Procureur général du Québec c. Deschesnes | 2022 QCCA 488 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-17-097638-178) | |||||
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DATE : | 8 avril 2022 | ||||
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | |||||
APPELANT/INTIMÉ INCIDENT – défendeur | |||||
c. | |||||
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RICHARD DESCHESNES | |||||
INTIMÉ/APPELANT INCIDENT – demandeur | |||||
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[1] Le procureur général du Québec (« PGQ ») se pourvoit contre un jugement rendu le 17 mars 2020[1] par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Corriveau), qui déclare notamment que M. Deschesnes a été destitué en contravention de l’article
[2] M. Deschesnes demande à la Cour de rejeter cet appel et, par son appel incident, l’invite à condamner le PGQ à des dommages-intérêts punitifs en raison d’une atteinte intentionnelle à ses droits à la présomption d’innocence, à l’assistance d’un avocat et à une défense pleine et entière.
[3] Un bref rappel des faits saillants suffira.
[4] Le 1er juillet 2008, M. Deschesnes est nommé directeur général de la SQ pour un mandat de cinq ans.
[5] Le 4 septembre 2012, il reçoit « la plus haute évaluation de rendement »[3], c’est‑à‑dire un rendement qui dépasse de beaucoup les attentes signifiées.
[6] Or, le même jour, un nouveau gouvernement est élu.
[7] Le 10 octobre 2012, le nouveau gouvernement nomme un nouveau directeur général, M. Mario Laprise. La légalité de ce changement fait l’objet de la première question en litige dans le présent pourvoi.
[8] Dans les jours suivant sa nomination, M. Laprise apprend que la SQ a conclu des ententes confidentielles prévoyant les modalités de départ d'anciens gestionnaires, dont le directeur général adjoint Steven Chabot et l'inspecteur-chef Alfred Tremblay. Ces dernières ententes prévoyaient, notamment, le paiement d'une indemnité de départ équivalant à un an de salaire dans le premier cas et des modalités financières permettant de régler à l'amiable le différend entourant la rétrogradation dans le second. Les sommes convenues ont été versées à même un fonds dit « DSO » (pour « dépenses secrètes d’opération »).
[9] Le 7 décembre 2012, M. Deschesnes est informé qu’il fait l’objet d’une enquête criminelle. Il présente une demande d’assistance judiciaire selon l’article 9 du Décret 323-2008 concernant la rémunération et les conditions relatives à l’exercice des fonctions des officiers de la Sûreté du Québec (« Décret des officiers »)[4] afin qu'un avocat lui soit assigné aux frais de la SQ. Sa demande est accordée le 13 décembre 2012.
[10] Le 27 décembre 2012, il demande une dérogation au tarif horaire de 100 $ de l’heure pour qu’un tarif horaire de 250 $ soit consenti à son avocat. Cette demande, conformément aux pratiques usuelles, lui est refusée, car l’affaire se trouve à l’étape de l’enquête.
[11] Le 27 janvier 2014, M. Deschesnes fait l’objet d’accusations criminelles de vol, fraude et abus de confiance avec deux coaccusés, MM. Tremblay et Chabot.
[12] Le 6 février 2014, M. Deschesnes demande l’assistance judiciaire afin d’assurer sa défense pleine et entière. Le 30 juin 2014, la SQ autorise celle-ci et en informe le ministère de la Justice qui, malgré plusieurs rappels, n’y donnera jamais suite, contraignant M. Deschesnes à payer ses frais de défense.
[13] Le 24 février 2014, M. Laprise décide de suspendre à demi-solde le traitement de M. Deschesnes en raison des accusations. Cette suspension se poursuivra jusqu'au 21 octobre 2019 alors qu’il sera acquitté par la Cour du Québec des accusations portées contre lui et ses coaccusés[5].
[14] Le 11 novembre 2021, la Cour confirme non seulement les acquittements prononcés par la Cour du Québec[6], mais reconnaît aussi la légalité des ententes conclues par M. Deschesnes.
[15] Ainsi, l’arrêt de la Cour établit que sa conduite et celle de MM. Tremblay et Chabot, bénéficiaires des ententes, n’était ni frauduleuse ni malhonnête et que le tout a été fait sans aucun bénéfice personnel quel qu’il soit pour M. Deschesnes.
[16] Dans un cas, l’entente avec l’ancien inspecteur-chef Tremblay est une « transaction conforme au droit et aux usages »[7] et « l’entente litigieuse n’a rien d’illégal »[8]; il ne subsiste alors « que des maladresses ou des erreurs administratives »[9].
[17] Dans l’autre cas, celui du directeur adjoint Chabot, « qui est prêt à repousser sa retraite afin d’aider son employeur »[10], la Cour reconnaît que « cette entente est tout à l’avantage de l’organisation, en favorisant la bonne conduite des opérations policières et, partant, l’accomplissement de la mission que l’art.
[46] Que l’entente ait contenu un engagement de confidentialité ou que le paiement prévu ait été fait à même le fonds DSO, par suite d’une décision administrative de l’intimé Deschesnes, qui usait ainsi d’une enveloppe budgétaire devenue, au cours des ans, un fonds discrétionnaire, comme le constate la juge, n’y change rien : elle a conclu que les intimés n’avaient pas cherché à dissimuler l’affaire et sa conclusion sur cette question entièrement factuelle ne saurait être remise en cause par l’appelante.
