R c. Delisle | 2022 QCCS 1160 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | ||||||
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N° : | 200-01-146883-107 | ||||||
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DATE : | 8 avril 2022 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, j.c.s. | |||||
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SA MAJESTÉ LA REINE | |||||||
Poursuivante – INTIMÉE | |||||||
c. | |||||||
JACQUES DELISLE | |||||||
Accusé – REQUÉRANT | |||||||
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JUGEMENT Sur la demande du requérant en arrêt des procédures | |||||||
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TABLE DES MATIÈRES
(i) : Les circonstances du décès
(iv) : La thèse du tir à un angle de 30 degrés
(vi) : Le résumé de la preuve et les directives du juge du procès
(viii) : L’arrêt de la Cour d’appel
(ix) : La demande de révision au ministre de la Justice
(x) : La réponse du pathologiste B
(xi) : L’enquête du ministre de la Justice, partie I
(xii) : La demande de mise en liberté sous conditions
(xiii) : L’enquête du ministre de la Justice, partie II
(xiv) : La décision du ministre de la Justice
(xv) : La preuve scientifique de l’intimée pour le deuxième procès
Question 4 : Le rapport du GRCC est-il recevable en preuve? Si oui, à quelles fins?
Question 6 : L’arrêt des procédures constitue-t-il le remède approprié?
Le test applicable (O’Connor/Babos)
[1] « Même s’il est salué à travers le monde, le système de justice criminelle canadien n’est pas à l’abri du risque d’erreur judiciaire ». Ce commentaire émane de la Cour suprême du Canada. Il est tiré de l’arrêt Hinse c. Canada (Procureur général)[1], prononcé en 2015. Il fait état d’une réalité.
[2] S’il est vrai que ce risque d’erreur judiciaire se matérialise rarement, il ne peut être ignoré. Le présent dossier nous le rappelle.
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[3] L’affaire est bien connue. Elle a fait l’objet d’une couverture médiatique importante et fera sans doute partie des annales judiciaires du pays. Cela se comprend. Son principal protagoniste, le requérant Delisle, est un ancien juge déclaré coupable en 2012 du meurtre de son épouse, Nicole Rainville.
[4] Plusieurs personnes ont probablement une opinion arrêtée sur le dossier, dans certains cas peu favorable au requérant.
[5] Cela n’a rien d’étonnant. Le requérant a été jugé par ses pairs et a échoué dans son appel du verdict devant la Cour d’appel[2].
[6] Pourtant, la retenue doit continuer à s’imposer. La raison en est fort simple. Le verdict prononcé en 2012 ne tient plus.
[7] En effet, au terme d’une enquête de six ans, le ministre de la Justice du Canada s’est dit « convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite dans cette affaire », ce pourquoi il a ordonné que le requérant subisse un nouveau procès[3].
[8] Cette mesure de redressement est l’une des deux que le ministre peut accorder à un condamné qui a épuisé tous ses recours[4]. Ces mesures n’ont été consenties qu’à une vingtaine de reprises depuis vingt ans[5]. À l’exception d’un cas, ces mesures n’ont pas donné lieu à la tenue d’un procès[6].
[9] Les raisons qui expliquent l’arrêt hâtif des procédures avant la tenue d’un nouveau procès sont nombreuses et variées.
[10] Dans plusieurs affaires, ce résultat s’explique par le fait que la poursuivante a renoncé d’elle-même à poursuivre les procédures, par exemple, parce qu’elle n’avait plus de preuve à offrir. Dans d’autres, les renvois à la Cour d’appel ont donné lieu à un acquittement ou à un arrêt des procédures.
[11] Pourquoi apporter ces précisions?
[12] Parce que le requérant estime que dans son cas, les procédures criminelles devraient aussi prendre fin à cette étape.
[13] À l’instar de ce qui s’est produit dans plusieurs dossiers, le requérant est d’avis qu’un nouveau procès ne peut être tenu.
[14] Il fait essentiellement valoir que la violation de son droit à une défense pleine et entière qui a rendu son premier procès inéquitable est persistante. En raison de cette violation à son droit à une défense pleine et entière, il estime qu’il ne pourra bénéficier d’un deuxième procès juste et équitable.
[15] Comme nous le verrons, l’enquête indépendante menée par le ministre de la Justice confirme le sérieux de sa position.
[16] Le 15 juin 2010, le requérant est accusé du meurtre au premier degré de son épouse Nicole Rainville.
[17] Deux ans plus tard, en mai et en juin 2012, il subit son procès devant juge et jury. Lors de ce procès, un pan important de la preuve est scientifique (balistique). Elle porte sur l’angle du tir qui a causé la mort de Nicole Rainville. Cette preuve s’avère importante puisqu’elle vise à démontrer, du point de vue scientifique et technique, la possibilité ou l’impossibilité du suicide par tir auto-infligé. Comme le juge du procès l’expliquera au jury et comme la Cour d’appel le reconnaîtra plus tard, cette question s’est révélée être essentielle et déterminante puisqu’il appartenait à l’intimée de prouver hors de tout doute raisonnable que Nicole Rainville ne s’était pas suicidée.
[18] Pour leur part, les experts de l’intimée cherchent à démontrer que le tir a été effectué à un angle de 30 degrés excluant la possibilité d’un tir auto-infligé, du suicide. Ils fondent leur thèse sur la trajectoire du projectile à l’intérieur du cerveau de Nicole Rainville que le pathologiste André Bourgault (« pathologiste B ») affirme avoir identifiée à l’autopsie. La thèse des experts en balistique de l’intimée est simple : comme la trajectoire décrite par le pathologiste B est une ligne droite diagonale partant de la plaie d’entrée jusqu’à l’endroit où le projectile a terminé sa course, une ligne de 30 degrés, il en découle forcément que le tir a été effectué à un angle de 30 degrés.
[19] Quant au requérant, son expert balisticien soutient que le tir a été effectué de façon perpendiculaire à un angle de 90 degrés, qui n’exclut pas le tir auto-infligé. Il fonde sa théorie sur la configuration de la plaie d’entrée ronde et l’absence de suie autour de cette plaie, suie qu’un tir à 30 degrés aurait laissé échapper. Sa thèse comporte toutefois une faiblesse : la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, que le pathologiste B affirme avoir identifiée. Confronté à cette difficulté, l’expert balisticien est tenu de présumer que la déformation du projectile lors de l’impact à son point d’entrée l’a probablement fait bifurquer.
[20] Le 14 juin 2012, au terme du procès, le jury déclare le requérant coupable du meurtre au premier degré de Nicole Rainville. Par voie de conséquence, le juge du procès le condamne à purger une peine de détention à perpétuité, sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle avant 25 ans.
[21] À la suite de ce verdict, le requérant se pourvoit en appel.
[22] Le 29 mai 2013, la Cour d’appel rejette son appel[7].
[23] Au début de l’année 2015, après que le requérant eut épuisé tous ses recours en justice, les producteurs de l’émission The Fifth Estate, de la CBC, réalisent un reportage portant sur son procès. Pour les besoins de cette émission spéciale, ils contactent deux pathologistes et un chimiste spécialisé en balistique dans les affaires criminelles[8]. Il s’agit des Drs Michael J. Shkrum et Peter H. Markesteyn, ainsi que du chimiste Liam James Hendrikse. Ils demandent à ces spécialistes d’examiner la preuve scientifique qui a été présentée au procès du requérant et d’évaluer s’il a pu y avoir une mauvaise lecture ou une mauvaise interprétation de cette preuve[9].
[24] Dans le cadre de cet exercice, l’expert pathologiste Shkrum, avec l’aide d’un collègue radiologiste, examine la preuve recueillie à l’autopsie, dont les deux radiographies et les photographies de la tête de Nicole Rainville. Cet examen lui permet de découvrir l’existence d’éléments de preuve pertinents qui n’ont pas été décrits ni commentés au rapport d’autopsie, n’ont pas été abordés par le pathologiste B dans ses témoignages à l’enquête préliminaire et au procès, et n’ont pas été présentés au jury. Il s’agit des fragments de projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau de Nicole Rainville, et des fractures du crâne discontinues du côté droit de sa tête.
[25] Les Drs Shkrum et Markesteyn estiment que ces deux éléments de preuve remettent en question la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B. Par voie de conséquence, ils mettent en doute la valeur de la preuve balistique de l’intimée voulant que le tir fatal a été effectué à un angle de 30 degrés. Ils sont tous deux d’avis que les fragments de projectile du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête tendent à démontrer que le projectile a suivi une trajectoire perpendiculaire dans le cerveau, qu’il a ricoché du côté droit du crâne, et qu’il a causé les fractures discontinues s’y trouvant.
[26] Le 19 mars 2015, dans la foulée de cette émission The Fifth Estate, le requérant se prévaut de la partie XXI.1 du Code criminel[10].
[27] Se disant victime d’une erreur judiciaire, le requérant demande au ministre de la Justice du Canada de réviser son dossier.
[28] À la suite de cette demande, le ministre de la Justice procède à une évaluation préliminaire. Pour ce faire, il s’adresse aux spécialistes consultés par les journalistes de The Fifth Estate. Il leur demande de fournir leurs opinions écrites expliquant les fondements des hypothèses formulées à l’émission.
[29] Les pathologistes Shkrum et Markesteyn donnent suite à cette demande en déposant chacun un rapport. Ils expliquent que :
Les fragments de projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit n’ont pas été décrits au rapport d’autopsie, n’ont pas été abordés par le pathologiste B dans ses témoignages à l’enquête préliminaire et au procès, et n’ont pas été présentés au jury.
Ces deux éléments de preuve étaient et sont toujours très pertinents puisque additionnés à la configuration de la plaie d’entrée du projectile, ils tendent à établir que celui-ci a suivi une trajectoire perpendiculaire dans le cerveau avant de ricocher du côté droit du crâne et de se retrouver à son point d’arrivée.
Il est douteux que le pathologiste B ait procédé aux coupes du cerveau et à un examen histologique ou même, qu’il ait identifié la trajectoire du projectile dans le cerveau, faute de ces éléments. S’il avait procédé aux coupes du cerveau, il aurait été capable d’établir la trajectoire du projectile de façon certaine.
Si le pathologiste B a procédé aux coupes du cerveau, rien n’explique pourquoi il a omis de les conserver, de les documenter et de les photographier. En l’absence de cette preuve matérielle, il n’est plus possible d’identifier la trajectoire exacte du projectile dans le cerveau et de vérifier les dires du pathologiste B.
La conservation et la documentation des coupes du cerveau, notamment par des photographies, étaient requises pour deux raisons, d’une part, parce que le décès de Nicole Rainville était considéré comme suspect, d’autre part, parce que cette preuve matérielle aurait permis de vérifier la description du pathologiste B.
En raison de ces omissions, l’autopsie pratiquée par le pathologiste B ne satisfait pas aux standards canadiens dans le contexte d’un décès suspect. Le pathologiste Markesteyn souligne que la piètre qualité de l’autopsie a donné lieu à des difficultés d’interprétation et nui à l’administration de la justice[11].
[30] Le 10 août 2016, après avoir obtenu ces opinions et effectué une évaluation préliminaire, le ministre de la Justice informe le requérant qu’il procèdera à une enquête. Cela signifie qu’il considère « qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite »[12].
[31] Dans les faits, l’enquête du ministre de la Justice se déroule sur une période d’environ six ans, en tenant compte de l’évaluation préliminaire.
[32] Au cours de son enquête, le ministre demande et obtient l’opinion de trois médecins pathologistes reconnus au pays, soit le Dr Michael Pollanen, pathologiste en chef de l’Ontario, le Dr Thambirajah Balachandra, pathologiste en chef du Manitoba, et le Dr Matthew Bowes, pathologiste en chef de la Nouvelle-Écosse. Le ministre obtient également l’opinion de deux médecins experts engagés par le requérant, soit le pathologiste Christopher Mark Milroy et le neuropathologiste David Ramsay. L’opinion de tous ces experts porte sur le travail effectué par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du Québec (« LSJML ») lors de l’autopsie pratiquée sur le corps de Nicole Rainville, plus particulièrement celui du pathologiste B. Ils évaluent aussi l’incidence des fragments de projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau et des fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête, lesquels n’ont pas été décrits au rapport d’autopsie ni au protocole d’autopsie, et n’ont pas été communiqués au requérant ni au jury lors du procès. Leur travail vise enfin à déterminer s’il est possible d’établir la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville et, le cas échéant, à fournir leur opinion professionnelle sur cette question qui a fondé la thèse de l’intimée du tir à angle excluant le suicide.
[33] À l’instar des pathologistes Shkrum et Markesteyn avant eux, tous ces experts pathologistes déplorent le fait que le pathologiste B a fait défaut de conserver les coupes du cerveau qu’il affirme avoir effectuées, de les documenter et de les photographier. Tous s’expliquent mal cette omission dans le contexte où le décès de Nicole Rainville était considéré, à l’autopsie, comme suspect. Enfin, tous sont d’avis qu’en l’absence de ces éléments de preuve qui auraient normalement dû être conservés ou à tout le moins documentés et photographiés, il n’est plus possible de vérifier si le pathologiste B s’est mépris sur la trajectoire du projectile dans le cerveau.
[34] Par ailleurs, trois de ces pathologistes (Pollanen, Milroy et Ramsay) estiment que les fragments de projectile et les fractures du crâne discontinues du côté droit confirment l’hypothèse de Shkrum sur la trajectoire perpendiculaire du projectile dans le cerveau. Les deux autres pathologistes, Bowes et Balachandra, ne se prononcent pas sur cette question, faute d’avoir les coupes du cerveau. Néanmoins, du fait que les fragments de projectile du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit ne sont pas dans la trajectoire du projectile identifiée par le pathologiste B, ils estiment que cela remet en question les conclusions du pathologiste B.
[35] Le 7 avril 2021, au terme de son enquête, le ministre se prononce de façon définitive sur la demande de révision du requérant. Il se dit « convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite dans cette affaire ». Pour cette raison, il ordonne la tenue d’un nouveau procès.
[36] Concrètement, cette ordonnance de nouveau procès signifie que le déroulement des procédures criminelles entreprises contre le requérant en juin 2010 reprend depuis le début, ou presque. Le verdict de meurtre au premier degré prononcé contre lui devient dès lors sans effet. Les compteurs sont remis à zéro.
[37] Le requérant bénéficie des droits et recours qu’il détenait avant son premier procès en 2012, dont celui d’être présumé innocent, celui de demander à être libéré sous conditions, droit qu’il a exercé, après neuf ans de détention, et celui de présenter des demandes préliminaires avant son nouveau procès.
[38] C’est dans ce contexte très particulier que le requérant présente sa requête en arrêt des procédures. Son principal grief se résume à ceci.
[39] Se fondant sur les opinions des sept pathologistes qui ont été communiquées au ministre de la Justice lors de son enquête, il reproche au pathologiste B de ne pas avoir conservé les coupes du cerveau qu’il dit avoir effectuées, de ne pas les avoir documentées, et de ne pas les avoir photographiées. Il lui reproche aussi de ne pas avoir recueilli des prélèvements du cerveau portant des traces du passage du projectile. Le requérant fait valoir que l’absence de ces éléments de preuve résulte d’une omission grave et conséquente du pathologiste B. En raison de l’absence de ces éléments de preuve, il se plaint d’être privé d’une défense pleine et entière à son second procès.
[40] Le requérant fait valoir que cette preuve matérielle lui aurait permis d’établir de façon scientifique et certaine l’élément clé de la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville[13], la pierre d’assise de la thèse de l’intimée sur le tir à un angle de 30 degrés excluant la possibilité du suicide, et la pierre d’achoppement de sa propre thèse du tir à un angle de 90 degrés n’excluant pas la possibilité du suicide. Il plaide que faute de cette preuve qui devait être recueillie, conservée et documentée, mais qui ne l’a pas été, il sera encore une fois confronté au seul témoignage du pathologiste B sur cette question.
[41] Sachant que la question de la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville sera tout aussi pertinente et déterminante au deuxième procès qu’elle ne l’était au premier procès[14], le requérant fait valoir que l’indisponibilité de ces éléments de preuve l’empêchera d’établir la trajectoire du projectile.
[42] Son préjudice serait d’autant plus grave que le témoignage du pathologiste B sur cette question importante, sinon déterminante, s’est révélé variable au fil des ans. Il a d’abord été approximatif et incertain à l’enquête préliminaire et au procès, puis variable et même contradictoire lors de l’enquête du ministre.
[43] Il plaide que l’absence de cette preuve compromettra inévitablement sa défense. Bien que les sept experts pathologistes consultés par le ministre estiment que le pathologiste B s’est mépris et que cinq d’entre eux sont d’avis que la véritable trajectoire du projectile dans le cerveau était perpendiculaire, ce qui confirmerait sa thèse du tir perpendiculaire n’excluant pas le tir auto-infligé, le suicide, il se plaint du fait qu’il sera toujours confronté au fait que le pathologiste B est la seule personne qui a pu observer et manipuler le cerveau. Il craint que malgré l’opinion d’experts renommés au pays, il ne pourra démontrer l’erreur que commet le pathologiste B.
[44] Il devra encore une fois faire face à l’approche révolue du « parce que j’affirme l’avoir vu, il faut me croire ».
[45] À cet égard, le paragraphe 109 c. du plan de plaidoirie de l’intimée illustre bien le défi qui se dresse devant le requérant face au témoignage du pathologiste B :
109. Témoin de fait. De plus, Bourgault est un témoin de fait quant à ses observations personnelles faites lors de l’autopsie.
[…]
c. Les experts de l’accusé peuvent bien émettre les opinions qu’ils veulent quant à la trajectoire de la balle ; n’en reste que Bourgault a vu des éléments matériels de preuve directs, qu’il a livré un témoignage crédible à cet effet et qu’il n’a pas été remis en doute.
[46] L’arrêt prononcé par la Cour d’appel le met aussi en évidence[15] :
[152] […] le jury pouvait raisonnablement se fier à l'opinion du Dr Bourgault, fondée sur l'observation directe du cerveau de Mme Rainville, qu'il a été le seul à manipuler. […]
[Soulignements du Tribunal]
[47] En somme, sur la base des principes juridiques applicables, en s’inspirant des motifs du juge Moldaver dans l’arrêt Babos[16], l’on peut résumer sa position ainsi.
[48] Le système de justice ne saurait tolérer qu’un procès soit tenu en sachant que l’État, parce qu’il a gravement manqué à ses obligations constitutionnelles, prive l’accusé d’une preuve pertinente qui aurait permis d’évacuer un flou qui compromet sa défense sur une question et un enjeu non seulement importants, mais déterminants.
[49] Il estime que le témoignage incertain et équivoque du pathologiste B ne saurait constituer un substitut acceptable à une preuve matérielle que la poursuivante avait l’obligation de recueillir, de conserver et de documenter, et qui aurait pu facilement et de façon certaine établir la trajectoire du projectile dans le cerveau.
[50] Incidemment, en préambule de sa demande en arrêt des procédures, le requérant synthétise les fondements de sa position. Il écrit ceci :
Les experts de la poursuite sont assujettis à des obligations d’objectivité, d’impartialité et de rigueur scientifique. Ils ont pour mission de constituer et de préserver tous les éléments de preuve permettant de résoudre les questions en litige, et ce, sans rechercher un verdict particulier. Lorsque leur conduite empêche la constitution d’une telle preuve, d’une part les délais qui en résultent sont de la responsabilité de l’État et, d’autre part, cela peut constituer une violation au droit à un procès juste et équitable.
[51] La position du requérant étant sommairement résumée, il convient maintenant de préciser l’objet du débat ainsi que son cadre d’analyse.
[52] D’abord, il importe de rappeler que la requête en arrêt des procédures ne vise pas à décider de l’innocence ou de la culpabilité du requérant. Il n’est pas question ici de décider si, n’eût été les manquements du pathologiste B, en supposant que ceux-ci sont avérés, le requérant devrait ou non être acquitté.
[53] La culpabilité ou l’innocence du requérant est du ressort du jury, à qui l’ensemble de la preuve sera éventuellement présentée, si procès il y a.
[54] Pour décider du sort de la requête en arrêt des procédures, le Tribunal est appelé à faire un tout autre exercice, dont notamment celui-ci[17].
[55] D’une part, il doit déterminer si le requérant a prouvé selon la prépondérance de la preuve que l’État (le LSJML et le pathologiste B) a omis de recueillir, de conserver et de documenter une preuve pertinente et disponible lors de l’autopsie et si ce manquement à l’obligation de conservation et de documentation de la preuve présente une possibilité réaliste d’atteinte à son droit de présenter une défense. S’il y a eu manquement à cette obligation, il doit d’autre part déterminer si l’intimée a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le défaut de l’État porte sur une preuve dénuée de pertinence et ne résulte pas de sa négligence inacceptable[18].
[56] Si les réponses données à ces questions démontrent que le droit du requérant à une défense pleine et entière est violé, il faudra alors déterminer si cette violation justifie l’imposition, à cette étape-ci, avant le procès, du remède draconien de l’arrêt des procédures, ou si un remède moindre peut pallier cette violation.
[57] Même si la décision à être rendue sur la requête en arrêt des procédures ne porte pas sur la culpabilité ou l’innocence du requérant, il est important pour la bonne compréhension des arguments avancés par les parties et de l’analyse qui suivra, de décrire avec suffisamment de détails le contexte de l’affaire.
[58] Les thèmes qui seront successivement abordés pour décrire le contexte sont : (i) les circonstances du décès de Nicole Rainville; (ii) l’enquête policière; (iii) l’autopsie pratiquée sur le corps de Nicole Rainville; (iv) la thèse du tir à un angle de 30 degrés développée par les experts de l’intimée et son fondement; (v) la preuve des parties au procès, notamment celle portant sur l’angle du tir; (vi) le résumé du juge du procès du témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau et sa directive sur la preuve balistique; (vii) le verdict de culpabilité; (viii) l’arrêt de la Cour d’appel; (ix) la demande de révision au ministre de la Justice du Canada; (x) la réponse du pathologiste B; (xi) l’enquête du ministre, partie I; (xii) la demande de mise en liberté sous conditions; (xiii) l’enquête du ministre, partie II; (xiv) la décision du ministre de la Justice; et (xv) la preuve scientifique de l’intimée pour le deuxième procès.
(i) : Les circonstances du décès[19]
[59] Le 12 novembre 2009, le requérant communique avec le 911 pour signaler le suicide de son épouse, Nicole Rainville.
[60] Le requérant déclare au répartiteur du 911 que son épouse s’est enlevé la vie au moyen d’un pistolet de calibre .22.
[61] Peu après cet appel d’urgence, ambulanciers et policiers se présentent au domicile du requérant et de Nicole Rainville.
[62] Les premiers policiers à se présenter sur les lieux aperçoivent Nicole Rainville couchée sur le dos sur le divan du salon, inanimée, le bras droit replié sur la poitrine et le bras gauche pendant sur le côté du divan. Ils constatent qu’elle a subi une blessure par balle du côté gauche de la tête, près de la tempe. Ils observent également la présence d’un pistolet Sterling de calibre .22 sur le sol, à la hauteur de son bras gauche pendant vers le sol, à côté d’un chargeur. Le pistolet contient une balle. L’un des policiers prend le pouls de Nicole Rainville et constate que son cœur ne bat plus et qu’elle ne réagit plus.
[63] Le requérant explique aux policiers que son épouse, paralysée du côté droit depuis deux ans en raison d’un accident vasculaire cérébral, se serait suicidée en utilisant un pistolet de calibre .22 lui appartenant. Il leur indique avoir découvert son épouse dans l’état où elle se trouve à son retour de l’épicerie. Il leur mentionne notamment qu’avant de quitter pour faire des emplettes, lui et Nicole Rainville se sont disputés. Cette dispute aurait porté sur la condition médicale de Nicole Rainville, laquelle l’empêchait de mener une vie normale. Il précise que lors de la dispute, il lui aurait dit « ça va-tu finir un jour tout ça ».
[64] Très rapidement, les policiers et les enquêteurs appelés en renfort mettent en doute la thèse du suicide. Plusieurs éléments leur paraissent suspects[20]. Parmi ceux-ci, il y a le fait que Nicole Rainville, une droitière paralysée du côté droit, pouvait difficilement effectuer un tir avec sa main gauche.
[65] Les soupçons qu’entretiennent les policiers sur la possibilité d’un tir auto-infligé sont aussi alimentés par la présence de taches de suie et de grains de poudre sur la paume de la main gauche de Nicole Rainville. Ils ne s’expliquent pas comment un tir de pistolet aurait pu causer de telles taches.
[66] D’autres éléments circonstanciels nourrissent leurs soupçons, dont l’attitude du requérant qui a sommé les ambulanciers de ne pas chercher à réanimer son épouse au motif que cela aurait porté atteinte à sa volonté, ses verbalisations sur le fait qu’il était difficile de prendre soin de son épouse handicapée, sa déclaration non sollicitée voulant que dans les heures ayant précédé le décès, il y avait eu une dispute entre lui et Nicole Rainville, ou encore le fait qu’il se soit mis en colère lorsqu’on lui a posé des questions sur sa possible implication et demandé de ne pas se présenter chez lui, le jour du décès, pour ne pas entraver l’enquête.
[67] Dans les jours, les semaines et les mois suivants, les policiers colligent d’autres renseignements de nature à incriminer le requérant.
[68] Sur la base de ces renseignements, les policiers identifient un mobile possible, lorsqu’ils découvrent que le requérant entretenait depuis quelque temps une liaison extraconjugale et qu’il planifiait refaire sa vie. Ils en concluent qu’un divorce aurait emporté de lourdes conséquences sur sa situation financière.
[69] Le 17 novembre 2009, une étape importante de l’enquête policière est franchie. Il s’agit de l’autopsie pratiquée sur le corps de Nicole Rainville.
[70] Cette autopsie est réalisée par le pathologiste B, au LSJML[21], en présence de deux enquêteurs du Service de police de la Ville de Québec, le s-d Guy Carrier et l’agent Denis Turcotte, ainsi que du balisticien Gilbert Gravel, de la section balistique du LSJML[22], dont l’assistance a été requise au cours de l’autopsie.
[71] Lors de cette autopsie, l’on prend des photographies de la tête, du crâne, du corps et deux radiographies de la tête.
[72] Le pathologiste B identifie la cause du décès, laquelle est somme toute évidente. Mais, il ne fait pas que cela. Il prend aussi soin d’examiner la plaie d’entrée du projectile à la tempe gauche, s’interroge sur la présence des taches de suie et de poudre à la paume de la main gauche de Nicole Rainville, et examine la tête et le cerveau. Pour ce faire, il récline le cuir chevelu, scie le crâne et cherche à voir la trajectoire du projectile dans le cerveau. Sur la base de ses observations, il estime que le projectile a emprunté une trajectoire rectiligne qui relie la plaie d’entrée à la tempe gauche jusqu’à l’endroit où le projectile a terminé sa course, dans le lobe occipital droit du cerveau.
[73] Il se fonde sur le fait qu’au début de la trajectoire, il « voyait quand même clairement que ça allait vers l’arrière ».
[74] À la demande d’un balisticien du LSJML, le pathologiste illustrera plus tard cette trajectoire en insérant une tige de métal droite dans une tête de styromousse entre ces points[23]. Cette opération paraît inusitée dans le contexte où, quelques années après le procès, il déclarera avoir fait des coupes du cerveau pour identifier cette trajectoire[24].
