St-Onge c. Guillemette | 2023 QCTAL 9405 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 610522 31 20220202 G | No demande : | 3453045 | |||
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Date : | 29 mars 2023 | |||||
Devant le juge administratif : | Richard Barbe | |||||
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Michel St-Onge |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Jean Guillemette |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande la résiliation du bail et l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement. Il demande aussi l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et les frais.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er janvier 2013 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 525 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 597 $.
LES FAITS PERTINENTS
[3] Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
LA PREUVE DU LOCATEUR
Le témoignage d’Anthony Provencher
[4] Anthony Provencher était le locataire du logement numéro 5 de l’immeuble de juin 2016 à juin 2020.
[5] Il affirme qu’une odeur de cigarette constante en tout temps était présente dans son logement durant la période où il habitait celui-ci.
[6] Il décrit l’odeur de cigarette comme étant persistante et intense au point de vouloir sortir de son logement pour prendre l’air.
[7] Il avait bouché toutes les sources d’aération de son logement.
[8] Il mettait des appareils dans les prises électriques pour diffuser de bonnes odeurs, car sinon son logement finissait par sentir la fumée.
[9] Il dit savoir que c’est le locataire du logement numéro 4 qui fume, car l’entrée de ce dernier sentait très fort dès qu’il ouvrait sa porte.
[10] Il affirme avoir vu le locataire fumer dans son logement à partir de la fenêtre.
[11] Il mentionne que son bail était non-fumeur et qu’il s’attendait à ce que cela s’applique à tous les locataires.
Le témoignage de Marie-Lou Lemire
[12] Marie-Lou Lemire est locataire du logement numéro 5 de l’immeuble depuis mai 2021.
[13] Elle affirme qu’il y a une odeur de cigarette dans son logement. Cette odeur se manifeste quotidiennement et est dérangeante au point où elle l’empêche de profiter de son logement.
[14] Elle ajoute être obligée de camoufler cette odeur, ne pas pouvoir ouvrir ses ventilateurs et être gênée quand elle reçoit des visiteurs. Ces derniers lui disent que ses vêtements sentent la cigarette.
[15] Elle dit s’être plainte au locateur dès son arrivée dans le logement. Les plaintes par courriels sont déposées en preuve (pièce P-3).
[16] Elle affirme savoir que le locataire fume parce qu’elle l’a vu fumer sur le patio arrière et que ça sent fort quand il ouvre sa porte. Elle a aussi vu le locataire fumer par sa fenêtre à plusieurs reprises.
[17] Elle mentionne que l’air climatisé fait circuler l’odeur de fumée de cigarette et qu’elle a acheté du parfum, du savon et de la lessive pour camoufler l’odeur. Elle fait du lavage de linges à répétitions, car cela sent bon et elle garde ses vêtements de travail dans sa voiture.
[18] Elle affirme sentir l’odeur de cigarette dès qu’elle entre dans son logement et que cela lui cause des maux de tête en plus d’imprégner l’odeur dans ses draps et dans ses couvertures.
[19] Elle a parlé au locataire sans que la situation change.
[20] Après un ajournement, elle revient témoigner pour dire que la situation est inchangée. Elle a noté une augmentation de l’odeur de cigarette dernièrement.
[21] Cela l’affecte, car elle a des pompes pour ses bronches.
[22] Elle réitère avoir une appréciation de son logement à la baisse et avoir une odeur de cigarette dans ses vêtements.
[23] Elle ne peut ouvrir la ventilation de sa cuisine, car l’odeur de la cigarette se répand.
[24] Elle reçoit des commentaires de ses visiteurs à l’effet qu’il y a une odeur de cigarette.
[25] Elle pense à déménager notamment pour sa santé.
[26] Elle a renouvelé son bail en attendant de connaître le sort de la présente demande.
[27] Si le bail du locataire n’est pas résilié, elle va recommencer à regarder ailleurs. Son logement l’accommode actuellement pour l’université même si elle n’y prend pas plaisir.
Le témoignage du locateur
[28] Le locateur a acquis l’immeuble en juillet 2012. L’immeuble est un triplex qui appartenait à un des frères du locataire.
