Garbeau c. Montréal (Ville de) |
2015 QCCS 5246 |
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JC00B1 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-36-007212-148 |
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DATE : |
12 NOVEMBRE 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GUY COURNOYER, J.C.S. |
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GABRIELLA GARBEAU |
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Appelante |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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Intimée |
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et |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Mise en cause |
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et |
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LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS |
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Intervenante |
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JUGEMENT |
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Table des matières
Page
I - Aperçu...................................................................................................................................... 4
II - Cadre de l'analyse du Tribunal.......................................................................................... 5
2.1 - Les faits................................................................................................................................ 5
2.2 - La preuve présentée dans le cadre du débat constitutionnel.......................................... 8
2.3 - Les questions en litige......................................................................................................... 8
2.4 - La position des parties........................................................................................................ 9
2.4.1. L'appelante et l'intervenante..................................................................................... 9
2.4.2. La Procureure générale............................................................................................ 9
2.5 - Les dispositions pertinentes............................................................................................ 10
III - Analyse................................................................................................................................ 11
3.1 - Observations préliminaires au sujet du droit constitutionnel de manifester................. 11
3.2 - Le droit d'exprimer publiquement sa dissidence: la liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique dans une démocratie constitutionnelle...................................................................................... 16
3.3 - Est-ce que les chartes québécoise et canadienne protègent le droit de manifester sur un chemin public?.......................................................................................................................................... 21
3.3.1. La protection de la liberté d'expression et de la liberté de réunion pacifique en droit canadien, en droit international et en droit américain........................................................................... 21
3.3.1.1. Le droit canadien....................................................................................... 21
3.3.1.2. Le droit international.................................................................................. 27
3.3.1.3. Le droit américain...................................................................................... 29
3.3.2. Le texte de l'article 500.1 et l'intention législative................................................ 30
3.3.3. Les conclusions du juge d'instance....................................................................... 30
3.4 - Est-ce que l’article 500.1 porte atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique? 31
3.5 - L'article 500.1 est-il une limite qui
se justifie dans une société libre
et démocratique?........................................................................................................................ 32
3.5.1. L'article 500.1 est-il une règle de droit?............................................................... 33
3.5.2. L'objectif urgent et réel........................................................................................... 34
3.5.3. Est-ce que l'article 500.1 CSR
est rationnellement lié à son
objectif?.............................................................................................................................. 40
3.5.4. Est-ce que l'article 500.1 CSR porte atteinte de manière minimale au droit de manifester sur un chemin public?................................................................................................................... 41
3.5.4.1. Le jugement d'instance.............................................................................. 41
3.5.4.2. L'absence d'une demande d'autorisation de manifester : la qualité pour agir de l'appelante ............................................................................................................... 43
3.5.4.3. La personne responsable de l'entretien du chemin public.................... 46
3.5.4.3.1. Les policiers exercent-ils dans les faits les pouvoirs conférés par le troisième alinéa de l'article 500.1 CSR?...................................................................... 46
3.5.4.3.2. L’article 500.1 CSR comporte-t-il une délégation implicite?.... 51
3.5.4.3.3. Est-ce qu’un corps de police peut être un mandataire d’une ville ou d’une municipalité? .................................................................................................. 56
3.5.4.4. Une autorisation selon le troisième alinéa de l'article 500.1 CSR a-t-elle été accordée le 15 mars 2011?......................................................................................................... 57
3.5.4.5. Conclusions relatives à l'application de l'article 500.1 du CSR............ 62
3.5.4.6. Les pouvoirs discrétionnaires et la discrétion conférée par l'article 500.1 du CSR.................................................................................................................................... 63
3.5.4.7. Les pouvoirs discrétionnaires sous l'angle des dispositions justificatives: un tour d'horizon.................................................................................................................................... 68
3.5.4.8. Les arrêts R. v. Parker (C.A. Ont.) et Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society...................................................................................................... 76
3.5.4.8.1. L’arrêt R. c. Parker........................................................................ 77
3.5.4.8.2. L’arrêt Hitzig c. Canada................................................................ 79
3.5.4.8.3. L'arrêt PHS..................................................................................... 80
3.5.5. L'article 500.1 CSR est-il proportionné dans ses effets?.................................. 89
3.5.6. Conclusion sur la justification................................................................................. 90
IV - Conclusion et réparation................................................................................................ 90
4.1 - Est-ce que l’effet de la déclaration d’invalidité de l’article 500.1 CSR doit être suspendu? 90
4.2 - La condamnation de l’appelante..................................................................................... 91
[1] La liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique sont des libertés fondamentales et essentielles au fonctionnement d'une société libre et démocratique.
[2] Le droit de manifester, y compris celui de le faire sur un chemin public est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne.
[3] La présente affaire offre une occasion de préciser le cadre de l'exercice du droit constitutionnel de manifester.
[4] La résolution de cette question est au cœur de la vie d'une démocratie constitutionnelle comme la nôtre.
[5] Il n'existe pas de droit constitutionnel général et absolu de manifester sur un chemin public sans aucun encadrement législatif ou réglementaire. En effet, l'accès à la voie publique pour exercer le droit constitutionnel de manifester doit s'harmoniser autant que possible avec les fonctions habituelles de ce lieu.
[6] Dans le présent dossier, le débat porte sur la question de la constitutionnalité de l'article 500.1 du Code de la sécurité routière (« CSR »)[1]. La question se soulève à la suite du dépôt d'accusations contre plusieurs personnes présentes à une manifestation dénonçant la brutalité policière le 15 mars 2011. On leur reproche une contravention à l'article 500.1.
[7] L'article 500.1 interdit toute action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussée, l'accotement, une autre partie de l'emprise ou les abords ou y placer un véhicule ou un obstacle de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l'accès à un tel chemin.
[8] Toutefois, la personne responsable de l'entretien du chemin public peut autoriser des défilés ou d'autres manifestations, à la condition que le chemin utilisé soit fermé à la circulation ou sous le contrôle d'un corps de police.
[9] Pour les motifs qui suivent, l'art. 500.1 porte atteinte aux libertés d'expression et de réunion pacifique protégées par les chartes québécoise et canadienne.
[10] Cet article n'est pas une limite raisonnable qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique, car le pouvoir d'autoriser une manifestation ou un défilé qui est prévu à cet article n'est pas encadré par une norme précise et compréhensible pour le public et pour ceux qui l’applique.
[11] L’autorité gouvernementale qui choisit de mettre en place un mécanisme d’autorisation préalable avant la tenue d’une manifestation doit définir les facteurs que les autorités doivent appliquer en prenant leur décision. Ce n’est pas le cas de l’article 500.1.
[12] L'article 500.1 doit être invalidé. Toutefois, le Tribunal suspend l'effet de la déclaration d'invalidité pour une période de 6 mois.
[13] L'appelante est acquittée de l'infraction portée contre elle.
II - Cadre de l'analyse du Tribunal
[14] Le Tribunal abordera son analyse dans l'ordre suivant. Il résumera les événements entourant la commission de l'infraction par l'appelante et la nature de la preuve présentée devant le juge d'instance.
[15] Le Tribunal présentera ensuite les questions en litige, la position des parties et les dispositions législatives pertinentes.
[16] Le Tribunal décrira le cadre du débat constitutionnel soulevé dans la présente affaire afin d'en saisir adéquatement la portée.
[17] À cette fin, le Tribunal formulera ensuite certaines observations générales au sujet du droit constitutionnel de manifester, de l'établissement de la responsabilité pénale des manifestants, des règles légales qui encadrent une intervention policière lors d'une manifestation et de la primauté du droit.
[18] Il est essentiel de comprendre que la présente contestation constitutionnelle ne concerne pas la conduite de plusieurs des manifestants le 15 mars 2011 ni le caractère justifié de l'intervention policière ce jour-là.
[19] Le Tribunal abordera enfin les questions en litige en soulignant d'abord et avant tout l'importance de la liberté d'expression et de la liberté de réunion pacifique ainsi que la protection des voix dissidentes au sein d'une démocratie constitutionnelle.
[20] Il déterminera dans un premier temps si les chartes québécoise et canadienne protègent le droit de manifester sur la voie publique et si l'article 500.1 porte atteinte à ce droit. Dans un deuxième temps, il décidera si cet article est une limite raisonnable dont la justification peut être démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique.
[21] Le Collectif opposé à la brutalité policière (« COBP ») a lancé un appel à la population pour participer, le 15 mars 2011, à une manifestation dans le cadre de la Journée internationale contre la brutalité policière.
[22] Cet appel a été lancé, notamment, par des tracts, cartes ou affiches qui ont été distribués, de même que par un appel publié par le COBP sur internet, via le site www.cobp.resist.ca. On peut lire, notamment, ce qui suit:
Pour une quinzième année, le Collectif Opposé à la Brutalité Policière invite toute la population à prendre part à une manifestation dans le cadre de la Journée Internationale contre la brutalité policière. Cette année, nous occupons l’espace public dans le centre-ville de Montréal! Nous en avons assez des tickets, assez de nous faire repousser toujours plus loin. Cette fois-ci nous restons!
[23] Plus spécifiquement, le ou les organisateurs du COBP ont demandé à la population de se rendre à Montréal, près de la Place des arts à l’angle des rues Maisonneuve et Jeanne-Mance, à 17 heures.
[24] Cet appel du COBP s’est également transmis de bouche à oreille et via les réseaux sociaux, entre connaissances et amis. Le lieu et l’heure du rassemblement étaient connus depuis plus d’un mois avant le 15 mars 2011.
[25] Les organisateurs de la manifestation n’ont pas demandé d’autorisation auprès du Service de police de la Ville de Montréal, ni auprès de quelque autre autorité municipale pour faire cette manifestation. Bien que des démarches aient été entreprises par la section des relations avec la communauté du service de police pour entrer en contact avec les organisateurs du COBP, ceux-ci n’ont offert aucune collaboration et n’ont jamais divulgué le trajet de la manifestation.
[26] Quelques minutes après 17 h, les participants à la manifestation ont entrepris leur marche. Comme on peut le voir sur les images filmées le 15 mars 2011 à bord de l’hélicoptère de la Sûreté du Québec, ils occupent la chaussée sur toute sa largeur, et le font pendant tout leur trajet, entravant ainsi la circulation des véhicules routiers.
[27] À 17 h 09, un premier avis est donné par les policiers[3].
1ER AVIS
Bonjour à tous, Je suis le commandant ____________ responsable du service d’ordre et responsable de la sécurité de la manifestation. Je vous demande quelques instants. Pour votre sécurité et celle des automobilistes, nous vous demandons de circuler dans le même sens que la circulation. Vous avez le droit de manifester à la condition de ne pas commettre d’infraction et aucune ne sera tolérée. Si vous commettez des infractions, vous êtes passible d’accusation devant les tribunaux et nous mettrons fin à la manifestation. |
Good morning (afternoon, evening) everyone, I am commander _________________ and I am in charge of the police officers here and responsible for your safety. May I have your attention for a few moments? For your own safety, as well as the safety of other users of the road, we ask that you walk in the same direction as the traffic. You have the right to demonstrate as long as you don’t commit any offences as no offence will be tolerated. |
[Le soulignement et les caractères gras sont ajoutés]
[28] Les images filmées permettent d'observer plusieurs véhicules stationnés dans les rues empruntées par les manifestants qui ne peuvent quitter, dont une ambulance. À plus d’une reprise, on voit des véhicules immobilisés aux intersections que croise le trajet emprunté par les manifestants de même que des véhicules immobilisés parce que ces manifestants marchaient dans le sens contraire de la circulation. Parmi ces véhicules, il y a des autobus de la Société de transport de Montréal.
[29] Les manifestants marchent souvent entre les véhicules qui circulent sur la chaussée et qui se sont immobilisés pour la plupart, alors que d’autres effectuent des manœuvres, parfois dangereuses, parmi les manifestants, pour tenter de s’extirper de la manifestation.
[30] Ces images laissent également voir le jeu du « chat et de la souris » auquel se livrent les manifestants afin de compliquer le travail des policiers qui, ne connaissant pas le trajet, tentent de contrôler tant bien que mal la circulation routière à l’avant de la manifestation. À au moins trois reprises, alors que certains manifestants dépassent une intersection en laissant croire aux policiers que la marche poursuivrait son chemin dans cette direction, ceux qui les suivent décident soudainement de tourner dans la rue transversale, rejoints par la suite par les autres manifestants. Ces manœuvres, en plus de faire en sorte que les manifestants circulent parmi les véhicules présents sur la chaussée, souvent en sens contraire, obligent les policiers à se déplacer à haute vitesse dans la circulation de façon à tenter de sécuriser les intersections se trouvant sur le nouveau trajet.
[31] Avant de procéder à des arrestations, le Service de police de la Ville de Montréal, vers 18 h 28, donne l’ordre aux manifestants de se disperser et de rentrer chez eux en leur indiquant que, s’ils n’obéissent pas à cet ordre, ils pourront être accusés en vertu de la réglementation municipale, du Code de la sécurité routière ou du Code criminel.
2ème AVIS
Cette manifestation est devenue un attroupement illégal. Nous vous donnons l’ordre de vous disperser et de rentrer chez vous. Si vous n’obéissez pas à cet ordre, vous pourrez être accusé en vertu de la réglementation municipale du Code de sécurité routière ou du Code criminel. |
This demonstration has become an unlawful assembly. We order you to disperse and return to your homes. If you do not obey, you may be charged of criminal or municipal offences. |
[32] Comme on peut le voir sur les images filmées à bord de l’hélicoptère de la Sûreté du Québec, plusieurs manifestants quittent la chaussée, se dirigent vers les trottoirs et par la suite quittent les lieux. Certains des manifestants choisissent de rester sur la chaussée et d’autres, qui s’étaient d’abord dirigés sur les trottoirs, y retournent. Les policiers ont procédé à l’arrestation des manifestants qui occupaient la chaussée.
[33] Le déroulement de la manifestation s'effectue sous grande tension avec, notamment, la présence de personnes cagoulées vêtues de noir, des roches lancées aux policiers, des manifestants qui récupèrent des morceaux de pavés, une femme qui reçoit une bouteille au visage, un véhicule endommagé, des manifestants qui chargent les policiers et lancent de la peinture, la vitrine d’un commerce fracassée et de la peinture lancée dans celle d’une librairie. Cette tension est caractéristique des manifestations organisées par le COBP le 15 mars de chaque année.
[34] L’appelante a reçu un constat d’infraction lui reprochant d’avoir, le 15 mars 2011, enfreint l’article 500.1 en ayant occupé la chaussée, l’accotement, une partie de l’emprise ou les abords d’un chemin public au cours d’une action concertée destinée à entraver la circulation des véhicules routiers.
[35] Dans le cadre de l’instruction de la poursuite pénale intentée contre elle devant la Cour municipale de Montréal, l’appelante a soulevé l’invalidité de l’article 500.1, pour les motifs que cette disposition porterait atteinte à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne ») et l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise »), et à la liberté de réunion pacifique protégée par l’alinéa 2c) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise. Elle a également soulevé que l’atteinte ne pouvait être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne ou 9.1 de la Charte québécoise.
2.2 - La preuve présentée dans le cadre du débat constitutionnel
[36] Les parties ont fait entendre plusieurs témoins aux fins du débat constitutionnel.
[37] Le juge d'instance a entendu le témoignage de personnes présentes à la manifestation du 15 mars 2011; d'organisateurs communautaires, une représentante syndicale; un expert professeur de sociologie, des représentants des principaux corps policiers de la province au sujet de la gestion des manifestations, un représentant du service des incendies de la Ville de Montréal; un gestionnaire du Ministère des transports du Québec et le coordonnateur régional des mesures d'urgence et de la sécurité civile de l'Agence de la santé et des services sociaux.
[38] Les questions en litige peuvent être résumées de la manière suivante:
37.1 Est-ce que les chartes québécoise et canadienne protègent le droit de manifester sur un chemin public?
37.2 Est-ce que l'obtention d'une autorisation préalable à la tenue d'un défilé ou d'une manifestation porte atteinte au droit constitutionnel de manifester sur un chemin public?
37.3 Est-ce que l'article 500.1 est une limite raisonnable qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique?
[39] Examinons maintenant la position des parties.
2.4.1. L'appelante et l'intervenante
[40] Mme Garbeau a été accusée d'avoir entravé la circulation des véhicules routiers lors d'une manifestation tenue le 15 mars 2011 dénonçant la brutalité policière, commettant ainsi une infraction à l'article 500.1.
[41] Pour sa défense, elle invoque le fait que l'article 500.1 est inconstitutionnel, car il viole la liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique garanties par les chartes québécoise et canadienne. De plus, cet article n'est pas une limite raisonnable qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique en raison du fait que le mécanisme d'autorisation de défilés ou d'autres manifestations n'est encadré par aucun critère.
[42] L'intervenante, la Ligue des droits et libertés soutient la position de l'appelante.
[43] La Procureure générale conteste la conclusion du juge d'instance selon laquelle l'appelante a fait la démonstration que l'article 500.1 porte atteinte à la liberté d'expression ou à la liberté de réunion pacifique.
[44] Elle ajoute que l'activité d'entraver la circulation des véhicules routiers sur un chemin, au cours d'une action concertée destinée à cette fin, est un comportement qui ne constitue pas une activité expressive en soi. Toutefois, elle reconnaît que dans certaines circonstances, comme en l'espèce, cette conduite peut viser à transmettre un message.
[45] Elle fait aussi valoir que le lieu ou le mode d'expression utilisé écartent la protection constitutionnelle. Ainsi, l'entrave à la circulation des véhicules routiers sur un chemin public est un mode d'expression incompatible avec la fonction réelle et historique d'un chemin public.
[46] De plus, les autres caractéristiques du lieu de l'activité et du mode d'expression tendent à indiquer que l'entrave à la circulation des véhicules routiers sur un chemin public minerait les valeurs sous-jacentes de la liberté d'expression.
[47] La Procureure générale affirme aussi que l'article 500.1 n'a pas pour objet ou pour effet de restreindre la liberté d'expression et que l'appelante ne peut revendiquer le droit à une tribune.
[48] Finalement, le mécanisme d’autorisation préalable établit par l’article 500.1 est simple et souple ce qui en fait une limite raisonnable qui se justifie dans une société libre et démocratique.
2.5 - Les dispositions pertinentes
[49] Les dispositions législatives suivantes sont pertinentes:
- Code de la Sécurité Routière :
500.1. Nul ne peut, au cours d'une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussée, l'accotement, une autre partie de l'emprise ou les abords ou y placer un véhicule ou un obstacle, de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l'accès à un tel chemin.
Un agent de la paix peut enlever ou faire enlever aux frais du propriétaire toute chose utilisée en contravention au présent article. Il peut aussi saisir une telle chose; les dispositions du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1) relatives aux choses saisies s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux choses ainsi saisies.
Le présent article ne s'applique pas lors de défilés ou d'autres manifestations préalablement autorisées par la personne responsable de l'entretien du chemin public à la condition que le chemin utilisé soit fermé à la circulation ou sous contrôle d'un corps de police.
Aux fins du présent article, un chemin public comprend un chemin servant de déviation à un chemin public, même si ce chemin est situé sur une propriété privée, ainsi qu'un chemin soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenu par celui-ci.
- Charte canadienne des droits et libertés :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
· a) liberté de conscience et de religion;
· c) liberté de réunion pacifique;
- Charte des droits et libertés de la personne :
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.
9.1. Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
Rôle de la loi.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice.
- Déclaration universelle des droits de l’homme :
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques.
2. Nul ne peut être obligé de faire partie d'une association.
- Pacte relatif aux droits civils et politiques :
Article 21
Le droit de réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui.
- Convention européenne des droits de l’homme
ARTICLE 11
Liberté de réunion et d’association
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État.
[50] Avant d'aborder les questions plus précises posées dans la présente affaire, il est essentiel de situer plus généralement le cadre du débat.
3.1 - Observations préliminaires au sujet du droit constitutionnel de manifester
[51] Les parties adoptent, dans la présente affaire, des positions diamétralement opposées.
[52] D’un côté, Mme Garbeau et la Ligue des droits et libertés, intervenante, recherchent ce qui semble être une déclaration qu'il existe un droit général de manifester en toutes circonstances et en tous lieux sans aucune forme de contrainte règlementaire ou législative.
[53] À l’inverse, la Procureure générale prétend que le droit de manifester sur un chemin public n'est pas protégé.
[54] Les observations des parties donnent ainsi lieu à certaines affirmations catégoriques qui ne démontrent pas toutes les nuances qu’exige une analyse du droit constitutionnel de manifester.
[55] Ces arguments sont sans aucun doute la conséquence inévitable de tout débat judiciaire contradictoire, mais ils sont aussi l'écho du débat public[4].
[56] Le Tribunal n'ignore pas l'existence de débats importants au sein de la société québécoise à l'égard de plusieurs manifestations ayant eu lieu au cours des dernières années et les débordements que certaines d'entre elles ont entraînés. Ces débats portent tant sur l'étendue du droit de manifester que celui de son encadrement.
[57] La preuve et les arguments présentés par les parties devant le juge d'instance reflètent ces débats au sein de la société québécoise.
[58] Selon les points de vue, c'est le comportement des manifestants qui est mis en cause ou celui des autorités policières. On oppose souvent les infractions règlementaires ou criminelles commises par certains manifestants à l'occasion d'une manifestation à l'utilisation d'une force disproportionnée par les corps policiers. On conteste aussi l'application et la constitutionnalité de dispositions législatives ou règlementaires qui encadrent le droit de manifester.
[59] Il faut d'abord dire que le « droit constitutionnel de manifester doit s'exercer tout en respectant le Code criminel. Ce droit ne peut s'exercer en troublant la paix, en commettant des voies de fait, de l'intimidation, en proférant des menaces de mort, par le moyen d'un attroupement illégal ou la participation à une émeute »[5].
[60] L’exercice de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique doit se faire dans le respect de la primauté du droit[6]. Si une règle de droit porte atteinte à l’exercice de ces libertés, un examen constitutionnel de la justification de cette règle doit être mené selon les dispositions justificatives.
[61] Une manifestation peut être pacifique, même si un petit nombre de manifestants observent un comportement qui donne lieu à la commission d'infractions réglementaires ou criminelles. Dans certaines circonstances, une manifestation peut elle-même parfois devenir un attroupement illégal si les exigences de l'article 63 du Code criminel sont satisfaites[7].
[62] Par ailleurs, la seule présence d'une personne sur les lieux d'une manifestation durant laquelle des gestes illégaux sont posés ne permet pas de conclure nécessairement que cette personne, en restant sur les lieux, encourage les auteurs de délits ou aide à dissimuler les auteurs de ces méfaits[8].
[63] Une démocratie constitutionnelle fondée sur la primauté du droit exige que la détermination de la culpabilité ou la responsabilité de chacun soit établie de manière individuelle selon les exigences du processus judiciaire ou quasi judiciaire applicable aux circonstances en cause.
[64] Cela vise tant la conduite des manifestants que celle des policiers qui interviennent. Le respect de la loi s'applique à tous[9]. La primauté du droit n'est pas un principe à géométrie variable.
[65] Ainsi, le droit constitutionnel de manifester requiert l'évaluation de l'ensemble des circonstances qui se présentent aux policiers, ce qui exige la nuance et la pondération.
[66] Le défi qui se pose aux autorités policières lorsqu'elles interviennent lors d'une manifestation publique de masse ne doit pas faire perdre de vue que leur propre conduite peut aussi faire l'objet d'une reddition de compte dans des contextes variés et multiples: une poursuite civile ou un recours collectif, des accusations criminelles, la discipline interne du corps policier, la déontologie policière, une enquête indépendante ou une commission d'enquête publique.
[67] Il est toutefois essentiel de comprendre que les infractions commises par certains ou plusieurs manifestants peuvent justifier l'intervention des autorités policières qui doivent elles-mêmes respecter les limites légales et constitutionnelles qui encadrent leur pouvoir d'intervention.
[68] L'utilisation de la force par les autorités policières peut être justifiée si elle est raisonnable et proportionnelle à la justification de l'intervention.
[69] La faute des uns peut ainsi coexister au plan juridique avec la reconnaissance de la faute des autres.
[70] La réalité dynamique d'une manifestation de masse est complexe et les défis qu'elle pose sont nombreux[10].
[71] Le juge en chef Laskin en donne une description dans sa dissidence dans l'affaire Dupond c. Ville de Montréal[11].
[72] Cette affaire mettait en cause, avant l'adoption de la Charte canadienne, la constitutionnalité d'un règlement municipal de la Ville de Montréal qui interdisait les manifestations.
[73] Le juge en chef Laskin écrit :
Il est certain que l’application du droit criminel est souvent difficile et que les difficultés s’accroissent avec le nombre de personnes impliquées. Toutefois, un des principes fondamentaux de notre droit pénal est que la police doit utiliser contre les délinquants et non contre des innocents les pouvoirs qui lui sont conférés et exercer honnêtement et raisonnablement son jugement à l’égard de l’une ou de l’autre catégorie[12].
[74] La distinction entre les manifestants qui ont un comportement pacifique et les autres est capitale.
[75] Les lignes directrices relatives à la liberté de réunion pacifique, publiées conjointement par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (« OSCE ») et la Commission de Vienne: Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly (« Les lignes directrices relatives à la liberté de réunion pacifique »), soulignent cette nuance ainsi:
However, the use of violence by a small number of participants in an assembly (including the use of inciteful language) does not automatically turn an otherwise peaceful assembly into a non-peaceful assembly, and any intervention should aim to deal with the particular individuals involved rather than dispersing the entire event[13].
[76] Dans son rapport Independent Civilian Review Into Matters Relating To The G20 Summit, l’ancien juge en chef adjoint de la Cour d’appel de l’Ontario John Morden énonce ainsi les défis que pose la gestion des manifestations publiques de masse:
In a democracy where protest is a common form of expression, crowd control at mass demonstrations is a policing function of increasing importance[14].
[77] Les difficultés qui se présentent aux corps policiers dans de telles circonstances font ressortir toute l'importance du pouvoir discrétionnaire des policiers. Dans l'arrêt R. c. Beaudry, la juge Charron souligne ainsi l'importance du pouvoir discrétionnaire des policiers:
Nul ne conteste que le pouvoir discrétionnaire des policiers est un élément essentiel tant de notre système de justice pénale que de la fonction d’agent de police. Il permet une application plus juste du droit aux situations concrètes auxquelles sont confrontés les policiers[15].
[78] Cela dit, le pouvoir discrétionnaire des policiers « n’est pas absolu. Le policier est loin d’avoir carte blanche et [il] doit justifier rationnellement sa décision »[16].
[79] Ainsi, « l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit se justifier subjectivement, c’est-à-dire qu’il doit nécessairement être honnête et transparent et reposer sur des motifs valables et raisonnables »[17]. Il doit « ensuite être justifié au regard d’éléments objectifs »[18]. De plus, « une décision fondée sur le favoritisme ou sur des stéréotypes culturels, sociaux ou raciaux ne peut constituer un exercice légitime de la discrétion policière »[19].
[80] Lors de manifestations, comme dans toute autre situation, le pouvoir discrétionnaire des policiers leur permet de choisir d’intervenir si nécessaire, et d’appliquer, le cas échéant, les dispositions pertinentes d’un règlement municipal, d’une loi québécoise ou fédérale, comme le Code criminel[20].
[81] En résumé, les policiers doivent être « habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu’ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l’ordre »[21].
[82] Toutefois, leur intervention doit être menée « conformément aux règles de droit, qui sont multiples et englobent notamment les restrictions prescrites par la Charte et le Code criminel »[22].
[83] Le présent dossier révèle d'ailleurs l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers. En effet, la preuve présentée et retenue par le juge d'instance fait état de situations où les corps policiers ont toléré la tenue de plusieurs manifestations alors que le trajet n'avait pas été fourni et en l'absence d'une autorisation préalable formelle.
[84] Par exemple, lors la manifestation du 15 mars 2011 ayant donné lieu à l'accusation contre l'appelante les autorités policières ont informé les personnes présentes de leur droit de manifester.
[85] La délicatesse de l'exercice de la discrétion policière en pareilles circonstances est bien décrite par le juge Laskin de la Cour d'appel de l'Ontario dans Henco Industries Ltd. v. Haudenosaunee Six Nations Confederacy Council[23].
[86] Dans cette affaire, bien différente de celle du présent pourvoi, il s'agissait de l'application d'une injonction interdisant certaines manifestations bloquant la voie publique. Le juge Laskin formule les considérations pertinentes qui encadrent une intervention policière et les éléments qui doivent être pondérés dans cette détermination:
[118] The immediate enforcement and prosecution of violations of the law may not always be the wise course of action or the course of action that best serves the public interest. The House of Lords explained this balancing exercise in R. v. Chief Constable of Sussex, ex parte International Trader's Ferry Ltd., [1999] 1 All E.R. 129 (H.L.), at p. 137:
In a situation where there are conflicting rights and the police have a duty to uphold the law the police may, in deciding what to do, have to balance a number of factors, not the least of which is the likelihood of a serious breach of the peace being committed. That balancing involves the exercise of judgment and discretion.
[87] Il est essentiel de bien situer la portée du débat dans la présente affaire.
[88] Le débat porte uniquement sur la question de savoir si l'article 500.1 porte atteinte à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique et si le mécanisme d'autorisation préalable prévu à cet article peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique.
[89] On ne demande pas au Tribunal de déterminer si les gestes posés par certains manifestants lors de la manifestation contre la brutalité policière le 15 mars 2011 méritent une sanction pénale ou si l'intervention policière était raisonnable dans les circonstances.