[Renvoi omis]
[19] Ainsi, plus de neuf années après le début d’une enquête criminelle et sept années après le dépôt des accusations criminelles, la réputation, l’honneur et l’intégrité de M. Deschesnes et de MM. Chabot et Tremblay se voient rétablis, l’arrêt de la Cour confirmant tant la légalité des ententes conclues par M. Deschesnes que le fait que celles-ci n’étaient ni malhonnêtes ni frauduleuses.
[20] Le PGQ présente quatre moyens d’appel :
1) La juge de première instance a erré en concluant que M. Deschesnes avait été destitué illégalement;
2) Elle a erré en concluant que M. Deschesnes avait droit à l’assistance judiciaire pour assurer sa défense pleine et entière;
3) Elle a erré en concluant que M. Deschesnes avait droit à son plein traitement lorsqu’il a été relevé provisoirement de ses fonctions après le dépôt des accusations criminelles contre lui;
4) La juge a omis de se prononcer sur la compétence de la Cour supérieure à entendre les litiges concernant le droit de M. Deschesnes à l’assistance judiciaire et le droit de recevoir son plein traitement lors du relevé provisoire dont il avait fait l’objet alors que ceux-ci relevaient de la compétence d’un arbitre désigné en vertu du Décret des officiers.
[21] M. Deschesnes se pourvoit contre le refus de la Cour supérieure de condamner le PGQ à des dommages-intérêts punitifs.
[22] Par ailleurs, il demande à la Cour de déclarer l’appel abusif et de condamner le PGQ aux frais de l’appel[12].
[23] Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis de rejeter tant l’appel principal que l’appel incident et de déclarer le premier abusif.
[24] M. Deschesnes a été nommé directeur général de la SQ pour un mandat de cinq ans. Contrairement à la position défendue par le PGQ dans sa défense et devant nous, le Décret 500-2008 concernant la nomination de monsieur Richard Deschesnes comme directeur général de la Sûreté du Québec, prévoit spécifiquement un mandat de cinq ans et non d’au plus cinq ans[13]. Les conditions relatives à l’exercice de ses fonctions sont celles prévues dans le Décret des officiers[14].
[25] Le 10 octobre 2012, l’article
58. Le mandat du directeur général est d’une durée d’au plus cinq ans, renouvelable jusqu’à ce que la durée totale des mandats successifs atteigne 10 ans. Le directeur général doit résider dans la localité où est situé le quartier général de la Sûreté du Québec ou dans son voisinage immédiat. Le directeur général ne peut être destitué que sur recommandation du ministre, après enquête menée par celui-ci ou par la personne qu’il désigne. | 58. The Director General shall be appointed for a term not exceeding five years, which may be renewed provided the total duration of successive appointments does not exceed 10 years. The Director General must reside in or in the immediate vicinity of the locality in which the Sûreté du Québec headquarters are situated. The Director General may only be dismissed on the recommendation of the Minister, following an investigation carried out by the Minister or a person designated by the Minister. |
[26] Le PGQ soutient que le remplacement de M. Deschesnes est intervenu à la suite de la formation d’un nouveau gouvernement, « dans le contexte d’un nombre important de remplacements chez les titulaires d’emplois supérieurs au gouvernement »[16]. Il ajoute que cette mesure n’a pas affecté le salaire de M. Deschesnes, car celui-ci est demeuré à l’emploi de la SQ et a été réaffecté au poste de conseiller au cabinet du directeur général.
[27] Qu’en est-il?
[28] Le parallèle proposé par le PGQ entre la situation de M. Deschesnes et celle des titulaires d’emplois supérieurs dans la fonction publique ne tient pas.
[29] M. Deschesnes n’a pas été nommé selon la Loi sur la fonction publique[17] et celle-ci ne contient aucune disposition similaire à l’article
[30] La description du poste de « conseiller au directeur général », créé de toute pièce pour M. Deschesnes, constitue un euphémisme douteux masquant le fait qu’il a été tabletté à la suite d'un changement de gouvernement.
[31] De plus, le remplacement discrétionnaire du directeur général contrevient aux dispositions impératives de l’article
[32] Pourtant, le PGQ reconnaît avec raison que l’article 58 visait la protection de l’indépendance du directeur général de la SQ à l’encontre de toute velléité politique d’intervention à l’égard des activités liées à l’exécution de la loi et les enquêtes criminelles[18]. En effet, lorsqu’un corps policier agit dans le cadre d’une enquête criminelle, il n’est pas sous le contrôle de la branche exécutive du gouvernement[19]. Ce principe d’indépendance des corps policiers face au pouvoir exécutif est non seulement important, mais il « est lui‑même à la base de la primauté du droit »[20].
[33] À ce sujet, le juge Vallerand écrit dans l’arrêt Gagnon c. Chambly (Ville de)[21] que l’article
[34] Il est vrai que cet arrêt a été infirmé par la Cour suprême[24], mais l’opinion du juge Vallerand au sujet de l’objet de l’article 79 n’a fait l’objet d’aucun commentaire. Dans ce cas d’espèce, la Cour suprême est d’avis que le chef de police Gagnon n’a pas été privé de sa charge ou de sa fonction, car « sa fonction comme chef de police a cessé à cause de l’expiration du terme fixe établi dans son contrat d’emploi sans qu’un nouveau contrat n’intervienne »[25].