[29] Il précise qu’il a offert un logement au locataire après avoir transformé l’immeuble en un cinq logements. Le locataire a ainsi passé d’un logement situé au 2e étage à un logement situé dans un demi-sous-sol.
[30] Il explique que toutes les sources d’air des deux logements du demi-sous-sol (hottes, sécheuses ou salle de bain) communiquent ensemble, car ce sont des « logements miroirs ».
[31] Il mentionne que le premier bail du locataire était de 3 ans et que les règlements de l’immeuble ont été instaurés en 2013, mais que le locataire ne les a signés qu’en 2016.
[32] Il affirme que le locataire lui a dit en 2013 qu’il avait trois cancers et qu’il allait cesser de fumer.
[33] Il dit que le bail indique que l’immeuble est non-fumeur et que toutes les aires communes et les logements sont non-fumeurs.
[34] Il a envoyé au locataire une mise en demeure datée du 29 avril 2021 (pièce P-4) concernant l’interdiction de fumer dans l’immeuble.
[35] Il affirme avoir été patient et conciliant avec le locataire depuis dix ans et que des locataires potentiels ont refusé de louer un logement en raison de l’odeur de cigarette.
[36] Le 15 février 2022, il a senti la « bouffée de fumée » quand le locataire a ouvert sa porte. L’odeur pouvait se sentir à 30 pieds.
[37] Il affirme qu’il veut procurer la jouissance des lieux à tous les locataires, ce qui inclut l’interdiction de fumer dans l’immeuble.
[38] Il considère qu’il est rendu dans une situation « d’abus chronique » et que la mention au bail « immeuble non fumeur » (sic) (pièce P-1) signifie qu’il est interdit dans l’immeuble.
[39] Il ajoute que l’article 8 des règlements de l’immeuble (pièce P-1) stipule que le locataire ne peut porter préjudice aux autres locataires en fumant.
[40] Il affirme que le climatiseur fait circuler la fumée de cigarette d’un logement à l’autre.
[41] Il mentionne le comportement du locataire fait en sorte qu’il doit faire respecter l’obligation de ne pas fumer dans l’immeuble.
[42] Il croit que sursoir à la résiliation du bail ne serait pas suffisant, car il est peu probable que le locataire respecte une ordonnance de ne pas fumer en vertu de l’article
[43] Après un ajournement de l’audience, le locateur revient témoigner. Il explique que le locataire avait un bail verbal avec l’ancien locateur et que c’est pour cette raison qu’il n’a pas encaissé un chèque de loyer de 385 $ et l’a collé sur la porte du logement au début de leur relation de locateur-locataire. Il devait renégocier un bail écrit avec le locataire avec une augmentation de loyer, car le logement dans lequel le locataire était relocalisé était rénové.
[44] Il explique avoir été tolérant avec le locataire, mais avoir été déçu. Le locataire ne s’est pas amendé depuis le début de ses procédures.
[45] Il ajoute que cela dure depuis 10 ans et que ça ne peut plus durer.
[46] Il conclut en affirmant que les rénovations ont été faites selon des plans d’architecte et que les trappes d’aération de l’immeuble sont fonctionnelles.
Le témoignage de Nicolas Samvelyan
[47] M. Samvelyan habite l’immeuble depuis juillet 2021. Il habite un logement situé au 2e étage. Il y a donc un étage entre le son logement et celui du locataire.
[48] Il a senti l’odeur de cigarette dès qu’il a emménagé dans l’immeuble dans la cage d’escalier.
[49] Il sent une odeur de cigarette en soirée, plus accentuée lors des dernières semaines. Il a vu le locataire fumer dans son logement à partir du stationnement.
[50] La situation brime sa qualité de vie. Il sent l’odeur de la cigarette dans sa cuisine.
[51] Il pense à déménager, mais il a été informé que le locateur a introduit la présente demande. Si le bail du locataire n’est pas résilié, il va songer à quitter.
Les représentations de l’avocate du locateur
[52] L’avocate du locateur affirme que le locataire manque à ses obligations contractuelles, car il s’agit d’un bail qui prévoit que l’immeuble est non-fumeur. Elle affirme que les témoignages entendus et le constat d’huissier déposé en preuve démontrent cela.
[53] Elle ajoute qu’il n’est pas contesté que le locataire fume sur les lieux malgré le bail et les règlements de l’immeuble.
