Valette c. Gentile |
2012 QCRDL 12444 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No : |
31 090130 040 G |
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Date : |
10 avril 2012 |
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Régisseure : |
Suzie Ducheine, juge administratif |
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Catherine Valette |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Joe Gentile
Katia Capparelli |
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Locataires - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande amendée, la locatrice réclame 4 500 $ de loyer, plus 3 750 $ en dommages-intérêts avec les intérêts et les frais judiciaires.
[2] Il s'agit d'un bail du 15 septembre 2007 au 14 septembre 2008 au loyer mensuel de 1 500 $, payable le premier jour de chaque mois.
[3] La locatrice qui habite en France n’a jamais rencontré les locataires. Elle était représentée lors de la conclusion du bail par son agent immobilier, Sylvie Legault, qu’elle avait mandatée à cette fin.
[4] Le procureur de la locatrice qui n’est pas présente à l’audience veut déposer un affidavit détaillé et divers courriels reçus par la locatrice pour tenir lieu de témoignage.
[5] Elle veut aussi produire un affidavit de l’agent immobilier, Sylvie Legault, pour tenir lieu de témoignage puisque cette dernière refuse de comparaître devant le tribunal.
[6] Les
dispositions applicables en l’espèce sont prévues à l’article
« 36.1 Sauf si l'autre partie consent à sa production, lorsqu'une partie entend demander au Tribunal l'autorisation de produire une déclaration pour tenir lieu de témoignage, elle doit, dans les meilleurs délais avant l'audience, aviser l'autre partie ou lui communiquer le document. Toutefois, si les circonstances le justifient, un régisseur peut, sur demande verbale, décider autrement des modalités et, s'il y a lieu, décider du délai de la communication.
Toute autre pièce, notamment un écrit ou un élément matériel de preuve, est produite à l'audience sans autre formalité.»
[7] Lorsque
ces conditions sont réunies, il faut se référer à l’article
« 2870. La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.
Celui-ci doit s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.
Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits.
[8] Dans le cas présent, le procureur de la locatrice n’a pas transmis les deux déclarations aux locataires avant l’audition.
[9] Le tribunal refuse d’autoriser le dépôt de la déclaration de Sylvie Legault. Il n’est pas démontré qu’il est impossible d’obtenir sa comparution ou qu’il est déraisonnable de l’exiger. Elle refuse de se présenter à l’audience et le procureur de la locatrice ne demande pas l’émission d’un mandat d’amener pour forcer madame Legault à venir déposer devant le tribunal.
[10] Les circonstances sont différentes en ce qui concerne la déclaration de la locatrice.
[11] Le tribunal est d’avis qu’il serait déraisonnable de forcer la locatrice à comparaître à l’audience compte tenu de son éloignement, du coût et des inconvénients qu’engendrerait une telle exigence.
[12] De plus, les locataires, à qui le tribunal a expliqué leurs droits, consentent au dépôt de la déclaration de la locatrice. Ils expliquent qu’ils veulent en finir avec la poursuite de la locatrice.
[13] Voici la teneur de la déclaration écrite sous serment de la locatrice :
« AFFIDAVIT
Déclaration sous serment en droit français
Je, sousignée, CATHERINE VALETTE, domiciliée au Les Monteix, La Bachellerie, 24210, France, affirme solennellement ce qui suit :
1. Je suis la propriétaire de l’appartement 14, situé au […], Outremont (Québec) […] (ci-après le « Condo »);
2. Aux termes d’un bail intervenu le 11 septembre 2007 par l’entremise de ma mandataire, Mme Sylvie Legault, agente immobilière agréée, j’ai consenti à louer le Condo à M. Joe Gentile et Mme Katia Capparelli (ci-après parfois désignés collectivement les « Locataires » pour une durée d’un an commençant le 15 septembre 2007 et se terminant le 14 septembre 2008 (ci-après le « Bail »);
3. Étant domiciliée en France, j’ai effectivement confié le mandat à Mme Legautlt d’effectuer les visites, de louer le Condo, de fournir les renseignements requis, de préparer le Bail et de le faire signer.
