Décision

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Décision

Midani c. Tardif

2021 QCTAL 13434

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

559552 31 20210301 G

No demande :

3189705

 

 

Date :

25 mai 2021

Devant la juge administrative :

Karine Morin

 

Darwich Midani

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Benoît Tardif

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande du 1er mars 2021, le locateur requiert la résiliation du bail et l'expulsion du locataire vu l’encombrement et l'insalubrité des lieux et parce qu’il ne collabore pas à l'éradication des coquerelles et des punaises de lit. Il demande aussi les sommes à défrayer pour remettre le logement en bon état.

[2]      À l’audience, le Tribunal informe le locateur que sa demande relative au coût de remise en état du logement est prématurée puisque le locataire est toujours au logement et que, pour l’instant, aucune somme n’a été déboursée par le locateur à cet effet.

[3]      Bien que dûment convoqué, le locataire est absent à l’audience.

LES FAITS

[4]      Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 à un loyer mensuel de 510 $.

[5]      Le locataire visé par la présente demande habite son logement depuis 2009. Il s'agit d'un logement de type studio, situé au 3e étage de l’immeuble concerné.

[6]      Le 2 juillet 2020, dans le cadre d’une démarche visant certains logements de l’immeuble, le locateur se rend au logement du locataire avec un exterminateur afin de procéder à l’extermination de coquerelles. Le locateur constate l’encombrement du logement et doit lui-même procéder à déplacer certains biens du locataire afin de permettre à l’exterminateur de procéder au traitement. Il prend une photo de l’état des lieux, déposée en preuve.

[7]      Dans les jours suivants, le locateur demande au locataire de remédier à la situation, ce que le locataire s’engage à faire.


[8]      En janvier 2021, alors que le locateur retourne au logement du locataire, il constate que l’état du logement est le même. L’exterminateur constate une infestation de coquerelles, mais aussi de punaises de lit.

[9]      Le 1er février 2021, une mise en demeure est remise au locataire lui exigeant de procéder au désencombrement du logement et d’éliminer les contenants d’eau stagnante, dans un délai de 15 jours.

[10]   Le locateur dépose en preuve le rapport d’un exterminateur, subséquent à une inspection du logement le 16 février 2021, dans lequel ce dernier constate la présence d’une infestation importante de punaises de lit (aux stages d’œufs et d’adultes) et de « fruit fly ».

[11]   D’autres logements sont touchés par la présence de coquerelles et ont subi des traitements d’extermination. Par ailleurs, lors de la visite du 16 février 2021, l’exterminateur procède à l’inspection rapide de certains autres logements de l’immeuble et conclut que les punaises de lit ont été présentes dans certains autres logements et il est possible qu’il y en ait encore.

[12]   Exception faite du logement du locataire visé par la présente demande, l’inspection des autres logements consiste à une inspection visuelle rapide.

[13]   Le 31 mars 2021, le locataire refuse de donner accès au logement pour un traitement d’extermination des punaises de lit.

[14]   Le locateur retourne au logement le 4 et le 20 avril 2021, la situation est restée la même.

[15]   Ainsi, le locateur demande la résiliation du bail et l’éviction du locataire en raison de l’encombrement et de l’insalubrité du logement ainsi qu’en raison du manque de collaboration du locataire dans la préparation nécessaire de son logement et son refus de recevoir les traitements d’exterminations.

[16]   Il reproche donc au locataire de contribuer à la prolifération de ces insectes, sans lui imputer l'origine de ces infestations. À tout le moins, le locataire a grandement négligé l'entretien de son logement et a entravé les traitements d'éradication des insectes. 

[17]   Il ajoute aussi que l’accumulation des biens dans le logement du locataire comporte un risque d’incendie puisqu’une quantité importante de papier s’y trouve et que la porte de sortie d’urgence du logement du locataire est encombrée par des objets.

[18]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve du locateur.