[35] Le PGQ insiste sur le fait que la Cour suprême, dans cet arrêt, adopte les motifs du juge Bishop quant au sens du mot « destitution » qui comporte deux éléments : 1) un acte par l’employeur qui prive l’employé de sa fonction ou charge; 2) une sanction imposée à l’employé par l’employeur comme mesure disciplinaire[26].
[36] À son avis, le mot « destituer » doit nécessairement inclure un élément disciplinaire. En l’absence d’un tel élément, on ne saurait qualifier le remplacement de M. Deschesnes comme une destitution.
[37] Contrairement à la position du PGQ, la résolution de ce moyen d’appel ne tient pas à l’interprétation de la notion de destitution et à la preuve d’un élément disciplinaire, mais plutôt aux exigences particulières, claires et incontournables de l’article 58, exigences qui visent à protéger l’indépendance du directeur général de la SQ.
[38] La juge de première instance souligne d'ailleurs que « le cas du directeur général de la SQ est différent. Il jouit d’une protection différente et particulière enchâssée dans la Loi. Il ne peut être traité comme n’importe quel gestionnaire de haut niveau »[27].
[39] Selon les règles qui étaient alors en vigueur, la fin du mandat du directeur général de la SQ survient dans trois situations : 1) celui-ci demeure en poste pour la durée de son mandat qui n’est pas renouvelé; 2) il quitte son mandat volontairement avant la fin; ou 3) il fait l’objet d’une destitution selon le processus établi par l’article 58. Le gouvernement ne pouvait remplacer à sa guise et à son bon vouloir le directeur général de la SQ, il devait respecter le processus prévu à cet article si les deux autres scénarios ne se réalisaient pas.
[40] L’interprétation que propose le PGQ est contraire tant au texte qu’à l’objectif poursuivi par l’article 58 qui vise à préserver l’indépendance du directeur général de la SQ.
[41] Ironiquement, s’il fallait adopter pareille interprétation, le directeur général jouirait d’une plus grande protection en termes d’équité procédurale et d’indépendance en cas d’allégation de nature disciplinaire à son endroit qu’en l’absence de celle-ci ou, comme dans le présent dossier, en l’absence de toute cause. Une telle interprétation est insoutenable.
[42] Le 10 octobre 2012, M. Deschesnes a été privé de sa charge et de sa fonction de directeur général sans respecter les formalités prévues à l’article 58, l’unique processus pour qu’il soit mis fin à son mandat. Les exigences de cet article étaient impératives, le nouveau gouvernement ne pouvait simplement remplacer le directeur général à sa discrétion.
[43] La juge a donc eu raison de conclure que les exigences de l’article 58 n’ont pas été respectées et que M. Deschesnes a été privé illégalement de sa charge ou de ses fonctions.
[44] Avant d’aborder les deux prochaines questions, il faut déterminer si la Cour supérieure avait compétence pour décider du droit à l’assistance judiciaire et des conditions de la suspension de M. Deschesnes ou si ces questions relevaient plutôt de l’arbitrage.
[45] Dans la décision Procureure générale du Québec c. Fiset[28], la Cour supérieure répond à cette question d’une manière complète et persuasive.
[46] Le droit à l’assistance judiciaire et les conditions affectant le relevé provisoire de M. Deschesnes constituent, au sens du troisième alinéa de l’article 22.02 e) du Décret des officiers, une matière administrative à l’égard de laquelle « l’arbitre ne peut que recommander la confirmation ou l’annulation de la mesure prise par la Sûreté ou de sa décision ». Le régime prévu dans le Décret des officiers ne prévoit donc pas un régime complet au sens de l’arrêt Vaughan c. Canada[29].
[47] La Cour supérieure avait donc compétence pour trancher les litiges présentés par M. Deschesnes.
[48] Ajoutons à cela que le PGQ n’a pas demandé le renvoi de la demande de M. Deschesnes à l’arbitrage, reconnaissant la nécessité de résoudre l’ensemble des questions présentées à la Cour supérieure.
[49] Un officier de la SQ poursuivi en justice, à la suite d’actes ou gestes qu’il a posés par le fait ou à l’occasion de son travail, a droit à ce qu’un avocat soit désigné, après consultation, pour lui assurer une protection ainsi qu’une défense pleine et entière. En matière pénale et criminelle, le procureur est désigné avec l’accord de l’officier.
[50] L’officier doit faire une demande écrite à la SQ qui doit répondre dans les plus brefs délais.
[51] Cependant, comme dans plusieurs régimes de ce type, la SQ peut réclamer le remboursement des honoraires et les frais de l’avocat désigné lorsque l’officier est condamné par jugement final au criminel.
[52] Selon le Décret des officiers, c’est la SQ qui accorde la protection et l’assistance judiciaire[30].
[53] Quant au ministère de la Justice, il désigne l’avocat de l’officier, accorde le mandat et conclut le contrat de services juridiques[31]. Les frais assumés par la SQ sont établis par le règlement sur le tarif d’honoraires pour services professionnels fournis par des avocats ou des notaires[32] ou par dérogation sur approbation du Conseil du trésor.
[54] Il n’est pas essentiel de faire état de l’ensemble des tribulations de M. Deschesnes pour se voir reconnaître le droit à l’assistance judiciaire, celles-ci s’avèrent tout simplement kafkaïennes.
[55] À cet égard, la correspondance au dossier, qu’il est inutile de résumer aux fins du pourvoi, révèle tout de même l’existence d’un certain flou au sujet des rôles respectifs de la SQ et du ministère de la Justice dans le processus relatif à l’assistance judiciaire[33].
