Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Boshouwers c. Place Bernard inc.

2023 QCTAL 14364

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

653903 31 20220916 G

656679 31 20221005 G

Nos demandes :

3665575

3679321

 

 

Date :

10 mai 2023

Devant la juge administrative :

Pascale McLean

 

Bruce Boshouwers

 

Locataire - Partie demanderesse

(653903 31 20220916 G)

Partie défenderesse

(656679 31 20221005 G)

c.

Place Bernard Inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

(653903 31 20220916 G)

Partie demanderesse

(656679 31 20221005 G)

 

D É C I S I O N    I N T E R L O C U T O I R E

 

 

[1]         Par un recours introduit le 16 septembre 2022, le locataire demande de déclarer l’avis d’éviction qui lui a été signifié, le ou vers le 15 novembre 2021, invalide et inopposable. Subsidiairement, il demande d’être relevé de son défaut d’avoir déposé une demande d’opposition à l’éviction dans le délai prévu au Code civil, conformément à l’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (ci-après L.T.A.L.), en plus des frais judiciaires (dossier 653903).

[2]         Par un recours introduit le 5 octobre 2022, le locateur demande d’ordonner au locataire de donner possession vacante du logement dans un délai de cinq jours de la décision à intervenir en l’instance et, à défaut, ordonner l’éviction du locataire, en vertu de l’article 1883 C.c.Q. Il demande de plus l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et le paiement des frais judiciaires (dossier 656679).

[3]         Les recours ont été réunis pour instruction commune, comme le prévoit l'article 57 de la L.T.A.L.

[4]         Le procureur du locataire demande de présenter sa preuve en premier lieu, étant celui qui a déposé sa demande initialement.

[5]         D’emblée, le procureur du locateur présente un moyen préliminaire visant à obtenir le rejet de la demande du locataire.


[6]         Celui-ci dépose l’avis d’éviction pour agrandissement transmis par le locateur au locataire le 16 novembre 2021[1] et dont fait référence le locataire dans sa demande. Le locataire demande une prolongation de délai, puisqu’il ne s’est pas opposé dans les délais, soulève l’avocat.

[7]         Or, plaide le procureur du locateur, le défaut du locataire de produire une opposition dans le délai imparti, en vertu de l’article 1966 C.c.Q., fait en sorte qu’il est réputé avec consenti à quitter les lieux. Il ajoute que la conséquence de ce défaut a déjà été jugée par la Cour du Québec dans l’affaire Les Immeubles 1595 inc. c. Payette[2], où la juge Martine L. Tremblay écrit :

« (18) En effet, l’article 1966 CCQ stipule clairement que le locataire qui omet de s’opposer à l’éviction demandée est « réputé » y avoir consenti.  Ce consentement réputé est donc absolu de par l’effet du deuxième paragraphe de l’article 2847 CCQ et aucune preuve ne peut lui être opposée.

(19) La loi ayant prévu le consentement à l’éviction comme conséquence légale du silence du locataire à la suite de la réception d’un avis d’éviction pour fins de subdivision, la Régie ne pouvait pas ignorer ce consentement alors qu’elle était saisie d’une demande de la locatrice pour obtenir l’expulsion de la locataire conformément à ce qui est prévu à l’article 1889 CCQ. »

[8]         Le procureur du locateur plaide de plus l’affaire Arthur Amro Holdings Inc. c. Westmount Square Residential[3], dans laquelle le juge Daniel Bourgeois rejette l’appel formulé par la locataire qui a été évincée de son logement par une décision du T.A.L., le 11 novembre 2022[4]. Dans le cadre de ce dossier, la locataire a été évincée, n’ayant pas contesté, dans le délai imparti à l’article 1948 C.c.Q., l’avis de non-reconduction de bail pour cause de sous-location.

[9]         Le procureur souligne plus particulièrement les passages suivants de la décision de la Cour du Québec :

« [31]  En fait, le T.A.L., qui est saisi d’une demande en expulsion en vertu de l’article 1889 C.c.Q., n’a qu’à déterminer trois choses, c’est-à-dire s’il y a eu signification d’un avis de non-reconduction dans les délais de 3 à 6 mois avant l’arrivée du terme du Bail, s’il y a absence de contestation du bien-fondé de l’avis de reconduction auprès du T.A.L. dans le délai d’un mois et, finalement, s’il y a toujours occupation par le locataire du logement lors de la présentation de la demande d’expulsion.

[32]  De l’avis du Tribunal, si le locataire omet de contester l’avis de non-reconduction auprès du T.A.L., la locataire est ainsi réputée avoir accepté la fin du bail.

[33]  En effet, l’audience sur la demande d’éviction en vertu de l’article 1889 C.c.Q. n’est pas l’occasion, pour un locataire, d’obtenir une deuxième chance pour débattre des conditions d’ouverture des articles 1944 et 1948 C.c.Q.

[34]  L’article 2847 C.c.Q. est clair :

« 2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.

Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée. »

[35]  Le défaut du locataire de s’adresser au T.A.L. pour contester l’avis de non-renouvellement fait en sorte qu’il est réputé de façon absolue avoir accepté la fin de son bail.

[36]  Lors du recours en éviction du locateur, celui-ci est alors dispensé de faire la preuve de la sous-location puisque le bail est réputé terminé. »[5]

[10]     Ainsi, l’avocat argue qu’en raison de la présomption irréfragable, le bail est résilié depuis le 30 septembre 2022 et, par conséquent, le locataire ne peut plus demander de déclarer l’avis invalide, pas plus qu’il ne peut demander une prolongation de délai en vertu de l’article 59 L.T.A.L.

