Allard c. Picard |
2018 QCRDL 29981 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
330374 31 20170407 G |
No demande : |
2219138 |
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Date : |
13 septembre 2018 |
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Régisseure : |
Jocelyne Gravel, juge administrative |
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Claudette Allard |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Jean-Pierre Picard |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La locataire réclame une diminution de loyer mensuelle de 10% à compter du 3 mars 2017 et des dommages et intérêts moraux de 1 000 $ afin de compenser la perte de jouissance de son logement causée par la fumée et les odeurs de cannabis perceptibles chez elle.
[2] Les demandes d’exécution en nature sont devenues sans objet considérant son départ des lieux loués en juin 2018.
[3] Les faits peuvent se résumer comme suit :
[4] Les parties étaient liées par bail du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 au loyer de 515 $ pour la location d’un logement situé dans un immeuble comportant 31 unités d’habitation. Le bail a été reconduit jusqu’au 30 juin 2018 au loyer mensuel de 525 $.
[5] La locataire témoigne avoir été fortement incommodée par la fumée et les odeurs de cannabis présentes dans son logement. La situation aurait débuté lorsque son voisin du dessous a emménagé en mars 2017. Elle explique que ce dernier consommait quotidiennement du cannabis et que de fortes odeurs étaient perceptibles dans toutes les pièces de son logement. Après s’en être plainte auprès du voisin, il se serait engagé à fumer à l’extérieur, mais il n’a pas tenu promesse. La concierge a tenté de concilier les souhaits des deux voisins en donnant instruction de fumer au-dessous du ventilateur de la cuisinière. Par contre, selon les photos produites, les canalisations des ventilateurs des logements sont situées dans un puit de lumière. Et, il y a un trou béant autour du ventilateur de la locataire par lequel la fumée pouvait pénétrer au logement. Il appert que ce voisin était également très bruyant et qu’il entretenait, de ce fait, de mauvaises relations avec un autre occupant, ce qui amenait ces deux personnes à cogner au mur ou plafond afin de notifier et répondre au dérangement. Et ce bruit perturbait également la quiétude de la locataire.
[6] Elle témoigne que la fumée et les fortes odeurs lui causaient des étourdissements, maux de cœur, lui coupaient l’appétit et nuisaient même à son sommeil; ce qui l’obligeait à faire aérer son logement tout en faisant entrer le froid. Elle indique avoir évité de recevoir des invités dans ce contexte. Bien que mis en demeure le 3 mars 2017, le locateur et les concierges s’étant succédé lui ont répété qu’ils ne pouvaient rien faire. En désespoir de cause, la locataire s’est tournée vers les autorités policières et médicales afin d’obtenir du soutien. Ces derniers n’ayant cependant pas les pouvoirs de régler la situation.
[7] Bien que le voisin ait été soumis à une clause d’interdiction de fumer cigarette et cannabis selon les règlements de l’immeuble, le locateur admet à l’audience n’avoir aucunement emprunté les voies légales auprès du contrevenant afin que cesse le dérangement. Aucune mise en demeure ou avertissement écrit ne lui a été fait. On a plutôt favorisé la négociation forcée en suscitant le départ du voisin. Son expérience lui ferait craindre que de tels agissements incitent les contrevenants à cesser le paiement de leur loyer. Le locateur admet agir à l’extérieur des balises légales afin d’obtenir des résultats plus rapides.
[8] Le Tribunal n’a pu bénéficier du témoignage du ou des concierges ayant agi selon les allégations soumises. Ni de voisins ayant pu confirmer que le départ du voisin du dessous ait définitivement régler la situation, tel que prétendu par le locateur. Mais ce dernier n’occupe pas l’immeuble et laisse la gestion des plaintes à ses concierges successifs. La défense n’est donc pas probante sur cette question.
[9] La version non contredite de la locataire affirmant n’avoir reçu aucun support, visite ou même appel du locateur ou de ses mandataires pour s’informer de la situation est retenue comme plus probable. Cette dernière s’est montrée particulièrement affectée par ce désintéressement. La seule option lui ayant été offerte aurait été de quitter son logement si elle n’y était plus confortable : argument qui a également été soumis à l’audience pour contester le sérieux de la situation.