ANALYSE ET DÉCISION

Le fardeau de preuve

[19]   Les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.

[20]   Il appartient au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et d'en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence. Ainsi, il ne suffit pas de présenter des allégations devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.

[21]   Par conséquent, si la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdra[1].

Encombrement et insalubrité

[22]   Comme premier motif de résiliation du bail, le locateur invoque l’encombrement et l'insalubrité du logement.

[23]   Qu'en est-il en l'insalubrité?


[24]   Le législateur a précisé ce qu'il entendait par insalubrité à l'article 1913 du Code civil du Québec :

« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation. Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le Tribunal ou par l'autorité compétente. »

[25]   Il y a donc une distinction à faire entre l'encombrement, la malpropreté, le mauvais entretien généralisé d'un logement et l’insalubrité de celui-ci.

[26]   Après analyse de la preuve soumise et délibéré, le Tribunal ne peut conclure que le logement est insalubre (impropre à l'habitation) et résilier le bail pour ce motif, la preuve administrée à l'audience étant insuffisante pour soutenir cette prétention.

[27]   La seule photo déposée par le locateur ne convainc pas le Tribunal que celui-ci est insalubre puisqu’il n’est pas démontré que son état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public.

[28]   Qu’en est-il de l’encombrement du logement?

[29]   L'article 1855 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit qu'un locataire est tenu, pendant la durée du bail, d'user du bien avec prudence et diligence. Selon l'article 1911 C.c.Q., le locataire doit maintenir en bon état de propreté son logement. Ainsi, il doit voir à sa conservation et éviter toute usure anormale.

[30]   Aussi, selon l'article 1912 C.c.Q., tout manquement d'un locataire relatif à la sécurité ou à la salubrité d'un logement donne lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation prévue au bail.

[31]   Comme le prévoit l'article 1863 C.c.Q., un locateur peut, au cas de violation des obligations du locataire, et en autant que la preuve d'un préjudice sérieux soit démontrée, demander la résiliation du bail, ce qui constitue une forte sanction.

[32]   Voici le libellé de l'article 1863 C.c.Q. :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent.  Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

[...]. »

[33]   Le Tribunal doit fonder son appréciation sur des considérations objectives et sur une preuve concluante, à la fois, sur les manquements allégués et sur le préjudice sérieux qui en découle. Il s'agit des deux éléments essentiels qui conditionnent le prononcé de la résiliation du bail. Un préjudice sera qualifié de « sérieux », s'il est anormal, excessif, fréquent, continu ou persistant, par exemple.

[34]   Le fardeau de la preuve repose sur les épaules du locateur. Il doit donc démontrer le bien-fondé de son droit, de ses prétentions et des faits allégués et en convaincre le Tribunal de manière prépondérante.

[35]   Comme le définit la juge administrative Francine Jodoin dans l'affaire Montréal (Office municipal d'habitation de) c. Patatoucakis, « (l)'encombrement résulte d'une accumulation excessive, amoncellement, amas et entassement d'objets dans une pièce[2]. »

[36]   Objectivement, la preuve photographique du locataire démontre que le logement n'est pas encombré d'une façon excessive. L’ensemble des biens qui s’y trouvent, quoique très nombreux, sont bien ordonnés et rangés. Il ne s’agit pas d’un entassement aléatoire des objets du locataire et il est possible de circuler dans le logement.

[37]   Par ailleurs, l’ensemble de la preuve administrée par le locateur ne permet pas de constater, par preuve prépondérante, un quelconque danger d’incendie ou autre préjudice grave subit par le locateur en raison des biens du locataire.


[38]   La demande en résiliation du bail en raison de l’encombrement et de l’insalubrité du logement est donc rejetée.

La collaboration du locataire aux traitements d’extermination

[39]   Du témoignage même du locateur, la preuve ne démontre pas que le locataire est à l’origine des infestations de coquerelles et de punaises de lit dans l’immeuble.