[75] De fait, les seuls documents qui décrivent les observations faites à l’autopsie relativement à la trajectoire du projectile dans le cerveau se limitent au rapport d’autopsie rédigés par le pathologiste B[25]. Dans ce rapport, le pathologiste B mentionne que le projectile n'est pas ressorti de la tête, qu’il est visible sur les radiographies, à la partie postérieure droite de la tête, qu’il a été retrouvé dans le lobe occipital droit du cerveau, qu’il a été récupéré et envoyé à la section de balistique du LSJML, et que : « ce projectile d’arme à feu a donc emprunté dans le corps une direction de la gauche vers la droite, d'avant vers l'arrière et pratiquement horizontale ». Voici ce qu’il écrit :
La victime ne présentait pas de lésion traumatique significative autre qu'une plaie d'entrée de projectile d'arme à feu située à la région temporale gauche de la tête, â 7 cm en avant et un peu au-dessus du sommet de I’oreille et à 157 cm du talon; cette plaie d'entrée de projectile mesurait environ 4 x 3 cm au total, et consistait en un orifice étoilé d'environ 1 x 1 cm (une fois refermé); la présence d'un dépôt de noir de fumée sur le crâne, l’aspect étoilé de la plaie d’entrée et l'étendue des fractures du crâne indiquent qu'il s'agit d'un tir à bout touchant ou presque; l'articulation temporo-mandibulaire gauche avait été également disloquée, vraisemblablement par effet des gaz; le projectile n'est pas ressorti; il a été retrouvé dans le lobe occipital droit du cerveau, à la partie postérieure droite de la tête où il était visible sur les radiographies; ce projectile a été récupéré et envoyé à la section de balistique du LSJML; ce projectile d’arme à feu a donc emprunté dans le corps une direction de la gauche vers la droite, d'avant vers l'arrière et pratiquement horizontale (description faite en fonction de la position anatomique internationale, c'est-à-dire comme si la victime était debout, les bras le long du corps et la paume des mains tournée vers l’avant, ce qui n'est pas nécessairement la position qu'avait la victime lorsqu'elle a été atteinte de ce projectile); […][26]
[Soulignements et caractères gras du Tribunal]
[76] À l’exception des quelques prélèvements du cerveau peu ou pas localisés et dont l’existence sera révélée plusieurs années après le procès[27], aucun élément de preuve matérielle ou photos pouvant appuyer sa description de la trajectoire du projectile, comme les coupes du cerveau, ne sont conservées ou documentées.
[77] Cette absence de preuve matérielle fera en sorte qu’au procès, sur la question de la trajectoire du projectile dans le cerveau, tous seront tenus de s’en remettre au témoignage approximatif du pathologiste B, sans qu’il ne soit possible de vérifier l’exactitude de ses dires et des opérations qu’il affirmera avoir effectuées.
[78] Ce témoignage du pathologiste B sera abordé un peu plus loin, lorsqu’il sera question de la preuve administrée au procès.
(iv) : La thèse du tir à un angle de 30 degrés
[79] Au cours de l’enquête policière, les experts en balistique de l’intimée effectuent plusieurs essais afin de démontrer que Nicole Rainville ne s’est pas suicidée.
[80] En se fondant sur la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B au rapport d’autopsie, ils concluent que le tir a été effectué à un angle de 30 degrés. Selon eux, un tel angle de tir exclut la possibilité que Nicole Rainville ait pu elle-même l’effectuer et causer les taches retrouvées dans sa main[28].
[81] Par ailleurs, à l’aide de cette thèse du tir à 30 degrés excluant le tir auto-infligé, les experts balisticiens de l’intimée élaborent une hypothèse pour expliquer la présence des taches de suie et de poudre incrustées sur la paume de la main gauche de Nicole Rainville. Ils supposent que le tir effectué à un angle de 30 degrés rendant impossible le tir auto-infligé aurait créé une ouverture entre la bouche du canon et la tempe gauche, que Nicole Rainville aurait posé sa main gauche sur l’arme tenue par le requérant en cherchant à la repousser dans un geste de défense et qu’en ce faisant, sa main gauche aurait été tachée par la suie et la poudre qui se sont échappées du canon[29].
[82] Toutefois, les essais effectués par les balisticiens de l’intimée pour confirmer cette hypothèse du tir à un angle de 30 degrés avec le supposé geste d’autodéfense, ne leur permettent pas de reproduire le patron de taches de suie et de poudre retrouvé à la main gauche de Nicole Rainville.
[83] Le 15 juin 2010, après sept mois d’enquête, le requérant est formellement accusé du meurtre au premier degré de Nicole Rainville.
[84] Le 8 mai 2012, le procès débute. Il se déroule devant un jury.
[85] Lors de ce procès, le fardeau d’établir hors de tout doute raisonnable les éléments de l’infraction repose sur les épaules de l’intimée. Pour s’en décharger, l’intimée présente une preuve de fait et une preuve scientifique visant notamment à établir l’angle du tir et l’impossibilité du tir auto-infligé.
[86] La preuve de fait porte notamment sur la condition physique handicapante de Nicole Rainville au moment de son décès, les éléments constatés sur les lieux à l’arrivée des policiers, l’attitude du requérant en présence des policiers, et le mobile qui l’aurait poussé à tuer son épouse.
[87] Cette preuve permet au jury d’apprendre qu’au moment de son décès, Nicole Rainville, une droitière par habitude, était paralysée du côté droit de son corps depuis environ deux ans en raison d’un accident vasculaire cérébral, qu’elle souffrait d’une faiblesse à la jambe droite, qu’elle était complètement privée de l’usage de son bras droit et que son moral s’en trouvait très affecté. Le jury est aussi informé que quatre mois avant son décès, Nicole Rainville a subi une fracture de la hanche qui a nécessité une hospitalisation et une réadaptation pour lui permettre de se déplacer seule avec une marchette. Le jury apprend que cet évènement l’a découragée et qu’elle a envisagé devoir emménager dans une résidence spécialisée, avant de choisir de revenir vivre chez elle. Le jury est aussi renseigné sur les circonstances du décès, notamment l’appel du requérant aux services d’urgence, la situation des lieux, l’emplacement du corps, du pistolet, du chargeur et l’emplacement de la douille à l’arrivée des policiers. Il est aussi informé des déclarations du requérant aux policiers dont celle relative à la dispute entre lui et Nicole Rainville dans les heures ayant précédé son décès et de celle voulant qu’il était difficile de prendre soin d’une personne en perte d’autonomie. Le jury est enfin informé de l’intention du requérant de placer Nicole Rainville dans une résidence, de sa relation extraconjugale et des conséquences financières d’un divorce.
[88] Quant à la preuve scientifique et balistique, elle porte principalement sur la force requise pour tenir l’arme et presser la détente ainsi que sur l’angle du tir. Au moyen de cette preuve, l’intimée cherche à démontrer que Nicole Rainville ne pouvait avoir elle-même pressé la détente du pistolet en raison de sa condition physique et que le tir a été effectué à un angle qui implique l’intervention d’une tierce personne. Sa thèse du tir à angle est fondée sur la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B. L’intimée cherche à démontrer que le tir a été effectué à un angle de 30 degrés qui exclut la possibilité du tir auto-infligé, du suicide.
[89] Pour démontrer le bien-fondé de sa thèse sur l’angle du tir excluant la possibilité du suicide et donc, l’intervention nécessaire d’un tiers, en l’occurrence celle du requérant, la seule personne à s’être retrouvée sur les lieux, l’intimée fait témoigner le pathologiste B. On lui demande de décrire la trajectoire du projectile dans le cerveau.
[90] Lors de son interrogatoire principal, le pathologiste B explique d’abord que le cerveau n’est pas un très bon milieu pour voir clairement les trajectoires de projectiles. Néanmoins, il affirme que dans le cas de Nicole Rainville, l’on voyait quand même qu’il y avait une direction vers l’arrière bien visible. À la question de l’avocat de l’intimée qui cherche à savoir ce qu’il entend par « on voyait qu’il y avait une direction vers l’arrière bien visible », il précise qu’on pouvait voir aux régions antérieures du cerveau qu’il y avait une trajectoire qui partait de là pour aller vers l’arrière, et qu’après avoir récliné le cuir chevelu et scié le crâne, il pouvait voir cette trajectoire[30] :
Q. Maintenant, comment avez-vous établi cette trajectoire-là, vous avez la
plaie d’entrée et vous avez l’endroit où se loge le projectile en bout de course, comment faites-vous pour prétendre ou pour dire quelle trajectoire ça a suivi dans la tête ou dans le cerveau?
R. En fait, on relie la plaie d’entrée à l’endroit où on retrouve le projectile et
en même temps on voyait que, sur les radiographies, là, les petits fragments qui pouvaient parsemer la trajectoire du projectile correspondaient à ça et même en surface du cerveau, ce n’est pas un très bon milieu pour vraiment bien voir les trajectoires, le cerveau, mais on voyait qu’il y avait quand même une direction vers l’arrière bien visible, là.
Q. O.K. Alors, quand vous dites «On voyait qu’il y avait une direction bien
visible», est-ce que c’est sur radiographies, vous faites référence à quoi à ce moment-là?
R. À l’examen du cerveau même, là.
Q. O.K. Et peut-être nous donner les détails, vous faites quoi pour faire
l’examen du cerveau, même les voir, vous dites «c’était visible»?
R. Oui, en fait, c’est... on pouvait voir aux régions antérieures du cerveau
qu’il y avait une trajectoire qui partait de cet endroit-là pour aller vers l’arrière du cerveau.
Q. Oui. Mais vous le voyez comment? Je m’excuse.
R. C’est des lacérations du tissu.
Q. O.K. Mais on ne peut pas voir si le crâne est toujours là, vous avez fait quoi?
R. Ah! O.K., oui, effectivement, en fait il faut récliner, on fait une incision sur
le dessus de la tête, on récline le cuir chevelu de part et d’autre de cette incision-là, on scie le crâne et on va chercher le cerveau de cette façon-là.
Q. O.K. Et quand vous dites «on voyait», c’est à ce moment-là que vous
pouviez voir la trajectoire du projectile?
R. Exact, Monsieur le juge.
[Soulignements du Tribunal]
[91] Toutefois, en contre-interrogatoire, le pathologiste B nuance sa version.
[92] Il est en effet forcé d’admettre qu’il n’a pas suivi exactement la trajectoire du projectile dans le cerveau. Il précise que les tissus du cerveau ne permettent pas de suivre exactement une telle trajectoire, mais qu’il a retenu celle-ci parce qu’au début, on voyait quand même clairement que ça partait vers l’arrière[31] :
Q. D’accord. Je vous ai référé ce matin à un passage de l’enquête
préliminaire où je vous interrogeais sur le fait que vous pouvez ou non suivre le tracé du projectile dans le cerveau. Ce que je vous suggère, c’est que vous avez reconnu que les coupes que vous avez faites ou les démarches que vous avez faites dans le cerveau vous ont permis de constater que le trajet allait effectivement de l’avant vers l’arrière, mais que vous n’avez pas suivi exactement la trajectoire, que le tissu qu’était le cerveau ne vous permettait pas de suivre exactement la trajectoire que le projectile a suivie dans le cerveau. Est-ce que c’est exact?
R. En fait, oui, c’est vrai. On voyait qu’il y avait des lacérations cérébrales,
là, mais il faut comprendre qu’avec cette espèce de tissu qu’est le cerveau, c’est pas nécessairement toujours évident à suivre de façon parfaite. Oui, on voyait que ça partait, comme je vous disais, vers l’arrière.
Q. D’accord.
LA COUR :
Alors, votre réponse, c’est que oui, vous l’avez dit à l’enquête préliminaire et vous le redites encore?
R. Oui, Monsieur le juge. J’apporte peut-être la nuance, par exemple, qu’au
début de la trajectoire, on le voyait quand même clairement que ça allait vers l’arrière.
[Soulignements du Tribunal]
[93] Le témoignage du pathologiste B au premier procès est important puisque, comme nous le verrons un peu plus loin, quatre ans plus tard, il le modifiera. Il affirmera avoir vu cette trajectoire du début à la fin. Cela explique d’ailleurs une partie des craintes entretenues par le requérant à l’égard de son témoignage[32].
[94] Quoi qu’il en soit, après le témoignage du pathologiste B, les experts balisticiens de l’intimée sont invités à leur tour à témoigner.
[95] Ils expliquent d’abord que le pistolet qui a causé la mort de Nicole Rainville, un Sterling de calibre .22, fonctionne à action simple, de sorte qu’avant de tirer, le percuteur doit être armé en retirant la culasse vers l’arrière et en la relâchant, une opération qui nécessite normalement l’usage des deux mains.
[96] Relativement à l’angle du tir, en se fondant sur la trajectoire du projectile à l’intérieur du cerveau de Nicole Rainville décrite par le pathologiste B, les experts balisticiens de l’intimée cherchent à démontrer que le tir a été fait de façon inclinée, c’est-à-dire à un angle de 30 degrés. Cela leur permet d’exclure la possibilité que Nicole Rainville ait pu elle-même presser la détente en tenant l’arme de sa main gauche à un tel angle. Cela leur permet aussi de présenter l’hypothèse précédemment décrite du geste de défense visant à repousser l’arme tenue par le requérant pour expliquer la présence de suie et de poudre incrustées dans la paume de sa main gauche[33].
[97] Les experts de l’intimée sont néanmoins forcés d’admettre qu’ils n’ont pas été en mesure de reproduire le patron de taches de suie et de poudre se trouvant à la main gauche de Nicole Rainville. Plus encore, ils sont aussi tenus d’admettre que le tir perpendiculaire, s’il devait être envisagé, était possible et compatible avec la théorie du suicide. En effet, lors de son contre-interrogatoire, l’expert Gravel reconnaît qu’un tir auto-infligé avec une prise non conventionnelle de la main gauche était possible. Relativement à cette question, l’expert Gravel se verra reprocher de ne pas avoir divulgué cette possibilité que son équipe avait pourtant été en mesure de constater[34].
[98] À ce sujet, le juge du procès sera tenu de formuler cette directive au jury[35] :
À ce sujet, je vous dis maintenant qu'il est vrai que le Ministère public, j'entends Ministère public pris dans son sens large comprenant l'avocat de la poursuite, les policiers, les experts de l'État, le Ministère public donc est tenu de divulguer à l'accusé avant le procès toute la preuve pertinente, le Ministère public est obligé de divulguer à la défense la preuve pertinente qu'elle soit incriminante ou disculpatoire. C'est là une obligation constitutionnelle.
On vous a dit ici que le témoin Gravel n'avait pas révélé à maître Magnan et aux enquêteurs certaines informations relativement à des essais de manipulation de l'arme en position que j'appelle non classique, là, non conventionnelle, qui auraient permis de faire feu de façon différente de la thèse qu'il favorise. Il appert qu'il aurait gardé pour lui ces renseignements durant presqu'une année, malgré les demandes de maitre Magnan qui lui avait pourtant demandé d'être transparent et de tout lui dire. En raison de ce comportement du témoin expert du Ministère public, maître Magnan n'a pu, bien malgré lui d'ailleurs, divulguer entièrement et en temps opportun tous les renseignements pertinents à la défense puisque l'expert ne l'avait pas avisé, ne l'a avisé qu'une journée ou deux (2) avant son témoignage.
Vous pouvez tenir compte du silence de monsieur Gravel à cet égard pour apprécier sa crédibilité, il vous appartient de décider de l'importance de ce fait et de son effet sur la crédibilité du témoin. Pour ce faire, vous pouvez aussi évaluer les explications qu'il donne pour avoir agi ainsi. De la même façon, vous pouvez tenir compte de la méthode scientifique des experts, de leur façon de conduire les tests, de conserver les résultats de leurs expériences et d’en compiler les données, ce sont là des moyens d’apprécier la crédibilité des témoins experts, mais ce ne sont pas les seuls. Il existe ici dans la preuve qui vous a été faite des désaccords entre certains experts, dont je vais vous donner des exemples.
[Soulignements du Tribunal]
*
[99] De son côté, pour contrer la preuve balistique présentée par l’intimée, le requérant fait lui aussi entendre un expert balisticien[36].
[100] Celui-ci remet en question la thèse du tir à angle de 30 degrés.
[101] Se fondant sur la configuration de la plaie d’entrée, la chambre de mine sous cette plaie et l’absence de suie au visage de Nicole Rainville, suie qu’un tir incliné à 30 degrés aurait laissé échapper, il explique que le tir a été effectué à bout touchant ou presque, de façon perpendiculaire, avec une prise d’arme dite non conventionnelle[37].
[102] Il conclut donc qu’il était possible que Nicole Rainville ait fait le tir.
[103] Pour appuyer sa thèse, il présente au jury les essais qu’il a effectués avec un tir perpendiculaire à bout touchant avec une prise d’arme non conventionnelle.
[104] Ceux-ci lui ont non seulement permis de reproduire une plaie et une chambre de mine équivalentes à celle se trouvant à la tempe gauche de Nicole Rainville, mais encore, un patron de taches de suie et de poudre similaire à celui retrouvé à la paume de sa main gauche.
[105] En revanche, la thèse de l’expert du requérant comporte une difficulté, soit la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B.
[106] En effet, comme le pathologiste B exclut la possibilité du ricochet du projectile, il ne peut expliquer comment un tir perpendiculaire a pu donner lieu à la trajectoire décrite par le pathologiste B. En s’appuyant sur la preuve démontrant que le projectile s’est déformé lors de l’impact, il supposera que cette déformation a causé sa déviation[38].
[107] Son explication sera toutefois mise en doute lors de son contre-interrogatoire.
[108] Le requérant complètera sa preuve en faisant témoigner des membres de sa famille et des amis pour établir ses qualités d’époux et de père.
[109] Toutefois, lui-même se prévaudra de son droit de ne pas témoigner.
(vi) : Le résumé de la preuve et les directives du juge du procès
[110] À la suite de la preuve et des plaidoiries des parties, le juge du procès instruit le jury sur les règles à suivre afin de prononcer le verdict.
[111] Dans son résumé de la preuve, le juge attire l’attention du jury sur le témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile, avec les nuances qui s’imposent[39] :
Lors de ses coupes du cerveau, il n’a pu à cause de la texture de ces tissus suivre exactement ou parfaitement la trajectoire du projectile, mais précise qu’il pouvait voir clairement qu’au début de la trajectoire ça allait de l’avant vers l’arrière.
[112] Par ailleurs, le juge met en garde le jury de ne pas résoudre les désaccords entre les experts en balistique en choisissant l’opinion de l’un ou de l’autre.
[113] Il lui rappelle que la question de savoir si le tir était auto-infligé ou le fait d’un tiers constitue un élément essentiel de l’infraction et qu’avant de prononcer un verdict de culpabilité sur l’accusation de meurtre, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que les experts de l’intimée ont raison d’exclure l’hypothèse du suicide[40] :
Messieurs Desmarais et Gravel expriment l'avis que madame Rainville n'a pu elle-même presser la détente et qu'une autre personne a fait feu sur elle. Les traces laissées sur sa main seraient dues à un geste défensif de sa part au moment de la mise à feu. L'expert Swistounoff prétend quant à lui que la plaie, la déformation du projectile, les traces à la main de madame Rainville lui indiquent clairement qu'il s'agit d'un tir auto-infligé et vous invite plutôt à conclure comme lui à un suicide.
Vous ne pouvez pas résoudre ce désaccord ou ces désaccords en choisissant simplement une opinion plutôt qu'une autre. Toutefois, avant d'accepter l'opinion des experts de la Couronne sur cet élément essentiel, à savoir s'agit-il d'un tir auto-infligé ou s'agit-il d'un tir infligé par une autre personne, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que les experts de la poursuite ont raison. Si vous n'êtes pas certains qu'ils ont raison, la Couronne n'a pas réussi alors à prouver hors de tout doute raisonnable l'élément essentiel de l'infraction reprochée et vous devriez en pareil cas prononcer un verdict d'acquittement. Lorsque, comme dans le présent cas, la preuve de cet élément essentiel porte principalement, est supporté principalement par le témoignage des experts, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que les experts de la poursuite à cet égard ont raison pour pouvoir prononcer un verdict de culpabilité.
[Soulignements du Tribunal]
[114] Plus tard, le juge du procès ajoutera que l’appréciation des témoignages des experts doit s’effectuer au regard de l’ensemble de la preuve.
[115] Le 14 juin 2012, à l’âge de 77 ans, le requérant est déclaré coupable du meurtre au premier degré de Nicole Rainville.
[116] Il est condamné à purger une peine de détention à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
[117] À la suite du prononcé du verdict et de la peine, le requérant prend le chemin du pénitencier. Dans les faits, il y demeurera pendant neuf ans, soit jusqu’à ce qu’il obtienne sa mise en liberté sous conditions à la suite de l’ordonnance de nouveau procès rendue par le ministre de la Justice du Canada.
(viii) : L’arrêt de la Cour d’appel
[118] À la suite du verdict de culpabilité prononcé contre lui, le requérant se pourvoit devant la Cour d’appel.
[119] Il invoque plusieurs moyens. Certains portent sur le résumé de la preuve et les directives du juge du procès, un autre a trait à la plaidoirie de l’intimée qui, selon le requérant, aurait compromis son droit à un procès équitable, et d’autres soulèvent la déraisonnabilité des verdicts de meurtre et de meurtre au premier degré[41].
[120] Pour l’analyse des arguments invoqués par le requérant dans sa requête en arrêt des procédures, les moyens d’appel portant sur la raisonnabilité des verdicts revêtent un intérêt particulier. En effet, ils permettent de comprendre pourquoi la question de la trajectoire du projectile dans le cerveau s’avère déterminante.
[121] À cet égard, le requérant fait valoir deux arguments. D’une part, il plaide qu’il était déraisonnable pour le jury de retenir la thèse du tir à un angle de 30 degrés excluant la possibilité du tir auto-infligé, du suicide. Il considère que cette thèse était totalement dénuée de fondement. Essentiellement, le requérant fait valoir que l’assise de cette thèse, soit le témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, n’est pas crédible. En effet, il estime avoir miné la crédibilité du pathologiste B en lui faisant reconnaître qu’il n’avait pas vu cette trajectoire, mais seulement le début de celle-ci[42]. D’autre part, le requérant soutient que le jury ne pouvait raisonnablement pas écarter la thèse de son expert balisticien sur le tir perpendiculaire à plus ou moins 90 degrés rendant possible le tir auto-infligé. Il fonde sa position sur la force probante des éléments de preuve appuyant cette thèse, soit la configuration de la plaie d’entrée, la chambre de mine sous cette plaie, la déformation du projectile qui aurait causé sa déviation, l’absence de suie au visage de Nicole Rainville, et enfin, sur le fait que seuls les essais de tirs perpendiculaires avec une prise d’arme non conventionnelle ont permis de reproduire des taches de suie et de poudre similaires à celles incrustées sur la main gauche de Nicole Rainville[43].
[122] Le 29 mai 2013, la Cour d’appel rejette l’appel du requérant. Elle écarte tous les moyens d’appel invoqués, dont ceux relatifs à la déraisonnabilité du verdict.
[123] Pour les fins du présent jugement, il n’est pas utile de reprendre un à un chacun des motifs de cet arrêt sur tous les moyens invoqués.
[124] Il suffira de souligner les passages qui traitent de l’importance de l’angle du tir et par voie de conséquence, de la trajectoire du projectile dans le cerveau.
[125] Relativement à l’angle du tir, la Cour considère que cette question était non seulement importante, mais plus encore, qu’elle était « déterminante »[44] :
[147] Lors du procès, les experts des deux parties ont présenté des opinions divergentes quant à l'angle du canon par rapport à la tempe de Mme Rainville au moment du tir.
[148] Pour les experts de la poursuite, au moment du tir, le canon du pistolet est en angle par rapport à la tempe de Mme Rainville. Pour l'expert de la défense, le tir est forcément quasi perpendiculaire à la tempe de Mme Rainville, le canon laissant une légère ouverture vers l'avant du visage de Mme Rainville.
[149] La question de l'angle du tir était déterminante. Dans un tir à angle, l'ouverture entre la bouche du canon et la peau de Mme Rainville, par laquelle se seraient échappés le noir de fumée et la poudre, se situerait vers l'arrière de son visage. Comme les traces retrouvées sur la main gauche de Mme Rainville indiquaient que la partie antérieure de cette main était positionnée face à cette ouverture au moment du tir, il devenait impossible pour Mme Rainville d'appuyer elle-même sur la détente du pistolet. En revanche, un tir quasi perpendiculaire laissait une légère ouverture vers l'avant du visage de Mme Rainville, rendant possible que la partie antérieure de sa main gauche soit située à cet endroit et qu'elle puisse presser elle-même la détente, dans l'une des positions dites « non conventionnelles » identifiées par l'expert de la défense.
[Soulignements et caractères gras du Tribunal]
[126] Dans ses motifs, la Cour d’appel fait aussi ressortir l’importance ou le caractère déterminant du témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville lorsqu’elle rappelle que la thèse du tir à un angle de 30 degrés excluant la possibilité d’un tir auto-infligé reposait sur ce témoignage :
[150] L'opinion de la poursuite sur l'angle de tir était préconisée par le pathologiste, le Dr Bourgault, puis reprise par les experts Gravel et Desmarais. Elle repose sur l'identification de la trajectoire du projectile dans la tête de Mme Rainville, projectile retrouvé par le Dr Bourgault dans la partie postérieure droite de son crâne. Pour déterminer la trajectoire du projectile, le Dr Bourgault a relié l'emplacement de la plaie d'entrée, sur la tempe gauche, à l'endroit où le projectile a terminé sa course. Le Dr Bourgault a également pu suivre la trajectoire de la balle dans le cerveau, après avoir récliné le cuir chevelu et scié le crâne. Il a ainsi conclu que le projectile s'était dirigé vers l'arrière du cerveau, de la gauche vers la droite et selon un angle pratiquement horizontal.
[Soulignements du Tribunal]
[127] Parce que le pathologiste B a été le seul qui a pu manipuler et observer le cerveau, la Cour d’appel estime que le jury pouvait raisonnablement se fier à son opinion :
[151] L'appelant conteste cette conclusion du Dr Bourgault, qu'il estime avoir discrédité lors de son contre-interrogatoire. Selon lui et son expert, la configuration de la plaie d'entrée, l'absence de suie sur la peau du visage de Mme Rainville, la présence d'une chambre de mine sous la plaie et l'aspect déformé du projectile démontrent que le tir était perpendiculaire, ce qui implique une déviation du projectile à l'intérieur de la tête de Mme Rainville. Par conséquent, il devient possible que le tir soit auto-infligé.
[152] À l'issue des représentations de la défense, nous sommes d'avis qu'il n'était pas déraisonnable pour le jury de retenir la trajectoire identifiée par le Dr Bourgault, et donc l'hypothèse du tir à angle. D'une part, le jury pouvait raisonnablement se fier à l'opinion du Dr Bourgault, fondée sur l'observation directe du cerveau de Mme Rainville, qu'il a été le seul à manipuler. D'autre part, adopter l'hypothèse du tir perpendiculaire nécessitait de croire en la possibilité d'une déviation significative du projectile dans le cerveau, prémisse rejetée par un expert en balistique, M. Gravel, et vigoureusement contestée lors du contre-interrogatoire de M. Swistounoff.
[Soulignements du Tribunal]
[128] Plus loin, la Cour d’appel réitère l’importance de la trajectoire du projectile dans le cerveau et par voie de conséquence, le témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau lorsqu’elle se prononce sur la valeur probante des essais de tirs perpendiculaires avec une prise d’arme non conventionnelle de l’expert du requérant. Quoique la Cour d’appel reconnaisse que cette preuve paraît affaiblir la démonstration des experts de la poursuite, elle estime qu’elle n'était pas claire au point d’obliger le jury à changer d'idée sur l'angle de tir à 30 degrés fondé sur la trajectoire décrite par le pathologiste B[45] :
[155] En sus de son argumentation relative à l'angle du tir, l'appelant plaide qu'il était déraisonnable pour le jury de conclure que l'expertise de M. Swistounoff ne soulevait aucun doute. Selon lui, les tests en laboratoire de l'expert de la défense, effectués dans la position qu'il préconise dans son rapport, ont reproduit pratiquement toutes les marques retrouvées sur la main de Mme Rainville, c'est-à-dire une tache de suie principale près du tranchant de la main, des grains de poudre à droite de la tache principale et une tache secondaire à proximité du pouce. Par contre, les essais réalisés par les experts de la poursuite n'ont réussi qu'à reproduire une tache ressemblant grossièrement à la tache principale, mais n'ont pas restitué de tache secondaire ni de grains de poudre à la droite de la tache principale.
[156] Encore une fois, le jury ne nous paraît pas avoir agi de manière déraisonnable en rejetant l'hypothèse du suicide, malgré des marques sur la main de Mme Rainville qui paraissent en partie affaiblir la démonstration des experts de la poursuite et renforcer celle de la défense. Si le jury a retenu la trajectoire sans déviation et l'angle de tir établi par la poursuite, qui exclut l'hypothèse du tir auto-infligé, la preuve relative aux marques sur la main de Mme Rainville n'était pas claire au point de l'obliger à changer d'idée. Les experts du ministère public ont toujours su proposer une explication raisonnable aux divergences entre leurs essais et la preuve, laissant au jury un fondement probant suffisant pour adhérer à leurs conclusions.
[Soulignements du Tribunal]
[129] En somme, en confirmant le caractère déterminant de la question de l’angle du tir, la Cour d’appel a reconnu le caractère tout aussi déterminant du témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau, les experts de l’intimée s’appuyant sur les observations de ce dernier pour déterminer l’angle du tir.