[90] Le Tribunal doit se livrer au contrôle constitutionnel de la loi. Comme l'explique la Cour suprême: « le contrôle constitutionnel vise précisément à déterminer si une disposition législative respecte la Charte ou non »[24].
[91] Il est facile d'oublier l'importance de la liberté d'expression et de la liberté de réunion pacifique, particulièrement lorsque l'opinion formulée nous choque ou si le mode d'expression utilisé est une source d'inconvénients, de désordre, voire de violence.
[92] Toutefois, lorsque la primauté du droit est respectée, l'exercice de ces libertés n'est pas incompatible avec les exigences d'une société libre et démocratique.
[93] Tel qu'indiqué précédemment, la Procureure générale estime que le droit de manifester sur un chemin public n'est pas protégé par les chartes québécoise et canadienne. Compte tenu de cette position, un bref rappel des principes fondamentaux en cause s'impose.
[94] La liberté d'expression est « [l]'un des piliers des démocraties modernes »[25].
[95] Comme l’explique le juge McIntyre dans SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd.[26], « [e]lle constitue l'un des concepts fondamentaux sur lesquels repose le développement historique des institutions politiques, sociales et éducatives de la société occidentale. La démocratie représentative dans sa forme actuelle, qui est en grande partie le fruit de la liberté d'exprimer des idées divergentes et d'en discuter, dépend pour son existence de la préservation et de la protection de cette liberté »[27].
[96] Dans l'arrêt R. c. Sharpe[28], la juge en chef McLachlin résume les principaux attributs de la liberté d'expression:
21 Au nombre des droits les plus fondamentaux que possèdent les Canadiens figure la liberté d’expression. Celle-ci rend possible notre liberté, notre créativité ainsi que notre démocratie, et ce, en protégeant non seulement l’expression qui est « bonne » et populaire, mais aussi celle qui est impopulaire, voire offensante. Le droit à la liberté d’expression repose sur la conviction que la libre circulation des idées et des images est la meilleure voie vers la vérité, l’épanouissement personnel et la coexistence pacifique dans une société hétérogène composée de personnes dont les croyances divergent et s’opposent. Si nous n’aimons pas une idée ou une image, nous sommes libres de nous y opposer ou simplement de nous en détourner. En l’absence de justification constitutionnelle suffisante toutefois, nous ne pouvons empêcher une personne de l’exprimer ou de la présenter, selon le cas.
22 La liberté d’expression n’est cependant pas absolue. Notre Constitution reconnaît que le Parlement ou une législature provinciale peut parfois limiter certaines formes d’expression. Des considérations générales, telle la prévention de la haine qui divise la société, comme dans l’arrêt Keegstra, précité, ou la prévention du préjudice qui menace des membres vulnérables de notre société, comme dans Butler, précité, peuvent justifier l’interdiction de certaines formes d’expression dans certaines circonstances. En raison de l’importance de la garantie de liberté d’expression, toute tentative visant à restreindre ce droit doit cependant faire l’objet d’un examen très attentif.
23 Les valeurs qui sous-entendent le droit à la liberté d’expression sont notamment l’épanouissement personnel, la recherche de la vérité par l’échange ouvert d’idées et le discours politique qui est fondamental pour la démocratie : Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 976; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 765. Si certaines formes d’expression, comme l’expression politique, sont plus au cœur de la garantie que d’autres, toutes les formes d’expression sont essentielles au maintien d’une société libre et démocratique. Comme la Cour l’explique dans l’arrêt Irwin Toy, précité, p. 968, la garantie « assur[e] que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du cœur ou de l’esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elles. Cette protection », de poursuivre la Cour, « est [...] “fondamentale” parce que dans une société libre, pluraliste et démocratique, nous attachons une grande valeur à la diversité des idées et des opinions qui est intrinsèquement salutaire tant pour la collectivité que pour l’individu ». Selon le juge Cardozo, dans Palko c. Connecticut, 302 U.S. 319 (1937), la liberté d’expression est [traduction] « la matrice, l’élément essentiel de presque toute forme de liberté » (p. 327).
[97] La vie d'une démocratie constitutionnelle n'est pas linéaire. Elle s'accommode des tensions en son sein et elle est fortifiée par plusieurs mécanismes de poids et de contrepoids qui assurent le respect de la primauté du droit.
[98] Voici la description que donne le professeur Paul Woodruff de la démocratie dans son ouvrage, First Democracy: The Challenge of An Ancient Idea:
Democracy faces human limitations more honestly than any other ideal of government. It balances distrust against distrust, through complex machinery. And the distrust in democracy is massive, disturbing and well deserved. The glory of democracy is that it brings distrust into the open and uses it to keep the state from veering too far one way or another[29].
[99] Dans son ouvrage, The Judge in a Democracy, l'ancien président de la Cour suprême d'Israël, Aharon Barak, décrit le caractère multidimensionnel de la démocratie et l'importance des droits de la personne de la manière suivante:
Democracy's world is rich and multifaceted. Democracy should not be viewed from a one-dimensional vantage point. Democracy is multidimensional. It is based both on the centrality of laws and on democratic values, and, at their center, human rights[30].
[100] Il insiste aussi sur l'importance de la tolérance dans une démocratie:
Democracy is based on tolerance. This means tolerance for the acts and belief of others. It also means tolerance for intolerance. In a pluralistic society, tolerance is the unifying force that allows people to live together. Indeed, tolerance constitutes both an end and a means. It constitutes a social goal in itself, which every democratic society should aspire to realize. It serves as a means and a tool for balancing between other social goals and reconciling them, in cases where they conflict with one another[31].
[101] Dans l'arrêt R. c. Oakes[32], le juge en chef Dickson décrit en ces termes les caractéristiques d'une société libre et démocratique:
Un second élément contextuel d'interprétation de l'article premier est fourni par l'expression « société libre et démocratique ». L'inclusion de ces mots à titre de norme finale de justification de la restriction des droits et libertés rappelle aux tribunaux l'objet même de l'enchâssement de la Charte dans la Constitution: la société canadienne doit être libre et démocratique. Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société[33].
[102] Une société démocratique reconnaît le pluralisme, la diversité d'opinion, la tolérance et l'esprit d'ouverture[34]. La poursuite de l'idéal d'une société libre et démocratique encourage la libre participation de tous à la vie publique[35], ce qui comprend nécessairement le droit des citoyens d'exprimer leur dissidence.
[103] Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec[36], la Cour suprême formule les observations suivantes au sujet du bon fonctionnement d'une démocratie et de la prise en compte des voix dissidentes au sein de celle-ci:
[…] [L]e bon fonctionnement d'une démocratie exige un processus permanent de discussion. La Constitution instaure un gouvernement par des assemblées législatives démocratiquement élues et par un exécutif responsable devant elles, [traduction] « un gouvernement [qui] repose en définitive sur l'expression de l'opinion publique réalisée grâce à la discussion et au jeu des idées » (Saumur c. City of Quebec, précité, à la p. 330). Le besoin de constituer des majorités, tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial, par sa nature même, entraîne des compromis, des négociations et des délibérations. Nul n'a le monopole de la vérité et notre système repose sur la croyance que, sur le marché des idées, les meilleures solutions aux problèmes publics l'emporteront. Il y aura inévitablement des voix dissidentes. Un système démocratique de gouvernement est tenu de prendre en considération ces voix dissidentes, et de chercher à en tenir compte et à y répondre dans les lois que tous les membres de la collectivité doivent respecter.
[Le soulignement est ajouté]
[104] Dans l'arrêt MacMillan Bloedel c. Simpson[37], la Cour suprême reconnait le droit d'exprimer publiquement sa dissidence même si, dans cette affaire, la Cour confirme la validité d'une injonction interdisant à des manifestants de barrer des chemins publics.
[105] La juge McLachlin s'exprime ainsi:
13 Comme il en va dans la plupart des cas, le présent pourvoi se rattache à un conflit fondamental. Il s’agit en l’espèce du conflit entre le droit de manifester publiquement sa dissidence, d’une part, et l’exercice de droits de propriété et de droits contractuels, d’autre part. Aussi les appelantes ont-elles tort d’affirmer que les ordonnances en question ne sont rien d’autre qu’une forme de [traduction] « gouvernement par injonction » qui vise à supprimer l’expression publique de la dissidence. L’intimée a également tort d’affirmer que le présent pourvoi n’a rien à voir avec l’expression publique d’une différence d’opinions et ne concerne que la propriété privée. Le présent pourvoi doit être examiné sous ces deux aspects. Dans une société qui prise aussi bien le droit de manifester sa dissidence que la préservation des droits privés, il faut trouver un moyen de concilier les deux intérêts. Les ordonnances judiciaires telles que celle en cause constituent un tel moyen. La tâche des tribunaux consiste à trouver une façon de protéger l’exercice légitime de droits privés tout en laissant le plus possible libre cours à l’exercice légal du droit d’exprimer son opinion et de manifester.
[Le soulignement est ajouté]
[106] Même si elle est énoncée dans un contexte de droit privé, cette reconnaissance du droit d'exprimer publiquement sa dissidence peut être transposée sans difficulté dans un contexte de droit public ou de droit pénal.
[107] Par ailleurs, on ne doit pas perdre de vue que le droit de manifester publiquement sa dissidence est protégé tant dans l'intérêt de ceux qui l'exercent que dans celui de la société en général.
[108] Dans son ouvrage Why Societies Need Dissent, le professeur américain Cass Sunstein l'explique ainsi:
It is usual to think that those who conform are serving the general interest and that dissenters are antisocial, even selfish. In a way this is true. Sometimes conformists strengthen social bonds, whereas dissenters endanger those bonds or at least introduce a degree of tension. But in an important respect, the usual thought has things backwards. Much of the time, it is in the individual’s interest to follow the crowd, but in the social interest for the individual to say and do what he thinks best. Well-functioning societies take steps to discourage conformity and to promote dissent. They do this partly to protect the rights of dissenters, but mostly to protect interests of their own[38].
[109] Quant à la liberté de réunion pacifique et le droit de manifester, le professeur Cutler écrit ceci dès l'année de la proclamation de la Charte canadienne:
Les groupes qui n’ont pas suffisamment d’argent pour se payer de la publicité se sentent souvent obligés de recourir aux manifestations. Si on leur refuse le droit de manifester, on leur enlève les moyens de communiquer. Les manifestations garantissent l’accès aux médias et dans la société occidentale, un tel accès est essentiel à la communication d’un point de vue et à la réalisation des objectifs de groupes[39].
[110] Ainsi, « l’importance de la manifestation découle de l’absence de moyen efficace pour se faire entendre »[40].
[111] La Cour suprême a reconnu la dimension collective de la liberté de réunion pacifique.
[112] Dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)[41], la juge en chef McLachlin et le juge LeBel écrivent:
[64] […] [L]a Charte n’exclut pas les droits collectifs. Bien que les titulaires de droit auxquels elle renvoie soient en général des particuliers, les garanties prévues par l’art. 2 s’appliquent également aux groupes. La liberté de réunion pacifique vise, par définition, une activité collective qui n’est pas susceptible d’être accomplie par une seule personne. […]
[113] C'est en ayant à l'esprit ces principes fondamentaux qu'il faut maintenant aborder la question de savoir si le droit de manifester sur un chemin public est protégé par la liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique garanties par les chartes québécoise et canadienne.
[114] La Procureure générale caractérise erronément le droit revendiqué par l'appelante comme étant le droit d'entraver la circulation alors qu'il s'agit du droit de manifester sur un chemin public.
[115] La position selon laquelle le droit de manifester sur un chemin public n'est pas protégé par les chartes québécoise et canadienne est sans fondement.
[116] Premièrement, elle ne tient pas compte de la protection accordée à ce droit en droit canadien, en droit international et en droit américain.
[117] Deuxièmement, elle est contraire aux conclusions factuelles du juge d'instance.
[118] Troisièmement, la protection du droit de manifester sur le chemin public ressort explicitement du texte même de l'article 500.1.
[119] Examinons ces motifs, un à un.
3.3.1. La protection de la liberté d'expression et de la liberté de réunion pacifique en droit canadien, en droit international et en droit américain
[120] Dans son mémoire et lors de l'audition, la Procureure générale se livre à un développement laborieux visant à démontrer que le droit de manifester sur la voie publique n'est pas protégé par les chartes québécoise et canadienne, car son exercice est fondamentalement incompatible avec la fonction d'un chemin public.
[121] Or, cette question a été définitivement résolue par la Cour suprême dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général)[42], s'il existait même quelque doute que ce soit avant celui-ci.
[122] Voici comment s'exprime la juge Deschamps au nom de la Cour:
[37] Pour que le mode ou lieu de communication d’un message soit exclu de la protection de la Charte, le tribunal doit arriver à la conclusion que l’un ou l’autre est en dissonance avec les valeurs protégées par l’al. 2b), c’est-à-dire l’épanouissement personnel, le débat démocratique et la recherche de la vérité (Ville de Montréal, par. 72). Pour trancher cette question, les facteurs suivants sont suggérés : a) la fonction historique ou réelle du lieu de l’activité ou du mode d’expression; b) les autres caractéristiques du lieu de l’activité ou du mode d’expression qui tendent à indiquer que le fait de s’exprimer à cet endroit ou d’utiliser ce mode d’expression minerait les valeurs sous-jacentes de la liberté d’expression (Ville de Montréal, par. 74). L’analyse ne doit toutefois pas seulement s’attacher à la fonction première du mode d’expression ou du lieu de l’activité. Par exemple, dans les arrêts Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084, Ville de Montréal et Greater Vancouver, notre Cour a jugé qu’un aéroport, un poteau électrique, une voie publique et un autobus sont des lieux où l’exercice de certaines activités expressives n’est pas incompatible avec les autres valeurs que l’al. 2b) est censé favoriser, en dépit du fait que leur fonction première n’est pas l’expression. En effet, la destination première de ces lieux n’était certes pas la communication de messages, mais leur utilisation historique à des fins expressives démontrait que leurs caractéristiques ou fonctions ne les rendraient pas impropres à l’exercice de la liberté d’expression.
[Le soulignement est ajouté]
[123] Deux ans plus tôt, dans l'arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants - Section Colombie-Britannique ( « Greater Vancouver » )[43], la juge Deschamps formule la même opinion au sujet de la protection accordée au droit de s'exprimer sur la voie publique :
[27] Depuis longtemps, la Cour interprète de manière généreuse et téléologique les droits et libertés garantis par la Charte (Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295). Son interprétation de l’al. 2b) ne fait pas exception : SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, p. 588; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-749 et 766-767; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697. L’activité par laquelle on transmet ou tente de transmettre un message bénéficie de prime abord de la protection de l’al. 2b) (Irwin Toy, p. 968-969). De plus, la Cour a reconnu que l’al. 2b) protège le droit individuel de s’exprimer dans certains endroits ou espaces publics (Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139 (aéroport); Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 (poteau électrique); Ville de Montréal, par. 61 (voie publique)). La Charte protège donc de prime abord non seulement l’activité expressive, mais aussi le droit de l’exercer dans certains lieux publics (Ville de Montréal, par. 61).
[Le soulignement et les caractères gras sont ajoutés]
[124] La Cour d'appel de l'Ontario a récemment conclu en ce sens. Dans l'affaire Figueiras c. Toronto Police Services Board[44], la Cour devait considérer la conduite des autorités policières en marge des manifestations tenues lors du sommet du G-20 en juin 2010. Le juge Rouleau écrit:
[71] The second step of the test is satisfied because nothing about Mr. Figueiras' conduct would remove his intended expressive activity from the scope of s. 2(b) protection: see 2952-1366 Québec Inc., at paras. 62-81. Neither the method nor the location of Mr. Figueiras' intended activity conflicts with the values protected by s. 2(b) (i.e., self-fulfillment, democratic discourse and truth finding): Canadian Broadcasting Corp. v. Canada (Attorney General), [2011] 1 S.C.R. 19, [2011] S.C.J. No. 2, 2011 SCC 2, at para. 37. In particular, public streets are "clearly areas of public, as opposed to private, concourse, where expression of many varieties has long been accepted": 2952-1366 Québec Inc., at para. 81. Demonstrating around the G20 site, including the area adjacent to the security fence, was a perfectly lawful — and indeed reasonably expected — activity.
[125] Comme l'affirment les professeurs Roach et Schneiderman :
Streets and parks seem to be paradigmatic of the sorts of public places available for the conduct of expressive activity[45].
[126] C'est aussi l'avis de l'auteur Gabriel Babineau qui, après avoir considéré l'arrêt Greater Vancouver, écrit ce qui suit:
Suivant ce cadre d’analyse, il semble évident qu’une manifestation qui se déroule sur une route publique, ou dans un endroit public, tel un parc, tombera normalement sous la protection de l’article 2 (b) de la Charte. Ce serait particulièrement le cas, puisque, comme le remarque l’auteur Patrick Forget, « [l]es nombreuses manifestations qui se déroulent pacifiquement année après année témoignent que l’évènement manifestant n’est pas incompatible avec les fonctions principales assumées par les voies et les parcs publics »[46].
[127] De l'avis du Tribunal, il ne fait aucun doute que la liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique protègent le droit de s'exprimer sur la voie publique même « si la destination première de ces lieux n’[est] certes pas la communication de messages, mais leur utilisation historique à des fins expressives démontr[e] que leurs caractéristiques ou fonctions ne les rend[ent] […] pas impropres à l’exercice de la liberté d’expression »[47].
[128] Cette reconnaissance est conforme à certaines décisions judiciaires rendues dans d'autres contextes[48].
[129] Au sujet plus spécifiquement de la liberté de réunion pacifique, il est utile de préciser que les tribunaux canadiens ont souvent interprété la protection accordée à celle-ci en parallèle avec l'analyse dévolue à la liberté d'expression[49].
[130] Par contre, les commentaires de l'ancien juge en chef adjoint Morden au sujet de la formation reçue par les policiers avant la tenue du G-20 à Toronto en juin 2010 témoignent de l'existence d'un consensus au sujet de la protection accordée à la liberté de réunion pacifique par la Charte canadienne :
The substance of the training administered to officers covered a broad range of topics related to policing the G20 Summit, with a particular focus on crowd dynamics and management. Crowd management skills are a critical component of safety planning for any major event and were essential in the case of the G20 Summit given its unprecedented size, the thousands of police and security personnel involved, and the security requirements for the event. While the training materials developed were clearly presented and highly relevant to maximizing safety in mass protest situations, the training was lacking in several respects.
First, the training would have benefitted from a more detailed discussion of the relationship between the exercise of police powers, such as arrest, and the relevant Charter rights and freedoms engaged in policing mass public demonstrations, such as the freedom of peaceful assembly. There should have been a greater emphasis in training on the police officers’ responsibility to protect and facilitate the public’s exercise of their fundamental rights and freedoms under the Charter.
Second, many of the images and much of the language used in the training materials to depict protestors was unbalanced. Representations of rioting crowds, violent protestors, and anarchists left the impression that all protestors at the G20 Summit would engage in destructive protest activity and that police officers would be required to respond with aggressive crowd control measures.
Third, given the increased potential for violence and civil disorder in a mass protest situation, all officers deployed to the G20 Summit should have received more practical skills' training than was offered. This should have included simulated scenario training with groups of non-violent and violent protestors that focus on the powers of police to detain or arrest, as well as the legal rights an individual has when the police engage in such conduct[50].
[Le soulignement est ajouté]
[131] L'auteur Babineau met en relief la dimension collective de la liberté de réunion pacifique en ces termes:
La liberté de réunion pacifique se distinguerait donc de la liberté d’expression puisqu’elle a pour objet la protection d’une activité collective plutôt qu’individuelle. Par contre, cela ne veut pas dire que la liberté de réunion pacifique est, à proprement parler, une liberté collective. Il s’agirait plutôt, comme le précise l’auteur Yannick Lécuyer, d’un « droit individuel de dimension collective » parce que c’est une liberté individuelle qui ne peut être exercée que collectivement[51].
[132] Comme on l'a souligné plus tôt, la dimension collective de la liberté de réunion pacifique a été récemment reconnue par la Cour suprême dans l'arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)[52].
[133] Quelques mots maintenant au sujet de l'arrêt Dupond c. Ville de Montréal[53] que la Procureure générale du Québec invoque.
[134] Dans cette affaire, la Cour suprême devait décider de la constitutionnalité d'un règlement de la Ville de Montréal qui interdisait les manifestations. Le juge Beetz écrit ce qui suit:
3. Les libertés d’expression, de réunion et d’association, ainsi que la liberté de la presse et la liberté de religion, sont distinctes et indépendantes de la faculté de tenir des assemblées, des défilés, des attroupements, des manifestations, des processions dans le domaine public d’une ville. Cela est particulièrement vrai pour la liberté d’expression et la liberté de la presse dont traitait le Renvoi relatif aux lois de l’Alberta (précité). Une manifestation n’est pas une forme de discours mais une action collective. C’est plus une démonstration de force qu’un appel à la raison; la confusion propre à une manifestation l’empêche de devenir une forme de langage et d’atteindre le niveau du discours.
4. Le droit de tenir des réunions publiques sur un chemin public ou dans un parc est inconnu en droit anglais. Loin d’être l’objet d’un droit, la tenue d’une réunion publique dans une rue ou dans un parc peut constituer une atteinte aux droits des pouvoirs municipaux qui sont propriétaires de la rue, même si aucun tiers n’est gêné et qu’aucun préjudice n’en résulte; elle peut également constituer une nuisance […][54].
[135] En se fondant sur l'arrêt Dupond, la Procureure générale fait valoir que les tribunaux n'ont jamais reconnu qu'il existait un droit d'entraver la circulation des véhicules routiers sur les chemins publics. Elle affirme que l'appelante ne peut prétendre que ce droit lui a été historiquement reconnu et qu'il n'entrave pas l'activité pour laquelle ces chemins sont destinés.
[136] D'une part, la qualification du droit invoqué par l'appelante dans la présente affaire est erronée. Il s'agit du droit de manifester sur un chemin public et non du droit d'entraver la circulation. D'autre part, l'arrêt Dupond est rendu avant l'adoption de la Charte.
[137] Dans l'arrêt Comité pour la République[55], la juge L'Heureux-Dubé note le fait que l'arrêt Dupond a été rendu avant la proclamation de la Charte:
Dans l'arrêt Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770, le juge Beetz a émis l'opinion, à la p. 797, au nom de la majorité, que "[l]oin d'être l'objet d'un droit, la tenue d'une réunion publique dans une rue ou dans un parc peut constituer une atteinte aux droits des pouvoirs municipaux qui sont propriétaires de la rue" et que la libre expression ne saurait servir de fondement à l'annulation d'un règlement municipal interdisant toute manifestation pendant un mois. Cet arrêt a toutefois été rendu avant la proclamation de la Charte et offre tout au moins la preuve qu'on peut comprendre que les règles de droit relatives à la violation de propriété peuvent constituer une restriction légale de la liberté d'expression.
Mais le caractère distinct de la propriété gouvernementale restreint l'application des règles de droit relatives à la violation de propriété. Comme l'a affirmé la Cour suprême des États-Unis dans Hague v. Committee for Industrial Organization, 307 U.S. 496 (1939), aux pp. 515 et 516:
[traduction] Peu importe qui détient le titre de propriété afférent aux rues et aux parcs, ces lieux ont de façon immémoriale fait l'objet d'une propriété en fiducie pour l'usage du public et ont été utilisés, depuis toujours, dans le but de tenir des assemblées et de permettre l'échange d'idées entre les citoyens et la discussion de questions d'intérêt public. Depuis les temps anciens, cette utilisation des rues et des lieux publics fait partie des privilèges, des immunités, des droits et des libertés des citoyens. Le droit qu'a un citoyen des États - Unis de se servir des rues et des parcs aux fins de communiquer ses points de vue sur des questions nationales peut être réglementé dans l'intérêt collectif; il s'agit d'un droit non pas absolu mais relatif dont l'exercice doit être subordonné à la convenance et à l'agrément généraux et être en harmonie avec la paix et l'ordre. Il ne doit toutefois pas sous le couvert d'une réglementation être restreint ou supprimé.
Et selon Harry Kalven, Jr. dans "The Concept of the Public Forum: Cox v. Louisiana", [1965] Sup. Ct. Rev. 1, aux pp. 11 et 12:
[traduction] . . . dans une société ouverte et démocratique les rues, les parcs et d'autres endroits publics sont des lieux importants pour la discussion publique et pour le processus politique. Ils constituent en somme un forum public que le citoyen peut réquisitionner; la générosité et la compréhension avec lesquelles ces lieux sont mis à la disposition des citoyens sont un indice de liberté.
Cependant, même le droit à l'expression de ses opinions politiques n'est pas absolu comme l'a expliqué la Cour suprême des États-Unis dans Cox v. Louisiana, 379 U.S. 536 (1965), à la p. 554:
[traduction] Même si les droits de parole et de réunion sont fondamentaux dans notre société démocratique, il ne faut quand même pas conclure que toute personne désireuse d'exprimer des opinions ou des croyances peut prendre la parole en public n'importe où et n'importe quand. La liberté garantie par la constitution suppose l'existence d'une société organisée, capable de maintenir l'ordre public sans lequel cette même liberté serait perdue dans les excès de l'anarchie. [Je souligne.][56]
[138] Dans l'affaire Ontario (A.G.) c. Dieleman[57], le juge Adams de la Cour supérieure de l'Ontario avait délivré une injonction interdisant à certaines personnes d’exhiber des pancartes de protestation à proximité de certaines cliniques d’avortement[58].
[139] Dans son jugement, le juge Adams explore plusieurs questions qui concernent la portée de la protection accordée par la Charte canadienne à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique. Il trace un portrait historique de la protection constitutionnelle accordée au droit de manifester avant l’adoption de la Charte canadienne et il aborde, naturellement, la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Dupond.
[140] Il écrit ce qui suit au sujet de cette décision:
The passage of the Charter of Rights and Freedoms has radically altered this perspective, bringing Canadian law and practice more into tune with the fundamental nature of public speech in its various democratic manifestations. It is now recognized that speaking out on public property is an important aspect of political participation, particularly for individuals and groups who lack access to the official press or media or even to mainstream political life: see Stoykewych, "Street Legal", supra, at p. 45, Committee for the Commonwealth of Canada v. Canada, supra; and Ramsden v. Peterborough (City), supra[59].
[141] Le Tribunal adopte l'analyse du juge Adams et estime qu'il n'est pas lié par l'arrêt Dupond, particulièrement si on considère la jurisprudence récente de la Cour suprême qui reconnaît l'exercice de la liberté d'expression sur la voie publique.
[142] Cette reconnaissance est d'ailleurs conforme au droit international.
3.3.1.2. Le droit international
[143] Dans l'arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan[60], la juge Abella rappelle l'importance des obligations internationales du Canada lorsqu'on interprète la Charte canadienne:
[64] Dans R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, le juge LeBel confirme que, en interprétant la Charte, la Cour « a tenté d’assurer la cohérence entre son interprétation de la Charte, d’une part, et les obligations internationales du Canada et les principes applicables du droit international, d’autre part » (par. 55). Puis, dans Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 3 R.C.S. 157, par. 23, la Cour confirme qu’« il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne ».
[144] Le Canada a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[61] qui protège, à son article 21, le droit de réunion pacifique. Les libertés fondamentales protégées par les chartes québécoise et canadienne s'inspirent des instruments de protection des droits internationaux[62].
[145] À cet égard, il est intéressant de consulter l'analyse contenue dans la deuxième édition des lignes directrices relatives la liberté de réunion pacifique publiée en 2010 conjointement par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (« OSCE ») et la Commission de Vienne: Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly[63].
[146] Ces lignes directrices sont publiées à l'intention des États membres de l'OSCE afin de les aider à s'assurer que leur législation nationale est respectueuse de leurs obligations internationales, européennes et en tant qu'état membre de l'OSCE.
[147] Elles s'appuient notamment sur l'analyse des instruments internationaux et européens pertinents qui accordent une protection à la liberté de réunion pacifique.
[148] L'analyse contenue dans ces lignes directrices et dans les notes explicatives qui les accompagnent est un résumé utile des principes de base de la portée de la protection accordée à la liberté de réunion pacifique en droit international et en droit européen[64].
[149] Les lignes directrices abordent toutes les questions pertinentes au respect de la liberté de réunion pacifique et à sa mise en œuvre : 1) la notion de réunion pacifique; 2) les principes directeurs; 3) les restrictions à cette liberté; 4) les questions procédurales et 5) la mise en œuvre du droit à la liberté de réunion pacifique.
[150] La liberté de réunion pacifique est définie largement:
1.1 Freedom of peaceful assembly is a fundamental human right that can be enjoyed and exercised by individuals and groups, unregistered associations, legal entities and corporate bodies. Assemblies may serve many purposes, including the expression of diverse, unpopular or minority opinions. The right can be an important strand in the maintenance and development of culture, such as in the preservation of minority identities. The protection of the freedom to peacefully assemble is crucial to creating a tolerant and pluralistic society in which groups with different beliefs, practices or policies can exist peacefully together.
1.2 Definition of assembly. For the purposes of the Guidelines, an assembly means the intentional and temporary presence of a number of individuals in a public place for a common expressive purpose. This definition recognizes that, although particular forms of assembly may raise specific regulatory issues, all types of peaceful assembly - both static and moving assemblies, as well as those that take place on publicly or privately owned premises or in enclosed structures - deserve protection.