[56] Le PGQ soutient que le décret accorde au ministère de la Justice le rôle d’une autorité décisionnelle qui détermine si l’officier a droit à l’assistance judiciaire :
[11] L’appelant incident se méprend également sur les rôles et responsabilités de la SQ et du ministère de la Justice dans le processus d’octroi de l’assistance judiciaire. La SQ n’autorise rien. Elle fait un examen préliminaire et expédie une forme de recommandation au ministère de la Justice qui autorise l’assistance judiciaire. Le contrat de services juridiques intervient d’ailleurs entre l’avocat désigné et le ministre.[34]
[57] M. Deschesnes réfute vigoureusement cette approche :
[126] En vertu de l’article 22.01 du même Décret, c’est le directeur général adjoint à la Grande fonction de l’administration ou la personne qu’il désigne qui est responsable de « l’interprétation et l’application » du présent Décret. C’est donc à ce dernier de décider si l’appelant incident a le droit à l’assistance judiciaire. Les articles 9.03 et 9.10 du Décret ne laissent planer aucun doute sur le fait que la décision d’accorder l’assistance judiciaire relève uniquement du DGA de la SQ ou de la personne qu’il désigne;
[127] Le rôle du ministère de la Justice n’est donc pas d’exercer un contrôle sur la demande d’assistance judiciaire, mais plutôt, au vu de la recommandation émise par la SQ, d’émettre le contrat de services judiciaires tel que prévu aux articles 35 et 36 du Règlement sur certains contrats de services des organismes publics;[35]
[58] Bien qu’il faille reconnaître que la SQ utilise parfois le terme « recommandation » dans sa correspondance, le Décret des officiers à cet égard est sans équivoque.
[59] C’est la SQ qui accorde et autorise l’assistance judiciaire. Le ministère de la Justice met en œuvre ce droit en concluant le contrat de services juridiques avec l'avocat qu'il désigne. Il ne joue aucun rôle de reddition de comptes ou d’autorisation dans la détermination du droit à l’assistance judiciaire. L’application et l’interprétation du décret relèvent du directeur général adjoint à la Grande fonction de l’administration.
[60] D’ailleurs, en matière criminelle, la reconnaissance d'un pouvoir plus important au ministère de la Justice à l’étape de l’autorisation de l’assistance judiciaire des officiers de la SQ poserait des questions délicates. En effet, malgré l’indépendance institutionnelle accordée au Directeur des poursuites criminelles et pénales (« DPCP »)[36], celui-ci, faut-il le rappeler, « dirige pour l’État, sous l’autorité générale du ministre de la Justice et procureur général, les poursuites criminelles et pénales au Québec »[37].
[61] Le 30 juin 2014, la SQ informe le ministère de la Justice que les gestes posés par M. Deschesnes « l’ont été par le fait ou à l’occasion du travail qu’il accomplissait comme officier à la Sûreté du Québec » et elle autorise l’assistance judiciaire. Elle recommande que « cette demande soit soumise au ministre de la Justice pour approbation ». L’autorisation de la SQ s’appuyait notamment sur un avis juridique qu’elle avait sollicité.
[62] Comme on le voit, même si la SQ autorise l’assistance judiciaire, elle la transmet néanmoins pour approbation par le ministre de la Justice. Cette démarche paraît refléter une incompréhension entourant le rôle des uns et des autres.
[63] Le ministère de la Justice ne désignera jamais un avocat conformément au décret. Une position d’autant plus étonnante, car l’assistance judiciaire avait été accordée à l’étape de l’enquête. Or, mis à part le dépôt des accusations criminelles, le dossier ne révèle pas les motifs justifiant de ne pas accorder l’assistance avec la possibilité d’en obtenir le remboursement en cas de déclaration de culpabilité.
[64] M. Deschesnes avait droit à l’assistance judiciaire dans la mesure où il pouvait établir prima facie que les actes ou les gestes qu’on lui reprochait avaient été posés par le fait ou à l’occasion du travail qu’il accomplissait comme directeur général. Comme le rappelait récemment la juge Bich dans l’affaire Ville de Saint-Constant c. Succession de Pépin[38], quoique dans un encadrement législatif différent, il s’agit d’une « démonstration sommaire, superficielle et d’apparence, qui n’a pas à faire l’objet d’un examen substantiel et approfondi »[39], contrairement aux multiples exigences exorbitantes formulées par le ministère de la Justice dans le présent dossier.
[65] Il ne pouvait faire de doute que les actes de M. Deschesnes avaient été posés par le fait ou à l’occasion de son travail comme directeur général, que celui-ci avait établi la vraisemblance de son droit à l’assistance et qu’il n’avait pas à faire plus. Il était loin d’être déraisonnable de le prétendre et la SQ l'a reconnu en autorisant l'assistance judiciaire. Une longue enquête n’était pas nécessaire.
[66] Rien ne justifiait dans ce contexte les demandes d’informations transmises par le ministère de la Justice, comme par exemple celle, pour le moins étonnante, qui requiert l’envoi de la communication de la preuve par M. Deschesnes, afin de donner suite à la demande d'assistance judiciaire préalablement approuvée par la SQ[40].