*
[130] Pour favoriser la bonne compréhension de ce qui va suivre, mentionnons que l’importance que la Cour d’appel accorde à la force probante du témoignage du pathologiste B sur l’importante question de la trajectoire du projectile dans le cerveau met en relief l’un des arguments avancés par le requérant dans sa requête en arrêt des procédures. En effet, il estime qu’au deuxième procès, il se retrouvera dans la situation dans laquelle il s’est trouvé au premier procès. Il devra faire face à celui qui a été le seul à observer et à manipuler le cerveau, un témoin de fait qui ne pourra être contredit par personne comme le souligne à grands traits l’intimée dans sa plaidoirie écrite.
[131] Faute d’avoir accès aux éléments de preuve matérielle qui n’ont pas été recueillis, conservés et documentés lors de l’autopsie pour identifier et confirmer de façon scientifique la trajectoire du projectile dans le cerveau, en l’occurrence les coupes du cerveau effectuées et les prélèvements portant des traces du passage du projectile dûment localisés, il craint que l’opinion des sept experts pathologistes qui remettent en question la description qu’en fait le pathologiste B ne fasse pas le poids face à l’approche du « il faut me croire parce que j’affirme l’avoir vu », une approche écartée parce qu’elle peut être source d’erreurs et l’a été au premier procès.
[132] Comme nous le verrons, cette question est au cœur du débat.
[133] À la suite de l’arrêt de la Cour d’appel, le requérant présente une demande d’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême.
[134] La Cour suprême refuse de lui accorder cette autorisation, ce qui confère un caractère définitif au verdict de meurtre au premier degré[46].
[135] Après que le requérant eût épuisé ses recours judiciaires, des journalistes de l’émission The Fifth Estate, de CBC News, présentent un reportage sur le procès du requérant. Pour le réaliser, l’équipe de la CBC demande à des experts indépendants (deux pathologistes et un balisticien) d’examiner la preuve scientifique présentée au procès[47]. Il s’agit du pathologiste Michael James Shkrum, directeur de la Southwestern Ontario Regional Forensic Pathology Unit, de London, Ontario, du pathologiste judiciaire Peter H. Markesteyn, et du chimiste Liam James Hendrikse, consultant en criminalistique et spécialiste en balistique. Or, après avoir procédé à l’étude du dossier et à l’examen d’une radiographie prise à l’autopsie avec l’aide d’un radiologiste, l’un des pathologistes consultés, le Dr Shkrum, découvre deux faits importants qui n’ont pas été présentés au jury, n’ont pas été décrits ni commentés au rapport d’autopsie, et n’ont pas été abordés par le pathologiste B dans son témoignage au procès. Il s’agit des fragments du projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau et des fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête. Sur la base de ces renseignements, les trois experts remettent en question la valeur de la description de la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville décrite par le pathologiste B au procès.
[136] De plus, ces experts estiment que la thèse du tir à angle excluant la possibilité du tir auto-infligé soulève des doutes et de sérieuses interrogations.
[137] En mars 2015, dans la foulée de cette émission de la CBC, The Fifth Estate, le requérant se prévaut de la partie XXI.1 du Code criminel. Il demande au ministre de la Justice du Canada de procéder à une enquête et de réviser le verdict prononcé contre lui. Il estime avoir été victime d’une erreur judiciaire lors de son procès.
[138] En novembre 2015, à la suite de la demande du requérant, le ministre de la Justice, par l’entremise du Groupe de la révision des condamnations criminelles (« GRCC », une entité distincte au sein du ministère de la Justice chargée d’examiner les demandes de révision, d’enquêter sur ces demandes, de présenter des évaluations préliminaires et des avis juridiques au ministre), entreprend une évaluation préliminaire de la demande. Pour ce faire, le GRCC communique avec les experts Shkrum, Markesteyn et Hendrikse. Il leur demande de lui fournir des renseignements sur les travaux qu’ils ont effectués lorsqu’ils ont été consultés par les journalistes de la CBC[48].
[139] Les 10, 14 et 15 mars 2016, ces experts transmettent au GRCC des opinions écrites portant sur la découverte des fragments de projectile du côté droit du cerveau et des fractures discontinues du côté droit du crâne, de même que sur l’importance de ces éléments pour expliquer la trajectoire du projectile dans le cerveau[49].
[140] Dans leurs rapports respectifs, les pathologistes Shkrum et Markesteyn[50] réitèrent les opinions données dans le reportage et expliquent sur quoi ils se fondent. Ils sont tous deux d’avis que les fragments du projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête, lesquels n’ont pas été présentés au jury lors du procès, n’ont pas été décrits ni commentés au rapport d’autopsie, et n’ont pas été abordés par le pathologiste B dans son témoignage au procès, remettent en question sa description approximative et équivoque de la trajectoire du projectile à l’intérieur du cerveau de Nicole Rainville.
[141] Shkrum et Markesteyn envisagent comme probable l’hypothèse voulant que le projectile, au lieu d’emprunter la trajectoire décrite par le pathologiste B, ait traversé le cerveau perpendiculairement ou quasi perpendiculairement, de la tempe gauche vers l’occipital droit, en faisant un ricochet avant de terminer sa course.
[142] En conséquence, Shkrum et Markesteyn estiment que ces deux éléments de preuve affectent la thèse du tir à un angle de 30 degrés excluant la possibilité d’un tir auto-infligé. Ils sont d’avis que ces éléments donnent du poids à la thèse du requérant du tir perpendiculaire qui n’exclut pas la possibilité du suicide.
[143] Par ailleurs, Shkrum et Markesteyn déplorent tous deux le fait que le travail effectué par le pathologiste B ne permet pas d’identifier de façon certaine la trajectoire du projectile dans le cerveau. Ils s’expliquent mal pourquoi il n’a pas documenté ni conservé les fruits de son travail, dans le contexte d’un décès suspect.
[144] Pour sa part, le pathologiste Shkrum écrit ceci[51] :
4. Review of the postmortem radiographs showed a few small bullet fragments on the right side of the skull, opposite to the entry wound. This means that there was an internal ricochet of the bullet inside the cranium before it finally came to rest in the brain near the back of the skull.
5. It is not possible to review the intracranial path of the bullet. The autopsy report done by Dr. Bourgault does not describe it. There are no autopsy images showing the wound track in the brain. If internal cuts of the brain were done, there is nothing to suggest in Dr. Bourgault’s report they were. Dr Bourgault does not reference their examination in his report. There is no description of the stroke which caused Ms. Rainville’s paralysis which one would have been expected if the brain had been sectioned. There is only one image of the interior of the skull, and it is of the base of the skull. There are no images of the interior of the top (calvarium or cap) of the skull.
6. The presence of fractures on the opposite (right) side and base of the skull, discontinuous from the fractures originating from the gunshot entry site, supports the radiological evidence of an impact by the bullet on the right side. The forward (anterior) extent of the skull fractures on the right side establishes that the orientation of the intracranial wound track and firearm was likely perpendicular or more close to perpendicular from the deceased's left temple to the right temple. This conclusion is consistent with the shape of the entry wound and absence of soot residue around it.
[Caractères gras dans l’original]
[145] Dans son rapport complémentaire du 4 mai 2016, le pathologiste Shkrum commente également le protocole d’autopsie, lequel n’avait pas été porté à sa connaissance au moment de confectionner son rapport initial du 10 mars 2016. Il explique que ce protocole d’autopsie, à l’instar du rapport d’autopsie, ne décrit ni la présence des fragments du projectile qui se sont retrouvés du côté droit du cerveau, ni l’existence des fractures du crâne discontinues du côté droit. Il souligne qu’au rapport d’autopsie, le pathologiste B s’est limité à faire état des fractures du crâne qui seraient dues à l’effet des gaz. Il estime raisonnable de conclure que le pathologiste B n’a pas vu les fractures discontinues du côté droit à l’autopsie. S’il les avait vues, écrit-il, il les aurait notées. Il constate aussi que le protocole d’autopsie n’indique pas qu’il y a eu des coupes du cerveau. Là encore, le pathologiste Shkrum se dit d’avis que le pathologiste B n’a pas procédé à ces coupes[52]. S’il en était autrement, écrit-il, il aurait noté ces coupes au protocole d’autopsie comme le formulaire du protocole le requérait explicitement. Enfin, il réitère sa position sur la trajectoire du projectile dans le cerveau. Il est d’avis qu’elle était perpendiculaire ou quasi perpendiculaire et que le projectile a fait un ricochet du côté droit du crâne avant de terminer sa course, à l’arrière du cerveau, de son côté droit[53] :
1) There is no new information about the location of the skull fractures in Dr. Bourgault’s handwritten notes which affects the opinions in my original report. His notes about the fractures are sparse. The only information in his handwritten notes in addition to his typed report referred to the fracture of the left pars petrosa and his suggestion that the fractures were due to the effects of gas. I agree that the left pars petrosa fracture and the other fractures on the left side were continuous with the entry site hole and could, in part, have been due to the effects of gas at the entry site. Dr. Bourgault did not observe and so did not describe the discontinuous fractures on the outside and inside of the right side of the skull and on the base of the skull going from the midline to the right side. These fractures were not due to the effects of gas but the dissipation of energy as the projectile went through the brain and struck the right side. If Dr. Bourgault had observed these fractures on the right side, he would have noted them.
2) There is no suggestion in Dr. Bourgault’s handwritten notes that he cut the brain to document the path of the bullet. If he had done so, he would have documented it. The observations that Dr. Bourgault did make of the bullet’s entry into the brain, the recovery of the bullet at the back of the brain and the old stroke would all have been made by examination of the outside surface of the brain.
3) Dr. Bourgault did not mention in his handwritten notes that there were small bullet fragments on the inside of the right side of the skull. It is reasonable to conclude that he did not look for them, because he did not see the fractures on the right side of the skull or vice versa.
4) Having reviewed Dr. Bourgault’s handwritten notes, my opinion remains that the bullet traveled perpendicular or close to the perpendicular from the deceased’s left temple to the right temple area of the skull where it ricocheted and lodged on the surface of the back of the right side of the brain.
[146] Quant au pathologiste Markesteyn, il se montre plus incisif sur la question de savoir si le pathologiste B a effectué son travail selon les standards applicables. Il estime qu’il est inhabituel pour un pathologiste qui effectue une autopsie à la suite d’un décès suspect de ne pas décrire, documenter et photographier ses observations[54] :
It is most unusual for a forensic pathologist in a suspicious death of this nature, involving a gunshot wound to the head, not to examine the brain by:
None of these were done by Dr. Bourgault.
[147] Markesteyn ajoute que le travail du pathologiste B ne satisfait pas aux standards canadiens[55] :
The remaining examination of the body is also not within acceptable Canadian standards. The fractured hip was not examined. The internal organs were not described as having been examined and no histology was performed or recorded in the autopsy protocol. Where there any co-existing disease processes which might have contributed to the deceased’s depression?
As the body was cremated, it is not possible to exhume and re-examine the skull fractures. Such examination could have determined issues regarding the trajectory of the bullet through complete examination of, and the taking of photographs of, the base of the skull and the inner aspect of the top of the skull for evidence of an internal ricochet. If the body had been embalmed, it could have been possible to perform so-called soft x-ray examinations on the entrance wound to determine the exact position of the gun against the temple.
The poor quality and quantity of the autopsy and the lack of written and photographic documentation, has resulted in significant difficulties in interpretations material to the administration of justice.
[Soulignement dans l’original]
[148] Relativement à la trajectoire du projectile dans le cerveau, à la lumière de tout ce qui a été recueilli, Markesteyn est d’avis que le pathologiste B ne l’a pas déterminée[56] :
His report speaks of a "trajectory" for the projectile, which was, in fact, not determined by him.
In addition:
The wound on the left temple was not excised for further analyses.
No hair nor skin in the surrounding tissues were submitted for gunshot residue analysis,
It is regrettable that there was this lack of proper analysis and description of the brain and entrance wound as weII as a failure to observe all the skull fractures. There was also an incomplete analysis of the x-rays.
[Soulignements et caractères gras dans l’original]
[149] Markesteyn estime lui aussi qu’il n’y a pas suffisamment de renseignements permettant d’identifier la trajectoire du projectile dans le cerveau, mais il considère que les fragments du côté droit et les fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête tendent à confirmer le ricochet et le tir perpendiculaire[57] :
As mentioned before, there is insufficient information in the autopsy report and in the testimony of the pathologist to ascertain the trajectory of the bullet.
The single photograph of the base of the skull (after removal of the brain) shows a fracture on the right side, opposite the entry wound, with, in the x-rays, small metallic fragments nearby seemingly lodged against the skull bone.
This finding is consistent with an internal ricochet causing the fragmented bullet to have then deviated into the occipital lobe of the right side of the brain. This fracture and the associated metallic fragments were not described Dr. Bourgault.
These internal findings, together with the findings of the wound, means that this was a case of a firmly held contact or incomplete contact gunshot wound to the head while the firearm was held perpendicular to the head.
[Caractères gras dans l’original]
[150] Markesteyn explique aussi que la plaie d’entrée ne permet pas d’établir à elle seule si le tir était auto-infligé ou le fait d’un tiers. Néanmoins, il ajoute que l’endroit où la plaie se trouve est communément associé à un suicide, ce qui n’exclut cependant pas que le tir puisse avoir été fait par une tierce personne[58] :
Comment:
The injuries to the brain, themselves, do not establish whether this was a self-inflicted injury or an injury at the hands of a third party.
The location of the wound to the side of the head is commonly associated with a suicide, but does not exclude a homicide.
[151] Quant au chimiste et balisticien Hendrikse, sur la base de la configuration de la plaie d’entrée, des fragments du côté droit du cerveau et des fractures du crâne discontinues, il estime que le projectile aurait traversé le cerveau de Nicole Rainville de la gauche vers la droite, de façon perpendiculaire[59].
[152] Le 29 septembre 2016, après avoir obtenu une copie des rapports des Drs Shkrum et Markesteyn et du balisticien Hendrikse, le pathologiste B signe une déclaration sous serment. Celle-ci constitue une réponse à leurs opinions. Il y reconnaît avoir constaté la présence des fragments de projectile du côté droit du cerveau et l’existence des fractures du crâne du côté droit de la tête. Il cherche aussi à justifier pourquoi il n’a pas fait état de ces éléments dans le rapport d’autopsie. Essentiellement, il fait valoir qu’il était possible de voir les fragments sur une radiographie et les fractures sur des photos de la tête.
[153] Par ailleurs, il ajoute que les fractures discontinues du côté droit sont incluses sous le terme global « traumatisme crânio-cérébral » au rapport d’autopsie :
En date du 17 novembre 2009, j’ai pratiqué une autopsie sur la dépouille de Mme Marie Nicole Rainville. À cette occasion, j’ai :
[…]
[154] En d’autres mots, il laisse entendre qu’il aurait appartenu au requérant d’identifier ces éléments en examinant les radiographies.
[155] Par ailleurs, il s’écarte de son témoignage au procès relativement à la trajectoire du projectile dans le cerveau. Il ne dit plus qu’il n’a vu que le début de la trajectoire qui allait vers l’arrière. Il déclare plutôt avoir constaté qu’elle reliait directement la plaie d’entrée à l’endroit où le projectile a terminé sa course[60] :
En date du 17 novembre 2009, j’ai pratiqué une autopsie sur la dépouille de Mme Marie Nicole Rainville. À cette occasion, j’ai :
[…]
[Soulignements du Tribunal]
[156] Le pathologiste B déclare aussi avoir procédé aux coupes du cerveau, mais il n’explique pas pourquoi il n’a pas coché la case référant aux coupes dans le protocole d’autopsie comme il était requis de le faire[61]. Il déclare également, pour la première fois, avoir effectué des prélèvements du cerveau à l’autopsie pour d’éventuels examens histologiques. Il reconnaît n’avoir pas mentionné leur existence de façon explicite au rapport d’autopsie. Il explique avoir procédé à l’examen histologique de ces prélèvements qu’après avoir pris connaissance des expertises des pathologistes Shkrum et Markesteyn et du balisticien Hendrikse, soit quatre ans après le procès[62].
[157] Relativement à cet examen histologique, il mentionne que le prélèvement du mésencéphale porte des traces du passage du projectile. Toutefois, il ne précise pas l’endroit où le prélèvement du mésencéphale a été fait. De fait, un neuropathologiste confirmera plus tard que ce prélèvement n’a pas été localisé, de sorte qu’il n’est d’aucune utilité. Le pathologiste B déclare ceci :
En date du 17 novembre 2009, j’ai pratiqué une autopsie sur la dépouille de Mme Marie Nicole Rainville. À cette occasion, j’ai :
[…]
[…]
Au moment de la rédaction du présent document, j’avais pris connaissance des rapports des 3 contre-experts (Drs Peter H. Markesteyn et Michael J. Shkrum et M. Liam James Hendrikse). Après la réception de ces rapports, j’ai examiné les prélèvements histologiques du cerveau et y ai constaté
[158] Quelques semaines plus tard, soit le 14 octobre 2016, le pathologiste B répond à l’interrogatoire écrit de l’avocat du requérant. Il admet que :
Il n’a pas pris de photographies du cerveau une fois celui-ci enlevé du crâne, ni des coupes du cerveau qu’il déclare avoir effectuées[63];
Il n’a pas mentionné dans le rapport d’autopsie et le protocole d’autopsie avoir procédé aux coupes du cerveau ou aux prélèvements du cerveau parce qu’il s’agit, dit-il, d’une procédure standard[64].
[159] Le 10 août 2016, après avoir procédé à l’analyse des opinions de Shkrum, Markesteyn et Hendrikse, le ministre informe le requérant qu’il procèdera à une enquête. Cela signifie qu’il considère « qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite »[65].
[160] Pour effectuer cette enquête, le GRCC forme un panel d’experts. Ce panel est composé d’éminents pathologistes reconnus à travers le pays. Il s’agit des Drs Michael Pollanen, pathologiste en chef de l’Ontario, Thambirajah Balachandra, pathologiste en chef du Manitoba, et Matthew Bowes, pathologiste en chef de la Nouvelle-Écosse. Ce panel est aussi composé de spécialistes en sciences judiciaires et en balistique, soit Tony Tessarolo, Dean Dahlstrom et Christina Telizyn. Ce panel est chargé de revoir la preuve scientifique et technique présentée au jury lors du procès du requérant ainsi que les opinions des pathologistes Shkrum, Markesteyn et Hendrikse[66].
[161] Les travaux effectués par ce panel d’experts, en particulier celui des experts pathologistes, portent principalement sur le travail effectué par le pathologiste B pour identifier la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, lequel a servi d’assise à la thèse du tir à un angle de 30 degrés excluant la possibilité du suicide.
[162] Au terme de leurs travaux, les trois experts pathologistes remettent en question la qualité du travail effectué par le pathologiste B à l’autopsie, plus particulièrement l’absence de documentation et de photos des coupes effectuées, ainsi que l’exactitude de ses explications sur la trajectoire du projectile.
[163] Dans leur rapport du 24 octobre 2016[67], Balachandra et Bowes constatent à « regrets » que le travail du pathologiste B ne permet pas d’identifier la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, celui-ci n’ayant pris aucune photo ou note pour décrire les coupes et la trajectoire qu’il dit avoir identifiée[68] :
Dr. Bourgault’s report describes the entrance wound on the left temple in some detail: this is easily located on Mrs. Rainville's body on the basis of the report and the photographs. The final resting place of the projectile is described in the report as being in the right occipital region of the brain, a finding that may be verified by examining the postmortem radiographs. The issue of how the projectile got from the entrance wound to its final resting place is a matter of some controversy.
[…]
Regrettably, as Dr. Shkrum correctly notes, there are no photographs of the dissected brain, few photographs of the interior aspect of the skull, and no more specific description of the wound track in the brain. Dr. Shkrum proposes on this basis that Dr. Bourgault did not directly observe the wound track through the brain: he proposes that “if internal cuts of the brain were done, there is nothing to suggest in Dr. Bourgault’s report they were.” The Panel is not prepared to draw this conclusion, but instead agrees with the more general statement that the trajectory cannot be independently verified.
[Soulignements du Tribunal]
[164] Plus encore, en raison des fragments retrouvés du côté droit, les Drs Balachandra et Bowes soulèvent des doutes sur la trajectoire du projectile identifiée par le pathologiste B et par voie de conséquence, sur la thèse des balisticiens de l’intimée voulant que le tir ait été effectué à un angle de 30 degrés[69] :
Thus, Dr. Bourgault posits that the projectile entered Mrs. Rainville’s head, fragmented promptly thereafter, leaving no other fragments along the wound track, and came to rest in the right occipital region of the brain.
The idea that the projectile could have changed direction during its course through the brain was considered at trial, and rejected by Dr. Bourgault. More importantly, the related idea that the bullet may have ricocheted was specifically denied by Dr. Bourgault:
[…]
The significance of Dr. Bourgault’s reasoning is that, if one accepts that the bullet did not ricochet or otherwise change direction inside the brain, then the wound track is knowable by drawing a straight line between the entrance wound and the final resting place of the projectile. Doing so forces one to accept the corollary that that the weapon must have been held at an angle that deviates somewhat from the perpendicular; in other words, that the angle of the barrel of the gun to the skin must have been somewhat less than 90 degrees.
The Panel has had the opportunity to view the radiographs taken at autopsy, and we agree with Dr. Shkrum's observation that there is a radiopaque object in the right side of the brain lateral to the final resting place of the projectile. This fragment is not within the trajectory posited by Dr. Bourgault, and does not appear to have informed Dr. Bourgault’s (or the Court’s) opinion of the trajectory of the projectile in Mrs. Rainville’s head.
This finding is significant because it poses an important challenge to the idea that the trajectory of the projectile in Mrs. Rainville’s head is knowable by simply connecting the entrance wound with the eventual resting place of the projectile: rather, this small fragment raises the possibility that the projectile ricocheted within the skull, and thus that the firearm need not have been held at a 30 degree angle to Mrs. Rainville’s temple, as the Crown’s experts had posited. […]
[165] De plus, Balachandra et Bowes n’excluent pas l’hypothèse voulant que Nicole Rainville ait pu effectuer le tir par elle-même[70] :
We conclude that the hypothesis that Mrs. Rainville herself discharged the firearm is not excluded. The alternate hypothesis (that someone else discharged the firearm) is also not excluded.
[166] Toutefois, les pathologistes Balachandra et Bowes refusent de se prononcer sur la trajectoire probable du projectile, la preuve lacunaire recueillie à l’autopsie ne permettant pas de l’identifier avec certitude. Néanmoins, ils n’excluent pas qu’elle puisse correspondre à celle identifiée par le Dr Shkrum[71] :
SUMMARY
1. The cause of death is a gunshot wound of the head.
2. The range of fire was contact range or nearly so.
3. Additional testing ordered by the Panel yields novel findings. The hypothesis that Mrs. Rainville herself discharged the firearm is not excluded.
4. The trajectory of the projectile in Mrs. Rainville’s head is not knowable on the basis of the autopsy record, but other elements of the reviewable record contain new information that supports the hypothesis that the projectile ricocheted inside Mrs. Rainville’s head. This information does not appear to have informed the Court’s opinion on this matter.
[Soulignements du Tribunal]
[167] Quant au pathologiste en chef de l’Ontario, le Dr Pollanen, le coprésident du panel, il dépose un rapport distinct[72]. Il est en désaccord avec ses collègues, qui hésitent à se prononcer sur la trajectoire du projectile dans le cerveau. Sur cette question, le Dr Pollanen se montre catégorique. Il exclut la possibilité que le projectile ait suivi la trajectoire que le pathologiste B décrit dans le rapport d’autopsie et dans son témoignage au procès. Il estime que les fragments du projectile qui se sont retrouvés du côté droit du cerveau confirment la trajectoire préconisée par le Dr Shkrum, laquelle implique un ricochet du côté droit du crâne[73] :
In my role as chair of the forensic pathology panel, I will provide my view of the most substantive issue that arose. My assessment considered the deliberations of the panel and the available evidence, including Dr. Andre Bourgault’s autopsy report.
The main result is that the panel did not agree with the stated path of the bullet inside the head and brain of Nicole Rainville.
The bullet did not follow the path indicated by Dr. Bourgault. The bullet followed the path adduced by Dr. Mike Shkrum.
The actual bullet path can be inferred because there are bullet fragments visible on the radiographs (X-ray films) of the head taken at autopsy. The location of these bullet fragments indicates that the bullet ricocheted inside the head and did not follow an entirely straight path through the brain.
The post-conviction forensic pathology review is now concluded.
[Soulignements du Tribunal]
[168] En octobre 2016, le requérant présente une demande afin d’être mis en liberté sous conditions, dans l’attente de la décision finale du ministre de la Justice.
[169] Le requérant fait valoir qu’en acceptant de procéder à une enquête à la suite de l’évaluation préliminaire, le ministre a considéré qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure, sur la base des rapports d’experts qui lui ont été communiqués, qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite[74].
[170] Lors de l’audition de cette demande, outre le dépôt de la décision du ministre l’informant qu’il accepte de procéder à une enquête, le requérant dépose les rapports des Drs Shkrum, Markesteyn, Hendrikse, Pollanen et celui de Balachandra et Bowes. Il produit aussi celui des balisticiens Dahlstrom et Telizyn.
[171] Par ailleurs, la preuve permet d’apprendre que :
Le requérant a apporté de l’aide à Nicole Rainville afin qu’elle puisse mettre fin à ses jours, en lui laissant le pistolet chargé[75];
Avant son procès, le requérant a informé son avocat qu’il avait apporté de l’aide à Nicole Rainville pour qu’elle se suicide[76];
Avant d’annoncer sa décision de témoigner, le requérant a informé ses enfants qu’il avait aidé leur mère à se suicider[77];
Le requérant a renoncé à témoigner parce qu’un membre de la famille s’inquiétait de l’impact de son témoignage sur la famille[78];
Malgré tout, le requérant a continué de bénéficier de l’appui de sa famille et d’amis et bénéficie toujours de leur appui[79].
[172] De son côté, l’intimée présente elle aussi une preuve au soutien de sa contestation de la demande de mise en liberté sous conditions.
[173] Cette preuve est notamment constituée de la déclaration sous serment du pathologiste B du 29 septembre 2016[80].
[174] L’intimée produit également le rapport d’un expert en balistique du LSJML, M. Guillaume Arnet, qu’elle fait aussi témoigner.
[175] Ce témoignage vise à contrer les questions que soulèvent les experts consultés par le ministre de la Justice sur l’angle du tir. M. Arnet témoigne que les essais de tirs perpendiculaires qu’il a effectués dans un crâne synthétique rempli d’un gel démontreraient que le projectile serait ressorti du crâne du côté droit.
[176] M. Arnet est toutefois forcé de reconnaître que le résultat de ses essais de tirs perpendiculaires dans un crâne synthétique rempli d’un gel ne concorde pas avec une étude réalisée par une sommité en balistique, le balisticien Vincent J.M. DiMaio, étude à laquelle le Dr Shkrum se réfère dans son rapport.
[177] Un autre élément important ressort du témoignage de M. Arnet. Il reconnaît en effet que la trajectoire du projectile ne serait pas exactement celle identifiée par le pathologiste B, lorsqu’il mentionne qu’elle « serait très proche » et que le ricochet du projectile du côté droit du crâne demeure une hypothèse probable[81].
*
[178] Le 21 décembre 2016, le Tribunal rejette la demande de mise en liberté sous conditions du requérant. Il estime que les informations additionnelles ne permettent pas de conclure qu’il existe de sérieuses préoccupations quant à la justesse du verdict, encore moins de très sérieuses préoccupations quant à sa fiabilité[82] :
[124] En somme, les informations additionnelles soumises dans le cadre de la présente requête, en tenant pour acquis que toutes constituent de la preuve nouvelle, ne permettent pas de conclure qu’elles soulèvent de sérieuses préoccupations quant à la justesse du verdict, encore moins de très sérieuses préoccupations quant à sa fiabilité.
[125] Dans ces circonstances, la confiance du public dans l’administration de la justice commande que monsieur Delisle continue de purger sa peine : un public formé de personnes raisonnables, bien informées des dispositions législatives et des circonstances réelles de l’affaire, qui apprécient les fondements de notre système de justice criminelle et qui ne sont pas mues par la passion mais par la raison, n’accepterait pas la mise en liberté, à ce stade des procédures, dans l’attente que la ministre de la Justice ait complété son enquête et rendu une décision finale.