[10] La locataire et son témoin confirment, de plus, que les odeurs étaient perceptibles dès l’entrée de l’immeuble. Et la locataire ajoute que la même odeur forte était également présente dans la salle de lavage; ce qui tend à démontrer que plusieurs occupants utilisaient du cannabis. Le départ du voisin troublant du dessous en mai 2017 a, certes, réglé en partie la situation, sans toutefois régler la problématique complètement. Et l’ensemble de la preuve produite fait conclure au Tribunal que le départ suscité de ce voisin troublant en mai 2017, l’a été pour d’autres raisons que sa consommation de cannabis. Il semblait y avoir une tolérance à l’égard de plusieurs occupants consommateurs de cette substance.
[11] Tel qu’expliqué à l’audience, le Tribunal doit analyser le dossier à la lumière du droit civil qui gère les relations contractuelles en cause, notamment l’article 1861 qui prévoit :
1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.
Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi.
[12] Pour la diminution de loyer, le principe veut que le plein loyer soit exigible lorsque la pleine jouissance du logement est assurée. La diminution de loyer servant à rétablir l’équilibre entre les prestations fournies des deux parties.
[13] Selon la preuve reçue, la jouissance de la locataire a été perturbée à des degrés variables entre mars 2017 et juin 2018. Le Tribunal retient que la situation a été plus pénible durant les trois mois d’occupation du voisin du dessous. C’est pourquoi la diminution de loyer réclamée de 10% (155 $) est accordée pour ces mois. Par contre, de juin 2017 à juin 2018, il est jugé nécessaire de diminuer le loyer de 5% (340 $) pour couvrir les pertes de jouissance amoindries du logement et des aires communes. La somme totale de 495 $ est, par conséquent, accordée.
[14] De plus, on constate que la locataire a droit à des dommages et intérêts pour compenser son stress, troubles et inconvénients, à moins que le locateur établisse qu’il a agi avec prudence et diligence. Fardeau que le locateur ne s’est pas déchargé puisqu’aucune preuve spécifique n’a été fournie des efforts que lui ou ses concierges auraient pu faire pour amoindrir et éliminer le trouble de la locataire. Il était évident de l’attitude du locateur et de la preuve fournie qu’il se décharge de cette responsabilité auprès de ses concierges. Ce qui n’est pas nullement interdit de faire. Par contre, un certain contrôle sur le travail de ces derniers et de la vérification de la poursuite ou non du trouble après la réception d’une mise en demeure serait utile. Et cette preuve s’est avérée inexistante en l’instance. Il est jugé plus probable que les agissements des concierges étaient à la hauteur du désengagement du locateur établi à l’audience.
[15] Vu ce qui précède, la locataire a établi son droit de voir compenser ses dommages moraux et ses troubles et inconvénients. Par contre, le Tribunal juge quelque peu exagéré le montant réclamé ainsi que la preuve offerte. C’est pourquoi, la somme de 500 $ lui est accordée afin de compenser les inconforts physiques ainsi que l’obligation d’aérer quotidiennement son logement pour des périodes plus longues que normales. Ce qui a entraîné un inconfort par le froid. De plus, la gêne et les inconforts physiques se sont poursuivis principalement dans les aires communes, même après le départ du voisin initial troublant. À cela s’ajoute le stress et la frustration de devoir contacter les ressources policières ou médicales qui n’étaient pas, cependant, les personnes pouvant gérer la perte de jouissance.
[16] La locataire a justifié en partie sa réclamation. La somme totale de 995 $ lui est accordée à titre de compensation.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :
[17] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[18] CONDAMNE le
locateur à payer à la locataire la somme de 995 $, avec intérêts au taux
légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
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Jocelyne Gravel |
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Présence(s) : |
la locataire le locateur |
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Date de l’audience : |
6 septembre 2018 |
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