[67] Cela dit, comme le révèlent éloquemment les propos tenus par une avocate du ministère de la Justice au directeur intérimaire de la Direction des relations professionnelles, on ne peut s’empêcher d’y voir la volonté du ministère de la Justice de « “se blinder” comme il faut » en raison de la perception, de la sensibilité et des enjeux qui entouraient le dossier de l’intimé[41]. Cela ne permettait toutefois pas de ne pas donner suite, avec diligence, à la demande d'assistance judiciaire.
[68] Le PGQ propose au surplus une interprétation des termes « par le fait ou à l’occasion de son travail » qui assujettirait le droit à l’assistance judiciaire à un critère restrictif fondé sur la finalité des gestes posés. Selon lui, l’assistance judiciaire ne doit être accordée que si les actes ou les gestes ont été posés dans le contexte opérationnel des activités policières.
[69] Cette interprétation fait totalement abstraction de la réalité des tâches exécutées par les officiers. La notion « par le fait ou à l'occasion de son travail » doit être analysée en tenant compte du poste occupé par l'officier souhaitant se prévaloir de l'assistance judiciaire.
[70] Pour le PGQ, il serait absurde que la SQ accorde l’assistance judiciaire à un officier si ce dernier est déclaré coupable de fraude criminelle à son égard en contexte administratif. Toutefois, le mécanisme prévu dans le décret ne fonctionne pas selon cette logique. Contrairement à d’autres lois[42], il n’exclut pas l’assistance judiciaire lorsqu’un officier fait l’objet d’accusations criminelles.
[71] Ainsi, l’officier qui établit la vraisemblance de son droit à l’assistance judiciaire pour assurer sa défense pleine et entière doit la recevoir. À cette étape, « ce n’est pas le moment de décider de ce qui est séparable des fonctions et de ce qui ne l’est pas »[43]. Bien entendu, le décret prévoit le remboursement des frais engagés si la culpabilité de l’officier est établie, car il est évident que la commission d’une infraction criminelle ne fait pas partie du travail d’un officier.
[72] Par ailleurs, la restriction proposée par le PGQ se heurte de toute façon aux faits de la présente affaire. Comme l’établit indubitablement le verdict d’acquittement prononcé par la Cour du Québec et confirmé par la Cour, les gestes posés par M. Deschesnes l’ont été par le fait ou à l’occasion de son travail de directeur général.
[73] Le ministère de la Justice ne pouvait, comme il l'a fait, ignorer simplement la demande d'assistance judiciaire de M. Deschesnes alors que la SQ l’avait valablement autorisée. Il se devait de désigner un avocat et de conclure le contrat de services juridiques.
[74] Dans son mémoire et à l’audience, le PGQ fait valoir un argument subsidiaire en ce qu’il reproche à la juge de première instance d’avoir commis une erreur en reconnaissant que M. Deschesnes avait non seulement droit à l'assistance judiciaire, mais également à une dérogation au terme du Tarif d’honoraires pour services professionnels fournis au gouvernement par des avocats ou des notaires[44].
[75] À son avis, selon le dernier alinéa de l’article 9.05 du décret, cette prérogative d'accorder une dérogation au tarif appartient au Conseil du trésor. De plus, invoquant la décision de la Cour suprême dans Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario[45], il soutient que la Cour supérieure ne pouvait pas fixer le tarif applicable ou accorder une dérogation.
[76] Ces arguments ne tiennent pas compte du dispositif formel du jugement :
[123] CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 323 481 $ (pièce P-57A modifiée) en remboursement des honoraires qu’il a défrayés lui-même vu le refus de consentir un mandat de services juridiques, incluant le droit à une dérogation sur les tarifs, avec intérêts de 52 929,16 $ entre le 10 avril 2015 et le 6 mars 2020 selon Laplante Bohec. Ces sommes portant intérêt légal et indemnité additionnelle tel que prévu au C.c.Q, à compter du 7 mars 2020;[46]
[Soulignement ajouté]
[77] Le paragraphe 123 condamne donc le PGQ « à payer au demandeur la somme de 323 481 $ (pièce P-57A modifiée) en remboursement des honoraires qu’il a défrayés lui-même ». Cette ordonnance de remboursement est conforme à la preuve présentée et aux observations des parties.
[78] Le PGQ n’a pas proposé à la juge de première instance ou à la Cour un montant différent ou une méthode de calcul différente. L'absence des comptes d'honoraires détaillant les heures consacrées par l'avocat de M. Deschesnes à sa défense rend par ailleurs impossible toute intervention de la Cour. Ajoutons qu'en choisissant d'ignorer la demande d'assistance judiciaire de M. Deschesnes, malgré son approbation par la SQ, le PGQ serait bien malvenu de contester les honoraires engagés par ce dernier.
[79] Le dispositif du jugement n’ordonne rien au Conseil du trésor et n’accorde aucune dérogation, même s’il réfère au « refus de consentir un mandat de services juridiques, incluant le droit à une dérogation sur les tarifs ».
[80] La nuance est importante. Dans les circonstances particulières de l’espèce, ni le remboursement ordonné ni le quantum fixé ne contreviennent aux principes formulés par la Cour suprême dans l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario.
[81] Il s’agit plutôt et tout simplement du paiement des honoraires défrayés par M. Deschesnes lui-même. La juge pouvait faire droit à cette réclamation.