[179] Le 16 mars 2017, peu après le jugement rejetant la demande de libération sous conditions, l’expert en balistique Guillaume Arnet produit un rapport complémentaire[83].
[180] Les thèses qu’il avance sont nouvelles. Prenant pour acquis le ricochet possible ou probable, M. Arnet cherche à démontrer que l’opinion du Dr Shkrum donnerait ouverture à plusieurs hypothèses sur la trajectoire du projectile dans le cerveau, dont certaines s’éloigneraient de la trajectoire perpendiculaire pour se rapprocher de la trajectoire décrite par le pathologiste B. M. Arnet tente d’exploiter l’hypothèse limite qui pourrait, selon lui, être inférée du rapport de Shkrum. En plaçant le point d’impact du projectile à l’extrême limite de la zone du ricochet, qu’il identifie sur l’on ne sait quoi, il énonce la thèse selon laquelle le tir aurait été effectué à un angle de 45 degrés.
[181] Ce faisant, il cherche à démontrer que s’il y a eu un ricochet, celui-ci se rapprocherait de la trajectoire du projectile identifiée par le pathologiste B[84] :
Le Dr Shkrum suggère la trajectoire illustrée sur la photo 3 (à gauche) comme la plus probable du fait de la présence potentielle d’un cône de fracture partielle (?) dans la partie intérieure de la tempe droite de Mme Rainville. Il affirme aussi que la plaie à la tempe corrobore cette théorie.
Le Dr Shkrum propose toutefois dans son rapport une plage plus large d’angles d’entrées possibles dans le crâne et l’a dessinée sur le crâne de la photo 3 lors de son témoignage d'octobre 2016. Ces trajectoires incluent la bande verte (tel que le crâne lui a été présenté) et la bande noire située sur le côté droit du crâne ci-haut (rajout fait par le Dr Shkrum durant son témoignage).
Ainsi, de multiples trajectoires possibles sont proposées par le Dr Shkrum pour expliquer la fracture à la tempe droite ainsi que la présence de fragments métalliques dans le cerveau (X-Ray). Elles s’éloignent toutes de la trajectoire perpendiculaire et se rapprochent de celle décrite par le Dr Bourgault, et ultimement de la position finale du projectile récupéré dans le crâne de Mme Rainville lors de l’autopsie.
[182] Cela le mène à cette conclusion[85] :
Tous les indices recueillis abondent pour corroborer un homicide, avec une trajectoire très proche de celle observée par le Dr Bourgault lors de l’autopsie ou de la trajectoire limite suggérée par le Dr Shkrum et une position de la main très proche de celle suggérée par l’expert en balistique Gilbert Gravel.
[Soulignements du Tribunal]
[183] Ce rapport de M. Arnet fera dire au requérant que :
M. Arnet cherche à trouver a posteriori une façon de justifier une thèse de tir à angle pour gagner la cause à tout prix;
En ce faisant, M. Arnet démontre son extrême partialité, laquelle était déjà manifeste lors de l’audition de la demande de mise en liberté sous conditions.
[184] La réalité tendra à lui donner raison puisqu’après la décision du ministre de la Justice d’ordonner un nouveau procès au motif qu’il s’est dit convaincu qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, M. Arnet transmettra aux procureurs en chef du DPCP un courriel constituant un véritable réquisitoire contre le ministre de la Justice et les experts pathologistes qui ont remis en question la qualité du travail effectué par le pathologiste B[86]. En raison de ce courriel, l’intimée prendra la décision d’écarter M. Arnet du dossier[87]. Cette sortie de M. Arnet n’a rien d’anecdotique puisque le requérant s’y réfère pour sa demande fondée sur l’inconduite de l’État.
[185] Cet aspect du débat sera décrit un peu plus loin.
*
[186] Le 20 juin 2017, toujours dans le cadre de l’enquête du ministre de la Justice, les représentants du GRCC interrogent le pathologiste B.
[187] Dans ses réponses, le pathologiste B s’écarte davantage du témoignage qu’il a livré au procès et même de sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016. Cette fois, il déclare avoir vu la trajectoire du projectile du début à la fin[88]. Il affirme aussi que les coupes du cerveau ne sont pas documentées parce qu’il s’agit d’une procédure de routine dans la province de Québec[89]. Toutefois, il n’explique pas pourquoi il n’a pas coché la case référant aux coupes du cerveau dans le protocole d’autopsie, en précisant la date de ces coupes, comme le requérait le protocole d’autopsie, alors que tout juste à côté, à la case relative au poids du cerveau, il a inscrit cette donnée[90].
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[188] Le 14 novembre 2017, le GRCC produit un rapport destiné au ministre de la Justice[91]. Il décrit la preuve faite à l’enquête préliminaire et au procès, le cheminement des procédures en appel, l’arrêt de la Cour d’appel et la preuve recueillie dans le cadre de l’évaluation préliminaire du ministre de la Justice, et celle présentée lors de l’audition de la demande de libération sous conditions et les motifs du jugement rendu sur cette demande. Le GRCC fait une longue analyse des conclusions des experts sur la trajectoire du projectile et l’angle du tir et il se prononce sur certains aspects.
[189] Précisons que ce rapport est la seule pièce dont la production a fait l’objet d’un débat, le requérant s’objectant au départ à son dépôt.
[190] Lors de l’audition, le Tribunal y a tout de même eu accès.
[191] Essentiellement, ce rapport résume la preuve qui se trouve déjà au dossier, dont les expertises, et fournit parfois une lecture de celle-ci. Il n’apporte rien de plus.
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[192] À la suite du rapport du GRCC, le requérant retient les services du pathologiste Christopher Mark Milroy et du neuropathologiste David Ramsay.
[193] Tous deux produisent un rapport[92].
[194] Voyons d’abord celui du Dr Christopher Mark Milroy, un pathologiste spécialisé dans les affaires judiciaires, directeur de la Eastern Ontario Regional Forensic Pathology Unit d’Ottawa et professeur titulaire au département de pathologie et au laboratoire de médecine de l’Université d’Ottawa.
[195] Précisons dès maintenant que le Dr Milroy possède un impressionnant cheminement professionnel, comme l’indique son curriculum vitae[93].
[196] Dans son rapport du 12 février 2019, à l’instar des Drs Shkrum, Markesteyn, Bowes, Balachandra et Pollanen, il s’explique mal le fait que le pathologiste B, face à un décès suspect, n’ait pas documenté, photographié et conservé les coupes du cerveau qui auraient été effectuées à l’autopsie[94] :
Given that by the time of the autopsy this case was viewed as a suspicious death by the investigating authorities, the retention of the brain and its fixation in formalin followed by dissection of the brain by the pathologist was required. Failure to do these steps in this case has resulted in an incorrect bullet wound path being put forward by Dr. Bourgault.
There is very limited photography of the wound track (only skin and external skull photographs and one photograph of part of the interior of the skull), and no photographs of the brain. ln addition, the brain was not retained. The only reviewable materials in relation to the internal wound track are the histology of the brain, which has been reviewed by Dr. Ramsay (in consultation with Dr. Shkrum) and the radiology (x-rays).
The external photographs of the skull, particularly views of the right side, and one photograph of the inside of the skull, along with the histology and x-rays, provide the objective basis to determine the wound track inside the head.
The first pathologist is in a privileged position in performing the autopsy because it is a destructive process. lt is imperative therefore for him/her to document the findings accurately including detailed photography of all injuries and wound paths so they are reviewable by a second pathologist. This is not just for quality assurance; reviewing pathologists can also identify evidence not seen by the first pathologist. This has happened in this case with respect to the x-ray evidence and site of fractures in the skull. It is a fallacy therefore to regard the first pathologist as necessarily being in the best position to determine the findings and their interpretation in a case.
[197] Sur la base des renseignements dont il dispose, le Dr Milroy conclut que : (1) le tir a été effectué à bout touchant, à plus ou moins 90 degrés; (2) les fractures du crâne discontinues du côté droit ne sont pas le résultat d’un effet de gaz comme le soutient le pathologiste B dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016; (3) les fractures et les fragments du projectile du côté droit du cerveau confirment qu’il y a eu un ricochet au point d’impact identifié par le Dr Shkrum; (4) en raison de l’absence des coupes, il n’est plus possible d’identifier précisément la trajectoire du projectile; et (5) rien dans la preuve recueillie à l’autopsie n’exclut la possibilité du tir auto-infligé[95].
[198] Voici ce qu’il écrit[96] :
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[199] Voyons maintenant le rapport du Dr David Ramsay, neuropathologiste, spécialiste dans les altérations microscopiques tissulaires, professeur au département de pathologie au London Health Sciences Centre et à la Western University de London, Ontario, et consultant à l’Ontario Forensic Pathology Unit de Toronto.
[200] Le Dr Ramsay jouit lui aussi d’un impressionnant parcours professionnel[97].
[201] Dans son rapport du 31 juillet 2019, le Dr Ramsay identifie les règles de conduite auxquelles les pathologistes qui effectuent une autopsie dans une affaire criminelle sont soumis. En se référant aux lignes directrices de l’Association canadienne des pathologistes ainsi qu’au rapport de la Commission d’enquête Goudge[98], laquelle a été constituée à la suite du scandale impliquant le pathologiste ontarien Smith dont le travail avait mené à des condamnations injustifiées, il explique que tout ce qui est fait à l’autopsie doit être documenté et conservé de manière à ce que le travail du pathologiste puisse être révisé de façon indépendante par ses pairs[99] :
…what is done at the autopsy should be fully transparent and independently reviewable. Therefore what is done and by whom at the autopsy should be carefully documented. This documentation includes carefuI recording through photographs and contemporaneous notes by support staff and the forensic pathologist."
The Guidelines for Medicolegal Autopsies (2008) from the Forensic Pathology Section of the Canadian Association of Pathologists states:
1.1. These guidelines were developed in response to major trends in forensic pathology and laboratory medicine that emphasize standardization and the definition of best practices. The guidelines are intended to assist the pathologist in deciding how to perform medicolegal autopsies. ...
1.2.5. [The guidelines are intended to] help ensure that autopsy findings, which may have a critical effect on the administration of justice, are documented using uniform procedures. ...
13.5 …The pathologist must ensure that all autopsy findings that form the basis of the opinions are documented in a form that can be reviewed by other pathologists (e.g., macroscopic photography, histology).”
[202] Le Dr Ramsay décrit la procédure qu’un pathologiste doit suivre pour identifier la trajectoire d’un projectile dans un cerveau lors d’une mort suspecte. Il mentionne qu’il doit d’abord fixer le cerveau pendant plusieurs jours, puis procéder à des tranches du cerveau d’épaisseur uniforme, photographier ces tranches, les conserver dans un liquide de préservation et, enfin, documenter ses constatations et découvertes. Il estime qu’en l’espèce, pour identifier la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, le pathologiste B a omis de suivre ces règles minimales et que, pour cette raison, il n’est plus possible d’établir cette trajectoire[100] :
The most reliable way to document the trajectory of a gun-shot wound in the brain is the fixing and systematic examination and photographing of the surface and internal structure of the brain. Figures 7 and 8a and 8b demonstrate how this done.
The advantage of fixing the brain in formalin, a process that takes several days, is that the slices: (i) are easier to cut, (ii) will be of uniform thickness, (iii) will be symmetrical and minimally deformed, and (iv) can be preserved for subsequent examination and review. Moreover, bullet wound tracks, infarcts and other abnormalities will be seen more clearly. ln this case, the damage to the brain caused by Ms. Rainville's stroke would have increased the difficulties of cutting the brain without fixing it first.
[…]
The path of a projectile through the brain can usually be determined from a combination of the skull x-ray findings, the appearance of the scalp and skull fractures, and the systematic examination of the whole brain to establish the trajectory in and/or on the surface of the brain.
Establishing the trajectory of the projectile through the brain requires a thorough examination of the whole brain, including its surface, preferably after it has been hardened in fixative, as summarised above in Section Vl. The key findings in the brain slices must be photographed for documentation and reviewability purposes. This work will usually be done by the Forensic Pathologist conducting the autopsy who will, where neuropathological questions remain, consult a neuropathologist. The fixed brain (or at least the slices from it that contain significant findings) should be preserved, and photos and all documentation must be available for a review.
The photographs in Figures 9a and 9b below illustrate how projectile tracts can easily be documented and reviewed when the brain is systematically examined. No such documentation is available for Ms. Rainville.
[…]
[Caractères gras dans l’original]
[203] Le Dr Ramsay mentionne aussi que les examens histologiques qu’il a effectués à partir des prélèvements du cerveau de Nicole Rainville qui lui ont été remis par le LSJML ne permettent pas d’identifier la trajectoire du projectile dans le cerveau. Pour cette raison, il conclut que le pathologiste B se méprend lorsqu’il déclare, dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016, que les prélèvements du mésencéphale présentant des lacérations confirment la trajectoire qu’il dit avoir identifiée puisque l’on ignore l’endroit où le prélèvement a été effectué. Quant aux autres prélèvements, ils sont inutiles puisqu’ils ne présentent pas de lacérations[101] :
a. There are no lacerations in the midbrain samples and therefore no evidence of a bullet tract. Dr. Bourgault's statement to the contrary in his Affidavit is wrong;
b. The midbrain does however contain scattered microscopic haemorrhages and there is bilateral fraying of the midbrain's margins. These findings are related to:
c. Dr. Shkrum's proposed projectile tract passed significantly below and likely in front of the basal ganglia. Therefore, as would be expected, the samples taken from the anterior basal ganglia show no evidence of a projectile tract. Dr. Bourgault was wrong to suggest in his Affidavit that this lack of findings undermines Dr. Shkrum's proposed tract.
X. SUMMARY
The trajectory of the bullet that caused Ms. Rainville's death cannot be determined from the available microscope slides. However, the slides are of assistance in demonstrating that the projectile did not pass through the midbrain or the anterior parts of the basal ganglia.
[204] Le 7 avril 2021, six ans après le dépôt de la demande de révision du requérant, le ministre de la Justice du Canada se prononce sur celle-ci. Il se dit « convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite ». Pour cette raison, le ministre ordonne la tenue d’un nouveau procès[102] :
ORDONNANCE
ATTENDU QUE Jacques Delisle a été déclaré coupable du meurtre au premier degré de son épouse, Marie Nicole Rainville, le 14 juin 2012, à la suite d'un procès à la Cour supérieure du Québec, présidé par I'honorable Claude C. Gagnon, siégeant avec jury, à Québec;
ATTENDU QUE la peine infligée pour cette condamnation est une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de mise en libération conditionnelle avant 25 ans;
ATTENDU QUE le 29 mai 2013, la Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel interjeté par M. Delisle contre sa déclaration de culpabilité;
ATTENDU QUE le 12 décembre 2013, la Cour suprême du Canada a rejeté sa demande d’autorisation d’appel;
ATTENDU QU'après avoir épuisé toutes ses voies de recours, le 19 mars 2015, M. Delisle a présenté une demande de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires) conformément à l'article 696.1 du Code criminel;
ET ATTENDU QUE, suite à une enquête menée relativement à cette demande, je suis convaincu qu'il y a des motifs raisonnables de conclure qu'une erreur judiciaire s'est probablement produite dans cette affaire;
JE PRESCRIS PAR LA PRÉSENTE ORDONNANCE, conformément au sous-alinéa 696.3(3)a)(i) du Code criminel, un nouveau procès pour Jacques Delisle devant la Cour supérieure du Québec.
[Soulignements et caractères gras du Tribunal]
[205] Cette décision du ministre de la Justice ne fait l’objet d’aucun pourvoi en contrôle judiciaire de la part de l’intimée[103]. Il en découle que tous, y incluant l’intimée, sont liés par celle-ci, plus particulièrement par la conclusion voulant qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.
[206] À la suite de la décision du ministre de la Justice et en prévision du nouveau procès, le balisticien Arnet du LSJML, lequel a témoigné pour l’intimée lors de la demande de mise en liberté sous conditions et produit un rapport établissant de nouvelles thèses, cherche à identifier de nouveaux experts pour l’appuyer.
[207] Les démarches de M. Arnet découlent du fait que l’intimée a décidé de ne pas faire appel à ses deux experts balisticiens entendus au premier procès.
[208] L’intervention de M. Arnet dans le dossier prend fin abruptement, après qu’il eût affiché son manque d’objectivité patent dans un courriel adressé au DPCP[104]. Dans ce courriel, M. Arnet attaque le ministre de la Justice et les experts pathologistes qui ont remis en question la qualité du travail effectué par le pathologiste B. Il affiche également son parti pris en affirmant que le requérant a bel et bien « abattu son épouse d’une balle dans la tête », que les nouvelles expertises dont il n’est pas sensé connaître le résultat le démontreront, et que le DPCP ne doit pas régler le dossier parce que cela aura pour effet de nuire à la réputation du LSJML et de ses professionnels.
[209] Évidemment, ce courriel force le DPCP à écarter M. Arnet sur-le-champ.
[210] Le requérant qualifiera ce courriel de M. Arnet d’indigne pour un représentant de l’État dans une poursuite criminelle.
[211] Il fera valoir qu’il confirme le parti pris manifesté par M. Arnet à l’audition de la demande de mise en liberté sous conditions et dans son rapport du 16 mars 2017[105].
[212] Il invoquera cet épisode pour démontrer que la conduite de l’État a miné le système de justice et constitue un abus au sens de la catégorie résiduelle de l’arrêt Babos[106].
*
[213] Par ailleurs, lors des séances de gestion qui ont eu cours avant et après l’audition de la demande en arrêt et des procédures[107], un débat animé a fait surface en lien avec l’éventuel témoignage du pathologiste B au deuxième procès. Ce débat a surgi lorsque l’intimée a annoncé de façon catégorique que le pathologiste B ne viendrait pas témoigner pour des raisons de stress et de santé. Puis, au fil des semaines, la situation a changé. Il a été précisé que le pathologiste avait perdu son accréditation du laboratoire LSJML, qu’il ne témoignerait pas pour celui-ci, mais qu’il pourrait venir témoigner non pas comme expert, mais comme témoin de fait pour l’intimée.
[214] Le requérant a questionné ces annonces et changements de cap. Il a cherché à savoir si le pathologiste B allait ou non témoigner, et à quel titre il le ferait. Il faut comprendre que cette question l’intéresse au plus haut point. Toutefois, les réponses fournies n’ont pas permis d’y répondre de manière satisfaisante.
[215] Pour démêler la confusion persistante, le Tribunal a demandé à l’intimée d’obtenir directement du LSJML des explications, notamment sur les raisons qui expliquent pourquoi le pathologiste B s’est vu retirer son habilitation à témoigner au nom du LSJML et à quel titre il pourrait être appelé à témoigner.
[216] Pour répondre à ces questions, l’intimée a obtenu un avis écrit (courriel) du LSJML. Ce courriel a été communiqué au requérant et au Tribunal. Il émane de la directrice générale du LSJML. Celle-ci y explique les raisons pour lesquelles le pathologiste B a perdu son habilitation[108]. Ce courriel confirme de façon certaine que le pathologiste B ne témoignera pas pour le compte du LSJML au deuxième procès. Cela est maintenant acquis. Par ailleurs, il laisse aussi entendre qu’il lui sera difficile de témoigner au procès même à titre de témoin de fait et cela en raison notamment de ses problèmes de gestion du stress.
[217] Témoignera-t-il à titre indépendant s’il est assigné? La question demeure entière.
[218] Quoi qu’il en soit, à la suite de ce courriel, les parties ont informé le Tribunal que pour les fins de la requête en arrêt des procédures, aucun argument n’allait être tiré de la capacité du pathologiste B à témoigner ou non, mais qu’il était convenu entre elles que le requérant réservait son droit d’invoquer cette question ultérieurement.
[219] Cela laisse présager qu’un autre débat important aura lieu si l’arrêt des procédures n’est pas prononcé. La question risque d’être à nouveau débattue.
*
[220] Pour compléter ce tableau, il convient de mentionner que le 22 décembre 2021[109], l’intimée a divulgué au requérant et informé le Tribunal qu’elle avait obtenu un nouveau rapport d’expertise et que, conformément à sa directive ACC-3, elle demeurait convaincue qu’un jury impartial et bien instruit en droit pourrait déclarer le requérant coupable de l’infraction reprochée. Le 19 janvier 2022, lors d’une séance de gestion[110], l’intimée a réitéré cette information. Toutefois, elle n’a pas remis copie de cette ou ces expertises au Tribunal, quoiqu’elle ait mentionné qu’elle ne s’objecterait pas à ce qu’il puisse en prendre connaissance s’il le souhaitait.
[221] Le Tribunal a refusé de se prêter à un tel exercice. Sa tâche est de décider de la requête en arrêt des procédures sur la base de la preuve que les parties jugent utile de déposer. La décision de présenter cette nouvelle expertise en preuve appartenait aux parties, au premier chef à l’intimée, et non au Tribunal.
[222] Les parties soulèvent un nombre considérable d’arguments.
[223] Pour la bonne compréhension de l’analyse, il importe de les décrire avec détails afin de situer et comprendre le débat qui oppose les parties.
[224] Pour justifier l’imposition du remède draconien et exceptionnel que représente l’arrêt des procédures, le requérant invoque quatre moyens. Il plaide que :
(1) L’État (ici le LSJML et le pathologiste B) a négligé et omis de satisfaire à son obligation de cueillette, de documentation et de conservation de la preuve pertinente. Il ajoute qu’en raison de ces manquements graves, il a été privé d’une défense pleine et entière et d’un premier procès équitable, et qu’il est toujours privé d’une défense pleine et entière et d’un second procès équitable[111].
(2) Parce que son premier procès s’est révélé inéquitable en raison de la faute de l’État, tous les délais encourus depuis son inculpation doivent être calculés de sorte que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte a été violé. Selon lui, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable implique celui d’être jugé au terme d’un procès équitable.
(3) Lors du second procès, l’intimée cherchera à le faire condamner en ayant recours à des thèses nouvelles et à une preuve scientifique entièrement nouvelle. Or, il fait valoir que la doctrine du « double jeopardy » (double péril) interdit une telle démarche[112]. L’intimée ne saurait avoir une deuxième chance de le faire condamner sur la base d’une nouvelle thèse et d’une nouvelle preuve.
(4) L’ensemble des circonstances du dossier rend abusive la tenue d'un nouveau procès au sens de la catégorie résiduelle de l’arrêt Babos[113]. Les facteurs qu’il invoque sont nombreux. Ils touchent à la conduite inacceptable ou biaisée de l’État (celle du LSJML, du pathologiste B et du balisticien Arnet) et à sa situation particulière, comme son âge, sa famille, etc.
[225] Voyons brièvement comment le requérant cherche à appliquer chacun de ces principes juridiques dans le contexte particulier de l’affaire.
[226] Le requérant fait valoir que le pathologiste B a omis sans raison ni justification de noter au rapport d’autopsie la présence des fragments du projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau et de décrire en termes clairs les fractures du crâne discontinues du côté droit[114]. Il lui reproche aussi d’avoir fait preuve de réticence lors de ses témoignages à l’enquête préliminaire et au procès, en gardant le silence sur ces deux éléments, et ce, même s’il savait ou ne pouvait ignorer qu’ils pouvaient expliquer le probable ricochet du projectile, comme les sept experts consultés par le ministre de la Justice l’ont conclu, dont cinq de façon très catégorique[115].
[227] Il reproche aussi au pathologiste B d’avoir omis d’indiquer au rapport d’autopsie et au protocole d’autopsie qu’il avait procédé à des coupes du cerveau et à des prélèvements du cerveau, comme il était requis de le faire. Plus encore, il se plaint du fait que le pathologiste B n’a pas conservé ces coupes du cerveau, ne les a pas documentées et ne les a pas photographiées, et qu’il n’a pas localisé le seul prélèvement du cerveau montrant le passage du projectile. Relativement aux prélèvements inadéquats qui ont été effectués, il pose cette question : pourquoi l’intimée les a-t-elle divulgués quatre ans après le procès[116]?
[228] Le requérant fait valoir qu’en raison de tous ces manquements, il a été privé de renseignements qui auraient pu lui permettre d’envisager dès son premier procès le fait que le projectile a fort probablement ricoché sur la paroi droite du crâne avant de terminer sa course[117]. Il fait aussi valoir que ces manquements ne lui ont pas permis de déceler l’importance et la grande pertinence que revêtait la preuve non conservée et non documentée, à savoir les coupes du cerveau, pour sa défense. Or, souligne-t-il, ce probable ricochet se serait révélé être de première importance pour sa défense dans le contexte où, au procès, le témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau était approximatif, ambigu et équivoque, qu’il a servi d’assise à la thèse des experts en balistique de l’intimée sur le tir à angle excluant la possibilité d’un suicide, et qu’il a constitué la pierre d’achoppement de sa propre thèse du tir perpendiculaire qui n’exclut pas la possibilité du tir auto-infligé, du suicide. Plus important encore, pour justifier le bien-fondé de sa demande en arrêt des procédures, le requérant plaide que les manquements du pathologiste B en lien avec les coupes et les prélèvements du cerveau ont toujours pour effet de violer son droit à une défense pleine et entière en prévision de son deuxième procès. Il fait valoir que sans cette preuve perdue à jamais, non documentée et non photographiée, il n’est plus possible d’identifier objectivement la trajectoire du projectile.
[229] En raison de ces manquements et de la violation persistante qui en découle, il se plaint que son deuxième procès sera tout aussi inéquitable que le premier[118].
[230] Bien qu’il soit maintenant au courant de la présence des fragments du projectile du côté droit du cerveau et des fractures du crâne discontinues du côté droit, et quoiqu’il puisse compter sur l’opinion de sept pathologistes qui estiment que le pathologiste B s’est mépris sur la trajectoire du projectile dans le cerveau, dont cinq favorisent l’hypothèse qu’il a suivi une trajectoire perpendiculaire ou quasi perpendiculaire suivie d’un ricochet du côté droit, le requérant estime être dans une position aussi difficile qu’au premier procès. Lors de son nouveau procès, il fera encore une fois face au témoignage de fait non vérifiable de la seule personne qui a observé le cerveau.
[231] Faute d’avoir en sa possession les coupes du cerveau, ou à tout le moins les photos de celles-ci, le requérant se plaint de devoir continuer à composer avec un flou qui aurait pu être évité si le pathologiste B avait fait son travail selon les règles. Il devra supporter les risques et les aléas découlant des omissions du pathologiste B.
[232] Le requérant se plaint d’avoir à faire face à l’approche du « croyez-moi parce que j’affirme l’avoir vu », une approche médicale qui, bien avant l’autopsie pratiquée sur le corps de Nicole Rainville, avait été écartée en matière d’expertise médicolégale et cela parce qu’elle a donné lieu et risque de donner lieu à des erreurs judiciaires[119].
[233] Le requérant plaide que cette situation est d’autant plus préjudiciable que maintenant, il doit non seulement faire face au témoignage approximatif et incertain du pathologiste B au procès de 2012, mais plus encore, à ses témoignages successifs, fluctuants et contradictoires. Plus précisément, il se plaint du fait qu’au procès, le pathologiste B a admis ne pas avoir vu cette trajectoire au complet, que quatre ans après le procès, dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016[120], il a affirmé l’avoir vue, et que l’année suivante, en juin 2017, cinq ans après le procès, dans sa réponse aux questions du GRCC, il a déclaré l’avoir vue du début à la fin[121].
[234] Il fait valoir qu’un témoignage approximatif, ambigu, fluctuant et contradictoire ne saurait constituer un substitut acceptable à une preuve matérielle que la poursuivante avait l’obligation de recueillir, de conserver et de documenter, surtout si cette preuve pouvait établir de façon certaine un fait déterminant de manière à éviter ce flou.
[235] C’est pourquoi le requérant considère qu’un arrêt des procédures s’impose. Selon lui, aucun autre remède ne saurait évacuer le préjudice qu’il subit.
[236] Relativement au droit d’être jugé dans un délai raisonnable, le requérant n’invoque pas les principes énoncés dans l’arrêt Jordan[122]. Ceux-ci sont, dit-il, inapplicables à son cas, qui se révèle unique et exceptionnel. Il se réfère plutôt aux principes généraux de l’alinéa 11b) de la Charte[123].
[237] Il plaide que le délai de douze ans encouru depuis 2010 est excessif.
[238] Le requérant fait aussi valoir que son premier procès tenu en 2012, parce qu’il a été vicié par la faute de l’État, ne constituait pas un véritable « procès », c’est-à-dire un procès où il pouvait bénéficier d’une défense pleine et entière. Pour cette raison, il plaide que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable au sens de l’alinéa 11b) de la Charte, lequel emporte celui d’être jugé au terme d’un procès juste et équitable, a été violé. Ainsi, tous les délais encourus depuis le premier procès, en incluant ceux écoulés durant les procédures d’appel et l’enquête du ministre de la Justice, seraient encore une fois entièrement imputables à l’État.