[54] Elle plaide que le locateur s’est déchargé de son fardeau de preuve à l’effet que le locataire cause un préjudice sérieux au sens de l’article
[55] Elle affirme que le locataire ne peut avoir la pleine jouissance de son logement tout en nuisant à celle de ses voisins.
[56] Elle affirme que les autres locataires doivent aérer leurs logements, augmentant leurs factures d’électricité, et que leurs quotidiens sont affectés par le comportement du locataire. La jouissance des autres locataires en est donc affectée.
[57] L’avocate du locateur réitère que les autres locataires n’ont pas la pleine jouissance de leurs logements et que le locateur pourrait être poursuivi pour cela.
[58] Elle affirme que la situation a un impact sur la santé des autres locataires en raison de l’exposition continue à la fumée de cigarette.
[59] Elle soumet au Tribunal trois décisions[1] qui ont résilié un bail en raison du trouble de jouissance causé par l’usage de la cigarette par un locataire, même en l’absence d’une clause d’interdiction de fumer au bail. Ces décisions rappellent notamment les effets néfastes de la fumée secondaire.
[60] L’avocate du locateur plaide que le locataire contrevient à l’article
[61] Elle plaide que même si le locataire avait jadis le droit de fumer dans son logement, la résiliation du bail est justifiée en raison du préjudice causé.
[62] Elle ajoute que la gestion de l’immeuble est alourdie par le comportement du locataire en raison des nombreuses plaintes et que le locateur a tenté de trouver des solutions sans succès.
[63] Elle affirme que les habitudes du locataire datent de 60 ans et qu’il n’a aucune volonté de changer puisqu’il n’a fait aucune tentative de cesser de fumer depuis l’introduction de la demande. Le locataire n’a fait qu’acheter un purificateur d’air.
[64] Elle plaide que la balance des probabilités milite en faveur du locateur quant au préjudice subi.
[65] Elle affirme que le locateur a perdu des locataires et des candidats à la location en raison du comportement du locataire. Des locataires veulent quitter l'immeuble, dit-elle.
[66] Elle affirme qu’une ordonnance de sursis à la résiliation du bail en vertu de l’article
[67] Elle ajoute que le locataire contrevient à l’article
[68] Elle affirme que les termes « immeuble non fumeur » (sic) indiqués au bail incluent l’ensemble de l’immeuble aux yeux d’une personne raisonnable.
[69] Elle ajoute que les règlements de l’immeuble signé par le locataire en 2016 stipulent que ce dernier ne peut causer de préjudice à la jouissance des lieux d’un autre locataire de se prévaloir d’un environnement sans fumée.
LA PREUVE DU LOCATAIRE
Le témoignage du locataire
[70] Le locataire explique habiter l’immeuble depuis une trentaine d’années.
[71] Avant l’achat de l’immeuble par l’actuel locateur, son frère Jules en était propriétaire.
[72] Quand Jules était propriétaire de l’immeuble, il fumait chez lui et à l’extérieur de son logement. Il habitait alors en haut dans le logement numéro 3.
[73] Le locataire explique que le locateur a acheté l’immeuble vers 2012 et qu’il lui a été demandé d’être relocalisé dans un logement en bas, soit son logement actuel. C’est le locateur qui l’a déménagé.
[74] Le locataire affirme que lorsqu’il a vu la clause du bail « immeuble non fumeur » (sic), il a compris qu’il n’avait pas le droit de fumer dans les escaliers et dans les espaces communs et non dans son logement.
[75] Il explique avoir 75 ans et fumer depuis qu’il a l’âge de 13 ou 14 ans.
[76] Il affirme ne pas avoir eu de problèmes avant que la locataire Marie-Lou Lemire n’emménage dans l’immeuble.
Le témoignage d’Alain Guillemette
[77] M. Alain Guillemette est le frère du locataire. Il visite son frère une ou deux fois par semaine.
[78] Il explique que son frère habite l’immeuble depuis 30 ans et que l’ancien propriétaire de l’immeuble était leur frère Jules.
[79] Il affirme que le locataire avait l’autorisation de fumer dans son logement.
