 16 h 24 lorsque monsieur Abel demande à nouveau à parler à un avocat, il n’y a pas de faits nouveaux qui surgissent au cours de l’enquête qui indiquent que monsieur Abel est désorienté ou confus quant à ses choix et son droit de garder le silence.

[159]  Le visionnement de l’interrogatoire vidéo est révélateur sur l’état et le comportement de monsieur Abel. Il ressort clairement de l’examen de l’ensemble des circonstances de l’interrogatoire vidéo que l’accusé comprenait qu’il avait le droit de garder le silence. L’enquêteur Belley ne met aucune pression. Ce dernier est méthodique, lorsqu’il reçoit des renseignements de l’enquête en cours, il le communique à monsieur Abel. Ce dernier réagit, collabore et admet son implication. L’enquêteur ne s’appuie sur aucun stratagème ou technique d’interrogatoire très développé pour soutirer des aveux.

[160]  On peut remarquer au visionnement de l’interrogatoire vidéo que monsieur Abel est nerveux, mais au fur et à mesure du déroulement de l’interrogatoire, il est de plus en plus volubile. Il collabore et répond aisément aux questions de l’enquêteur.

[161]  Le Tribunal considère que lorsqu’à deux reprises monsieur Abel désire parler à un avocat, il n’y a pas de changement, à ce moment, qui nécessite une nouvelle mise en garde et l’obligation constitutionnelle de communiquer à nouveau avec un avocat.

[85]           Je partage son avis.

[86]           Au moment de la première demande, il n’y a eu aucun changement significatif dans les circonstances ni d’aggravation des risques encourus par l’appelant qui aurait pu faire en sorte que les conseils reçus ne suffisaient plus ou n’étaient plus valides. Tout ce que l’on constate, c’est que l’appelant est fatigué et s’interroge : « ça commence à être pesant, […] Oui, ça me fatigue, mais depuis ce matin, je suis fatigué entendre parler de ça ». Il n’y avait donc aucune raison exigeant une nouvelle communication avec un avocat.

[87]           Vers 16 h 24, l’appelant est informé que, lors de la perquisition, les policiers ont découvert des fichiers contenant de la pornographie juvénile. Il demande s’il peut à nouveau parler à un avocat.

[88]           Comme on l’a vu, la révélation graduelle d’éléments de preuve ne fait pas renaître, à elle seule, le droit de consulter un avocat. Il ne s’agissait pas ici d’un changement significatif de circonstances, que ce soit dans l’enquête ou dans les risques encourus par l’appelant. Il savait quels étaient les motifs de son arrestation et qu’une perquisition avait lieu chez lui; la découverte de pornographie juvénile sur son matériel informatique ne faisait que confirmer les motifs pour lesquels il était arrêté. Ce n’est pas un changement de circonstances, mais plutôt la continuité attendue de l’enquête.

[89]           Quant à savoir si la confusion vécue par l’appelant a pu affecter sa capacité à comprendre qu’il avait le droit de garder le silence, il n’y a rien pouvant soutenir cette thèse. Bien que l’appelant ait pu sembler, pendant un moment, un peu confus quant à son droit de garder le silence, le policier lui a rappelé à deux reprises qu’il avait bel et bien ce droit et n’a jamais dénigré les conseils juridiques que l’appelant avait reçus.

[90]           En ce qui a trait à la découverte de dessins pouvant constituer de la production de pornographie juvénile, il ne s’agit pas d’une circonstance constituant un changement, puisque cette découverte ne représentait pas pour l’enquête « une tournure nouvelle et plus grave » : Sinclair, précité, paragr. 51. En effet, des dessins peuvent difficilement constituer une circonstance plus grave que des photos et des vidéos impliquant des enfants, même si cela constitue une infraction différente, c’est-à-dire de la production de pornographie juvénile. De plus, comme le mentionne le juge, il s’agit d’une infraction dont « les peines minimales et maximales sont identiques à celles de distribution [et] la culpabilité morale pour ces deux dernières infractions est d’une gravité similaire ». 