[239] Le requérant ajoute que cette violation est aggravée par le fait que durant ce délai de onze ans, il a été détenu pendant neuf ans dans un pénitencier.
[240] À titre de troisième moyen, le requérant invoque la doctrine du double jeopardy. Il plaide que l’intimée ne peut avoir une deuxième chance de le faire condamner en utilisant une nouvelle preuve d’expert et en ajustant sa thèse puisque c’est par sa faute que sa première tentative n’a pas fonctionné.
[241] Bien que cette doctrine s’applique généralement dans les cas où un accusé a été acquitté une première fois, le requérant soutient qu’elle peut aussi être invoquée dans les cas où, comme ici, un premier procès se solde par un verdict de culpabilité, mais que ce verdict est par la suite annulé pour cause d’erreur judiciaire probable.
[242] En dernier lieu, le requérant invoque les règles relatives à la catégorie résiduelle de l’abus de procédure au sens des arrêts O’Connor et Babos[124]. Sous ce volet, le requérant invoque d’abord des facteurs propres à sa situation personnelle, soit : son âge avancé, sa longue détention en vertu d'un verdict pour lequel le ministre s’est dit convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’il y a probablement eu une erreur judiciaire, l’appui des membres de sa famille, la longue période écoulée depuis l’accusation, la partialité de l’expert Arnet et l’incidence qu’elle a eue sur sa demande d’être libéré sous conditions.
[243] En outre, il invoque les manquements graves du pathologistes B à l’autopsie. Il fait valoir que cela l’a privé d’éléments de preuve qui auraient pu lui permettre, dès le premier procès, de questionner la trajectoire du projectile, d’envisager le ricochet probable et de saisir l’importance que revêtait la preuve non conservée, à savoir les coupes du cerveau.
[244] Dans son exposé écrit, pour justifier sa demande fondée sur la catégorie résiduelle de l’abus de procédure, il se réfère à une abondante jurisprudence[125].
[245] La contestation de l’intimée ratisse très large. Elle plaide entre autres choses que la requête en arrêt des procédures serait irrecevable, que les expertises communiquées au ministre de la Justice le seraient tout autant, et que tous les reproches formulés au LSJML et au pathologiste B sont sans aucun fondement.
[246] L’intimée énonce sa position sur les enjeux que soulève la requête en arrêt des procédures sous forme de propositions portant sur le droit et les faits.
[247] En ce qui a trait aux moyens qui visent à remettre en question le droit du requérant de demander l’arrêt des procédures, l’intimée soutient que :
La requête en arrêt des procédures serait irrecevable, le requérant ayant obtenu ce qu’il voulait, un nouveau procès (le requérant voulait un procès, il l’a obtenu et ne serait pas recevable de se plaindre d’avoir à le subir)[126];
La requête en arrêt des procédures constituerait un moyen « déguisé » d’obtenir un verdict d’acquittement[127].
[248] Relativement à la recevabilité des rapports d’expertise communiqués au ministre de la Justice et au rapport du GRCC, elle plaide que :
Ces expertises n’ont pas à être considérées, notamment pour décider de la requête en arrêt des procédures ou inférer que le ministre de la Justice s’est fondé sur celles-ci pour rendre sa décision[128];
Par contre, le rapport du GRCC qui rapporte et apprécie le contenu de la preuve communiquée au ministre de la Justice, dont les expertises que l’intimée juge irrecevables, devrait quant à lui être considéré[129].
[249] En ce qui a trait aux éléments de preuve qui n’ont pas été conservés et documentés, soit les coupes du cerveau, les photographies de ces coupes et les prélèvements du cerveau portant des traces ou des marques du passage du projectile bien localisés, l’intimée soutient qu’ils sont totalement dépourvus de pertinence.
[250] Pour justifier sa position à cet égard, elle avance que : (1) le pathologiste B est un témoin de fait qui affirme avoir vu la trajectoire du projectile et avoir procédé à des coupes du cerveau attestant de la trajectoire qu’il dit avoir identifiée, de sorte que ces éléments de preuve et ces renseignements matériels sont sans pertinence[130]; et (2) la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction de meurtre au premier degré et ne constitue pas davantage une question importante, ajoutant même que le requérant aurait reconnu cette absence d’importance au premier procès en renonçant à invoquer cette preuve par stratégie[131].
[251] Pour ce qui est de la conduite du pathologiste B, l’intimée soutient qu’il n’a fait preuve d’aucune erreur ou négligence, encore moins de négligence inacceptable :
Le pathologiste B a vu la trajectoire du projectile dans le cerveau de sorte qu’il n’avait pas à recueillir, conserver et documenter les coupes du cerveau;
Le seul travail qu’un pathologiste est appelé à accomplir lors d’une autopsie consiste à identifier la cause du décès, en l’espèce une mort par balle[132];
Le pathologiste B n’a commis aucune faute ni manqué à une quelconque norme professionnelle ou déontologique ni transgressé une obligation légale[133];
Le pathologiste B n’était pas tenu d’enquêter pour trouver des éléments disculpatoires, le requérant ne détenant pas un droit à une enquête adéquate[134].
[252] Quant au préjudice que le requérant prétend subir pour son second procès, faute d’avoir les coupes du cerveau et les photos de ces coupes, l’intimée le nie :
La trajectoire du projectile dans le cerveau ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction ni un élément important pour sa défense[135];
Si la trajectoire du projectile dans le cerveau est aussi importante que le requérant le prétend, il sera en mesure de démontrer sa thèse au deuxième procès, étant maintenant dans une situation plus avantageuse qu’au premier procès[136]. Il connaît l’existence des fragments de projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau, des fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête, et il peut compter sur des expertises de pathologistes qui formulent des hypothèses pour appuyer sa position sur le tir perpendiculaire;
Bien que les expertises auxquelles le requérant se réfère n’excluent pas la possibilité du suicide, elles n’excluent également pas la possibilité de l’homicide, de sorte que le jury pourrait le déclarer coupable malgré ces expertises en se référant à l’ensemble de la preuve[137].
[253] En dernier lieu, relativement aux moyens fondés sur la violation de l’alinéa 11b) de la Charte, le double jeopardy et l’abus de droit, l’intimée fait valoir que :
Pour établir si le droit du requérant d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé, le calcul des délais doit être repris à zéro depuis l’ordonnance de nouveau procès du ministre de la Justice[138];
La théorie du double jeopardy ou du double péril ne peut trouver application, d’une part parce que l’ordonnance de nouveau procès ne limite pas son droit de présenter une nouvelle preuve, d’autre part parce que le processus de recherche de vérité l’autorise à explorer de nouvelles thèses[139];
Le requérant n’a démontré aucune situation d’abus ou de conduite répréhensible de l’État[140] au sens de la catégorie résiduelle de l’arrêt Babos.
[254] Tenant compte de la position des parties, les questions auxquelles le Tribunal doit répondre sont, dans l’ordre, celles-ci :
la violation du droit du requérant d’être jugé dans un délai raisonnable?
la théorie du double jeopardy ou du double péril?
la catégorie résiduelle de l’abus de droit en vertu de l’arrêt Babos?
[255] L’intimée soutient que le requérant ne serait pas recevable à demander l’arrêt des procédures et à se plaindre d’avoir à subir un nouveau procès puisque c’est le résultat qu’il recherchait depuis 2012, d’abord devant la Cour d’appel, puis devant le ministre de la Justice.
[256] Elle plaide que le requérant voulait un nouveau procès, qu’il l’a obtenu et qu’il doit maintenant le subir[141].
[257] En somme, ce nouveau procès constituerait la mesure réparatrice à l’égard des violations dont il se plaint.
*
[258] Cette façon de présenter les choses est pour le moins réductrice.
[259] D’abord, il importe de rappeler ce qui a été mentionné précédemment, soit qu’en ordonnant un nouveau procès au motif qu’il est convaincu qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, le ministre de la Justice a accordé l’une des deux seules mesures qu’il pouvait lui-même octroyer.
[260] Même s’il avait été d’avis que l’arrêt des procédures pouvait s’imposer, le ministre n’aurait pu lui-même le prononcer.
[261] Deuxièmement, il faut garder à l’esprit que l’ordonnance de nouveau procès signifie que le déroulement des procédures criminelles entreprises contre le requérant en juin 2010 reprend depuis le début ou presque, et que le verdict de meurtre au premier degré prononcé contre lui est devenu sans effet.
[262] Il l’a été dit. Les compteurs sont remis à zéro.
[263] En prévision de son nouveau procès, le requérant bénéficie de tous les droits et recours qu’il détenait avant son premier procès en 2012.
[264] Troisièmement et plus important encore, si le requérant soutient qu’il n’a pas eu un premier procès équitable en raison du rapport et du protocole d’autopsie incomplets et déficients, il fait surtout valoir que l’absence de coupes du cerveau, des photographies de ces coupes et l’absence de prélèvements du cerveau bien localisés montrant le passage du projectile continuera de violer son droit à une défense pleine et entière au deuxième procès. Il sera toujours privé de ces éléments de preuve que le pathologiste B avait le devoir de recueillir, de documenter et de conserver, et tout cela dans le contexte où ses témoignages sont approximatifs et contradictoires.
[265] En prévision de son nouveau procès, rien n’empêche le requérant de soutenir que les manquements de l’État à son obligation de conservation et de documentation de la preuve font toujours ressentir leurs effets, qu’ils violent son droit à une défense pleine et entière et qu’ils le priveront inexorablement d’un procès équitable.
[266] Le fait qu’il n’ait pas invoqué ces manquements au premier procès ne le prive pas de le faire maintenant, et cela d’autant plus que son inaction au premier procès s’explique par le silence du pathologiste B sur des éléments de preuve qui auraient pu attirer son attention sur la grande importance de la preuve non conservée et non documentée.
[267] Peut-être le requérant a-t-il tort, mais cela ne le prive pas du droit de présenter sa requête en arrêt des procédures et de soutenir que son procès sera inéquitable.
[268] De l’avis du Tribunal, l’argument de l’intimée selon lequel le requérant ne serait pas recevable à demander l’arrêt des procédures est sans fondement.
[269] L’intimée est d’avis qu’au moyen de sa requête, le requérant cherche à obtenir un verdict d’acquittement. Elle lui reproche de demander au Tribunal d’apprécier la preuve, ancienne et nouvelle, pour établir une trajectoire du projectile qui appuie sa thèse sur le tir perpendiculaire n’excluant pas la possibilité du suicide[142].
[270] Elle plaide qu’en ce faisant, le requérant sème la confusion[143].
[271] Est-ce vraiment le cas? Le Tribunal ne le croit pas. La requête en arrêt des procédures ne vise pas à déterminer l’angle du tir ou la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville. Il n’est également pas question d’évaluer l’ensemble de la preuve pour décider si le requérant est coupable ou non.
[272] Pour décider du sort de la requête en arrêt des procédures, le Tribunal doit se garder de fournir une opinion sur ces questions.
[273] Dans le cadre de la requête, il s’agit plutôt de déterminer si, en raison des manquements graves imputés au LSJML et au pathologiste B, le requérant sera privé d’une preuve pertinente, si son droit à une défense pleine et entière a été violé faute d’avoir accès à cette preuve, et si l’équité du nouveau procès est compromise.
[274] Ce moyen est lui aussi sans fondement.
[275] À l’audience et dans sa plaidoirie écrite, l’intimée fait valoir que la requête en arrêt des procédures n’est pas le bon forum pour apprécier le mérite des expertises communiquées au ministre de la Justice. Elle plaide que cette tâche appartient plutôt au jury qui aura à apprécier la preuve au procès :
2. Dans le cadre de la Requête en arrêt des procédures, est-ce que le tribunal doit évaluer les expertises au mérite?
[276] La position de l’intimée en regard de l’admissibilité et de l’utilité de la preuve produite devant le ministre appelle plusieurs commentaires.
[277] D’abord, il paraît utile de rappeler que celui qui invoque une violation d’un droit garanti par la Charte est tenu de prouver cette violation selon la prépondérance des probabilités[144]. Pour ce faire, il est libre de présenter la preuve qu’il estime être utile et pertinente, pour autant qu’elle soit admissible.
[278] Ainsi, dans la mesure où la preuve présentée pour démontrer la violation d’un droit est recevable et pertinente, elle doit être appréciée.
[279] En ce qui a trait plus particulièrement à la recevabilité de la preuve d’expert, il est bien établi qu’elle sera admise si elle répond aux exigences de pertinence, de nécessité, de qualification, et qu’aucune règle particulière ne l’exclut, ce qui serait le cas d’un expert qui témoigne hors de son champ de compétence.
[280] Ces principes ont été énoncés dans l’arrêt R. c. Mohan[145], puis repris dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co.[146].
[281] Ils s’appliquent tant en matière civile que pénale.
[282] Ces principes sont de mise dans le contexte d’une demande présentée en vertu de la Charte.
[283] En l’espèce, pour déterminer la recevabilité des expertises communiquées au ministre de la Justice lors de son enquête, il faut considérer les objectifs que le requérant cherche à atteindre au moyen de cette preuve. Cela permettra de vérifier si les critères de pertinence et de nécessité sont satisfaits[147].
[284] À cet égard, les choses sont on ne peut plus claires.
[285] Au moyen de ces expertises, le requérant veut en premier lieu établir quelles sont les normes auxquelles les pathologistes judiciaires sont assujettis lorsqu’ils pratiquent une autopsie à la suite d’un décès suspect. Cette preuve lui sera utile pour déterminer si le pathologiste B a ou non satisfait à l’obligation de conservation et de documentation de la preuve, et s’il a fait preuve de négligence inacceptable[148]. En deuxième lieu, le requérant invoque ces expertises pour démontrer que la négligence inacceptable du pathologiste B viole son droit à une défense pleine et entière et que cette violation rendra son nouveau procès inéquitable.
[286] De l’avis du Tribunal, lorsque l’on tient compte de l’objectif que le requérant cherche à atteindre, les critères de pertinence et de nécessité sont largement satisfaits.
[287] Quant au critère de qualification, il suffira de mentionner que la majorité des expertises communiquées au ministre de la Justice l’ont été à la demande de ce dernier, sauf deux, qu’elles émanent toutes d’éminents experts reconnus au pays, et enfin, qu’elles ont été produites avec le consentement de l’intimée.
[288] En bref, ces expertises sont admissibles et doivent être appréciées pour trancher les questions que soulève la requête en arrêt des procédures.
[289] Elles portent sur des questions qui sont au cœur du débat.
[290] Évidemment, ces expertises ne sauraient être utilisées pour conclure que la trajectoire du projectile dans le cerveau est celle que la majorité des experts préconisent, plutôt que celle identifiée par le pathologiste B. Si cette question doit un jour être débattue, elle le sera au procès.
[291] Mais ici, tel qu’il l’a été mentionné, ce n’est pas l’objectif que le requérant cherche à atteindre.
Question 4 : Le rapport du GRCC est-il recevable en preuve? Si oui, à quelles fins?
[292] Relativement à cette question, l’intimée adopte une position contradictoire à celle qu’elle fait valoir en lien avec la recevabilité des expertises communiquées au ministre de la Justice. Alors qu’elle soutient que ces expertises ne devraient pas être considérées, elle estime que le rapport du GRCC qui les apprécie serait recevable.
[293] Voici ce qu’elle allègue :
a. Nouvelle preuve d’expert : CCRG 198 et ss.
[…]
[Soulignements du Tribunal]
[294] Tel que mentionné précédemment, les opinions que le GRCC a pu émettre dans son rapport, s’il en est, que ce soit sur la preuve scientifique ou tout autre sujet, ne sauraient lier le Tribunal. Surtout, elles ne le relèvent pas de son devoir d’effectuer sa propre analyse pour décider du sort de la requête en arrêt des procédures. En effet, il serait pour le moins inacceptable que la preuve soit considérée sous le filtre du GRCC. Cet exercice eut-il été fait qu’il aurait fragilisé, voire même sapé et anéanti l’analyse. Pour ces raisons, le Tribunal estime que le rapport du GRCC n’a pas à être considéré pour décider du sort de la requête en arrêt des procédures.
[295] Dans l’arrêt Stinchcombe[149] prononcé en 1991, la Cour suprême a énoncé une règle qui a façonné un pan important du droit criminel canadien. Elle a reconnu que l’accusé avait le droit d’obtenir les fruits de l’enquête policière. Ce droit s’est ainsi matérialisé par la reconnaissance d’une obligation de divulgation de l’État. Les fondements de cette obligation sont d’ordre constitutionnel. En effet, la Cour suprême a reconnu que le droit d’un accusé d’obtenir les fruits de l’enquête policière et l’obligation qui s’impose à l’État de les divulguer constituent l’une des composantes des principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte.
[296] À la suite de l’arrêt Stinchcombe, la Cour suprême s’est penchée à plusieurs reprises sur l’obligation de divulgation qui s’impose à l’État. À ces occasions, la Cour a notamment précisé que cette obligation emportait par nécessité une obligation corollaire, celle de conserver la preuve pertinente recueillie[150].
[297] La Cour suprême a justifié cette obligation ainsi : l’obligation de divulgation serait vide de sens si elle n’incluait pas celle de conserver la preuve pertinente[151].
[298] La décision de principe sur cette obligation de conservation de la preuve pertinente est l’arrêt de la Cour suprême R. c. La[152].
[299] Dans cet arrêt, la Cour suprême identifie dans quelles situations la perte d’une preuve assujettie à l’obligation de divulgation peut constituer une violation de l’article 7 de la Charte. Elle explique qu’il faut distinguer les situations où la perte résulte d’une erreur commise de bonne foi ou de la simple négligence de la poursuivante, de celle qui découle de sa négligence inacceptable. La Cour mentionne que seuls les cas où la perte d’une preuve pertinente résulte de la négligence « inacceptable » de la poursuite violent l’article 7 de la Charte. Elle précise qu’il appartient à la poursuivante de démontrer son absence de négligence inacceptable. Le juge Sopinka écrit[153] :
20 […] malgré tous les efforts que déploie le ministère public pour conserver la preuve, comme l’être humain n’est pas infaillible, il arrive, à l’occasion, que des éléments soient perdus. Le principe établi dans l’arrêt Stinchcombe (no 2), précité, reconnaît ce malheureux état de fait. Si les explications du ministère public convainquent le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable, l’obligation de divulgation n’a pas été violée. Toutefois, si le ministère ne parvient pas à convaincre le juge à cet égard, il manque à ses obligations en matière de divulgation et il y a en conséquence violation de l’art. 7 de la Charte. […]
[300] La Cour explique que pour évaluer la conduite de la poursuivante, il faut déterminer si celle-ci a pris des mesures raisonnables pour conserver la preuve[154] :
21 Pour déterminer si l’explication du ministère public est satisfaisante, la Cour doit analyser les circonstances dans lesquelles la preuve a été perdue. La principale considération est la question de savoir si le ministère public ou la police (selon le cas) a pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour conserver la preuve en vue de sa divulgation. […]
[Soulignements du Tribunal]
[301] Par ailleurs, la Cour souligne que la négligence inacceptable de l’État sera conséquente seulement si la preuve perdue est « pertinente ». Le juge Sopinka écrit[155] :
21 […] Un facteur qui doit être pris en considération est la pertinence qu’on accordait alors à l’élément de preuve en cause. On ne peut attendre de la police qu’elle conserve tout ce qui lui passe entre les mains au cas où cela deviendrait un jour pertinent. En outre, même la perte d’un élément de preuve pertinent ne constituera pas une violation de l’obligation de divulgation si la conduite de la police était raisonnable. […]
[Soulignements du Tribunal]
[302] La Cour mentionne aussi que pour constituer une violation de l’article 7, l’accusé n’est pas tenu de prouver que le manquement à l’obligation constitue un abus[156] :
20 […] Un tel défaut pourrait également indiquer qu’il s’est produit un abus de procédure, mais il s’agit-là d’une toute autre question. L’accusé n’a pas à établir qu’il y a eu abus de procédure pour démontrer que le ministère public ne s’est pas acquitté de l’obligation de divulgation que lui impose l’art. 7.
[…]
23 […] que le défaut de divulguer du ministère public constitue ou non un abus de procédure ou un autre manquement à son obligation de divulgation et, partant, une violation de l’art. 7 de la Charte, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable s’il s’agit d’un des rares cas où cette réparation, dont les critères d’application ont tout récemment été exposés dans O’Connor, précité, peut être accordée. […]
[303] En dernier lieu, la Cour précise que parfois, même si la perte d’une preuve pertinente ne résulte pas d’une négligence inacceptable, il pourra arriver que la preuve perdue soit à ce point préjudiciable au droit d’un accusé de présenter une défense pleine et entière qu’elle portera atteinte à l’équité du procès[157] :
24 L’obligation du ministère public en matière de divulgation de la preuve ne couvre évidemment pas tous les aspects du droit de présenter une défense pleine et entière garanti par l’art. 7 de la Charte. En effet, même lorsque le ministère public s’est acquitté de son obligation en divulguant tous les renseignements pertinents en sa possession et en expliquant les circonstances de la perte de tout élément de preuve, l’accusé jouit toujours du droit que lui garantit l’art. 7 de présenter une défense pleine et entière. Ainsi, il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte d’un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et entière qu’elle porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable. Dans de telles circonstances, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable, pourvu que les critères dont j’ai fait état plus tôt soient respectés.
[Soulignements du Tribunal]
[304] Incidemment, dans l’arrêt Simard c. R.[158] de la Cour d’appel du Québec prononcé 20 ans plus tard, le juge Kasirer rappelle cet enseignement de l’arrêt La :
[68] Je retiens de La et Kociuk l’enseignement suivant : s’il est établi que la perte n’est pas le résultat d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédures, le fardeau revient à l’accusé qui doit démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Comme le juge Doyon l’a écrit récemment dans Cartier : « Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures ». […]
[Référence omise; soulignements du Tribunal]
[305] Il importe par ailleurs de mentionner que les agences étatiques qui participent à une enquête assument envers la poursuivante l’obligation de divulguer et donc celle de conserver et de documenter les renseignements recueillis au cours de l’enquête. Si ces agences perdent ou ne documentent pas les éléments de preuve pertinents recueillis, les conséquences qui en découlent sont imputables à la poursuivante. C’est ce qui explique pourquoi la poursuivante doit veiller à ce que ces agences divulguent tous les renseignements pertinents recueillis, qu’elles les conservent et les documentent adéquatement pour satisfaire à ses obligations[159].
[306] Relativement à l’obligation de conservation, la jurisprudence présente plusieurs cas impliquant des laboratoires de science médicale et judiciaire gouvernementaux[160]. Deux de ces décisions concernent plus particulièrement le LSJML. Il s’agit de Dumont c. R.[161] et de Vachon c. R.[162].
[307] Dans l’arrêt Dumont, la Cour d’appel était appelée à se prononcer sur les conséquences de la perte d’échantillons biologiques par le LSJML, quelques semaines avant la dénonciation. Même si elle a conclu que cette perte n’était pas attribuable directement à la poursuivante, la Cour a considéré qu’elle en était responsable. La Cour a conclu qu’il appartenait à la poursuivante de prendre des mesures « particulières » pour s'assurer de la conservation de la preuve, en prenant soin de rappeler au passage que plus la preuve est importante pour la défense de l’accusé, plus on doit s'attendre à un degré élevé de diligence relativement à sa conservation :
[26] L'appelant demande l'arrêt des procédures au motif que les échantillons biologiques, sur lesquels s'appuient les expertises de l'intimée afin d'établir la cause du décès, sont détruits. Il ne peut donc les utiliser afin de procéder à une contre-expertise. Il allègue que cette situation le prive d'un moyen de défense fondamental.
[27] Dix mois avant le début du procès, soit le 23 mai 2007, l'avocat de l'appelant demande la communication des échantillons biologiques. Le 29 mai 2007, il apprend qu'ils ont été détruits par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de Montréal. La preuve fait voir que la destruction est survenue trois semaines avant la demande de communication, en application d'une directive administrative voulant que les échantillons soient détruits après 18 mois de conservation.
[28] Le droit d'un accusé d'obtenir que lui soit communiqué l'ensemble de la preuve pertinente est un droit constitutionnel (voir Stinchcombe). Il appartient au ministère public de communiquer toute preuve susceptible d'avoir un effet sur la capacité de l'accusé de présenter une défense pleine et entière.
[29] Le corollaire de l'obligation de divulgation est celui de la conservation des éléments de preuve pertinents comme la Cour suprême l'a précisé dans R. c. La. et R. c. Egger.
[30] Lorsque le ministère public n'a plus la preuve dont on lui demande la communication, il a alors l'obligation d'expliquer de façon satisfaisante les raisons pour lesquelles celle-ci n'est pas disponible.
[31] Pour apprécier les explications du ministère public, le juge doit considérer les circonstances de la perte et se demander si toutes les mesures nécessaires, afin de la conserver, ont été prises. Plus la preuve est importante, plus on doit s'attendre à un degré élevé de diligence relativement à sa conservation. Je précise que l'obligation de conservation vise autant les agences impliquées dans l'enquête de police que le ministère public.
[32] Ici, il ne fait aucun doute que le ministère public a manqué à son obligation de conservation. En effet, il n'a pris aucune mesure particulière pour s'assurer de la conservation, jusqu'au procès, des échantillons sanguins prélevés sur Nadia Caron, un élément de preuve de première importance.
[33] L'appelant a donc raison de soutenir que ses droits constitutionnels ont été violés. Il n'est toutefois pas nécessaire d'étudier la question de la réparation puisque je suis d'avis qu'il y a lieu d'acquitter l'appelant pour les motifs qui suivent.
[Références omises; soulignements du Tribunal]
[308] Dans le jugement Vachon c. R., la poursuivante faisait valoir qu'elle n'était pas elle-même en possession de la documentation que l’accusé cherchait à obtenir. Elle plaidait que le LSJML devait être considéré comme une tierce partie non assujettie à l’obligation de divulgation. La Cour supérieure a écarté ces arguments. Elle rappelle que lorsque le LSJML est sollicité par la police pour effectuer des analyses sur des pièces à conviction, la poursuivante a l'obligation de communiquer à l’accusé tous les tests et toutes les « analyses effectuées » ainsi que la « documentation créée » pour faire ces analyses et ces tests. Voici ce que le juge Brunton écrit :
[11] L'intimée plaide qu'elle n'est pas en possession de la documentation demandée car le LSJML est une institution indépendante et doit être considérée comme une tierce partie. […].
[12] Avec égard, la Cour ne peut pas adopter la position avancée par l'intimée.
[13] […] La Cour est d'avis que lorsqu'une tierce entité est engagée ou sollicitée par la police pour effectuer des tests ou analyses sur des pièces à conviction et que le poursuivant décide de produire le résultat de ceux-ci pour l'aider à obtenir une condamnation, et la police et le poursuivant ont l'obligation qui découle de l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 S.C.R. 326, de communiquer toute documentation créée par la tierce entité en effectuant ces tests ou analyses. L'obligation prend naissance dans la demande initiale de la police qui est adressée à la tierce entité. Cette demande témoigne de l'espoir qu'a la police que le résultat des tests ou analyses créera un nouvel élément de preuve inculpatoire. […].
*
[309] En ce qui a trait maintenant à l’obligation de documenter la preuve pertinente recueillie lors de l’enquête policière, elle a été principalement abordée dans des cas où un accusé s’est plaint du fait que les policiers avaient omis de prendre des notes en lien avec une enquête ou qu’ils l’avaient fait de façon inadéquate[163].
[310] Toutefois, la jurisprudence traitant de cette obligation n’est pas abondante[164].
[311] Dans l’arrêt Wood c. Schaeffer, la Cour suprême a elle-même constaté voire déploré cette situation, tout en précisant que cette obligation est reconnue[165] :
[63] Bien qu’il soit acquis aux débats que, dans le cadre de ses fonctions, l’agent est notamment tenu de prendre des notes au sujet des faits survenus au cours de sa période de service, je constate qu’aucune des parties ne renvoie à un extrait décisif d’un arrêt de la Cour en ce sens.