[80] Il explique qu’il y a dix ans, lors du changement de propriétaire, il a reçu un appel parce que le nouveau locateur avait collé un chèque de loyer de 385 $ sur la porte du logement en affirmant que le loyer était maintenant de 700 $.
[81] Il affirme que son frère, le locataire, est déménagé en bas parce que le locateur faisait des rénovations. Le locateur lui a dit : « Si ton frère veut s’en aller, il peut s’en aller, ça ne me dérange pas. »
[82] Il affirme qu’il y a eu ensuite des négociations pour déménager son frère parce que le locateur voulait rénover le logement du 3e étage du locataire. Il a été témoin des négociations : le locateur a fait une offre au locataire pour qu’il déménage en bas moyennement une augmentation de loyer, mais à condition notamment qu’il conserve son droit de fumer.
[83] Il explique venir en aide à son frère, car ce dernier est limité par sa scolarité.
[84] Il explique que son frère a toujours fumé à sa connaissance et qu’il fumait toujours en 2012 lors de l’acquisition de l’immeuble par le locateur.
[85] Il affirme qu’il aurait été inacceptable pour son frère de déménager dans un logement non‑fumeurs.
[86] Il croit que son frère n’a eu qu’une plainte en 30 ans pour la cigarette.
[87] Il a toujours dit à son frère de ventiler son logement et un purificateur d’air a été acheté peu après la présente demande pour montrer la bonne foi du locataire afin de minimiser les inconvénients de la fumée.
[88] Il a essayé de savoir pourquoi la voisine a des odeurs de fumées chez elle alors que les portes sont fermées et que la ventilation fonctionne. Le Tribunal passera sous silence les différentes théories concernant la configuration de la ventilation de l’immeuble, de même que les photos et documents présentés à l’audience par M. Alain Guillemette, car ce dernier n’est pas un expert en la matière.
[89] M. Alain Guillemette poursuit son témoignage en affirmant que son frère ne l’a pas consulté avant de signer le bail et qu’il n’a pas pris connaissance des règlements de l’immeuble avant que le locataire les signe en 2016.
[90] Il maintient que son frère avait une entente verbale avec le locateur pour conserver son droit de fumer dans son logement après son déménagement.
Les représentations de l’avocat du locataire
[91] L’avocat du locataire soumet tout d’abord au Tribunal le texte de l’auteur Vincent Karim sur le droit des obligations[2].
[92] L’avocat du locateur expose sa théorie de la défense en deux volets. Tout d’abord, existe-t-il une obligation contractuelle à l’effet que le locataire n’ait pas le droit de fumer dans son logement? Ensuite, le locataire cause-t-il un préjudice aux locateurs et aux autres locataires?
[93] L’avocat du locataire mentionne que ce dernier campe sa position sur son droit contractuel de fumer dans son logement.
[94] Il ajoute que le locataire avait déjà un droit au maintien dans les lieux en vertu d’un bail verbal.
[95] Il rappelle que le frère du locataire est venu témoigner qu’il a été témoin d’une conversation avec le locataire à l’effet que droit de fumer dans le logement était conserver lors du déménagement du locataire.
[96] Il plaide ce qui suit : pourquoi le locataire aurait accepté de déménager avec une augmentation de loyer tout en perdant son droit de fumer dans son logement alors qu’il avait le droit au maintien dans les lieux?
[97] Il mentionne que le bail utilise le mot « immeuble » et non « logement » non-fumeurs. Le locataire a donc compris que le mot « immeuble » ne contient pas « logement », dit-il.
[98] Il plaide qu’il faut favoriser une interprétation large et libérale des mots dans leur usage courant.
[99] Il affirme que les règlements de l’immeuble (clauses 7 et 9) désignent respectivement l’immeuble et le logement parce que ce sont deux lieux différents.
[100] Pour en revenir au texte de l’auteur Vincent Karim, l’avocat du locateur fait référence au paraphe 1996, lequel mentionne notamment que l’interprétation de la volonté des parties peut être révélée de plusieurs manières.
[101] L’avocat du locataire affirme que le bail signé par les parties en 2013 et que la première mise en demeure a été envoyé au locataire en 2021. Comment le locataire pouvait-il se tromper dans l’interprétation du mot « immeuble » alors que pendant 10 ans la cigarette n’a pas posé de problème ?