[91]           Enfin, même si cela n’est pas déterminant, il reste que l’accusation de production fondée sur les dessins a été ultérieurement retirée.

[92]           Je suis donc d’avis que ce moyen d’appel doit échouer.

[93]           Quant à la question de l’inceste, j’y reviendrai dans le chapitre qui suit.

LES DIRECTIVES AU JURY

[94]           Il est vrai, comme le plaide l’appelant, que les directives sont longues et parfois répétitives, mais cela ne constitue pas, en soi, une erreur. Elles ne sont pas entachées d’erreurs qui puissent mener à la conclusion qu’elles sont injustes.

[95]           Ainsi, contrairement à l’argument de l’appelant qui affirme que le juge a omis « de discuter de plusieurs principes, notamment la présomption d’innocence », il en a discuté, et ce, tant dans ses directives préliminaires que dans ses directives finales :

Directives préliminaires

Jean-Baptiste Abel a plaidé non coupable, il est présumé innocent des infractions qu’on lui reproche. La présomption d’innocence s’applique tout au long du procès. Elle ne cesse de s’appliquer que si, à la fin du procès et à la lumière de l’ensemble de la preuve, la Couronne vous convainc hors de tout doute raisonnable que Jean-Baptiste Abel est coupable des infractions qu’on lui reproche.

En raison de la présomption d’innocence, Jean-Baptiste Abel n’est jamais tenu de témoigner, de présenter de la preuve ou de prouver quoi que ce soit; il incombe à la Couronne de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

Si la Couronne ne vous convainc pas de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, vous devrez déclarer Jean-Baptiste Abel non coupable de l’infraction reprochée.

Le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est une composante essentielle de la présomption d’innocence. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou un préjugé; il repose plutôt sur la raison et le bon sens et peut être fondé non seulement sur ce que la preuve vous révèle, mais aussi sur ce qu’elle ne vous révèle pas. Si vous croyez que Jean-Baptiste Abel est probablement ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ce cas, vous devez l’acquitter, parce que la Couronne n’a pas réussi à vous convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Une preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

Directives finales

La présomption d’innocence s’applique tout au long du procès, elle ne cesse de s’appliquer que si à la fin du procès et que compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Couronne vous a convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusé est coupable des infractions qu’on lui reproche.

Jean-Baptiste Abel n’est pas tenu de présenter de la preuve ou de prouver quoi que ce soit dans la présente affaire. Il n’est pas tenu de prouver qu’il est innocent des infractions dont il est accusé.

Du début jusqu’à la fin, c’est à la Couronne de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

Vous devez déclarer Jean-Baptiste Abel non coupable des infractions à moins que la Couronne ne vous ait convaincu de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est une composante essentielle de la présomption d’innocence. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il peut être fondé non seulement sur la preuve, mais aussi sur l’absence de preuve. Il s’agit d’un doute se rapportant à un élément essentiel d’une infraction reprochée.

Si vous croyez que Jean-Baptiste Abel est probablement ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans un tel cas, vous devez l’acquitter parce que la Couronne n’a pas réussi à vous convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

Une preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. La Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels des infractions reprochées tel que je les définirai pour vous. Cependant, vous devez aussi savoir qu’il est presque impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue. La Couronne n’est pas tenue de le faire, un tel degré de preuve n’existe pas en droit criminel. Si à la fin du procès et après avoir évalué l’ensemble de la preuve, vous n’êtes pas sûrs que Jean- Baptiste Abel a commis une infraction, vous devez l’acquitter de cette dernière.

Si à la fin du procès et en vous fondant sur l’ensemble de la preuve, vous êtes sûrs que Jean-Baptiste Abel a commis une infraction, vous devez le déclarer coupable de celle-ci.