[64] Des juristes chevronnés se sont toutefois prononcés en faveur de l’existence de cette obligation. […]
[66] Ces conclusions reposent selon moi sur des assises solides. L’importance que revêtent les notes prises par les policiers aux yeux du système de justice pénale est évidente. Pour reprendre les propos de M. Martin au sujet des notes bien rédigées :
[traduction] Les notes de l’enquêteur constituent souvent la toute première source d’éléments de preuve concernant la perpétration d’un crime. Leur teneur se rapproche possiblement le plus de ce que le témoin a effectivement vu ou vécu. Comme elles représentent le premier constat dressé, elles sont susceptibles d’être le compte rendu le plus fidèle. [p. 152]
[67] Compte tenu de ce qui précède, c’est sans grande difficulté que je conclus que les policiers ont l’obligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après l’enquête. M’inspirant des propos formulés par M. Martin, j’estime que l’obligation de rédiger des notes constitue, à tout le moins, un aspect implicite de l’obligation qu’a tout agent de police de faciliter le dépôt d’accusations et le déroulement des poursuites, une obligation qui est d’ailleurs expressément prévue à l’al. 42(1)e) de la Loi.
[Soulignements du Tribunal]
[312] Or, cette obligation de documenter ou de noter la preuve recueillie ne s’impose pas seulement qu’aux policiers. Elle s’applique avec autant sinon plus d’importance aux laboratoires de sciences judiciaires qui collaborent à l’enquête et sont chargés d’effectuer des autopsies, des tests et des analyses. En effet, les laboratoires qui participent à une enquête policière, comme ce fut le cas ici du LSJML, assument non seulement l’obligation de fournir à la poursuivante tous les renseignements pertinents qu’ils colligent, qui sont en leur possession et se rapportent à la poursuite, mais aussi celle de documenter afin que leurs travaux puissent être révisés[166].
[313] Cette obligation de documentation qui s’impose aux laboratoires de science médicale et judiciaire a été abordée dans trois enquêtes publiques déclenchées à la suite de condamnations considérées injustifiées[167], soit la Commission Kaufman, la Commission MacCallum et la Commission Goudge. Dans le contexte de la présente affaire, la Commission Goudge s’avère particulièrement instructive puisqu’elle a été créée dans la foulée du scandale impliquant le pathologiste ontarien Charles Smith. Cette Commission a permis de mettre en évidence l’importance que revêt l’obligation de conserver et de documenter la preuve recueillie à l’occasion d’une autopsie.
[314] Rappelons le contexte qui a mené à la création de cette Commission.
[315] Au cours des années 1990 et 2000, le Dr Smith exerçait sa profession de pathologiste en milieu pédiatrique. Le pathologiste Smith jouissait d’une bonne réputation auprès de ses pairs. Toutefois, au fil des années, son travail à titre d’expert à la Cour a fait l’objet de certaines critiques de la part de juges. Aussi, en 2005, pour maintenir la confiance du public dans le système, le coroner en chef de l’Ontario a demandé que son travail effectué dans 45 dossiers soit révisé par cinq de ses pairs, des pathologistes reconnus. Le résultat de ce travail de révision s’est avéré accablant. Il a révélé que dans de nombreux cas, le pathologiste Smith avait commis de graves erreurs qui avaient mené à des accusations et des condamnations injustifiées, ce qui avait eu pour conséquence de ruiner des vies[168]. Il en est résulté un véritable scandale qui a fait du bruit à travers le pays. Face à cette situation injustifiable, le Gouvernement de l’Ontario a créé la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario. Il a désigné le juge Stephen T. Goudge de la Cour d’appel de l’Ontario pour agir à titre de commissaire. Le Gouvernement a demandé à la Commission de procéder à un examen et à une évaluation systémiques sur les politiques, les méthodes, les pratiques, les mécanismes de responsabilisation et de surveillance, les mesures de contrôle de la qualité et les aspects institutionnels de la médecine légale pédiatrique en Ontario de 1981 à 2001 en ce qui concerne son exercice et son rôle dans les enquêtes et dans les instances criminelles[169]. Il a aussi demandé au commissaire Goudge de formuler des recommandations visant à rétablir et à rehausser la confiance du public envers la médecine légale pédiatrique en Ontario et son rôle futur dans les enquêtes et dans les instances criminelles.
[316] Dans son rapport du 30 septembre 2008[170], le commissaire Goudge formule une série de recommandations visant à éviter que le travail des pathologistes soit source d’erreurs judiciaires. Plusieurs de ces recommandations portent sur la documentation du travail effectué par un pathologiste lors d’une autopsie dans un contexte de mort suspecte. La recommandation 77, à laquelle l’expert neuropathologiste Ramsay se réfère dans son expertise du 31 juillet 2019[171] paraît très pertinente en regard de la présente affaire. Elle traite plus particulièrement des standards que les pathologistes devraient appliquer lors d’une autopsie pour conserver et documenter leur travail[172] :
a) Les autopsies ne devraient normalement pas faire l’objet d’enregistrements visuels ou sonores. Cependant, ce qui se passe au cours de l‘autopsie devrait être parfaitement transparent et susceptible d’être soumis à un examen indépendant. Par conséquent, on devrait consigner avec soin qui fait quoi au cours de l’autopsie. Cette documentation comprend un ensemble rigoureux de photographies et de notes prises au fur et à mesure par le personnel de soutien et le médecin légiste.
b) Les pratiques exemplaires exigent aussi la conservation appropriée, le rangement et la transmission des organes, des tissus, des échantillons et des pièces à conviction conformément aux lignes directrices du coroner en chef de l’Ontario en matière d’autopsie et aux politiques en vigueur dans les hôpitaux où l’on pratique des autopsies.
c) Conformément aux lignes directrices actuelles du Bureau du coroner en chef de l’Ontario, les éléments conservés pour analyse et destinés à un examen indépendant devraient être méticuleusement documentés. [voir page 430]
[Soulignements du Tribunal]
[317] Relativement à ces recommandations, l’auteur Gary Botting, dans l’ouvrage Wrongful Conviction in Canadian Law[173], rappelle que le devoir de documenter l’autopsie avait déjà été reconnu, d’abord par la Commission Kaufman sur l’affaire Guy Paul Morin, et par la Commission MacCallum sur l’affaire Milgaard[174] :
Rationale: Pathologists generally agreed that autopsies should not be taped, as doing so would inhibit the free exchange of ideas and later might give too much credence to tentative thoughts expressed in the course of the autopsy. Recording everything of significance at an autopsy, by taking notes and photographs will promote sufficient transparency and enable review. In Valin’s case, Dr. Smith’s failure to record, preserve and store autopsy materials frustrated reviewability. Adhesion to new OCCO and hospital autopsy guidelines will obviate such incompetence.
Cross-Reference: Recommendation 7 of the Morin Inquiry would require written documentation in the form of forensic reports. Recommendation 8 of the Milgaard Inquiry urged preservation of forensic exhibits and samples for 10 years.
[Soulignements du Tribunal]
[318] L’auteur Glenn R. Anderson mentionne que les recommandations du rapport Goudge sur l’importance de documenter la preuve recueillie par les experts dans les dossiers criminels sont non seulement utiles pour permettre la bonne compréhension de leurs rapports, d’apprécier leur valeur probante, mais aussi leur recevabilité[175] :
14.71 […] In the Inquiry into Pediatric Forensic Pathology, Commissioner Goudge recommends a code of conduct for experts in criminal proceedings. He also recommends that opinions and reports contain sufficient information to enable meaningful evaluation and that they be clear, transparent and draw attention to limits of expertise and science. Requiring such information should increase understanding, and accordingly, assist evaluations of admissibility and ultimate weight.
[Références omises; soulignements du Tribunal]
[319] Quant au juge Paciocco, de la Cour d’appel de l’Ontario, il explique que le rapport Goudge est venu confirmer ce que le pathologiste en chef de l’Ontario, le Dr Pollanen, avait exprimé devant la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Truscott, soit que l’approche du « crois-moi » avait laissé place à l’approche fondée sur l’épreuve des faits[176] :
During his testimony offered in the Ontario Court of Appeal review of the conviction of Stephen Truscott, Dr. Pollanen, chief forensic pathologist for Ontario, described how the approach to forensic and other branches of medicine has shifted in the last ten years. “Traditionally expert opinions were largely based on authoritative experience and anecdotal case report,” he said. Now an “evidence-based approach” is expected. “This approach requires a critical analysis of peer-reviewed literature and attention to primary reviewable evidence from the post-mortem examination.” 50 In effect, the “trust me” approach, once typical in Canadian courts, has been replaced by a “persuade me” standard. One of the most important offerings of the Goudge Report is that it crafts preferred practices suitable to the kind of persuade-me approach that all jurists must bring to the evaluation and presentation of expert evidence.
[Références omises; soulignements du Tribunal]
[320] Dans l’arrêt Truscott auquel le juge Paccioco se réfère, la Cour d’appel de l’Ontario résume le témoignage du Dr Pollanen sur ce changement d’approche[177] :
[167] Dr. Michael Pollanen is the Chief Forensic Pathologist for Ontario. He is also an Associate Professor of Pathology at the University of Toronto and a consulting forensic pathologist at the Ontario Pediatric Forensic Pathology Unit. He has published over fifty papers in the medical literature, and is a member of the U.K. Royal College of Pathologists.
[…]
[169] In his report and in his testimony before us, Dr. Pollanen described a shift in approach in forensic medicine and in other branches of medicine more generally. Traditionally, expert opinions were largely based on authoritative experience and anecdotal case reports. In the past few decades, and particularly in the last ten years, an alternative model has developed called the “evidence-based approach”. This approach requires a critical analysis of peer-reviewed literature and attention to primary reviewable evidence from the postmortem examination.
[321] Le juge Paciocco décrit cette approche[178] :
An “evidence-based approach” can be synthesized into four predicates:
(1) the theory or technique used by the expert must be reliable, and so too must the use of that theory or technique by the expert;
(2) the expert must not be biased (the expert must “keep an open mind to a broad menu of possibilities”)
(3) the expert must be objective and complete in collecting evidence, must reject information that is not germane to the theory or technique being used, and must be transparent about all the information and influences they have been exposed to; and
(4) the expert must clearly express not only the opinion, but also the complete reasoning process that led to it, and must be candid about the shortcomings of the theory or technique and the opinion reached, offering fair guidance on the level of confidence that can be placed in the opinion expressed.
[Références omises; soulignements du Tribunal]
[322] En somme, il est acquis depuis plusieurs années, et cela bien avant l’autopsie pratiquée par le pathologiste B sur le corps de Nicole Rainville, que dans le contexte d’une mort suspecte faisant l’objet d’une enquête criminelle, l’autopsie doit être effectuée avec minutie et documentée avec rigueur. Tout ce qui est observé lors d’une telle autopsie doit être recueilli, conservé, documenté et photographié afin d’être objectivement révisable par des pairs pathologistes. Comme la recommandation 77b) du rapport Goudge le mentionne, cette obligation de conservation et de documentation vise les prélèvements d’organes, de tissus et d’échantillons recueillis à l’autopsie.
[323] Une telle façon de procéder doit permettre au pathologiste d’éviter l’un des pièges identifiés par l’auteur Gary Botting[179] :
Unreliable forensic expert testimony is an insidious form of pseudoscience delivered to appease the Crown and can easily sway a jury against the accused. Since it is opinion evidence that the defence must rebut with its own experts, this form of testimony naturally imports a subjective component to any trial that is difficult to rebut. In criminal trials, expert testimony leading to wrongful conviction comes in three main forms:
[…]
[…]
*
[324] Reste maintenant à identifier le processus d’analyse qui doit être suivi pour déterminer si la preuve perdue ou non conservée emporte une violation de l’article 7 de la Charte.
[325] Pour se décharger de son fardeau de démontrer que la poursuivante a manqué à son obligation de conservation et de documentation et que cela le prive d’une défense pleine et entière, le requérant doit d’abord établir que la preuve perdue, non conservée et non documentée a déjà été disponible et, le cas échéant, qu’elle renferme des renseignements pertinents pour sa défense. Ce fardeau de démonstration n’est pas exigeant[180]. En effet, il suffit au requérant de démontrer qu’en raison de la perte ou de l’absence de documentation de la preuve, il existe une possibilité réaliste d’une atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière.
[326] Une fois ces éléments établis, il revient à la poursuivante de prouver que la preuve perdue, non conservée et non documentée est dépourvue de toute pertinence. À défaut de prouver cette absence de pertinence, la poursuivante doit alors démontrer que son manquement ne résulte pas de sa négligence inacceptable[181].
[327] Si la poursuite ne parvient pas à se décharger de ce fardeau, il faut alors conclure à une violation de l’article 7 de la Charte[182].
[328] Se référant à l’arrêt R. c. La, précité, et aux arrêts Cartier c. R.[183] et R. c. Fournier[184] de la Cour d’appel, Hughes Parent, dans son Traité de droit criminel, résume les étapes de l’analyse[185] :
91. […] Quant à la perte ou à la destruction par inadvertance des documents faisant l’objet de l’obligation de divulgation, comme le ministère public est tenu de conserver tous les fruits de l’enquête, il doit justifier la non-divulgation des renseignements pertinents. Sur ce point, la Cour d’appel est catégorique : « Il suffit à l‘accusé d’établir la possibilité réaliste d’une atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière pour donner ouverture au droit de demander un remède approprié en vertu de l’article 24(1) de la Charte. Une fois cette preuve faite, il incombe à la Couronne d’établir soit l’absence totale de pertinence de la preuve matérielle détruite ou perdue, soit l’absence d’une négligence grossière ou inacceptable ». L’absence totale de pertinence de la preuve matérielle détruite ou perdue, tout d’abord, puisqu’une preuve qui n’est pas pertinente n’a pas à être divulguée. Quant à la preuve jugée utile pour la défense, le ministère public doit « convaincre le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable. » […]
92. Lorsque les explications du ministère public ne convainquent pas le juge du procès que « la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite de négligence inacceptable », l’obligation de divulgation n’a pas été respectée et il y a violation de l’article 7 de la Charte.
[Références omises; soulignements du Tribunal]
[329] Comme le souligne Parent, plus les éléments de preuve sont pertinents pour la défense de l’accusé, plus l’État doit être diligent dans leur conservation[186], et plus la valeur probante et la fiabilité de la preuve détruite ou perdue est élevée, plus grand sera le préjudice causé à l’accusé par sa perte[187].
[330] Évidemment, l’analyse portant sur la pertinence de la preuve non conservée et non documentée ainsi que celle relative à la conduite de l’État est contextuelle.
*
[331] Pour conclure cette section portant sur les principes applicables, en tenant compte des particularités de la présente affaire, il paraît utile de les synthétiser en s’inspirant de la nomenclature faite par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’arrêt R. v. F.C.B.[188] :
(ii) Application des principes
La première étape
[332] À la première étape du processus d’analyse, il faut d’abord se demander si le requérant a établi que les éléments de preuve non conservés et non documentés qu’il se plaint de ne pas pouvoir consulter pour préparer sa défense étaient disponibles et qu’ils pouvaient et devaient être recueillis, conservés et documentés.
[333] Si l’on conclut que le requérant a établi que ces éléments de preuve étaient disponibles et qu’ils n’ont pas été recueillis, conservés et documentés, il faut alors se demander si leur indisponibilité fait en sorte qu’il existe une possibilité réaliste d’atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière.
[334] Comme le mentionne le juge Sopinka dans l’arrêt Carosella, le fardeau de preuve qui repose sur les épaules du requérant à cette première étape est peu élevé[190].
[335] S’en est-il déchargé? Le Tribunal le croit.
[336] Voici pourquoi.
[337] D’abord, il ne fait aucun doute que les éléments de preuve que le requérant n’est pas en mesure de consulter pour préparer sa défense (les coupes du cerveau, les photographies de ces coupes et les prélèvements du cerveau localisés portant des traces du passage du projectile) étaient disponibles à l’autopsie. Dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016[191], le pathologiste B le reconnaît. Il y déclare avoir procédé à des coupes du cerveau et avoir prélevé des tissus du cerveau[192]. Non seulement est-il prouvé que cette preuve matérielle était disponible et pouvait et aurait dû être recueillie, conservée et documentée, mais cela est admis.
[338] Par ailleurs, il n’est pas contesté que les coupes du cerveau qui auraient été effectuées n’ont pas été conservées et documentées. Quant aux prélèvements du cerveau effectués mais dont l’existence n’a été dévoilée qu’en 2016, un seul porte une marque du passage du projectile et celui-ci n’a pas été localisé, de sorte qu’il n’est d’aucune utilité.
[339] Ce qui nous amène à la question de savoir si l’absence de ces éléments de preuve et de ces renseignements présente une possibilité réaliste d’atteinte au droit du requérant de présenter une défense pleine et entière. Cette question ne soulève aucune difficulté. La preuve établit qu’il existe une telle possibilité réaliste d’atteinte.
[340] Les sept pathologistes qui ont transmis une opinion écrite au ministre de la Justice le confirment. Tous sont d’avis que les coupes du cerveau auraient dû être conservées ou à tout le moins photographiées[193]. Tous sont aussi d’avis que si elles l’avaient été, cela aurait permis d’identifier de façon certaine la trajectoire du projectile dans le cerveau. Également, le pathologiste Milroy et le neuropathologiste Ramsay expliquent que si des prélèvements du cerveau portant la trace du passage du projectile le long de sa trajectoire avaient été faits, cela se serait avéré utile. Bien localisés, ces prélèvements auraient aussi aidé à établir cette trajectoire[194].
[341] L’intimée n’a aucunement cherché à contredire l’opinion de ces experts sur ces questions qui sont au cœur du débat soulevé par la requête en arrêt des procédures.
[342] Mais il y a plus. La possibilité réaliste d’atteinte au droit du requérant de présenter une défense pleine et entière à son nouveau procès ne se limite pas qu’à cela. Elle se justifie aussi par les témoignages successifs du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau, lesquels se sont d’abord révélés approximatifs et équivoques, puis fluctuants et contradictoires. Tenant compte de cette situation, il paraît évident que les éléments de preuve non recueillis, non conservés et non documentés se seraient avérés très utiles. Ils auraient permis de clarifier le témoignage du pathologiste B sur l’importante question de la trajectoire du projectile dans le cerveau.
La deuxième étape
[343] À la deuxième étape, il s’agit de déterminer si l’intimée s’est déchargée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que : (1) les éléments de preuve et les renseignements non documentés, non conservés et non recueillis à l’autopsie, en l’occurrence les coupes du cerveau, les photographies de ces coupes et les prélèvements du cerveau bien localisés montrant des traces du passage du projectile, sont dépourvus de toute pertinence pour la défense du requérant au nouveau procès; et (2) l’absence de conservation et de documentation comme minimalement des photographies des coupes du cerveau ne découle pas de la négligence inacceptable du pathologiste B.
[344] Analysons chacun de ces éléments de façon distincte.
1. La pertinence de la preuve matérielle non conservée et non documentée
[345] L’intimée soutient que les éléments de preuve non conservés et non documentés sont totalement dépourvus de pertinence. Elle avance plusieurs propositions.
[346] Plusieurs d’entre elles découlent du fait que le pathologiste B aurait vu la trajectoire du projectile de sorte que la preuve matérielle n’apporterait rien de plus :
À l’enquête préliminaire, au procès, dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016 et dans ses réponses écrites au GRCC, le pathologiste B déclare avoir identifié la trajectoire du projectile;
Au procès et dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016, le pathologiste B déclare avoir procédé à des coupes du cerveau et que ces coupes confirment la trajectoire qu’il a identifiée.
[347] Ces propositions font écho à l’approche qui prévalait autrefois, celle du « parce que je déclare l’avoir vu ou conclu, il faut me croire ».
[348] En somme, le Dr Bourgeault est un témoin de fait. Il faut le croire sur parole. Il n’était pas tenu de recueillir, de conserver et de documenter les éléments de preuve matérielle qui pouvaient corroborer ses observations et ses conclusions parce qu’il ne peut s’être mépris. En prime, il ne peut être contredit.
[349] Dans son plan de plaidoirie, l’intimée le mentionne à plusieurs reprises :
91. Bourgault : Témoin de fait. La preuve apportée par Bourgault concernant la trajectoire de la balle, preuve étant fondée de ses observations directes du cerveau lors de l’autopsie, constitue sur ce sujet une preuve de fait, et non une preuve d’expert (à tout moment, avant, pendant ou après le procès) : […]
108. Trajectoire de la balle. Bien que Bourgault n’a pas pris de photos spécifiques du cerveau quant à une trajectoire de la balle, il identifie clairement la trajectoire de la balle, selon ce qui est possible de faire […]
109. Témoignage de Bourgault – Valeur probante. Dans l’appréciation de la preuve de fait, l’élément de preuve avec la plus haute valeur probante demeurera toujours le témoignage de Bourgault : il fût un témoin de fait de l’autopsie et de la recherche de la trajectoire de la balle […]
[350] Relativement à l’impossibilité de contredire le pathologiste B, elle écrit :
109. Témoin de fait. De plus, Bourgault est un témoin de fait quant à ses observations personnelles faites lors de l’autopsie.
a. Ses objections concernant la trajectoire du projectile (de l’avant vers l’arrière) ont été établies à titre de conclusion de faits lors du procès. Ces faits n’ont pas été mis en doute par aucune preuve.
b. Ses observations factuelles ont même été corroborées par des éléments matériels de preuve (ei : les radiographies démontrant les emplacements des fragments selon le sens de la trajectoire) ;
c. Les experts de l’accusé peuvent bien émettre les opinions qu’ils veulent quant à la trajectoire de la balle ; n’en reste que Bourgault a vu des éléments matériels de preuve directs, qu’il a livré un témoignage crédible à cet effet et qu’il n’a pas été remis en doute.
[Reproduction textuelle; soulignements du Tribunal]
[351] Le Tribunal n’accorde guère de mérite à ces arguments.
[352] En effet, la pertinence de ces éléments de preuve et renseignements matériels s’explique de plusieurs façons.
[353] D’abord, elle se justifie à l’aune des témoignages successifs du pathologiste B sur la question de la trajectoire du projectile dans le cerveau. En effet, en raison de leur caractère approximatif et contradictoire, ces témoignages ont participé à créer un flou déplorable sur une question déterminante.
[354] Voici un exemple du flou qui découle des témoignages successifs du pathologiste B sur la « déterminante » question de la trajectoire du projectile.
[355] À l’enquête préliminaire et au procès en 2012, le pathologiste B a témoigné que malgré les coupes du cerveau qu’il dit avoir effectuées, il n’a pas suivi exactement la trajectoire du projectile en raison des tissus du cerveau, mais qu’au début il voyait que ça allait vers l’arrière. Or, dans sa déclaration sous serment du 29 septembre 2016, il déclare avoir vu cette trajectoire, et dans ses réponses aux questions du GRCC en 2017, il affirme avoir vu la trajectoire du début à la fin. Qu’est-ce qui est exact? Les réponses données à l’enquête préliminaire et au procès, ou celles qui figurent dans sa déclaration sous serment et les réponses données au GRCC?
[356] Nul doute possible. Pour faire la lumière sur les ambiguïtés, les approximations, et même les contradictions du pathologiste B, les coupes du cerveau, les photographies de ces coupes et les prélèvements du cerveau bien localisés qui montrent le passage du projectile se seraient avérés très pertinents pour la défense du requérant.
[357] Par ailleurs, la grande pertinence de ces éléments de preuve et de ces renseignements matériels est aussi démontrée par les experts pathologistes et l’expert neuropathologiste consultés par le ministre de la Justice. Non seulement ces experts sont-ils tous d’avis que les coupes du cerveau et les prélèvements du cerveau localisés montrant des traces du passage du projectile devaient être conservés, documentés et photographiés, mais encore, tous se montrent catégoriques, ces éléments de preuve auraient permis d’identifier de façon certaine la trajectoire du projectile dans le cerveau. Leurs conclusions ne sont d’ailleurs aucunement remises en question.
*
[358] Toujours dans le but de nier la pertinence des éléments de preuve, l’intimée avance un autre argument. Elle plaide que la trajectoire du projectile dans le cerveau ne constitue pas une question essentielle à l’infraction de meurtre au premier degré. Elle minimise également l’importance de la trajectoire du projectile dans le cerveau :
113. Éléments essentiels de l’infraction de meurtre. Contrairement aux par. 34, 100 et 101 de la requête de l’accusé, la trajectoire de la balle n’est pas un élément essentiel de l’infraction de meurtre au 1er degré :
a. L’un des éléments essentiels pertinents à la présente question est : l’usage de la force causant la mort.
Une fois qu’il est démontré que la force ayant causé la mort est, dans les faits, un projectile ayant pénétré dans le cerveau de la victime, la preuve de la trajectoire subséquente de celle-ci n’était pas essentielle à la démonstration de cet élément de l’infraction
b. La poursuite n’avait donc aucune obligation de constituer une preuve plus détaillée sur la trajectoire de la balle que celle qui tendait à prouver l’élément essentiel de l’infraction.
[…]
134. Maître de sa preuve. Au premier procès, le choix de la poursuite de discuter ou non d’éléments qui ne constituaient pas un élément essentiel d’une infraction ne constitue en rien un abus. Telle sera la même situation au second procès;
[Soulignements du Tribunal]
[359] Cet argument est lui aussi sans fondement. Il restreint et contredit la position adoptée par l’intimée dans le dossier jusqu’à ce jour.
[360] Que ce soit à l’enquête préliminaire en 2011, au premier procès en 2012, dans ses représentations devant la Cour d’appel, à l’audition de la demande en libération sous conditions présentée en 2016 ou lors de l’audition portant sur la demande en arrêt des procédures sous étude, l’intimée a toujours défendu la thèse du tir à angle qui excluait la possibilité d’un suicide en se fondant sur la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B[195]. Incidemment, à plusieurs endroits dans son plan de plaidoirie, l’intimée invoque une pléiade d’arguments pour supporter la description du pathologiste B relativement à la trajectoire du projectile.
[361] Cela ressort de son plan de plaidoirie :
133. Angle du tir. L’une des questions principales du premier procès était l’angle du tir :
a. la question de la trajectoire de la balle était suffisamment connexe pour que la partie qui désire l’exploitée puisse le faire;
b. ne pas le faire revient d’un choix stratégique.
[Soulignements du Tribunal]
[362] Plus encore, l’argument minimisant l’importance de la trajectoire du projectile dans le cerveau s’inscrit en faux contre la directive du juge du procès, où il explique que la preuve balistique de l’intimée visant à exclure la possibilité du tir auto-infligé sur la base du tir à angle fondé sur cette trajectoire, était déterminante[196] :
[…] avant d'accepter l'opinion des experts de la Couronne sur cet élément essentiel, à savoir s'agit-il d'un tir auto-infligé ou s'agit-il d'un tir infligé par une autre personne, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que les experts de la poursuite ont raison. Si vous n'êtes pas certains qu'ils ont raison, la Couronne n'a pas réussi alors à prouver hors de tout doute raisonnable l'élément essentiel de l'infraction reprochée et vous devriez en pareil cas prononcer un verdict d'acquittement. […]
[Soulignements et caractères gras du Tribunal]
[363] Cet argument ignore également l’arrêt de la Cour d’appel qui, relativement à l’angle du tir à 30 degrés excluant la possibilité du suicide, qualifie cette question de déterminante, en prenant soin de préciser qu’elle était fondée sur la description la trajectoire du projectile dans le cerveau par le pathologiste B[197] :
[149] La question de l'angle du tir était déterminante. […]
[150] L'opinion de la poursuite sur l'angle de tir était préconisée par le pathologiste, le Dr Bourgault, puis reprise par les experts Gravel et Desmarais. Elle repose sur l'identification de la trajectoire du projectile dans la tête de Mme Rainville, projectile retrouvé par le Dr Bourgault dans la partie postérieure droite de son crâne. […]
[Soulignements du Tribunal]
*
[364] Toujours dans le but de défendre l’idée que la trajectoire du projectile dans le cerveau ne serait pas importante et que les éléments de preuve matérielle non conservés et non documentés seraient inutiles pour identifier la trajectoire, l’intimée avance même que le requérant l’aurait lui aussi reconnu lors du premier procès.
[365] L’intimée suppose qu’il connaissait l’existence des fragments du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête, mais qu’il n’aurait pas exploité ces faits pour des raisons stratégiques. Elle infère cette connaissance et cette stratégie de questions posées au pathologiste B lors du procès.
[366] Comme les précédents, cet argument est sans fondement.
[367] Rien de ce qui se trouve au dossier ne permet d’inférer que le requérant connaissait l’existence de ces fragments et de ces fractures du crâne discontinues. Pour ce qui est des stratégies qui sont imputées au requérant, il ne s’agit que de supputations et d’extrapolations non supportées par la preuve.