1.3 Only peaceful assemblies are protected. An assembly should be deemed peaceful if its organizers have professed peaceful intentions and the conduct of the assembly is non-violent. The term “peaceful” should be interpreted to include conduct that may annoy or give offence, and even conduct that temporarily hinders, impedes or obstructs the activities of third parties[65].
[151] La légitimité de l'utilisation des chemins publics pour l'exercice de la liberté de réunion pacifique est ainsi décrite:
3.2 Public space. Assemblies are as legitimate uses of public space as commercial activity or the movement of vehicular and pedestrian traffic. This must be acknowledged when considering the necessity of any restrictions[66].
[152] Au sujet de l'utilisation temporaire des chemins publics pour l'exercice de la liberté de réunion pacifique, les notes explicatives fournissent les précisions suivantes:
19. These Guidelines apply to assemblies held in public places that everyone has an equal right to use (including, but not limited to, public parks, squares, streets, roads, avenues, sidewalks, pavements and footpaths). In particular, the state should always seek to facilitate public assemblies at the organizers’ preferred location, where this is a public place that is ordinarily accessible to the public (see paras. 39-45, in relation to proportionality).
20. Participants in public assemblies have as much a claim to use such sites for a reasonable period as anyone else. Indeed, public protest, and freedom of assembly in general, should be regarded as equally legitimate uses of public space as the more routine purposes for which public space is used (such as commercial activity or for pedestrian and vehicular traffic)[67].
[153] Comme on peut le constater, l'accès temporaire au chemin public pour l'exercice de la liberté de réunion pacifique est consacré en droit international.
[154] Le droit américain est au même effet.
[155] Dans son ouvrage Why Societies Need Dissent, le professeur Sunstein résume succinctement le droit américain au sujet de l’exercice du droit de manifester sur un chemin public. Il confirme que l'accès aux rues et aux parcs est protégé afin d'exercer le droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique :
In short, governments are obliged to allow speech to occur freely on public streets and in public parks. This is so even if many citizens would prefer to have peace and quiet, and even if people find it annoying, or worse, to come across protesters and dissidents when simply walking home or driving to a local grocery or restaurant[68].
[156] L'accès aux chemins publics afin d'exercer la liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique est donc protégé en droit canadien, en droit international et en droit américain.
3.3.2. Le texte de l'article 500.1 et l'intention législative
[157] La position que fait valoir la Procureure générale au sujet de la protection de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique est contredite par le texte même de l’article 500.1 qui autorise l’accès temporaire aux chemins publics lorsque que certaines modalités sont satisfaites.
[158] L’objet et l’intention législative ayant conduit à l'adoption de cet article est d’autoriser l’accès aux chemins publics pour les fins de la tenue de manifestations et de défilés moyennant le respect de certaines conditions.
[159] L'article 500.1 ne fait que confirmer que les libertés d'expression et de réunion pacifique protègent le droit de manifester, du moins temporairement, sur un chemin public.
3.3.3. Les conclusions du juge d'instance
[160] Dans un jugement soigné et clair, le juge d'instance tire certaines conclusions de nature factuelle au sujet de l'utilisation historique des chemins publics pour exercer le droit de manifester.
[161] Par exemple, le juge résume et évalue le témoignage rendu par le professeur de sociologie à l'Université McGill, Marcos Ancelovici. Il s'exprime ainsi:
[22] Marcos Ancelovici, sociologue qui enseigne à l’Université McGill, s’intéresse aux mouvements sociaux. Il a été qualifié à titre d’expert capable d’informer le Tribunal sur la notion de manifestation, son développement et son utilisation, et en particulier l’utilisation de la manifestation comme moyen d’expression.
[23] À la lumière du témoignage et du rapport d’expertise de Marcos Ancelovici, le Tribunal retient qu’une manifestation est une activité expressive et un phénomène collectif. Ceux et celles qui y participent, souvent marginalisés, véhiculent un message.
[24] D’ailleurs, un objectif de la manifestation est d’attirer l’attention médiatique afin de communiquer ce message et d’influencer les politiques publiques. La perturbation de l’ordre public est une façon d’attirer cette attention médiatique. De plus, la manifestation se tient souvent dans la rue ou sur les chemins publics et son trajet peut être investi d’un sens particulier. La manifestation peut être une fin en elle-même. Entre autres, elle permet à un mouvement social de « prendre corps ». Finalement, la manifestation peut prendre plusieurs formes : par exemple, elle peut être spontanée et ne pas avoir d’organisateur.
[25] M. Ancelovici témoigne à l’effet que plusieurs groupes, souvent marginalisés, dépendent de la perturbation de l’ordre public pour se faire entendre. De plus, même si le Tribunal retenait l’hypothèse qu’il y a une « routinisation » des manifestations en Occident, celui-ci ne retient cependant pas les conclusions du témoin quant à cette « routinisation » au Canada. Selon lui, les Canadiens (incluant les Québécois) sont de plus en plus favorables à l’idée de manifester. Or, la façon dont il interprète les études qu’il présente est peu fiable et l’application des conclusions de ces études au contexte canadien, spéculative.
[26] Le Tribunal ne retient pas non plus ses conclusions à l’effet que les Canadiens (incluant les Québécois) participent de plus en plus à des manifestations. Plusieurs données qu’il présente sont partielles et la méthodologie qu’il utilise pour le faire, peu fiable. De plus, il n’attache pas d’importance au fait que les manifestations auxquelles il se réfère ou auxquelles les études qu’il mentionne se réfèrent, soient autorisées ou non. Finalement, le Tribunal ne retient pas ses conclusions à l’effet que les rapports entre les manifestants et les policiers se soient « normalisés » car il ne présente aucune donnée pour étayer cette affirmation.
[Le soulignement est ajouté]
[162] De plus, le juge d'instance est « convaincu sur la base de la preuve entendue que les chemins publics de Montréal sont des lieux de rencontres publics et non privés, où la manifestation de rue est une forme d’expression acceptée depuis longtemps »[69].
[163] Il souligne aussi qu'il « est satisfait que la Cour Suprême et des cours d’appel ont reconnu que les rues sont manifestement des lieux où diverses formes d’expression incluant des manifestations, sont acceptées depuis longtemps »[70].
[164] Lors d'un débat constitutionnel, la norme de contrôle à l'égard des faits en litige, des faits sociaux et des faits législatifs est celle de l'erreur manifeste et dominante[71].
[165] La Procureure générale ne fait voir aucune erreur de cette nature à l'égard des conclusions du juge d'instance dans son jugement.
[166] Ce faisant, il lui est difficile de prétendre que la fonction historique des rues et des chemins publics est incompatible avec l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de réunion pacifique alors que la preuve présentée l'établit et que le juge d'instance retient cette preuve.
3.4 - Est-ce que l’article 500.1 porte atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique?
[167] Ayant conclu que les chartes québécoise et canadienne protègent le droit de manifester sur un chemin public, il faut décider si l’article 500.1 porte atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique.
[168] L’article 500.1 interdit les manifestations et les défilés qui ne sont pas autorisés.
[169] L’exercice du droit de manifester sur un chemin public est assujetti à une autorisation préalable.
[170] Comme l’explique la Cour suprême dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.[72] « [l]orsque l’effet d’une disposition est de limiter l’expression, la violation de l’al. 2b) sera établie, à la condition que le demandeur démontre que l’expression en cause favorise l’une des valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression »[73].
[171] Une manifestation ou un défilé favorise les valeurs sous-jacentes à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique: soit le débat démocratique, la recherche de la vérité et l'épanouissement personnel[74].
[172] L'article 500.1 est un régime de restriction préalable (« prior restraint ») à l'exercice du droit de manifester sur un chemin public[75].
[173] Un tel régime porte atteinte à l'exercice des libertés d'expression et de réunion pacifique et sa justification doit être démontrée selon les exigences de l'article premier de la Charte canadienne et l'article 9.1 de la Charte québécoise.
3.5 - L'article 500.1 est-il une limite qui se justifie dans une société libre et démocratique?
[174] L'opinion formulée par le juge La Forest dans Comité pour la République du Canada c. Canada[76] pose avec simplicité la question qui doit être résolue dans la présente affaire. Il écrit:
Je partage l'opinion du Juge en chef et du juge McLachlin que cette liberté ne comprend pas le droit d'utiliser toutes les propriétés du gouvernement aux fins de répandre ses opinions sur des questions de nature publique, mais je n'ai aucun doute qu'elle comprend le droit d'utiliser à ces fins les rues et parcs qui sont destinés à l'usage du public, sous réserve sans doute d'une réglementation raisonnable conçue en vue d'assurer leur utilisation continue pour les fins auxquelles ils sont destinés[77].
[175] Essentiellement, il importe de décider, en l'espèce, si le mécanisme d'autorisation préalable prévu à l'article 500.1 et son large pouvoir discrétionnaire est une réglementation raisonnable selon les exigences des dispositions justificatives des chartes québécoise et canadienne.
[176] La question peut être formulée ainsi : est-ce que le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 500.1 est si large qu’il ne peut être considéré comme une limite raisonnable justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique?
[177] Le cadre d'analyse général pour répondre à cette question a d'abord été formulé par l'arrêt R. c. Oakes[78].
[178] Ce critère est résumé dans l'arrêt Carter c. Canada (Procureur général)[79]:
[94] Pour justifier, en vertu de l’article premier de la Charte, l’atteinte aux droits que reconnaît l’art. 7 aux appelants, le Canada doit démontrer que l’objet de la loi est urgent et réel et que les moyens choisis sont proportionnels à cet objet. Une loi est proportionnée à son objet si (1) les moyens adoptés sont rationnellement liés à cet objet, (2) elle porte atteinte de façon minimale au droit en question, et (3) il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi : R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103[80].
3.5.1. L'article 500.1 est-il une règle de droit?
[179] Même s'il confère un large pouvoir discrétionnaire, l'article 500.1 est une règle de droit au sens des dispositions justificatives[81].
[180] Il est vrai, comme l'affirme l'opinion majoritaire dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), que « si le législateur a conféré le pouvoir discrétionnaire absolu de faire ce qui semble être le mieux dans une grande variété de cas, il n'y a pas de restriction prescrite «par une règle de droit »[82].
[181] Toutefois, comme l'explique le juge Sopinka dans l'arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor): « [c]omme il peut fort bien être raisonnable dans les circonstances de conférer un large pouvoir discrétionnaire, il vaut mieux dans la vaste majorité des cas aborder la question de l'imprécision dans le cadre d'une analyse fondée sur l'article premier plutôt que d'invalider d'emblée la loi »[83].
[182] Lorsque la norme minimale générale de précision est respectée, « on devrait examiner tous les autres arguments relatifs à la précision des textes de loi à l'étape de l'étude de l'« atteinte minimale » de l'analyse fondée sur l'article premier »[84].
[183] C'est ce que le Tribunal fera.
3.5.2. L'objectif urgent et réel[85]
[184] Le CSR régit l'utilisation des véhicules sur les chemins publics et la circulation des piétons sur ceux-ci. Il établit les règles relatives à la sécurité routière, les transports routiers des personnes et des marchandises.
[185] Le CSR vise plus particulièrement à régir l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et la circulation des piétons sur ces chemins. Son article 1 est explicite à ce sujet :
1. Le présent code régit l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et, dans les cas mentionnés, sur certains chemins et terrains privés ainsi que la circulation des piétons sur les chemins publics.
Il établit les règles relatives à la sécurité routière, à l’immatriculation des véhicules routiers et aux permis et licences dont l’administration relève de la Société de l’assurance automobile du Québec ainsi qu’au contrôle du transport routier des personnes et des marchandises. [...]
[186] L’article 4 définit ce qu’est un chemin public:
« chemin public »: la surface de terrain ou d’un ouvrage d’art dont l’entretien est à la charge d’une municipalité, d’un gouvernement ou de l’un de ses organismes, et sur une partie de laquelle sont aménagées une ou plusieurs chaussées ouvertes à la circulation publique des véhicules routiers et, le cas échéant, une ou plusieurs voies cyclables, à l’exception:
[...]
[187] Le terme « chaussée » est lui aussi défini à l’article 4:
« chaussée »: la partie d’un chemin public normalement utilisée pour la circulation des véhicules routiers;
[188] Comme le titre du CSR l’indique et comme le confirme le deuxième alinéa de l’article 1, le législateur se préoccupe avant tout de sécurité routière. À cet égard, différentes règles sont établies par le CSR afin d’assurer que la circulation des véhicules routiers sur les chemins publics se fasse de façon sécuritaire, tant pour les conducteurs et les passagers des véhicules que pour les piétons.
[189] Par exemple, le CSR fixe des règles concernant les véhicules et leur équipement (Titre VI, art. 210 à 287.2), la signalisation routière (Titre VIII, art. 288 à 318) et la circulation routière (Titre VIII, art. 319 à 519). Il régit également les permis relatifs à la conduite des véhicules routiers de façon à s’assurer que l’autorisation de conduire n’est accordée qu’aux personnes qui possèdent les compétences et les attitudes de prudence nécessaires à la sécurité du public (Titre Il, art. 60.1 à 146.1 et Titre V, art. 180 à 209.26).
[190] La possible présence de piétons sur un chemin public ouvert à la circulation de véhicules routiers présente un enjeu important de sécurité routière. C’est la raison pour laquelle le CSR édicte, dans le Chapitre III du Titre III, portant sur la circulation routière, des dispositions particulières applicables aux piétons:
CHAPITRE III
DISPOSITIONS PARTICULIÈRES APPLICABLES AUX PIÉTONS
444. Lorsque des feux pour piétons sont installés à une intersection, un piéton doit s’y conformer.
En face d’une silhouette blanche d’un piéton fixe, un piéton peut traverser la chaussée.
En face d’une main orange fixe, un piéton ne peut s’engager sur la chaussée.
En face d’un feu clignotant, un piéton qui a déjà commencé à traverser la chaussée doit presser le pas jusqu’au trottoir ou à la zone de sécurité.
En face d’un feu clignotant accompagné d’un décompte numérique, un piéton peut s’engager sur la chaussée seulement s’il est en mesure d’atteindre l’autre trottoir ou la zone de sécurité avant que le feu ne passe à la main orange fixe.
445. Lorsqu’il n’y a pas de feux pour piétons, un piéton doit se conformer aux feux de circulation.
446. À un passage pour piétons qui n’est pas situé à une intersection réglementée par des feux de circulation, un piéton doit, avant de s’y engager, s’assurer qu’il peut le faire sans risque.
447. Lorsqu’il n’y a pas d’intersections ou de passages pour piétons clairement identifiés et situés à proximité, un piéton qui traverse un chemin public doit céder le passage aux véhicules routiers et aux cyclistes qui y circulent.
448. Un piéton ne peut se tenir sur la chaussée pour solliciter son transport ou pour traiter avec l’occupant d’un véhicule.
449. Un piéton ne peut solliciter son transport aux endroits où le dépassement est interdit.
450. Lorsqu’il y a une intersection ou un passage pour piétons à proximité, un piéton ne peut traverser un chemin public qu’à l’un de ces endroits.
451. Un piéton est tenu de traverser la chaussée perpendiculairement à son axe. Il ne peut la traverser en diagonale que s’il y est autorisé par un agent de la paix, un brigadier scolaire ou une signalisation.
452. Lorsqu’un trottoir borde la chaussée, un piéton est tenu de l’utiliser. En cas d’impossibilité d’utiliser le trottoir, le piéton peut longer celui-ci sur le bord de la chaussée, en s’assurant qu’il peut le faire sans danger.
453. Lorsqu’aucun trottoir ne borde une chaussée, un piéton doit circuler sur le bord de la chaussée et dans le sens contraire de la circulation des véhicules, en s’assurant qu’il peut le faire sans danger.
453.1. Un piéton ne peut circuler sur un chemin à accès limité ni sur une voie d’entrée ou de sortie d’un tel chemin, sauf en cas de nécessité. Toutefois, il peut traverser ce chemin à une intersection lorsque des feux de circulation y sont installés.
[191] On constate à la lecture de ces dispositions que la chaussée d’un chemin public n’est pas un endroit où un piéton peut circuler ou se tenir à sa guise.
[192] Un piéton ne peut circuler sur un chemin à accès limité, comme une autoroute par exemple, ni sur une voie d’entrée ou de sortie d’un tel chemin, sauf en cas de nécessité (art. 453.1).
[193] Quant aux autres chemins publics, un piéton peut certes traverser la chaussée, mais doit le faire perpendiculairement à son axe (art. 451), aux intersections ou aux passages pour piétons lorsqu’il y en a à proximité (art. 450), en respectant les feux pour piétons s’il y en a (art. 444) ou les feux de circulation (art. 445) et, en l’absence de ceux-ci, en s’assurant qu’il peut le faire sans risque (art. 446). Lorsqu’il n’y a pas d’intersection ou de passages pour piétons situés à proximité, le piéton qui traverse un chemin public doit céder le passage aux véhicules routiers et aux cyclistes qui y circulent.
[194] Sur ces mêmes chemins, le piéton qui désire circuler dans l’axe du chemin public doit utiliser le trottoir qui borde la chaussée (art. 452). Si aucun trottoir ne borde cette chaussée, il doit circuler sur le bord de celle-ci et dans le sens contraire de la circulation des véhicules, en s’assurant qu’il peut le faire sans danger (art. 453). Il lui est par conséquent interdit de circuler, à sa guise, au contre sens des voies de circulation ou au milieu du chemin.
[195] L’article 500, bien que ne s’appliquant pas uniquement aux piétons, vient renforcer les restrictions et les interdictions examinées ci-dessus quant à l’usage de la chaussée par ceux-ci. Cet article prévoit :
500. Nul ne peut, sans y être autorisé légalement, occuper la chaussée, l’accotement, une autre partie de l’emprise ou les abords d’un chemin public ou y placer un véhicule ou un obstacle, de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l’accès à un tel chemin.
Un agent de la paix peut enlever ou faire enlever aux frais du propriétaire toute chose utilisée en contravention au présent article. Il peut aussi saisir une telle chose; les dispositions du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1) relatives aux choses saisies s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux choses ainsi saisies.
Aux fins du présent article, un chemin public comprend un chemin servant de déviation à un chemin public, même si ce chemin est situé sur une propriété privée, ainsi qu’un chemin soumis a l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenu par celui-ci.
[196] L’article 500.1 poursuit les mêmes objectifs de sécurité routière que ceux poursuivis par l’article 500.
[197] Par ailleurs, plusieurs dispositions du CSR indiquent que le législateur, en plus de poursuivre des objectifs de sécurité routière, a aussi celui d’assurer la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics ainsi que l’accès aux immeubles qui les bordent.
[198] Mentionnons, à titre d’exemple, les dispositions suivantes:
331. Sauf en cas de nécessité, nul ne peut conduire un véhicule routier à une lenteur susceptible de gêner ou d’entraver la circulation normale.
Dans un tel cas, le conducteur doit utiliser les feux de détresse de son véhicule.
382. Sauf en cas de nécessité, nul ne peut immobiliser un véhicule routier de manière à rendre une signalisation inefficace, à gêner la circulation, l’exécution de travaux ou l’entretien du chemin ou à entraver l’accès à une propriété.
384. NuI ne peut immobiliser un véhicule routier sur la chaussée d’un chemin public où la vitesse maximale permise est de 70 km/h ou plus, sauf en cas de nécessité ou à moins qu’une signalisation ne l’y autorise.
447. Lorsqu’il n’y a pas d’intersections ou de passages pour piétons clairement identifiés et situés à proximité, un piéton qui traverse un chemin public doit céder le passage aux véhicules routiers et aux cyclistes qui y circulent.
[199] Ajoutons à ces dispositions, l’article 500, cité plus haut, et l’article 500.1 qui visent aussi à empêcher les entraves à la circulation des véhicules routiers sur les chemins publics ou l’accès à de tels chemins.
[200] Un sous-objectif à celui d’assurer la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics ainsi que l’accès aux immeubles qui les bordent concerne la protection des citoyens du Québec et de leurs biens. Cette protection requiert, notamment, que les chemins publics puissent servir au passage rapide des véhicules d’urgence comme, par exemple, les véhicules de police, les ambulances et les véhicules des services de sécurité incendie. Le CSR, et plus particulièrement l’article 406, indique qu’il s’agit là d’une préoccupation réelle du législateur :
406. Le conducteur d’un véhicule routier ou d’une bicyclette doit céder le passage à tout véhicule d’urgence dont les signaux lumineux ou sonores sont en marche en réduisant la vitesse de son véhicule, en serrant à droite le plus possible et, si nécessaire, en immobilisant son véhicule.
[201] L’article 500.1 s’insère donc dans la continuité des autres dispositions du CSR et poursuit les mêmes objectifs.
[202] Tout comme l’article 500, il vise le fait d’occuper « la chaussée, l’accotement, une autre partie de l’emprise ou les abords ou y placer un véhicule ou un obstacle, de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l’accès à un tel chemin ». Il vise une conduite qui est déjà interdite par le CSR à l’article 500. La seule différence réside dans le fait que l’article 500.1 vise une entrave qui survient « au cours d’une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public ». Dans ce cas, le législateur impose des peines plus sévères:
511.1. Quiconque contrevient au premier alinéa de l’article 500 commet une infraction et est passible d’une amende de 300 $ à 600 $ et, en cas de récidive, de 3 000 $ à 6 000 $.
En outre, sur déclaration de culpabilité pour une infraction visée au présent article, un juge peut ordonner la confiscation d’une chose saisie en vertu du deuxième alinéa de l’article 500. Un préavis de la demande de confiscation doit être donné par le poursuivant au saisi et au contrevenant, sauf s’ils sont en présence du juge.
512.0.1. Quiconque contrevient au premier alinéa de l’article 500.1 commet une infraction et est passible d’une amende de 350 $ à 1 050 $ et, en cas de récidive, de 3 500 $ à 10 500 $.
Toutefois, s’il est démontré que la personne déclarée coupable a participé à la planification, à l’organisation ou à la direction de l’action concertée visée à cet article, l’amende est alors de 3 000 $ à 9 000 $ et, en cas de récidive, de 9 000 $ à 27 000 $.
En outre, sur déclaration de culpabilité pour une infraction visée au présent article, un juge peut ordonner la confiscation d’une chose saisie en vertu du deuxième alinéa de l’article 500.1. Un préavis de la demande de confiscation doit être donné par le poursuivant au saisi et au contrevenant, sauf s’ils sont en présence du juge.
[203] Ces peines plus sévères ont été insérées au CSR dans le contexte où, malgré les interdictions qui existaient déjà, on assistait à une recrudescence d’occupations de la chaussée entraînant des entraves à la circulation. Le législateur, afin d’atteindre ses objectifs d’assurer la sécurité routière, la libre circulation des personnes et des marchandises et l’accès aux immeubles qui bordent les chemins, a jugé nécessaire d’être plus dissuasif.
[204] Les extraits suivants tirés des débats tenus à l’Assemblée nationale, le 23 mai 2000, lors de l’adoption de principe de la Loi modifiant le Code de la sécurité routière[86] sont révélateurs du contexte qui existait à cette époque :
· Le ministre des Transports M. Guy Chevrette, p, 6071 :
De même, de nouveaux articles introduisent des dispositions en vue de décourager toute action concertée destinée à entraver la libre circulation des véhicules routiers. Je tiens à préciser que les modifications du Code de la sécurité routière n’ont pas pour but d’empêcher les manifestations et les défilés préalablement autorisés. Il s’agit essentiellement d’empêcher que la population ne soit prise en otage par des groupes d’intérêts. Or, le meilleur moyen d’assurer la libre circulation des personnes et des marchandises consiste à interdire toute occupation non autorisée de la chaussée et des accotements d’un chemin public.
Pour y parvenir, il nous apparaît justifié d’utiliser un moyen fortement dissuasif. Ainsi, nous proposons de hausser le montant des amendes imposées aux contrevenants et de permettre aux agents de la paix de procéder à la saisie et à la confiscation des biens ayant servi à l’occupation. [...][87]
[205] Le troisième alinéa de l’article 500.1, permet, à certaines conditions, la tenue de défilés ou d’autres formes de manifestations qui entravent cette circulation :
Le présent article ne s’applique pas lors de défilés ou d’autres manifestations préalablement autorisées par la personne responsable de l’entretien du chemin public à la condition que le chemin utilisé soit fermé à la circulation ou sous contrôle d’un corps de police.
[206] Parmi les conditions imposées par le législateur, il y a celle prévoyant que le chemin utilisé doit être fermé à la circulation ou sous contrôle d’un corps de police. Cette condition permet d’éliminer la présence simultanée de piétons et de véhicules sur le chemin public - par sa fermeture, ou sur une partie de celui-ci - par le contrôle d’un corps de police.
[207] Cette condition vise ainsi à éliminer les dangers que posent la présence de piétons sur la chaussée d’un chemin ouvert à la circulation des véhicules, tant pour ces piétons que pour les autres usagers de la route.
[208] L’analyse qui précède des dispositions du CSR en général et de l’article 500.1 en particulier permet de résumer comme suit les objectifs que poursuit le législateur :
- Rendre sécuritaire la circulation des véhicules routiers sur les chemins publics, tant pour les conducteurs et les passagers des véhicules que pour les piétons;
- Assurer la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics et l’accès aux immeubles qui les bordent;
- Protéger les citoyens du Québec et leurs biens en s’assurant que les chemins publics puissent servir au passage des véhicules d’urgence.
[209] Le juge d'instance formule les objectifs d'une manière quelque peu différente, mais il accepte essentiellement ces objectifs[88].
[210] De l'avis du Tribunal, la Procureure générale fait valoir avec raison que la sécurité, la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics et l'accès aux immeubles qui les bordent est un objectif urgent et réel.
[211] L'évolution du nombre de titulaires de permis de conduire et du nombre de véhicules en circulation de même que l'augmentation du débit journalier de véhicules sur les ponts et autoroutes justifient amplement cette conclusion.
[212] Les chemins publics sont un élément important de la vie économique et sociale des villes modernes, peu importe leur taille. Ces chemins assurent le transport des biens essentiels aux individus et à la vie économique. Ils permettent aux citoyens de se rendre à leur travail, aux études, à l'hôpital, chez le médecin, à des activités politiques, culturelles ou religieuses, de visiter les membres de leur famille, ou d'aller dans un palais de justice comme partie, témoin, ou comme membre d'un jury.
[213] Les chemins publics permettent aussi d'assurer la protection des citoyens et des biens en permettant le passage des policiers, pompiers, premiers répondants et ambulanciers.
[214] Les chemins publics permettent également l'accès aux lieux où une manifestation sera tenue, ce qu'une action concertée est susceptible d'empêcher.
[215] Contrairement à l'affirmation de l'appelante, l'article 500.1 ne poursuit pas véritablement un objectif distinct de celui de l’article 500. Il accroit plutôt la sévérité de la peine lorsque l'entrave à la circulation des véhicules routiers est le résultat d'une action concertée.
[216] Le juge d'instance rejette avec raison la qualification trop étroite de l’objectif suggéré par l’appelante[89].
[217] L'article 500.1 ne vise pas que les blocus routiers ayant un impact majeur sur la circulation et sur l’approvisionnement d’une région. L'interprétation proposée par l'appelante s’écarte du texte même de l’art. 500.1 qui vise toute forme d’entrave, y compris les « défilés et d’autres manifestations ». Par ailleurs, cette qualification étroite de l’objectif ne tient pas compte du contexte législatif global dans lequel l’art. 500.1 s’insère.
[218] Bien que la Cour suprême précise que c'est l'objectif de la mesure attentatoire qui doit être identifié, elle n'exclut pas que l'évaluation doive tenir compte du contexte global[90]. Ainsi, l'objectif principal du CSR n'est pas incompatible avec l'instauration d'une mesure afin de trouver une solution aux actions concertées destinées à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public[91].
[219] Finalement, l'objectif est urgent et réel même si la preuve démontre que les corps policiers sont souvent en mesure d'encadrer les manifestations dont ils n'ont pas été avisés de la tenue.
[220] Le fait qu'il soit souvent possible aux corps policiers d'assurer la gestion adéquate des manifestations de masse n'atténue pas l'importance de l'objectif poursuivi par l'article 500.1.
3.5.3. Est-ce que l'article 500.1 CSR est rationnellement lié à son objectif?
[221] Les conclusions du juge d'instance au sujet du lien rationnel entre l'article 500.1 et l'objectif urgent et réel sont les suivantes:
[144] L’article 500.1 prohibe à toute personne d’occuper un chemin public au cours d’une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules. Mais, cette prohibition ne s’applique pas aux personnes qui font partie d’une manifestation préalablement autorisée qui se passe sur un chemin public fermé ou sous contrôle de la police.
[145] Pour le Tribunal, quand la prohibition et l’exception sont lues ensemble, il est apparent que le gouvernement a voulu limiter la possibilité que des piétons se trouvent sur le chemin public au même moment que les véhicules routiers et que le gouvernement voulait réduire de cette façon les risques d’accidents entre les piétons et les véhicules et d’assurer la libre circulation des véhicules.
[146] Il est évident que des gens qui marchent sur un chemin public dans un groupe destiné à entraver la circulation des véhicules vont nécessairement affecter la circulation routière et augmenter les risques d’accidents entre les piétons et les véhicules.
[147] Dans le but de maintenir la sécurité routière et assurer la libre circulation des véhicules, le gouvernement a prohibé des manifestations non autorisées sur un chemin public, mais a explicitement permis celles pour lesquelles une permission fut obtenue préalablement et pour lesquelles un contrôle policier du chemin public fut obtenu.
[222] Le critère applicable à cette étape de l'analyse est formulé ainsi dans l'arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony : « [l]e gouvernement doit démontrer qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement »[92].