[96]           L’appelant reproche aussi au juge de ne pas avoir suffisamment expliqué la différence entre ne pas savoir que du matériel pédopornographique se trouvait dans les ordinateurs et ne plus s’en rappeler, alors que cette distinction était au cœur de la défense soumise par l’appelant. En effet, il plaidait qu’il ne savait pas que le matériel informatique contenait ou avait contenu de la pornographie juvénile.

[97]           Pourtant, dans son résumé de la position de la défense, le juge explique bien que, selon la thèse de l’appelant, les fichiers litigieux auraient été cachés par les anciens propriétaires de qui il a acheté le matériel informatique. Par exemple, le juge indique que l’appelant a expliqué « qu’il n’en avait pas connaissance », alors que, pour le téléphone portable qu’il avait acquis au début de l’été, « rien ne permettait de soupçonner à son examen qu’il avait déjà contenu de la pornographie ». Il relève aussi la possibilité d’une possession innocente de pornographie juvénile, sans avoir la connaissance requise :

Une personne peut acquérir ou télécharger par inadvertance du matériel constituant de la pornographie juvénile, sans savoir que ce matériel se trouve sur ces appareils. Une personne peut aussi être en possession de ce matériel seulement pour le détruire immédiatement ou s’en débarrasser définitivement. C’est-à-dire qu’une personne peut être en possession de matériel constituant de la pornographie juvénile sans avoir l’intention de posséder ce matériel dans un but criminel.

Par exemple, si une personne tombe par hasard ou involontairement sur des fichiers constituant de la pornographie juvénile, qu’elle reconnaît la nature de ses fichiers et qu’elle prend immédiatement les mesures pour supprimer ce matériel ou s’en débarrasser, elle n’aura pas l’intention requise aux fins de la possession. Elle aura assumé le contrôle du matériel dans le but limiter de s’en défaire immédiatement ou de ne plus l’avoir en son contrôle.

C’est ce qu’on appelle la possession innocente. [,,,]

[98]           Et le juge relate ensuite de nombreux passages de la version et des arguments de l’appelant en rapport avec cette thèse de la possession innocente. Le juge n’avait pas à faire de distinction supplémentaire, d’autant que, dans sa déclaration vidéo, l’appelant ne dit jamais ne pas savoir qu’il y avait ou qu’il y avait eu de la pornographie juvénile cachée dans son matériel informatique. Il dit plutôt, à trois reprises, qu’il ne se rappelait plus avoir caché les fichiers. Par exemple :

JEAN-BAPTISTE ABEL :

Ben, je l’ai ben caché parce que je me rappelais même pu qu’il était là.

ENQUÊTEUR :

Mais est-ce que tu pouvais aller le retrouver toi-même?

JEAN-BAPTISTE ABEL :

Oui.

[99]           Concernant l’argument selon lequel le juge répète erronément à de multiples « reprises que des thumbnails provenant de fichiers effacés ont été récupérés par les enquêteurs », alors qu’il n’y a pas de preuve que « ces fichiers ont déjà existé et qu’ils ont été effacés », l’appelant n’a pas complètement tort puisque que ce n’est pas exactement le sens du témoignage de l’expert. À mon avis, cette erreur ne cause pas de préjudice à l’appelant pour les raisons suivantes.

[100]      Dans son témoignage, l’expert explique qu’un thumbnail (ou vignette) est créé chaque fois qu’une image est téléchargée, mais qu’un thumbnail pourrait aussi être téléchargé seul, sans le fichier original. Or, il précise qu’un thumbnail demeure un fichier, une image miniature. Des thumbnails constituant de la pornographie juvénile ont été retrouvés dans la mémoire interne du téléphone portable. Des images représentant de la pornographie juvénile (photos et vidéos) ont aussi été retrouvées dans l’espace non alloué de la carte SD, c’est-à-dire des images qui ont été supprimées, et il est vrai que l’expert n’a pas vérifié si les images retrouvées dans l’espace non alloué correspondaient aux thumbnails.