[368] Il vaut ici de rappeler qu’au soutien de sa requête en arrêt des procédures, le requérant a produit une déclaration sous serment où il déclare que toutes les allégations qui y sont contenues sont vraies. Cela inclut bien entendu celles où il allègue que l’existence des fragments de projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête ont été découvertes « providentiellement », grâce au travail effectué par le pathologiste Shkrum pour les besoin de l’émission The Fifth Estate[198]. Or, l’intimée n’a pas fait la preuve que cette affirmation était mensongère. Elle est donc avérée et probante.
[369] Incidemment, comme le requérant le mentionne dans sa requête en arrêt des procédures, le silence du pathologiste B sur la présence des fragments de projectile du côté droit du cerveau et les fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête explique pourquoi il n’a pu déceler le ricochet probable et par voie de conséquence, l’importance que pouvaient revêtir les coupes et les prélèvements du cerveau alors que rien ne permettait de savoir qu’ils avaient été faits. À cet égard, la requête en arrêt des procédures du requérant, laquelle est appuyée de sa déclaration sous serment, faut-il le rappeler, renferme des allégations spécifiques sur cette question :
104. Tel qu’il est, le rapport grossièrement insuffisant R-2 du pathologiste Bourgault a empêché la défense d’explorer la thèse du ricochet, qui n’a été découverte que providentiellement et après le procès par le pathologiste Shkrum ;
105. Le Dr Bourgault, lors de son témoignage au procès au mois de mai 2012, a d’ailleurs expressément exclu la possibilité d’un ricochet en l’espèce (notes du 15.5.2012, p.89, pièce R-27) ;
*
[370] Tout ceci pour conclure que la position de l’intimée sur l’absence totale de pertinence de la preuve non conservée et non documentée est sans fondement.
[371] Au contraire, les coupes du cerveau, si elles ont véritablement été faites, et la documentation de ces coupes au moyen de photographies, de même que les prélèvements du cerveau montrant des traces du passage du projectile, auraient revêtu une grande importance pour la défense du requérant à son deuxième procès.
[372] En effet, tenant compte de la preuve déposée par les parties pour le débat de la requête sous étude, il est clair que l’angle du tir demeure une question importante.
[373] L’absence de ces éléments de preuve et de ces renseignements matériels affectera la défense du requérant au second procès.
2. La négligence inacceptable du pathologiste B
[374] Comme elle l’a plaidé pour la question de la pertinence, l’intimée réitère que le pathologiste B n’était pas tenu de conserver, de documenter et de photographier les coupes du cerveau. Elle estime que cette mesure n’était pas requise puisque le pathologiste affirme avoir vu la trajectoire du projectile.
[375] Pour les motifs précédemment énoncés, aux paragraphes [345] à [373] du jugement, le Tribunal n’accorde aucune valeur probante à cet argument.
[376] Toujours dans le but de démontrer que le pathologiste B n’a pas fait preuve de négligence inacceptable en omettant de conserver, de documenter et de photographier les coupes du cerveau et de recueillir des tissus du cerveau portant des marques du passage du projectile en les localisant, l’intimée plaide que : (1) le travail du pathologiste B ne consistait qu’à identifier la cause du décès de Nicole Rainville; (2) le pathologiste B n’a commis aucune faute professionnelle; et (3) il n’a manqué à aucune obligation légale. Dans son plan de plaidoirie, elle expose sa position ainsi :
104. Rôle du pathologiste. Le rôle du pathologiste est rechercher et d’identifier la cause du décès.
a. « Le pathologiste judiciaire détermine la cause du décès » [Témoignage de Bourgault, 14 mai 2012, page 123, ligne 17].
b. À noter : Bourgault témoigne pratiquer plus de 200 autopsies par années pour un total d’environ 4 500 à 5 000 autopsies en carrière [Témoignage de Bourgault, 14 mai 2012, page 134, ligne 24].
c. L’ensemble des actions prises par le Dr Bourgault lors de son autopsie le sont donc afin d’accomplir son mandat.
d. L’accusé reproche au pathologiste de ne pas avoir pris des actions alors qu’elles n’étaient pas reliées à l’exécution de son mandat, telle la détermination de la trajectoire du projectile ou du ricochet. Tels n’étaient pas les objectifs de l’autopsie.
e. Le rôle du pathologiste n’est pas de conduire une autopsie à l’entière satisfaction de l’accusé en prévision d’éventuels moyens de défense hypothétiques.
f. De plus, afin d’évaluer si le Dr Bourgault a commis une faute quelconque, il faut se replacer au moment de l’exécution de l’autopsie. Celui-ci ne pouvait pas savoir que la question de la trajectoire du projectile deviendrait une question en litige lors du procès trois ans plus tard.
105. Aucune faute professionnelle. Avec la preuve au soutien de sa requête, l’accusé ne démontre pas que Bourgault a commis une faute professionnelle ou déontologique dans la conduite de son autopsie.
106. Aucune faute à une obligation juridique. Avec la preuve au soutien de sa requête, l’accusé ne démontre pas que Bourgault a transgressé une obligation juridique ou légale dans la conduite de son autopsie.
107. Validation par les pairs. Le travail de Bourgault a de plus été validé par ses pairs : la Dre Caroline Tanguay [Pièce I7-3]. Elle conclut que :
a. « La cause de la mort peut être révisée de façon indépendante ? Oui. »
b. « En accord avec la cause de la mort ? Oui. »
c. « En accord avec les autres opinions médico-légales? Oui. »
[…]
110. Photos de la trajectoire. Le fait de ne pas avoir pris de photo de la trajectoire de la balle soutenant une hypothèse soulevée par l’accusé dans le cadre d’une défense n’est aucunement une faute ; et encore moins une faute de l’ordre de l’abus commandant un arrêt des procédures.
a. Il vaut de rappeler que le rôle du pathologiste consiste à identifier la cause du décès. À cet égard, le pathologiste prend des photographies ou des radiographies, « lorsque jugé nécessaire » [Notes sténographiques du 14 mai 2012, p. 141.].
b. C’est ce qui a été fait ici, afin de localiser le projectile dans le crâne.
111. Lames histologiques. Bourgault a de plus fait le travail de suivre le projectile en faisant des coupes histologiques du cerveau :
a. Il est erroné de prétendre le contraire. Bourgault, alors contre-interrogé au procès, a clairement dit qui a suivi le projectile afin de « connaître sa trajectoire exacte » [question de Me Larochelle] en pratiquant les coupes du cerveau ou autrement. La tentative de Me Larochelle de mise en contradiction avec un témoignage antérieur sur ce sujet a d’ailleurs échoué lorsque le témoin confirma :
« Oui, on l’a fait ce travail-là, monsieur le juge. » [15 mai 2012, pages 84-85]
112. Tracé. L’allégation que Bourgault a simplement tracé une ligne entre le point d’entrée et la balle afin de déterminer la trajectoire est une interprétation simpliste et inexacte du travail effectué.
[Reproduction textuelle]
[377] De plus, l’intimée fait valoir que la preuve déposée au soutien de la requête en arrêt des procédures, dont les sept expertises en pathologie communiquées au ministre de la Justice, ne démontre pas que le pathologiste B aurait fait preuve de négligence inacceptable lors de l’autopsie pratiquée sur le corps de Nicole Rainville.
[378] Qu’en est-il?
[379] D’abord, en ce qui a trait aux propositions de l’intimée voulant que le travail d’un pathologiste à une autopsie ne consiste qu’à identifier la cause du décès, elles n’ont aucune valeur probante. L’intimée n’a présenté aucune preuve pour le soutenir, si ce n’est cette courte référence au témoignage du pathologiste B au procès[199] :
R. […]
À partir de ces constatations-là, le pathologiste judiciaire détermine la cause du décès.
[…]
[380] Or, cet extrait du témoignage du pathologiste B est incomplet. L’intimée omet de référer le Tribunal aux passages qui précèdent et suivent cet extrait, où il mentionne[200] :
R. En fait, un pathologiste judiciaire, Monsieur le juge, c’est un médecin qui a une spécialisation en pathologie et plus particulièrement en pathologiste judiciaire. Le travail de pathologiste judiciaire consiste à faire l’autopsie de gens qui sont décès dans diverses circonstances de mort naturelle, de suicide, d’accident ou d’homicide, ça consiste donc à faire l’autopsie qui comprend l’examen externe du corps, où on examine l’extérieur du corps pour y relever les principales lésions, qu’elles soient naturelles ou traumatiques, ça consiste par la suite à faire l’examen interne du corps, là aussi pour y relever les principales lésions, qu’elles soient naturelles ou traumatiques.
À partir de ces constatations-là, le pathologiste judiciaire détermine la cause du décès.
En plus, en cours d’autopsie, on peut faire des prélèvements ou d’autres examens, que ce soit des examens radiologiques ou des prélèvements de sang, d’urine, pompe gastrique, par exemple, pour des expertises complémentaires, comme recherche d’alcool, l’analyse toxicologique, analyse en biologie et ainsi de suite.
[Soulignements du Tribunal]
[381] Relativement à l’argument voulant que le pathologiste B n’ait commis aucune faute professionnelle, l’intimée se réfère une fois de plus au témoignage du pathologiste B au procès. Dans le contexte où son travail est au cœur du débat, il est difficile d’accorder une valeur probante à son témoignage, où il s’auto-justifie.
[382] Quant à l’argument voulant que le pathologiste B n’a manqué à une quelconque obligation légale ou norme juridique, l’on ignore sur quoi l’intimée se fonde pour faire de telles affirmations et propositions. En effet, l’intimée n’a administré aucune preuve pour démontrer le fondement de sa position à cet égard.
*
[383] Cela étant, il paraît utile de rappeler qu’à la deuxième étape de l’analyse, le fardeau de prouver l’absence de négligence inacceptable de l’État repose sur les épaules de la poursuivante et non sur celles de l’accusé. Cela semble avoir été évacué du débat. Or, l’intimée ne pouvait ignorer que la question de la « négligence inacceptable de l’État », plus précisément celle du LSJML et du pathologiste B, était au cœur du débat. Elle devait savoir qu’en l’espèce, c’est elle et non le requérant qui devait prouver et convaincre qu’il y a eu absence de négligence inacceptable de l’État. Cette nuance est de première importance.
[384] Relativement à cette question, le Tribunal s’est référé aux arrêts de principes et à l’auteur Parent. Pour y ajouter, référons-nous ici à Vauclair et Desjardins[201] :
21.63 L’accusé n’a pas à prouver que la perte ou la destruction d’un élément de preuve pertinent[202] a porté atteinte à son droit à une défense pleine et entière ; une possibilité réaliste suffit[203]. Il revient ensuite au poursuivant d’établir que la preuve n’était pas pertinente[204]. Par contre, il ne sera pas suffisant que la défense soit simplement rendue plus difficile s’il existe toujours des éléments qui permettent de l’avancer[205]. L’accusé échouera également à démontrer un impact sur son droit à une défense pleine et entière si les critères d’admissibilité des éléments de preuve indisponibles ne paraissent pas satisfaits[206]. Le cas échéant, il appartient à la poursuite d’établir l’absence de pertinence ou de préjudice[207] ou encore le fait que la perte de l’élément de preuve ne découle pas d’une conduite inacceptable[208].
[Références dans l’original; soulignements du Tribunal]
[385] Tout ceci pour dire et conclure que l’intimée n’a pas satisfait à son fardeau de preuve pour démontrer l’absence de négligence inacceptable du pathologiste B.
[386] Non seulement l’intimée n’a pas démontré l’absence de négligence inacceptable du pathologiste B, mais encore, la preuve produite par le requérant démontre le contraire.
[387] En effet, les expertises des pathologistes et du neuropathologiste communiquées au ministre, lesquelles expertises ont été produites avec le consentement de l’intimée et n’ont jamais été remises en question par celle-ci, démontrent de façon nettement prépondérante que le pathologiste B n’a pas fait preuve de diligence à l’autopsie. En omettant de conserver, de documenter et de photographier les coupes du cerveau qu’il affirme avoir effectuées, et en négligeant de prélever et de localiser des coupes du cerveau montrant le passage du projectile, il a fait preuve d’une grave négligence.
[388] Le pathologiste B n’était pas sans ignorer et ne pouvait ignorer que la trajectoire du projectile dans le cerveau était de première importance et qu’elle allait probablement constituer la pierre d’assise de la thèse du tir à angle de 30 degrés excluant la possibilité du suicide. Les policiers et le balisticien du LSJML présents à l’autopsie évoquaient déjà cette possibilité. Cela aurait dû résonner à son esprit. Il devait savoir que son travail visant à identifier cette trajectoire était assujetti à un très haut degré de diligence. Il savait ou devait savoir que les coupes du cerveau devaient être conservées ou à défaut, à tout le moins, documentées et photographiées.
[389] À cet égard, tous les experts consultés par le ministre de la Justice déplorent le fait qu’il a omis de conserver les coupes du cerveau qu’il affirme avoir effectuées, de les documenter et de les photographier. Les deux spécialistes qui ont eu accès aux prélèvements du cerveau, soit le pathologiste Milroy et le neuropathologiste Ramsay, ont conclu qu’ils étaient inutiles puisqu’un seul portait des traces du passage du projectile et qu’il n’était pas localisé. Tous s’expliquent très mal les omissions du pathologiste B relativement à la documentation de son travail à l’autopsie, notamment par la prise de photographies des coupes du cerveau qui auraient été effectuées et de l’intérieur du crâne. Tous estiment que ces démarches s’imposaient dans le contexte. Tous conviennent que cette preuve, si elle avait été conservée et documentée comme elle se devait de l’être, aurait permis d’identifier de façon certaine la trajectoire du projectile dans le cerveau. Tous sont aussi d’avis qu’en l’absence de ces éléments de preuve, il n’est plus possible d’identifier la trajectoire du projectile et de vérifier l’identification qu’en fait le pathologiste B. Enfin, tous sont d’avis que la trajectoire du projectile dans le cerveau ne serait pas celle décrite par le pathologiste B.
[390] Vu l’importance que cette preuve matérielle allait revêtir, sa conservation et sa documentation étaient assujetties à un haut degré de diligence de la part du LSJML.
[391] Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt La, pour déterminer si l’explication de la poursuivante est satisfaisante, le principal facteur à considérer est celui de la pertinence de la preuve. Plus la preuve perdue et non documentée est pertinente, plus le degré de diligence attendu de l’État est élevé :
21 Pour déterminer si l’explication du ministère public est satisfaisante, la Cour doit analyser les circonstances dans lesquelles la preuve a été perdue. La principale considération est la question de savoir si le ministère public ou la police (selon le cas) a pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour conserver la preuve en vue de sa divulgation. Un facteur qui doit être pris en considération est la pertinence qu’on accordait alors à l’élément de preuve en cause. […] plus la pertinence d’un élément de preuve est grande, plus le degré de diligence attendu des policiers pour conserver cette preuve est élevé.
[Soulignements du Tribunal]
[392] La jurisprudence canadienne récente l’a aussi mis en pratique. Dans tous les cas, l’exercice a consisté à soupeser l’importance de la preuve perdue.
[393] Dans l’arrêt R. v. Laing[209], la Cour d’appel de l’Ontario le rappelle. Pour déterminer si l’État a pris les mesures raisonnables et jauger le degré de négligence, il faut considérer la pertinence que revêtait la preuve perdue au moment de la perte. À ce sujet, le juge Huscroft écrit :
[37] The most important consideration is whether the police took reasonable steps to preserve the DVD for disclosure. In determining this, the relevance that the DVD was perceived to have at the time must be considered. The police are not held to a standard of perfection in their duty to preserve evidence. Justice Sopinka specifically acknowledged that evidence will occasionally be lost by the police. He was prepared to countenance even the loss of relevant evidence so long as the conduct of the police was reasonable, but the degree of care expected of the police increases with along with the relevance of the evidence: La, at paras. 20-21.
[38] All of this is to say that every case is unique and must be considered in light of its own circumstances
[394] Dans l’arrêt R. v. Hersi[210], la Cour d’appel de l’Ontario réitère que l’aspect le plus important à considérer pour apprécier le degré de négligence demeure la pertinence de la preuve perdue. La Cour prend soin de préciser que la pertinence ne doit pas s’évaluer à l’aune de ce que la poursuivante considère être pertinent. Le juge Doherty écrit :
[30] The phrase “unacceptable negligence” suggests conduct which is more than merely negligent. However, my review of the cases indicates that the reasonableness of the police conduct resulting in the loss or destruction of the evidence is a touchstone of the inquiry. The more obvious the importance of the evidence, the higher will be the degree of care expected of reasonable police officers: La, at para. 21.
[…]
[32] […] It is, however, no part of the police function when considering whether material should be preserved for disclosure purposes to assess the potential significance beyond a consideration of relevance in the broadest sense. In my view, it is unacceptable that, almost 30 years after Stinchcombe, the UC could operate under the belief that he need save only relevant material that he viewed as significant.
[395] Plus récemment, dans l’arrêt R. v. K.D.S.[211], la Cour d’appel de la Saskatchewan réitère ces principes et enseignements de l’arrêt La. La juge Jackson écrit ceci :
[85] To determine whether the Crown has satisfactorily explained its failure to preserve evidence, Sopinka J. indicated that a court should “analyse the circumstances surrounding the loss of evidence. The main consideration is whether the Crown or the police (as the case may be) took reasonable steps in the circumstances to preserve the evidence for disclosure” (emphasis added, at para 21). Significantly, he further wrote that “as the relevance of the evidence increases, so does the degree of care for its preservation that is expected of the police”.
[Soulignements dans l’original]
[396] Dans l’arrêt R. c. Fournier, la Cour d’appel du Québec confirme que l’évaluation du degré de négligence est hautement contextuel[212].
[397] Ainsi, il ne paraît pas conforme à ces enseignements de conclure que l’appréciation de la conduite doive se faire uniquement en fonction de normes légales ou juridiques comme le soutient l’intimée. De telles normes, si elles existent, peuvent bien sûr constituer un facteur[213]. Mais elles ne constituent pas le facteur le plus important. Pour apprécier la négligence de l’État, la « pertinence » de la preuve non conservée et non documentée pour la défense demeure l’étalon de mesure à prioriser. Plus cette preuve est pertinente et importante pour la défense de l’accusé, plus importantes sont les obligations de cueillette, de conservation et de documentation de l’État.
*
[398] Cela étant, il convient d’ajouter que même si l’intimée avait été en mesure de démontrer qu’en l’espèce, le défaut de conservation et de documentation de la preuve ne résultait pas de la négligence inacceptable de l’État, le Tribunal aurait tout de même conclu que le droit du requérant à présenter une défense pleine et entière est violé.
[399] Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt La, l’obligation de la poursuivante en matière de divulgation, de conservation et de documentation de la preuve ne couvre pas tous les aspects du droit de présenter une défense pleine et entière garanti par l’article 7 de la Charte[214]. Même dans les cas où la perte d’une preuve pertinente n’est pas attribuable à la négligence inacceptable de la poursuivante, il peut arriver que la preuve non conservée soit à ce point importante pour la défense de l’accusé que son droit à une défense pleine et entière s’en trouve violé et que l’équité du procès en est affectée[215]. Le juge Sopinka écrit ceci :
24 L’obligation du ministère public en matière de divulgation de la preuve ne couvre évidemment pas tous les aspects du droit de présenter une défense pleine et entière garanti par l’art. 7 de la Charte. En effet, même lorsque le ministère public s’est acquitté de son obligation en divulguant tous les renseignements pertinents en sa possession et en expliquant les circonstances de la perte de tout élément de preuve, l’accusé jouit toujours du droit que lui garantit l’art. 7 de présenter une défense pleine et entière. Ainsi, il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte d’un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et entière qu’elle porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable. Dans de telles circonstances, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable, pourvu que les critères dont j’ai fait état plus tôt soient respectés.
[400] Dans les arrêts Cartier et Simard, précités, la Cour d’appel a rappelé cet enseignement important :
[81] Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures. […][216]
[401] Or, ce principe trouve application en l’espèce. Que l’on soit d’avis que l’absence de conservation et de documentation des coupes du cerveau ou encore, que l’absence de prélèvements du cerveau bien localisés montrant le passage du projectile découlent ou non de la négligence inacceptable de l’intimée, cela n’y change rien.
[402] La non-disponibilité de ces éléments de preuve est à ce point dommageable que le droit du requérant de présenter une défense pleine et entière s’en trouve violé.
[403] Au deuxième procès, pour défendre la thèse du tir perpendiculaire qui n’exclut pas la possibilité du suicide, le requérant sera confronté à peu de choses près aux mêmes difficultés qu’à son procès en 2012. Il fera encore une fois face au témoignage du pathologiste B sur la trajectoire du projectile dans le cerveau, la pierre d’achoppement de sa thèse et la pierre d’assise de la thèse opposée sur le tir à angle excluant la possibilité du suicide. Il sera encore une fois confronté au témoignage de la seule personne qui a pu observer et manipuler le cerveau, un témoin de fait qui sera difficile à contredire malgré ses témoignages successifs ambigus et fluctuants.
[404] Ainsi, bien qu’il connaisse maintenant la présence des fragments du projectile du côté droit du cerveau et l’existence des fractures du crâne discontinues du côté droit, et malgré le fait qu’il compte sur l’opinion d’éminents experts, le requérant sera toujours confronté au seul témoignage du pathologiste B.
[405] Force est donc de conclure qu’il en subit un préjudice sérieux, que son droit à une défense pleine et entière est violé et que l’équité du procès en est affectée.
[406] Reste maintenant à déterminer si le préjudice découlant de cette violation peut encore être corrigé, ou s’il nécessite le remède draconien de l’arrêt des procédures.
[407] Le test visant à déterminer si l’arrêt des procédures constitue un remède approprié pour sanctionner une violation ou une atteinte à un droit garanti par la Charte a d’abord été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. O’Connor[217]. Vingt ans plus tard, dans l’arrêt R. c. Babos[218], la Cour suprême l’a réitéré et précisé.
[408] Arrêtons-nous à l’arrêt Babos.
[409] Dans cet arrêt, la Cour suprême rappelle d’abord que l’arrêt des procédures est un remède draconien et qu’il ne peut être prononcé que dans les « cas les plus manifestes »[219]. Elle précise que ces cas les plus manifestes se regroupent en deux catégories, celle qui concerne les cas où la conduite de l’État compromet l’équité du procès, généralement en raison d’une violation d’un droit protégé par la Charte, soit la catégorie principale, et celle qui a trait aux cas où la conduite de l’État ne présente aucune menace pour l’équité du procès, mais risque de miner l’intégrité du processus judiciaire, soit la catégorie résiduelle. À ce sujet, le juge Moldaver écrit ceci :
[31] […] Ces cas entrent généralement dans deux catégories : (1) ceux où la conduite de l’État compromet l’équité du procès de l’accusé (la catégorie « principale »); (2) ceux où la conduite de l’État ne présente aucune menace pour l’équité du procès, mais risque de miner l’intégrité du processus judiciaire (la catégorie « résiduelle ») (O’Connor, par. 73). […]
[410] Relativement au test qui doit être appliqué, le juge Moldaver précise qu’il est le même pour les deux catégories :
[32] Le test servant à déterminer si l’arrêt des procédures se justifie est le même pour les deux catégories et comporte trois exigences :
(1) Il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice qui « sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue » (Regan, par. 54);
(2) Il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte;
(3) S’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et « l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond », d’autre part (ibid., par. 57).
[33] Le test est le même pour les deux catégories parce que les problèmes touchant l’équité du procès et ceux touchant l’intégrité du système de justice sont souvent liés et se posent couramment dans la même affaire. Le recours à un seul test pour les deux catégories crée un cadre cohérent qui permet d’éviter une « dichotomie » inutile dans le droit (O’Connor, par. 71). […]
[411] Cependant, la Cour ajoute que ce test s’appliquera souvent de façon différente selon qu’il s’agisse de la catégorie principale ou de la catégorie résiduelle. Le juge Moldaver écrit :
[33] […] Cela dit, bien que le cadre d’analyse soit le même pour les deux catégories, le test pourra s’appliquer — et s’appliquera souvent — différemment, selon qu’on invoque la catégorie « principale » ou la catégorie « résiduelle ».
[412] Lorsqu’il s’agit d’un cas relevant de la catégorie principale, soit le cas qui nous occupe ici, la Cour explique qu’à la première étape, il faut déterminer s’il y eu atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable et dans l’affirmative, si cette atteinte sera perpétuée par le déroulement du procès, si rien n’est fait. Le juge Moldaver écrit :
[34] Passons d’abord à la première étape du test. Lorsqu’on invoque la catégorie principale, la question est celle de savoir s’il y a eu atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable et si cette atteinte sera perpétuée par le déroulement du procès; autrement dit, il faut chercher à savoir s’il y a une injustice persistante envers l’accusé.
[413] Il mentionne qu’à la deuxième étape, il faut déterminer si une réparation moins drastique que l’arrêt des procédures serait susceptible de corriger l’atteinte :
[39] À la deuxième étape du test, il s’agit de déterminer si une autre réparation, moindre que l’arrêt des procédures, permettrait de corriger le préjudice. Différentes réparations peuvent être accordées, selon que le préjudice touche le droit de l’accusé à un procès équitable (la catégorie principale) ou l’intégrité du système de justice (la catégorie résiduelle). Quand c’est l’équité du procès qui est en cause, l’objectif est de rétablir le droit de l’accusé à un procès équitable. En l’espèce, les réparations procédurales, comme la tenue d’un nouveau procès, ont plus de chance de corriger le préjudice causé par une injustice persistante. […]
[414] Quant à la troisième étape du test, laquelle consiste à mettre en balance les intérêts militant en faveur de l’arrêt des procédures et l’intérêt de la société de voir un jugement définitif rendu sur le fond, la Cour rappelle qu’il s’applique seulement s’il subsiste une incertitude à l’issue des deux premières étapes. Le juge Moldaver écrit :
[40] Enfin, la mise en balance des intérêts effectuée à la troisième étape du test revêt une importance accrue lorsque la catégorie résiduelle est invoquée. La Cour a indiqué que la mise en balance n’est nécessaire que s’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premiers volets du test (Tobiass, par. 92). […]
[415] Toutefois, il ajoute et précise que pour les « cas les plus manifestes » de la catégorie principale, cette troisième étape de mise en balance ajoute souvent peu de choses à l’analyse et cela pour la simple et bonne raison que la société n’a aucun intérêt à ce qu’un procès inéquitable soit tenu :
[40] […] Dans ces « cas les plus manifestes », la troisième et dernière étape, la mise en balance, ajoute souvent peu de choses à l’analyse, parce que la société n’a aucun intérêt dans la tenue de procès inéquitables.
[416] Incidemment, la jurisprudence renferme quelques situations où l’arrêt des procédures s’est avéré être le seul remède possible dans le contexte spécifique d’une preuve perdue ou détruite à la suite d’une négligence inacceptable de la poursuivante. Ces cas portent sur une preuve qui se serait avérée utile pour attaquer la crédibilité d’un témoin de la poursuite[220], sur l’impossibilité de procéder à l’examen d’une pièce à conviction[221], sur les notes d’un policier qui n’ont pas été conservées[222], ou encore sur le caractère irréparable du préjudice résultant de la perte d’une pièce hautement pertinente, préjudice qu’un nouveau procès ne pouvait à lui seul corriger[223].
[417] L’examen de ces jugements montre que la décision de prononcer ou non l’arrêt des procédures relève d’une analyse contextuelle, au cas par cas.
*
[418] En résumé, dans le contexte particulier d’une violation du droit de l’accusé à une défense pleine et entière protégé par l’article 7 de la Charte qui résulte d’un manquement à l’obligation de conservation et de documentation de la preuve, l’application du test O’Connor/Babos implique ceci :
[419] Gardant à l’esprit ces principes, il y a maintenant lieu de déterminer si, en l’espèce, seul l’arrêt des procédures peut remédier au préjudice du requérant.
(ii) Application du test
[420] Le Tribunal a déjà conclu qu’en omettant de recueillir, de conserver, de documenter et de photographier les coupes du cerveau, et en négligeant d’effectuer des prélèvements du cerveau bien localisés qui portent les traces du passage du projectile, l’État (le LSJML et le pathologiste B) a manqué à son obligation de conservation et de documentation de la preuve. Il a aussi conclu que ces manquements privent le requérant d’une preuve hautement pertinente en prévision de son second procès et qu’ils résultent de la négligence inacceptable de l’État, de sorte que son droit à une défense pleine et entière protégé en vertu de l’article 7 de la Charte est violé.