4. À aucun moment lors de l’occupation par le locataire précédent, de la période contemporaine à la signature du bail ou du début de l’occupation du Condo par les Locataires, je n’ai été avisée d’un quelconque problème avec la céramique de la cuisine, celle-ci était en bon état en ce qu’elle n’était pas brisée, ni tranchante ou dangereuse;
5. De surcroît, à la signature du bail par les Locataires, aucune mention relative à la céramique de la cuisine n’a été faite, ni aucune remarque particulière n’a été inscrite à la section « Travaux et réparations » de la sous-section 5, « Services et conditions » quant à un quelconque engagement à l’égard de la céramique;
6. Vers la fin du mois de janvier ou au début de février 2008, une infiltration d’eau est survenue à l’unité 18 située juste au-dessus du Condo, entraînant ainsi des dommages à la salle de bain du Condo;
7. Or, ce n’est qu’en date du 4 juin 2008, par un message vocal de Mme Capparelli, que j’ai été avisée qu’un dégât d’eau était survenu et que des réparations devraient être envisagés à la salle de bain du Condo, sans toutefois que me soit fournie plus ample précision;
8. Entre la période de l’incident survenu le ou vers la fin de janvier ou début février et l’appel de Mme Capparelli du 4 juin 2008, je n’ai en aucun temps été contractée par les Locataires et aucune détérioration du Condo ne m’a autrement été dénoncée;
9. Dès le 4 juin 2008, j’ai tenté joindre Mme Capparelli en vue d’obtenir des renseignements complémentaires, mais sans succès;
10. Dès le 4 juin 2008, j’ai donc contacté Mme Marie-Janie Chartier, la gestionnaire du syndicat des appartements Miraflor, de même que la propriétaire de l’unité 18, Mme Sylvie Parent, afin d’obtenir des précisions et de prévoir des modalités en vue que soient effectuées les réparations nécessaires;
11. C’est donc dans le cadre des échanges courriels avec Mme Chartier et Mme Parent du 4 et du 11 juin 2008 que j’ai été avisée de l’état de la situation, à savoir :
● que le dégât d’eau était survenu plusieurs mois auparavant, soit vers la fin de janvier ou au début février 2008;
● que les travaux requis aux autres unités touchées par le dégât d’eau avaient déjà été complétés vu le délai couru;
● que les coûts afférents à ces travaux avaient été assumés par la propriétaire responsable de l’unité 18, Mme Parent; et
● que les Locataires n’avaient fait aucune démarche auprès de ces personnes afin qu’il soit remédié à la situation et n’avaient pas non plus donné suite à une conversation intervenue avec Mme Parent quant aux dommages et modalités de réparations;
12. Le 15 juin 2008, j’ai reçu un premier et unique courrier de Mme Caparelli faisant état de diverses insatisfactions quant à la céramique de la cuisine, aux dégâts à la salle de bain, au plancher bruyant et finalement au fait que la cuisinière était non fonctionnelle;
13. J’ai également reçu, le 15 juin 2008, une lettre de Mme Caparelli confirmant le non-renouvellement du Bail pour la prochaine année, sans autrement préciser que les Locataires entendaient résilier le Bail avant la date d’échéance ou refuser de payer le loyer;
14. Dès le 16 juin 2008, j’ai donné suite à la communication de Mme Caparelli en vue de répondre aux insatisfactions des Locataires et prévoir des modalités pour que les réparations soient effectuées dans les meilleurs délais;
15. Sans autrement m’aviser, les Locataires n’ont pas payé les loyers pour les mois d’avril et de juin 2008, ni pour les deux premières semaines de juillet 2008;
16. Dû au non-paiement du loyer par les Locataires, j’ai subi un important dommage en ce que mon compte bancaire avec la Banque TD s’est retrouvé à découvert et ma demande de prêt hypothécaire a été rejetée;
17. Les Locataires ont finalement quitté définitivement le condo le 1er août 2008;
18. Les travaux ont dûment été effectués peu de temps après le départ des Locataires, soit le ou vers le début août 2008;
19. Tous les faits allégués dans cette requête sont vrais. »
[14] En conséquence, le procureur de la locatrice réclame 4 500 $, soit le loyer des mois d’avril, juin et juillet 2008.