[223] Comme la Cour suprême le précise dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)[93]: « [i|l n’est pas nécessaire d’établir que la mesure permettra inévitablement d’atteindre l’objectif visé par le gouvernement. Une inférence raisonnable que les moyens adoptés par ce dernier aideront à réaliser l’objectif en question suffit »[94].
[224] C’est le cas en l’espèce.
[225] L'article 500.1 peut contribuer à la réalisation des objectifs de sécurité et de libre circulation des personnes et des marchandises.
3.5.4.1 Le jugement d'instance
[226] Dans son jugement, le juge d'instance est d'avis que l'article 500.1 porte atteinte de manière minimale au droit de manifester sur un chemin public.
[227] Il fait d'abord valoir que le gouvernement dispose d'une certaine latitude lorsqu'il s'attaque à un problème social[95].
[228] Il souligne que l'article 500.1 n'est pas une restriction absolue au droit de manifester sur un chemin public[96]. L'interdiction absolue ne s'applique qu'aux personnes qui veulent manifester sans autorisation[97].
[229] Même si le juge d'instance note que l'appelante prétend que la personne qui peut accorder une telle autorisation est inconnue et que son pouvoir discrétionnaire est illimité[98], il rejette cet argument, car l'appelante n'a pas fait de demande pour obtenir une autorisation[99]. S'appuyant sur la décision de la Cour supérieure de l'Ontario dans Batty c. The City of Toronto[100], il conclut que la question constitutionnelle formulée par l'appelante est hypothétique[101].
[230] Au sujet de l'identité du titulaire du pouvoir conféré par l'article 500.1 d'accorder une autorisation de manifester ou de défiler, c'est-à-dire « la personne responsable de l'entretien du chemin public », le juge d'instance conclut d'une part, qu'il s'agit de « la ville ou municipalité ou un représentant de la ville où la manifestation est censée avoir lieu »[102], et d'autre part, qu'il est « satisfait que de facto il s'agit d'un membre du corps policier de la ville ou municipalité qui accorde ladite permission »[103].
[231] Le juge d'instance exprime l'avis, tout comme la Procureure générale, que le processus d'autorisation est souple[104] et qu'il n'y a aucune preuve de refus[105].
[232] À son avis, l'autorisation préalable vise « à augmenter le niveau de sécurité de toutes les personnes qui utilisent les chemins publics »[106], sans se préoccuper du contenu du message véhiculé par la manifestation. Elle « s’attarde plutôt au besoin d’encadrement de telles manifestations afin d’assurer la sécurité de tous les usagers de la route et la libre circulation des véhicules »[107].
[233] Le jugement d'instance, il faut le souligner, est soigné et aborde les principales questions en litige.
[234] Seule la question du pouvoir discrétionnaire n'est pas tranchée par le juge d'instance. Cela s'explique par ses conclusions à l'égard du fait qu'une demande d'autorisation de manifester n'a pas été présentée et de l'absence d'une preuve de refus de manifester. Cette question est abordée plus loin.
[235] Comme le souligne le juge Binnie dans l'arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), il est important de déterminer si les violations des droits constitutionnels trouvent leur source dans la loi elle-même ou uniquement dans son application[108].
[236] Les conclusions du juge d'instance exigent d'abord de discuter des éléments suivants qui concernent l'application de l'article 500.1 et le cadre de la contestation constitutionnelle: 1) la qualité de l'appelante pour agir; 2) l'identité de la personne responsable de l'entretien du chemin public; 3) une autorisation de manifester a-t-elle été accordée le 15 mars 2011?
[237] Même si ces éléments concernent en partie l'application de l'article 500.1 et non l'article lui-même, il est essentiel de résumer la preuve présentée à cet égard et de tirer les conclusions qui s'imposent, car il s'agit du contexte factuel du débat constitutionnel.
[238] Par la suite, le Tribunal déterminera si le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 500.1 est une atteinte minimale.
3.5.4.2. L'absence d'une demande d'autorisation de manifester : la qualité pour agir de l'appelante
[239] La qualité pour agir de Mme Garbeau pour contester la constitutionnalité de l'article 500.1 n'a pas fait l'objet d'un débat dans le présent dossier.
[240] Toutefois, les commentaires du juge d'instance donnent lieu de penser qu'il est d'avis que l'appelante devait présenter une demande de permis ou d'autorisation pour établir la violation de ses droits constitutionnels, et qu'en l'absence d'un tel refus, cette démonstration était vaine.
[241] Or, l'appelante n'avait pas à présenter une demande de permis pour appuyer sa contestation constitutionnelle. Avec respect pour l'opinion contraire, il ne s'agit pas d'une contestation hypothétique.
[242] Le juge d'instance n'avait pas le bénéfice de deux jugements récents rendus par la Cour suprême où des arguments similaires ont été présentés, mais rejetés par la Cour.
[243] Dans l'affaire R. c. Nur[109], la Cour suprême a décidé qu'un accusé pouvait contester la constitutionnalité d'une peine en se fondant sur des applications raisonnablement prévisibles d’une disposition créant une peine minimale obligatoire.
[244] La juge en chef McLachlin écrit:
[50] Ne faire porter l’examen que sur la situation du délinquant en cause va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour, établie de longue date, concernant le contrôle constitutionnel au regard de la Charte en général et de l’art. 12 en particulier.
[51] Considérons d’abord la jurisprudence sur le contrôle constitutionnel effectué au regard de la Charte en général. La Cour a toujours estimé qu’une personne pouvait contester une disposition législative sur le fondement de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 même lorsque ses propres droits n’étaient pas bafoués par la disposition (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 314; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154; R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 58-66). Comme je l’indique dans l’arrêt Ferguson, « [u]n demandeur qui a par ailleurs qualité pour agir peut généralement solliciter une déclaration d’invalidité en application de l’art. 52 au motif qu’une disposition a des effets inconstitutionnels pour lui-même ou pour des tiers » (par. 59). Il en est ainsi parce que « [c]’est la nature de la loi, et non pas le statut de l’accusé, qui est en question » (Big M, p. 314, le juge Dickson). Non seulement l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 consacre la primauté de la Constitution, mais il dispose que celle-ci « rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit ». Si une loi inconstitutionnelle ne pouvait être contestée qu’au regard des faits précis d’une instance donnée, des lois invalides pourraient demeurer en vigueur indéfiniment, ce qui irait à l’encontre de la primauté du droit. Nul ne doit être soumis à une loi inconstitutionnelle (Big M, p. 313). Est ainsi consacré le principe de l’appartenance de la Constitution à tous les citoyens, lesquels possèdent en commun le droit à l’application constitutionnelle des lois canadiennes.
[Le soulignement est ajouté]
[245] Dans l'arrêt R. c. Smith[110], une question similaire se pose dans un contexte différent.
[246] Là encore, la Cour suprême confirme le principe selon lequel un accusé peut contester la constitutionnalité d'une loi, qu'elle s'applique ou non à lui.
[247] La Cour écrit:
[11] La première question est celle de savoir si M. Smith a qualité pour contester la constitutionnalité de l’interdiction. Nous concluons qu’il a effectivement cette qualité. Le ministère public ne s’est pas opposé au procès à la qualité pour agir de M. Smith. En appel, bien que la question ait été évoquée lors de sa plaidoirie orale, le ministère public a reconnu que le principe selon lequel « nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction à une loi inconstitutionnelle » s’applique à M. Smith (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 313; motifs de la C.A., par. 147). Devant la Cour, le ministère public a repris la position dissidente du juge Chiasson en faisant valoir que M. Smith n’avait pas qualité pour agir parce qu’il ne consomme pas lui-même de marijuana à des fins médicales et qu’il exerçait ses activités en dehors du cadre du régime de réglementation. Le fait que l’exemption se restreigne à la marijuana séchée n’a donc [traduction] « rien à voir avec lui » (motifs de la C.A., par. 151).
[12] Cette thèse ne tient pas compte du rôle que joue le RAMFM dans le régime législatif. Le RAMFM constitue une exception aux dispositions pénales en vertu desquelles M. Smith a été accusé, en l’occurrence les art. 4 et 5 de la LRCDAS . Comme l’ont expliqué les juges majoritaires de la Cour d’appel, il faut déterminer si ces dispositions de la LRCDAS , [traduction] « telles qu’elles sont modifiées par le RAMFM, privent les personnes autorisées à posséder de la marijuana d’un droit qui leur est garanti par la Constitution en limitant leur protection contre des poursuites criminelles aux seuls cas où elles possèdent de la marijuana séchée » (par. 85). Le fait que M. Smith ne soit pas un consommateur de marijuana à des fins médicales et qu’il ne soit pas titulaire d’une licence de production conformément au régime ne signifie pas non plus qu’il n’a pas qualité pour agir. Tout accusé a qualité pour contester la constitutionnalité de la loi en vertu de laquelle il est inculpé, même si les effets inconstitutionnels allégués ne le visent pas personnellement (voir R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Big M Drug Mart Ltd.). Il n’est pas non plus nécessaire que l’accusé démontre que toute réparation possible à l’égard d’un vice constitutionnel mettra automatiquement fin aux accusations portées contre lui. Lorsqu’un demandeur conteste une loi en faisant valoir que son incidence à l’égard d’autres personnes est incompatible avec la Charte, il est toujours possible qu’une réparation accordée en application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne porte pas sur la situation particulière du demandeur (voir R. c. Latchmana, 2008 ONCJ 187, 170 C.R.R. (2d) 128, par. 16; R. c. Clay (2000), 49 O.R. (3d) 577 (C.A.)).
[13] En l’espèce, la constitutionnalité de la disposition législative en application de laquelle M. Smith est accusé dépend directement de la constitutionnalité de l’exemption médicale prévue par le RAMFM (voir Parker). Il est donc autorisé à la contester.
[Le soulignement est ajouté]
[248] Le fait que l'accusé ne consommait pas de la marihuana à des fins médicales et qu'il n’était pas titulaire d'une licence de production ne le privait pas de la qualité pour agir pour contester la constitutionnalité de la loi.
[249] Bien entendu, le juge d'instance n'a pas ici empêché la contestation constitutionnelle de l'appelante au motif qu'elle n'avait pas qualité pour agir.
[250] Cependant, en affirmant comme il le fait, que l'appelante n'a pas tenté d'obtenir une autorisation, il donne à penser que l'article 500.1 ne pouvait être contesté que si on établissait qu'une autorisation de manifester avait été sollicitée et qu'elle avait été refusée.
[251] Selon les principes formulés dans les arrêts Nur et Smith, la conclusion du juge d’instance à cet égard est erronée.
[252] Dans la présente affaire, comme le note d'ailleurs avec justesse le juge d'instance[111], l'argument principal de l'appelante est que l'article 500.1 confère une discrétion qui n'est encadrée par aucun critère. Elle soutient aussi que le régime d'autorisation envisagé par cet article n'a pas été mis en place et que la personne qui en est responsable est inconnue.
[253] Le défaut de présenter une demande d'autorisation ne prive pas l'appelante de la qualité pour agir et soulever la constitutionnalité de l'article 500.1 pour contester sa culpabilité.
[254] Même en l'absence d'une demande d’autorisation de manifester, elle peut tenter de faire la démonstration que ce régime n'est pas une limite raisonnable car le pouvoir discrétionnaire qui y est prévu n'est encadré par aucun critère.
[255] En résumé, nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à une loi inconstitutionnelle.
[256] L'article 500.1 doit être déclaré invalide s'il porte atteinte au droit de manifester sur un chemin public et si, le cas échéant, la Procureure générale du Québec ne fait pas la démonstration que le régime d'autorisation préalable mis en place et la discrétion qu'il comporte est une limite raisonnable qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique.
3.5.4.3. La personne responsable de l'entretien du chemin public
[257] Comme on l’a vu, le juge d’instance a conclu « que de facto il s'agit d'un membre du corps policier de la ville ou municipalité qui accorde ladite permission »[112].
[258] Cette conclusion soulève trois questions distinctes, mais qui sont inter-reliées :
1) Les policiers exercent-ils dans les faits les pouvoirs conférés par l'article 500.1;
2) Est-ce que l’article 500.1 comporte une délégation implicite de pouvoirs?
3) Est-ce que le pouvoir conféré par l’article 500.1 peut être délégué aux policiers?
[259] La question de l’identité du titulaire du pouvoir conféré par le troisième alinéa l’article 500.1 était au cœur des débats devant le juge d’instance. Elle faisait partie des principaux arguments présentés par l’appelante qui faisait valoir, qu’à son avis, cette personne était inconnue.
[260] L’importance de cette question n’échappe d’ailleurs pas à l’attention du juge d’instance qui signale à la poursuivante et à la Procureure générale une lacune dans la preuve[113]. Après avoir été invitées à présenter une preuve à cet sujet, elles choisissent de s’en remettre à la preuve présentée et à la présentation d'observations.
[261] Au niveau de l’interprétation de l’article 500.1, les travaux parlementaires confirment la conclusion du juge d’instance que la personne responsable de l’entretien du chemin public est soit la ville ou la municipalité ou le ministère des Transports[114].
[262] Cependant, avec respect pour le juge d’instance, la preuve n’établit pas que les corps policiers exercent les pouvoirs conférés par le troisième alinéa de l’article 500.1, mais plutôt qu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire de tolérer une infraction au premier alinéa de cet article. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne démontre pas qu'ils ont effectivement exercé le pouvoir conféré par le troisième alinéa de l'article 500.1 ni qu'en droit, ils pouvaient le faire.
[263] Il est vrai que la mise en œuvre de l’exercice des pouvoirs d’un État moderne doit faire preuve de souplesse[115]. Il faut, certes, éviter d’imposer « une trop grande rigidité à un système parlementaire et législatif qui s’en remet considérablement à des lois-cadres et à la délégation de larges pouvoirs discrétionnaires »[116]. De plus, il « existe diverses méthodes permettant d’assurer le respect par la fonction publique des droits garantis par la Charte »[117]. Le législateur peut choisir « des méthodes plus souples, soit la délégation d’un pouvoir de règlementation et la directive ministérielle »[118].
[264] Toutefois, un régime d’autorisation préalable suppose normalement l'octroi d'une autorisation accordée avant la tenue de l’activité sujette à une autorisation préalable ou à un permis[119]. Il prévoit les conditions relatives à l'exercice de l'activité soumise à l'autorisation[120] et, le cas échéant, les modalités encadrant la révocation éventuelle de l'autorisation.
[265] Les auteurs de l’ouvrage Éléments de légistique décrivent ainsi les principales caractéristiques d’un tel régime d’autorisation préalable:
[L]e législateur a la faculté de soumettre l’administré à un contrôle a priori, qui l’oblige à obtenir une autorisation de l’Administration avant d’exercer l’activité réglementée[121].
[…]
Le mot « autorisation », dans le sens d’autorisation administrative, est un générique regroupant ce qu’on désigne sous différents vocables : permis, licence, certificat, brevet, visa, inscription, carte de compétence, etc. Du point de vue matériel, ces termes désignent le droit accordé à quelqu’un par l’Administration d’accomplir quelque chose (permis de construction) ou d’exercer une activité (permis de conduire). Du point de vue formel, ils se réfèrent au document officiel attestant l’autorisation[122].
[…]
Les conditions que le demandeur d’une autorisation est tenu de remplir sont prévues par voie législative ou réglementaire et touchent tant le fond que la forme. Les conditions réglementaires, le cas échéant, doivent être habilitées par la loi et doivent s’inscrire dans la poursuite de l’objectif d’intérêt public visé par le dispositif d’autorisation[123].
[Le soulignement et les caractères gras sont ajoutés]
[266] L’appelante soutient que la conclusion du juge selon laquelle les policiers exercent dans les faits les pouvoirs conférés par le troisième alinéa de l’article 500.1 ne s’appuie pas sur la preuve présentée devant le juge d’instance.
[267] À son avis, le juge ignore le passage suivant du témoignage de l’inspecteur Sylvain Champagne de la division de la planification opérationnelle au quartier général du SPVM :
Q : Qui peut autoriser une manifestation à la Ville de Montréal si c’est pas le CCTI?
R : Présentement, à ma connaissance, il y a pas d’organisme à la Ville de Montréal qui autorise ou non une manifestation. Lorsqu’on parle d’autorisation, on parle d’événements planifiés, comme un parade, ainsi de suite.
[268] Or, dans son jugement, le juge d’instance fait référence à ce témoignage.
[269] Voici ce qu’il écrit:
[92] Le témoin explique comment s’effectue la coordination des effectifs policiers du SPVM en vue d’encadrer les manifestations. Il ajoute qu’il y a, par ailleurs, un organisme spécifique qui les autorise. Lorsqu’il parle d’autorisation, il parle d’événements planifiés avec la Division des événements publics et des festivals de la Ville de Montréal. Ainsi, si une personne se présente au Bureau d’accès Montréal à propos d’une manifestation, M. Champagne croit qu’on le dirigera vers le poste de quartier concerné. De plus, à sa connaissance, aller au poste de police concerné avant de faire une manifestation n’est pas une obligation.
[270] Ce passage décrit assez fidèlement le témoignage de M. Champagne, bien qu'il soit possible de prétendre que sa lecture donne l’impression qu’il existe dans les faits un organisme qui autorise les manifestations, ce qui n'est pas le cas.
[271] Mais là n’est pas la question la plus importante.
[272] La preuve est totalement silencieuse quant à la mise en place formelle du processus administratif établi et envisagé par l’article 500.1.
[273] En effet, selon la preuve présentée, aucun processus d'autorisation préalable n’a été mis en œuvre ni même mis en place.
[274] À la Ville de Québec, la preuve ne fait état d'aucun processus formel d'autorisation, mais seulement de l'existence d'un formulaire relatif à la tenue de manifestation, ce qui facilite la préparation de l'intervention policière. Bien que le formulaire utilisé comporte aussi la mention de Demande d'occupation de la chaussée et celle de Requérant, il ne prévoit aucun espace réservé à l'inscription par écrit d'une décision formelle autorisant la tenue d'une manifestation, d'une marche ou d'un rassemblement.
[275] Il faut d'ailleurs souligner une incongruité entre les règles qui sont susceptibles de s'appliquer si une demande d'autorisation de manifester vise un chemin public sous la compétence du ministère des Transports.
[276] Dans une telle situation, l'article 5 de la Loi sur la justice administrative[124] s'applique. Cet article prévoit:
5. L'autorité administrative ne peut prendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire ou une décision défavorable portant sur un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable:
1° avoir informé l'administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée;
2° avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent;
3° lui avoir donné l'occasion de présenter ses observations et, s'il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.
Il est fait exception à ces obligations préalables lorsque l'ordonnance ou la décision est prise dans un contexte d'urgence ou en vue d'éviter qu'un préjudice irréparable ne soit causé aux personnes, à leurs biens ou à l'environnement et que, de plus, la loi autorise l'autorité à réexaminer la situation ou à réviser la décision.
[Le soulignement est ajouté]
[277] Or, en l'absence de tout processus formel d'autorisation ou de permis de manifester, les garanties d'équité procédurale prévues à l'article 5 ne peuvent être mises en œuvre[125].
[278] Contrairement à l’affirmation de la Procureure générale, la preuve n’établit pas que le mécanisme d’autorisation préalable d’une manifestation a été mis en place et qu’il soit souple.
[279] Ce processus n’est pas illusoire[126], il est inexistant.
[280] La preuve démontre, tout au plus, une tolérance tacite ou explicite des corps policiers lors de la tenue de manifestations[127].
[281] Cela dit, une telle tolérance n’est pas une autorisation au sens du troisième alinéa de l’article 500.1.
[282] Soulignons que la tolérance d’une autorité publique à l’égard d’une activité règlementée ne permet pas de faire valoir à l’encontre d’une infraction de responsabilité stricte, comme en l’espèce, les moyens suivants: la préclusion promissoire, les droits acquis ou une erreur provoquée par une personne en autorité[128].
[283] Avec respect pour le juge d’instance, le Tribunal est d’avis qu’il commet une erreur manifeste et dominante lorsqu’il tire la conclusion que les pouvoirs conférés par le troisième alinéa de l’article 500.1 sont exercés dans les faits par les corps policiers des villes ou municipalités en cause, car aucun processus formel d'autorisation des manifestations n'a été mis en place.
[284] Il n'est pas possible d'exercer un pouvoir d'autorisation qui n'a pas été instauré.
[285] Cette erreur n'est pas uniquement d’avoir omis d’analyser « en profondeur un point donné ou un élément de preuve particulier »[129], ce qui « ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l’intervention des tribunaux d’appel »[130].
[286] L’omission de considérer le témoignage de l’inspecteur Champagne à la lumière de l’ensemble de la preuve révèle une erreur importante qui donne lieu à la conviction rationnelle que le juge d'instance doit avoir oublié, négligé d’examiner ou mal interprété la preuve d’une manière qui affecte sa conclusion selon laquelle les pouvoirs conférés par le troisième alinéa de l’article 500.1 ont été exercés par les corps policiers[131].
[287] En conclusion, le juge d’instance avait correctement identifié une lacune dans la preuve présentée.
[288] Bien qu’il soit juste de dire que la preuve ne fait voir aucun refus, elle ne révèle aucune autorisation accordée selon le régime formel d’autorisation préalable envisagé par l’article 500.1. Cet élément distingue la présente affaire de la situation dans l'arrêt Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.[132], décision à laquelle réfère le juge d'instance dans son jugement[133], où des autorisations ont été accordées des centaines de fois.
[289] En l'absence d'un processus formel d'autorisation ou de permis de manifester, il n'est guère surprenant que la preuve ne révèle ni refus, ni autorisation.
[290] Il existe, au mieux, un processus informel de tolérance de la part des corps policiers qui, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, font de leur mieux pour assurer la gestion et l'encadrement des manifestations, qu'ils en aient été informés à l'avance ou non.
3.5.4.3.2. L’article 500.1 CSR comporte-t-il une délégation implicite?
[291] La Procureure générale invoque le concept de délégation implicite décrit par le professeur Garant dans son ouvrage classique, Droit administratif[134].
[292] Le professeur Garant explique que « l'attribution d'une compétence à une autorité administrative est généralement précisée par la désignation du titulaire »[135], mais la question est souvent de savoir « dans quelle mesure ce titulaire peut-il habiliter une autre autorité, qui lui est subordonnée, à l'exercer à sa place »[136].
[293] Selon le professeur Garant, « [l]a délégation implicite est celle qui découle du contexte et qui peut exister à certaines conditions »[137].
[294] La position formulée par la Procureure générale exige l’examen de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Vic Restaurant c. City of Montréal[138] au sujet de laquelle le Tribunal a demandé les observations des parties lors de l’audition du pourvoi.
[295] En effet, dans cette affaire, la Cour suprême examine la question de la délégation d'un pouvoir discrétionnaire dans le contexte où un règlement relatif à la délivrance des permis d'exploitation d'un restaurant ne formulait pas les critères encadrant l'exercice de la discrétion du chef de police de faire une recommandation favorable ou non à l'octroi du permis.
[296] La Procureure générale a fait valoir qu’il s’agit d’une question nouvelle.
[297] Dans l’arrêt R. c. Mian[139], la Cour suprême décrit ce qu’est une nouvelle question soulevée par une cour d’appel:
[35] En résumé, on conclura qu’une question soulevée par une cour d’appel est nouvelle lorsqu’elle n’a pas été posée par les parties et lorsqu’on ne peut raisonnablement affirmer qu’elle découle des questions formulées par ces dernières, si bien que celles-ci devront en être informées afin qu’elles puissent présenter des observations éclairées. Les questions qui forment la toile de fond de l’instance d’appel ne seront généralement pas de « nouvelles questions » au regard de cette définition. La cour d’appel qui exerce sa compétence de poser des questions à l’audience ne se trouve pas à soulever une nouvelle question, sauf si, ce faisant, elle donne un nouveau fondement au contrôle de la décision frappée d’appel pour cause d’erreur.
[298] Avec respect, la question de l’identité du titulaire du pouvoir conféré par l’article 500.1 est au cœur de l’argumentation présentée par l’appelante.
[299] L’arrêt Vic Restaurant concerne les conditions entourant la délégation des pouvoirs discrétionnaires d’une ville ou d’une municipalité et les exigences quant à l’encadrement d’un tel pouvoir. Prétendre qu’il s’agit d’une question nouvelle ignore la substance du débat constitutionnel en l’espèce.
[300] Le fait que l’arrêt Vic Restaurant n’ait pas été formellement soulevé avant l’audition de l’appel n’en fait pas une question nouvelle. De plus, le Tribunal a sollicité les observations des parties qui ont eu l’occasion de les présenter.
[301] Dans l'affaire Vic Restaurant, l'obtention d'un permis pour l'exploitation d'un restaurant est assujettie à l'obtention d'une recommandation du chef de police, mais les critères devant encadrer celle-ci ne sont pas précisés.
[302] Le juge Locke écrit:
It will be seen from an examination of the by-law that the Director of Finance, by whom both permits would be issued, is forbidden to do so without the written approval of the directors mentioned. It should be said that no question arises as to the requirement that approval of the City Planning and the Health Department was not obtained. The whole controversy relates to the failure to obtain the approval of the Director of Police. As to that official, while the council was authorized to fix the "terms and manner of issuing licences", the by-law contains no directions whatever to the Director of Police as to the manner in which the discretion given to him to approve or refuse to approve applications for licences was to be exercised. Thus, the director might refuse his approval upon any ground which he considered sufficient.
In Meredith and Wilkinson's Canadian Municipal Manual, at p. 265, it is said:
The exercise of a discretionary power vested in a council cannot, in the absence of statutory authority, be delegated.
A council may, however, delegate to an officer or functionary merely ministerial matters.
In Robson and Hugg's Municipal Manual, at p. 347, the following appears:
Discretion confided to council or to the Board of Commissioners of Police cannot be delegated to others, as for example, requiring an applicant for a licence to get the consent of certain persons. Re Kiely (1887) 13 O.R. 451; Rex v. Webster (1888) 16 O.R. 187.
In my opinion, these are accurate statements of the law[140].
[Le soulignement est ajouté]
[303] Le juge Cartwright offre les observations suivantes:
The impugned provisions of by-law no 1862 appear to me to be fatally defective in that no standard rule or condition is prescribed for the guidance of the Director of the Police Department in deciding whether to give or to withhold his approval.
[…]
I am unable to accept the suggestion that because the Director of Police is charged with the duty of maintaining the public peace and enforcing the penal laws of Canada of the Province and of the municipality he is thereby instructed as to the standard to be applied and the conditions to be looked for in deciding whether to grant his approval of an application.
In my respectful opinion neither of these passages states rule sufficiently definite to be of value but my purpose in quoting them is to indicate the impossibility of formulating from the available sources any clear or certain rule. I agree with my brother Locke that the effect of the by law is to leave it to the Director of the Police Department without direction to decide whether an applicant should or should not be permitted to carry on any of the lawful callings set out in the 41 sections referred to above.
[Le soulignement est ajouté]
[304] Dans l’affaire McCleery c. Nap. Malenfant Ltée[141], le juge Fish résume le droit relatif à la délégation d’un pouvoir règlementaire et d’un pouvoir discrétionnaire. Il écrit :
[R]egulatory power cannot be transferred otherwise than in accordance with the enabling legislation. Regulations must provide a framework within which any discretion delegated to a subordinate authority must operate; if they fail to do so, the subordinate authority will have essentially untrammelled discretion to make decisions on the basis of arbitrary considerations. At a minimum, any delegation of authority must be administrative rather than regulatory in nature, unless the latter is explicitly authorized by the enabling legislation[142].
[305] En l’espèce, il est vrai qu’il ne s’agit pas de la délégation d’un pouvoir règlementaire, mais de la délégation d’un pouvoir discrétionnaire qui devait être exercé par la ville ou la municipalité. Or, l’exercice de ce pouvoir n’a pas fait l’objet d’une délégation législative ou règlementaire accompagnée de critères encadrant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
[306] L’auteur Philip Cantwell résume les règles applicables dans de telles circonstances :
3 Délégation — De toute évidence, le conseil municipal ne peut, à lui seul, prendre toutes les décisions nécessaires pour assurer la bonne administration de la municipalité. Certaines tâches devront nécessairement être déléguées à des fonctionnaires. Le professeur Garant fait une analyse poussée de la délégation administrative de pouvoirs et résume en huit règles le régime juridique québécois. Essentiellement, en l'absence d'une habilitation législative expresse, une municipalité ne peut pas sous-déléguer les pouvoirs réglementaires qui lui ont été conférés par la loi. Les pouvoirs de nature discrétionnaire, quant à eux, peuvent être sous-délégués dans la mesure où le conseil fixe des normes suffisamment précises quant à la manière dont ces pouvoirs peuvent être exercés par le fonctionnaire. Enfin, la sous-délégation d'actes non discrétionnaires ne pose généralement aucun problème[143].
[Le soulignement est ajouté]
[307] En outre, en droit municipal, il faut rappeler qu'il « revient au conseil de déterminer, par règlement, quelles sont les fonctions des fonctionnaires et employés de la municipalité qui ne sont pas fixées par la loi (Loi sur les cités et villes ou Code municipal du Québec) ou par la charte particulière applicable à la municipalité »[144].
[308] Dans l’arrêt Roberge c. Ville de Québec[145], la Cour d’appel du Québec interprète l’arrêt Vic Restaurant de la même manière.