[102] De plus, l’avocat de locataire souligne que le bail déposé en preuve concerne le logement numéro 3 où le locataire avait déjà le droit de fumer, ce qui compte encore plus dans l’interprétation du fait que le locataire conservait son droit de fumer dans son logement.
[103] Il ajoute qu’il n’y a pas de bail pour le logement numéro 4 et qu’une clause d’interdiction de fumer ne s’applique pas à ce logement.
[104] Il mentionne que les règlements de l’immeuble s’appliquent au logement numéro 4, mais que ces derniers stipulent les termes « aires communes ». Ce sont donc toutes les aires communes qui sont concernées par l’interdiction de fumer, soutient-il.
[105] Il affirme en somme que le locataire n’a pas l’interdiction contractuelle de fumer dans son logement.
[106] Quant à la question concernant le préjudice causé au locateur et aux autres locataires, l’avocat du locataire demande qu’elle est la « faute originelle » ?
[107] Il mentionne que la locataire Marie-Lou Lemire dit que les logements sont non-fumeurs et qu’elle n’aurait pas loué son logement s’il était fumeur. Or, le problème est que le locataire a publicisé l’immeuble comme étant non-fumeur alors que le locataire a le droit de fumer dans son logement.
[108] L’avocat du locataire ajoute que le témoignage de l’ancien locataire Anthony Provencher est à l’effet qu’il n’a pas quitté l’immeuble en raison d’une odeur de cigarette.
[109] Il affirme que s’il y a un problème de ventilation dans l’immeuble, le locateur n’a rien fait pour régler le problème.
[110] Il rappelle que Mme Lemire a dit ne pas oser ouvrir sa hotte de poêle de la cuisine et avoir des odeurs de cigarette dans ses vêtements. Si tel est le cas, il est d’avis que le problème est la ventilation de l’immeuble et non le locataire. Il a été démontré qu’il s’agit de « logement miroirs », car le locateur trouvait qu’il était trop complexe de rénover l'immeuble autrement.
[111] Il plaide que le locataire est âgé de 75 ans et qu’il habite l’immeuble depuis plus de 30 ans. Il affirme que le locateur s’est laissé séduire par une première étape consistant en l’expulsion du locataire plutôt que de gérer la situation autrement.
[112] Il affirme que le préjudice causé à la santé des locataires n’a pas été démontré. Mme Lemire n’a notamment pas démontré souffrir d’asthme.
[113] Il ajoute que le fait que le locataire reçoive des courriels en guise de plaintes n’est pas anormal en 2023. Il ne s’agit pas d’un alourdissement de la gestion de l’immeuble.
[114] Il plaide que le locateur n’a pas prouvé avoir perdu des candidats à la location. Aucun témoignage n’a été entendu à ce sujet.
[115] Il affirme qu’aucune preuve de préjudice financier n’a été faite et l’immeuble n’a jamais manqué de locataires.
[116] Il pose la question suivante : sommes-nous en présence d’un préjudice sérieux ou de simples désagréments?
[117] Il fait référence aux paragraphes 79 à 84 du texte de l’auteur Léo Ducharme sur la preuve[3], lesquels mentionnent notamment que la connaissance d’un fait doit être très répandue pour qu’il devienne de connaissance judiciaire. Le Tribunal ne peut donc pas avoir une connaissance d’office de l’état de santé des locataires de l’immeuble.
[118] L’avocat du locataire questionne aussi le fait que le locateur affirme que les trappes d’aération respectent les normes alors qu’elles ne semblent pas fonctionner correctement.
[119] Il plaide que l’affaire Banzouzi c. Talon[4] mentionne ce qui suit :
« [17] La preuve démontre que le bail ne contient aucune cause interdisant au locataire de fumer dans son logement.
[18] La preuve ne démontre pas que le locataire s’est engagé à ne pas fumer dans son logement.
[19] De l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne peut conclure que le problème dû aux conséquences de la fumée de cigarette du locataire constitue un inconvénient anormal, excessif et persistant dans le temps.
[20] La preuve ne démontre pas que le locataire fume de façon à indisposer les locateurs.
[21] Le Tribunal peut comprendre les inquiétudes des locateurs en regard des problèmes de leur enfant.