[11]     De son côté, le procureur du locataire plaide que l’avis ne peut pas produire d’effet, puisqu’il n’est pas valide. Notamment, le procureur du locataire veut mettre en preuve que l’avis est inopposable au locataire car il n’a pas été rédigé dans la langue du bail, conformément à l’article 1898 C.c.Q. Il ajoute que l’avis a pour but d’évincer le locataire en cours de bail, ce qui rend également l’avis inopposable au locataire. Il argumente de plus que l’avis d’éviction porte à confusion, ne permettant pas au locataire de comprendre les conséquences de cet avis.


[12]     Il dépose le bail et ses renouvellements. Les parties admettent que le bail concerné est pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, au loyer mensuel de 1 160 $. Le procureur du locateur mentionne qu’il y a eu une erreur sur la fin du bail dans l’avis, laquelle est sans conséquence au présent litige, selon lui.

[13]     L’avocat du locataire distingue la présente affaire de la jurisprudence déposée par la partie locatrice, en ce que le caractère inopposable des avis n’a pas été remis en cause, contrairement au cas à l’étude.

[14]     L’avis d’éviction étant inopposable au locataire et n’ayant pas force de loi parce qu’invalide, le locataire doit être entendu sur sa demande, plaide-t-il. Il demande donc le rejet du moyen préliminaire.

ANALYSE ET DÉCISION

[15]     Pour faire droit à ce moyen préliminaire invoqué par le locateur, soit l’irrecevabilité de la demande, le Tribunal doit être convaincu que la procédure du locataire est vouée à l'échec et n'a aucune chance raisonnable de succès.

[16]     Pour y faire droit à ce stade préliminaire, les faits ne doivent laisser place à aucune ambigüité[6].

[17]     En effet, comme l'exprime la Cour Suprême, dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux[7] :

« [15] La requête préliminaire présentée par l'appelant repose sur le par. 165(4) C.p.c. Expression contemporaine de l'ancienne inscription en droit, cette disposition a pour fonction première d'éviter la tenue d'un procès lorsque le recours est dépourvu de fondement juridique, et ce, même si les faits à son soutien sont admis (Groupe d'assurance Hartford/Monitor Insurance Group c. Plomberie P.M. Inc., 1983 CanLII 2699 (QC CA), [1984] R.D.J. 17 (C.A.); Groupe Jeunesse Inc. c. Loto-Québec, 2004 CanLII 9766 (C.A. Qué.), par. 6).

[...]

[18] À ce propos, la Cour d'appel du Québec soulignait qu'« il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès au stade d'une requête en irrecevabilité, à moins d'une situation claire et évidente, considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d'une action sans que la demande ne soit examinée au mérite » (Entreprises Pelletier & Garon (Toitures inc.) c. Agropur Coopérative, 2010 QCCA 244, [2010] R.D.I. 24, par. 4). »

[18]     En l’occurrence, à l’instar du procureur du locataire, le Tribunal estime qu’il y a lieu de distinguer la présente affaire des jugements de la Cour du Québec déposés par le locateur. Dans le cas qui nous occupe, le locataire a déposé une demande pour déclarer l’avis invalide et, subsidiairement, pour prolonger le délai.

[19]     En effet, dans le présent dossier, ce qui est remis en cause est le caractère inopposable de l’avis, notamment en vertu de l’article 1898 C.c.Q., et les conséquences de ne pas l’avoir formulé dans le délai imparti.

[20]     Conséquemment, avant de pouvoir conclure que la présomption imposée à l’article 1966 C.c.Q. est applicable dans les circonstances, le Tribunal doit d’abord entendre les arguments qui, selon le locataire, rendrait cet avis inopposable et sans effet.

[21]     À l’issu de ce processus, le Tribunal devra ensuite s’interroger sur les conséquences des irrégularités découlant de l’avis d’éviction transmis par le locateur.

[22]     Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le moyen préliminaire est prématuré. Le Tribunal doit permettre au locataire de présenter une preuve complète sur le caractère inopposable de l’avis et sur la prolongation du délai, en vertu de l’article 59 L.T.A.L., le cas échéant.

[23]     Par conséquent, le moyen préliminaire avancé par le locateur est rejeté. Il y a lieu de fixer une nouvelle date afin que les parties puissent être entendues sur leur demande respective.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[24]     REJETTE le moyen préliminaire avancé par le locateur;

[25]     DEMANDE au maître des rôles de fixer les demandes de chaque partie pour une durée de 90 minutes.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pascale McLean

 

Présence(s) :

le locataire

Me Alexandre B. Romano, avocat du locataire

le mandataire du locateur

Me Serge Laflamme, avocat du locateur

Date de l’audience : 

18 avril 2023

 

 

 


 


[1] Pièce P-1.

[2] 500-80-036874-189 (31 mai 2019).

[3] C.Q., 2022-05-09, 2022 QCCQ 2428.

[4] TAL, 2020-11-11, 2020 QCTAL 7509.

[5] Arthur Amro Holdings Inc. c. Westmount Square Residential C.Q., 2022-05-09, 2022 QCCQ 2428.

[6] Entreprises Pelletier & Garon (Toitures Inc.) c. Agropur Coopérative, (2010) R.D.I. 24 (C.A.); Machineries Maheux (1998) Ltée c. J.A. Larue inc., B.E. 2008BE-801. (C.A.).

[7] 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.