[15] Le logement fut reloué pour le 1er février 2009.
[16] La locatrice réclame aussi une indemnité de relocation au montant de 2 250 $, soit l’équivalent du loyer qu’elle n’a pas perçu pour les mois d’août et septembre 2008.
[17] La locatrice réclame, de plus, les frais déboursés pour l’agence immobilière, soit la somme de 2 257 $.
[18] En défense, les locataires soutiennent que le logement n’était pas délivré en bon état d’habitabilité et de réparations. Ils témoignent que lors de la conclusion du bail, l’agent immobilier Sylvie Legault leur promet de faire remplacer les tuiles de céramique dans la cuisine qui sont brisées ou manquantes.
[19] Or, les tuiles ne sont jamais remplacées et leur état se détériore durant l’occupation du logement. Leur fils se blesse au pied en marchant dans la cuisine.
[20] Ils se plaignent aussi du plancher qui craque à un tel point que l’occupant du logement en dessous se plaint du bruit. La cuisinière est défectueuse et ne fonctionne plus vers le mois de mai 2008. Le plafond de la salle de bains est endommagé par des infiltrations d’eau provenant du logement au dessus vers le mois de janvier 2008.
[21] Ils dénoncent ces défectuosités à l’agent immobilier et à la locatrice. Ils laissent de nombreux messages dans la boîte vocale de la locatrice qui ne retourne jamais leurs appels. Ils finissent par lui envoyer un courriel le 16 juin 2008 pour dénoncer par écrit les défectuosités dans le logement. Mais, la locatrice ne pose aucun geste concret pour corriger les défauts dans le logement. Devant le manque d’empressement de la locatrice à corriger les défauts dans le logement, ils retiennent le loyer.
[22] Ils se plaignent à Sylvie Legault qui est la seule à retourner leurs appels. Elle leur répond qu’ils peuvent quitter le logement s’ils ne sont pas satisfaits. Ils paient le loyer du mois d’avril 2008 au cours du mois de mai 2008. Ils quittent définitivement le logement en mai 2008.
[23] Le 15 juin 2008, ils donnent un avis de non-renouvellement du bail à la locatrice.
[24] Contre-interrogé par le procureur de la locatrice, le locataire reconnaît que Sylvie Legault à qui il réclamait des travaux lui a dit de s’adresser à la locatrice.
[25] Dans le cas présent, la preuve est contradictoire. Cependant, la locatrice n’a pas connaissance personnelle de certains faits mentionnés dans sa déclaration. Les faits dont elle aurait eu connaissance en communiquant par courriel ou téléphone avec des personnes autres que les locataires constituent du ouï-dire. Cette partie du témoignage de la locatrice n’est pas recevable puisque les personnes avec qui la locatrice a communiqué ne comparaissent pas devant le tribunal.
[26] Cependant, il revient
aux locataires qui revendiquent le droit à l’abandon des lieux loués de
démontrer que l’état du logement constituait une menace sérieuse pour la santé
et la sécurité de ses occupants au moment où ils décident de le quitter,
conformément aux articles
« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.
Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente.»
« 1915. Le locataire peut abandonner son logement s'il devient impropre à l'habitation. Il est alors tenu d'aviser le locateur de l'état du logement, avant l'abandon ou dans les dix jours qui suivent.
Le locataire qui donne cet avis est dispensé de payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l'habitation, à moins que l'état du logement ne résulte de sa faute.»