[22] Il est de connaissance judiciaire que l’exposition à la fumée du tabac fait courir des risques aux non-fumeurs, notamment aux enfants.
[23] Cependant, bien que ce risque soit présent, celui-ci ne peut justifier à lui seul, la résiliation du bail.
[24] Pour le Tribunal, bien que les locateurs aient démontré que le locataire fume dans son logement, ils n’ont pas démontré, aux yeux du Tribunal, qu’ils en subissent un préjudice sérieux, bien que cette situation puisse leur causer certains désagréments. »
(Le Tribunal souligne)
[120] L’avocat du locataire plaide aussi l’affaire Mina Jebbari inc. c. Toy[5] qui mentionne ce qui suit :
« [14] Consequently, it was incumbent upon Mr. Jabari to prove, by preponderance, that Mr. Toy failed to use the dwelling with prudence and diligence (Article
[15] Mr. Toy is a soft spoken elderly gentleman. He says that he smokes ten cigarettes per day. He started to smoke when he was 13 years of age and it is safe to suggest that gamblers would sooner bet on the advent of world peace than on the prospect that Mr. Toy will dispense with his cigarettes.
[16] He occupies a modest apartment on the second floor of the landlord’s building. There are two stores on the ground floor and the second floor houses Mr. Toy’s unit and the unit of one other tenant.
[17] The tribunal heard no evidence to the effect that Mr. Toy has abused his contractual right to smoke in his dwelling.
[18] No photographs of burnt floors or counter tops were produced with a view to suggesting that he is a careless smoker. Nor was there any evidence to the effect that the smoke in Mr. Toy’s apartment had triggered a fire alarm.
[19] Mr. Jabari said that the cigarette smoke permeates the narrow confines of the second floor and that two tenants moved out for this reason alone. However, he did not see fit to call upon them to testify. He wanted to produce a letter of complaint that one of Toy’s neighbors had composed and delivered in September of 2018 but the author of the letter was not present and the tenant’s lawyer invoked the rule against hearsay evidence to preclude its production.
[20] Mr. Jabari said that he visits the building on an ongoing basis and the tribunal has no reason to disbelieve him when he says that he smells the smoke from Mr. Toy’s cigarettes on the second floor.
[21] However, this finding alone will not suffice to allow the tribunal to conclude that Mr. Toy’s habit has seriously undermined the peaceable enjoyment of his neighbors or that pursuant to Article
[22] The tribunal is fully cognizant of the legislator’s laudable efforts to palliate the harmful effects of second hand smoke by prohibiting smoking in public places, including the common areas of buildings that comprise more than 6 units.
[23] However, the selfsame legislator has thus far refrained from prohibiting smoking within the confines of dwellings and the tribunal has neither the right nor the inclination to trench upon his exclusive domain.
[24] Nor – save and except for striking down clauses that are offensive to public order – can the tribunal rewrite the terms and conditions of a contract that was lawfully executed.
[25] Mr. Jabari said that he exhorted Mr. Toy to refrain from smoking in the dwelling but that the latter steadfastly refused to do so. »
(Le Tribunal souligne)
[121] L’avocat du locataire plaide que les comportements du locataire doivent être anormaux et excessifs pour résilier le bail en vertu des articles
[122] Il affirme que dans la mesure où le locataire a loué un logement dans lequel il était permis de fumer, il n’est pas anormal qu’il puisse y avoir une odeur de fumée dans le corridor quand la porte du logement est ouverte. Cela est prévisible. S’il y a une odeur ailleurs, c’est qu’il y a un problème de ventilation.
ANALYSE ET DÉCISION
[123] Le Tribunal rappelle certaines règles générales relatives au fardeau de la preuve, lesquelles sont prévues aux articles
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »
[124] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que le locateur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve pour les motifs exposés ci-dessous.
[125] Le Tribunal adhère dans ses grandes lignes à la théorie de la défense en deux volets tel que présentée par l’avocat du locataire.