[309] Le juge Dubé résume la règle applicable ainsi :
De l’étude de cette cause de Vic Restaurant, on doit nécessairement dégager la règle générale suivante qui est très bien explicitée dans le factum de l’appelant, à la page 12 :
La règle générale est donc maintenant bien claire : Il est illégal pour un conseil municipale qui veut assujettir une activité quelconque à la formalité préalable d’un permis, de déclarer qu’un permis devra être obtenu d’un officier municipal sans préciser les règles qui devront guider cet officier municipal pour accorder ou refuser le permis[146].
[310] Le professeur Garant résume les principales conclusions dans les arrêts Vic Restaurant et Roberge de la manière suivante:
Dans l’arrêt Vic Restaurant, la Cour suprême n’affirme pas que le règlement de la Ville de Montréal, qui subordonne l’émission des permis de restaurant à la recommandation du chef de police, est ultra vires parce qu’il renferme une délégation mais parce qu’il n’édicte pas de normes suffisamment précises auxquelles le chef de police pourrait se référer. Selon la Cour suprême, le fait pour le conseil de ne pas définir ces normes ou directives ou standards équivaut à « laisser le fonctionnaire les établir à la place du conseil en lui déléguant le pouvoir d’accorder ou de refuser les permis à sa discrétion ». Lorsque des normes suffisamment précises sont prévues dans la loi ou le règlement, la sous-délégation est parfaitement légale.
En 1975, dans l’arrêt Roberge, la Cour d’appel a directement appliqué ces principes et a conclu à une sous-délégation implicite illégale parce que le chef de police n’avait aucune norme sur laquelle se baser pour accorder ou non la permission de distribuer des circulaires dans les rues.
Cette jurisprudence laisse cependant une question épineuse en suspens : quand une norme est-elle suffisamment précise pour ne pas équivaloir à une délégation illégale ? La réponse pourrait être la suivante : d’un côté, la délégation d’une pure discrétion administrative est interdite, alors qu’est toujours permise la délégation d’un pur pouvoir lié. Entre les deux, si le fonctionnaire doit non seulement constater l’existence objective de certains faits mais aussi les apprécier au regard de l’intérêt public, il faudrait que le règlement soit suffisamment précis pour que l’administré moyen sache comment se conformer au règlement.
Les règlements contiennent des délégations implicites toutes les fois que le titulaire d’un pouvoir s’en remet à un subalterne pour poser des actes administratifs sans que la loi l’y autorise expressément. Cette délégation est cependant illégale si elle équivaut à un pur transfert de pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire sans que des normes d’encadrement suffisamment précises soient fixées. Si la délégation est explicite, c’est-à-dire expressément autorisée par la loi, il n’est pas nécessaire que « les normes d’exercice de ce pouvoir délégué » soient énoncées.
[Le soulignement est ajouté]
[311] Dans son ouvrage, le professeur Garant formule huit règles relatives à la délégation implicite. Voici la quatrième:
Au niveau de l’Administration infragouvernementale, une délégation implicite d’un pouvoir discrétionnaire ne sera légale que lorsque l’organe à qui le pouvoir discrétionnaire est confié fait exercer ce pouvoir par ses agents en établissant des normes et en gardant un pouvoir de surveillance et de contrôle sur ces agents.
Lorsque l’organe à qui le pouvoir discrétionnaire est confié édicte des normes qui ne sont pas assez précises, cela revient à conférer une « discrétion » trop large à l’agent qui prend la décision, et empêche ainsi les administrés de savoir comment seront affectés leurs droits. […]
[312] Le Tribunal est d'avis que le principe de la délégation implicite ne pouvait pas s'appliquer comme le suggère la Procureure générale, car « un pouvoir de nature discrétionnaire ne peut être sous-délégué à moins d'une autorisation législative expresse »[147].
[313] Même en concluant, comme le fait le juge d’instance, que la preuve présentée établit que le pouvoir discrétionnaire a été exercé, dans les faits, par les policiers, une telle conclusion est contraire aux règles du droit administratif canadien et québécois. Toute délégation de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit être autorisée par la loi ou par un règlement qui fixe les critères qui encadrent son exercice.
[314] Le Tribunal note d'ailleurs que le CSR prévoit à son article 633 un exemple d'une délégation explicite d’un pouvoir du ministre des Transports.
[315] Voici ce que cet article prévoit :
633. Le ministre des Transports peut, lorsqu'il estime que des circonstances exceptionnelles le justifient et après consultation de la Société, délivrer un permis spécial autorisant la circulation d'un véhicule routier ou d'un ensemble de véhicules routiers, lorsque le requérant ne peut satisfaire aux exigences d'un règlement pris en vertu du paragraphe 20° de l'article 621.
Lorsque le ministre accorde ce permis, il fixe les conditions qui y sont afférentes, les droits exigibles, le montant et la forme de cautionnement qui garantit le paiement de tout dommage que l'utilisation de ce véhicule ou cet ensemble de véhicules est susceptible de causer à un chemin public.
Le ministre des Transports peut déléguer à un fonctionnaire ou employé du ministère des Transports ou à toute autre personne ou tout organisme qu'il désigne l'exercice d'un pouvoir que lui attribue le présent article.
[316] Le pouvoir conféré par l'article 500.1 ne peut être exercé par les corps policiers en l'absence d'une délégation expresse encadrant l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par cet article.
3.5.4.3.3. Est-ce qu’un corps de police peut être un mandataire d’une ville ou d’une municipalité?
[317] La conclusion du juge d’instance que les pouvoirs conférés par l’article 500.1 aux villes ou municipalités ont été exercés, dans les faits, par les policiers soulève une autre question tout aussi fondamentale soit la question de la nature de la relation entre, d’une part, un corps policier et ses agents de la paix et, d’autre part, une ville ou une municipalité.
[318] Dans l’arrêt R. c. Campbell[148], le juge Binnie aborde la question du statut de la police. Cette question se posait dans cette affaire où la Cour suprême devait déterminer la nature de l’immunité qui protégeait les policiers lors d’une opération d’infiltration, par ailleurs illégale.
[319] Le juge Binnie écrit :
27 La tentative du ministère public d’assimiler la GRC à l’État pour des fins d’immunité dénote une conception erronée de la relation entre la police et la branche exécutive du gouvernement lorsque les policiers exercent des activités liées à l’exécution de la loi. Un policier qui enquête sur un crime n’agit ni en tant que fonctionnaire ni en tant que mandataire de qui que ce soit. Il occupe une charge publique qui a été définie à l’origine par la common law et qui a été établie par la suite dans différentes lois. Dans le cas de la GRC, l’une de ces lois pertinentes est maintenant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10.
28 Il est vrai qu’en vertu des pouvoirs conférés par cette loi, les agents de la GRC accomplissent une multitude de tâches en plus des enquêtes criminelles. Ces tâches comprennent notamment des fonctions purement cérémoniales, la protection de dignitaires canadiens et de diplomates étrangers, ainsi que des activités liées à la prévention du crime. Certaines de ces tâches créent des liens plus étroits avec l’État que d’autres. La Loi sur le ministère du Solliciteur général, L.R.C. (1985), ch. S-13, prévoit que les pouvoirs et fonctions du Solliciteur général s’étendent aux domaines relatifs à la GRC pour lesquels le Parlement a compétence et qui n’ont pas été attribués à un autre ministère. L’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit ceci pour la direction de la GRC:
5. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du [Solliciteur général], a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte.
29 Il est donc possible que, dans l’exercice de l’un ou de l’autre de ses rôles, la GRC agisse en tant que mandataire de l’État. Le présent pourvoi ne soulève toutefois que la question du statut d’un agent de la GRC agissant dans le cadre d’une enquête criminelle, et, à cet égard, la police n’est pas sous le contrôle de la branche exécutive du gouvernement. L’importance de ce principe, qui est lui-même à la base de la primauté du droit, a été reconnue par notre Cour relativement aux forces policières municipales dans un arrêt aussi ancien que McCleave c. City of Moncton (1902), 32 R.C.S. 106. Il s’agissait d’une affaire civile portant sur la responsabilité municipale éventuelle pour cause de négligence policière, mais, dans le cadre de ses motifs, le juge en chef Strong a approuvé la proposition suivante, aux pp. 108 et 109:
[TRADUCTION] Les policiers ne peuvent aucunement être considérés comme des mandataires ou des fonctionnaires de la ville. Leurs fonctions sont publiques par nature. Le pouvoir de les nommer est transféré par la législature aux cités et villes car il s’agit d’un moyen pratique d’exercer une fonction gouvernementale, mais cela ne les rend pas responsables des actes illégaux ou négligents qu’ils commettent. Le dépistage et l’arrestation des auteurs d’infractions, le maintien de la paix publique, l’exécution des lois ainsi que les autres fonctions similaires conférées aux policiers découlent de la loi, et ne proviennent pas de la cité ou de la ville qui les a nommés.
[Le soulignement est ajouté]
[320] Même si la portée du principe de l’indépendance de la police à l’égard du pouvoir exécutif n’est pas clairement délimitée[149], cette indépendance existe certainement à l’égard de la conduite des enquêtes[150] et à l'égard de l’application de la loi, c’est à dire, selon les termes de l’article 48 de la Loi sur la police[151], de la mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d'en rechercher les auteurs.
[321] Ainsi, quelle que soit l’étendue des pouvoirs administratifs qui ne sont pas liés à l’application de la loi que le pouvoir exécutif peut confier ou déléguer à un corps policier, le juge d’instance a commis une erreur de droit en concluant qu’un corps policier peut agir comme mandataire d’une ville ou d’une municipalité pour les fins de l’article 500.1.
[322] Lors de l'audition du pourvoi et après celle-ci, le Tribunal a demandé aux parties si l'avis donné aux manifestants à 17 h 09, et qui comportait la mention suivante: « Vous avez le droit de manifester à la condition de ne pas commettre d’infraction et aucune ne sera tolérée », était une autorisation au sens de l'article 500.1.
[323] Évidemment, cette question se pose en raison de la conclusion du juge d'instance qui est d'avis que les corps policiers ont exercé dans les faits les pouvoirs conférés par le troisième alinéa de l'article 500.1.
[324] Par ailleurs, en raison de leur pertinence, il est utile de reproduire les avis suivants qui étaient donnés lors de manifestations par le service de police de la Ville de Québec et qui ont été présentés en preuve par la Procureure générale :
1e enregistrement :
Avis à la foule
Un moment d’attention SVP, Je suis .................................... du service de police de la ville de Québec, je vous informe que s’il n’y a pas de trajet de fourni, la marche sera déclarée illégale en vertu de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière concernant l’entrave à la circulation sur un chemin public.
Veuillez noter, qu’aucune escorte ne vous sera fournie. Vous devez utiliser les trottoirs et aucune action mettant en danger la sécurité des citoyens ne sera tolérée.
Je répète, s’il n’y a aucun trajet fourni, la marche sera déclarée illégale, il n’y aura pas d’escorte policière et vos actions seront filmées. Vous êtes passibles de recevoir un constat d’infraction en vertu de l’article 500.1 du CSR.
Merci de votre collaboration.
2e enregistrement :
Trajet autorisé :
Un moment d’attention SVP; Un trajet a été fourni et il est autorisé par le service de police de la ville de Québec. Vous devez le respecter afin de garder la légalité de votre manifestation.
Je répète, un trajet est autorisé et vous devez le respecter pour garder la légalité de votre manifestation.
Merci de votre collaboration[152].
[325] Selon le premier message, une manifestation est déclarée illégale si un trajet n'est pas fourni. Le deuxième message exige le respect du trajet fourni pour assurer la légalité de la manifestation[153].
[326] La question de l'avis donné le 15 mars 2011 n'a pas fait l'objet d'un débat, ni d'observations par les parties devant le juge d'instance. Dans le contexte d'un débat constitutionnel complexe qui comporte plusieurs facettes, il n'est pas étonnant que cette question ait échappé à l'attention des parties et du juge d'instance. Cependant, il s'agit d'une question importante.
[327] Les parties ont communiqué leur position après avoir reçu une demande du Tribunal en ce sens.
[328] L'appelante et l'intervenante écrivent:
Tel que mentionné à l’audience par notre collègue Me Ataogul, le premier avis donné à 17h09 par les policiers ne constitue clairement pas selon nous l’autorisation au sens de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière puisque la preuve a démontré que les services policiers ne donnent pas cette autorisation. Les services policiers gèrent plutôt les aléas de la manifestation sur la circulation, le cas échéant.
Nous vous soumettons que le premier avis démontre que l’article 500.1 n’était pas appliqué à cette époque aux manifestations de rue. Ceci semble être confirmé par le deuxième avis donné à 18h28 lors duquel les services policiers déclarent la manifestation illégale. Il appert donc du constat d’infraction que ce n’est qu’après plusieurs heures de détention que les services policiers ont décidé de donner des contraventions en vertu de l’article 500.1 aux manifestants leur reprochant d’avoir occupé la rue.
Par ailleurs, il n’est pas prévu à l’article 500.1 qu’une autorisation préalable donnée puisse être retirée par les policiers. Par conséquent, nous vous soumettons que ces éléments militent en faveur de la thèse de l’appelante et de l’intervenante à l’effet que les policiers ne donnent pas d’autorisation au sens de l’article 500.1. Nous réitérons donc que le premier juge a commis une erreur manifeste en concluant que les policiers autorisaient les manifestations.
Subsidiairement, tel que préalablement soumis dans le cadre de notre plaidoirie, nous vous soumettons que les policiers ne sont pas habilités en vertu du Code de la sécurité routière pour donner l’autorisation prévue à l’article 500.1. Par conséquent, si vous arrivez à la conclusion que le premier avis donné était effectivement une autorisation au sens de l’article 500.1, nous vous soumettons qu’il s’agit en fait de l’exercice par les policiers d’une délégation de pouvoir illégale et que le premier juge a commis une erreur manifeste en ne concluant pas qu’il se trouvait face à une délégation de pouvoir illégale[154].
[329] Pour sa part, la Procureure générale écrit:
La question de savoir si, en l’espèce, la manifestation en cause a été autorisée n’est pertinente qu’à l’égard de la détermination de la culpabilité et Gabriella Garbeau. Or, dans la mesure où celle-ci a plaidé coupable à cette infraction, il doit être tenu pour avéré, devant cette Cour, que la manifestation à laquelle elle a participée n’était pas autorisée en vertu du troisième alinéa de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière. Une telle autorisation n’a pas été donnée[155].
[330] L'appelante et l'intervenante répondent ainsi à la position adoptée par la Procureure générale :
Avec égard, nous soumettons que les faits qui sous-tendent la manifestation du 15 mars 2011 sont évidemment pertinents. Nous comprenons de la position du Procureur général qu’il est d’accord que l’avis donné le 15 mars 2011 ne constitue pas l’autorisation au sens de 500.1 du Code de la sécurité routière. Or, il convient de noter que la preuve a démontré que les forces policières ne donnent aucune indication, autre que ce type d’avis et ce, dans le cas de dizaines d’autres manifestations (ex : le témoignage de Monsieur Champagne, les extraits des divers comptes « twitter » des services policiers). Il n’y a tout simplement pas d’autorisation donnée au sens de l’article 500.1 CSR. Finalement, nous soumettons que la confusion qui règne autour de la question de cette autorisation découle directement de l’article en soi. Le contexte d’application de 500.1 CSR est certainement pertinent pour juger de sa validité et surtout quant à la prétention qu’une telle autorisation serait facile à obtenir selon le Procureur général[156].
[331] La position de la Procureure générale est étonnante, car, on le sait, « il faut se garder de statuer sur des litiges constitutionnels en l’absence d’un dossier factuel adéquat »[157]. Cette preuve est donc pertinente au débat constitutionnel.
[332] Par ailleurs, d'un point de vue purement procédural, en l'absence d'une enquête plus précise à ce sujet[158], le plaidoyer enregistré par l'appelante ne permet pas de conclure nécessairement qu'elle a admis qu'une autorisation n'avait pas été donnée en vertu de l'article 500.1[159].
[333] De toute façon, même si on considère que l'appelante admettait l'absence d'une autorisation selon le troisième alinéa de l'article 500.1 par son plaidoyer de culpabilité, ce plaidoyer a été présenté sous réserve de la contestation constitutionnelle. Il ne s'agissait pas d'une renonciation à formuler des observations au sujet des faits présentés dans le cadre du débat constitutionnel.
[334] L'avis donné par les policiers à 17 h 09 fait ressortir le problème posé par l'absence de tout critère encadrant la décision d'accorder ou non le droit de manifester et de tout pouvoir de révoquer cette autorisation.
[335] La suite des évènements le soir du 15 mars 2011 le révèle avec acuité.
[336] En effet, les policiers ont conclu, selon les circonstances qui se présentaient à eux, que la manifestation était devenue un attroupement illégal au sens du Code criminel selon ce qu'indique le deuxième avis donné à 18 h 28 et qui comporte un ordre de dispersion des manifestants.
[337] On peut raisonnablement penser qu'ils ont conclu que la manifestation légitime était devenue un attroupement illégal, car cet attroupement troublait la paix de manière tumultueuse ou poussait d’autres personnes à agir de cette manière.
[338] L'avis des policiers et l'ordre de dispersion donné aux manifestants offre la possibilité de quitter l'attroupement illégal à celles et ceux qui le veulent.
[339] En droit américain, un tel avis est une exigence constitutionnelle avant que les policiers ne puissent effectuer légalement une arrestation.
[340] Le juge Posner de la Seventh Circuit Court of Appeals décrit cette règle en ces termes dans l'arrêt Vodak v. City of Chicago :
No precedent should be necessary, moreover, to establish that the Fourth Amendment does not permit the police to say to a person go ahead and march and then, five minutes later, having revoked the permission for the march without notice to anyone, arrest the person for having marched without police permission. This would be “an indefensible sort of entrapment by the State-convicting a citizen for exercising a privilege which the State had clearly told him was available to him.” Cox v. Louisiana, supra, 379 U.S. at 571, quoting Raley v. Ohio, 360 U.S. 423, 426, (1959)[160].
[341] Dans la présente affaire, les policiers informent d'abord les personnes présentes de leur droit de manifester. Il ordonne plus tard la dispersion d'un attroupement illégal, mais dépose un constat d'infraction contre l'appelante selon l'article 500.1. Est-ce que l'ordre de dispersion est une révocation de l'avis communiqué plus tôt aux manifestants?
[342] De plus, si une manifestation est tolérée par une personne en autorité, ce que l'avis donné à 17 h 09 donne lieu de penser, quelles sont les conséquences juridiques de la décision des policiers de disperser l'attroupement illégal à 18 h 28?
[343] Est-il possible d'accuser un manifestant d'avoir commis une infraction à l'article 500.1 alors que l'ordre de dispersion est, de toute évidence, fondé sur le Code criminel?
[344] Même si on considère que « le pouvoir de révoquer un permis est indissociable du pouvoir de le délivrer »[161], une autorisation d'exercer une activité règlementée s'accompagne normalement de conditions relatives à l'exercice de cette activité et encadre, le cas échéant, le pouvoir de révoquer l'autorisation, ce qui est totalement absent en l'espèce.
[345] La Cour suprême a certes confirmé récemment le pouvoir des policiers d'exercer leur pouvoir discrétionnaire d'intervenir en vertu des différents pouvoirs légaux qu'ils possèdent[162], mais ce pouvoir discrétionnaire ne saurait comporter implicitement la faculté de révoquer une autorisation administrative.
[346] En outre, selon la preuve présentée devant le juge d'instance dans le cadre du débat constitutionnel, les exigences posées par les corps policiers de Montréal et de Québec semblent différentes.
[347] À Québec, le service de police exige un trajet et que celui-ci soit respecté par les manifestants.
[348] La question ici n'est pas de critiquer la sagesse ou l'à-propos d’une telle exigence. Là n'est pas la question dans le cadre du débat constitutionnel. Mais il faut constater que la même disposition législative donne lieu à des exigences différentes, selon le corps policier impliqué, exigences qui sont absentes du texte même de l'article 500.1.
[349] Dans le présent dossier, le soir du 15 mars 2011, les autorités policières n'avaient pas le trajet que les manifestants allaient suivre, mais cela ne les a pas empêché de dire aux personnes présentes qu'elles avaient le droit de manifester.
[350] Le Tribunal ne met pas en doute le fait que l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers pouvait les amener à faire le choix de ne pas intervenir pour empêcher la tenue de celle-ci.
[351] En effet, tout comme la poursuite n’a pas l’obligation de porter une accusation même si elle possède la preuve d’une infraction, les policiers ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer la nature de leur intervention et, le cas échéant, ils peuvent décider de ne pas emprunter la voie judiciaire[163].
[352] Ce pouvoir discrétionnaire est reconnu tant dans l'arrêt Beaudry de la Cour suprême que dans la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Henco Industries Ltd. v. Haudenosaunee Six Nations Confederacy Council[164] et le Tribunal doit être extrêmement prudent avant de le mettre en doute.
[353] La preuve des circonstances entourant la manifestation du 15 mars 2011 révèle cependant que l'exercice du droit de manifester est sujet à l'exercice du pouvoir discrétionnaire absolu des policiers qui en tolèrent ou en suspendent l'exercice en fonction de critères inconnus. Ils décident aussi, le cas échéant, de déposer un constat d'infraction selon le premier alinéa de l'article 500.1, et ce, même si les policiers avaient initialement informé les personnes présentes de leur droit de manifester.
[354] Au sujet de la question précise posée aux parties à l'égard de l'avis donné par les policiers le 15 mars 2011 à 17 h 09, le Tribunal considère qu'il n'y a eu aucune autorisation qui a été accordée selon le troisième alinéa de l'article 500.1.
[355] Une telle autorisation ne peut être accordée que par la personne responsable de l'entretien du chemin public et non par les policiers qui ne peuvent agir en tant que mandataire ou représentant d'une ville ou d'une municipalité sans une délégation législative ou règlementaire claire.
[356] En l'absence d'une autorisation accordée conformément au troisième alinéa de l'article 500.1, l'avis qui a été donné par les policiers aux personnes présentes lors de la manifestation n'est que l'exercice, par ceux-ci, de leur pouvoir discrétionnaire de ne pas intervenir pour empêcher la tenue de la manifestation, et ce, malgré la preuve claire de la commission de l'infraction prévue au premier alinéa de l'article 500.1.
[357] Toutefois, cet avis est susceptible soit de justifier l'application de la défense d'erreur provoquée par une personne en autorité[165], soit de mettre en doute la culpabilité de l'appelante. Le Tribunal discutera de cette question à la fin de son jugement.
3.5.4.5. Conclusions relatives à l'application de l'article 500.1 du CSR
[358] Avant d'aborder la question de la constitutionnalité de la discrétion conférée par l'article 500.1, il est utile de résumer les principales conclusions du Tribunal quant à la preuve présentée devant le juge d'instance au sujet de l'application de l'article 500.1:
· Le mécanisme d'autorisation préalable prévu au troisième alinéa de l'article 500.1 n'a pas été mis en place par les autorités publiques compétentes. Il est inexistant;
· Aucune autorisation n'a été accordée en vertu de ce pouvoir et aucun refus n'a été signifié;
· Les corps policiers n'ont pas exercé le pouvoir discrétionnaire conféré par le troisième alinéa de l'article 500.1, car ce pouvoir ne peut être exercé que par une ville, une municipalité ou le ministère des Transports. Les corps policiers ne sont pas les représentants ou les mandataires de ceux-ci;
· Les corps policiers tolèrent ou choisissent d'exercer leur pouvoir discrétionnaire d'empêcher ou non la tenue d'une manifestation, malgré la commission de l'infraction prévue au premier alinéa de l'article 500.1 selon des considérations ou des exigences différentes (par exemple: la communication d'un trajet);
· Le pouvoir discrétionnaire exercé par les policiers lors la tenue de manifestations n'est pas fondé sur le mécanisme d'autorisation préalable prévu au troisième alinéa de l'article 500.1, mais plutôt sur l'infraction prévue au premier alinéa de cet article;
· L'exercice du droit de manifester sur un chemin public est sujet à l'exercice du pouvoir discrétionnaire absolu des policiers, c'est-à-dire le fait qu'on en tolère l'exercice, les conditions relatives à son exercice, sa révocation de même que le dépôt d'une accusation selon le premier alinéa de l'article 500.1.
[359] Le Tribunal est d'avis que les problèmes posés par l'application du troisième alinéa de l'article 500.1 sont liés à l'absence de critères entourant le pouvoir d'autoriser la tenue d'une manifestation sur un chemin public.
[360] La question qui doit être maintenant abordée est celle de savoir si ce large pouvoir discrétionnaire est une atteinte minimale au droit de manifester sur un chemin public.
3.5.4.6. Les pouvoirs discrétionnaires et la discrétion conférée par l'article 500.1 du CSR
[361] Toute discussion au sujet de la discrétion conférée par le troisième alinéa de l’article 500.1 doit tenir compte du fait que le droit administratif canadien reconnait depuis l’arrêt Roncarelli c. Duplessis[166] qu’il n’existe pas de discrétion absolue et sans entrave.
[362] Dans cette affaire, le juge Rand écrit:
In public regulation of this sort there is no such thing as absolute and untrammelled "discretion", that is that action can be taken on any ground or for any reason that can be suggested to the mind of the administrator; no legislative Act can, without express language, be taken to contemplate an unlimited arbitrary power exercisable for any purpose, however capricious or irrelevant, regardless of the nature or purpose of the statute. Fraud and corruption in the Commission may not be mentioned in such statutes but they are always implied as exceptions. "Discretion" necessarily implies good faith in discharging public duty; there is always a perspective within which a statute is intended to operate; and any clear departure from its lines or objects is just as objectionable as fraud or corruption. Could an applicant be refused a permit because he had been born in another province, or because of the colour of his hair? the legislature cannot be so distorted[167].
[363] Dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, le juge Lamer formule des observations similaires:
Une discrétion, indépendamment des termes par lesquels elle est conférée, n'est jamais absolue. Il s'agit d'un principe reconnu depuis fort longtemps. H. W. R. Wade, dans son traité intitulé Administrative Law (4e éd. 1977), s'exprime ainsi aux pp. 336 et 337:
[TRADUCTION] Il est reconnu depuis plus de trois siècles que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités publiques n'est pas absolu, même à l'intérieur de ses limites bien définies, mais qu'il est assujetti à des limites légales générales. Ces limites sont exprimées de plusieurs façons différentes: on dit par exemple que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi, qu'il ne faut tenir compte que des considérations pertinentes, qu'il ne doit y avoir absolument aucune malversation, ou que la décision ne doit pas être le fruit de l'arbitraire ou du caprice. [Je souligne.][168]
[364] Ainsi, tout pouvoir discrétionnaire, si grand soit-il, connaît cependant des limites[169] et une loi est toujours censée s’appliquer dans une certaine optique voulue par le législateur[170].
[365] De plus, tout pouvoir discrétionnaire doit être exercé selon l’économie et l’objet de la législation dans son ensemble[171].
[366] La question qui se pose en l'espèce est de savoir dans quelle circonstance peut-on considérer qu'un large pouvoir discrétionnaire est ou n'est pas une limite raisonnable selon les dispositions justificatives des chartes québécoise et canadienne.
[367] En effet, si un pouvoir discrétionnaire doit toujours être appliqué en fonction de l'économie et l'objet de la loi dans son ensemble et qu'une discrétion imprécise doit être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par les chartes québécoise et canadienne, on peut se demander à la rigueur, s'il est même possible, à la lumière de ces principes, de contester la constitutionnalité d'un pouvoir discrétionnaire.
[368] C'est la question que le Tribunal doit résoudre.
[369] Jusqu'à maintenant le Tribunal n'a considéré que les conclusions de fait du juge d'instance au sujet du volet de l'atteinte minimale[172].
[370] Il n'a pas analysé la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire conféré par le troisième alinéa de l'article 500.1 est une atteinte minimale au sens des dispositions justificatives.
[371] Tel que mentionné antérieurement, le juge d'instance n'a pas spécifiquement examiné cette question en raison de ses conclusions quant à l'absence d'une demande d'autorisation de manifester et de l'absence de preuve d’un refus d'autorisation.
[372] Or, l'analyse de la constitutionnalité d'une loi et celle de son application sont deux questions distinctes[173].
[373] Dans la présente affaire, l'appelante considère que le pouvoir discrétionnaire conféré par le troisième alinéa de l'article 500.1 est absolu et doit donc être invalidé.
[374] La Procureure générale prétend que la discrétion conférée par le troisième alinéa de l'article 500.1 respecte les chartes québécoise et canadienne. De plus, elle affirme que cette discrétion doit être exercée selon les objectifs poursuivis par le CSR et l'article 500.1 en particulier. Elle estime que si l'article est ainsi interprété, la validité de l'article 500.1 doit être confirmée.
[375] Afin de bien comprendre la position de la Procureure générale, il est utile de reproduire la description du fonctionnement de l'article 500.1 qu'elle propose dans son mémoire.
[376] Voici ce qu'elle écrit:
[43] Une autre condition imposée par le législateur est celle exigeant que la tenue des défilés ou d’autres formes de manifestations soit préalablement autorisée par la personne responsable de l’entretien du chemin public. Avant qu’une utilisation incompatible avec la fonction du chemin public et de la chaussée soit autorisée, le législateur confie à la personne responsable de l’entretien du chemin le soin de s’assurer que cette autorisation n’ira pas à l’encontre de ses objectifs d’assurer la sécurité routière, la libre circulation sur les chemins publics et la protection des personnes et de leurs biens. Selon les circonstances particulières de chaque cas, les impacts par rapport à ces objectifs peuvent varier en fonction, notamment, des caractéristiques des lieux, du trajet s’il y a lieu, des immeubles à proximité, du moment de la journée, du nombre de participants, de l’existence ou non de voie de contournement, de la possibilité de mettre sur place une signalisation adéquate, de prévoir des corridors de sécurité, etc.
