Goulet c. Garant |
2013 QCRDL 22885 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No : |
31 110815 120 G |
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Date : |
25 juin 2013 |
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Régisseure : |
Manon Talbot, juge administratif |
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Maurice Goulet |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Fanny Garant |
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Locataire - Partie défenderesse |
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et |
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Lucie Van Untfanck |
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Caution
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D É C I S I O N
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[1] Le
tribunal est saisi d'une demande en recouvrement du loyer au
montant de 920 $, ainsi que ceux échus à l'audience, et en dommages pour
une somme de 1 085,47 $, avec intérêts au taux légal et l'indemnité
additionnelle selon l'article
[2] Au soutien de sa procédure, le locateur indique que la locataire a fait défaut de payer le loyer de mai et juin 2011 et qu’il a perdu l’équivalent du loyer de juillet 2011, car il n’a pu relouer le logement avant le 1er août 2011.
[3] Il réclame également des frais de publicité (447,17 $), des frais d’énergie (51,93 $), des frais de nettoyage (30 $) et de visite (50 $) ainsi que des frais d’exterminateur.
[4] De plus, il déclare ce qui suit : « Bien que la locataire ait donné son avis de non-reconduction elle agissait de façon à nuire à la relocation du logement en y refusant l’accès pour la visite ».
[5] Les parties étaient liées par un bail du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 au loyer mensuel de 460 $.
Allégations et preuve du locateur
[6] À l’audience, le locateur allègue que la locataire a fait défaut de collaborer lorsqu’est venu le moment de faire visiter le logement par des locataires potentiels.
[7] Il lui a adressé une lettre par courrier recommandé datée du 20 avril 2011 pour obtenir ses disponibilités en vue de planifier des visites du logement, mais la lettre lui a été retournée au motif qu’elle ne fut pas réclamée.
[8] Il affirme qu’il n’a pas été informé du départ de la locataire.
[9] Par ailleurs, il relate avoir reçu un appel de la locataire en avril 2011 lui mentionnant qu’elle avait vu un rat dans le logement. Il s’est rendu sur les lieux et a constaté qu’elle avait gravement endommagé le bois de la galerie et que plusieurs sacs de poubelles s’y retrouvaient.
[10] La locataire lui a exhibé une photo démontrant un rongeur dans une trappe et des excréments de son hamster dans un sac.
[11] À son avis, la locataire cherchait à quitter le logement avant l’échéance de son bail. Elle a ainsi orchestré un scénario pour lui permettre de quitter son logement sans avoir à payer le loyer.
[12] Selon ses vérifications auprès des autres locataires, aucun rongeur n’a été vu dans l’immeuble.
[13] Un exterminateur s’est présenté au logement et n’a constaté aucune trace de présence de rats, selon les factures qu’il produit à l’audience.
[14] Au soutien de sa réclamation en dommages, il soutient que le manque de collaboration de la locataire l’a empêché de faire visiter le logement faisant ainsi en sorte que ce dernier fut reloué pour le 1er août seulement.
[15] Il produit des factures pour frais de publicité dans les journaux pour les mois de mars à juin 2011.
Allégations et preuve de la locataire
[16] La locataire admet avoir quitté le logement le 20 ou le 21 avril 2011. Cependant, elle explique avoir complété un avis d’abandon du logement sur le formulaire suggéré par la Régie du logement sur les conseils d’un proposé. Elle n’est toutefois pas en mesure de produire à l’audience la preuve de transmission de cet avis qu’elle déclare avoir égaré.
[17] Plus amplement, elle témoigne qu’à son retour à son logement avec une amie le 10 avril 2011 après quelques jours d’absence, elle remarque une odeur nauséabonde, un sac de croustilles déchiqueté et des excréments de rat sur le divan.
[18] Elle se rend sur le balcon pour vérifier l’état des poubelles et s’enfonce à travers le plancher. Elle a dû appeler au secours pour que son amie puisse l’aider à s’en sortir.
[19] Aussitôt à l’intérieur du logement, elle téléphone au locateur pour l’informer de la situation. Elle dit être en mesure de reconnaître les signes de présence de rats puisqu’à son lieu de travail ils ont déjà été aux prises avec une infestation de ces rongeurs. Elle ne possédait pas de hamster, contrairement aux dires du locateur.