[126] La preuve prépondérante démontre ce qui suit :
- Le locataire a un droit de fumer dans son logement en vertu d’une entente verbale avec le locateur;
- Le locataire habite cet immeuble depuis environ 30 ans et il est invraisemblable qu’il ait accepté une relocalisation et une augmentation de loyer avec le nouveau locateur en 2012 ou 2013 en renonçant à son droit de fumer;
- Le locataire, compte tenu de son âge et de sa scolarité, était à bon droit de croire qu’il pouvait fumer dans son logement eu égard aux termes utilisés dans son bail et dans les règlements de l’immeuble;
- Le locateur n’a avisé le locateur par mise en demeure qu’en 2021 que l’usage de la cigarette causait un problème alors que le bail a été signé en 2013 et que la cigarette n’avait vraisemblablement pas posé de problème pendant 10 ans;
- La locataire Marie-Lou Lemire a loué un logement dans un immeuble qu’elle croyait non-fumeur, car le locateur l’a publicisé ainsi alors qu’il savait que le locataire qu’il avait la permission de fumer dans son logement depuis environ 30 ans;
- Le témoignage de l’ancien locataire Anthony Provencher n’a aucune incidence sur la présente demande, car il n’a pas quitté le logement en raison de l’usage de la cigarette par le locataire;
- Le fait que le locataire mentionne que les logements sont des « logements miroirs » pour justifier le fait que l’air circule entre ceux-ci n’est pas de la responsabilité du locataire;
- Si la ventilation est aussi déficiente que les locataires Marie-Loue Lemire et Nicolas Samvelyan l’ont mentionné, cela n’est pas la responsabilité du locataire. Au surplus, ce dernier habite deux étages au-dessus de celui du locataire;
- Le préjudice causé à la santé des locataires n’a pas été démontré, notamment celui causé à la locataire Marie-Lou Lemire;
- Le fait que le locateur reçoit des courriels en guise de plaintes en 2023 n’est pas inusité et n’alourdit pas indument la gestion de l’immeuble;
- Aucune preuve n’a été faite à l’effet que le locateur aurait perdu des candidats à la location;
- Aucune preuve n’a été faite à l’effet que le locataire subirait un préjudice financier à cause du locataire et les logements de l’immeuble sont tous loués;
- Nous ne sommes pas en présence d’un préjudice sérieux en vertu de l’article
- Nous ne sommes pas en présence d’un trouble anormal du voisinage en vertu de l’article
- Nous sommes plutôt en présence de désagréments. Le Tribunal fait d’ailleurs siens les propos du juge administratif Philippe Morrisset dans l’affaire Banzouzi c. Talon[6]., aux paragraphes 16 à 24. Il n’y a donc pas lieu de résilier le bail en vertu de désagréments;
- Le Tribunal fait également siens les propos du juge administratif Ross Robins, dans l’affaire Mina Jebbari inc. c. Toy[7], aux paragraphes 14 à 25. Dans cette affaire, la résiliation du bail a été rejetée dans des conditions semblables à la présente affaire;
[127] Le Tribunal est d’avis qu’il serait inapproprié de jeter à la rue le locataire âgé de 75 ans qui habite l’immeuble depuis environ 30 ans en raison des motifs précédemment énoncés.
[128] Le Tribunal est convaincu du fondement des motifs précédemment énoncés, bien qu’il ait pris en considération la preuve du locateur et les autorités soumises par son avocate, notamment en ce qui concerne les principes régissant l’usage du tabac dans les immeubles et les effets de la fumée secondaire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[129] REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais.
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Richard Barbe | ||
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Présence(s) : | le locateur Me Gabrielle Guérin, avocate du locateur le locataire Me Marc-André Émard, avocat du locataire | ||
Dates des audiences: | 23 mars 2022 et 2 juin 2022 | ||
Présence(s) : | le locateur Me Juilie St-Germain, avocate du locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 9 décembre 2022 | ||
Présence(s) : | le locateur Me Julie St-Germain, avocate du locateur le locataire Me Marc-André Émard, avocat du locataire | ||
Date de l’audience : | 9 mars 2023 | ||
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[1] St-Elzear c. Canyelles,
[2] KARIM, Vincent, Les obligations [vol. 1], 5e éd., disponible en ligne sur le site Web du CAIJ.
[3] DUCHARME, Léo, Précis de la preuve, 6e éd. (2005), disponible en ligne sur le site Web du CAIJ.
[4]
[5]
[6] Préc., note 2.
[7] Préc., note 3.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.