[82] Le PGQ fait valoir que le pouvoir du directeur général de la SQ de relever provisoirement un policier, avec ou sans traitement, n’est pas restreint. Il invoque l’article
[83] L’article 355 est inapplicable, car il vise les directeurs de corps de police municipaux. C’est plutôt l’article
[84] Le PGQ soutient que la SQ pouvait s’inspirer des règles prévues dans le contrat de travail des policiers syndiqués et, en particulier, de son Annexe W pour relever provisoirement M. Deschesnes de son poste avec demi-traitement. Il invoque spécifiquement l’article 2.02 du Décret des officiers qui prévoit que les dispositions contenues dans ce décret ne peuvent être moins avantageuses que celles prévues dans le contrat de travail des policiers.
[85] Or, l’interprétation du PGQ de la portée de l’Annexe W est tout simplement erronée.
[86] En effet, si on applique cette annexe, M. Deschesnes avait droit à son plein traitement[47], car les gestes ou les actes qu’il a posés étaient « possiblement liés à l’exercice de ses fonctions »[48] ou, pour utiliser la terminologie du Décret des officiers, des gestes ou actes « posés par le fait ou l’occasion du travail qu’il accomplit comme officier ».
[87] Vu que le PGQ convient dans son mémoire que l’article 2.02 du décret vise à s’assurer que les conditions des officiers ne soient pas moindres que celles des policiers, M. Deschesnes avait droit à son plein traitement dès son relevé provisoire. Il ne pouvait pas être relevé de ses fonctions à des conditions moindres que celles applicables aux policiers.
[88] À ce sujet, le PGQ admet une corrélation directe entre le droit à l’assistance judiciaire et les conditions du relevé provisoire des policiers qui font face à des accusations criminelles[49]. Or, cette correspondance existe aussi dans le cas des officiers; le droit à l’assistance judiciaire et les conditions d’un relevé provisoire étant assujettis à une exigence dont la lettre est légèrement différente – les actes ou gestes doivent avoir été posés par le fait ou l’occasion du travail qu’il accomplit comme officier – mais l’esprit demeure le même et conduit au même constat.
[89] La juge de première instance a donc eu raison de conclure que M. Deschesnes avait droit à son plein traitement durant son relevé provisoire.
[90] Par son appel incident, M. Deschesnes conteste la partie du jugement qui rejette sa réclamation de dommages-intérêts punitifs.
[91] Avant d’aborder cet aspect, il convient de reproduire les conclusions de la juge au sujet des dommages moraux :
[105] Monsieur Deschesnes réclame 25 000 $ pour son préjudice moral en lien avec la situation vécue du fait qu’il n’a pu bénéficier de quelque assistance judiciaire depuis février 2014 depuis le dépôt des accusations criminelles. Cette assistance judiciaire lui est également refusée durant l’appel. Ainsi Monsieur Deschesnes a dû épuiser ses économies, il a dû hypothéquer sa demeure familiale dont il est copropriétaire avec sa conjointe tout cela dans un contexte où depuis 2014 jusqu’à récemment, il a reçu un demi-traitement.
[106] De plus, la nomination d’un autre DG alors que son mandat n’est pas complété, lui a causé un préjudice moral notamment à la lecture des articles de journaux qui ont rapporté sa destitution à l’époque.
[107] Monsieur Deschesnes, un homme fier, a dû s’expliquer auprès de ses proches, sa conjointe, ses trois enfants majeurs dont l’une était policière au sein de la SQ. Il a éprouvé de la honte à la suite d’une carrière de 32 ans au service de la SQ qui s’est terminée abruptement sur un coup de téléphone.
[108] Le Tribunal doit éviter de prendre en compte le dommage moral qu’aurait subi Monsieur Deschesnes durant l’enquête et à partir du dépôt des accusations criminelles. D'ailleurs, une réclamation en lien avec ces éléments est actuellement en délibéré dans un dossier connexe.
[109] Le Tribunal doit évaluer le préjudice moral allégué par Monsieur Deschesnes, vu le refus répété de lui attribuer l’assistance judiciaire, le demi-traitement et le fait d’avoir été destitué Monsieur Deschesnes sans enquête du Ministère comme étant constitutif d’une faute.
[110] Comme le dit la juge Bélanger, les faits à la base des accusations faisaient partie de gestes similaires déjà posés à la SQ. Ces pratiques administratives ont été menées par Monsieur Deschesnes à titre de DG à la SQ et pour cette dernière.
[111] D’aucune façon n’est-il question en l’espèce que Monsieur Deschesnes aurait lui-même tiré un avantage personnel de ces gestes, et ce, même si la PGQ lui reproche d’avoir avantagé ses proches collaborateurs.
[112] Il demeure que le fait d’être privé d’assistance judiciaire et de recevoir un demi-traitement a causé un préjudice moral face à la nécessité de trouver des fonds pour assurer sa défense.
[113] Monsieur Deschesnes a convaincu le Tribunal que la situation le forçant à hypothéquer sa demeure et vider ses économies pour défrayer au fur et à mesure des honoraires d’avocats élevés pour se défendre lui a causé un stress important.
[114] Il en est de même quant à son remplacement à neuf mois de la fin de son mandat, alors que les journaux font état d’une destitution. Ces éléments justifient une compensation pour dommage moral.
[115] Ce type de dommage est toujours difficile à évaluer, mais le Tribunal est d’avis que la courte période entre l’annonce qu’un successeur est nommé à Monsieur Deschesnes et les allégations criminelles méritent néanmoins une compensation.