[27] Pour évaluer l'état d'insalubrité du logement, la Régie doit appliquer des critères objectifs selon la jurisprudence. À ce sujet, l'honorable Jean-Guy Blanchette écrit :
« (...) pour évaluer si l'impropreté d'un logement à habitation constitue une menace sérieuse pour la santé, la Cour doit procéder à ladite évaluation d'une façon objective et se demander si une personne ordinaire peut vivre objectivement dans les conditions exposées lors de l'audition. Ce ne sont pas les appréhensions subjectives ni l'état psychologique du locataire ou des occupants qui doivent prévaloir mais bien la situation ou l'état des lieux compris et analysé objectivement lors de la prise de décision du déguerpissement (...) »[1]
[28] Dans l'affaire Hajjar
c. Hébert, la Régie établit que pour réussir dans une demande fondée sur
les articles
« 1) les problèmes reliés à la chose louée ou dans l'immeuble en général;
2) la dénonciation de leurs plaintes au locateur;
3) l'inaction du locateur à exécuter ses obligations légales;
4) leur départ est justifié car le logement était
impropre à l'habitation au sens de l'article
5) la relation de cause à effets entre l'état du logement et les dommages réclamés. »[2]
[29] En l'instance, la preuve soumise ne permet pas de conclure que le logement était insalubre, inhabitable et impropre à l'habitation. La preuve n'a pas établi que l'état du logement constituait une menace pour la santé de ses occupants.
[30] Les locataires ne présentent aucune preuve concrète et probante de la dénonciation de leurs griefs relatifs au logement à la locatrice. Cette dernière les contredit et affirme que ce n’est que le 4 juin 2008 que les locataires lui dénoncent les défauts dans le logement. Ainsi ils ont avisé la locatrice des défauts après leur départ des lieux. D’ailleurs, les locataires n’ont pas adressé un avis d’abandon du logement à la locatrice. Ils lui ont donné un avis de non-renouvellement du bail.
[31] La preuve soumise ne permet pas de conclure que leur départ était justifié. Le tribunal ne doute pas qu’ils aient subi une perte de jouissance des lieux en raison de défectuosités dans le logement. Toutefois, leur départ était prématuré puisqu’ils n’ont pas permis à la locatrice de corriger les problèmes dénoncés.
[32] Les locataires qui avaient l’obligation de payer leur loyer devront acquitter le loyer impayé au moment de leur départ des lieux, soit la somme de 1 500 $ pour le mois de mai 2008 après imputation des sommes payées aux loyers les plus anciens.
[33] Les locataires devront aussi compenser la perte de loyer subie par la locatrice puisqu’elle n’a perçu aucun loyer à compter du mois de juin 2008 jusqu’à la fin du bail le 14 septembre 2008.
[34] Toutefois, le tribunal doit recourir aux dispositions de l'article
[35] Cette règle est expliquée par les auteurs Baudouin et Jobin comme suit [3]:
« La règle de la
réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages, est bien connue en
common law. La jurisprudence québécoise l'a également sanctionnée
d'innombrables fois, tant en matière extracontractuelle qu'en matière
contractuelle et elle est maintenant codifiée à l'article
[36] Dans l'affaire Red Deer College c. Michaels[4], la Cour suprême du Canada déclare :
« [...] un demandeur lésé a droit de recouvrer des dommages-intérêts pour les pertes qu'il a subies, mais l'étendue de ces pertes peut dépendre de la question de savoir s'il a pris ou non des mesures raisonnables pour éviter qu'elles s'accroissent immodérément. [...] »
[37] Cependant, le tribunal n’a pas entendu l’agent immobilier. Les efforts déployés pour relouer le logement ne sont pas mis en preuve. Le tribunal ignore à quelle date la locatrice a mandaté l’agent immobilier. Les travaux dans le logement n’étaient exécutés qu’au cours du mois d’août 2008 et son procureur ne peut expliquer ce délai. La locatrice ne soumet aucune explication dans sa déclaration.
[38] Par conséquent, cette partie de la demande est accueillie pour la somme de 4 500 $, puisque la preuve ne permet pas de conclure que la locatrice a pris les moyens nécessaires pour minimiser ses pertes.
[39] Les frais de 2 257 $ réclamés pour l’agence immobilière ne sont pas accordés. La locatrice aurait déboursé cette somme de toute façon puisque les locataires ne renouvelaient pas le bail. D’ailleurs, la locatrice ne présente aucune pièce justificative à l’appui de sa réclamation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[40] ACCUEILLE en partie la demande;
[41]
CONDAMNE les locataires à payer à la locatrice la somme de
6 000 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle
prévue à l'article
[42] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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Suzie Ducheine |
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Présence(s) : |
Martine Bergeron, avocate de la locatrice les locataires |
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Date de l’audience : |
7 février 2012 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.