[421] Il s’agit maintenant d’appliquer le test en trois étapes de O’Connor/Babos.
[422] Pour ce faire, il faut en premier lieu décider si l’atteinte au droit du requérant à un procès équitable sera perpétuée ou aggravée par le déroulement du procès. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si la violation de son droit à une défense pleine et entière compromet irrémédiablement ou définitivement l’équité du procès.
[423] De l’avis du Tribunal, il est indéniable que l’absence des coupes du cerveau, ou à tout le moins des photographies de ces coupes, ainsi que l’absence de prélèvements du cerveau bien localisés qui portent des traces du passage du projectile, causent un grave préjudice au requérant en ce qu’elles le privent d’une preuve hautement pertinente.
[424] En effet, faute de ces éléments de preuve hautement pertinents, le requérant ne sera pas en mesure de vérifier le témoignage du pathologiste B sur la déterminante et importante question de la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, laquelle constitue non seulement l’assise de la thèse de l’intimée sur le tir à angle excluant le tir auto-infligé, mais surtout la pierre d’achoppement de sa propre thèse du tir perpendiculaire à 90 degrés qui n’exclut pas la possibilité du tir auto-infligé, du suicide. Le requérant devra composer avec la description qu’en fait le pathologiste B, la seule personne à avoir eu le bénéfice d’observer et de manipuler le cerveau.
[425] Le requérant estime qu’il est impossible de pallier au préjudice découlant de la violation de manière à ce que le nouveau procès soit juste et équitable.
[426] Il soutient que l’expectative de subir un deuxième procès équitable serait inexistante. Le préjudice qui découle des manquements de l’État à son obligation de conservation et de documentation de la preuve serait irréparable. Aucun remède moins drastique ne saurait sauver l’équité du procès, la preuve étant perdue à jamais.
[427] Le Tribunal est lui aussi de cet avis.
[428] Aucune directive ne pourra remédier à l’absence de ces éléments de preuve matérielle qui auraient dû et pu être facilement recueillis, conservés et documentés.
[429] Incidemment, il est notable que l’intimée ne suggère elle-même aucun remède moindre, si ce n’est qu’elle avance que le requérant pourra interroger le pathologiste B pour faire ressortir les écarts et les ambiguïtés de ses témoignages successifs. Or, il ne s’agit pas là d’un remède à proprement parler. Le contre-interrogatoire du pathologiste B ne pourra pas clarifier le flou qu’il a contribué à créer par sa négligence inacceptable. Comme le signale la Cour d’appel dans les arrêts Cartier c. R.[224] et R. c. Duguay[225], une telle réparation est peu utile puisque le droit de contre-interroger est acquis. De plus, le contre-interrogatoire en tant que remède est souvent illusoire. Le juge Doyon écrit :
[90] Le juge recherche donc un remède qui soit juste et opte pour un contre-interrogatoire portant sur les circonstances de la disparition de la preuve. Comme le plaide l’appelant, cette réparation est toutefois de peu d’utilité, puisqu’un tel contre-interrogatoire est de toute façon permis. De plus, la Cour a souligné le caractère illusoire d’un tel remède dans R. c. Duguay, 2009 QCCA 1130, paragr. 260.
[430] Dans l’arrêt R. c. Duguay, auquel se réfère le juge Doyon, la Cour a reconnu qu’un contre-interrogatoire « standard » ne peut être qualifié de remède :
[259] […] En l'espèce, il était inutile, comme l'a fait le juge de première instance, d'accorder à l'appelant un contre‑interrogatoire que l'on peut qualifier de « standard » comme remède, puisque son droit à une défense pleine et entière lui conférait déjà ce droit.
[260] Quant au droit de contre‑interroger, c'est à juste titre que l'appelant qualifie ce remède d'illusoire, puisqu'il n'a aucun impact concret. En conséquence, il faut conclure que le juge de première instance n'a accordé aucun remède immédiat à M. Fortin, malgré sa conclusion que son droit à une défense pleine et entière avait été violé.
[431] Ainsi, en l’absence des éléments de preuve que le pathologiste B avait le devoir de conserver, rien ni personne ne pourra démontrer la trajectoire de façon certaine.
[432] En somme, par sa propre négligence inacceptable, le pathologiste B s’est placé à l’abri de tout questionnement. Sur la question déterminante de l’angle du tir et de la trajectoire du projectile dans le cerveau, le jury sera confronté à son témoignage de fait voulant qu’il ait vu cette trajectoire et aux hypothèses des experts pathologistes.
[433] Cette situation est grave et conséquente.
[434] Le requérant sera toujours confronté au fait que le pathologiste B est la seule personne qui a pu observer le cerveau. Pis encore, lors de son nouveau procès, il sera confronté au fait que le pathologiste B affirme maintenant avoir vu la trajectoire du projectile dans le cerveau du début à la fin. Bien que les sept pathologistes consultés par le ministre de la Justice considèrent qu’il est hautement probable qu’il se soit mépris, et que cinq d’entre eux affirment que la trajectoire était probablement perpendiculaire suivie d’un ricochet, il lui sera impossible d’aller au-delà de ces hypothèses, faute par le pathologiste B d’avoir recueilli, conservé et documenté la preuve.
[435] Le requérant et ses experts seront confrontés à l’approche du « crois-moi parce que j’affirme l’avoir vu », une approche pourtant écartée depuis longtemps.
[436] D’ailleurs, l’intimée ne cache pas sa position. Les experts pourront bien avancer les hypothèses qu’ils voudront, rien n’y fera. Le pathologiste B a vu, il faut le croire :
109. Témoin de fait. De plus, Bourgault est un témoin de fait quant à ses observations personnelles faites lors de l’autopsie.
[…]
c. Les experts de l’accusé peuvent bien émettre les opinions qu’ils veulent quant à la trajectoire de la balle ; n’en reste que Bourgault a vu des éléments matériels de preuve directs, qu’il a livré un témoignage crédible à cet effet et qu’il n’a pas été remis en doute.
[437] L’arrêt de la Cour d’appel prononcé le 29 mai 2013 illustre aussi l’obstacle quasi insurmontable que revêt cette approche du « crois-moi parce que j’affirme l’avoir vu » :
[152] À l'issue des représentations de la défense, nous sommes d'avis qu'il n'était pas déraisonnable pour le jury de retenir la trajectoire identifiée par le Dr Bourgault, et donc l'hypothèse du tir à angle. D'une part, le jury pouvait raisonnablement se fier à l'opinion du Dr Bourgault, fondée sur l'observation directe du cerveau de Mme Rainville, qu'il a été le seul à manipuler. D'autre part, adopter l'hypothèse du tir perpendiculaire nécessitait de croire en la possibilité d'une déviation significative du projectile dans le cerveau, prémisse rejetée par un expert en balistique, M. Gravel, et vigoureusement contestée lors du contre-interrogatoire de M. Swistounoff.
[Soulignements du Tribunal]
[438] L’approche du « crois-moi parce que j’affirme l’avoir vu » est lourde de conséquences. Si le pathologiste B s’est mépris sur la trajectoire du projectile dans le cerveau comme le croient les sept pathologistes consultés par le ministre de la Justice, les conséquences de cette méprise probable pourraient être très préjudiciables.
[439] Cela fait en sorte que pour décider de la déterminante question de l’angle du tir, laquelle est largement tributaire de la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B, le jury devra non seulement se prononcer sur la base d’une preuve incomplète, mais encore, d’un témoignage de fait équivoque et contradictoire.
[440] De l’avis du Tribunal, le système de justice canadien ne saurait tolérer qu’un procès soit tenu dans ces circonstances, c’est-à-dire en sachant que les incertitudes entourant un élément déterminant auraient pu être facilement être évitées si le pathologiste B avait effectué son travail selon les standards auxquels il était tenu.
[441] Comme le souligne le juge Moldaver dans l’arrêt Babos, la troisième étape du test, celle de la mise en balance de l’intérêt de préserver l’intégrité du système de justice et de l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif, ajoute peu de choses à l’analyse dans les cas où la tenue d’un procès équitable est impossible.
[442] La société n’a aucun intérêt dans la tenue d’un procès qui s’avèrera inexorablement inéquitable. L’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond et le processus de recherche de la vérité ne sauraient prévaloir si l’équité du procès est irrémédiablement compromise par la faute de l’État.
[443] Pour cette raison, le Tribunal estime juste et approprié d’ordonner dès à présent l’arrêt des procédures criminelles. Bien qu’en principe, il soit préférable d’attendre la fin de l’instruction avant de prononcer cette mesure, ici, son imposition immédiate se justifie en raison du caractère irrémédiable du préjudice[226].
*
[444] Eu égard à ce qui précède, il n’est pas utile d’analyser les autres moyens invoqués par le requérant pour justifier sa demande en arrêt des procédures, soit celui fondé sur la violation de l’alinéa 11b) de la Charte, celui justifiant l’application de la règle du double jeopardy et celui fondé sur la catégorie résiduelle de l’arrêt Babos.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[445] ACCUEILLE la requête en arrêt des procédures du requérant;
[446] PRONONCE l’arrêt des procédures criminelles exercées contre Jacques Delisle dans le cadre du présent dossier.
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| __________________________________ JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, j.c.s. | |
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Me François Godin | ||
Me Julien Beauchamp-Laliberté | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
300 boulevard Jean-Lesage, bureau 2.55 | ||
Avocats de l’intimée | ||
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Me Jacques Larochelle | ||
JACQUES LAROCHELLE AVOCAT INC. | ||
75 Rue Saint-Jean | ||
Québec (Québec) G1R 1N4 | ||
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Me Maxime Roy Casier 196 | ||
ROY & CHARBONNEAU AVOCATS 2828, boulevard Laurier Tour 2, Bureau 395 Québec (Québec) G1V 0B9 | ||
Avocats du requérant | ||
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Dates d’audience : | 22, 23 et 24 novembre 2021 | |
[1] [2015] 2 R.C.S. 621, paragr. 1.
[2] Le requérant a demandé l’autorisation de se pourvoir à la Cour suprême, mais cette autorisation lui a été refusée.
[3] Pièce R-1. Le ministre de la Justice du Canada a effectué une enquête à la suite du dépôt par le requérant d’une demande de révision en vertu de la partie XXI.1 du Code criminel.
[4] Le ministre de la Justice du Canada détient aussi le pouvoir de renvoyer l’affaire devant la Cour d’appel. Voir Plamondon c. R., 2013 QCCA 2012.
[5] Gary BOTTING, Wrongful Conviction in Canadian Law, Markham, LexisNexis, 2010, p. 1 et 2; voir également les rapports présentés annuellement par le ministre de la Justice en vertu de l’article 696.5 C.cr.
[6] R. v. Cain, 2011 ONCA 298.
[7] Delisle c. R., 2013 QCCA 952.
[8] Pièces R-12, R-13, R-14 et R-15.
[9] Pièces R-12 et R-14.
[10] Pièce R-1.
[11] Pièce R-14, p. 9.
[12] En vertu des al. et sous-al. 4(1)a) et b)(ii) du Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416 (Gaz. Can. II), pour passer à l’étape de l’enquête, le ministre de la Justice du Canada doit avoir constaté qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Si au contraire, à la suite de l’évaluation préliminaire, le ministre est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, il ne mène pas une enquête.
[13] Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 147 à 152.
[14] Plan de plaidoirie et réponse de l’intimée aux questions du Tribunal (« Plan de plaidoirie de l’intimée »), p. 36 et 37, paragr. 109.
[15] Delisle c. R., préc., note 7.
[16] R. c. Babos, 2014 CSC 16.
[17] Le requérant invoque aussi la violation de l’alinéa 11b) de la Charte, la règle du double jeopardy ou double péril, et la catégorie résiduelle de l’arrêt Babos.
[18] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680.
[19] La description des circonstances du décès est en partie tirée de celle de l’arrêt de la Cour d’appel (Delisle c. R., préc., note 7).
[20] Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 14.
[21] Pièces R-2 et R-16.
[22] Pièces R-2, R-9, I-2 et I-3.
[23] Pièce R-38.
[24] Pièce R-21.
[25] Pièces R-2 et R-16.
[26] Pièce R-2, p. 2 et 3.
[27] Pièce R-22.
[28] La thèse du tir à angle, son fondement et son descriptif se trouvent aux paragr. 148 à 150 de l’arrêt de la Cour d’appel, préc., note 7.
[29] Id., paragr. 146 et 149.
[30] Pièce R-30, p. 163 et 164 et Pièce I7-6A, p. 163 à 165.
[31] Pièce R-30, p. 135 et Pièce I7-6B, p. 134 et 135.
[32] Pièce R-23.
[33] Pièces R-5C, R-6, R-8, R-9, R-16, R-23, R-26, R-28, R-30, R-31, R-38, R-39 et I-3.
[34] Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 103 à 105.
[35] Le verbatim de la directive est tiré de l’arrêt de la Cour d’appel, Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 105.
[36] Pièces R-8 et I-8.
[37] Pièce R-8.
[38] Pièce R-8, p. 26.
[39] Cet extrait du résumé de la preuve du juge au procès est tiré du plan de plaidoirie de l’intimée, à la page 38.
[40] Cette directive du juge au procès est tirée de l’arrêt de la Cour d’appel, Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 43.
[41] Ces moyens sont identifiés au paragr. 33 de l’arrêt de la Cour d’appel.
[42] Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 151.
[43] Id., paragr. 155.
[44] Id., paragr. 147 à 152.
[45] Id., paragr. 155 et 156.
[46] Delisle c. R., requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2013-12-12, 35491.
[47] Pièces R-12, R-13 et R-14.
[48] Pièces R-12, R-13 et R-14.
[49] Pièces R-12, R-13 et R-14.
[50] Pièces R-12 et R-14.
[51] Pièce R-12, p. 22.
[52] Pièce R-15, p. 3 et 4.
[53] Pièce R-15, p. 4.
[54] Pièce R-14, p. 8.
[55] Pièce R-14, p. 9.
[56] Pièce R-14, p. 8 et 9.
[57] Pièce R-14, p. 10.
[58] Pièce R-14, p. 10.
[59] Pièce R-13, p. 11 et 24.
[60] Pièce R-21.
[61] Pièce R-16, p. 5, section I – TÊTE, où l’on indique que le cerveau a été pesé, sans préciser s’il a été fixé et coupé, avec la date de cette opération.
[62] Pièce R-21 et Pièce R-22, question 15.
[63] Pièce R-22, question 3.
[64] Pièce R-22, questions 4 à 7.
[65] En vertu des al. et sous-al. 4(1)a) et b)(ii) du Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416 (Gaz. Can. II), pour passer à l’étape de l’enquête, le ministre de la Justice du Canada doit avoir constaté qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Si au contraire, à la suite de l’évaluation préliminaire, le ministre est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, il ne mène pas une enquête.
[66] Pièce R-18.
[67] Pièce R-18.
[68] Pièce R-18, p. 7 et 8.
[69] Pièce R-18, p. 9.
[70] Pièce R-18, p. 7.
[71] Pièce R-18, p. 9 et 10.
[72] Pièce R-19.
[73] Pièce R-19, p. 1 et 2.
[74] Voir note 65.
[75] R. c. Delisle, 2016 QCCS 6299, paragr. 74 à 77 (produit sous R-34 et I-5).
[76] Id., paragr. 78.
[77] Id., paragr. 79.
[78] Id., paragr. 80 à 82.
[79] Id., paragr. 90.
[80] Pièce R-21.
[81] Pièces R-32 et R-33.
[82] R. c. Delisle, préc., note 75, par. 124 et 125.
[83] Pièce R-35.
[84] Pièce R-35, p. 5.
[85] Pièce R-35, p. 57.
[86] Pièce R-36.
[87] Pièce R-37.
[88] Pièce R-23, question 8.
[89] Pièce R-23, question 9.
[90] Pièce R-16, p. 5.
[91] Pièce I-1.
[92] Pièces R-24 et R-25.
[93] Pièce R-24.
[94] Pièce R-24, p. 5 et 6.
[95] Pièce R-24, p. 6 à 8.
[96] Pièce R-24, p. 6 à 8.
[97] Pièce R-25.
[98] Stephen T. GOUDGE, Rapport de la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario, Toronto, ministère du Procureur général de l’Ontario, 2008.
[99] Pièce R-25, p. 17.
[100] Pièce R-25, p. 9, 11 et 18.
[101] Pièce R-25, p. 18 et 19.
[102] Pièce R-1.
[103] Hinse c. Canada (Procureur général), préc., note 1.
[104] Pièce R-36.
[105] Pièce R-35.
[106] R. c. Babos, préc., note 16.
[107] Procès-verbaux d’audience des 22 octobre et 5 novembre 2021 et des 19 janvier, 2 février et 23 février 2022.
[108] Courriel du 21 février 2022 de la directrice générale du LSJML transmis à l’intimée.
[109] Courriel du 22 décembre 2021 transmis aux avocats du requérant et au Tribunal.
[110] Procès-verbal d’audience du 19 janvier 2022.
[111] Charte canadienne des droits et libertés, article 7 et alinéa 11d).
[112] Charte canadienne des droits et libertés, article 7.
[113] R. c. Babos, préc., note 16.
[114] Requête de l’accusé en arrêt des procédures pour délai déraisonnable et abus modifiée (« requête »), paragr. 100.
[115] Requête, paragr. 108 à 120.
[116] Requête, paragr. 78.
[117] Requête, paragr. 104, 134 et 135.
[118] Requête, paragr. 133 à 139.
[119] Truscott (Re), 2007 ONCA 575, paragr. 169; R. v. Luu, 2010 ONCA 807, paragr. 23 et 24; David PACIOCCO, « Taking a "Goudge" Out of Bluster and Blarney: An "Evidence-Based Approach" to Expert Testimony », juin 2009, 13 Can. Crim. L. Rev. 135.
[120] Pièce R-21.
[121] Pièce R-23; Requête, paragr. 106.
[122] R. c. Jordan, 2016 CSC 27.
[123] R. c. K.G.K., 2020 CSC 7; R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880; R. c. Kokopenace, 2015 CSC 28; R. c. Peters, [2002] J.Q. no 701 (C.Q.) (conf. en appel, [2004] J.Q. no 3459 (C.A.Q.)); R. c. Martin, 2016 NBBR 42; R. v. Maramba, [1998] O.J. no 3937 (C.J. Ont.); Côté c. R., 2020 QCCQ 3906; R. v. Milani, 2014 ONCA 536 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2015-01-15, 36095); R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557.
[124] R. c. Babos, préc., note 16; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411.
[125] R. v. Wise, [1996] O.J. no 571 (C.J. Ont.); R. v. Jack, [1996] M.J. no 588, (C.A. Man.) (conf. par la Cour suprême, [1997] 2 R.C.S. 334); R. v. R.D.L., [1997] A.J. no 1289 (B.R. Alta); R. v. Trudel, [2007] O.J. no 113 (C.S. Ont.); R. v. Dhillon, 2014 BCCA 480; R. c. Presenti, 2017 QCCQ 15289; R. v. V.C., 2017 MBQB 94; R. v. Spencer, 2017 SKCA 54; R. v. Miller, 2019 ONCJ 480; R. v. Gareau, 2018 NSSC 27; R. v. Sophonow, [1985] M.J. no 10 (C.A. Man.); R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657; R. c. Datey, [1999] J.Q. no 1567 (C.A.Q.); R. v. Hunter, (2001) 54 O.R. (3d) 695 (C.A. Ont.); R. c. Taillefer ; R. c. Duguay, 2003 CSC 70; R. v. McKenzie, [2004] O.J. no 3430 (C.S. Ont.); Truscott (Re), préc., note 119; Larochelle c. R., 2018 QCCS 5340 (demande d’autorisation d’appel rejetée, 2019 QCCA 594).
[126] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 12 et 44, paragr. 48 et 120c.
[127] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 4, paragr. 2.1.
[128] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 12 et 22, paragr. 51, 80 et 82 à 84.
[129] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 21, paragr. 78 et 79.
[130] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 7, 27, 35 et 37, paragr. 16, 92, 108 et 111.
[131] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 4, 6, 8, 10, 26, 33, 37, 43, 44, 48 et 61, paragr. 2.2, 6, 8, 11, 22, 37, 38, 89e, 103a, 111, 114, 117, 118b, 120b, 124 et 132.
[132] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 7, 33 et 34, paragr. 13, 103a et 104.
[133] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 10, 32, 33 et 35, paragr. 38, 101, 103 et 105.
[134] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 14, 15, 16, 50 et 51, paragr. 58, 59, 60, 135, 136 et 138; R. v. Darwish, 2010 ONCA 124, paragr. 29 à 31 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2010-10-21, 33654); Witharanage c. R., 2019 QCCA 1679, paragr. 23.
[135] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 4, 33 et 113, paragr. 2.2, 103a et 113.
[136] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 42, paragr. 114.
[137] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 28 à 31, paragr. 94 et 96 à 100.
[138] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 17 à 19, paragr. 61 à 75.
[139] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 19 et 20, paragr. 77; R. c. Cowan, 2021 CSC 45.
[140] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 11, 12 et 63, paragr. 44, 50 et 119 à 121.
[141] Réponse de l’intimée à la requête de l’accusé en arrêt des procédures pour délais déraisonnables et abus, paragr. 2 et 3.
[142] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 4, paragr. 2.1.
[143] Plan de plaidoirie de l’intimée, p. 4, paragr. 2.
[144] R. c. O’Connor, préc., note 124, paragr. 74; R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, paragr. 32, 34 et 35.
[145] [1994] 2 R.C.S. 9.
[146] 2015 CSC 23.
[147] R. v. Hersi, 2019 ONCA 94, paragr. 23 et 24 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2022-03-10, 39914); R. c. Taillefer ; R. c. Duguay, préc., note 125, paragr. 81 et 82; R. c. Calnen, 2019 CSC 6, paragr. 107, 108 et 113; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., préc., note 146, paragr. 23.
[148] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, paragr. 20 et 21.
[149] R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.
[150] R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451; R. c. La, préc., note 18; R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80.
[151] R. c. Carosella, préc., note 150; R. c. La, préc., note 18, paragr. 20.
[152] Préc., note 18.
[153] Id.
[154] Id., paragr. 21.
[155] Id.
[156] Id., paragr. 20 et 23.
[157] Id., paragr. 24.
[158] 2015 QCCA 1266.
[159] R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, paragr. 21 à 23; Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Éditions Yvon Blais, Montréal, 2021, p. 681 et 682, paragr. 21.27.
[160] Dumont c. R., 2010 QCCA 1777; Vachon c. R., 2012 QCCS 7209; R. v. Prosa, 2015 ONSC 3122; voir également les corps policiers : R. v. Bartels, [1997] O.J. no 4326, par. 3 (C.A. Ont.); R. c. La, préc., note 18; R. v. Williams, 2017 ONSC 572; R. v. Grant, 2017 MBQB 176.
[161] Préc., note 160.
[162] Préc., note 160.
[163] Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71.
[164] M. VAUCLAIR et T. DESJARDINS, préc., note 159, p. 684 et 685, paragr. 21.32.
[165] Préc., note 163.
[166] R. c. Gubbins, préc., note 159, paragr. 21 à 23.
[167] G. BOTTING, préc., note 5, p. 21 à 23, 145 et suiv., 461 et suiv. et 481 et suiv..
[168] David PACIOCCO, « Taking a "Goudge" Out of Bluster and Blarney: An "Evidence-Based Approach" to Expert Testimony », juin 2009, 13 Can. Crim. L. Rev. 135.
[169] Décrets 826/2007 et 366/2008.
[170] S. T. GOUDGE, préc., note 98.
[171] Pièce R-25, p. 17.
[172] S. T. GOUDGE, préc., note 98, Vol. 1, « Résumé », Recueil des recommandations, p. 76.
[173] G. BOTTING, préc., note 5.
[174] Id., p. 534.
[175] Glenn R. ANDERSON, Expert Evidence, 3e éd., Markham, LexisNexis, 2014, p. 452.
[176] David PACIOCCO, « Taking a "Goudge" Out of Bluster and Blarney: An "Evidence-Based Approach" to Expert Testimony », juin 2009, 13 Can. Crim. L. Rev. 135.
[178] Id.
[179] G. BOTTING, préc., note 5, p. 21 et 22.
[180] R. c. Taillefer ; R. c. Duguay, préc., note 125, paragr. 60; R. c. Gubbins, préc., note 159, paragr. 18.
[181] R. c. La, préc., note 18, paragr. 19 à 21.
[182] Id.
[183] Préc., note 202.
[184] [2000] J.Q. no 684 (C.A.).
[185] Hugues PARENT, Traité de droit criminel, Tome IV, les garanties juridiques (articles 7, 8, 9, 10, 11 et 24(2) de la Charte), 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, p. 139 à 144, paragr. 91 et 92.
[186] Id., paragr. 91.
[187] Id., paragr. 96.
[188] 2000 NSCA 35; cette nomenclature fut également reprise par la Cour d’appel du Québec, notamment dans les arrêts Salame c. R., 2010 QCCA 64 et Witharanage c. R., préc., note 134.
[189] Dumont c. R, préc., note 160; Vachon c. R., préc., note 160.
[190] R. c. Carosella, préc., note 150, paragr. 35 et 36; M. VAUCLAIR et T. DESJARDINS, préc., note 159, p. 679 et 680, paragr. 21.25.
[191] Voir également les Pièces R-22 et R-23.
[192] Pièce R-21.
[193] Pièces R-12, R-14, R-15, R-18, R-19, R-24 et R-25.
[194] Pièce R-25.
[195] R. v. K.D.S., 2021 SKCA 84, paragr. 70 à 77 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2021-12-09, 39780).
[196] Delisle c. R., préc., note 7, paragr. 43.
[197] Id.; voir également la Pièce R-38.
[198] Requête, paragr. 104.
[199] Pièce I7-6A, p. 123.
[200] Pièce I7-6A, p. 123.
[201] M. VAUCLAIR et T. DESJARDINS, préc., note 159, p. 699, paragr. 21.63.
[202] Dans l’arrêt R. c. Cartier, 2015 QCCA 329, la Cour rappelle que le devoir de conservation ne vise que la preuve pertinente (paragr. 77).
[203] R. c. Carosella, préc., note 150, paragr. 20 et 21 à 24.
[204] R. c. Fournier, préc., note 184, repris dans R. c. Salamé, préc., note 204, paragr. 27.
[205] R. c. Svekla, 2010 ABCA 390, paragr. 22.
[206] Ainsi, dans le cas d’un dossier détruit et visé par l’art. 278.1 C.cr., il est pertinent de savoir si les conditions d’accessibilité seraient satisfaites : L.L. c. R., 2016 QCCA 1367, paragr. 57 à 60.
[207] R. c. Fournier, préc., note 184, paragr. 55.
[208] R. c. La, préc., note 18, paragr. 21. Dans un tel cas, il n’y a pas violation de l’obligation de divulgation quoique l’arrêt des procédures puisse néanmoins être ordonné si l’accusé démontre que le procès sera inéquitable.
[209] 2016 ONCA 184.
[210] Préc., note 147.
[211] R. v. K.D.S, préc., note 195.
[212] Préc., note 184.
[213] R. v. F.C.B., préc., note 188, paragr. 26.
[214] M. VAUCLAIR et T. DESJARDINS, préc., note 159, p. 673 et 674, paragr. 21.10 et 21.11.
[215] R. c. La, préc., note 18, paragr. 24.
[216] Cartier c. R., préc., note 202 paragr. 81, repris au paragr. 68 de l’arrêt Simard.
[217] R. c. O’Connor, préc., note 124; voir également R. c. Regan, 2002 CSC 12.
[218] R. c. Babos, préc., note 16.
[219] Id., paragr. 30 et 31.
[220] R. v. Daye, [1999] O.J. no 1994 (C.A. Ont.).
[221] R. c. Fournier, préc., note 184; R. c. Taillefer ; R. c. Duguay, préc., note 125.
[222] R. v. Tweedly, 2013 BCSC 910.
[223] R. c. Taillefer ; R. c. Duguay, préc., note 125; R. v. Kelly, [2014] N.J. no 340, (C.S.T.-N.L.); R. v. Dhillon, préc., note 125 R. v. K.D.S., préc., note 195.
[224] Préc., note 202.
[225] Préc., note 125.
[226] R. c. La, préc., note 18, paragr. 27; R. c. Fournier, préc., note 184, paragr. 89 à 94; R. v. F.C.B., préc., note 188, paragr. 10; R. v. K.D.S., préc., note 195, paragr. 122 à 135; M. VAUCLAIR et T. DESJARDINS, préc., note 159, p. 697, paragr. 21.58.
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