[40]   Le locateur reproche au locataire son défaut de coopération dans ses tentatives d'enrayer l’infestation de coquerelles et de punaises de lit dans son immeuble, notamment en ne faisant pas une préparation adéquate de son logement avant la visite de l’exterminateur et en refusant les traitements nécessaires à l’éradication.

[41]   Par conséquent, il requiert du Tribunal de résilier le bail en raison du préjudice sérieux qu'il en subit.

[42]   Tout locataire a droit à la jouissance paisible des lieux loués, passant notamment par le bon état d'habitabilité, de réparations ou de sécurité, que doit procurer le locateur au sein de son immeuble.

[43]   En corollaire, on peut affirmer que les obligations du locataire comportent celle de collaborer et de ne pas nuire au locateur dans l'accomplissement de ses propres devoirs[3].

[44]   En l’espèce, la preuve prépondérante convainc le Tribunal que le locataire ne collabore pas convenablement aux démarches du locateur dans le but d’éliminer les infestations dans son immeuble. Partant, le locateur se trouve empêché de s'acquitter de ses propres obligations tenant à la conservation de l'immeuble et à son bon état d'habitabilité.

[45]   Il va sans dire que la présence de coquerelles et de punaises de lit dans un immeuble à logements multiples ne peut être prise à la légère. Le défaut d'y voir avec promptitude et efficience peut vite faire dégénérer la situation, sinon la faire perdurer, avec incidence d'un préjudice certain. Le locateur est certes en droit d'exiger du locataire une collaboration complète et totale dans ses démarches d'extermination dans le logement concerné et dans tout l'édifice.

[46]   Par son manque de collaboration et son indifférence à l'égard du bien-être d'autrui, le locataire manque à son obligation d'user avec prudence et diligence du logement et porte gravement atteinte à la jouissance paisible des lieux des autres locataires de l'immeuble ainsi qu'à leur qualité de vie.

[47]   Le Tribunal juge que le manquement du locataire constitue donc un préjudice sérieux pour le locateur, justifiant la résiliation du bail.

[48]   Par ailleurs, le Tribunal croit que le locataire peut s'amender afin de conserver son logement. C'est pourquoi, plutôt que de résilier le bail, il bénéficiera d'un « sursis de la dernière chance », ce que permet l'article 1973 C.c.Q.

[49]   Voici ce que dit la loi :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le Tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du Tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[50]   CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[51]   CONSIDÉRANT que l'article 1973 C.c.Q. trouve ici application;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[52]   SURSOIT à la résiliation du bail en application de l'article 1973 C.c.Q.;


[53]   ORDONNE au locataire de collaborer avec le locateur afin d'éradiquer les coquerelles et les punaises de lit dans le logement;

[54]   ORDONNE au locataire de nettoyer et préparer les lieux conformément aux consignes qui lui seront données avant les traitements pour permettre aux gestionnaires de parasites d'effectuer une extermination efficace;

[55]   ORDONNE au locataire, à la suite de l'envoi de l'avis de 24 heures exigé par l'article 1931 du Code civil du Québec, de donner accès aux lieux loués aux gestionnaires parasitaires, et ce, afin de conduire les traitements d'extermination, même en son absence;

[56]   DÉCLARE que cette ordonnance demeure en vigueur pour toute la durée du bail et sa reconduction subséquente à compter du délai d'exécution de la présente décision;

[57]   RÉSERVE les droits du locateur quant aux dommages causés au logement;

[58]   CONDAMNE le locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 86 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Morin

 

Présence(s) :

le locateur

Date de l’audience :  

27 avril 2021

 

 

 


 



[1] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2005, p.62.

[2] Montréal (Office municipal d'habitation de) c. Patatoucakis, 2013 QCRDL 10069, parag. 22.

[3] 31 090105 093 G (Juge administrative Chantale Bouchard, DESJARDINS c. PLAISIR, 8 avril 2009).

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