[101]      Or, l’erreur dans la narration des faits n’est pas significative et n’a pas pu induire le jury en erreur car, même s’ils n’ont pas été jumelés à des images, il demeure que des thumbnails ont été retrouvés dans la mémoire interne du téléphone de l’appelant et que des images effacées représentant de la pornographie juvénile se trouvaient dans l’espace non alloué de sa carte SD. Cette preuve est tout aussi incriminante.

[102]      De plus, il est erroné de prétendre, comme cela est écrit dans l’argumentation de l’appelant, que la défense a « explicitement fait dire au témoin qu’il peut très bien être possible avoir reçu en téléchargement des thumbnails en consultant une page internet, mais sans que l’appelant soit allé au-delà de ça ». Le témoin a plutôt dit qu’un thumbnail est généré quand on télécharge une photo :

Q. Ok. Maintenant, est-ce que quand je regarde la page, est-ce que le système ne m’envoie pas, justement, un thumbnail pour être capable d’atteindre la nouvelle ou quelque chose comme ça?

R. Bien en fait, il faudrait que vous téléchargiez la photo comme telle.

Q. Ok.

R. Si on télécharge la photo puis que la photo est traitée dans le téléphone, à ce moment-là il y a un thumbnail qui va être généré.

[103]      En somme, l’erreur minime commise à l’occasion de la description de la preuve technique ne peut avoir causé quelque dommage que ce soit à l’appelant.

[104]      Toujours selon l’appelant, le juge aurait omis de dire « au jury que les questions dans l’interrogatoire de l’appelant-accusé ne sont pas de la preuve ». Or, au moment de l’écoute de la déclaration vidéo de l’appelant, la directive qui suit a été donnée :

L’accusé avec l’enquêteur au dossier, l’enquêteur pose des questions, l’accusé répond aux questions, donc les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Les questions, par contre, ne constituent pas de la preuve, à moins que le témoin ne soit d’accord avec ce qui est demandé.

[105]      Cette directive, combinée avec les directives finales qui rappellent qu’une question ne constitue pas de la preuve à moins que le témoin ne soit d’accord avec celle-ci, est suffisante.

[106]      Enfin, on ne peut affirmer que le juge a omis d’aborder la défense de l’appelant. Au contraire, lors de ses directives finales, il a longuement abordé la défense de possession innocente et a correctement expliqué aux jurés quand et comment ils devaient considérer ce moyen de défense. Il a aussi rappelé à plusieurs reprises les explications formulées par l’appelant dans son témoignage afin de justifier les réponses incriminantes qu’il a données dans sa déclaration vidéo. Il est vrai que le juge souligne que l’appelant savait comment cacher, retrouver et effacer des fichiers informatiques, ce que l’appelant lui reproche d’avoir fait à répétition. Il faut toutefois rappeler que l’appelant est informaticien et, de fait, sait comment faire, comme il le mentionne d’ailleurs dans sa déclaration extrajudiciaire :

ENQUÊTEUR

Les gars tantôt quand j’ai sorti, j’ai su que les gars avaient trouvé un disque dur externe qui était sur une tablette.

[…] C’est ça les gars ont trouvé de la pornographie juvénile dedans. […]

JEAN-BAPTISTE ABEL

C’était pas effacé?

ENQUÊTEUR

Non il y en avait qui étaient pas effacés. Il y en avait qui étaient effacés, mais il y en avait qui n’étaient pas effacés.

[…]

JEAN-BAPTISTE ABEL

Je pensais qu’ils étaient toutes effacés. […] j’avais pu conscience qu’il en restait.

[107]      Le juge pouvait donc légitimement dire au jury que l’appelant connaissait la façon de cacher ou d’effacer un fichier.

[108]      Pour ces motifs, je propose que la Cour rejette l’appel.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 


[1] Je note que les paragraphes 490(15) et (16) C.cr. sont sensiblement au même effet : il faut protéger l’intégrité de la preuve et tenir compte de son utilisation ultérieure.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.