[44] La présence d’un système d’autorisation permet à la personne responsable de l’entretien du chemin de faire une analyse particularisée de la situation en fonction des objectifs poursuivis par le CSR. Ainsi, cette autorisation vise à s’assurer que le défilé ou toute autre forme de manifestation ne créera pas de problèmes de sécurité routière d’une part et que, d’autre part, le retrait momentané de la fonction du chemin public, pour rendre celui-ci et sa chaussée disponible pour une autre fin (les défilés ou autre formes de manifestations), ne minera pas de façon trop importante les objectifs poursuivis.
[377] Elle décrit ainsi les facteurs qui doivent être évalués par la personne responsable de l'entretien du chemin public :
[131] L’article 500.1 vise à contrôler les conséquences matérielles d’une activité, l’entrave à la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, sans égard au contenu du message que cette activité pourrait tenter de véhiculer.
[132] Cet article n’empêche pas l’appelante ou toute personne de transmettre leur message de multiples manières. L’article 500.1 ne vise pas les formes d’expression qui se déroulent ailleurs que sur la « chaussée, l’accotement, une autre partie de l’emprise ou les abords d’un chemin public », ni celles qui s’y déroulent et n’entravent pas la circulation des véhicules routiers sur les chemins publics ou l’accès à ces chemins.
[133] Par ailleurs, l’article 500.1 permet la tenue de défilés ou d’autres manifestations, même si elles entravent la circulation, à la condition que celles-ci soient autorisées par la personne responsable de l’entretien du chemin public et à la condition que le chemin soit fermé à la circulation ou sous contrôle d’un corps de police.
[134] Le processus d’autorisation prévu au troisième alinéa de l’article 500.1 est souple, n’exige pas des moyens logistiques importants pour celui qui demande l’autorisation et permet que celle-ci soit faite et répondue dans un court délai et peu importe le moment de la journée. La preuve indique que ce processus d’autorisation permet la tenue de multiples défilés et manifestations et il n’y a aucun exemple de refus ou d’imposition de conditions qui auraient empêché quiconque de s’exprimer.
[135] D’autre part, un processus d’autorisation au préalable est essentiel à l’atteinte des objectifs du législateur. Un simple préavis d’une manifestation qui entraverait la circulation, par exemple, sur une autoroute, un pont donnant accès à une île, l’accès à un hôpital, à un palais de justice ou bloquerait la seule route d’accès à une région ne permettrait pas l’atteinte des objectifs législatifs. Il y a manifestement des situations qui imposeraient soit un refus ou soit une modification du trajet proposé. Il est certain que le législateur ne peut, sans renoncer à ses objectifs, conférer aux demandeurs le droit d’occuper la chaussée d’un chemin public à l’endroit qu’ils choisissent, sans aucun contrôle.
[136] Dans la mesure où la preuve établit que la demande d’autorisation peut être faite et répondue dans un court délai et peu importe le moment de la journée, rares, sinon inexistantes, sont les situations de manifestations dites « spontanées » qui ne permettent pas de présenter une demande d’autorisation. Quoi qu’il en soit, les problèmes liés à la sécurité routière, à la libre circulation des personnes et des marchandises et à la protection des personnes et de leurs biens sont également présents dans ces situations et le législateur ne peut permettre ces entraves, sans encore ici, renoncer à ses objectifs.
[137] La discrétion que l’article 500.1 accorde à la personne responsable de l’entretien du chemin n’est pas sans limites et est encadrée par l’objet et le contexte du CSR dans lequel il s’insère. La présence de cette discrétion permet de faire une analyse particularisée de chaque situation, laquelle peut varier énormément d’un cas à l’autre et permet d’établir un juste équilibre entre le désir des personnes de s’exprimer et les objectifs poursuivis par le CSR. […]
[…]
[139] Les réunions sur un chemin public qui entravent la circulation automobile sont interdites dans deux provinces. Six provinces délèguent aux municipalités le pouvoir de gérer l’utilisation des chemins publics sous leur juridiction, la majorité d’entre elles mentionnant expressément des activités telles les parades ou rassemblements. Par ailleurs, deux provinces prévoient la possibilité d’accorder un permis pour ces activités autrement interdites.
[140] L’interdiction totale n’a pas été la mesure retenue par le législateur québécois qui a plutôt adopté le mécanisme de l’autorisation préalable pour l’ensemble de la province. Une telle mesure est raisonnable et adaptée à la réalité de la multitude de scénarios susceptibles d’entraver la circulation et aux objectifs que le législateur veut atteindre.
[378] Le juge d'instance adopte d'une manière générale cette description dans son jugement[174].
[379] Comme on peut le constater assez facilement toutefois, la Procureure générale formule une série de facteurs ou de critères qui en sont absents du texte même de l'article 500.1.
[380] La position de la Procureure générale semble être une invitation à réécrire le texte de l'article en lui ajoutant des termes qui sont absents afin d'éviter une conclusion d'invalidité constitutionnelle.
[381] Or, on le sait, une telle démarche est généralement proscrite tant par la présomption contre l'addition de termes à une loi[175] que par le corridor étroit autorisant l'utilisation d'une interprétation large ou extensive (« reading in ») comme réparation constitutionnelle en vertu de l'article 52[176].
[382] Comme le juge en chef Dickson le souligne dans l'arrêt Hunter c. Southam: « [i]l n’appartient pas aux tribunaux d’ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives »[177].
[383] De plus, l'interprétation extensive est une réparation constitutionnelle qui risque d'empiéter sur le domaine législatif[178].
[384] Il est vrai, toutefois, que la jurisprudence de la Cour suprême fait voir certaines décisions où la Cour suprême procède à une certaine réécriture d'une loi, ce qui donne lieu à des débats assez importants au sein de la Cour[179].
[385] Cependant, le Tribunal ne doit s'engager dans une telle démarche qu'avec prudence.
[386] En l'espèce, les parties ont fait porter leurs principales observations à l'égard de deux décisions qui interprètent le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 56 de la Loi sur les drogues et les autres substances (« LDAS »): soit la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Parker et celle de la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society.
[387] La position des parties révèle une divergence fondamentale au sujet de l'approche applicable lorsque la constitutionnalité d'un pouvoir discrétionnaire est contestée. La résolution de cette divergence est cruciale au sort du présent pourvoi.
[388] Avant d'examiner ces deux décisions, il convient de faire un tour d'horizon de l'examen par la Cour suprême de la question des pouvoirs discrétionnaires.
[389] Lorsqu'il s'agit de déterminer si une loi se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique, l'analyse d'un pouvoir discrétionnaire qui n'est encadré par aucun critère se soulève de deux manières.
[390] D'une part, l'analyse s'envisage sous l'angle de la question de savoir si une telle discrétion est une limite établie par « une règle de droit ». D'autre part, on peut considérer que ce type de discrétion n'est pas une atteinte minimale au droit constitutionnel en cause[180].
[391] Le Tribunal aborde ici la question sous l'angle de l'atteinte minimale. Cependant, l'analyse des principales décisions de la Cour suprême est utile, quel que soit l'angle sous lequel la question a été abordée par la Cour.
[392] Ce panorama fournit un contexte général essentiel qui saura mettre cette problématique en juste perspective avant d'examiner les arrêts Parker et PHS.
[393] Voyons comment la question se pose.
[394] Le professeur Hogg explique que l'exigence qu'une limite à un droit constitutionnel soit établie par une règle de droit se fonde, d'une part, sur la volonté d'éviter que l'action gouvernementale soit arbitraire et, d'autre part, sur la nécessité que la loi soit à la fois accessible au public et formulée avec une précision suffisante tant pour les citoyens visés que ceux qui doivent appliquer la règle de droit en question.
[395] Il écrit:
The requirement that any limit on rights be prescribed by law reflects two values that are basic to constitutionalism or the rule of law. First, in order to preclude arbitrary and discriminatory action by government officials, all official action in derogation of frights must be authorized by law. Secondly, citizens must have a reasonable opportunity to know what is prohibited so that they can act accordingly. Both these values are satisfied by a law that fulfils two requirements: (1) the law must adequately accessible to the public; and (2) the law must be formulated with sufficient precision to enable people to regulate their conduct by it, and to provide guidance to those who apply the law[181].
[396] Il souligne spécifiquement la nécessité qu'un pouvoir discrétionnaire soit encadré par des critères juridiques:
A law that confers a discretion on a board or official to act in derogation of a Charter right will satisfy the prescribed-by-law requirement if the discretion is constrained by legal standards[182].
[Le soulignement est ajouté]
[397] La Cour suprême aborde la question des critères qui doivent encadrer l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire pour la première fois en 1988.
[398] Dans l'arrêt R. c. Hufsky[183], la Cour suprême établit l'exigence constitutionnelle selon laquelle l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire doit être encadré par des critères explicites ou implicites. Le juge Le Dain écrit:
La question qui se pose ensuite relativement à l'argument de l'appelant fondé sur l'art. 9 de la Charte est de savoir si la détention qui s'ensuit, lorsque l'on arrête des véhicules au hasard afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, est arbitraire au sens de l'art. 9. Le paragraphe 189a(1) du Code de la route habilite l'agent de police, dans l'exercice légitime de ses fonctions, à exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête. Il ne précise pas qu'il doit y avoir des raisons ou une cause pour demander à un automobiliste en particulier de s'arrêter mais, comme sa simple lecture l'indique, il laisse à l'agent le pouvoir discrétionnaire de choisir à quel automobiliste il va demander de s'arrêter. En réalisant les fins visées par la procédure de contrôles routiers ponctuels, dont la vérification de l'état ou de la "sobriété" du conducteur, l'agent était clairement dans l'exercice légitime de ses fonctions. Bien qu'autorisé par la loi et exécuté pour des fins légitimes, l'arrêt au hasard, effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, a néanmoins entraîné, à mon avis, une détention arbitraire parce qu'il n'y avait aucun critère de sélection des conducteurs à qui on demanderait de s'arrêter et de se soumettre au contrôle routier ponctuel. La sélection était laissée à l'entière discrétion de l'agent de police. Un pouvoir discrétionnaire est arbitraire s'il n'y a pas de critère, exprès ou tacite, qui en régit l'exercice. En l'espèce il n'y en avait aucun. L'appelant a donc été détenu arbitrairement, au sens de l'art. 9 de la Charte, par suite de l'arrêt au hasard effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, et la seconde question constitutionnelle doit, par conséquent, recevoir une réponse affirmative[184].
[Le soulignement est ajouté]
[399] L'année suivante, dans l'arrêt R. c. Irwin Toy[185], une affaire où la liberté d'expression est en cause, les juges majoritaires affirment que « s'il n'existe aucune norme intelligible et si le législateur a conféré le pouvoir discrétionnaire absolu de faire ce qui semble être le mieux dans une grande variété de cas, il n'y a pas de restriction prescrite "par une règle de droit" »[186].
[400] Une semaine après l'arrêt Irwin Toy, dans l'affaire Slaight Communications Inc. c. Davidson, le juge Lamer écrit:
La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d'interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte à moins, bien sûr, que ce pouvoir soit expressément conféré ou encore qu'il soit nécessairement implicite. Une telle interprétation nous obligerait en effet, à défaut de pouvoir justifier cette disposition législative aux termes de l'article premier, à la déclarer inopérante. Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d'une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte[187].
[Le soulignement est ajouté]
[401] En 1991, dans l'arrêt Comité pour la République du Canada c. Canada[188], la Cour suprême doit déterminer la portée de la liberté d'expression sur une propriété gouvernementale, en l'occurrence, un aéroport. La décision donne lieu à une pluralité d'opinions.
[402] L'un des aspects de cet arrêt qui est pertinent à la présente affaire est celui de l'application d'un règlement relatif à l'exploitation de concessions dans un aéroport et le pouvoir discrétionnaire qu'il comporte.
[403] La juge L'Heureux-Dubé formule les observations suivantes au sujet du règlement qu'elle juge applicable et de la discrétion qu'il confère. Elle écrit:
En outre, le règlement prévoit que "à moins d'une autorisation écrite du Ministre, nul ne peut . . . ". Il est clair que le Ministre dispose de "pleins pouvoirs discrétionnaires de faire ce qui lui semble le mieux". En soi, cela peut créer une norme imprécise au point d'être incompréhensible. De toute façon, l'imprécision imputable à l'absence d'une norme compréhensible n'est pas conforme aux principes portant que la restriction d'un droit ou d'une liberté doit être "prescrite par une règle de droit".
On pourrait prétendre que, dans un régime d'autorisation préalable, comme en l'espèce, la norme n'est pas imprécise. On pourrait alléguer que ce genre de dispositions permet aux citoyens de régler leur conduite parce qu'elle établit clairement que quiconque désire faire de la sollicitation ou de la publicité doit d'abord obtenir l'autorisation du Ministre. Cependant, cela ne fait que déplacer le problème de l'arbitraire de l'élément "prescrit par une règle de droit" à l'élément "moyens" des critères d'application de l'article premier.
Bien qu'à mon avis l'art. 7 du Règlement, qui restreint nettement la liberté d'expression, soit trop imprécis pour constituer une limite raisonnable prescrite par une règle de droit aux fins de l'analyse de l'article premier, je préfère fonder mon opinion sur l'analyse du caractère raisonnable tel que l'édicte l'arrêt Oakes. À cette fin et aux fins précises de l'analyse qui suit, je présumerai, sans pour autant en décider, que les objectifs visés par le gouvernement sont suffisamment urgents et que la disposition a un lien rationnel avec ces objectifs, puisque je crois que la portée de l'art. 7 du Règlement est excessive et qu'en conséquence, cet article ne résiste pas à l'analyse des moyens proposée dans l'arrêt Oakes[189].
[Le soulignement est ajouté]
[404] La juge McLachlin souligne quant à elle ce qui suit:
[L]a restriction imposée au droit ne devrait pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif - elle ne devrait pas être de portée trop générale et devrait comprendre des garanties suffisantes pour assurer que l'application de la règle de droit ne portera pas atteinte plus que nécessaire au droit en question. Ce dernier risque peut exister, par exemple, si les administrateurs chargés d'appliquer la restriction ou la règle de droit en cause jouissent d'un trop grand pouvoir discrétionnaire[190].
[Le soulignement est ajouté]
[405] L'opinion des juges L'Heureux-Dubé et McLachlin sera adoptée par la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Parker[191] où la Cour devait déterminer la portée du pouvoir discrétionnaire d'exemption conféré au ministre de la santé par l'article 56 de la Loi sur les drogues et autres substances[192].
[406] Nous y reviendrons, car l'appelante se fonde sur l'arrêt Parker et fait valoir que les principes formulés dans cette décision appuient la conclusion que la discrétion conférée par le troisième alinéa de l'article 500.1 est illimitée alors que la Procureure générale invoque plutôt la décision de la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society[193] pour supporter la position contraire.
[407] En 1992, la Cour suprême aborde la question des pouvoirs discrétionnaires dans son étude de la théorie de l'imprécision dans l'arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society[194]. La discussion porte principalement sur l'imprécision d'un texte d'incrimination, mais certaines observations sont pertinentes à la question soulevée en l'espèce, car elle concerne la limite du pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi.
[408] Le juge Gonthier y écrit que des normes suffisamment précises « limitent donc le pouvoir discrétionnaire en introduisant des lignes de démarcation et elles délimitent suffisamment une sphère de risque pour que les citoyens soient prévenus quant au fond de la norme à laquelle ils sont assujettis »[195]. Il ajoute qu'une disposition imprécise « ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d'avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi »[196].
[409] En 1996, le juge Lamer aborde la question des pouvoirs discrétionnaires dans l'arrêt R. c. Adams[197]. Il écrit:
53. Normalement, dans le cadre d’une demande fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, lorsqu’une loi confère un large pouvoir discrétionnaire administratif non structuré et susceptible d’être exercé d’une façon qui empiète sur un droit constitutionnel, le tribunal ne doit pas conclure que le pouvoir discrétionnaire délégué viole la Charte et ensuite examiner les justifications possibles de cette violation en vertu de l’article premier. Au contraire, le tribunal doit plutôt conclure que le pouvoir discrétionnaire doit désormais être exercé de manière à respecter les garanties prévues par la Charte. Voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, aux pp. 1078 et 1079; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pp. 1010 et 1011; et Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 720.
[410] Dans l'arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), le juge La Forest nuance cette approche et il précise que ce ne sont pas tous les pouvoirs discrétionnaires qui peuvent être interprétés d'une manière compatible avec la Charte:
[30] J’ouvre une parenthèse pour souligner que ce ne sont pas toutes les dispositions attributives d’un pouvoir discrétionnaire qui peuvent être interprétées d’une manière compatible avec la Charte. Certaines dispositions de cette nature portent nécessairement atteinte à des droits garantis par la Charte, même si elles n’autorisent pas expressément ce résultat; voir, par exemple, Re Ontario Film & Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1984), 5 D.L.R. (4th) 766 (C.A. Ont.), confirmant (1983), 147 D.L.R. (3d) 58 (C. div. Ont.). En pareil cas, c’est généralement la loi et non son application qui entraîne l’examen fondé sur la Charte; voir June M. Ross, «Applying the Charter to Discretionary Authority» (1991), 29 Alta. L. Rev. 382. Dans le présent cas, toutefois, le pouvoir discrétionnaire qui est accordé à la commission des services médicaux pour lui permettre de décider si un service constitue un avantage ne menace pas nécessairement ou généralement les droits à l’égalité garantis au par. 15(1) de la Charte Il est évidemment possible que la commission viole ces droits dans l’exercice de son pouvoir. Cependant, cette possibilité est une conséquence de l’objet du pouvoir discrétionnaire, qui est de faire en sorte que tous les services médicalement nécessaires soient payés par le gouvernement[198].
[Le soulignement est ajouté]
[411] En 2000, dans l'arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice)[199], le juge Binnie doit analyser la question des pouvoirs discrétionnaires dans l'étude des pouvoirs conférés par la Loi sur les douanes à l'égard de l'importation de matériel obscène. Dans cette affaire, il conclut spécifiquement que « [d]u fait de l’incorporation par renvoi du par. 163(8) [du Code criminel] au Tarif des douanes, les fonctionnaires des douanes sont tenus d’appliquer la définition »[200] de l'obscénité prévue à cet article. Il juge cette norme valide au plan constitutionnel[201].
[412] Il rappelle aussi qu'un pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément à la Charte et il affirme qu'une « règle qui obligerait le Parlement à édicter dans chaque cas des procédures spéciales pour protéger les droits garantis par la Charte serait inutilement rigide »[202].
[413] En 2009, la Cour suprême rappelle l'importance d'une norme intelligible dans l'arrêt Greater Vancouver[203].
[414] La juge Deschamps trace alors un portrait général de la jurisprudence de la Cour suprême sur la question de la règle de droit au sens de l'article premier de la Charte.
[415] Elle écrit:
[52] La Cour n’exige donc pas que le droit en cause soit restreint par une loi au sens strict du terme; il peut l’être également par un règlement ou par la common law. En outre, il suffit que la restriction découle nécessairement du libellé de la « loi » ou de ses conditions d’application. (Voir également les arrêts Irwin Toy; B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; et R. c. Orbanski, 2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3.)
[53] La Cour reconnaît aussi implicitement d’autres formes de restriction par une règle de droit qui n’ont pas été mentionnées au départ dans l’arrêt Therens, notamment celles issues d’un règlement municipal (Ramsden et Ville de Montréal), d’une convention collective liant une entité gouvernementale (Lavigne) et des règles d’un organisme de réglementation (Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591). Ces textes constituent des « règles de droit » parce que, à l’instar des règlements et autres mesures législatives subordonnées, leur adoption est autorisée par une loi, ils sont obligatoires et d’application générale et ils sont suffisamment accessibles et précis pour ceux qui y sont assujettis. À cet égard, ils répondent aux préoccupations justifiant l’exigence de la restriction « par une règle de droit » dans la mesure où il s’agit de faire obstacle à l’arbitraire de l’État et d’offrir aux citoyens et aux entités gouvernementales suffisamment d’information sur la conduite à adopter.
[54] Dans l’arrêt Irwin Toy, la Cour interprète l’obligation de précision de manière libérale. Les juges majoritaires s’expliquent comme suit (p. 983) :
En droit, la précision absolue est rare, voire inexistante. La question est de savoir si le législateur a formulé une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions. L’interprétation de la manière d’appliquer une norme dans des cas particuliers comporte toujours un élément discrétionnaire parce que la norme ne peut jamais préciser tous les cas d’application. Par contre, s’il n’existe aucune norme intelligible et si le législateur a conféré le pouvoir discrétionnaire absolu de faire ce qui semble être le mieux dans une grande variété de cas, il n’y a pas de restriction prescrite « par une règle de droit ».
Dans l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, p. 94-97, la Cour souligne que la norme n’est pas stricte. À moins qu’elle ne « soit [. . .] si obscur[e] que les méthodes ordinaires ne permettent pas de lui donner une interprétation le moindrement exacte », la loi contestée est réputée constituer « une règle de droit » (p. 94).
[55] Comme en font foi les arrêts susmentionnés, la Cour opte pour une interprétation souple de la « règle de droit » susceptible de restreindre un droit garanti par la Charte, et ce, tant sur le plan de la forme (loi, règlement, notamment municipal, règle d’un organisme de réglementation ou convention collective) que sur celui de la formulation (c’est-à-dire, une norme intelligible pour le public et celui qui l’applique). En fin de compte, la Cour insiste, comme dans l’arrêt Therens, sur la nécessité de distinguer entre la restriction issue de la loi et celle qui découle d’une mesure arbitraire de l’État, cette dernière ne satisfaisant toujours pas à l’exigence d’une restriction « par une règle de droit ».
[56] Cette approche généreuse est privilégiée parce qu’une interprétation étroite imposerait une trop grande rigidité à un système parlementaire et législatif qui s’en remet considérablement à des lois-cadres et à la délégation de larges pouvoirs discrétionnaires. Dans l’arrêt Comité pour la République du Canada, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dit d’ailleurs à ce sujet (p. 245) :
D’un point de vue pratique, il serait mal venu de limiter l’application de l’article premier aux lois et aux règlements adoptés par le législateur. L’État serait alors tenu d’adopter des règlements détaillés portant sur toutes les éventualités imaginables, avant de pouvoir justifier sa conduite en vertu de l’article premier. À mon avis, une approche aussi technique n’est pas conforme à l’esprit de la Charte et rendrait indûment difficile la justification des restrictions apportées aux droits et libertés qui peuvent être raisonnables et, de fait, nécessaires.
Voir également l’arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, par. 137.
[416] Dans l'affaire Greater Vancouver, la question que devait résoudre la Cour concerne les politiques publicitaires de commissions de transport et la question de savoir si ces politiques sont des règles de droit au sens de l'article premier de la Charte.
[417] La juge Deschamps formule les précisions suivantes à ce sujet:
[64] La politique qui n’est pas administrative par nature et qui satisfait à certaines exigences peut constituer une « règle de droit ». Pour qu’elle soit de nature législative, la politique doit établir une norme d’application générale adoptée par une entité gouvernementale en vertu de son pouvoir de réglementation. Un tel pouvoir existe lorsque le législateur fédéral ou provincial a délégué un pouvoir à l’entité gouvernementale aux fins précisément d’adopter des règles obligatoires d’application générale établissant les droits et les obligations des personnes qui y sont assujetties (D. C. Holland et J. P. McGowan, Delegated Legislation in Canada (1989), p. 103). Point n’est besoin, pour l’application de l’article premier de la Charte, que ces règles revêtent la forme de textes réglementaires. Dans la mesure où leurs lois habilitantes permettent aux entités d’adopter des règles obligatoires, où leurs politiques établissent des droits et des obligations d’application générale plutôt que particulière et où elles sont suffisamment accessibles et précises, alors ces politiques sont réputées constituer des « règles de droit » susceptibles de restreindre un droit garanti par la Charte.
[65] Ainsi, lorsqu’une politique gouvernementale est autorisée par la loi, qu’elle établit une norme générale se voulant obligatoire et qu’elle est suffisamment accessible et précise, il s’agit d’une règle de nature législative qui constitue une « règle de droit ».
[Le soulignement est ajouté]
[418] L'année suivante, la Cour d'appel du Québec dans Singh c. Montréal (Ville de)[204] applique le cadre d'analyse énoncé dans l'arrêt Greater Vancouver lors d'un pourvoi où se pose la constitutionnalité d'un règlement d'urbanisme en matière d'affichage.
[419] Après avoir conclu que le règlement en cause limite la liberté d'expression, le juge Forget analyse la question sous l'angle de l'atteinte minimale. Il écrit:
29 Au départ, le règlement n'est pas « soigneusement conçu » pour reprendre les mots du juge LeBel dans l'arrêt Guignard.
30 Le règlement n'énonce aucun paramètre de quelque nature que ce soit notamment quant au nombre, à la dimension et à la répartition géographique de ces babillards auxquels elle limite désormais l'affichage. En somme, la Ville s'en remet à l'entière discrétion de l'administration.
[Le soulignement est ajouté]
[420] Après avoir référé à l'arrêt Greater Vancouver, il ajoute:
32 Aussi, loin de moi l'idée d'imposer à la Ville une obligation de déterminer dans son règlement le type de babillards, leur dimension et les endroits où ils seront installés. Toutefois, le règlement visé ne comporte aucune directive à l'administration. Ainsi, on devrait conclure que la Ville a respecté le règlement dès qu'un seul babillard a été installé.
33 La juge Deschamps exige, à tout le moins, « une norme intelligible pour le public et pour celui qui l'applique ». En l'espèce, la norme n'est intelligible ni pour le public ni pour celui qui l'applique. À la lecture du règlement visé, le citoyen ne peut connaître ses droits à l'affichage sans parcourir le territoire de la Ville pour repérer les babillards.
[421] Le juge Forget conclut que le règlement ne démontre pas une atteinte minimale et que la mise en application du règlement ne démontre pas davantage que l'atteinte à la liberté d'expression est minimale.
[422] Finalement, dans Canada (Procureur général) c. Way[205], la Cour d'appel du Québec a récemment confirmé la conclusion de la Cour supérieure que les modifications apportées à l’article 140(1)d) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ne peuvent être sauvegardées en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne, en partie en raison du fait que « [l]a discrétion accordée aux commissaires apparaît dépourvue de balises »[206].
[423] Ce survol permet de mettre en contexte les grands éléments qui entourent l'analyse d'un pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'une contestation constitutionnelle.
[424] Examinons maintenant les arrêts Parker et PHS.
[425] En l'espèce, les principales observations des parties portaient sur deux décisions qui interprètent le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 56 de la Loi sur les drogues et les autres substances (« LDAS »).
[426] Il est donc impossible de comprendre la position des parties sans analyser soigneusement toutes les décisions de la Cour d'appel de l'Ontario et de la Cour suprême du Canada au sujet de l'article 56 de la LDAS. Ces décisions sont les suivantes: R. c. Parker[207], Hitzig c. Canada[208], Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society[209] (« PHS ») et R. c. Smith[210].
[427] La position des parties révèle une divergence fondamentale au sujet de l'approche applicable lorsque la constitutionnalité d'un pouvoir discrétionnaire est contestée. La résolution de cette divergence est cruciale au sort du présent pourvoi.
[428] L'article 56 confère au ministre de la Santé un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder des exemptions de l’application de la LDAS s'il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient.
3.5.4.8.1. L’arrêt R. c. Parker
[429] La Cour d'appel de l'Ontario rend sa décision dans Parker à la fin du mois de juillet 2000. Elle conclut que l'article 4 de la LDAS est inconstitutionnel en ce qu'il restreint l'accès à la marijuana à des fins médicales contrairement aux droits reconnus à Parker par l'article 7 de la Charte.
[430] Le juge Rosenberg résume ainsi ses conclusions au début de son jugement:
[10] I have concluded that the trial judge was right in finding that Parker needs marijuana to control the symptoms of his epilepsy. I have also concluded that the prohibition on the cultivation and possession of marijuana is unconstitutional. Based on principles established by the Supreme Court of Canada, particularly in R. v. Morgentaler, [1988] 1 S.C.R. 30, 31 C.R.R. 1, where the court struck down the abortion provisions of the Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46 and Rodriguez v. British Columbia (Attorney General), [1993] 3 S.C.R. 519, 17 C.R.R. (2d) 193, where the court upheld the assisted suicide offence in the Criminal Code, I have concluded that forcing Parker to choose between his health and imprisonment violates his right to liberty and security of the person. I have also found that these violations of Parker's rights do not accord with the principles of fundamental justice. In particular, I have concluded that the possibility of an exemption under s. 56 dependent upon the unfettered and unstructured discretion of the Minister of Health is not consistent with the principles of fundamental justice. I have not dealt with the equality argument raised by the Epilepsy Association because that argument was not raised at trial.
[11] Accordingly, I would uphold the trial judge's decision to stay the charges against Parker and I would dismiss that part of the Crown's appeal. However, I disagree with Sheppard J.'s remedy of reading in a medical use exemption into the legislation. I agree with the Crown that this is a matter for Parliament. Accordingly, I would declare the prohibition on the possession of marijuana in the Controlled Drugs and Substances Act to be of no force and effect. However, since this would leave a gap in the regulatory scheme until Parliament could amend the legislation to comply with the Charter, I would suspend the declaration of invalidity for a year. During this period, the marijuana law remains in full force and effect. Parker, however, cannot be deprived of his rights during this year and therefore he is entitled to a personal exemption from the possession offence under the Controlled Drugs and Substances Act for possessing marijuana for his medical needs. Since the Narcotic Control Act has already been repealed by Parliament, there is no need to hold it unconstitutional. If necessary, I would have found that Parker was entitled to a personal exemption from the cultivation offence for his medical needs.