[20] Ils conviennent alors que le locateur se présentera au logement le lendemain. La locataire est repartie avec son amie pour y passer la nuit.
[21] Le lendemain, le locateur s’est présenté au logement accompagné de son homme de maintenance. Bien qu’il ne soit pas convaincu par les excréments qu’elle lui présente en guise de preuve, il installe un piège à rat.
[22] Le jour suivant, elle trouve le rat dans la trappe et le récupère dans un sac de plastique. Elle quitte alors pour le travail et appelle le locateur. Sa réponse fut qu’il placerait d’autres trappes si elle constatait encore la présence de vermine.
[23] Insatisfaite de la réponse du locateur, en présence de son amie, elle dispose du rongeur après avoir pris une photo qu’elle dépose à l’audience. Elle téléphone ensuite à ses parents pour qu’ils viennent la chercher et planifier son déménagement. Un camion est loué pour déménager ses meubles du 13 au 14 avril 2011.
[24] Elle produit également une photo de la galerie démontrant un trou béant dans la structure de bois.
[25] En réplique aux allégations du locateur, elle reconnaît avoir déjà discuté avec lui des possibilités de mettre fin au bail avant terme, car elle envisageait un retour aux études, ce qu’elle n’a pas fait finalement à cette époque.
[26] Quant aux visites du logement, elle est en désaccord avec les prétentions du locateur puisqu’elle a elle-même fait visiter le logement à quelques reprises à la demande du locateur et ce, même en l’absence de ce dernier. Elle se souvient avoir refusé une visite à une reprise, soit le lendemain de la découverte du rat, en raison de son inconfort concernant la situation.
[27] La locataire fait témoigner Lucie Van Untfank, sa mère et caution au bail.
[28] Elle explique s’être présentée au logement le lendemain de l’appel de sa fille lui mentionnant la présence d’un rat et l’incident du balcon arrière. Elle ne voulait pas que sa fille continue à habiter le logement dans cet état. À son avis, le locateur n’a pas pris la situation au sérieux.
[29] Elle se rappelle que l’avis d’abandon a été laissé dans la boîte aux lettres à son départ avec les clés du logement, le 20 ou le 21 avril 2011, soit le jour où les derniers effets de sa fille ont été déménagés.
[30] La locataire fait également témoigner Valérie Paquette, son amie, laquelle corrobore sa version des faits concernant la présence d’excréments dans le logement et l’incident du balcon le 10 avril 2011. Elle confirme également avoir photographié le rongeur et le balcon dont les photos sont produites à l’audience.
ANALYSE
[31] Selon les dispositions
de l'article
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée».
[32] Il appartient aussi à
la partie demanderesse de démontrer par prépondérance de preuve que les faits
qu'elle présente sont probables, conformément à l'article
« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante».
[33] Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme dans leur Traité de droit civil du Québec :
« Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire qu'il perdra son procès si la preuve qu'il a offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »[1]
[34] Quant à l'appréciation du témoignage, elle est laissée à la discrétion du tribunal. L’article 2845 C.c.Q stipule ce qui suit:
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »
[35] De plus, la force probante d'une preuve testimoniale dépend en grande partie de la crédibilité de chaque témoin et de la qualité de son témoignage, eu égard à la façon de témoigner et au contenu des réponses, éléments que le tribunal considère en vue de rendre un jugement conforme au poids de la preuve.
[36] Dans le cas présent, le tribunal doit se demander si le locateur a démontré de manière suffisante le bien-fondé de sa demande en justice.
[37] Le tribunal, à qui il
revient en vertu de l'article
[38] D’une part, les témoignages de la locataire et de ses témoins sont apparus sincères et crédibles au tribunal. La soussignée estime, contrairement aux allégations du locateur, que la locataire n’a pas inventé d’histoire sur la présence d’un rat dans son logement.