[116] Le Tribunal lui attribue aussi une indemnité de 25 000$ pour son dommage moral.[50]
[Renvoi omis]
[92] M. Deschesnes soutient que l’ensemble des agissements de la SQ, du ministère de la Justice et du PGQ révèle que « tout a été mis en œuvre, sciemment et délibérément, pour faire en sorte [qu’il] soit incapable de se défendre pleinement et entièrement à l’encontre des accusations criminelles portées contre lui ».
[93] De plus, le gouvernement s’entêterait encore aujourd’hui à le dépeindre « comme un être manquant d’intégrité et malhonnête ».
[94] Sur cet aspect de la réclamation, la juge de première instance écrit ce qui suit :
[117] En ce qui concerne la réclamation de 100 000 $ pour dommages exemplaires, il faut que le Tribunal conclue que le comportement est empreint d’une violation flagrante de la loi assortie d’une intention malveillante de nuire ou de mauvaise foi, soit avec une atteinte intentionnelle.
[118] Il n’y a pas en l’espèce de preuve d’une atteinte illicite intentionnelle. Même si le demandeur a invité le Tribunal à condamner le PGQ à 1,00 $ de dommage à ce chapitre, il y a ici un pas que le Tribunal n’est pas prêt à franchir.
[119] Malgré le fait que la représentante du ministère de la Justice ait refusé de donner suite à la recommandation de la SQ quant à l’assistance judiciaire et qu’une note révèle qu’il fallait être "blindé" pour justifier une telle façon d’agir, le Tribunal ne peut en dégager une faute intentionnelle ni une mauvaise foi ayant pour but de porter atteinte aux droits de Monsieur Deschesnes.[51]
[Renvois omis]
[95] M. Deschesnes invite maintenant la Cour à tirer une conclusion différente de celle de la juge au sujet de l’atteinte intentionnelle à ses droits fondamentaux.
[96] Sa démonstration est convaincante, mais elle ne tient pas compte de la norme d’intervention en la matière.
[97] En l’absence d’une erreur manifeste et déterminante[52] et considérant que l’octroi de dommages-intérêts punitifs relève de la discrétion du juge, à moins d’une erreur de principe ou d’une erreur sérieuse d’évaluation, la Cour ne peut intervenir[53]. M. Deschesnes ne parvient pas à démontrer « une lecture faussée de l’affaire dont les répercussions sur la décision se constatent aisément »[54].
[98] Le 4 août 2020, la Cour a rejeté la requête pour rejet d’appel présentée par M. Deschesnes, mais déférait sa demande d’assujettir le PGQ au paiement des honoraires et débours de l’appel à la formation qui entendrait l’appel[55].
[99] Le 11 novembre 2021, la Cour a confirmé l’acquittement de M. Deschesnes et la légalité des ententes conclues à l’occasion de son travail de directeur général de la SQ. Le DPCP n’a pas sollicité une autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada de cet arrêt.
[100] Le 19 novembre 2021, M. Deschesnes a fait parvenir une lettre à la directrice générale par intérim de la SQ en demandant le retrait des procédures d’appel dans le présent dossier, car, à son avis, celles-ci n’avaient aucune chance raisonnable de succès.
[101] Le deuxième alinéa de l’article
51. […] L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics. | 51. […] Regardless of intent, the abuse of procedure may consist in a judicial application or pleading that is clearly unfounded, frivolous or intended to delay or in conduct that is vexatious or quarrelsome. It may also consist in a use of procedure that is excessive or unreasonable or that causes prejudice to another person, or attempts to defeat the ends of justice, particularly if it operates to restrict another person’s freedom of expression in public debate. |
[102] Lorsque l’appel a été formé par le PGQ, notre Cour n’avait pas encore rendu sa décision sur l’appel à l’encontre de l’acquittement de M. Deschesnes. À l’origine, l’appel n’était pas abusif.
[103] Cependant, l’arrêt de la Cour du 11 novembre 2021 modifie considérablement le portrait du dossier.
[104] D’une part, les conclusions de cet arrêt scellent tout débat sur la question de savoir si les gestes reprochés à M. Deschesnes ont été posés par le fait ou à l’occasion de son travail comme directeur général de la SQ, avec les conséquences sur le droit de M. Deschesnes au remboursement des honoraires professionnels engagés aux fins de sa défense dans le dossier criminel et au plein traitement durant son relevé provisoire de ses fonctions. Ces deux aspects de l'appel deviennent pratiquement théoriques.
[106] Par ailleurs, s’il est vrai que l’interprétation de l’article
[107] Somme toute, à la suite de l’arrêt de la Cour confirmant l'acquittement de M. Deschesnes, lequel n'a pas été porté en appel, force est de conclure que l'appel principal n'avait plus de raison d'être.
[108] Or, le PGQ a non seulement maintenu son appel, mais a plaidé tous et chacun des moyens énoncés dans son mémoire comme si l'arrêt de la Cour sur l'acquittement n'avait pas été rendu. Il a de ce fait exigé que l'avocat de M. Deschesnes produise son cahier des sources et se prépare afin de débattre de l'ensemble des questions soulevées.