[Le soulignement est ajouté]
[431] Dans son jugement, le juge Rosenberg explique pourquoi la discrétion conférée par l'article 56 ne respecte pas les exigences constitutionnelles.
[432] Il considère dans un premier temps l'opinion suivante formulée par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Morgentaler alors qu'il écrit que « [l]e régime administratif établi par le par. 251(4) souffre d'une autre faiblesse: l'absence de norme adéquate à laquelle les comités de l'avortement thérapeutique doivent se référer lorsqu'ils ont à décider si un avortement thérapeutique devrait, en droit, être autorisé »[211].
[433] Le juge Rosenberg tire la conclusion suivante:
[178] The same must be said about s. 56. It reposes in the Minister an absolute discretion based on the Minister's opinion whether an exception is "necessary for a medical . . . purpose", a phrase that is not defined in the Act. The Interim Guidance Document issued by Health Canada to provide guidance for an application for a s. 56 exemption sets out factors that the Minister "may" consider in deciding whether an exemption is necessary for a medical purpose. This document does not have the force of law and, in any event, merely sets out examples of factors the Minister may consider. It does not purport to exhaustively define the circumstances. In fact, the document explicitly states that the Minister may take into account considerations unrelated to medical necessity such as "the potential for diversion".18 at end of document] The document also suggests that the power under s. 56 is only to be exercised in "exceptional circumstances", a qualification not found in the statute itself.
[179] Even if the Minister were of the opinion that the applicant had met the medical necessity requirement, the legislation does not require the Minister to give an exemption. The section only states that the Minister "may" give an exemption. The Crown did not suggest that "may" should be interpreted as "shall".
[434] Après avoir considéré l'opinion des juges L'Heureux-Dubé et McLachlin dans l'arrêt Comité pour la république, le juge Rosenberg poursuit son analyse et ajoute:
[184] In view of the lack of an adequate legislated standard for medical necessity and the vesting of an unfettered discretion in the Minister, the deprivation of Parker's right to security of the person does not accord with the principles of fundamental justice.
[185] In effect, whether or not Parker will be deprived of his security of the person is entirely dependent upon the exercise of ministerial discretion. While this may be a sufficient legislative scheme for regulating access to marijuana for scientific purposes, it does not accord with fundamental justice where security of the person is at stake.
[435] Finalement, il affirme, en s'appuyant sur l'arrêt R. c. Smith[212] de la Cour suprême, que la violation des droits constitutionnels de Parker ne saurait être évitée par l'exercice de la discrétion du ministre.
[436] Après avoir cité un passage de l'arrêt Smith, il écrit:
[187] In my view, this is a complete answer to the Crown's submission. The court cannot delegate to anyone, including the Minister, the avoidance of a violation of Parker's rights. Section 56 fails to answer Parker's case because it puts an unfettered discretion in the hands of the Minister to determine what is in the best interests of Parker and other persons like him and leaves it to the Minister to avoid a violation of the patient's security of the person.
[188] If I am wrong and, as a result, the deprivation of Parker's right to security of the person is in accord with the principles of fundamental justice because of the availability of the s. 56 process, in my view, s. 56 is no answer to the deprivation of Parker's right to liberty. The right to make decisions that are of fundamental personal importance includes the choice of medication to alleviate the effects of an illness with life-threatening consequences. It does not comport with the principles of fundamental justice to subject that decision to unfettered ministerial discretion. It might well be consistent with the principles of fundamental justice to require the patient to obtain the approval of a physician, the traditional way in which such decisions are made. It might also be consistent with the principles of fundamental justice to legislate certain safeguards to ensure that the marijuana does not enter the illicit market. However, I need not finally determine those issues, which, as I will explain in considering the appropriate remedy, are a matter for Parliament.
[Le soulignement est ajouté]
[437] Essentiellement, l'appelante fait valoir que les conclusions du juge Rosenberg au sujet de la discrétion illimité conférée au ministre par l'article 56 de la LDAS s'appliquent au pouvoir discrétionnaire conféré par le troisième alinéa de l’article 500.1.
[438] Le gouvernement n'interjette pas appel de la décision dans Parker[213], mais choisit plutôt d'adopter le Règlement sur l’accès à la marijuana à des fins médicales (« RAMFM ») qui entre en vigueur le 14 juin 2001.
[439] Le RAMFM encadre l'exercice de la discrétion du ministre conférée par l'article 56 de la LADS à l'égard de l’accès à la marijuana à des fins médicales. Il définit notamment la notion de « fins médicales »[214].
3.5.4.8.2. L’arrêt Hitzig c. Canada
[440] Dans Hitzig c. Canada, la Cour d'appel de l'Ontario doit décider si l'exemption médicale établie par le RAMFM est constitutionnelle. La Cour résume ainsi la situation et ses conclusions:
1 In R. v. Parker (2000), 146 C.C.C. (3d) 193, this court held that the criminal prohibition against the possession of marihuana in s. 4 of the Controlled Drugs and Substances Act, S.C. 1996, c. 19 ("CDSA") was of no force or effect, absent a constitutionally acceptable medical exemption from that prohibition. The court suspended its declaration for a year to allow the Government of Canada (the "Government") to address the constitutional deficiency. The Government responded with the Marihuana Medical Access Regulations, S.O.R./2001-227 (June 14, 2001) ("MMAR"). Those regulations permitted the possession, and in some cases, the production of marihuana1 by individuals (or in limited circumstances, production, by their designates) who met the medical criteria established in the MMAR. On these appeals, the court must decide whether Lederman J. erred in holding that the scheme set out in the MMAR was not a constitutionally acceptable medical exemption to the criminal prohibition against possession of marihuana.
2 This case is not about the social or recreational use of marihuana, but is about those with the medical need to use marihuana to treat symptoms of serious medical conditions. We have concluded that for those people the MMAR as drafted by the Government do not create a constitutionally acceptable medical exemption. Our reasons for so concluding differ somewhat from those of Lederman J. So does the remedy we would impose, namely to declare invalid only five specific sections of the MMAR. This renders constitutional the medical exemption as described in the remaining provisions of the MMAR, thereby rendering the possession prohibition in s. 4 of the CDSA constitutional: R. v. Parker, supra. The interests of justice are best served by removing any uncertainty as to the constitutionality of the possession prohibition while at the same time providing for a constitutionally acceptable medical exemption.
[441] Au sujet de la discrétion du ministre, la Cour d'appel écrit:
37 In July 2000, this court held in R. v. Parker, supra, that the medical exemption scheme based on s. 56 of the CDSA was constitutionally inadequate in that it depended on the unfettered exercise of the Minister's discretion. The Government set to work fashioning a legislative response to Parker which would produce a constitutionally acceptable medical exemption within the one year for which the court had suspended its declaration of invalidity.
[…]
55 Pursuant to Ss 11 and 12 of the MMAR, the Minister has very little discretion to refuse an ATP once the necessary personal and medical declarations have been completed. The limited role played by the Minister is no doubt an attempt to cure the major defect in the previous scheme identified in R. v. Parker, supra.
[442] L'autorisation d'appel de cette décision est refusée[215].
[443] Il convient maintenant d'examiner la portée de l'arrêt PHS que la Procureure générale invoque.
[444] Dans PHS, la Cour suprême doit décider si la LDAS s'applique au centre d’injection supervisée Insite qui offre des services médicaux aux consommateurs de drogues intraveineuses. Elle conclut par l’affirmative et estime que le régime établi par la LDAS est constitutionnel.
[445] Par contre, la Cour considère que le refus du ministre de la Santé du Canada de reconduire l’exemption prévue à l’art. 56 de la LDAS enfreint l’art. 7 de la Charte et que ce refus ne peut se justifier au sens de l’article premier.
[446] La conclusion de la Cour suprême que l'article 4 de la LDAS, qui interdit la possession de drogues, est conforme à la Charte canadienne se fonde sur l'existence de la discrétion du ministre prévue à l'article 56 de la LDAS.
[447] La Procureure générale soutient que la description de la discrétion du ministre supporte la conclusion que l'article 500.1 est lui aussi constitutionnel, car la personne chargée d'autoriser une manifestation selon cet article doit, tout comme le ministre de la santé qui exerce le pouvoir conféré à l'article 56 de la LDAS, exercer cette discrétion conformément à la Charte.
[448] Voici les principaux passages de l'opinion de la juge en chef McLachlin sur lesquels la Procureure générale se fonde:
[112] L’article 56 confère au ministre de la Santé un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder des exemptions de l’application de la Loi « [s]’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient ».
[113] La possibilité d’accorder des exemptions sert de soupape empêchant l’application de la Loi dans les cas où son application serait arbitraire, ses effets exagérément disproportionnés ou sa portée excessive.
[114] Je conclus que, bien que le par. 4(1) de la Loi mette en jeu les droits garantis par l’art. 7 de la Charte aux demandeurs et aux autres personnes qui se trouvent dans la même situation, il ne contrevient pas à l’art. 7. Il en est ainsi parce que la Loi confère au ministre le pouvoir d’accorder des exemptions de l’application du par. 4(1), notamment pour des motifs de santé. En fait, si on décidait de rédiger une loi qui combat la toxicomanie tout en respectant les droits garantis par la Charte, on pourrait fort bien adopter précisément ce type de régime — une interdiction conjuguée au pouvoir d’accorder des exemptions. S’il y a un problème lié à la Charte, il ne réside pas dans la loi, mais dans l’exercice par le ministre de son pouvoir légal d’accorder les exemptions appropriées.
[115] Les allégations d’invalidité de la Loi fondées sur l’art. 7 doivent donc être rejetées.
[116] La principale question soulevée dans le pourvoi, tel qu’il a été plaidé, est celle de la validité constitutionnelle de la Loi même. J’ai conclu que la Loi, interprétée correctement, est valide. Reste donc la question de la décision du ministre de refuser une exemption. La Cour doit décider, à titre préliminaire, si elle devrait examiner cette question. Dans les circonstances particulières de l’espèce, je conclus qu’elle devrait le faire. Les demandeurs ont plaidé, à titre subsidiaire, au cas où la Loi serait valide, que la décision du ministre a porté atteinte à leurs droits protégés par la Charte. Cette question a été soulevée lors de l’audition et les parties ont eu l’occasion de présenter leur point de vue à cet égard. La Cour est donc dûment saisie de cette question et le procureur général du Canada ne peut prétendre qu’il serait injuste qu’elle la tranche. Mais surtout, la justice commande que la Cour l’examine. Les demandeurs ont établi que leurs droits garantis par l’art. 7 sont en jeu. Ils ne peuvent être privés d’un recours et contraints à la tenue d’un nouveau procès sur ce point, simplement parce que c’est la décision du ministre et non la Loi même qui a porté atteinte à leurs droits, alors que la question a été plaidée et que l’équité n’est pas compromise.
[117] La discrétion laissée au ministre de la Santé n’est pas absolue : comme c’est toujours le cas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les décisions du ministre doivent respecter la Charte : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3. Si la décision du ministre fait en sorte que l’application de la Loi restreint les droits garantis par l’art. 7 d’une manière qui contrevient à la Charte, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est inconstitutionnel.
[118] Je souligne que la présente affaire diffère de l’affaire Parker, dans laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’interdiction générale de possession de marihuana n’était pas validée par la possibilité, prévue à l’art. 56, d’accorder une exemption relative à la possession pour raisons médicales. Dans Parker, aucune décision du ministre n’était en cause et la conclusion de la cour reposait sur des constatations du juge de première instance selon lesquelles [traduction] « la possibilité d’accorder une exemption était illusoire » (par. 174).
[…]
[128] Rappelons que, lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 56, le ministre doit respecter les droits garantis par la Charte. Cela signifie que, lorsque les droits garantis par l’art. 7 sont en jeu, toute restriction découlant d’une décision ministérielle doit être imposée en conformité avec les principes de justice fondamentale. Le ministre ne peut pas rejeter simplement une demande d’exemption présentée en vertu de l’art. 56 pour de simples raisons de politique; dans la mesure où elle a une incidence sur les droits garantis par la Charte, la décision du ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale.
[Le soulignement est ajouté]
[449] Dans sa décision, la juge en chef McLachlin se livre à une analyse en deux temps. Elle examine, dans un premier temps, la question de la constitutionnalité de l'article 4 de la LDAS (paragr. 109-115) et, dans un deuxième temps, la question du refus du ministre (paragr. 116-118 et 128).
[450] Cette approche, qui distingue nettement entre l'examen de la validité d'une loi et la situation où c'est un acte gouvernemental ou une pratique administrative qui est contestée, a d'abord été décrite par la juge en chef McLachlin dans l'arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[216].
[451] Dans Doré c. Barreau du Québec[217], la juge Abella formule la distinction entre les deux recours en ces termes:
[36] Comme la juge en chef McLachlin l’a expliqué dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, l’examen de la constitutionnalité d’une loi doit être différent de la révision d’une décision administrative qui est contestée parce qu’elle porterait atteinte aux droits d’un individu en particulier (voir également Bernatchez). Lorsque les valeurs consacrées par la Charte sont appliquées à une décision administrative particulière, elles sont appliquées relativement à un ensemble précis de faits. Dunsmuir nous dit que la retenue s’impose dans un tel cas (par. 53; voir aussi Suresh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 39). Par contre, lorsqu’on vérifie si une « loi » particulière respecte la Charte, il est question de principes d’application générale.
[452] L'arrêt Doré « établi le cadre d’analyse applicable pour décider si un ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux dispositions pertinentes »[218] de la Charte. Il fait suite à une « série de décisions contradictoires »[219] de la Cour suprême à l'égard de cette question. Il est dorénavant clairement établi que c'est l'approche du droit administratif qui doit être appliqué dans ces circonstances et non celle de l'article premier de la Charte.
[453] Toutefois, lorsque la constitutionnalité d'une loi est en cause, c'est le critère de l'article 1 qui s'applique.
[454] À cet égard, le Tribunal note que la juge en chef McLachlin prend bien soin au paragraphe 118 de PHS de souligner la différence entre la question en cause dans cet arrêt, une décision du ministre, et la décision dans Parker où la loi était contestée. Dans l'arrêt récent R. c. Nur[220], la juge en chef McLachlin souligne à nouveau cette distinction[221].
[455] De plus, dans l'arrêt PHS, la discrétion du Ministre ne faisait pas l'objet d'une contestation directe. Son existence a été un facteur important dans la conclusion de la Cour au sujet de la constitutionnalité de l'article 4 de la LDAS.
[456] De l'avis du Tribunal, les commentaires de la juge en chef McLachlin dans PHS au sujet de l'exercice de la discrétion du ministre d'une manière conforme à la Charte n'ont pas pour effet de remettre en cause la conclusion du juge Rosenberg dans Parker qui exprime l'opinion qu'un pouvoir discrétionnaire qui n'est encadré par aucun critère ne peut être une limite raisonnable.
[457] L'arrêt récent R. c. Smith de la Cour suprême confirme le fait que l'autorité de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans Parker n'est pas mise en doute par la Cour suprême[222].
[458] Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du ministre doit s'exercer d'une manière conforme à la Charte ne suffit pas à combler les carences évidentes de l'article 500.1, car celui-ci ne comporte aucun critère pour encadrer l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'il confère.
[459] Il en est de même de l'argument selon lequel le pouvoir discrétionnaire doit être interprété selon l'objet et l'économie du CSR.
[460] L'approche suggérée par la Procureure générale exige l'ajout de termes à l'article 500.1 qui en sont absents.
[461] De l'avis du Tribunal, l’article 500.1 doit être distingué des situations où le pouvoir discrétionnaire en cause comporte une description suffisante de la compétence conférée comme le font voir plusieurs décisions de la Cour suprême: les affaires Slaight (l'al. 61.5(9) c) du Code canadien du travail), Little Sisters (le paragraphe 163(8) du Code criminel), Doré (l'interprétation d'une norme déontologique) et Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)[223] (l'article 10 de la Loi sur le transfèrement international des délinquants).
[462] Comme le précise d'ailleurs le juge La Forest dans l’arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général) : « ce ne sont pas toutes les dispositions attributives d’un pouvoir discrétionnaire qui peuvent être interprétées d’une manière compatible avec la Charte »[224].
[463] Dans l'arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, le juge Gonthier décrit éloquemment le problème que présentent les dispositions législatives comportant un pouvoir discrétionnaire trop étendu comme celui de l'article 500.1:
Ce qui fait plus problème, ce ne sont pas tant des termes généraux conférant un large pouvoir discrétionnaire, que des termes qui ne donnent pas, quant au mode d'exercice de ce pouvoir, d'indications permettant de le contrôler. Encore une fois, une loi d'une imprécision inacceptable ne fournit pas un fondement suffisant pour un débat judiciaire; elle ne donne pas suffisamment d'indication quant à la manière dont les décisions doivent être prises, tels les facteurs dont il faut tenir compte ou les éléments déterminants. En donnant un pouvoir discrétionnaire qui laisse toute latitude, elle prive le pouvoir judiciaire de moyens de contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire[225].
[Le soulignement est ajouté]
[464] Les remarques de la juge L'Heureux-Dubé dans Comité pour la République du Canada c. Canada vont dans le même sens:
En outre, le règlement prévoit que "à moins d'une autorisation écrite du Ministre, nul ne peut . . . ". Il est clair que le Ministre dispose de "pleins pouvoirs discrétionnaires de faire ce qui lui semble le mieux". En soi, cela peut créer une norme imprécise au point d'être incompréhensible. De toute façon, l'imprécision imputable à l'absence d'une norme compréhensible n'est pas conforme aux principes portant que la restriction d'un droit ou d'une liberté doit être "prescrite par une règle de droit".
On pourrait prétendre que, dans un régime d'autorisation préalable, comme en l'espèce, la norme n'est pas imprécise. On pourrait alléguer que ce genre de dispositions permet aux citoyens de régler leur conduite parce qu'elle établit clairement que quiconque désire faire de la sollicitation ou de la publicité doit d'abord obtenir l'autorisation du Ministre. Cependant, cela ne fait que déplacer le problème de l'arbitraire de l'élément "prescrit par une règle de droit" à l'élément "moyens" des critères d'application de l'article premier[226].
[…]
La disposition visée en l'espèce n'a pas l'ombre d'une chance de répondre à cette norme. En conséquence de son imprécision et de sa portée excessive, il est impossible de déterminer quelles activités sont vraiment interdites. En outre, le pouvoir discrétionnaire absolu dont dispose le Ministre lui-même réduit grandement le caractère raisonnable et la prévisibilité de son application. Les personnes touchées par le Règlement ne devraient pas en être réduites à deviner les cas et circonstances dans lesquels ce règlement sera appliqué. Pareille conjecture est incompatible avec l'esprit, le but et les objectifs de notre Charte et est tout à fait inacceptable sur le plan constitutionnel: la justification de la restriction n'a pas été démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique[227].
[Le soulignement est ajouté]
[465] De l'avis du Tribunal, les principes formulés par les juges Gonthier et L'Heureux-Dubé s'appliquent parfaitement à l'analyse de l'article 500.1 et ils ne peuvent conduire qu'à une seule conclusion, celle de son inconstitutionnalité.
[466] Le droit constitutionnel de manifester sur un chemin public est un droit dont la dimension collective ne doit pas être ignorée. Ce droit ne devrait pas dépendre du pouvoir discrétionnaire de la personne responsable de l’entretien du chemin public surtout lorsque le législateur n’a pas précisé les conditions de son exercice[228].
[467] D'ailleurs, selon l'arrêt récent de la Cour suprême dans R. c. Nur[229], la constitutionnalité de l'article 500.1 ne peut reposer sur l'exercice de la discrétion de la personne responsable de l'entretien du chemin public.
[468] En effet, voici ce qu'écrit à ce sujet, la juge en chef McLachlin:
[95] Deux autres points peuvent être opposés à l’idée que le pouvoir discrétionnaire de la poursuite puisse remédier au fait qu’une disposition sur la détermination de la peine contrevient à l’art. 12 de la Charte. Premièrement, nul ne peut être assuré que ce pouvoir sera toujours exercé de manière à éviter un résultat inconstitutionnel. La constitutionnalité d’une disposition législative ne saurait non plus dépendre de la confiance qu’on peut avoir que le ministère public agira convenablement (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 45). Comme le dit le juge Cory au nom des juges majoritaires dans l’arrêt R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91, aux p. 103-104 :
Malheureusement, il semblerait que, chaque fois que le ministère public se voit accorder par la loi un pouvoir qui peut être utilisé de façon abusive, il le sera en effet à l’occasion. La protection des droits fondamentaux ne devrait pas être fondée sur la confiance à l’égard du comportement exemplaire permanent du ministère public, chose qu’il n’est pas possible de surveiller ni de maîtriser. Il serait préférable que la disposition législative incriminée soit abolie.
[Le soulignement est ajouté]
[469] Dans l'affaire Vancouver (City) v. Zhang[230], qui mettait en cause la constitutionnalité d'un règlement municipal qui restreignait l'érection de structures expressives sur les terrains de la ville de Vancouver, la juge Huddart de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique aborde le rôle discrétionnaire d'un conseil municipal d'accorder des autorisations individualisées selon une approche similaire à celle de l'arrêt Nur :
69 Despite this fundamental constitutionally-protected right to expression, the By-law maintains a general prohibition subject to Council's unfettered discretion to mete out individual exemptions. The City says that "[w]ithout this general prohibition the entire regulatory scheme would fail as it is impossible for the City to foresee and legislate in relation to every possible obstruction or encroachment". This may be, but no evidence or argument was put forward as to why the City could not develop a policy allowing for the administrative regulation of political expression comparable to those in place for commercial and artistic expression. Had the Council instituted what might be called a "Political Structure Policy," as it did policies for commercial and artistic expression, as part of its regulatory scheme, my conclusion might well be different. But they chose to maintain a complete ban and, effectively, to rely on prosecutorial discretion and Council's power to direct the use of that discretion, to ensure the right to freedom of political expression was not infringed in an individual case. In so doing, I am persuaded, they rendered s. 71 unconstitutional and of no force or effect. They reached beyond that which is permitted to them when political speech is the right sought to be exercised. It cannot be said that there is not a more reasonably tailored regulatory scheme.
[Le soulignement est ajouté]
[470] Par ailleurs, dans l'évaluation de l'existence de moyens moins attentatoire, le critère qui doit être appliqué « consiste à se demander s’il existe un autre moyen moins attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle »[231].
[471] À cet égard, l'examen du cadre règlementaire ou législatif mis en place par d'autres sociétés libres et démocratiques permet de cerner la portée des droits constitutionnels et les limites reconnues en vertu de dispositions justificatives[232].
[472] Les Lignes directrices relatives à la liberté de réunion pacifique de l'OSCE partagent la préoccupation de la jurisprudence de la Cour suprême à l'égard des critères encadrant une discrétion lorsqu'un État choisit d'intervenir par la voie de l'établissement d'un système de permis:
In regulating freedom of assembly, well-drafted legislation is vital in framing the discretion afforded to the authorities[233].
[…]
Any restrictions imposed must have a formal basis in law and be in conformity with the European Convention on Human Rights and other international human rights instruments. To this end, well-drafted legislation is vital in framing the discretion afforded to the authorities. The law itself must be compatible with international human rights standards and be sufficiently precise to enable an individual to assess whether or not his or her conduct would be in breach of the law, as well as the likely consequences of any such breaches[234].
[…]
Any permit system must clearly prescribe in law the criteria for issuance of a permit. In addition, the criteria should be confined to considerations of time, place and manner, and should not provide a basis for content-based regulation[235].
[…]
The regulatory authorities should ensure that the decision-making process is accessible and clearly explained. The process should enable the fair and objective assessment of all available information. Any restrictions placed on an assembly should be communicated promptly and in writing to the event organizers, with an explanation of the reason for each restriction. Such decisions should be taken as early as possible so that any appeal to an independent court can be completed before the date for the assembly provided in the notification[236].
[473] La légitimité de la mise en place d'un système de permis avant la tenue d'une manifestation est acceptée en droit américain, mais cette reconnaissance s'accompagne d'un encadrement rigoureux du pouvoir discrétionnaire des autorités.
[474] Le droit américain est ainsi résumé dans un document récent du Law Library of Congress:
The First Amendment to the United States Constitution prohibits the United States Congress from enacting legislation that would abridge the right of the people to assemble peaceably. The Fourteenth Amendment to the United States Constitution makes this prohibition applicable to state governments.
The Supreme Court of the United States has held that the First Amendment protects the right to conduct a peaceful public assembly. The right to assemble is not, however, absolute.
Government officials cannot simply prohibit a public assembly in their own discretion, but the government can impose restrictions on the time, place, and manner of peaceful assembly, provided that constitutional safeguards are met. Time, place, and manner restrictions are permissible so long as they “are justified without reference to the content of the regulated speech, ... are narrowly tailored to serve a significant governmental interest, and ... leave open ample alternative channels for communication of the information.”
Such time, place, and manner restrictions can take the form of requirements to obtain a permit for an assembly. The Supreme Court has held that it is constitutionally permissible for the government to require that a permit for an assembly be obtained in advance.
The government can also make special regulations that impose additional requirements for assemblies that take place near major public events.
In the United States, the organizer of a public assembly must typically apply for and obtain a permit in advance from the local police department or other local governmental body. Applications for permits usually require, at a minimum, information about the specific date, time, and location of the proposed assembly, and may require a great deal more information.
Localities can, within the boundaries established by Supreme Court decisions interpreting the First Amendment right to assemble peaceably, impose additional requirements for permit applications, such as information about the organizer of the assembly and specific details about how the assembly is to be conducted.
The First Amendment does not provide the right to conduct an assembly at which there is a clear and present danger of riot, disorder, or interference with traffic on public streets, or other immediate threat to public safety or order. Statutes that prohibit people from assembling and using force or violence to accomplish unlawful purposes are permissible under the First Amendment[237].
[475] Dans l'affaire Thomas v. Chicago Park District[238], le juge Scalia résume ainsi les exigences du droit américain:
Of course even content-neutral time, place, and manner restrictions can be applied in such a manner as to stifle free expression. Where the licensing official enjoys unduly broad discretion in determining whether to grant or deny a permit, there is a risk that he will favor or disfavor speech based on its content. See Forsyth County v. Nationalist Movement, 505 U. S. 123, 131 (1992). We have thus required that a time, place, and manner regulation contain adequate standards to guide the official’s decision and render it subject to effective judicial review. See Niemotko , supra, at 271. Petitioners contend that the Park District’s ordinance fails this test.
We think not. As we have described, the Park District may deny a permit only for one or more of the reasons set forth in the ordinance. See n. 1, supra. It may deny, for example, when the application is incomplete or contains a material falsehood or misrepresentation; when the applicant has damaged Park District property on prior occasions and has not paid for the damage; when a permit has been granted to an earlier applicant for the same time and place; when the intended use would present an unreasonable danger to the health or safety of park users or Park District employees; or when the applicant has violated the terms of a prior permit. See Chicago Park Dist. Code, ch. VII, §C.5.e. Moreover, the Park District must process applications within 28 days, §C.5.c, and must clearly explain its reasons for any denial, §C.5.e. These grounds are reasonably specific and objective, and do not leave the decision “to the whim of the administrator.” Forsyth County, 505 U. S., at 133. They provide “‘narrowly drawn, reasonable and definite standards’ ” to guide the licensor’s determination, ibid. (quoting Niemotko, supra, at 271). And they are enforceable on review—first by appeal to the General Superintendent of the Park District, see Chicago Park Dist. Code, ch. VII, §C.6.a, and then by writ of common-law certiorari in the Illinois courts, see Norton v. Nicholson, 187 Ill. App. 3d 1046, 543 N. E. 2d 1053 (1989), which provides essentially the same type of review as that provided by the Illinois administrative procedure act, see Nowicki v. Evanston Fair Housing Review Bd. , 62 Ill. 2d 11, 14, 338 N. E. 2d 186, 188 (1975)[239].
[Le soulignement est ajouté]
[476] Dans son article The Neglected Right of Assembly, l'auteur Tabatha Abu El-Haj décrit ainsi le système de permis en place dans plusieurs villes américaines:
To demonstrate, parade, or make a speech in public in the United States today, a person or organization must generally go (often well in advance) to the local police department, or to some other municipal department, to fill out required paperwork and to obtain a permit from government officials. A survey of twenty American cities reveals that all of them have extensive permit requirements for gatherings on public streets and most have similar requirements for public parks[240].
[477] Le droit américain et européen font donc voir une approche similaire à celle du droit canadien en matière d'encadrement d'un système d'autorisation préalable.
[478] Une autorité publique n'a pas l'obligation de mettre en place un système de permis ou d'autorisation préalable. Il est possible de s'en tenir à l'envoi d'un avis avant la tenue d'une manifestation[241].
[479] Toutefois, lorsque la voie du système d'autorisation préalable est choisie, le pouvoir discrétionnaire d'accorder cette autorisation doit être encadré par des critères précis et compréhensibles pour le public et ceux qui l'appliquent.
3.5.5. L'article 500.1 CSR est-il proportionné dans ses effets?
[480] À la dernière étape de l'analyse, la question « est de savoir si les conséquences de l’atteinte aux droits sont disproportionnées par rapport aux effets bénéfiques probables de la mesure législative contestée »[242] ou « si les effets bénéfiques de la mesure législative contestée en justifient le coût que représente la restriction au droit »[243].