[39] Devant la preuve d’un rongeur dans la trappe placée par lui la veille et la présence d’excréments, le locateur ne pouvait se contenter de proposer de placer d’autres pièges dans le logement. Confronté à une telle situation, le locateur avait l’obligation d’agir avec diligence, ce qu’il n’a pas fait en mandatant un exterminateur seulement un mois plus tard et après le départ de la locataire.
[40] Eu égard à la preuve d’absence de vermine dans le logement, la production des factures de l’exterminateur constitue, d’une part du ouï-dire et, d’autre part, elles ne permettent pas d’exclure les témoignages à l’audience concernant la présence d’un rat dans le logement. Il en est de même pour les lettres des autres locataires mentionnant qu’ils n’ont pas eu connaissance de la présence de vermine dans leur logement.
[41] Quant au balcon arrière, la photo produite jumelée à la version des témoins révèle un état de vétusté avancé et de dangerosité.
[42] D’ailleurs, le locateur ne nie pas que le balcon ait été sérieusement endommagé. Cependant, à son avis, quelqu’un a volontairement « buché » le bois du balcon, lequel était en parfait état.
[43] De l’avis du tribunal, le témoignage du locateur à cet égard est loin d’être convaincant et démontre plutôt une attitude de désinvolture en regard des problèmes vécus par la locataire.
[44] Devant le peu d’empressement du locateur à agir, la locataire avait raison de douter que les problèmes dénoncés ne seraient pas résolus rapidement. Ainsi, le tribunal est d’avis qu’il ne peut être reproché à la locataire d’avoir quitté le logement avant la fin de son bail.
[45] De plus, le fait que le locateur affirme ne pas avoir eu connaissance du départ de la locataire laisse perplexe. Plusieurs éléments permettent de mettre en doute sa version.
[46] D’une part, il s’est présenté au logement avec l’exterminateur le 9 mai 2011. Il a sûrement alors constaté son départ à ce moment. De plus, selon une lettre provenant d’Hydro-Québec adressée au locateur en date du 3 mai 2011 et produite à l’audience par lui-même, il est mentionné que le logement était vacant depuis le 1er mai précédent.
[47] Pour le tribunal, les témoignages précis, détaillés et très crédibles de la locataire voulant que le logement concerné fût complètement vide à partir du 21 avril ont convaincu le tribunal de cette réalité.
[48] Ainsi, le bail a été
résilié de plein droit par le départ de la locataire en avril 2011 en
conformité avec les dispositions de l’article
[49] Néanmoins, même en prenant pour avérée la version que la locataire aurait quitté le logement sans droit en avril 2011, toute perte de loyer subséquente constitue des dommages et doit être réclamée comme telle, ce qui n’est pas le cas en l’instance.
[50] Dans son traité sur le louage, Me Pierre-Gabriel Jobin précise à ce sujet :
« Par application des règles que nous avons énoncées plus haut, il nous faut conclure que le locateur a droit au loyer jusqu'au jour de la résiliation, mais pas pour la suite. Le loyer perdu après la résiliation, pendant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire et lui permettre d'emménager, sera récupéré sous forme de dommages-intérêts. »[2]
[51] Pour tous ses motifs, la réclamation du locateur pour les loyers impayés et les frais d’énergie pour cette même période ne sera pas retenue.
[52] Finalement, le dépôt des factures pour les publicités dans les journaux démontre que la locataire n’avait pas reconduit le bail au 1er juillet 2011, et ce, conformément à la déclaration du locateur dans sa procédure, ce qui contredit sa version à l’audience. En conséquence, il ne peut réclamer les frais de publicité pour relouer le logement.
[53] Considérant le témoignage crédible de la locataire sur sa collaboration pour faire visiter le logement ainsi que son départ à la fin du mois d’avril, les prétentions du locateur concernant ses difficultés à relouer le logement avant le 1er août 2011 ne peuvent être retenues. Les dommages réclamés à ce titre seront également rejetés.
[54] Cela étant, le tribunal en vient à la conclusion que la demande du locateur est mal fondée en faits et en droit.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[55] REJETTE la demande du locateur qui en assume les frais.
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Manon Talbot |
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Présence(s) : |
le locateur la locataire la caution |
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Date de l’audience : |
3 mai 2013 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.