Casavant Anglehart c. Leblanc | 2024 QCTAL 23079 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Joliette | ||||||
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No dossier : | 759564 29 20240124 T | No demande : | 4327912 | |||
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Date : | 12 juillet 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Manon Talbot | |||||
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Maude Casavant Anglehart |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Pierre Leblanc |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 22 mai 2024, la locataire demande la rétractation de la décision du 23 avril 2024 rendue par défaut contre elle.
[2] Elle demande aussi d'être relevée de son défaut d'avoir produit sa demande de rétractation dans le délai de 10 jours de la connaissance de la décision.
FAITS
[3] Le jugement contesté condamne la locataire à payer 400 $, soit un solde du loyer de mars 2024, et résilie le bail à défaut de paiement avant jugement.
[4] Dans sa demande de rétractation, la locataire allègue avoir été empêchée d'être présente à l'audition du 26 mars 2024, puisqu’elle a accouché la veille.
[5] La locataire n’indique pas la date à laquelle elle a pris connaissance du jugement contesté. À l’audience, elle déclare que c’est lorsqu’un huissier s’est présenté qu’elle a réalisé qu’un jugement a été rendu contre elle. Elle ne peut dire à quel moment l’huissier lui a remis la décision.
[6] La locataire ne peut non plus dire si elle a reçu le jugement par la poste. Elle émet l’hypothèse que son conjoint a omis de lui en parler ou qu’elle a pu oublier puisqu’elle s’occupait de son nourrisson et de son autre enfant en plus de se relever de son accouchement.
[7] La preuve révèle que l’huissier a remis la décision à la locataire le 2 mai 2024.
[8] Interrogée concernant le délai qui s’est écoulé entre la date de prise de connaissance de la décision et le dépôt de sa demande, la locataire explique qu’ils n’ont pas de voiture et qu’il est difficile de se déplacer pour se rendre au tribunal. De plus, elle ne savait qu’elle pouvait faire une demande en ligne.
[9] Par ailleurs, la locataire n'allègue aucun moyen sommaire de défense à faire valoir à l'encontre de la demande originaire du locateur.
[10] À l’audience, la locataire admet ne pas avoir payé le solde de 400 $ pour le loyer de mars auquel elle a été condamnée. Elle a compris des informations obtenues qu’elle devait verser la somme due à l’audience.
[11] Quant aux loyers de mai à juillet 2024, la locataire admet qu’ils sont dus et qu’elle n’est pas en mesure de les payer pour l’instant.
QUESTIONS EN LITIGE
[13] Le cas échéant, a-t-elle établi un motif valable de rétractation de jugement ?
ANALYSE ET DÉCISION
[14] La rétractation d'une décision est prévue à l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (LTAL)[1] qui se lit ainsi :
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.
La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.
Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »
(Soulignement ajouté)
[15] L'article 59 LTAL énonce :
« 59. Le Tribunal peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l’autre partie n’en subit aucun préjudice grave. »
[16] L'article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[2] prévoit :
« 44. La demande de rétractation d’une décision doit contenir non seulement les motifs qui la justifient mais, si elle est produite par le défendeur à la demande originaire, elle doit également contenir les moyens sommaires de défense à la demande originaire. »
[17] Dans un premier temps, le Tribunal doit décider de la demande de la locataire d'être relevée du défaut de produire la demande de rétractation dans le délai prescrit par la LTAL.
[18] Le Tribunal partage l'opinion de la juge administrative Francine Jodoin[3] en cette matière qui mentionne :
« [9] L'article 59 de la Loi indique qu'une partie peut être relevée de son défaut d'avoir respecté un délai, dans la mesure où le locataire peut démontrer avoir un motif raisonnable pour expliquer le délai et que la partie adverse n'en subit pas de préjudice grave(2).
[10] Dans une décision récente de la Cour du Québec(3), on procède à une analyse exhaustive de l'interprétation conférée aux termes « motifs raisonnables » énoncés dans diverses lois constitutives afin de permettre la prolongation de délai pour en conclure :
« [73] Le motif raisonnable a souvent été décrit comme étant un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion. »
[11] Il a été maintes fois reconnu que l'omission de respecter une exigence légale dans la mise en œuvre d'un droit lorsqu'elle résulte de la négligence, d'une mauvaise compréhension ou encore de l'ignorance de la loi n'est pas retenue comme motif raisonnable permettant de justifier la prolongation du délai(4). »
(Références omises)
[19] En l'instance, le Tribunal croit la locataire lorsqu’elle affirme ne pas avoir pu se présenter à l’audience, car elle donnait naissance à son enfant.
[20] Cependant, la décision a été rendue près d’un mois plus tard et la locataire ne se souvient pas si elle a reçu la décision par la poste ou non.
[21] Lorsqu’elle reçoit une copie de la décision par un huissier mandaté par le locateur le 2 mai 2024, il s’écoule 20 jours avant qu’elle introduise sa demande de rétractation.
[22] Elle admet pourtant qu’elle savait qu’elle avait été convoquée à une audience le 26 mars 2024 et que son loyer était impayé pour un solde en mars (400 $) auquel s’ajoutait le loyer d’avril et mai.
[23] La locataire a fait preuve d'insouciance et de négligence en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour introduire sa demande de rétractation dans le délai de 10 jours prescrit par l'article 89 LTAL.
[24] Cela étant, même dans l'hypothèse où le Tribunal avait décidé de relever la locataire de son défaut de respecter le délai de 10 jours susmentionné, la présente demande serait rejetée, il n’y a aucun motif justifiant la rétractation de la décision du 23 avril 2024.
[25] En effet, l'analyse d'une demande de rétractation ne se limite pas à vérifier si la partie a établi un empêchement de se présenter à l'audience, elle doit aussi démontrer l'existence d'un moyen sommaire de défense à faire valoir à l'encontre de la demande originaire.
[26] D’une part, l’omission de la locataire d’indiquer ses moyens de défense à la demande originaire contrevient à l'article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement ce qui a été considérée fatale selon une décision récente de la Cour du Québec.
[27] D’autre part, la juge administrative Jocelyne Gravel mentionne ce qui suit dans la décision Charbonneau c. St-Laurent[4] au sujet des moyens de défense :
« On constate qu'un défendeur doit également prouver avoir un moyen de défense valable à faire valoir à l'encontre de la demande originaire. Dans l'éventualité où les moyens de défense invoqués sont voués à l'échec, il serait dès lors inutile de permettre la rétractation.
Comme exprimé par la Cour d'appel du Québec, les motifs d'une demande de rétractation doivent être sérieux puisqu'ils ont pour effet de déroger au principe de l'irrévocabilité des jugements. »
[28] En l'instance, la locataire admet ne pas avoir payé entièrement le loyer de mars 2024 et ceux subséquents.
[29] En conséquence de ce qui précède, permettre une nouvelle audience pour ce dossier ne changerait vraisemblablement pas le sort du litige puisque les motifs de défense, tels que présentés par la locataire, sont voués à l'échec. La preuve qu'elle désire administrer ne permettrait pas de modifier les conclusions de la décision attaquée.
[30] Cela étant, le Tribunal est d'avis que la locataire n'a pas établi, par preuve prépondérante, un motif sérieux de rétractation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] REJETTE la demande de rétractation;
[32] MAINTIENT la décision rendue le 23 avril 2024.
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Manon Talbot | ||
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Présence(s) : | la locataire le locateur | ||
Date de l’audience : | 9 juillet 2024 | ||
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[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 5.
[4] R.L., Montréal, 31-050508-055T-060905, 26 septembre 2006.
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