[109] Certes, la prudence est de mise avant de déclarer un appel abusif en raison du droit d’ester en justice. Dans l’affaire Ville de Sainte-Anne-de-Beaupré c. Cloutier[56], le juge Rochette formule les observations suivantes au sujet de l’abus de droit :
[106] La jurisprudence assimile à de l’abus de droit le comportement d’une partie qui, de mauvaise foi, « multiplie les procédures et poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire ». Les recours intentés de mauvaise foi ou avec témérité peuvent être déclarés abusifs. Il peut s’agir de procédures visant à faire encourir des frais inutiles à l’adversaire.[57]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[110] Un appel sera déclaré abusif « lorsque la Cour considère qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans la situation de la partie appelante, ne se serait pas pourvue contre le jugement de la Cour supérieure et aurait compris que ses moyens d'appel n'avaient aucune chance de succès »[58].
[111] En l’espèce, le portrait qui se dégage de l’ensemble du dossier justifie de déclarer que le maintien de l’appel après l’arrêt de la Cour du 11 novembre 2021 présente les attributs d’une utilisation abusive ou déraisonnable de la procédure d’appel.
[112] Les honoraires engagés par M. Deschesnes entre le 30 décembre 2021 et le 25 janvier 2022 s'élèvent à 7 970,65 $. Puisqu'il est impossible de savoir si M. Deschesnes aurait plaidé l'appel incident malgré un désistement de l'appel principal, il y a lieu d'arbitrer le montant lié à l'abus de procédure en appel à 70 % des honoraires, soit 5 500 $.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[113] REJETTE l’appel principal avec les frais de justice;
[114] REJETTE l’appel incident sans les frais de justice;
[115] ACCUEILLE la requête visant à déclarer l'appel abusif, avec les frais de justice, et CONDAMNE le PGQ au remboursement des honoraires au montant de 5 500 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à partir du présent arrêt.
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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| GUY COURNOYER, J.C.A. | |
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Me Michel Déom | ||
BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC) | ||
Pour l’appelant/intimé incident | ||
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Me François Garneau | ||
MILLER THOMSON | ||
Pour l’intimé/appelant incident | ||
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Date d’audience : | 24 janvier 2022 | |
Mise en délibéré : | 27 janvier 2022 | |
[1] Deschesnes c. Procureure générale du Québec,
[2] RLRQ, c. P-13.1.
[3] Jugement entrepris, paragr. 14.
[4] (2008) 140 G.O.Q. II, 1899, p. 1907 [Décret des officiers].
[5] R. c. Deschesnes,
[6] R. c. Chabot,
[7] Id., paragr. 28.
[8] Id., paragr. 29.
[9] Id., paragr. 33.
[10] Id., paragr. 40.
[11] Ibid.
[12] La demande de rejet d’appel présentée par M. Deschesnes a été rejetée : Procureur général du Québec c. Deschesnes,
[13] Voir : (2008) 140 G.O.Q. II, 3050, p. 3051.
[16] Mémoire du PGQ, paragr. 3-4.
[17] RLRQ, c. F-3.1.1.
[18] Voir R. c. Campbell,
[20] Ibid.
[21]
[22] Id., paragr. 15.
[23] Id., paragr. 21.
[24] Chambly (Ville de) c. Gagnon,
[25] Id., paragr. 1.
[26] Chambly (Ville de) c. Bourduas,
[27] Jugement entrepris, paragr. 27.
[28]
[29]
[30] Articles 9.3 et 9.10. Le directeur général adjoint à la Grande fonction de l’administration est responsable de l’interprétation et de l’application du décret (art. 22.01).
[31] Article 36 du Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, RLRQ, c. C-65.1, r. 4.
[32] Voir les observations de la juge Bich dans la décision Ville de Saint-Constant c. Succession de Pépin,
[34] Mémoire du PGQ, paragr. 11.
[35] Mémoire de M. Deschesnes, paragr. 126-127.
[36] Ouellet c. R.,
[37] Art.
[39] Ibid.
[40] À cet égard, le PGQ maintient la légitimité de cette demande particulièrement surprenante au paragraphe 12 de son mémoire incident : « Le refus de [M. Deschesnes] de communiquer à la représentante de la ministre la divulgation de la preuve reçue dans le cadre de l’instance criminelle n’a pas de fondement. Il ne s’agit que d’un prétexte ».
[41] Le dossier de M. Deschesnes avait fait l’objet de discussions avec le chef de cabinet du ministre de la Justice.
[42] Ville de Saint-Constant c. Succession de Pépin,
[43] Id., paragr. 114.
[44] RLRQ, c. C-65.1, r. 11.
[45]
[46] Jugement entrepris, paragr. 123.
[47] Selon une note en bas de page de l’annexe W, l’expression « possiblement liés à l’exercice de ses fonctions » ne s’applique pas « à un crime commis dans des circonstances qu’il est déraisonnable de vouloir prétendre que l’acte en question puisse être relié aux fonctions policières ».
[48] Faisant écho au texte de l’Annexe W qu’on lui avait dit avoir appliqué, M. Deschesnes conteste son relevé provisoire à demi-traitement dans une lettre qu’il fait parvenir le 20 mai 2014 à M. Mario Laprise, nouveau directeur général de la SQ. Il écrit ce qui suit : « il n’est surtout pas déraisonnable de prétendre que les actes qui me sont reprochés sont possiblement liés à l’exercice de mes fonctions ».
[49] Mémoire du PGQ, paragr. 92.
[50] Jugement entrepris, paragr. 105-116.
[51] Id., paragr. 117-119.
[52] Hydro-Québec c. Matta,
[53] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand,
[54] Hydro-Québec c. Matta,
[56] Ville de Sainte-Anne-de-Beaupré c. Cloutier,
[58] R.La. c. G.Le.,
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