[481] En l'espèce, le Tribunal estime qu'il n'est pas opportun de mener une longue analyse.
[482] Le droit constitutionnel de manifester sur un chemin public peut être exercé par des milliers de citoyens.
[483] Le préjudice causé à ce droit constitutionnel par un système d'autorisation préalable entièrement discrétionnaire est totalement disproportionné par rapport aux bénéfices en matière de circulation sécuritaire des véhicules routiers sur les chemins publics, tant pour les conducteurs et les passagers des véhicules que pour les piétons, et de la libre circulation des marchandises.
3.5.6. Conclusions sur la justification
[484] L'article 500.1 enfreint les libertés d'expression et de réunion pacifique protégés par les chartes québécoise et canadienne. Cette limitation n'est pas justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique, car il est possible de mettre en place un système d'autorisation préalable qui encadre le pouvoir discrétionnaire d'autoriser une manifestation.
[485] L'article 500.1 doit être déclaré invalide. La seule question qui se pose est celle de savoir si cette déclaration doit viser l'ensemble de l'article ou simplement le troisième alinéa qui prévoit un régime d'autorisation préalable inconstitutionnel.
[486] Selon le Tribunal, la déclaration doit viser l'ensemble de l'article, car il appartient au législateur de réviser l'ensemble du régime mis en place[244].
4.1. Est-ce que l'effet de la déclaration d'invalidité de l'article 500.1 CSR doit être suspendu?
[487] Dans l'arrêt Schachter c. Canada[245], le juge en chef Lamer énonce trois situations qui justifient la suspension temporaire de l'effet d'une déclaration d'invalidité :
Un tribunal peut déclarer une loi ou une disposition législative inopérante, mais suspendre l'effet de cette déclaration jusqu'à ce que le législateur fédéral ou provincial ait eu l'occasion de combler le vide. Cette méthode est fort appropriée lorsque l'annulation d'une disposition présente un danger pour le public (R. c. Swain, précité) ou porte atteinte à la primauté du droit (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721). Cette méthode pourrait également être appropriée dans les cas où une disposition est limitative par opposition aux cas où elle aurait une portée trop large[246].
[488] Le professeur Roach estime qu'il ne s'agit pas de catégories étanches et rigides. Voici la description qu'il donne de ce pouvoir :
Courts have often been attracted to suspended declarations of invalidity because of their recognition that legislatures have a legitimate role and a broader range of options in devising constitutional responses to court decisions. At the same time, the Supreme Court in Schachter warned that suspended declarations of invalidity should not become routine and that they can force matters back on the legislative agenda. A number of commentators have criticized the Court for routinely suspending declarations of invalidity and not justifying its decisions. These criticisms have some validity, but the answer is not to abandon the useful technique of a suspended declaration of invalidity or to retreat to the three limited categories or pigeonholes outlined in Schachter. Rather, courts should justify the use of suspended declarations in each case on the basis of remedial principles.
Suspended declarations should be used where an immediate declaration could cause a significant social harm including but not limited to threats to the rule of law and public safety. Suspended declarations should also be used in cases of unconstitutionally under-inclusive legislation where legislatures have a range of remedial options such as extending but also reducing benefits that are not open to the court. More generally, they should be used in cases where legislatures can select among a number of options in complying with the court’s interpretation of the Charter. This latter principle is in tension with Lamer C.J.C.’s statement in Schachter that the use of suspended declarations of invalidity should “turn not on considerations of the role of the courts and legislatures” but rather on the three listed categories. Nevertheless, the need to respect the roles of courts and legislatures has emerged as important principles that govern constitutional remedies in the Court’s subsequent remedial jurisprudence and indeed in its own decision in Schachter with respect to when reading in would be an appropriate subsection 52(1) remedy[247].
[Je souligne]
[489] L'effet de la déclaration d'invalidité de l'article 500.1 doit être suspendu en raison des dangers en matière de sécurité routière et de circulation des marchandises qui seraient susceptibles de se poser si son effet était immédiat et ce, même si, selon la preuve présentée devant le juge d'instance, les corps policiers sont souvent en mesure de gérer adéquatement la tenue de manifestations dont ils ne connaissent pas le trajet.
[490] Le défi posé par les modifications qui doivent être apportées au Code de la sécurité routière est loin d'être insurmontable. Un délai de six mois semble raisonnable[248].
4.2. La condamnation de l'appelante
[491] Il s'agit en l'espèce d'une contestation de la constitutionnalité de l'infraction en vertu de laquelle le constat d'infraction a été porté contre l'appelante. Cet article est invalide. L'appelante doit être acquittée[249].
[492] N'eut été de la conclusion relative à l'invalidité de l'article 500.1, le Tribunal aurait ordonné, selon les pouvoirs conférés par le deuxième alinéa de l'article 285 du Code de procédure pénale, la tenue d'une nouvelle instruction pour évaluer la portée de l'avis donné par les policiers le 15 mars 2011 à 17 h 09 à l'égard de la culpabilité de l'appelante ou l'évaluation de la question de l'erreur provoquée par une personne en situation d'autorité.
[493] Bien que cette question n'ait pas fait l'objet d'un débat en première instance en raison du plaidoyer de culpabilité conditionnel de l'appelante, l'audition du pourvoi révèle que l'intérêt de la justice aurait justifié la tenue d'une nouvelle instruction pour évaluer ces questions. Il ne faut pas voir dans ces commentaires une critique du juge d'instance ou des parties. Le bénéfice du recul est souvent un révélateur qui permet l'identification de questions pertinentes à l'intérêt de la justice.
[494] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[495] DÉCLARE l'article 500.1 du Code de la sécurité routière invalide;
[496] SUSPEND l'effet de la déclaration d'invalidité pour une période de six mois;
[497] ACQUITTE l'appelante;
[498] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ GUY COURNOYER, J.C.S. |
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Me Marie Claude St-Amant |
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Procureure pour l’appelante |
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Me Agori Fridas |
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Procureure pour l’intimée |
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Me Patrice Claude Me Catherine Paschali |
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Procureurs pour le mis en cause |
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Me Sibel Ataogul |
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Procureure pour l’intervenante |
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Date d’audience : |
23 et 24 mars 2015 |
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Observations écrites supplémentaires : |
30 mars, 7 et 22 avril 2015 |
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Début du délibéré: |
7 avril 2015 |
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Suspension du délibéré : |
22 au 29 avril 2015 |
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[1] RLRQ c. C-24.2.
[2] Le mémoire de la Procureure générale fournit un résumé utile des faits que le Tribunal adopte en grande partie : Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 R.C.S. 357, paragr. 49-50.
[3] VD-1, PG-3, Annexe #5.
[4] Voir par exemple, Margaret E. Beare, Nathalie Des Rosiers et Abigail C. Deshman, Putting The State On Trial: The Policing of Protest during the G20 Summit, UBCPress, 2015; Leslie J. Wood, Crisis and Control: The Militarization of Protest Policing, Pluto Press, 2014; Francis Dupuis-Déri (dir.), À qui la rue?: répression policière et mouvements sociaux, 2013, Les Éditions Écosociété.
[5] R. c. Bertrand, 2011 QCCA 1412, paragr. 150.
[6] Voir par exemple les décisions anglaises Hubbard v. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.) et R. v. Chief Constable of Devon and Cornwall ex parte Central Electricity Generating Board, [1982] Q.B. 458 : D. Mead, The New Law of Peaceful Protest: Rights and Regulation in the Humans Rights Act Era, Hart Publishing, 2010, aux pages 4-7.
[7] R. c. Lecompte, (1999), 149 C.C.C. (3d) 185; REJB 2000-19319 autorisation d'appel refusée [2001] 1 R.C.S. xiii.
[8] R. c. Bédard, 2009 QCCA 1473.
[9] R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, paragr. 18.
[10] On consultera avec intérêt les rapports d'enquête récents suivants: Gerry McNeilly, Policing the Right to Protest : G20 Systemic Review Report, Office of the Independent Police Review Director, Toronto (Ont.), Mai 2012; André Marin, Caught in the Act: Investigation into The Ministry of Community Safety and Correctional Services’ conduct in relation to Ontario Regulation 233/10 under the Public Works Protection Act, Toronto (Ont.), Ombudsman of Ontario, Décembre 2010; Hon. John W. Morden, Independent Civilian Review Into Matters relating to The G20 Summit, Toronto Police Services Board, Toronto (Ont.), Juin 2012; Hon. R. Roy McMurtry, Report of the Review of the Public Works Protection Act, Ministry of Community Safety and Correctional Services, Toronto (Ont.), Avril 2011.
[11] [1978] 2 R.C.S. 770.
[12] [1978] 2 R.C.S. 770, aux pages 780-781.
[13] OSCE - Office of Democratic Institutions and Human Rights et Commission de Venice, Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly, Second Edition, Warsaw, 2010, paragr. 164, à la p. 81.
[14] Hon. John W. Morden, Independent Civilian Review Into Matters relating to The G20 Summit, Toronto Police Services Board, Toronto (Ont.), Juin 2012, à la p. 275.
[15] 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, paragr. 3.
[16] 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, paragr. 37.
[17] Ibid., paragr. 38.
[18] Ibid., paragr. 39.
[19] Ibid.
[20] Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, paragr. 28.
[21] R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, paragr. 16.
[22] Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129, paragr. 41.
[23] 82 O.R. (3d) 721; 277 D.L.R. (4th) 274.
[24] Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245, paragr. 72.
[25] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214, paragr. 17.
[26] [1986] 2 R.C.S. 573.
[27] Ibid., à la p. 583.
[28] 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45.
[29] Paul Woodruff, First Democracy: The Challenge of an Ancient Idea, Oxford University Press, 2005, à la p. 21.
[30] Aharon Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press, 2006, à la p. 25.
[31] Ibid., aux pages 63-64.
[32] [1986] 1 R.C.S. 103.
[33] [1986] 1 R.C.S. 103, à la p. 136.
[34] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 969, citant l'affaire Handyside, une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Voir aussi École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, paragr. 48.
[35] Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, paragr. 75.
[36] [1998] 2 R.C.S. 217.
[37] [1996] 2 R.C.S. 1048.
[38] Cass R. Sunstein, Why Societies Need Dissent, Harvard University Press, 2003, à la p. 213.
[39] Irwin Cotler, « Liberté de réunion, d’association, de consience et de religion », dans Gérald-A Beaudoin et Walter S. Tarnopolsky, Charte Canadienne des droits et libertés, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 1982, à la p. 183.
[40] Gabriel Babineau, « La manifestation: une forme d'expression collective », (2012) 53 Les Cahiers de Droit 761, à la p. 787.
[41] 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3.
[42] 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19.
[43] 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295.
[44] (2015), 320 C.C.C. (3d) 437.
[45] Kent Roach et David Schneiderman, « Freedom of Expression in Canada », (2013), 61 S.C.L.R. (2d) 429, à la p. 480.
[46] Gabriel Babineau, « La manifestation: une forme d'expression collective », (2012) 53 Les Cahiers de Droit 761, à la p. 777.
[47] Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, paragr. 37.
[48] Voir par exemple Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, (SCFP, section locale 301) c. Coll, 2009 QCCA 708, paragr. 70 (le juge Brossard).
[49] Figueiras c. Toronto Police Services Board (2015), 320 C.C.C. (3d) 437, paragr. 78; Dwight Newman, « Fundamental Freedoms » dans Halsbury’s Laws of Canada - Constitutional Law (Charter of Rights), à jour en 2014, Markham (Ont), LexisNexis, 2014, (LN/QL), HCHR-42, aux pages 529-530.
[50] Hon. John W. Morden, Independent Civilian Review Into Matters relating to The G20 Summit, Toronto Police Services Board, Toronto (Ont.), Juin 2012, à la p. 24.
[51] Gabriel Babineau, « La manifestation: une forme d'expression collective », (2012) 53 Les Cahiers de Droit 761, à la p. 783.
[52] 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, paragr. 64.
[54] Ibid., à la p. 797.
[55] Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139.
[56] Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, aux pp. 199 et 200.
[57] (1994), 20 O.R. (3d) 229 (Cour Ont. (Div. Gén.).
[58] Voir R. c. Gibbons, 2012 CSC 28, [2012] 2 R.C.S. 92, paragr. 2.
[59] (1994), 20 O.R. (3d) 229 (Cour Ont. (Div. Gén.), à la p. 285.
[60] 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245.
[61] Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157, paragr. 24.
[62] Gabriel Babineau, « La manifestation: une forme d'expression collective », (2012) 53 Les Cahiers de Droit 761, à la p. 784.
[63] OSCE - Office of Democratic Institutions and Human Rights et la Commission de Venice, Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly, Second Edition, Warsaw, 2010.
[64] On consultera toutefois l'analyse plus complète du droit européen dans les ouvrages suivants: Orsolya. Salát, The Right to Freedom of Assembly: A Comparative Study, Hart Publishing, 2015; David Mead, The New Law of Peaceful Protest: Rights and Regulation in the Humans Rights Act Era, Hart Publishing, 2010; voir aussi Gabriel Babineau, « La manifestation: une forme d'expression collective », (2012) 53 Les Cahiers de Droit 761, aux pages 785 à 788.
[65] OSCE - Office of Democratic Institutions and Human Rights et Commission de Venice, Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly, Second Edition, Warsaw, 2010, à la p. 15.
[66] Ibid., à la p. 17.
[67] Ibid., à la p. 31.
[68] Cass R. Sunstein, Why Societies Need Dissent, Harvard University Press, 2003, à la p. 96; Voir aussi Tabatha Abu El-Haj, « The Neglected Right of Assembly », (2009) 56 UCLA Law Rev. 543, à la p. 569; John D. Inazu, « The Forgotten Freedom of Assembly », (2010), 84 Tulane Law. Rev. 565.
[69] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 67.
[70] Ibid., paragr. 68. Il réfère aux décisions suivantes: Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, paragr. 37; Montréal (Ville de) c. 2952-1366 Québec inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 80; R. v. Banks (2007), 216 C.C.C. (3d) 19 (C.A. Ont.), autorisation d'appel refusée [2007] 3 R.C.S. vi.
[71] Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, paragr. 48-56.
[72] 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141.
[73] 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 82.
[74] Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, paragr. 37; Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 73-78.
[75] Dans l'arrêt Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, à la p. 214, la juge L’Heureux-Dubé décrit le règlement en cause comme un régime d'autorisation préalable. Sur l'application du règlement aux faits de cette affaire, la juge L'Heureux-Dubé exprime la position majoritaire, le juge Gonthier (à la p. 226), le juge Cory (à la p. 227) et la juge McLachlin (à la p. 243-244); Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Fifth Edition Supplemented, Volume 2, Toronto, Carswell, (mise à jour 2015), à la p. 43-14; Dans l'arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, paragr. 232-236, le juge Iaccobucci décrit dans sa dissidence la nature d'un régime de restriction préalable. Comme le note le doyen américain Erwin Chemerinsky dans son ouvrage Constitutional Law: Principles and Policies, Fifth Edition, 2015, Wolters Kluwer, à la p. 1196: « [A] licensing or permit system is a classic form of prior restraint ».
[76] [1991] 1 R.C.S. 139.
[77] Ibid., aux pp. 165-166.
[78] Ce cadre d’analyse s’applique tant à l’article 1 de la Charte canadienne qu’à l’article 9.1 de la Charte québécoise : Ford c. Québec (Procureur Général), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pages 769-770; Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791, paragr. 47-48.
[79] Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331.
[80] Voir aussi Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401, paragr. 58-60; Montréal (Ville de) c. 2952-1366 Québec inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 88.
[81] Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, paragr. 62.
[82] [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 983.
[83] Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, à la p. 95.
[84] R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204, paragr. 39; voir aussi l'opinion similaire formulée par la juge L'Heureux-Dubé dans Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, aux pages 214-215.
[85] Tout comme le juge d'instance (voir Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 130-131), le Tribunal adopte ici essentiellement les principaux éléments de l'analyse proposée par la Procureure générale dans son mémoire. Il les intègre à son jugement pour en faciliter la lecture: Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 R.C.S. 357, paragr. 49-50.
[86] L.Q. 2000, c. 31.
[87] Voir aussi les interventions des députés Yvan Bordeleau (p. 6075), André Pelletier (p. 6079) et Réal Gauvin (p. 6080.)
[88] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 141, 143, 145 et 147.
[89] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 137.
[90] Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2010 CSC 21, [2010] 1 R.C.S. 721, paragr. 20; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, paragr. 111; R. c. Conception, 2014 CSC 60, [2014] 3 R.C.S. 82, paragr. 15.
[91] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, paragr. 45.
[92] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, paragr. 48; Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, paragr. 70.
[93] 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3.
[94] Ibid., paragr. 143.
[95] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 151.
[96] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 152-153.
[97] Ibid., paragr. 154-155.
[98] Ibid., paragr. 159.
[99] Ibid., paragr. 157, 168, 169, 171.
[100] 2011 ONSC 6862,108 O.R. (3d) 571 (C.S. Ont.).
[101] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 160.
[102] Ibid., paragr. 161.
[103] Ibid., paragr. 162.
[104] Ibid., paragr. 163 et 171.
[105] Ibid., paragr. 158, 163 et 171.
[106] Ibid., paragr. 171.
[107] Ibid.
[108] 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, paragr. 18.
[109] 2015 CSC 15, [2015] 1 RCS 773.
[110] 2015 CSC 34.
[111] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 159.
[112] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 162.
[113] Notes sténographiques, 22 février 2013, les pages 31 à 34.
[114] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission permanente des transports et de l’environnement, 1re sess., 36e légis., 1er juin 2000, « Étude détaillée du projet de loi no130 - Loi modifiant le Code de la sécurité routière et la Loi sur le transport par taxi », CTE-53 pages 11-12. Le Tribunal souligne que le ministre des transports évoque le permis de la police lors d'un échange, mais cette référence ne fait l'objet d'aucune explication additionnelle. Voir aussi Jean Hétu, Droit municipal : principes généraux et contentieux, Guide CCH, Brossard, Wolters Kluwer Québec Ltée., 2015, paragr. 11.57.
[115] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, paragr. 40.
[116] Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants - Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, paragr. 56.
[117] Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, paragr. 139.
[118] Ibid.
[119] Richard Tremblay, Éléments de légistique - Comment rédiger les lois et les règlements, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, aux pages 187 à 195; voir : Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 913 à 992; Glanville Williams, « Control by Licensing », (1967) 20 Current Legal Problems 81.
[120] Richard Tremblay, Éléments de légistique - Comment rédiger les lois et les règlements, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, à la p. 207.
[121] Ibid., à la p. 187.
[122] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, aux pp. 188-189.
[123] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, à la p. 189.
[124] RLRQ, c. J-3.
[125] Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), 2003 CSC 58, [2003] 2 R.C.S. 624, paragr. 26; Société de l'assurance automobile du Québec c. Cyr, 2008 CSC 13, [2008] 1 R.C.S. 338, paragr. 30.
[126] R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la p. 70; R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187, paragr. 77.
[127] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 91, 93 et 97.
[128] Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville), 2014 CSC 34, [2014] 1 R.C.S. 784.
[129] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 72.
[130] Ibid.
[131] Ibid., paragr. 39, 46 et 72 ; Van de Perre c. Edwards, 2001 CSC 60, [2001] 2 R.C.S. 1014, paragr. 15.
[132] 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 90.
[133] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 152, 158 et 164.
[134] Patrice Garant, Droit administratif, 6ème éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, aux pages 200 à 219.
[135] Ibid., à la p. 202.
[136] Ibid.
[137] Ibid., à la p. 204.
[138] [1959] R.C.S. 58.
[139] 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689.
[140] [1959] R.C.S. 58, aux pp. 76-77.
[141] [1993] R.J.Q. 1043 (C.A.).
[142] Ibid., à la p. 1048.
[143] Philip Cantwell, « Compétences de la municipalité locale », dans JurisClasseur Québec, coll. Droit public, Droit municipal, fasc. 8, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, à jour au 18 janvier 2015, paragr. 3, à la p. 8/4.
[144] Valérie Belle-Isle, « Fonction publique », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit Public », Droit municipal, fasc. 7, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, à jour au 16 février 2015, paragr. 4.
[145] [1975] C.A. 143. Voir aussi l’arrêt Québec (Ville) c. Tremblay, EYB 2005-82263 (C.S.).
[146] Ibid., à la p. 145.
[147] René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, t. 1, 2e éd., Sainte-Foy, Presse de l’Université de Laval, 1984, aux pages 534-535.
[148] [1999] 1 R.C.S. 565.
[149] Kent Roach, « Police Independence and the Military Police », (2011) 49 Osgoode Hall L.J. 117, aux pages 121 à 132.
[150] Voir par exemple l’article 83 de la Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1. L'autorité à l'égard de la gestion administrative du personnel d'un corps policier est une question distincte: voir par exemple l'article 115 de la Charte de la Ville de Montréal, RLRQ, c. C-11.4.
[151] RLRQ, c. P-13.1.
[152] VD1-PG8.
[153] Notes sténographiques, témoignage d'André Turcotte, aux pages 56-65.
[154] Lettre du 30 mars 2015 de Me Marie-Claude St-Amant.
[155] Lettre du 30 mars 2015 de Me Patrice Claude.
[156] Lettre du 2 avril 2015 Me Sibel Ataogul, reçue le 7 avril.
[157] Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873, paragr. 28.
[158] Voir Adgey c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 426.
[159] Notes sténographiques du 5 juillet 2013, aux pages 3 à 5; voir R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, paragr. 17-18.
[160] 639 F.3d 738 (2011), aux pages 746-747.
[161] Al-Musawi c. Montréal (Ville de), 2006 QCCA 945, paragr. 57.
[162] Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, paragr. 28.
[163] 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, paragr. 37.
[164] (2006), 82 O.R. (3d) 721; 277 D.L.R. (4th) 274, paragr. 113-118.
[165] Courchesne c. Sorel-Tracy (Ville de), 2014 QCCS 4610, paragr. 87-93.
[166] Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, [2004] 3 R.C.S. 304. Voir deux exemples de l'application de ce passage de l'arrêt Roncarelli dans le contexte d'un débat constitutionnel: Ontario (Minister of Transportation) c. Miracle (2005), 249 D.L.R. (4th) 680 (C.A. Ont.), autorisation d'appel refusée, Cour suprême du Canada, Bulletin des procédures, 10 novembre 2005, à la p. 1580 (affichage commercial le long d'une autoroute); R. c. Watson (2008), 235 C.C.C. (3d) 521 (C.A.C.-B.), autorisation d'appel refusée [2009] 3 R.C.S. ix.
[167] Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 140.
[168] [1989] 1 R.C.S. 1038,
[169] Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, [2004] 3 R.C.S. 304, paragr. 2 et 21.
[170] S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, paragr. 106.
[171] Ibid., paragr. 107.
[172] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 150-178.
[173] Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, paragr. 37; Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157, paragr. 49.
[174] Montréal (Ville de) c. Garbeau, 2014 QCCM 76, paragr. 163.
[175] Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, paragr. 27; P.-A. Côté, S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois, 4ème éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, paragr. 1042-1046; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham (Ont.), 2014, paragr. 7.10-719; paragr. 9.74-9.75. Voir aussi Longueuil (Ville de) c. Lachapelle, 2013 QCCA 1288, paragr. 51.
[176] On lira avec intérêt les observations de la professeure Danielle Pinard dans « A Plea for Conceptual Consistency in Constitutional Remedies », (2005-2006) 18 N.J.C.L. 105.
[177] [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 169.
[178] R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, paragr. 50.
[179] Voir par exemple: Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; Danielle Pinard, « A Plea for Conceptual Consistency in Constitutional Remedies », (2005-2006) 18 N.J.C.L. 105; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Fifth Edition Supplemented, Volume 2, Toronto, Carswell, (mise à jour 2015), aux pages 40-22 à 40-26.
[180] R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, aux pages 626-627.
[181] Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Fifth Edition Supplemented, Volume 2, Toronto, Carswell, (mise à jour 2015), à la p. 38-12.
[182] Ibid., à la p. 38-14.
[183] [1988] 1 R.C.S. 621.
[184] [1988] 1 R.C.S. 621, aux pages 632-633.
[185] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927.
[186] Ibid., à la p. 983.
[187] [1989] 1 R.C.S. 1038, aux pp. 1077-1078.
[188] [1991] 1 R.C.S. 139.
[189] [1991] 1 R.C.S. 139, aux pages 214-215.
[190] Ibid, aux pages 246-247.
[191] (2000), 146 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.).
[192] L.C. 1996, ch. 19.
[193] 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134.
[194] [1992] 2 R.C.S. 606.
[195] Ibid., à la p. 639.
[196] Ibid.
[197] [1996] 3 R.C.S. 101.
[198] [1997] 3 R.C.S. 624.
[199] 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120.
[200] Ibid., paragr. 46.
[201] Ibid., paragr. 138.
[202] Ibid., paragr. 137.
[203] 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295.
[204] 2010 QCCA 1340.
[205] 2015 QCCA 1576, paragr. 23, 75-76.
[206] Ces modifications suppriment l'audience obligatoire que doit tenir la Commission nationale des libérations conditionnelles dans les cas à l’égard des examens qui suivent la suspension, la cessation ou la révocation de la liberté conditionnelle ou d’office.
[207] (2000), 146 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.).
[208] (2003), 177 C.C.C. (3d) 449 (C.A. Ont.).
[209] 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134.
[210] 2015 CSC 34.
[211] [1988] 1 R.C.S. 30, à la p. 68.
[212] [1987] 1 R.C.S. 1045.
[213] H. Stewart, Fundamental Justice: section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Irwin Law, 2012, à la p. 144.
[214] Voir la description du fonctionnement du règlement dans le jugement de la Cour d'appel de l'Ontario dans Hitzig c. Canada (2003), 177 C.C.C. (3d) 449 paragr. 44-66 autorisation d'appel refusée [2004] 1 R.C.S. x.
[215] [2004] 1 R.C.S. x.
[216] 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, parargr. 65-71.
[217] 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395.
[218] École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, paragr. 3.
[219] École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, paragr. 3. Voir H. Stewart, Fundamental Justice: section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Irwin Law, 2012, aux pages 26 à 31.
[220] 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773.
[221] Ibid., paragr. 92-93.
[222] 2015 CSC 34, paragr. 1-4, et 17-18.
[223] 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157.
[224] [1997] 3 R.C.S. 624, paragr. 30.
[225] [1992] 2 R.C.S. 606, à la p. 642.
[226] [1991] 1 R.C.S. 139, aux pp. 214-215.
[227] [1991] 1 R.C.S. 139, à la p. 225.
[228] Voir l'opinion du juge Binnie dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 171, même s'il s'agit dans le contexte de cette affaire d'une dissidence.
[229] 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773.
[230] 2010 BCCA 450, 325 D.L.R. (4th) 313.
[231] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, paragr. 55.
[232] Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157, paragr. 22-24; Benjamin Oliphant, « Interpreting the Charter with International Law: Pitfalls and Principles » (2014), 19 Appeal 105, à la p. 107, note en bas de pages 13; William A. Schabas et Stéphane Beaulac, « International Human Rights and Canadian Law - Legal Commitment, Implementation and the Charter », Third Edition, 2007, Carswell, aux pp. 287 à 291.
[233] OSCE - Office of Democratic Institutions and Human Rights et Commission de Venice, Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly, Second Edition, Warsaw, 2010, à la p. 12.
[234] OSCE - Office of Democratic Institutions and Human Rights et Commission de Venice, Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly, Second Edition, Warsaw, 2010, à la p. 16.
[235] Ibid., à la p. 65.
[236] Ibid., à la p. 19.
[237] THE LAW LIBRARY OF CONGRESS, « Right to Peaceful Assembly », United States, par Andrew M. Winston, Global Legal Research Center, Octobre 2014, aux pages 18-19, en ligne : <http://www.loc.gov/law/help/peaceful-assembly/right-to-peaceful-assembly.pdf.> (consulté le 10 novembre 2015).
[238] 534 U.S. 316 (2002).
[239] 534 U.S. 316 (2002), aux pp. 323-324.
[240] Tabatha Abu El-Haj, « The Neglected Right of Assembly », (2009) 56 UCLA Law Rev. 543, à la p. 548.
[241] Le choix entre l'exigence d'un avis préalable ou l'établissement d'un système d'autorisation préalable est une question qui n'exige pas d'être résolue en l'espèce. Cette question fait l'objet de plusieurs observations utiles dans les documents suivants: OSCE - Office of Democratic Institutions and Human Rights et Commission de Venice, Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly, Second Edition, Warsaw, 2010, aux pages 17-18 et 63 à 72; Orsolya. Salát, The Right to Freedom of Assembly: A Comparative Study, Hart Publishing, 2015, aux pages 55 à 106. Conformément aux enseignements de l'arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, paragr. 9, le Tribunal n'exprime aucune opinion sur cette question.
[242] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, pargr. 76.
[243] Ibid., paragr. 77.
[244] R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, paragr. 50-51.
[245] [1992] 2 R.C.S. 679.
[246] Ibid., à la p. 684.
[247] Kent Roach, « Enforcement of the Charter - Subsections 24(1) and 52(1) », dans Errol Mendes et Stéphane Beaulac, Charte canadienne des droits et libertés, 5e éd., Markham, LexisNexis Canada, 2013, p. 1123, à la p. 1155.
[248] R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472, paragr. 34.
[249] Ibid., paragr. 32; Singh c. Montréal (Ville de), 2010 QCCA 1340, paragr. 47.
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